Qualité de la croissance et transition écologique

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QUALITÉ DE LA CROISSANCE ET
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Michel Aglietta
Cepii et France Stratégie
La stagnation séculaire
Comprendre l’épuisement du régime de croissance
financiarisé
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Caractériser la stagnation séculaire
• Définition théorique: la stagnation séculaire est une configuration macro où
l’investissement productif est trop faible pour atteindre le plein emploi parce que le
rendement marginal du capital est trop bas / l’aversion au risque des agents non financiers
et aux exigences de la finance.
• Définition empirique: une période prolongée où l’évolution tendancielle du PIB par ha
(g) est: 0<g<1%. C’est le cas des 3 grandes zones de l’OCDE: Japon depuis 1998, US et
Europe depuis 2008.
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La stagnation séculaire est donc un processus auto-entretenu
de croissance basse due à la faiblesse de l’investissement
productif
• L’investissement productif agrégé cumulé des pays avancés était 25% en
dessous du niveau qu’il aurait dû avoir si les économies avaient effacé
l’impact de la crise financière et récupéré la tendance d’avant-crise (FMI,
WEO avril 2015).
• Le fléchissement de l’investissement productif est dû pour 80% au
fléchissement de la demande et pour le reste à des contraintes de crédit
subies par des PME dans certains pays.
• Le cercle vicieux de la stagnation séculaire:
Rendement
marginal du
capital ↓
Invest prod. ↓
Demande ↓
Gains de prod.↓
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La stagnation séculaire n’est ni inclusive…
5
Assessment of the EU-ETS and future projections
Source : CDC ClimatRecherche(2013)
… ni soutenable
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Innovations séculaires et développement social
• Une crise financière systémique est un moment critique dans un processus
historique: la mutation d’un régime de croissance → les révolutions
industrielles dont le principe se déploie dans toute l’économie, recompose la
structure productive et transforme les modes de vie.
Type
d’innovation
Émergence
Diffusion
Crise
d’adaptation
Maturité
Période
totale
Machine à
vapeur et
textiles
1762-1774
1794-1834
1834-1843
1844-1861
1762-1861
Rail et
sidérurgie
1831-1847
1847-1888
1888-1895
1896-1917
1831-1917
Production de
masse
1882-1908
1908-1937
1937-1949
1950-1973
1882-1973
Information et
communication
1961-1981
1981-2000
2000-2013
2013- ?
1961- ?
Environnement
1972-2015
2015- ?
??
??
1972- ?
7
Un défi de civilisation :
De la stagnation séculaire à la croissance inclusive et
soutenable
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Macroéconomie de la croissance soutenable: richesse des
nations et bien-être social
•
Mesurer la richesse réelle : généraliser l’usage d’une comptabilité qui prenne en
compte toutes les formes du capital, qu’elles soient privées ou collectives, rivales ou
non-rivales.
•
Mesurer la richesse réelle comporte d’épineuses difficultés : valorisation des
ressources épuisables et non-renouvelables, valorisation des services
environnementaux, mesure du capital immatériel (« intangible »).
•
La prise en compte des mesures évoquées ci-dessus transformerait radicalement les
politiques économiques, pour inscrire des critères de long terme dans les débats et les
choix démocratiques.
•
Théorème d’impossibilité de Arrow : on ne peut pas définir une fonction du bien-être
social à partir de préférences individuelles hétérogènes sur la base des principes
économiques de la valeur-utilité → nécessité d’une dimension éthique.
•
Pour être durable, la croissance doit être « inclusive »:
– John Rawls : une société se développe si et seulement si les conditions de vie et les
opportunités sociales s’améliorent pour la partie la plus défavorisée de la population.
– Amartya Sen : le caractère inclusif est conditionné à la réduction des dysfonctionnements
sociaux qui entravent la capacité de chacun à transformer ses propres ressources en véritable
liberté de choix et en projet de vie personnel → rompre le cercle vicieux de la discrimination,
qui conduit aux pièges de l’exclusion.
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Concept fort de soutenabilité : comptabiliser toutes les formes de capital
Si les actifs réels sont mesurés à leur valeur sociale marginale, alors il y a
soutenabilité si la richesse réelle totale ne diminue pas dans le temps
Richesse réelle totale
•
•
•
Capital produit (matériel) : équipement /
structures / terrains urbains
Capital immatériel : capital humain /
infrastructures institutionnelles / capital
social / actifs financiers étrangers nets
Capital naturel : gisements du sous-sol /
ressources forestières en bois / autres
ressources forestières / zones protégées /
terres cultivées / pâturages
Capital investi
Forte soutenabilité: la
Richesse réelle totale
ne diminue pas
Bien-être social
•
Consommation privée ajustée des
inégalités sociales
•
Services publics imputés aux ménages et
consommées sur la période
•
Services environnementaux tenant compte
des dégradations infligées par : la pollution
/ l’épuisement des ressources non
renouvelables / les atteintes à la
biodiversité
Fonction de bien-être social
La valeur actuelle du bien-être
social intertemporel ne diminue pas
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Faire évoluer le régime de croissance vers le développement
inclusif et soutenable: indicateurs vs prix
• La généralisation de la valorisation du capital implique une transformation des
systèmes de comptabilité nationale et privée. Une vue alternative pour guider
l’action publique: un tableau de bord d’indicateurs quantitatifs/ seuils de
soutenabilité.
• Mais les seuils quantitatifs acceptables comme guides de choix politiques signifient
que la société reconnait implicitement une valeur à la protection ou à la
conservation de certains types de capital. C’est le dual d’un prix qui l’exprime
explicitement dans un système d’interdépendances qui représentent l’impact de ces
types de capital sur le bien-être social.
• Pour guider des politiques à impact macro sur la qualité de la croissance selon la
logique du tableau de bord, il faut un petit nombre d’indicateurs liés à des cibles
explicites. France Stratégie a proposé un mix d’indicateurs monétaires et non
monétaires:
– Capital physique et intangible /PIB avec pb de mesure de la qualité.
– Employabilité: proportion de la pop (25/64) avec diplôme> certificat d’étude.
– % du territoire national artificialisé: indicateur fruste de l’érosion de la biodiversité.
– Evolution de l’emprise carbone de l’économie (imports incluses)
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Le débat incontournable sur la valeur
• La valeur n’est pas une substance naturelle appelée utilité, incorporée dans les
préférences des individus indépendamment de tout rapport avec autrui. C’est un
rapport social qui désigne ce que la société reconnait que chacun d’entre nous a
apporté par notre activité.
• La valeur est donc un rapport équivalent à un langage, celui de la comptabilité. Le
signifiant de ce langage est l’opérateur de la valeur: la monnaie.
• La monnaie est l’institution qui donne via les paiements une valeur sociale à
l’initiative privée en vue de la production pour autrui dont dépend la réalisation
des désirs privés de richesse.
• La coordination générale des activités économiques est faite par le système des
paiements. C’est ce rapport du signifiant (la monnaie) au signifié (tout objet
économique) qui définit le prix.
• Le prix est donc le rapport de l’individuel au collectif dans le domaine de la valeur.
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Prix des biens publics, prix des externalités
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Vue générale de la détermination du prix des externalités :
la pratique du débat public raisonné
•
Éviter une double confusion :
– Entre les prix théoriques et les prix observés en pratique
– Entre « prix en général » et prix de marché
•
Un prix « en général » correspond à une valeur partagée, résultant d’un contrat social
dont la portée dépend du rassemblement des participants directement ou
indirectement affectés par ce contrat. Un prix de marché correspond lui à un accord
conclu par une organisation spécifique parce qu’anonyme, appelée « marché »..
•
Un grand nombre de ces contrats « sociaux » sont inaccessibles au marché, parce
qu’ils portent sur des biens publics, des biens communs ou des externalités. Si aucun
prix de marché ne s’y rattache, les biens et services produits ne sont pas payés.
•
La valorisation sociale, hors prix de marché, est le résultat d’un débat public entre des
parties prenantes qui aboutissent ensemble à une estimation raisonnée. Son
élaboration requiert une vraie démocratie participative, avec la mise en commun de
compétences collectives.
•
Un approfondissement des pratiques de valorisation est nécessaire pour mettre en
place la base productive d’un développement soutenable (c'est-à-dire durable), de
façon décentralisée. Il est indispensable aux entreprises.
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Prix notionnels, prix de marché et valeur sociale des
externalités
• Les définitions:
– Pi = prix notionnel de l’actif i et Ri = prix de marché
– Ei = valeur sociale des externalités (>0 ou <0) créées par l’actif i.
– Pi = Ri + Ei
• Les économistes « orthodoxes » pensent que l’on peut toujours éradiquer les
externalités:
– On les internalise via des réformes institutionnelles et des changements de politique
économique.
– On s ramène ainsi aux conditions d’un équilibre général de concurrence parfaite où Ei
=0 et donc Pi = Ri
• D’autres pensent qu’il s’agit de biens publics, de biens communs ou d’externalités
dues à une incertitude que le marché ne peut valoriser → Ri = 0 et Pi = Ei avec:
– Pi = valeur actualisée des flux monétaires des avantages (ou des dommages) dont la
société bénéficie (ou subit) d’une unité marginale de l’actif i.
– Ei = valeur actualisée du flux d’externalités associés à la valeur marginale d’une unité
de i.
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Détermination du prix d’une externalité globale :
la valeur sociale du carbone
•
La valeur sociale du carbone (VSC) représente ce que la société est disposée à payer
pour créer une valeur sociale résultant de la réduction des émissions de CO2.
•
Le problème réside dans l’incapacité des arguments scientifiques à aboutir à une
fourchette d’estimations utilisable → l’attribution d’une VSC spécifique doit résulter
d’un compromis politique.
•
Les estimations quantitatives souffrent des incertitudes fonctionnelle et paramétrique
de la modélisation intégrée économie/climat → utiliser les modèles et scénarios pour
nourrir les visions de politiques climat qui seront débattues dans les négociations
internationales, afin de parvenir à un compromis sur un éventail de VSC.
•
La VSC n’est pas un prix résultant spontanément du marché. C’est le produit d’une
combinaison de convictions elles-mêmes établies à partir de ce que la recherche
scientifique permet de connaître. Possibilité de définir un système dual de valeurs
carbone permettant d’introduire un mécanisme de bonus/malus :
– Une valeur de référence (prix notionnel) assez élevée pour aider ceux qui innovent dans
des investissements bas carbone à obtenir des taux de rendement internes suffisants.
– Une taxe carbone progressive et (ou) un marché de droits, qui converge à terme vers la
valeur de référence, pour dissuader les émetteurs de dioxyde de carbone sans dévaloriser
brutalement leur capital.
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Détermination du prix des externalités locales :
les services environnementaux
•
Les écosystèmes sont hétérogènes. De plus, leur valorisation fait l’objet de controverses.
Le fondamentalisme écologiste plaide pour l’attribution à la nature d’une valeur
intrinsèque. C’est une approche stérile, parce que la valeur est une convention sociale, qui
n’a de sens qu’en lien avec une activité humaine.
•
La valeur d’un écosystème est le « coût écologique non-acquitté » (Unpaid Ecological
Cost ou UEC) de sa dégradation par les activités économiques, coût qui n’a pas été évité
ou neutralisé par des coûts compensatoires supportés par l’économie. La dette écologique
envers la nature, pour un écosystème donné, est la somme des UEC.
•
L’estimation de la valeur des dommages causés, par type d’actif naturel, est une étape clé :
– Si une entreprise exploite un capital naturel spécifique pour sa propre viabilité, alors l’UEC
doit apparaître comme le coût de remplacement d’un actif dont la valeur doit figurer à son
bilan.
– Si un écosystème doit être entretenu en tant que bien commun, il y a multiplicité des
bénéficiaires. Les parties prenantes doivent alors, de manière collective, être amenées à
compenser les entreprises qui assureront sa restauration. Pour définir un coût de remplacement,
il faut nécessairement s’accorder sur un seuil d’irréversibilité.
– Si ce seuil a été dépassé, cela signifie que la valeur marginale de l’UEC →∞, tandis que la
capacité du stock disponible au-delà du seuil →0. Il n’y a pas de base pour la valorisation,
puisque le résultat est indéterminé. Seules les politiques publiques peuvent résoudre le
problème : norme réglementaire, interdiction de tout dommage additionnel, investissement
public financé par le budget de l’État.
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Du niveau « macro » au niveau « micro » :
Changement de conception de l’entreprise: propriété,
comptabilité et gouvernance
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Une comptabilité d’entreprise fondée sur l’extension du
concept de coût de remplacement à toutes les natures de capital
•
•
La question de fond, c’est la préservation des trois types de capital.
La comptabilité à double entrée devrait faire apparaître dans le bilan :
– Au passif, le montant des droits sur la VA produite afférents à chacune des parties prenantes
sur les 3 types de capital à préserver.
– À l’actif, les différentes formes du capital utilisables dans les processus de production.
•
L’amortissement programmé et systématique des 3 types d’actifs est obligatoire, pour
permettre à l’entité de réinvestir son épargne dans ces actifs. L’articulation d’une
comptabilité budgétée ex ante et d’une comptabilité ex-post permet le maintien d’une
richesse réelle durable pour tous les détenteurs d’actifs.
•
La valorisation de toutes les formes de capital guide la gouvernance de l’entreprise pour
déterminer la dépréciation affectée au remplacement des actifs auxquels correspond, au
passif, la valeur de l’investissement des différentes parties prenantes dans l’entité.
•
Le CA doit prendre certaines décisions politiques transparentes :
– Montants correspondant aux rémunérations, à la formation professionnelle et à l’éducation
sur toute la vie nécessaires à l’appui du capital humain.
– Montant des dépenses de maintenance des écosystèmes pour qu’ils puissent remplir leur
rôle et fournir les services idoines.
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Fondements conceptuels des états financiers de l’entreprise
selon son statut social
Priorité du:
Equilibre comptable:
Entreprise propriété
des actionnaires
Entreprise
autonome
Entreprise orientée
dév. durable
bilan
compte de revenus
Aucune
A = L + CA (capital
action)
A = L (pas de différencia A = L + CE (CA, CH, CN)
-tion dans le passif)
avec CE capital de
l’entité
Comptabilité du profit
dans le compte de
revenu
Profit = RBE (après
rémunération des
créanciers) amortissement du
capital fixe -Impôts
Profit =revenus dépenses (avant
rémunération des
apporteurs de capitaux)
Profit = RBE (après
rémunération des
créanciers) - impôts –
dépréciation des 3
types de capital
L’incitation au profit qui
domine la gouvernance
de l’entreprise dépend:
De l’exigence des
propriétaires du capital
(valeur actionnariale)
De la gouvernance des
managers
(technostructure)
De la gouvernance des
managers et la coop.
des ayants-droits sur
les 3 types de capital:
codétermination
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L’importance des externalités de réseaux
• Le progrès technique découle de l’échange de savoir faire qui crée une
externalité de réseau entre les entreprises :pôles de compétitivité, clusters
technologiques, systèmes d’innovation. C’est un mélange d’effet d’organisation
territoriale (associations de firmes pour développer ensemble des avancées de la
recherche fondamentale, instituts publics-privés) et d’échanges informels.
• Les dépenses publiques en R&D, en éducation supérieure et en infrastructures
financées par impôts sont du capital social qui élève l’efficacité productive de
toutes les entreprises d’un pays: coopération entre départements recherche des
grandes firmes et labos universitaires, sous-traitance technologique des grandes
firmes aux PMEs.
• Chaîne de financement épousant les étapes du développement des entreprises
nouvelles : business angels, venture capital, marché boursier des valeurs
technologiques pour favoriser les introductions en bourse.
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Promouvoir des investisseurs LT responsables pour
construire un système financier orienté croissance soutenable
• Investisseur responsable : stratégies incorporant des enjeux de soutenabilité:
– Intermédiaire financier qui collecte des montants élevés d’épargne contractuelle
– qui reconnait les interdépendances entre évaluations financières et non financières parce
que son horizon long lui fait comprendre que la dégradation de la qualité de la croissance
menace le rendement du capital à LT.
• Actifs alternatifs : prépondérance risques non financiers / révolution industrielle de
la transition énergétique et adaptation au changement climatique→ ALM à structure
core/satellites (investir dans fonds PE et banques de développement)
• Influence sur gouvernance des entreprises : promouvoir les critères ESG dans les
modèles de gestion des entreprises, faire prévaloir des droits de vote en AG
pondérés/durée de détention, faire prévaloir prérogatives de codétermination
/management dans comités de surveillance et de rémunération.
• Exigences vers pouvoirs publics : cadre réglementaire et comptable permettant de
se placer dans un horizon long, création de véhicules d’investissement et de partage
des risques public/privé.
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