Revue A.H. n° 195 juillet 2007
Messe en hôpital psychiatrique
Nous sommes ici loin des églises aux bruits feutrés. Mais notre lieu de culte « omnicultes », voulu ainsi
par l’institution psychiatrique, et où des patients chrétiens se rassemblent chaque semaine pour la
messe, c’est aussi l’Eglise. Non pas une Eglise marginale ou réservée aux « pauvres » : l’épisode du
lavement des pieds le souligne assez : tout disciple est appelé à se faire pauvre, serviteur des pauvres.
L’Eglise trouve son sens dans ce service, mutuel et fraternel, au nom du Christ.
Mais une Eglise tout de même d’un genre particulier ! Les premières messes, pour un nouveau membre
d’aumônerie, ne laissent pas de surprendre : on sent comme une traversée de courants d’air dans une
pièce confinée. Non pas que les messes ailleurs puissent manquer de souffle ! Mais ici, au sein du monde
psychiatrique, les expressions de la comédie sociale ont disparu : les conventions n’ont plus vraiment
cours, les commentaires sont francs, la ferveur n’est guère retenue.
Tout ceci n’empêche pas le respect envers le sacré. Il y a beaucoup d’attention dans la voix de celui ou de
celle qui découvre le texte prophétique ou qui lit le psaume, entre deux moments d’angoisse ou de
révolte. Quel recueillement aussi dans l’assemblée, ou encore quel commentaire éclairant, comme jailli
de cette sagesse cachée que la société a longtemps attribuée aux « fous », après la lecture de l’évangile
du jour ! Nous te rendons grâce alors, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et
aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits !
A la source de cette liberté de langage, il y a une confiance que la parole de Jésus m’est personnellement
adressée, à moi malade, qu’elle peut, au-delà du gâchis et du chaos de mon existence, éclairer mes
obscurités, accompagner ma souffrance, me guider vers une issue. Je peux dialoguer alors avec
l’invisible, comme dans le délire… mais un invisible qui m’apaise, m’unifie, me répare un tant soit peu, au
moins le temps d’une messe. C’est comme si la foi en un Dieu sauveur, cette foi si ancrée malgré les
assauts de la maladie, était ce qu’il reste quand on a tout perdu, même la tête.
Il y a aussi dans l’assemblée de l’agitation, bien sûr. Les messes d’ici n’ont pas la solennité des messes du
monde ordinaire. Il y a toujours de l’imprévisible dans l’air. Les angoisses rencontrées durant la semaine,
lors des entretiens avec des patients, ne vont-elles pas se réveiller ? Est-ce que tel délire de toute-
puissance ne va pas s’activer ? Quelqu’un ne va-t-il pas se prendre pour Dieu ou pour la Vierge Marie ? Et
puis, on entre, on sort, on danse d’un pied sur l’autre, certains patients ne peuvent pas rester en place.
Ou encore on bavarde seul à voix haute, on geint, on chante à contretemps. Pour l’équipe d’aumônerie,
ce n’est pas de tout repos. Il faut aider l’un à s’asseoir sans renverser sa chaise, demander au bavard de
faire silence, garder un œil sur tel patient surexcité, accueillir le nouveau venu qui rase les murs…
Certains membres de l’équipe, toutefois, se montrent ravis que l’Eglise soit aussi cela : du méli-mélo, de
l’improvisation, de l’inhabituel. Et dans ce désordre, malgré tout habité, des instants de grâce.