la crise financière expliquée à ceux qui n`en peuvent rien

LA CRISE FINANCIÈRE
EXPLIQUÉE
À CEUX QUI N’EN
PEUVENT RIEN
par Nicolas Bednar, conseiller politique à Ecolo,
économiste et chercheur-associé à Etopia
15 octobre 2008
www.etopia.be
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1 Objet de la note
La présente note vise à expliquer, le plus simplement possible1, les mécanismes de l’actuelle crise
financière internationale : son origine, ses répercussions sur l’économie, les interventions des pouvoirs
publics. Elle présente en encadré certaines notions davantage développées mais que le lecteur pres
ou averti pourra sauter.
Les économistes me pardonneront les raccourcis méthodologiques (et donc les approximations
théoriques) que j’ai pu utiliser pour rendre certains concepts plus facilement compréhensibles.
2 Quelques concepts de base
2.1 Notre système économique
Nous vivons actuellement dans un système économique que l’on peut définir comme une économie
mixte de marchés capitaliste2 et productiviste.
C’est une économie de marchés : les marchés déterminent (par le mécanisme de l’offre et de la
demande) un prix et ce prix est l’information qui permet l’allocation des ressources (que vais-je
acheter, produire, comment vais-je épargner, travailler).
C’est un système libéral : la pensée dominante estime que c’est en laissant la libre initiative aux
différents agents du marché que l’on obtiendra le plus grand bien-être pour tous; il s’agit donc d’un
système dans lequel la concurrence est primordiale et l’intervention de l’Etat malvenue sauf si son but
est de favoriser le libre marché. Néanmoins, l’Etat est encore présent sur ces marchés (qui ne sont
donc pas tout à fait libres) : on parlera d’une économie mixte de marchés. Dans un modèle purement
libéral, on parlera d’une économie de libres marchés.
C’est un système capitaliste car il est basé sur laccumulation de capitaux et le fait que les moyens
de production n’appartiennent pas à ceux qui les mettent en œuvre : ce sont essentiellement les
actionnaires et non les travailleurs qui possèdent l’entreprise. La bourse est un lieu central de ce
système : elle facilite la rencontre entre des détenteurs de capitaux (épargnants) et des demandeurs
de capitaux (investisseurs).
Le capitalisme est donc par nature financier. Même si suivant les périodes l’accumulation a tantôt
servi une logique industrielle3, tantôt une logique actionnariale4, in fine l’objectif des capitalistes est
de capter une part toujours croissante des richesses produites5. Pour atteindre un maximum
d’accumulation, il est nécessaire d’exploiter à l’extrême limite le travail et les ressources naturelles
tout en assurant que la consommation, source de création de richesse, augmente sans cesse. Un
système capitaliste ‘pur’ est donc par nature productiviste et sauvage. Dans un modèle libéral, le
capitalisme est débridé.
2.2 Définition de la valeur dans ce système
Dans notre système, la valeur économique renvoie à la notion de prix. La valeur d’un bien ou d’un titre
(par exemple une action) est le prix que je paie pour l’acquérir.
Il se peut néanmoins que le prix soit surfait (on parlera alors de bulle) ou au contraire sous-évalué par
rapport à sa valeur réelle (ou prix réel). Mais ce prix réel n’en n’est pas vraiment un puisqu’il est
1 Pour version encore plus simplifiée je renvoie le lecteur aux nombreux articles de presse sur cette matière.
2 Il existe des systèmes capitalistes non libéraux et des systèmes libéraux non capitalistes, des systèmes de marchés non libéraux,
etc.
3 Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain (Helmut Schmidt).
4 Les profits ne servent pas l’investissement, mais sont principalement distribués sous la forme de revenus financiers.
5 Si l’on pense, comme Michel Husson (dans son article « la finance et l’économie réelle), que c’est l’augmentation de la part de
richesse captée par le capital qui alimente la financiarisation de l’économie, alors la régulation de la finance internationale, pour
nécessaire qu’elle soit, est insuffisante car elle ne s’attaque pas aux racines du problème.
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inobservable. Il s’agit d’un prix théorique. C’est donc la théorie dominante qui va le définir6 : il s’agit
du prix que l’on observerait dans une économie en concurrence parfaite, c’est-à-dire une économie de
libres marchés où les agents sont rationnels, n’ont aucun pouvoir de marché et disposent de toute
l’information nécessaire pour réaliser leur choix. Le prix réel, la valeur réelle est ainsi définie sur base
d’un modèle théorique ou irréel (par définition, un modèle, ce n’est pas la réalité).
Par exemple, le prix de l’immobilier est le prix moyen de vente à une période donnée. Le prix réel est
celui qui prévaudrait sur un marché immobilier en concurrence parfaite. Si le prix observé est plus
élevé que le prix réel, on parlera de bulle immobilière.
Le prix dune action est le prix auquel je peux l’acheter à la bourse. Le prix réel de cette action est le
prix auquel je l’achèterais en disposant d’une information parfaite sur un marché boursier en
concurrence parfaite. L’action étant un titre de propriété d’une entreprise (une part), on estime la
valeur réelle d’une action comme étant la somme des dividendes (parties du bénéfice distribué aux
actionnaires) futurs actualisés (c'est-à-dire ramenés en € d’aujourd’hui7) auxquels cette action donnera
droit. Si le prix boursier est supérieur au prix réel, on parlera de bulle boursière. On parlera de décote
dans le cas contraire. Le prix boursier peut être supérieur au prix réel parce que l’acheteur ne dispose
pas de toute l’information permettant d’évaluer la valeur réelle de l’entreprise. Une autre raison de la
création d’une bulle boursière tient au comportement moutonnier des acheteurs (Keynes parlait
d’esprits animaux) : je n’y connais rien, mais puisque d’autres achètent, je suppose qu’il s’agit d’une
bonne affaire et j’achète à mon tour8. La spéculation se nourrit de ce comportement moutonnier.
Une bulle éclate quand le prix chute jusqu’à revenir à son prix réel. Parfois, la chute continue et il y a
décote. Néanmoins la baisse d’une action n’est pas toujours liée à un phénomène de bulle : le prix
d’une action peut aussi diminuer parce que l’entreprise à laquelle l’action est attachée est devenue
moins rentable.
Lorsqu’il y a bulle, les prix ne sont plus ceux des marchés en concurrences parfaites et ne sont donc
plus fiables pour assurer des décisions d’allocation de ressource. Le capitalisme peut nourrir des bulles
et entre alors en contradiction avec l’efficacité d’une organisation économique basée sur les marchés.
La notion de valeur
Les économistes se sont de tous temps penchés sur la notion de valeur. Pour certains, la valeur
fondamentale était la valeur monétaire (école des mercantilistes) ; pour d’autres elle provient de
l’agriculture (école des physiocrates), du travail (école classique) ou de l’usage marginal (école
néoclassique). Etc.
La valeur est une notion subjective, nous n’accordons pas tous la même valeur à un même bien. Adam
Smith distinguait la valeur d’usage (ce que je retire comme satisfaction) et la valeur d’échange (taux
auquel j’échange ou achète).
Les économistes classiques avaient, par convention, définit la valeur d’échange de manière objective :
coût exprimé en temps de travail nécessaire à la production. Il s’agit là, pour eux, de la valeur réelle.
La valeur monétaire (déterminée par le marché) gravite autour de cette valeur réelle.
Les économistes néoclassiques sont eux passés à une analyse subjective de la valeur : la valeur
d’échange est fondée sur la valeur d’usage : le fondement de la valeur est fondée sur l’utilité d’un bien
(d’où importance de la demande). Pour être plus précis, la valeur d’un bien est déterminée par sa
valeur marginale, c'est-à-dire la hausse de satisfaction apportée par la consommation de la dernière
unité. Ce qui explique que l’eau qui a une valeur d’usage très élevée a une valeur d’échange faible :
comme l’eau est déjà abondamment consommée, son utilité marginale est très faible9. Dans un monde
en concurrence parfaite, cette valeur est le prix du marché (déterminé par la rencontre entre l’offre et
la demande).
6 Voir encadré 1 pour une présentation de différentes théories de la valeur.
7 Les économistes pardonneront ici mes approximations dans les définitions…
8 Keynes comparait cela à un concours de beauté où il faut non pas voter pour la plus belle, mais bien pour celle qui, croit-on, va
recueillir le plus de suffrages.
9 On voit directement ici une des limites importantes de cette théorie de la valeur : le prix de l’eau ne reflètera pas le besoin
qu’en ont certaines populations, mais bien ce qu’est prêt à payer le consommateur de la dernère gorgée d’eau vendue sur le
marché.
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Donc, quand un économiste néoclassique parle de valeur réelle, il s’agit du prix sur un marché en
concurrence parfaite. Il ne s’agit donc pas d’une valeur d’usage globale, mais marginale. Le terme
‘réel’ est donc à utiliser avec précaution. Il y a bulle si le prix observé sur le marché est supérieur au
prix qui aurait été observé en concurrence parfaite.
Par exemple, comment définir la valeur d’un immeuble ? Pour les économistes classiques, il s’agira du
temps de travail nécessaire à sa construction ; pour les néoclassiques, du prix payé par l’acheteur
(comme dans une vente aux enchères, il s’agira donc du prix le plus élevé possible). Si l’acheteur est
rationnel et parfaitement informé, ce prix sera juste plus élevé que ce que voulait payer le deuxième
acheteur encore en lice dans la vente aux enchères. S’il n’est pas bien informé (l’agence immobilière
le presse à signer le contrat car elle a, dit-elle, déune offre à peine inférieure et d’autres acheteurs
potentiels viennent voir l’immeuble demain), il paiera un prix plus élevé que le prix du marché, il y a
bulle immobilière. Quand il y a bulle, le ‘prix’ n’est plus pertinent pour la prise de
décisions d’allocation de ressource : vu les prix élevés, les entrepreneurs continuent à construire…ce
qui provoquera une chute d’autant plus brutale des prix lors de l’éclatement de la bulle).
On pourrait naturellement imaginer d’autres théories de la valeur qui intègrerait des notions d’utilité
collectives, sociales,
La valeur disparaît-elle ?
Tout dépend à nouveau de la définition donnée à la valeur. Vous avez acheté en 2000 une maison aux
USA 100 000 dollars ; en 2006, elle était évaluée à 200 000 dollars et aujourd’hui elle vaut sur le
marché 75 000 dollars et pourtant votre maison est toujours bien là dans le même état qu’en 2000. Sa
valeur a-t-elle disparu ? Cette notion est bien relative.
Une entreprise est profitable et voit le cours de son action passer de 20 à 40 puis à 15 alors que rien ne
change à son activité. Sa valeur a-t-elle baissé ? Non. La valeur a progressé artificiellement puis s’est
dégonflée.
2.3 Les crises
Notre système économique peut connaître différentes formes de crises, périodes difficiles qui peuvent
s’avérer décisives dans l’évolution du système. Une crise renvoie notamment à l’idée de perte de
valeur ou de baisse des prix (déflation).
Le système économique peut entrer en crise dans son ensemble, ou de façon partielle, lorsque seule
une partie de celui-ci est touchée.
Une crise immobilière fait référence à la baisse du prix de l’immobilier (éventuellement suite à
l’éclatement d’une bulle immobilière). Il se peut que la crise s’arrête là, avec la faillite de quelques
agences immobilières et entreprises de construction.
Une crise financière indique que le système financier connaît des difficultés. Le système financier est
constitué des institutions qui facilitent la circulation des capitaux. Les principaux éléments de celui-ci
étant le système bancaire et les bourses. La crise financière peut être une crise boursière, bancaire ou
comme c’est le cas en 2008, boursière et bancaire.
Une crise boursière se caractérise par la baisse de la valeur des actions cotées en bourse. Une crise
bancaire est présente lorsque le système des banques n’est plus capable d’exercer son rôle premier de
financement des investisseurs.
En 2000, la crise boursière n’était pas une crise bancaire : la chute du cours des actions (surtout les
actions des entreprises technologiques) n’a pas mis à mal tout le système bancaire (ce qui ne signifie
pas que les banques n’ont pas enregistré une baisse de leurs résultats, mais leur survie n’était pas en
danger).
On parle de crise économique quand on enregistre la baisse d’un autre indicateur : le PIB. Le PIB est
aussi une mesure de valeur : la valeur monétaire de l’activité économique (ou du moins d’une partie de
celle-ci) créée sur un territoire pendant une année. Cette baisse d’activité économique a des
répercussions notamment sur le niveau du chômage et des revenus.
Une crise boursière peut engendrer une crise économique : en 1929, le crash boursier a provoqué une
telle baisse de revenu pour les ménages et entreprises que leur consommation a fortement chuté,
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entraînant à son tour une baisse de la production, la faillite d’entreprises et, in fine, une crise
bancaire. Mais parfois, comme ce fut le cas en 1987, la crise boursière ne conduit pas à une crise
économique.
Dans l’autre sens, une crise économique, ou l’anticipation de celle-ci peut engendrer une crise
boursière : les épargnants anticipant la hausse, estiment que les dividendes futurs qu’ils toucheront
vont être moindres qu’espérés (voir encadré 1 sur la valeur), se rendent compte que leur action est
surévaluée et la vendent avec comme conséquence une baisse du prix des actions.
Une crise financière peut aussi conduire à une crise économique via la restriction de crédit (credit
crunch). La finance ne joue plus son rôle, il devient difficile (donc plus cher) d’emprunter. Les
entreprises ne parviennent plus à renouveler leur crédit, n’investissent plus, les ménages n’ont plus un
accès aisé aux crédits hypothécaires ou au crédit à la consommation. L’activité économique chute.
3 L’origine de la crise : l’endettement et l’éclatement de la
bulle immobilière américaine
La croissance économique est tirée, dans les pays industrialisés, par la hausse constante de la
consommation privée. Dans les pays anglo-saxons, suite au creusement des inégalités de revenus plus
marquées que dans les pays de l’Europe continentale, cette hausse de la consommation est mise en
péril car un nombre croissant de citoyens doivent rogner sur leurs dépenses faute de moyens.
Or, cette hausse de consommation est vitale pour un système capitaliste qui doit produire toujours plus
pour accumuler toujours davantage de richesse. Une des solutions est alors de favoriser cette
consommation et les investissements des ménages par l’octroi de crédit à bon marché ; d’où la
politique de faible taux d’intérêt appliquée par la réserve fédérale américaine fin des années ‘90s,
début des années 2000s. L’endettement a ainsi permis à la classe moyenne américaine10 de conserver
son mode de vie.
Aux USA, durant ces dernières années, le crédit a pris la forme du crédit hypothécaire. En effet, quand
la valeur du bien immobilier s’accroît, la différence entre la nouvelle valeur de marché de ce bien
(valeur dépendant notamment de l’offre et de la demande pour de l’immobilier) et la valeur du bien
mis en gage (bien hypothéqué) peut être mobilisée par l’emprunteur, pour des achats de consommation
courante par exemple.
La crise se révèle alors quand le prix (la valeur) des actifs (immeubles, titres, …), dont l’achat a été
facilité par l’endettement, s’écroule subitement (car on se rend compte que l’actif en question est sur-
évalué et chacun veut s’en défaire) et tombe sous la valeur de l’emprunt qui a servi à son achat (j’ai
emprunté 200.000 € pour acheter une maison qui ne vaut plus que 150.000sur le marc).
La liquidité d’un actif
Un actif est quelque chose que je possède, c’est un avoir. La liquidité d’un actif me renseigne sur la
capacité que j’ai d’utiliser cet actif à des fins d’échanges immédiats.
L’actif liquide par excellence est la monnaie : je peux l’utiliser directement pour acheter un bien. Un
compte à terme est un peu moins liquide car je dois d’abord transférer mon argent sur un compte
courant avant de pouvoir l’utiliser. Une maison est un actif très peu liquide : avant de pouvoir l’utiliser
comme moyen d’échange, il faut que je la vende, ce qui peut prendre pas mal de temps.
Quand on utilise le terme liquidités, on parle donc d’actifs très liquides, comme la monnaie.
L’origine de la crise tient donc du fait de la surévaluation (bulle) de toute une série d’avoirs (actifs) ; il
s’agit d’une déconnexion entre la valeur réelle et la valeur de marché observée ; il est par contre plus
délicat de parler de déconnexion entre l’économie réelle et l’économie virtuelle (voir à ce sujet
l’encadré 3). L’exemple récent le plus frappant étant la crise des subprimes que nous développons par
la suite (voir encadré 5). Néanmoins, la déconnexion entre la valeur réelle des avoirs et leur évaluation
financière ne se limite pas aux seuls subprimes mais est inhérente à la spéculation qui se nourrit de
l’endettement.
10 La croissance par endettement est moins présente dans les pays européens où l’endettement est plutôt de nature publique.
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