Fiche 8 Le Bonheur, les Idées et l'Amour selon Platon p.5
Copyright P. van den Bosch : La Philosophie et le Bonheur – Flammarion 1997
purement spirituelle, hors du temps et de ses vicissitudes. Il nous faut admettre, contre toute nos
petites habitudes intellectuelles étroites et bornées, qu'il y a deux modes d'existence : celui des
choses sensibles, qui est spatio-temporel, et celui des idées, qui ne l'est pas ; en effet, à la différence
des choses, les idées n'existent pas dans un lieu et un laps de temps déterminés, mais elles existent
partout et depuis toujours, elles peuvent être présentes à la fois dans une multitude d'esprits, en
différentes époques, sans aucunement s'épuiser. Et loin d'être nulle, comme on le suppose trop
souvent, l'existence des idées est même plus ferme et plus éminente que celle des choses, puisqu'elle
est éternelle et immuable. Evidemment, les idées ne sont pas sensibles, tangibles, visibles. Elles
sont seulement pensables. Elles sont intelligibles, dit Platon, c'est-à-dire qu'elles se manifestent à
notre intellect, et non à nos sens. Certes, la plupart des hommes ne s'aperçoivent même pas de
l'existence des idées, alors qu'ils en ont pourtant quelques unes dans leur esprit ; mais c'est sans
doute qu'ils pensent fort peu, et qu'ils sont en cela semblables à des bêtes qui ne considèrent comme
réel que ce qui leur tombe sous le groin2. En vérité, auprès de l'existence puissante des idées, ce sont
nos choses sensibles qui ont une moindre existence, un simple semblant d'existence, souvent
illusoire et trompeur. Elles ne font qu'emprunter leur apparence aux idées, qui sont les vraies
réalités : je crois voir devant moi un être qui possède jeunesse, force et beauté, mais ce ne sont que
des apparences transitoires, des imitations imparfaites et éphémères de ce que sont réellement
jeunesse, force et beauté. Les idées sont donc la source des autres existences, puisqu'elles procurent
de l'être aux choses sensibles qui tentent de les imiter, qui participent d'elles. Par exemple, chaque
être humain est une réalisation particulière, plus ou moins imparfaite, de l'idée d'homme idéal, qu'il
s'efforce de réaliser. C'est pourquoi Platon dit qu'il y a deux mondes, le monde intelligible et le
monde sensible, dont l'un est le monde vrai et le modèle que l'autre imite.
L'allégorie de la caverne.
C'est toute cette conception qu'illustre la célèbre allégorie de la caverne, au Livre VII de la
République : les hommes sont comme des prisonniers enchainés dans une grotte, dont ils ne peuvent
voir que le fond, sur lequel ils perçoivent des images. L'un d'entre eux, qui est précisément le
philosophe, parvient à se détacher, et, poussé par sa curiosité, explore les lieux, escalade pour
trouver l'issue et se retrouve à l'air libre. Là, il constate que des objets passants entre un grand feu et
l'ouverture de la caverne projettent leur ombre à l'intérieur, ce que les hommes prennent à tort pour
des réalités. Le philosophe redescend à l'intérieur de la caverne pour prévenir ses frères humains de
leur erreur, et les libérer à leur tour, mais ces derniers se moquent de lui. Puis, comme il insiste et
gène ceux qui ont quelque puissance ou quelque semblant de science au sujet des pseudos réalités,
les hommes le mettent à mort. Chacun des éléments de l'allégorie doit bien sûr être décrypté : La
caverne, c'est le monde sensible, les ombres sont les choses sensibles, les objets réels extérieurs
2 Au début du XXe siècle, le philosophe allemand Edmund Husserl tempêtera de même contre les psychologues qui
nient l'existence d'idées générales dans l'esprit, et ce qu'il appelle la faculté "d'intuition des essences", c'est-à-dire de
penser des concepts abstraits. Cf les Prolégomènes aux recherches logiques et les Ideen I.