Par Géraldine d’Ythurbide, Alexandre Hertig*
LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 26 l N° 876 l FÉVRIER 2012
– anurie ;
symptômes urémiques sévères, tels qu’un
frottement péricardique sur une péricardite
urémique, et des troubles de la conscience,
témoins d’une encéphalopathie urémique ;
bradycardie sévère, signe d’une hyperka-
liémie symptomatique.
Biologiquement, une hyperkaliémie >
6 mmol/L, et une acidose sévère avec une
réserve alcaline < 10 mmol/L, sont indiscu-
tablement des critères de gravité et nécessi-
tent une prise en charge spécialisée urgente.
Que faire en première
intention ?
La découverte d’une élévation de la créati-
nine sur un bilan biologique systématique
est relativement fréquente. Dans un premier
temps, il faut déterminer si cette élévation
est aiguë ou chronique, et pour cela récupérer
les chiffres de créatinine antérieurs.
Lorsque la créatinine de base est connue,
une élévation de 25 % est considérée comme
pathologique.
En l’absence de ce repère, une créatininé-
mie > 120 μmol/L a de fortes chances de
correspondre à une altération du DFG. En
l’absence de symptômes ou d’un contexte
« aigu », on peut estimer le DFG par les
formules MDRD ou Cockcroft. Une insuffi-
sance rénale chronique (IRC) est définie par
un DFG < 60 mL/min. Mais dans le doute,
mieux vaut considérer que l’insuffisance
rénale est, a priori, aiguë.
Sont en faveur d’une IRC (altération du
DFG datant de plus de 3 mois, tableau) : des
reins de taille diminuée, une dédifférencia-
tion corticomédullaire à l’échographie, une
hypocalcémie et une anémie normochrome
normocytaire. Une IRA peut être de méca-
nisme fonctionnel, organique ou encore
obstructif.
On interroge sur les antécédents ayant
potentiellement des répercussions sur la
fonction rénale : néphropathie familiale,
uropathie, HTA, maladie athéromateuse,
cardiopathie, diabète, lithiase, infection uri-
naire haute, dysglobulinémie monoclonale,
maladie systémique, transplantation rénale,
L’augmentation de la créatininémie
témoigne d’une diminution du débit
de filtration glomérulaire (DFG), et
donc par définition d’une insuffisance rénale.
Celle-ci est l’incapacité du rein à éliminer
les produits de dégradation du métabolisme
azoté et menace l’équilibre acido-basique,
hydro-électrolytique et hormonal.
Comment évaluer
la fonction rénale ?
La créatinine est un produit de dégradation
de la créatine, localisée à 98 % dans le muscle.
Elle est de très petite taille et donc librement
filtrée par les glomérules, et elle est peu
sécrétée ou réabsorbée par les tubules
rénaux. La concentration de créatinine plas-
matique est relativement stable au cours du
temps chez un individu donné, et reflète un
équilibre (production/élimination), caracté-
ristique de l’homéostasie du milieu intérieur.
C’est pourquoi toute élévation de la créati-
ninémie par rapport à un chiffre antérieur
doit être considérée comme une diminution
du DFG, et par conséquent comme une alté-
ration de la fonction rénale. Mais une mesure
isolée ne permet pas de savoir si le patient
est à l’état d’équilibre, et peut mener à més -
estimer la fonction rénale. Enfin, les normes
de laboratoire, généralement comprises
entre 60 et 120 μmol/L, peuvent conduire à
méconnaître une insuffisance rénale ou au
contraire à la diagnostiquer à tort.1
Le niveau d’élévation ne dépend en effet
pas uniquement de la filtration glomérulaire,
mais également du taux de production (cata-
bolisme), du volume de distribution, et enfin
de la sécrétion tubulaire de la créatinine. La
créatininémie est donc influencée par des
facteurs extrarénaux comme l’âge, le poids,
le sexe, l’ethnie, la masse et le métabolisme
musculaire, certains médicaments… C’est
donc un marqueur très imparfait de la fonc-
tion rénale. Pour cette raison, l’estimation du
DFG, à partir de la créatininémie et à l’aide
Augmentation de la créatinine
Savoir interpréter une créatininémie pour apprécier la fonction rénale est essentiel.
* Urgences néphrologiques et transplantation
rénale, hôpital Tenon, AP-HP, 75020 Paris.
de formules mathématiques simplifiées, est
recommandée.
Les principales formules utilisées (voir ci-
contre) sont celles de Cockcroft et Gault2ou
MDRD (Modification of the Diet in Renal
Disease).3L’équation MDRD donne, en géné-
ral, une estimation plus précise du débit de
filtration glomérulaire. Ces formules ne sont
valides que lorsque la créatinine est à son
état d’équilibre. Cela n’a aucun sens de les
utiliser dans un contexte d’insuffisance
rénale aiguë (IRA).
Par exemple, pour une créatininémie mesu-
rée à l’équilibre à 90 μmol/L (donc « nor-
male » pour la plupart des laboratoires), une
femme âgée de 70 ans a en fait une insuffi-
sance rénale (DFG calculé à 57 mL/min
selon MDRD), alors qu’un homme de 20 ans,
non (DFG à 99 mL/min).
Schématiquement, l’estimation du DFG peut
être mise en défaut chez l’enfant, le sujet âgé
(sous-estimation), le patient obèse (suresti-
mation), en cas d’œdèmes (surestimation) et
surtout chez l’insuffisant rénal chronique
(surestimation). Dans le doute, le DFG doit
être non pas calculé mais réellement mesuré,
de façon fiable, dans un service d’explora-
tions fonctionnelles rénales, par la clairance
de l’inuline, ou du chrome EDTA.
À ce jour, il n’existe pas de meilleur mar-
queur de la fonction rénale que la créatini-
némie. L’urée en est un médiocre, puisque
son élévation peut exister sans insuffisance
rénale, dans des cas d’hémorragie digestive,
d’hypercatabolisme ou encore de prise de cer-
tains médicaments anti-anaboliques comme
les stéroïdes et les tétracyclines. Les bio-
marqueurs proposés dans l’IRA sont encore
en cours d’évaluation, et aucun n’a montré de
façon univoque son intérêt clinique.
Signes de gravité
nécessitant un avis urgent
La créatinine n’est pas toxique, mais son élé-
vation reflète une accumulation de toxines
urémiques potentiellement dangereuse. Les
signes de gravité peuvent en quelques heures
compromettre le pronostic vital :
– œdème aigu pulmonaire ;
152 FOCUS
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prescription chronique d’AINS, de lithium…
On fait préciser l’histoire récente de la mala-
die : prise de médicaments néphrotoxiques
ou influençant l’hémodynamique rénale
(antagonistes du système rénine angiotensine
aldostérone, anti-inflammatoires, diurétiques,
produits de contraste iodés, chimiothérapie…),
facteurs de déshydratation (vomissements,
diarrhées, apports hydriques faibles…).
À l’examen clinique, on recherche des
signes de surcharge hydrosodée, de déshy-
dratation, un globe vésical, une sensibilité
des fosses lombaires, des signes extrarénaux
(rash cutané, arthralgie, purpura…).
On prescrit une bandelette urinaire à la
recherche d’une protéinurie ou d’une héma-
turie ; une échographie rénale pour estimer la
taille des reins et éliminer une dilatation des
cavités pyélocalicielles en faveur d’un obsta-
cle sur les voies urinaires ; un nouveau bilan
biologique sanguin avec un contrôle de la
créatinine, l’urée, un ionogramme sanguin
avec réserve alcaline, un bilan phosphocal-
cique, un hémogramme et un ionogramme
sur échantillon d’urines (rapport Na/K uri-
naire < 1 en faveur d’une IRA fonctionnelle,
en l’absence de prise de diurétiques). Il faut
aussi arrêter les médicaments néphro-
toxiques, et adapter les traitements usuels du
patient à son DFG.
Quand adresser
au néphrologue ?
L’insuffisance rénale est une maladie silen-
cieuse jusqu’à un stade avancé. Son risque
principal est l’évolution vers l’insuffisance
rénale chronique terminale, nécessitant un
recours à des techniques d’épuration extra-
rénales. Il est donc nécessaire de la prendre
en charge précocement pour en traiter la
cause, et mettre en place des mesures de
prévention pour ralentir son évolution. Une
étude chez des diabétiques ayant une insuf-
fisance rénale chronique (débit de filtration
glomérulaire entre 15 et 59 mL/min/1,73 m2)
montre que leur survie augmente après
deux visites annuelles chez le néphrologue.4
En dehors des urgences vues précédem-
ment, il convient d’adresser rapidement le
patient à un néphrologue en cas d’insuffi-
sance rénale :
– rapidement progressive ;
associée à une protéinurie et/ou hématurie ;
– accompagnée de signes de maladie systé-
mique ;
– avec un DFG < 30 mL/min ;
– chez un patient transplanté rénal.
Une consultation néphrologique est à
prévoir en cas de DFG < 60 mL/min pour le
diagnostic étiologique ; le suivi ultérieur se
faisant en collaboration avec le médecin
généraliste. Pour un DFG entre 30 et 60 mL/
min, le suivi néphrologique est d’autant plus
important que le patient est jeune. Il se fera
(en mois) en divisant le DFG estimé par 10,
selon les recommandations de la HAS (p. ex :
tous les 5 mois chez un patient ayant 50 mL/
min)5et sera à moduler selon la stabilité ou
non de la fonction rénale, et l’état clinique
du patient.
Si le DFG est compris entre 60 et 90 mL/
min, vérifier la créatinine à distance, s’assu-
rer d’un bon contrôle de la pression artérielle
(objectif < 130/80 mmHg, moins strict chez le
sujet âgé), et rechercher une protéinurie
et/ou une hématurie. Il n’est pas nécessaire
d’adresser au néphrologue les IRC de stade 1
(DFG > 90 mL/min) et 2 (DFG entre 90 et
60 mL/min) stables chez les patients âgés de
plus de 75 ans ou sur rein unique, et ceux en
fin de vie sans projet de dialyse.
Avant d’adresser, le bilan peut être complété
par une protéinurie, une créatininurie
(mesure du rapport protéinurie/créatini -
nurie sur un échantillon d’urines), une albu-
minurie, une électrophorèse des protéines
plasmatiques, une échographie rénale avec
doppler des artères rénales.
La décision d’un traitement de suppléance
(hémodialyse, dialyse péritonéale et/ou
transplantation rénale) est prise par le
néphrologue (le patient étant informé et
préparé) quand apparaîtront les premières
manifestations cliniques d’IRCT, soit géné-
ralement pour des clairances de la créati-
nine < 10 mL/min.
RÉFÉRENCES
1. Canaud B. Élévation de la créatininémie. Orienta-
tion diagnostique. Rev Prat 2008;58:1837-46.
2. Cockcroft DW, Gault MH. Prediction of creatinine
clearance from serum creatinine. Nephron 1976;16:
31-41.
3. Levey AS, Bosch JP, Lewis JB, Greene T, Rogers N,
Roth D. A more accurate method to estimate glome-
rular filtration rate from serum creatinine: a new pre-
diction equation. Modification of Diet in Renal Disease
Study Group. Ann Intern Med 1999;130: 461-70.
4. Balasubramanian G, Al-Aly Z, Moiz A, et al. Early
nephrologist involvement in hospital-acquired acute
kidney injury: a pilot study. Am J kidney Dis 2011;57:
228-34.
5. HAS. Moyens thérapeutiques pour ralentir la pro-
gression de l’insuffisance rénale chronique chez
l’adulte. Recommandations. Septembre 2004.
Critères en faveur d’une IRC Critères en faveur d’une IRA
Anamnèse Antécédents de maladie rénale Pas d’antécédents de maladie rénale
Chiffres antérieurs de créatinine élevés Chiffres antérieurs normaux
Échographie Reins de taille diminuée (< 10 cm ou Reins de taille normale
à 3 vertèbres sur l’ASP)
Perte de la différenciation cortico-médullaire
Exceptions : diabète, amylose, hydronéphrose
bilatérale, polykystose rénale
Biologie Hypocalcémie (défaut de production rénale Exceptions : IRA avec hypocalcémie :
de 1-alpha-hydroxylase) rhabdomyolyse, syndrome de lyse tumorale
Exceptions : myélome, sarcoïdose IRA avec anémie : syndrome hémolytique
et urémique, choc hémorragique
Anémie normocytaire arégénérative (défaut
de production rénale d’érythropoïétine)
TABLEAU DIFFÉRENCES ENTRE IRA ET IRC
FOCUS
Formule de Cockcroft :
Clairance créatinine (mL/min) = (140 âge [années]) × poids (kg) × A]/créatininémie (μmol/L)
(A = 1,23 chez l’homme et 1,04 chez la femme).
Formule MDRD simplifiée :
Clairance créatinine (mL/min) = 186,3 × (créatinine plasmatique en mg par litre/10)1,154 × âge0,203.
(à multiplier par 0,742 si sexe féminin, et par 1,21 si origine afro-américaine).
Des calculateurs sont disponibles sur le site de la Société de néphrologie :
http://www.soc.nephrologie.org/eservice/calcul/eDFG.htm
LES FORMULES D’ESTIMATION DU DFG
153
Les auteurs déclarent n’avoir
aucun conflit d’intérêts.
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