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privilégiant les branches d’activité considérées comme stratégiques (qui pouvaient acquérir du
bois à des tarifs plus bas) au détriment des autres branches (tout en y réglementant strictement
son utilisation). Cette stratégie ne permit pas de surmonter la pénurie, mais elle en fit peser le
poids sur les secteurs considérés comme non prioritaires, où une véritable crise
d’approvisionnement du bois vit le jour. À long terme, l’entreprise devait échouer. En
Angleterre, puis sur le continent, la pénurie croissante de bois entraîna une hausse des prix du
bois, une réduction de la consommation et un transfert de la demande vers la ressource
d’énergie alternative de l’époque, le charbon, produit par « les forêts du sous-sol » (Sieferle
1982).
Les deux éléments (la stratégie de réduction des coûts et la lutte contre ses inconvénients par
des mesures régulationnistes) se retrouvent aujourd’hui encore dans la contradiction entre une
politique économique qui reste d’inspiration « mercantiliste » et une politique
environnementale qui vise à corriger après-coup les effets de la première. L’État moderne a
intégré dans ses instruments, affiné, généralisé et « démocratisé » la mesure mercantiliste de
réduction des coûts des ressources. L’attribution autoritaire des ressources aux branches
exportatrices de l’économie a maintenant cédé la place à une politique d’usage effréné des
ressources naturelles par tous (Minsch et al., 1996). Concrètement, il s’agit de politiques de
réduction des coûts à tous crins (coût de l’énergie, des matières première, du traitement des
déchets et des eaux usées, de la mobilité des facteurs de production), puis d’une politique
d’exploitation illimitée des espaces et enfin d’une politique de réduction des coûts de gestion
des risques technologiques (réduction de la responsabilité et du champ de l’assurance).
Premières victimes de cette politique : l’agriculture et l’alimentation
La politique de réduction des coûts d’exploitation de la nature va de la non-prise en compte
des externalités négatives à une politique d’aménagement définie exclusivement en fonction
de l’offre, en passant par les formes les plus diverses de réduction directes et indirectes des
coûts (réductions et exemptions d’impôts, subventions). L’actualité nous en fournit un
exemple criant avec les flottes de pêche surdimensionnées entretenues à coup de subventions
qui défient toute idée de développement durable, y compris en Europe. Surexploitant leurs
propres ressources halieutiques, les flottes pratiquant la pêche industrielle sont amenées à
rechercher de nouvelles ressources dans d’autres zones de pêche, dans lesquelles elles
évincent les flottes de pêche artisanale, certes moins bien équipées mais potentiellement bien
plus durables (par exemple au large du littoral d’Afrique de l’Ouest), avec des conséquences
économiques et sociales désastreuses. Il existe des exemples analogues pour presque toutes
les ressources naturelles : pensons notamment à la diminution des surfaces agricoles utiles et à
l’augmentation dramatique de la pénurie en eau (eau potable, eau utilisée dans l’agriculture).
Autant une politique de réduction des coûts des ressources peut être efficace dans une
économie caractérisée par une production insuffisante pour satisfaire les besoins et par des
ressources naturelles presque illimitées, autant elle devient problématique aujourd’hui : à
l’échelle mondiale, elle revient à considérer comme inévitable la destruction des bases de
notre alimentation. Autrement dit, elle engendre des pénuries au lieu de fournir les moyens de
les surmonter. Et il n’y a pas de domaines où la crise est plus patente que dans
l’agriculture et l’alimentation.
Ce que cette politique dépassée signifie, non seulement au plan écologique, mais également
en ce qui concerne l’économie et la sécurité, nous le voyons clairement avec l’exemple de la
Chine. En quelques années, la croissance économique a transformé ce pays exportateur de