Partie I : Evolution sociétale et industrielle vers le développement durable
18
2 Le développement durable un enjeu pour l’industrie
2.1 Contexte général et chronologie
Accidents industriels graves, pollutions chroniques ou ponctuelles, scandales
environnemento-sanitaires, sites pollués orphelins, mais aussi, fermetures de sites, fluctuation
des cours boursiers, restructurations de grandes entreprises… sont autant d’événements qui ne
cessent de provoquer l’indignation de l’opinion publique. La médiatisation croissante de ces
événements a modifié l’image de la place de l’entreprise dans la société, mais surtout la
perception de ses responsabilités, et le niveau d’information à présent attendu sur ses
activités, leur gestion, leurs conséquences sociales et environnementales (Grégoire et al.,
2003). Face à ces nouvelles attentes, l’entreprise essaie de réagir et de s’impliquer dans une
démarche de développement durable qui prend en compte ces dimensions multiples.
En s’attardant sur l’évolution de l’implication des acteurs, nous constatons effectivement que
ce concept voit le nombre des acteurs impliqués dans sa mise en œuvre se multiplier. A
l’origine issu de réflexion de scientifiques et d’organisations non gouvernementales, il est
maintenant devenu une préoccupation pour les gouvernements ainsi que pour de nombreux
acteur sociaux et économiques (Bourg, 2002). Brodhag souligne que la mise en œuvre du
développement durable, « c'est aussi l’aboutissement d’une diplomatie des réseaux où les
associations, les scientifiques, les entreprises, les syndicats et les collectivités locales… sont
présents avec les représentants des Etats dans les réflexions et les négociations
internationales » (Brodhag, 2003). Depuis le sommet de Rio, il est incontestable que le
développement durable est aussi un enjeu pour les entreprises (figure n° 5). Le sommet de
Johannesburg a d’ailleurs été l’occasion de remarquer que les entreprises sont de plus en plus
présentes sur cette thématique (Brodhag, 2003).
Pour les industriels, la prise de conscience de la nécessité de prendre en compte le
développement durable a émergé progressivement. Plus que par des évènements clés, c'est
peut être par un dynamisme de réseaux que ce concept s’est propagé parmi les entreprises.
Cette dynamique s’est parfois traduite par la création d’associations, d’ouvrages qui ont
ensuite influencé les modes de pensées de nombreux professionnels qui ont à leur tour, essayé
de traduire ce concept dans leur propre vie professionnelle. Par exemple, Amory et Hunter
Lovins, ont créé en 1982, le Rocky Mountain Institute (RMI)
12
. L’objectif de cette
organisation était de promouvoir auprès des entreprises et des institutions une utilisation
efficace des ressources naturelles, compatible avec le développement durable et la sécurité
globale des êtres humains. Une section est consacrée au développement durable appliqué aux
entreprises. Pour le Rocky Mountain Institute, le fait que l'entreprise soit non seulement le
premier moteur de création de richesse et de changement social mais aussi de dommages
environnementaux est une opportunité et non un problème. D’après cette organisation, les
entreprises sont les seules institutions qui disposent des capacités et des motivations liées aux
profits pour orienter le monde dans cette direction. Le RMI tente donc d’aider les entreprises
à effectuer une transition culturelle vers le développement durable.
12 www.rmi.org
Partie I : Evolution sociétale et industrielle vers le développement durable
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figure n° 5 : Evolution des concepts et de l’implication des acteurs dans le
développement durable (Delchet, 2004).
En 1987, le rapport Brundtland soulignait que l’objectif de l’industrie est double. Il doit
satisfaire les besoins de consommation mais aussi les souhaits de la société en évolution. Ce
rapport soulignait déjà que les aspirations s’élargissaient du fait que l’environnement, la santé,
l’équité et l’éthique étaient déjà devenues des priorités (CMED, 1989).
En 1988, le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) a été
créé afin d’évaluer les informations disponibles sur la science, les effets, les aspects socio-
économiques et les options d'atténuation de l'évolution du climat et d'adaptation à cette
évolution. Une des mesures proposées par le GIEC
13
pour atténuer les changements
climatiques et l’impact des effets de serre est l’instauration « d'un ensemble d'outils
d'intervention visant à limiter ou à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces outils
peuvent comprendre des taxes sur les émissions, des permis d'émission négociables ou
non…». Le marché des permis d’émissions (ou échange de droits d’émission) évoqué à
l’article 17 du Protocole de Kyoto
14
(1997) est une « démarche axée sur le marché, adoptée
pour atteindre des objectifs environnementaux et permettre en particulier à ceux qui réduisent
leurs émissions de gaz à effet de serre au-dessous des niveaux prévus d’utiliser ou d’échanger
ces réductions excédentaires afin de compenser des émissions en provenance d’une autre
source située à l’intérieur même ou en dehors du pays considéré. Cet échange s’effectue en
général à l’intérieur d’une entreprise ou à l’échelon national ou international » (GIEC,
2001).
13 http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/vol4/french/204.htm
14 http://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf
consommateurs
citoyens
1992 Sommet
de la Terre, Rio
1987
Commission
Brundtland
dévelo
pp
ement durable
g
ouvernements, nations
1970 1980 1990 2000
évolution
des
conce
p
ts
évolution
des
acteurs
scientifi
q
ues et ONG
entre
p
rises
Performance économique,
sociale et environnementale
Res
p
onsabilité Sociétale des Entre
p
rises
Rio +5
2002, Sommet mondial
du développemen
t
durable, Johannesbur
g
halte à la croissance et
p
rotection de l’environnement
écodévelo
emen
1972 Conférence des Nations
Unies sur l’environnement,
Stockholm
Partie I : Evolution sociétale et industrielle vers le développement durable
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Natural Step, fondée en 1989, se fixe pour objectif d’examiner de façon systémique les causes
des problèmes environnementaux. Au début des années 1990, cette association a défini des
principes guides de durabilité. Ils sont actuellement utilisés par soixante compagnies. Le
Natural Step propose « une démarche pas à pas avec la nature »
15
, la transformation des
entreprises devant se faire graduellement.
Les quatre conditions essentielles définies sont :
l’utilisation des ressources naturelles ne doit pas être réalisée à un rythme plus élevé
que ce qui peut être retourné et réabsorbé dans les cycles naturels,
les productions de l’homme ne doivent pas être engendrées plus vite que leur
décomposition et réintégration dans les cycles naturels,
l’homme ne doit pas diminuer en quantité ou en qualité la productivité de la biosphère,
ni prélever dans la nature plus que ce qu'elle peut reconstituer
l’accroissement de l'efficacité technique et organisationnelle sur toute la planète est
nécessaire.
En 1991, le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD)
16
a été créé. Cet
organisme basé en Europe, regroupe plus de 170 compagnies internationales qui souhaitent
s’engager dans le domaine du développement durable. Les membres du WBCSD
appartiennent à 45 pays différents
17
et représentent les vingt plus grands secteurs industriels.
Cet organisme soutient que le développement durable est bénéfique pour les activités
économiques et que les activités économiques sont également bénéfiques au développement
durable. L’objectif est de promouvoir l’éco-efficacité, l’innovation et la responsabilité sociale
des entreprises.
En 1992, d’autres points sont soulevés notamment la nécessité pour les entreprises d’œuvrer
en concertation avec les différentes parties prenantes pour le développement durable,
notamment pour la prise en charge de l’innovation, la généralisation de la gestion
environnementale, la réduction des pollutions, le transfert de technologies…Le Programme
des Nations Unies pour l’Environnement incite les industriels d’un même secteur à travailler
sur une déclaration d’engagement dans le développement durable
18
.
En 1992, le Business for Social Responsibility (BSR) est créé. C'est l’un des principaux
réseaux d’entreprises impliqué dans le domaine du développement durable. Cette organisation
rassemble des entreprises concernées par la responsabilité sociale. Des rencontres, des
réunions d’information et des ateliers de travail sont organisés. Cette organisation défend
l’idée que grâce à leur engagement en terme de responsabilité sociale, les entreprises créent de
la valeur pour les investisseurs, leurs clients, leurs employés, les communautés locales et
toutes les autres parties prenantes (Brodhag et al., 2004a).
La notion d’éco-efficience, a été reprise et appliquée au cycle de vie des produits dans un livre
publié en France en 1997 : « Facteur 4 : Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois
moins de ressources » (Rapport au Club de Rome) (von Weizäcker et al., 1997). L’idée
développée est de « donner à tous les hommes un niveau de vie correct sans épuiser les
ressources de la planète » (von Weizäcker et al., 1997).
15 http://www.naturalstep.org/
16 http://www.wbcsd.ch
17 Les entreprises françaises appartenant à ce groupe sont : AREVA, Aventis, EDF Group, Gaz de France,
L'Oréal, Lafarge, Michelin, Renault, Suez, Veolia Environnement.
18 http://www.unep.org
Partie I : Evolution sociétale et industrielle vers le développement durable
21
Pour cela le Facteur 4 est présenté comme le moyen d'y arriver: « produire davantage, à
l'échelle mondiale, en consommant beaucoup moins de ressources ». Ce facteur est le
coefficient de multiplication de la productivité des richesses, c'est à dire une utilisation quatre
fois plus importante de la même quantité de ressources. A travers des exemples concrets de
gaspillage, ce livre met en avant l’existence de solutions efficaces pour préserver
l’environnement.
Au niveau des institutions européennes, l’évolution est également perceptible. En 2002, la
Commission Européenne a mis en place le forum plurilatéral européen. C'est une réunion
regroupant des réseaux d’entreprises, des employeurs, des salariés et la société civile dans le
but de leur permettre d’échanger des bonnes pratiques et d’évaluer l’opportunité d’établir des
principes directeurs communs pour les outils et pratiques socialement responsables.
Depuis 1987, le développement durable a été de plus en plus diffusé dans le secteur industriel.
Cette diffusion s’est manifestée par la création d’associations, d’organisations, de groupes de
réflexion, de réseaux d’entreprises… Malgré toutes ces démarches, l’implication des
entreprises pour la prise en compte du développement durable ne prend pas toujours la même
signification que celle qui pourrait en être attendue en s’appuyant sur la définition de
Brundtland. Cependant, pour certaines sociétés, cette orientation nouvelle, cette volonté de
changement est devenue perceptible. Parmi les entreprises qui ont décidé de s’engager dans
cette démarche de développement durable, il semble qu’il y ait des points clés d’entrée
communs et mobilisateurs pour intégrer cette démarche.
2.2 Motivations des entreprises par rapport au développement durable
Selon Brodhag
19
, les motivations des entreprises s’engageant dans une démarche de
développement durable sont de plusieurs niveaux (figure n° 6). La première étape concerne
les aspects pragmatiques, c'est à dire la réglementation, les systèmes de management ainsi que
le marketing et la communication :
la réglementation, de par son aspect obligatoire et sanctionnable, peut être un vecteur
incitatif aux changements ;
les systèmes de management qui se développent de plus en plus permettent des
évolutions concrètes de l’entreprise (démarche qualité, management
environnemental…) ;
le marketing et la communication dans le domaine du développement durable
intéressent également les entreprises car ils peuvent permettre d’être en phase avec les
exigences et les attentes du marché.
Le deuxième niveau d’entrée vers le développement durable se situe plus sur une réflexion
stratégique et un positionnement sur le long terme : l’anticipation des risques et des
opportunités.
Le dernier niveau (éthique partagée) pourrait correspondre à une réflexion plus profonde pour
les entreprises, une remise en cause ou une réflexion sur la culture d’entreprise. Afin de mieux
comprendre ces éléments nous allons voir comment chacune de ces motivations peut toucher
l’entreprise.
19 Conférence : Le développement durable du concept à l'action : le SD 21000, Conférence, Clermont Ferrand,
mars 2004. http://www.brodhag.org
Partie I : Evolution sociétale et industrielle vers le développement durable
22
figure n° 6 : Motivations des entreprises pour l’engagement vers le développement durable
D’après Brodhag
20
2.2.1 Approches réglementaires françaises et européennes pour les
industries
Réglementation française
Plusieurs principes généraux ont été énoncés dans le Code de l’Environnement
21
publié en
2000 : la prise en compte des ressources et milieux naturels, leur protection et leur gestion. Le
livre n° I stipule la nécessité de s’inscrire dans un objectif de développement durable en citant
le principe de précaution, le principe de prévention, le principe pollueur payeur et le principe
de participation.
La première loi concernant le développement durable et les entreprises est la loi relative aux
nouvelles régulations économiques
22
, promulguée en 2001. Cette loi impose aux sociétés
françaises cotées en bourse d’inclure dans leur rapport annuel des informations relatives aux
conséquences de leurs activités sur l’environnement et des informations sur les aspects
sociaux liés à leur activité. Les entreprises doivent préciser les démarches d'évaluation ou de
certification menées, les mesures prises pour améliorer l’efficacité énergétique et le recours
aux énergies renouvelables, pour limiter les atteintes aux écosystèmes et aux espèces
protégées, pour assurer le respect de la législation et de la réglementation en vigueur.
20 Conférence : Le développement durable du concept à l'action : le SD 21000, Conférence, Clermont Ferrand,
mars 2004. http://www.brodhag.org
21 Ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 (JO du 21 septembre 2000) ; http://aida.ineris.fr/
22 LOI NRE n° 2001-420 du 15 mai 2001
éthique
partagée
systèmes de
management
réglementation marketing
communication
anticipation des
opportunités
anticipation
des risques
contrainte marché
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