LES RÉFORMES HARTZ EN
ALLEMAGNE:
Dix ans après, quel bilan?
Les entretiens de la Fabrique
La Fabrique de l’industrie en partenariat avec
Mines ParisTech
présente:
AVEC
Guillaume DUVAL rédacteur en chef d’Alternatives économiques
Alain FABRE gérant de Victoria et Cie
René LASSERRE directeur du Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (CIRAC)
Denis FERRAND Directeur général de COE-Rexecode
DÉBAT ANIMÉ PAR
Jacqueline HÉNARD journaliste et essayiste franco-allemande
Le 27 novembre 2013
LES RÉFORMES HARTZ EN ALLEMAGNE : Dix ans après, quel bilan ?
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Le 14 mars 2003, le gouvernement fédéral allemand, emmené par le chancelier Gerhard
Schröder, lançait ofciellement son Agenda 2010. L’objectif afché de ce programme
de réformes était de donner un nouveau soufe à l’économie outre-Rhin, en agissant en
particulier sur le marché du travail. Les « réformes Hartz », votées de 2003 à 2005, ont
été les plus emblématiques d’entre elles : assouplissement des licenciements, libéralisa-
tion du travail atypique, mise à plat du système d’assurance-chômage, refonte du régime
d’assistance sociale… Dix ans après, leur bilan prête toujours à débat. Pour les uns, elles
expliquent le regain de compétitivité de l’Allemagne et ont permis à ce pays, encore dési-
gné comme « l’homme malade de l’Europe » vingt ans plus tôt, de sortir du chômage de
masse. Pour les autres, elles fragilisent le modèle social allemand et n’apportent qu’un
bénéce économique modeste. À l’occasion de la parution de plusieurs ouvrages sur le
sujet, La Fabrique de l’industrie souhaite poursuivre la discussion
Compte rendu rédigé par Sophie Jacolin
EN BREF
LES RÉFORMES HARTZ EN ALLEMAGNE : Dix ans après, quel bilan ?
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TABLE RONDE
Thierry Weil
Il y a à peine un an, La Fabrique organisait une conférence sur le Mittelstand allemand et ses
spécicités par rapport aux ETI françaises. La parution récente de deux ouvrages excellents
mais défendant des points de vue rigoureusement opposés nous a incités à remettre l’Allemagne
à l’ordre du jour de nos Entretiens : Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes
de Guillaume Duval, et Allemagne : miracle de l’emploi ou désastre social ? d’Alain Fabre.
Jacqueline Hénard, auteure pour La Fabrique d’une note sur le « modèle » allemand animera le
débat. Elle sera accompagnée du professeur René Lasserre, directeur du Centre d’information et
de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Cirac) et responsable d’un ouvrage comparé sur
la réinsertion des demandeurs d’emploi en France et en Allemagne , et de Denis Ferrand, qui a
travaillé sur les différences de compétitivité entre les deux pays.
Jacqueline Hénard
La question du modèle allemand, dont les réformes Hartz sont emblématiques, est très présente
dans le débat français, donnant lieu à des interprétations contrastées et souvent passionnelles.
Quel bilan pouvons-nous tirer de ces réformes dix ans après leur entrée en vigueur ?
Le contexte des réformes Hartz
René Lasserre
Le traitement des réformes Hartz par les commentateurs français est empreint d’une grande
approximation, laquelle conne souvent à la désinformation. Il est souvent l’occasion de
dénoncer chez notre voisin allemand des travers et des éaux supposés, sans doute pour mieux
occulter ceux dont souffre notre pays et justier ainsi le maintien du statu quo. Pourtant, les lois
Hartz, bien que très largement discutées lorsqu’elles furent promulguées, ne constituent plus un
sujet de débat politique central en Allemagne dans le contexte d’un gouvernement de grande
coalition. Le contrat de coalition entre la CDU et le SPD paru aujourd’hui même n’en prévoit
nullement la remise en question, sinon quelques aménagements à la marge. Certes, les débats
sociaux restent vifs, en particulier sur l’introduction d’un salaire minimum et sur la durée des
cotisations pour la retraite. Néanmoins, les lois Hartz sont désormais acceptées comme élément
de base du système d’indemnisation du chômage. Or c’est en France, l’indemnisation du
chômage de longue durée pose un réel problème, qu’elles font débat !
Aussi importe-t-il de procéder à un rappel objectif de la nature de ces lois, qui ont permis une
réforme d’ensemble du marché du travail et du système d’indemnisation des demandeurs
d’emplois.
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Une stratégie : l’Agenda 2010
Les réformes Hartz ont été engagées en 2002 et promulguées par étapes jusqu’en 2005. Elles
se déclinent en quatre lois extrêmement détaillées sur la réorganisation du marché du travail et
l’indemnisation des chômeurs. Mais elles s’inscrivent dans une perspective plus large et dans
un programme général de remise à ots de la compétitivité allemande adopté par le chancelier
Gerhard Schröder au début de son second mandat, l’Agenda 2010. Alors que le pays traversait
une sérieuse récession, le chancelier avait été mis en demeure par les milieux économiques et
le Conseil des Sages de procéder à une réforme de grande ampleur. L’Allemagne afchait alors
un décit public de 4 % du PIB, supérieur au seuil de 3 % xé par le traité de Maastricht et
qu’elle avait elle-même contribué à imposer quelques mois auparavant. Notons incidemment
que Gerhard Schröder avait alors trouvé un allié efcace en Jacques Chirac pour s’affranchir des
contraintes… Mais c’est un autre sujet de débat franco-allemand et européen. Les réformes Hartz
visaient alors à revoir de fond en comble la politique de traitement social du chômage jugée à
la fois inefcace et trop coûteuse à la fois pour les entreprises et les nances publiques. Elles
constituaient en cela une pièce maîtresse de l’Agenda 2010, mais pas la seule puisque ce dernier
comportait d’autres éléments importants de réorganisation de l’État social, notamment un projet
de réforme des retraites s’inscrivant dans le prolongement de l’évolution déjà engagée en 2002
par la réforme Riester introduisant un système complémentaire de retraite par capitalisation. Ce
nouveau programme ne s’engageait à rien moins qu’à rétablir l’équilibre et assurer la soutenabilité
nancière des régimes de retraite à l’horizon 2030. Un autre volet important de l’Agenda résidait
également dans la réforme de l’assurance maladie, dans le but de lui faire retrouver l’équilibre
par une maîtrise durable des dépenses de santé, laquelle a été atteinte et a permis de réduire les
cotisations d’assurance maladie de 14,5 à 13 % du salaire brut.
Un double objectif : restaurer la compétitivité des entreprises et sauvegarder l’emploi
L’Agenda 2010 visait ainsi à redresser la compétitivité des entreprises grâce à une reconguration
à la baisse de l’ensemble des coûts salariaux annexes. Il s’inscrivait dans une politique de
compétitivité déjà assumée en amont par les partenaires sociaux, qui s’était traduite dès la n
des années 90 par une modération salariale dans la négociation collective, relayée à partir de
2002 par une exibilisation négociée de l’emploi rendue possible par des accords dérogatoires,
que l’on vient aujourd’hui seulement d’inaugurer en France en les qualiant « d’accords de
sécurisation de l’emploi ». L’enjeu était effectivement de préserver le potentiel d’emploi des
entreprises industrielles allemandes que la concurrence internationale menaçait de mettre en
péril aussi bien sur le marché mondial que sur le marché intérieur. L’un des accords les plus
marquants conclus à cette époque est celui de Pforzheim, signé dans la métallurgie en 2002,
qui abandonnait la référence aux 35 heures et instaurait de larges plages de exibilité ainsi que
des dispositions dérogatoires remettant en question divers avantages sociaux octroyés par des
conventions collectives précédemment signées.
La perte de compétitivité de l’économie allemande était manifeste et la situation économique du
pays ne cessait de s’aggraver. L’Allemagne atteignait 4,4 millions de chômeurs en 2003, pour
franchir début 2005 le seuil emblématique de 5 millions de chômeurs niveau le plus élevé
jamais atteint depuis 1932, date à laquelle le parti national-socialiste était devenu le premier
parti du Reichstag (avec 37 % des voix). La situation était devenue inacceptable et a obligé le
chancelier Schröder à s’engager sur une stratégie offensive de réforme centrée tout d’abord sur
la réforme de l’emploi et du marché du travail. Celle-ci a tout d’abord donné lieu aux réformes
Hartz, du nom d’une commission paritaire antérieurement mise en place sous la direction de Peter
Hartz, alors directeur du travail et des affaires sociales de Volkswagen. Cette commission avait
institué un nouveau mode de régulation : il était désormais admis que les pactes tripartites pour
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l’emploi initiés précédemment par l’Etat et mobilisant syndicats et patronat restaient inopérants,
et qu’il incombait au gouvernement de prendre des mesures dans le domaine de compétence
sociale qui était effectivement le sien : celui du marché du travail et de la protection sociale.
Les quatre lois Hartz
Les deux premières lois Hartz traitent de la réorganisation du marché du travail et du système de
placement, et les deux suivantes du système d’indemnisation des chômeurs.
La loi Hartz I entrée en vigueur au 1er janvier 2003 vise à uidier le marché du travail. Elle
assouplit la réglementation relative à l’embauche et au licenciement et amorce une réforme du
dispositif de placement et de réinsertion des chômeurs via une dynamisation de l’Ofce fédéral
pour l’emploi, lequel était alors soumis à une grave crise de crédibilité. Ceci s’est traduit par
des mesures de libéralisation du travail intérimaire, d’assouplissement de la protection contre
les licenciements et la promotion d’une politique plus active en faveur de la réinsertion et de la
requalication des chômeurs.
La loi Hartz II mise en œuvre au printemps 2003 introduit quant à elle, sous des formes diversiées
des « minijobs », emplois à durée et contrainte allégées devant contribuer à la réinsertion des
personnes éloignées de l’emploi. Initialement assortis d’un salaire de 400 euros, ces « petits
boulots » sont exonérés de charges sociales pour le salarié et cumulables avec une allocation
chômage de base. C’est la première étape du programme de différenciation de la politique de
l’emploi qui sera déployé ultérieurement et couplé, dans un processus itératif, avec la refonte de
l’indemnisation.
La loi Hartz III, qui entre en vigueur le 1er janvier 2004, renforce la fonction de prestataire de
services de l’Ofce fédéral qui devient l’Agence fédérale pour l’emploi, clarie le statut de
chômeur et engage, avec la réforme de l’assurance chômage, la première étape d’une réforme
en profondeur du système d’indemnisation du chômage. D’emblée, le parti est pris de séparer
l’assurance chômage (Arbeitslosenversicherung), nancée par les cotisations, de l’assistance
chômage (Arbeitslosenhilfe) versée aux chômeurs en n de droits. Jusqu’alors, l’assistance-
chômage relevait du régime d’assurance, bien qu’elle fût conancée par l’État, au titre de la
solidarité en faveur du chômage de longue durée. Pendant un an au moins après la perte de
son emploi, le chômeur percevait au titre de l’assurance jusqu’à 67 % de son salaire. Au-delà
d’une année d’allocation-chômage, il continuait à bénécier d’une assistance chômage d’un
niveau important (plus de la moitié de son ancien salaire), sans limite dans le temps et pouvant
être cumulée avec les aides sociales, en fonction de ses charges de famille. Il s’agissait d’un
dispositif hybride et nancièrement intenable, risquant de faire exploser l’assurance chômage
comme l’aide sociale. Le coût du traitement social de l’emploi atteignait à l’époque 85 milliards
d’euros, sachant que 2 millions de chômeurs de longue durée étaient indéniment indemnisés
à environ 60 % de leur ancien revenu. Ce système était cependant considéré comme un acquis
social intouchable indemnisant légitimement les victimes d’une politique de compétitivité et
de rationalisation liée à la position de l’économie allemande sur les marchés internationaux.
Prévalait alors, outre le niveau élevé de sous-emploi dans les Länder de l’Est, ce qui était
qualié de « chômage de rationalisation » dans lequel les individus en inactivité et en voie de
déqualication s’installaient durablement.
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