Risques psychosociaux dans les organisations d`action sociale

publicité
Risques psychosociaux dans les
organisations d’action sociale
Philippe Hirlet. IRTS de Lorraine, chercheur
au GREE, Université de Nancy
L’ETSUP, Paris,
20 janvier 2011
PLAN DE L’INTERVENTION
• D’abord un préambule : risque psychosocial et
contournement de l’institution salariale
• 1. Risques psychosociaux : une approche
psychologique ou sociologique ?
• 2. Mutation des institutions d’action sociale
• 3. Gouvernance de l’action sociale
• 4. tensions sur les intervenants sociaux
(logiques d’action)
• 5. Tensions sur l’encadrement (habitus de
management)
• 6. L’hégémonie managériale
Préambule : un contexte de crise…
Il est clair que cette question des risques
psychosociaux se discute dans un contexte :
• de crise de la gouvernance mondiale (crise de
l’emploi, du système financier),
• D’érosion de l’institution salariale,
• De désengagement de l’Etat «social »
(dérégulation)
• De Nouvelle Gestion Publique (New Public
Management).
Préambule suite…
• En effet, dans les années 70-80, une nouvelle
façon de penser le politique avec la remise en
cause du rôle de l’Etat (vision néolibérale).
• Emerge alors une conception de la gouvernance
liée au New public management. Logique qui
repose sur une vision minimaliste de l’Etat qui se
recentre sur son cœur de métier (moins
d’intervention).
• L’Etat-Providence centralisé ne serait plus assez
efficient (RGPP, LOLF).
Préambule suite…
• Il s’agit d’une modernisation du
management des administrations
publiques dans le but d’améliorer le
rapport coût/service.
• L’Etat régalien se concentre sur le pilotage
de l’action publique en délégant à des
entités autonomes leur exécution.
Préambule suite…
• On assiste à une privatisation des services
publics (ou des missions de services publics)
• Directive services (SSIG)
• Fragilisation de l’emploi public (- de
fonctionnaires) et plus largement du salariat.
• Qualité des emplois, emploi à vie, lié au grade
dans la fonction publique.
• Qualification liée à la personne et non au poste
de travail (B. Friot)
Préambule suite…
• Toutes ces questions ont animé un groupe
de chercheur de l’Université de Nancy.
• Où va le salariat ?
• Quelles sont les mutations du travail et de
l’emploi dans le déploiement du
capitalisme ?
Figures du salariat. Penser les mutations
du travail et de l’emploi dans le
capitalisme contemporain (L’Harmattan,
coll. Forum IRTS de Lorraine,
2007).
Ali Boulayoune, Rachid Belkacem,
Philippe Hirlet, Lionel Jacquot.
Particulièrement le chapitre sur la
catégorie
des
cadres
(Hirlet/Jacquot).
Les objectifs de l’ouvrage
• Un diagnostic sur la société salariale au tournant
du siècle
• Une illustration des mutations du travail et de
l’emploi par différentes figures du salariat
(l’ouvrier/employé, le cadre, le chômeur,
l’intérimaire).
• D’exposer les lignes de faille de l’institution
salariale.
Lignes de faille
Une
individualisation
de la relation
salariale et une
reconfiguration
des collectifs de
travail
Une précarisation
des conditions
d’emploi et une
déprotection du
travail
Une emprise du
managérialisme
pour accompagner
ces changements
en donnant un
sens aux
modifications
sociales subies par
les individus
Un fractionnement
du salariat selon le
modèle de la
centrifugation
1. Psychologie et/ou sociologie
• Comment aborder dans une organisation la
question (voire la gestion) des risques
psychosociaux?
- D’une façon quasi-exclusivement
psychologique (c’est l’individu qui est
responsable, cela se joue au niveau psychique),
- Soit d’une façon sociologique (l’entreprise est
responsable a une responsabilité, l’organisation
du travail peut être interrogée, il y a des
déterminismes qui pèsent sur les salariés et qui
les poussent à commettre l’irréparable…
Institution/organisation
• Passage de l’institution d’action sociale à
l’organisation d’action sociale
Conséquence sur la gestion et la
mobilisation des intervenants sociaux.
L’institution ne véhiculait pas les mêmes
valeurs, celles de l’organisation sont
axées sur la performance des systèmes et
des Hommes (management par la
compétence)
2. Mutation des institutions
• D’abord des institutions professionnelles,
fondées par des pionniers, avec une
reconnaissance des professionnels.
Orientées vers la défense et la
reconnaissance d’un « régime
professionnel » (F., Aballéa).
• Bureaucratie professionnelle selon
Mintzberg.
Tiraillements entre structures
professionnelles et mécanistes
• Avec l’évolution des prises en charge des
usagers, des lois, l’instauration de la
gouvernance dans le secteur; un tiraillement
apparaît entre les bureaucraties
professionnelles et les bureaucraties
mécanistes.
• Renforcement des modes opératoires, voire
rationalisation du travail et des métiers,
• Le pouvoir est dans les technostructures
(internes ou externes) qui standardisent
l’activité.
Organisations en divisions
• Apparition des organisations en divisions,
sous l’impulsion de l’organisation de la
concentration associative (CPOM,
GCSMS).
• Les sièges sociaux pilotent et prennent la
main sur la dimension stratégique et
politique au détriment de l’autonomie des
établissements, donc sur les directeurs et
intervenants sociaux.
Cela conduit à :
• Une banalisation de la fonction de directeur
d’établissement social (M. Spielmann 1997)
• Un raccourcissement des niveaux hiérarchiques
• La création d’un statut unique d’encadrement
pour les cadres de proximité et supérieurs
• Légitimer les cadres dirigeants qui ont tous les
pouvoirs
• Repositionnement des fonctions et des diplômes
(dispositifs et architectures de formation).
Organisations innovantes
• Et plus récemment apparition et
développement d’organisations innovantes
(adhocraties), capables d’être réactives
face aux enjeux imposés par le marché
(appels à projets, appels d’offres,
nationaux ou régionaux).
• Micro structure cellulaire qui échappe un
temps à l’organigramme classique.
L’organisation missionnaire
• Fondée : - sur la transmission de
croyances (valeurs) porteuses d’une
dynamique globale positive (IBM, Toyota,)
• sur le sens de l’action et des missions
• sur une culture de l’entreprise
• sur un mécanisme de coordination : la
standardisation des normes.
3. Gouvernance de l’action
sociale
QUI GOUVERNE LE SOCIAL ?
• L’ARS, la HAS (sanitaire)
• L’ANAP
• ANESMS
• CPOM/ GCSMS
• De nouvelles tarifications des établissements
• Agence de notation des Etats
• Les SSIG
4. HABITUS DES TS À L'ÉGARD
DES USAGERS
NB :
Habitus au sens de BOURDIEU (revu par TERRAIL)
1. Habitus de proximité
2. Habitus de distance
3. Habitus d'implication contractuelle
1. HABITUS DE PROXIMITE
1.1. Perception des usagers
•
•
•
•
•
refus de catégoriser et d'étiqueter
attention aux causes socio-économiques
modes de vie positifs
capacités individuelles
responsabilité de la société / difficultés
1. HABITUS DE PROXIMITE
(suite)
1.2. Objectifs de l'intervention sociale
• rechercher l'intégration sociale et l'autonomie
• rétablir la dignité
• modifier les conditions de vie, rétablir des liens positifs
avec l'environnement
1. HABITUS DE PROXIMITE
(suite)
1.3. Moyens de l'intervention sociale
• mobiliser les ressources de la société
• attribuer des aides matérielles, chercher à procurer
logement, emploi…
• prendre au sérieux la demande et y répondre
• insertion : un devoir pour la société, un droit pour la
personne
• à la marge : imposer des limites, intervenir
autoritairement…
1. HABITUS DE PROXIMITE
(suite)
1.4. Rôle des pouvoirs publics
• Critique de l'insuffisance des moyens
• Critique du désengagement de l'Etat
• Revendication forte d'une intervention de l'Etat et des
collectivités territoriales
2. HABITUS DE DISTANCE
2.1. Perception des usagers
• Nécessité de distinguer des types d'usagers
• Attention aux causes psychologiques
• Carences individuelles et familiales
• Perte des valeurs et du sens de l'effort
• Responsabilité de l'individu
2. HABITUS DE DISTANCE
(suite)
2.2. Objectifs de l'intervention
• Observer, signaler avec fermeté
• Transformer les habitus des personnes pour qu'elles
sortent de leurs difficultés
2. HABITUS DE DISTANCE
(suite)
2.3. Moyens de l'intervention
• Mobiliser les ressources de la personne
• Exiger l'effort et la vertu
• Privilégier le mérite et non le besoin
• Travailler le sens caché de la demande
• User de l'autorité morale et conseiller
• Insertion : un devoir pour la personne
• À la marge, nécessité d'aider ceux qui sont vraiment dans le besoin
2. HABITUS DE DISTANCE
(suite)
2.4. Rôle des pouvoirs publics
• Critique de l'Etat-Providence qui ignore les distinctions
fondamentales entre les types d'usagers, qui fait d'eux
des consommateurs d'assistance
• Critique des intervenants sociaux trop laxistes
3. HABITUS D'IMPLICATION
CONTRACTUELLE
3.1. Perception des usagers
• prise en compte de la complexité des situations
• attention aux causes sociales et individuelles
• déficiences individuelles dues à la misère
• stratégies de présentation de soi
• double responsabilité : de la société et de la personne
3. HABITUS D'IMPLICATION
CONTRACTUELLE (SUITE)
3.2. Objectifs de l'intervention
• aider à la résolution des problèmes, à l'intégration et à
l'autonomie
• redonner un statut positif à travers la reconnaissance
sociale liée à l'utilité
• discours réaliste sur les objectifs, méfiance à l'égard des
utopies
3. HABITUS D'IMPLICATION
CONTRACTUELLE (SUITE)
3.3. Moyens de l'intervention sociale
• Travailler à transformation des conditions de vie et la transformation
des personnes
• Mobiliser les ressources de la société et les ressources de la
personne
• Discours sur la relative impuissance des moyens face à la misère
matérielle et morale
• Insertion : un droit et un devoir pour la société et pour la personne
• Recherche de compromis : …
3. HABITUS D'IMPLICATION
CONTRACTUELLE (SUITE)
3.4. Rôle des pouvoirs publics
• recherche d'un équilibre entre Etat-Providence et
libéralisme
• définition du bon usage de la protection sociale : "Aidetoi, la société t'aidera"
CONCLUSION SUR LES HABITUS
Liens forts entre le micro (habitus) et le
macro (modèles sociétaux)
• Modèle d'Etat Social (ou Etat-Providence) - habitus de
proximité
• Modèle libéral - habitus de distance
• Modèle de compromis entre Etat Social et Libéralisme habitus d'implication contractuelle
synthèse
Entre nécessité et vertu : une double tension
- Pour les intervenants sociaux et les cadres : entre les
contraintes et les idéaux personnels.
- A l'égard des usagers : entre l'exigence de vertu (la
personne est responsable) et la prise en considération
de la "nécessité" au sens de misère (la société est
porteuse de responsabilités).
5. Les tensions sur les cadres
• En lien avec les nouvelles modalités du néomanagement et de la gouvernance associative
des tensions sont récurrentes sur l’encadrement
• Métiers complexes à exercer : les
responsabilités exercées par l’encadrement sont
importantes et les contraintes
environnementales et organisationnelles pèsent
sur la fonction.
• On parle d’équipe de direction élargie.
Schéma des tensions à gérer dans l'exercice des fonctions de cadre
Fonction 2 : gestion
des ressources
humaines
MANAGEMENT
DIRIGISTE
Conformité vis-à-vis de
la commande sociale
Distance
Prescription
Contrôle
Hétéronomie
professionnelle
Transformation
des personnes
Fonction 4 : définition du
positionnement
stratégique de l’équipe de
direction
Orientations des
acteurs de la
« gouvernance »
Fonction 3 :
organisation,
administration,
gestion
Missions
TRADUCTION
MEDIATION
Moyens
Orientations des
salariés
Transformation
des conditions de
vie
MANAGEMENT
PARTICIPATIF
Fonction 1 : prise
en charge des
usagers
Proximité
Animation
Autonomie
professionnelle
Défense des cultures
institutionnelles et
professionnelles
Fonction 5 :
gestion des
rapports à
l’environnement
Ligne de séparation entre
management dirigiste et
management participatif
Habitus de management
dirigiste
• Nous caractérisons trois zones distinctes.
La première, en haut et à droite, caractérise cette manière
d’exercer les fonctions d’encadrement plutôt dans
l’habitus du management dirigiste:
Distance avec les usagers, avec les salariés, marquée par
l’orientation vers la transformation des personnalités des
usagers, par la prescription et le contrôle des
personnels, par la prise en compte des injonctions de la
gouvernance (commande publique).
Dans cette logique le cadre est souvent vu comme
« conforme » aux attentes des directions.
Habitus de management participatif
• La seconde, en bas et à gauche, caractérise cette
manière d’exercer plutôt dans le management
participatif:
• proximité avec les usagers et avec les personnels,
marquée par l’orientation vers la transformation des
conditions de vie des usagers, par l’animation des
équipes et le respect de leur relative autonomie
professionnelle, par la prise en compte des orientations
de travail des personnels;
• le cadre est plus souvent en adéquation avec les
attentes des personnels à son égard, et est plus en
décalage avec les orientations de son employeur,
posture qu’il doit bien entendu assumer dans ces
conséquences.
Habitus de management par la
traduction
• La troisième, au milieu, caractérise cette manière (assez
fréquente aujourd’hui) d’exercer les fonctions
d’encadrement plutôt dans l’habitus de la
traduction/médiation/interprétation:
• verticale et horizontale, ascendante et descendante,
• médiation entre le haut et le bas de la hiérarchie, c’est-àdire prise en compte de la pertinence des différentes
polarités qui dans les positions précédentes étaient
pensées comme inconciliables.
6. Le Néo-management des
organisations
Une sociologie critique du management
moderne
Du scientific management (Taylor) au néomanagement, l’art de gouverner les hommes a
évolué, mais le mobile n’a pas changé : faire
adhérer les ouvriers ou a défaut briser leurs
résistances.
Le management moderne s’attache à coloniser un
nouvel espace, celui de la subjectivité des
travailleurs, faisant de leur âme un moyen de
fabrication au même titre que leur corps.
Le néo-management des
organisations
• J.P Durand parle de néo-taylorisme.
• Ainsi la production en flux tendus que la théorie
managériale définit par les 5 Zéros (0 défaut, 0
panne, 0 délai, 0 stock, 0 papier) entraîne une
nouvelle rationalisation du travail plus précise
que celle pratiquée par Taylor
• contrôle des ouvriers, course à la qualité par la
certification, outils de gestion, automatisation et
informatisation.
Néo-management (suite)
• Le concept d’implication contrainte prôné par
J.P Durand illustre la situation actuelle du
salarié, qui ayant accepté le flux tendu, mobilise,
malgré lui, toutes ses facultés physiques et
intellectuelles, s’engage, s’implique et adhère à
la culture et aux objectifs de l’entreprise.
• permet de rendre compte de la mise en place
d’une chaîne invisible, nouvelle forme de
servitude volontaire.
Néo-management (suite)
L’autonomie contrôlée
On valorise l’autonomie, on promet l’adhésion et la
participation du personnel aux réformes, on met en
œuvre une politique de responsabilisation.
Dans le même temps, on prescrit des résultats et on fixe
des objectifs, on renforce la sélection et on licencie pour
adapter l’effectif à la charge, on évalue les compétences
et on note les salariés.
L’autonomie est sous contrôle et les innovations
gestionnaires apparaissent comme de nouvelles
stratégies organisationnelles de recherche d’obéissance
à l’instar de la logique compétence et de la logique projet
(D. Courpasson, L’action contrainte, PUF,2000).
Néo-management (suite)
L’autonomie contrôlée
Les organisations remplacent le taylorisme par
une logique de l’adhésion, une convocation de
tous autour des performances de l’entreprise, le
développement d’une responsabilité technicoéconomique centrée sur l’obligation de résultat.
La prescription taylorienne des opérations est
supplantée par une prescription just in time de la
subjectivité qui met à l’épreuve la disponibilité
du sujet.
La coopération forcée
L’entreprise néo-libérale marie coercition et coopération.
La coercition est rendue possible grâce à la pression
exercée (chômage, précarité d’emploi et salariale).
Les directions cherchent à tendre vers un régime de
mobilisation « fusionnel » où les salariés s’identifient à
l’entreprise.
L’entreprise reste un lieu de domination. D’ailleurs la
sociologie des organisations et de l’entreprise ont une
responsabilité car elles ont oublié cette dimension.
* Conformisation des individus aux exigences de
l’entreprise
L’idéologie gestionnaire
• Vincent De Gaulejac interroge lui « la
société malade de la gestion, 2005 »,
• L’idéologie gestionnaire (à distinguer des
sciences de la gestion),
• Cette quantophrénie (le fait de tout mettre
dans des catégories mathématiques) qui
consiste à voir le « monde » uniquement
par les catégories de pensée de la gestion
(indicateurs de gestion, tableaux de bord).
Conclusion du propos
• Le travail social a toujours été traversé par une
tension entre l’affirmation d’une logique
professionnelle et le respect d’une logique
institutionnelle.
• La première met l’accent sur l’autonomie de
l’acteur, son expertise et ses références
normatives et celles de sa profession.
• La seconde met en exergue le respect des
objectifs et la promotion de l’institution et met
l’accent sur le loyalisme, le pragmatisme et
l’efficience…
Téléchargement