Position de thèse
Dans un climat intellectuel où toute réflexion s’endossant la responsabilité
d’éclaircir et de reconstruire les composantes universelles de nos principes de
rationalité, et en particulier ceux qui régissent l’activité pratique, est d’entrée de jeu
soupçonnée d’un excès de rationalité, voire d’un retour nostalgique à des formes de
réflexion désormais obsolètes, Habermas a pu assumer, mieux que qui que ce soit, la
tâche complexe et difficile d’une réhabilitation de la raison pratique en réponse aux
multiples défis auxquels se trouve confrontée la société contemporaine.
Dans un premier temps, nous partons donc de l’hypothèse que la raison
pratique est un concept constitutif pour le mouvement d’ensemble de la pensée de
Habermas. Jean-Marc Ferry l’a montré de façon magistrale, l’itinéraire de Habermas
est fidèle à une réhabilitation de la raison pratique
1
. Qu’il s’agisse, pour ne se référer
qu’à un certain nombre de débats qui illustrent à notre sens parfaitement ce point, de
la reconstruction dialectique de la raison pratique dans le cadre de la théorie critique,
de la confrontation polémique avec l’herméneutique gadamérienne ou du débat avec
Karl – Otto Apel à propos de la question de la possibilité d’une fondation ultime de la
raison, c’est toujours le concept de raison pratique qui se met au premier plan. On ne
saurait trop insister sur la nécessité de repenser, aujourd’hui, au lieu de céder à la
posture bien commode d’une dénégation de tout discours prétendant à l’universalité
de nos principes de rationalité, la question de la raison pratique au même titre que la
problématique de ses transformations face à ses critiques les plus virulentes.
Dans ces conditions, c’est la pensée de Habermas qui nous sert principalement
de point de départ. Notre étude ne propose toutefois une reconstitution du mouvement
d’ensemble de l’œuvre de Habermas. À la différence d’une approche qui prendrait le
mouvement d’ensemble de la pensée habermassienne comme l’objet de sa
reconstruction, notre choix méthodologique consiste à opter pour une solution bien
différente. C’est donc par l’intermédiaire d’une lecture par regards croisés, pour ainsi
dire, que nous tentons d’explorer de façon systématique, dans le cadre de ce choix
méthodologique, les multiples enjeux qui se décrochent par la reconstruction de la
raison pratique. Personne ne saurait négliger - faudrait-il le souligner ? -, sans refuser
en même temps de se rendre compte de ce qu’il y a de plus fécond et de plus vivant en
1
J.-M. Ferry, Habermas, l’éthique de la communication, Paris, PUF, coll. « Recherches Politiques »,
1987, p. 25 sq.