L`étonnante croissance des ONG humanitaires françaises au regard

Journée de Recherche « Quel management pour les associations ? »
12 Janvier 2006, IAE de Tours
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L’étonnante croissance des ONG humanitaires
françaises au regard de leur situation de gestion : Un
exemple d’entrepreneuriat institutionnel ?
Erwan QUEINNEC
Maître de conférences en sciences de gestion
Université Paris 13, Chercheur au CREGEM.
Adresse personnelle : 31 Avenue de Genestet, 30.320 MARGUERITTES
Téléphone : 04.66.01.81.73 ou 06.67.53.20.85
L’étonnante croissance des ONG humanitaires françaises au regard de leur situation de
gestion : Un exemple d’entrepreneuriat institutionnel ?
Résumé
Durant les trente dernières années, les ONG « humanitaires » françaises (nées dans le sillage de Médecins
Sans Frontières, 1971) ont connu une croissance de leurs ressources financières aussi importante que
surprenante au regard de leur situation de gestion initiale. Ces associations sont en effet des organisations
(largement) privées dont la vocation peut être qualifiée de publique (service gratuit d’aide « d’urgence »
apporté à des populations en détresse), ce dont résulte une déconnexion entre ressources obtenues et utilité
produite, entre « évaluation de l’organisation » et « évaluation des opérations ». Si les organisations
humanitaires sont parvenues à se rendre désirables au point de compter parmi les associations françaises les
plus importantes, c’est qu’elles ont su parer leur action d’une attractivité symbolique considérable, relevant
pour partie d’un ancrage traditionnel dans le registre de la charité et pour l’autre d’un véritable travail
d’innovation conceptuelle, légitimant l’indétermination de leur projet. Les ONG ont en quelque sorte
« enacté » un environnement bienveillant à leur endroit, à la faveur d’un contexte socio-géopolitique
porteur et sur la base d’un management proactif (dont la décision de solliciter les donateurs par
publipostage – le marketing direct - est emblématique). De proche en proche, elles ont mis à profit leur
liberté de conception et de mise en œuvre opérationnelles pour formaliser leurs apprentissages de ce
« qu’aider veut dire », transformant progressivement leur vocation humanitaire en une profession
spécifique. Ce faisant, elles ont contribué à convertir leur environnement à la problématique de l’évaluation
de leur action, une évolution porteuse de menaces (contraintes opérationnelles accrues, risque de
réputation) autant que d’opportunités (valorisation d’une expertise humanitaire), rétroagissant sur leur
situation initiale (les ONG confrontées à la triple problématique de l’évaluation, de la normalisation et de la
certification de la qualité de leur service d’assistance).
Cette rétroaction se devine dans la (relative et progressive) rationalisation de l’aide dispensée par les
associations, dans leur tendance à substituer du « contractuel » au « communautaire », dans leur
structuration, aussi. Il reste cependant beaucoup à faire pour mieux situer et documenter cette analyse du
fait ONG (en termes de collecte comme d’analyse de données empiriques et théoriques), envisagé au
travers du prisme d’un savoir en gestion.
Il est tentant, enfin, de suggérer une vision de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) en termes
inspirés de la situation de gestion des ONG, sans dépasser le stade d’un questionnement – nous l’espérons –
stimulant. Ne peut-on voir dans la RSE une tentative de légitimation de l’ambiguïté téléologique des
entreprises, à même d’aller dans le sens des intérêts de son management ? Le « sous-jacent » idéologique
de la théorie des parties prenantes ne tendrait-il pas à cultiver une vision dépendante de ces dernières, à
l’instar de la situation dans laquelle sont (a priori) les bénéficiaires de l’aide humanitaire, par rapport aux
ONG ? Là encore, il y a plus à dire mais la piste de recherche suggérée nous semble défendable.
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La notion d’ONG (organisation non gouvernementale ») à laquelle le titre de cette
communication fait référence est par constitution même, floue. Il s’agit pourtant d’une
entité connue, presque familière : si son succès demeure inégal dans le champ
scientifique (cela dépend beaucoup des disciplines envisagées), les publications de nature
plus éditoriale en font souvent un élément discriminant de notre contemporanéité socio-
économique.
Mais que (ou qui) sont elles ? Des associations sans but lucratif, certainement et ce
quel que soit l’espace juridico-légal dont elles sont issues. Pour le reste, leur
dénomination même trahit un défaut de définition. Le terme ONG étant de genèse
« supranationale » (il naît dans la Charte constitutive de l’Organisation des Nations
Unies), il désigne des organisations « citoyennes » ayant vocation à traiter d’affaires
internationales. Historiquement, c’est à l’aide aux pays en développement (l’ex « tiers
monde ») que les plus connues d’entre elles ont consacré leur activité. Mais au vrai, le
périmètre de leur définition peut faire l’objet d’acceptions plus larges (ainsi qualifie t-on
souvent d’ONG tel groupement communautaire ou association de solidarité locale).
La singularité de leur vocation autant que l’histoire du développement de certaines
d’entre elles –notamment les ONG « humanitaires » françaises- élit presque
naturellement ces organisations au rang de curiosité scientifique, dans le champ des
sciences de gestion. C’est pourquoi un ouvrage spécifique leur a récemment été consacré,
dont le contenu de cette communication s’inspirera largement1 (Quéinnec et Igalens,
2004).
Il s’agit d’essayer de comprendre la situation de gestion2 des ONG humanitaires
françaises au travers d’une articulation de références théoriques et empiriques, dont nous
essaierons ici de proposer une synthèse, moins dans le but d’éprouver une « théorie »
explicative du fait ONG que dans celui de stimuler une réflexion congruente avec les
objets de recherche dont les sciences de gestion ont vocation à s’emparer. Il reste en effet
beaucoup à défricher pour affiner -– voire amender- la connaissance que nous avons de
l’intimité managériale comme de la nature institutionnelle de ces organisations.
1 Et auquel nous renvoyons le lecteur pour plus de détails et d’arguments (empiriques et bibliographiques)
2 Notion que nous entendons au sens de Girin (1990).
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Certains arguments et observations peuvent en l’état être intégrés en une « trame
théorique », permettant de comprendre l’important développement des ONG
humanitaires françaises, tout au long de ces trente dernières années : la croissance de ces
organisations peut en effet sembler étonnante, au regard de la singularité de leur situation
de gestion (première partie) ; elle appelle une analyse en termes de stratégie
d’institutionnalisation, laquelle rétroagit sur la situation de gestion des ONG, en la
durcissant (deuxième partie). Une troisième partie (d’ambition moindre) se bornera à
soulever la conjecture suivante : si la croissance des ONG leur vaut parfois d’être
assimilées à des entreprises, la « responsabilité sociale » auxquelles ces dernières sont
opiniâtrement invitées ne procèderait elle pas d’une sorte d’isomorphisme mimétique (au
sens de DiMaggio et Powell, 1983), inspiré du modèle associatif ? Nous donnerons
quelques indices de cette hypothétique convergence.
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1 - LES ONG : UNE CROISSANCE CONSIDÉRABLE ET A PRIORI
ÉTONNANTE :
Les ONG sont des associations dont la finalité peut être qualifiée de « service
public » puisque résidant en une assistance au sens large, gratuitement apportée à des
populations nécessiteuses. A partir de ce socle, il est loisible d’identifier plusieurs idéaux
types d’ONG :
associations d’aide en France (Restos du Cœur) ou à l’étranger (Médecins Sans
Frontières)
associations opérationnelles (organisant des projets concrets d’assistance :
campagnes de vaccination, par exemple) ou de sensibilisation (organisant des
campagnes d’information ou de mobilisation de l’opinion publique)
associations d’urgence (assistance à des populations victimes de catastrophes
naturelles ou humaines), de réhabilitation (reconstruction post catastrophe) ou de
développement (aide à des populations vivant en contexte socio-économique
stable).
D’autres critères de classification sont bien entendu possibles mais apparaissent
moins généraux (référence explicite de l’association à une idéologie, une religion, un
métier, etc.). En pratique, la plupart des ONG constituent des hybrides des trois idéaux
types susmentionnés. En France, toutefois, celles dont la notoriété est la plus importante –
les associations qui ont été tôt qualifiées « d’humanitaires »- se sont d’abord dédié à
l’action d’urgence (en particulier médicale) dans un certain nombre de pays plus ou
moins régulièrement affectés par des « crises » d’origine naturelle ou politique. C’est à
ces dernières que le propos de cet article est consacré.
Comme en atteste le tableau 1 ci dessous, les plus grandes OSI françaises ont
aujourd’hui atteint une taille considérable. Or, elles n’étaient à l’origine que de petites
associations « ordinaires » (« structures entrepreneuriales » au sens de Mintzberg, 1982).
Eu égard au volume des ressources qu’elles collectent aujourd’hui et à leur (relatif) jeune
âge, leur croissance a donc été importante. C’est ce que confirme le tableau 2, lequel
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prend en compte les ressources de l’ensemble des OSI françaises sur la période 1985-
2001.
Tableau 1 : indicateurs de taille et de croissance des cinq plus grandes OSI
françaises (source : Observatoire de l’Action Humanitaire, www.observatoire-
humanitaire.org)3
Principales OSI
françaises (date
de constitution)
Vocation
prioritaire
Budget annuel
(millions d’euros
et exercice de
référence)
Croissance
moyenne
annuelle des
ressources
financières
(période récente)
Fonds privés /
total ressources
collectées
Médecins Sans
Frontières
(1971)
Aide humanitaire 96,3 (2002) 8,7%
(1995-2002)
89% (2002)
Handicap
International
(1982)
Aide humanitaire 52,3 (2003) 16,1%
(1995-2003)
70% (2003)
Médecins Du
Monde
(1980)
Aide humanitaire 46,1 (2002) - 2,6%
(1993-2002)
70% (2002)
Comité
Catholique contre
la Faim et pour le
Développement
(1961)
développement 35,3 (2003) 2,2%
(1994-2003)
91% (2003)
Action contre la
Faim
(1979)
Aide humanitaire 35,1 (2003) 1,7%
(1995-2003)
35% (2003)
3 Ce tableau ne recense que les associations dont la solidarité internationale constitue l’essentiel de
l’activité. Il exclut donc des organisations importantes qui, telles le Secours Catholique, le Secours
Populaire ou la Croix Rouge française, ne consacrent qu’une part secondaire de leurs ressources aux
interventions à l’étranger.
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