FOCUS SUR TROYES « « Vivre heureux comme un juif en France ». C’est à Troyes, plus que partout ailleurs, que cette phrase prend tout son sens. » La ville de Troyes, qui a vu naître le célèbre Rachi, Chlomo ben Isthak (1040-1105) compte aujourd’hui une communauté juive solidaire qui veut pérenniser l’histoire du plus célèbre commentateur de la Torah. Le Président de la communauté revient sur son histoire. Charles Aïdan, vous êtes Président de la communauté de Troyes. Quel est votre parcours ? Quelles ont été vos motivations pour devenir Président ? Charles Aïdan : Ancien parisien, je vis dans l'Aube depuis 1975 et je suis membre de la Communauté de Troyes depuis cette époque. Commerçant à la retraite, j'ai assuré une présidence par intérim en 2007 puis j’ai été élu et réélu depuis 2008. Ma motivation a toujours été de maintenir une vie juive à Troyes, en dépit du déclin démographique constant depuis les années 90. Pouvez-vous nous retracer l’histoire de votre communauté ? C.A : La communauté juive de Troyes est très ancienne. On en trouve des traces dès le haut moyen-âge où les personnages les plus connus sont bien sûr RACHI, ses filles et petits-enfants, dont Rabbénou Tam. La communauté a traversé au fil de siècles toutes les épreuves depuis les croisades jusqu’à nos jours, en passant par les grands brûlements du Bas Moyen-Age, le siècle des lumières, les révolutions et la Shoah en 1945. Reconstituée après la révolution de 1789, la communauté juive de Troyes, composée d’ashkénazes alsaciens et mosellans, a pris son essor lors du développement industriel textile de la bonneterie auboise. Réorganisée à la libération malgré la déportation de 149 innocents, elle a connu son apogée dans les années 50/60 avec l'arrivée des juifs d'Afrique du Nord, qui ont Intérieur de la synagogue dynamisé la vie juive communautaire. Malheureusement, depuis le déclin de l'industrie textile, notre Communauté s'amenuise d'année en année. Elle compte aujourd'hui 150 familles. Toute son histoire au fil des siècles a été retracée par notre ancien président M. Henri CAHEN, dans un livre écrit durant sa retraite professionnelle. Avec beaucoup de précisions et de détails, ce livre remonte à l’époque de RACHI pour, de siècle en siècle, parvenir à nos jours. Le travail d'historien de M. CAHEN a été remarquable et nous lui devons énormément. Sa famille a eu la gentillesse de nous autoriser à rééditer son livre « Troyes et ses Juifs » disponible sur notre site internet http://rachi-troyes.com/ Il a d’ailleurs poursuivi son travail de mémoire en s’engageant dans une épreuve difficile : Celle de retrouver le nom des juifs aubois déportés durant la Shoah. Il a ainsi exhumé des archives départementales et des documents de la préfecture, 149 noms de nos frères et sœurs morts en déportation et injustement oubliés. Mais il reste sur ce point encore un gros travail à effectuer car de nouveaux noms apparaissent chaque semaine. L’ensemble de son œuvre de mémoire à une très grande importance pour notre conscience collective. Face à un antisémitisme larvé, elle prouve effectivement que depuis plus d’un millénaire, il y avait des juifs à Troyes, qui faisaient partie intégrante de la nation et qui ont participés pleinement à son essor. Comment s’organise la vie juive à Troyes au quotidien et pour les jours de fêtes ? C.A : En dépit de la baisse constante de nos effectifs, d'une cruelle absence de jeunes, du départ définitif, après plus de 54 ans d’un sacerdoce remarquable, de notre Grand-Rabbin M. Abba Samoun en Israël, tous les shabbatot et fêtes sont célébrés dans notre synagogue. Nous avons créé un rayon cacher chez Intermarché, dont le propriétaire M. Eric Peters est un grand ami de la communauté juive de Troyes. Nous célébrons également toutes les cérémonies officielles : 11 Novembre, Cérémonie de la Déportation, Rafle du Vel d'Hiv. Nous nous efforçons de maintenir le dialogue interreligieux, et connaissons des relations apaisées avec les autres Cultes (Catholique, Protestant, Orthodoxe, Musulman) que nous rencontrons régulièrement. Les offices sont assurés par des élèves rabbins du Séminaire Pourim a Troyes Israélite de France et quelquefois des jeunes de la Hazac. Et nous avons la grande joie d'avoir régulièrement des bar-mistvot et des mariages. Le denier mariage dans notre synagogue fut d'ailleurs célébré l’année dernière, par notre nouveau Grand Rabbin de France M. Haim KORSIA. Ce dernier avait pris l'engagement de bénir cette union avant son élection et il a honoré notre synagogue de sa présence, le surlendemain de celle-ci. En plus de ses très grandes qualités intellectuelles et humaines, Haïm KORSIA respecte toujours avec humour, humilité et disponibilité sa parole et ses engagements. C'est vraiment un grand homme que nous avons élu. Et je dis cela bien sûr en toute objectivité… (NDRL : le Grand Rabbin de France est le gendre de Charles Aïdan) Quels sont les grands projets qui vous tiennent à cœur et comment comptez-vous les réaliser ? C.A : Le projet qui nous occupait de façon intense depuis 2011 était la réhabilitation de nos 2000 m2 de bâtiments en plein centre-ville de Troyes. Et pourtant, ce projet a une évolution surprenante. Au départ, nous avions un important problème de rénovation de ces bâtiments communautaires. Nous sommes les héritiers de 3 beaux immeubles en centre-ville. La synagogue s'inscrit dans le secteur sauvegardé d'une des villes les plus surprenantes de France en termes de cachet médiéval. En effet, M. Robert GALLET, puis M. François BAROIN, ancien Maire et Sénateur-Maire actuel de Troyes, ont pris la décision de protéger architecturalement le centre-ville que l'on appelle « le bouchon de champagne ». Le patrimoine construit à l'intérieur du « bouchon » est un bâti très spécifique en pans de bois multi-chromes. C'est un périmètre bâti exceptionnel en France et la Ville de Troyes défend ainsi avec panache, son passé de capitale historique des Comtes de Champagne. Bâtiment rénove Nous étions confrontés à un vieillissement important de nos bâtiments. Les toitures prenaient l'eau de toutes parts et les façades, mal reconstruites ou mal protégées, donnaient des signes effarants de vétusté. Si l’on n’avait rien fait, les bâtiments s'écroulaient et notre synagogue disparaissait. Ces bâtiments, hérités de nos illustres prédécesseurs, dont M. Albert BLUM, M. Isidore FRANKFORTER, M. Henri CAHEN, M. Max SERROUYA, M. Michel MEZRAHI, M. Elie MARGEN, M. Joseph KADOUCH ou M. William GOZLAN devenaient une charge trop importante pour une petite communauté. Nous n’avions pas du tout les moyens de prendre en charge de telles dépenses de rénovation. Nous étions donc dans une impasse et la seule façon de nous montrer dignes de cet héritage a été de relever ce défi et de régler ce problème définitivement. Pour cette opération engagée par la communauté, nous devons tout à notre vice-président M. René PITOUN et à sa famille. Sa force de conviction et sa puissance de travail ont pu faire qu’en l’espace de 30 mois, toutes les toitures et trois cours intérieures sur quatre furent restaurées de façon admirable par des travaux de qualité, entièrement financés sans aucun endettement de la communauté. La prochaine étape est la rénovation de la salle de prière qui devrait débuter en janvier 2016, pour une durée de six mois. Cette étape franchie, nous léguerons aux futurs administrateurs une synagogue magnifique. Le lecteur pourra trouver sur notre site http://rachi-troyes.com/, les photos des bâtiments avant et après les travaux ainsi qu’une visite google des cours déjà rénovées, dont le seul responsable M. René Pitoun, doit être ici chaudement félicité et remercié. La ville de Troyes est réputée pour son histoire. Comment votre communauté s’inscrit-elle dans ce patrimoine historique, et plus particulièrement, comment préserve-t-elle et transmet-elle les enseignements de Rachi ? C.A : C’est là que réside l’évolution de notre projet. Si nous sommes parvenus à lever autant de fonds pour couvrir les dépenses de rénovation, c’est uniquement grâce à la notoriété mondiale et universelle de RACHI. C’est une véritable figure de proue. Grace à lui, nous avons pu obtenir une première subvention très importante de la Fondation E.J. SAFRA à Genève, suivie par de très nombreuses autres de la Ville de Troyes, du département de l’Aube, de fondations philanthropiques juives françaises et étrangères, de nombreux particuliers ou entreprises, juifs ou non juifs. Il faut bien l’avouer, nous n’aurions jamais atteint une telle réussite sans l’aide de ce personnage exceptionnel. De ce fait, l’évolution de notre projet réside dorénavant dans notre volonté de rendre à ce personnage illustre, tous les honneurs liés à son rôle essentiel et de faire de Troyes, la capitale française du judaïsme. C’est là que les choses deviennent plus complexes pour nous car il faut bien l’avouer, à Troyes peu de personnes connaissent réellement RACHI, et en la matière, nous faisons plutôt figure d’écoliers … pour ne pas dire d’enfants de chœur. Nous nous sommes donc attelés à une nouvelle tâche, autrement plus ardue que celle de remplacer une sablière en chêne ou de choisir une jolie couleur d’entre-pans de bois : Celle de mettre en lumière dans sa ville natale, l’œuvre de Rachi et de répondre à l’importante demande mondiale d’informations et de connaissances. L’institut universitaire européen RACHI, créée par le Grand Rabbin de France M. René-Samuel SIRAT et situé en face de notre synagogue, avait cette vocation il y a 20 ans. Mais cet organisme universitaire concerne essentiellement des étudiants ou des intellectuels déjà un peu formés à l’hébreu, à la culture juive et aux commentaires de RACHI. Notre positionnement est plutôt celui de vulgarisateurs dont l’objectif est de faire toucher du doigt, au plus grand nombre, juif ou non juif, même d’une façon parcellaire, l’œuvre de Rachi. Nous nous dirigeons donc avec l’aide de programmistes professionnels, à l’intérieur de nos locaux, et tout en privilégiant une vie religieuse et communautaire épanouie, vers la création d’un centre d’interprétation de l’œuvre de RACHI, en partenariat avec l’institut RACHI, la Médiathèque du Grand Troyes, possesseur de manuscrits anciens exceptionnels provenant de la bibliothèque de Bernard de Clairvaux, un contemporain de Rachi, mais aussi de l’Office du Tourisme de Troyes, du comité départemental du tourisme de l’Aube et de la DRAC de Champagne Ardenne. Cette « Maison RACHI » abritera en parallèle de l’espace privé lié à la vie religieuse, une hyperstructure capable de promouvoir et vulgariser l’œuvre de Rachi, en organisant des rencontres, des visites, des conférences, des journées portes ouvertes etc… D’ores et déjà, sans vraiment avoir grand-chose à montrer de l’œuvre de Rachi, les dernières Journées Européennes du Patrimoine ont attiré, en une simple demijournée de dimanche après-midi, quelques 900 personnes, intriguées par les travaux de rénovation certes mais aussi et surtout, par la découverte de la culture juive et l’œuvre de Rachi. Voilà pourquoi nous avons aussi créé une boutique avec des produits souvenirs liés à RACHI (comme du champagne RACHI par exemple, puisque il était semble-t-il vigneron) et une librairie dans laquelle on peut trouver sur place, presque toute Pièce de monnaie Rachi la gamme de livres consacrés à RACHI. Un très beau documentaire « Ce que dit Rashi », d’une grande qualité pédagogique tourné il y a une dizaine d’années par David Nadjari et Joachim Cohen est aussi en vente sur place et sur notre site (pour voir la bande annonce, suivre ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=fOzriqgeW3w). Enfin, la Monnaie de Paris nous a fait l’honneur d’accepter d’éditer une très belle pièce de monnaie RACHI La totalité du projet évolue en permanence. La matière est complexe pour des bénévoles et surtout très chronophage. Pour autant, cette chance que nous avons de vivre à Troyes, où l’ensemble de nos partenaires comprennent bien l’intérêt de la réussite de notre entreprise, nous incite à garder ce cap, jusqu’au bout. Nous nous sommes donnés jusqu’en 2020 pour parvenir à la conclusion de ce projet et faire de Troyes, le symbole d’un judaïsme français épanoui. Même si la tâche est particulièrement ardue, nous ne rendrons jamais à RACHI même la plus infime partie de ce que lui a apporté au judaïsme. « Vivre heureux comme un juif en France ». C’est à Troyes, plus que partout ailleurs, que cette phrase prend tout son sens. Témoignages René Samuel Sirat - Grand Rabbin de France Honoraire - Jérusalem : Mes chers amis, j’ai lu avec admiration votre beau projet, et vous encourage vivement. Si vous avez besoin d’une lettre de recommandation pour les organismes auxquels vous allez sûrement faire appel, je la rédigerai volontiers. Avec tous mes vœux de plein succès, et l’expression de ma fidèle amitié. ___________________________________________________________________________ Nicolas V. - Directeur - Office de Tourisme de Troyes : Après la réhabilitation de l’écrin, vous voilà dans sa valorisation : quel beau projet !! ___________________________________________________________________________ Viktoria L. - Responsable Fondation EJ Safra à Genève : Je suis contente que vous ayez reçu le transfert, et c’est avec plaisir que la Fondation EJ SAFRA soutient votre beau projet de rénovation ! C’est admirable à quelle vitesse le projet avance, et je me réjouis de voir le résultat final, à bientôt ! ___________________________________________________________________________ Joëlle A. – Matanel Foundation à Luxembourg : Nous avons jugé opportun de déroger à titre exceptionnel à notre politique. Nous le devions à Rashi dont les commentaires continuent d’éclairer la lecture de la Torah et pour encourager vos efforts de faire du site historique de Troyes un haut lieu d’étude et de pèlerinage. Andrea Baumann Lustig – ARIF Foundation – New York