Commission de réflexion sur la laïcité M. le Président Bernard STASI

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Commission de réflexion sur la laïcité
M. le Président Bernard STASI
Paris, le 24 Juillet 2003
Monsieur le Président,
En tant qu’association œuvrant pour le respect de la liberté de conscience et de conviction,
nous saluons la création de cette commission, qui dénote par sa composition une réelle volonté
d’examiner la question de la laïcité à la lumière de points de vues multiples, alliant la
compétence universitaire à la pratique du terrain.
La question de la visibilité croissante de l’Islam au cœur de nombreuses facettes de la société
française, et de ses conséquences tant dans le domaine scolaire que culturel et politique, est
bien évidemment à l’origine de cette commission. Cependant, nous considérons que l’on ne
saurait réellement traiter les questions que soulève le Chef de l’Etat dans sa lettre de mission
sans inclure une réflexion sur l’inévitable renouvellement des croyances et des pratiques
religieuses et spirituelles dans nos sociétés modernes, dont le mode de fonctionnement
s’éloigne de plus en plus du modèle monolithique des siècles passés. Un véritable pluralisme
dans les faits est même l’un des critères essentiels revendiqué par les démocraties
authentiques.
Aussi, nous sommes persuadés que, grâce à la présence en son sein d’historiens, de
sociologues et de juristes, la Commission ne sera que plus sensible aux enseignements de
l’histoire en ce qui concerne le rejet de nouvelles pratiques et de nouvelles croyances. Si l’on
compare en effet les situations au cours des siècles, on ne peut qu’être frappé par les
similitudes profondes de ces rejets de principes, alimentés par de fortes rumeurs. Nous
sommes d’ailleurs tous conscients aujourd’hui du pouvoir énorme que constituent les médias,
et de la position de faiblesse d’individus ou de groupes pris pour cibles, quel que soit leur bon
droit. Nous avons, nous aussi, notre système de « rumeurs » moderne.
Nombre des membres de cette commission sont probablement conscients de la particularité de
la culture politique française qui fait que, bien plus que chez ses voisins occidentaux, l’Etat
français possède une tradition d’encadrement de la pensée parmi les plus fortes, héritant en
cela d’un système fortement centralisé et d’un règne millénaire sans partage de l’Eglise
Catholique. En conséquence, nous pensons que l’examen de la laïcité devrait inclure ces
questions : quelle est la limite de compétence de l’Etat et de ses institutions dans l’approbation
ou la stigmatisation de tels ou tels courants de pensée ? Que peut-on dire et ne pas dire dans
un manuel scolaire ? Où commence le devoir de réserve d’un maire ou d’un élu ?
Pour ce qui concerne le domaine strictement religieux, nous attirons l’attention de la
commission sur le fait que, contrairement à la plupart des pays comparables, tout se passe en
France comme si tout était fait pour rendre l’émergence de nouvelles religions quasi
impossible, avec une dérogation « par droit d’antériorité » implicite pour les sept ou huit
religions « reconnues ». La fameuse liste de nouveaux mouvements religieux mis à l’index,
constituée par le Renseignements Généraux, incluait pratiquement la totalité des religions
minoritaires ou émergentes, et à aucun moment, les différents rapports examinant la question
n’ont suggéré qu’il pouvait exister ne serait-ce que quelques mouvements légitimes. En cela,
la plupart des mesures qui ont été prises par les différents pouvoirs d’Etat, au nombre
desquelles la fameuse loi About-Picart, témoignaient d’une rupture avec l’esprit même de la
laïcité. L’auteur de ladite loi, Catherine Picart, a par ailleurs déclaré que le prosélytisme est
interdit en France, ce qui témoigne d’une méconnaissance de ce qu’est la laïcité.
Nous aimerions également signaler que, en faisant un tour de France des blocages et d’un
certain ostracisme vis-à-vis d’options de vie tout à fait légitimes en ce XXIè siècle, les
membres de notre coordination ont pu constater un problème tout à fait similaire en ce qui
concerne les médecines dites « non-conventionnelles », de même que pour le domaine du
développement personnel. Nous tenons à signaler que, là encore, les rumeurs et campagnes de
dénigrement ne partent absolument pas d’un mouvement populaire, car une part croissante de
notre population a recours à ces services, mais de groupes de pression qui sont souvent
parvenus à influencer les institutions pour établir une défiance systématique envers ces
courants de pensée. Sur ce point, la commission pourrait réfléchir aux devoirs de réserve qui
s’imposent à un Etat laïque, ou du moins à la nécessité d’un arbitrage équitable entre
différentes options, ne laissant pas prise en son sein à de simples courants d’opinions –
minoritaires qui plus est - sur des sujets qui touchent d’aussi près aux conviction intimes de
nos concitoyens.
Il nous paraît enfin à propos de rappeler que, dans l’école laïque d’autrefois, l’instituteur
incluait le plus souvent dans son cours de morale une leçon sur les préjugés et les rumeurs, et
nous apprenait à nous informer et connaître les gens ou les groupes avant de les juger. Cette
règle de conduite nous semble s’imposer aujourd’hui, à l’échelon national.
Nous sommes conscients que les lois et la culture d’un pays résultent d’une part d’idéal, de
traditions et de compromis, et qu’un système parfait n’existe pas. Cependant, nous pensons
que le travail de cette commission est une chance pour la France d’entrer dans le XXIè siècle
sans frilosité, mais avec sagesse, et espérons que le bon sens, la juste appréciation des
problèmes en comparant les diverses réalités nationales et internationales, sauront suggérer
des solutions raisonnables, acceptables par tous, au bénéfice d’une laïcité garante d’un
pluralisme authentique, ouverte et généreuse.
Nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments
respectueux.
Le Président de CAP pour la Liberté de Conscience
Michel BOURDIN
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