Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Extrait du Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique
http://www.systemique.be/spip
Les enfants de parents
malades mentaux : de la
parentification à la souffrance
psychique
- Réseau de savoirs - SAVOIR THÉORIQUE EN RÉSEAU - Échanges à partir d'articles , bibliothèque, dictionnaire et concepts de la systémique -
Article donné par son auteur pour stimuler des échanges -
Date de mise en ligne : dimanche 26 octobre 2008
Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique
Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 1/27
Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
<h3 class="spip">Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique </h3>
Yves-Hiram Haesevoets ¨
<h3 class="spip">Introduction : lenfant mitigé au risque de la maladie mentale </h3>
La situation des enfants de parents malades mentaux est à la fois très complexe et variée. Voici loccasion de faire le
point sur un sujet délicat et méconnu, voire tabou. Le cancer, la sclérose en plaques, les pathologies psychiatriques
ou infectieuses sont autant de maladies qui peuvent avoir des répercussions indirectes importantes auprès des
enfants des personnes malades. Lorsquon envisage un problème pathologique chez un parent, il est rare de penser à
la maladie mentale. On se réfère plus généralement à une affection chronique (une maladie physique, un cancer, une
infection sévère ou un accident somatique), quà une affection psychiatrique, considérée encore aujourdhui comme
un tabou dans une société qui prône la normalité, la soumission à la règle et le conformisme.
Néanmoins, limpact dune maladie mentale dun parent sur son enfant est dautant plus considérable quelle nest
pas toujours diagnostiquée avec rigueur. Des intervenants et des associations sen inquiètent et tentent dapporter
leur soutien à des enfants qui en ont concrètement besoin. Pourtant, peu décrits et détudes scientifiques existent à
ce propos.
Très singulière, la destinée des enfants de parents malades mentaux (surtout psychotiques) connaît des
développements très divers. Ainsi, le père fondateur de la « psychologie analytique », Carl Gustav Jung (1875-1961) a
lui-même souffert dune enfance difficile auprès dune mère folle qui se disputait avec son père tout en faisant tourner
les tables. Sujet à des syncopes, il était hanté par la vision quil avait eue en rêve dun Dieu déversant ses excréments
sur le sommet dune cathédrale. Il dit un jour à Freud quayant été victime enfant dune agression sexuelle  un prête
sans doute  il en avait conçu un dégoût des amitiés masculines. Sans renoncer ni au spiritisme ni à loccultisme, Jung
exerça à la clinique du Burghölzli de Zurich, sous la houlette dEugen Bleuler, inventeur des notions de schizophrénie
et dautisme. Dauphin de Freud de 1906 à 1913, il fut alors lartisan dune ouverture de la psychanalyse à la clinique
de la folie, terre promise rêvée par Freud.
Dans une famille chaotique, perturbée ou enchevêtrée, les transactions psychopathologiques « contaminent » le
développement et le fonctionnement psychiques de lenfant. Au plan clinique, la notion de « délire à deux » est
souvent décrite dans la littérature psychiatrique pour comprendre les mécanismes sous-jacents aux transactions
intrafamiliales dallure psychotique. Dans lhistoire de la psychiatrie, les premiers aliénistes français envisagent « la
folie à deux » (personnages) comme la résultante dune « aliénation familiale », dun « mythe » ou dun « délire
familial ». Transposé par les systémiciens, ce concept nous permet aujourdhui de mieux appréhender une certaine
réalité du vécu de ces enfants et des transactions particulières quils subissent.
Lorsquun enfant mineur doit faire face à la maladie dun parent, les rôles sinversent ou se transforment. Vivre avec
un parent malade mental (ou des parents malades mentaux) est loin dêtre une sinécure pour lenfant. De manière
souvent précoce, ce dernier sinterroge sur le normal et le pathologique. Cest souvent avec beaucoup danxiété (et
donc de manière très problématique) que lenfant sidentifie à son parent malade et essaye de le comprendre. Aux
côtés dun parent psychotique qui souffre de crises paranoïaques ou de dépression grave, certains enfants vivent un
véritable enfer ou subissent des mauvais traitements physiques et/ou psychologiques. Dautres remplissent un
véritable rôle thérapeutique ou contra-phobique, jusquà diminuer les angoisses qui envahissent le psychisme de leur
parent. Autrement dit, ils prennent sur eux. Quelques-uns se « parentifient » et deviennent le relais social avec
lextérieur. Selon les vicissitudes de lexistence et la nature des transactions intrafamiliales, des enfants
décompensent et « portent » à leur tour la maladie de leur parent. Dans certains contextes plus psychopathologiques
où les transactions intrafamiliales sont très perturbées, voire chaotiques, perverses et/ou délirantes, lenfant peut
devenir « patient désigné » et/ou « malade » par procuration.
Lenfant ne participe pas toujours aux délires de persécution ou aux « bizarreries » de son parent malade. Il peut être
vecteur de réalité pour un parent qui justement ne trouve plus ses repères et se sent coupé du réel. Dans de
Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 2/27
Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
nombreuses situations et presquà linsu de son plein gré, le « protégé » devient aussi « protecteur », « thérapeute »
ou « aidant ». Lenfant ou ladolescent doit alors prendre des responsabilités qui ne sont pas de son âge, dans un
contexte psychologique particulier.
Combien denfants doivent endosser des responsabilités matérielles et psychologiques importantes du fait de la
maladie dun proche ? Cette question, largement débattue dans les pays anglo-saxons, ne semble pas avoir fait
lobjet détudes approfondies en Belgique ou en France. Nul doute pourtant que laugmentation du nombre de familles
monoparentales et la réduction des durées dhospitalisations (même psychiatriques) accentuent encore ce
phénomène. Les dispositifs daide sont insuffisamment développés ou nexistent pas.
Si les bonnes volontés ne manquent pas, ni les réseaux daide aux familles, aucun organisme ne fédère ni ne
renseigne sur les initiatives capables daider les enfants chargés de responsabilités de soutien de leur proche. Les
associations sont plus tournées vers laide aux parents dun enfant malade, que vers les enfants dun parent malade.
Quelques initiatives existent. En Belgique, certains Centres de santé mentale ont tenté de créer des groupes de
parole pour enfants de parent malade mental, mais les pouvoirs publics nont pas suivi lidée.
De la psychose maniaco-dépressive à la névrose dangoisse, en passant par les troubles de la personnalité, les
phobies, les troubles obsessionnels, les bouffées délirantes, les attaques de paniques, les crises paranoïaques, les
états limites, les flambées de violence,& les affections mentales sont très variées. On ne connaît pas toujours
lévolution dune maladie mentale, ni son issue. Malgré les progrès considérables de la psychiatrie, de la
pharmacologie et des neurosciences, ces pathologies du psychisme ne sont jamais faciles à diagnostiquer ou à
traiter. Parfois sujette à controverse, la nomenclature des maladies mentales est de plus en plus complexe. Pour
certains, il existe autant de maladies mentales que de malades mentaux.
Indépendamment de la pénibilité de leur existence, ces enfants ont besoin de réponses et de soutien thérapeutique,
non seulement pour comprendre, mais également pour survivre psychiquement.
Confrontés de manière quotidienne à la maladie mentale de leur parent, ces enfants ne mènent pas une existence
ordinaire à laquelle ils aspirent pourtant. Ils affrontent aussi le regard des autres. En grandissant avec la maladie de
lautre, ils finissent toujours par se questionner.
Qui est normal ?
Qui est pathologique ?
Quest-ce quune maladie mentale ?
Et comment sen accommoder ?
Est-ce transmissible ?
Suis-je aussi mentalement perturbé ?
Suis-je fou à la place de lautre ?
Quelles sont les conséquences de la maladie sur mon vécu ?
Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 3/27
Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
Comment soigner la souffrance psychique ?
Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre suivant différents axes, afin notamment de mieux
comprendre ce que vivent ces enfants. Premièrement, il importe de définir ce que nous entendons par le « normal » et
le « pathologique », le sens du symptôme en psychopathologie, la manière dont une personnalité se structure au plan
psychique et les fondements de la « maladie mentale » (névrose, psychose et état limite). Deuxièmement, nous
tenterons de mieux cerner les conséquences de la maladie mentale sur le vécu de lenfant, la manière dont il
développe certaines « compétences » et évolue avec la maladie de leur (s) parent (s). Troisièmement, nous
aborderons différents phénomènes concernant les transactions psychopathologiques que subissent ces enfants : la
notion de « délire à deux », comme fondement de laliénation familiale, les concepts denfant-symptôme et de «
patient désigné », les perturbations sur le mode de fonctionnement du système familial, le « double-lien », les troubles
de la communication, le déséquilibre systémique et linversion des rôles, les efforts pour rendre lautre fou, la maladie
mentale comme facteur prédictif de maltraitance et enfin, les troubles dattachement chez la mère psychotique.
Quatrièmement, nous essayerons de comprendre comment les enfants survivent à la maladie mentale dun proche,
de quelle manière ils appréhendent la souffrance psychique et quelles sont les indications en matière de soutien
thérapeutique.
<h3 class="spip">Entre le normal et le psychopathologique </h3>
Tout enfant confronté à la maladie mentale dun proche finit par se poser des questions essentielles et pertinentes :
Qui est normal ?
Qui est pathologique ?
Quest-ce quune maladie mentale ?
Et comment sen accommoder ?
Quest-ce quun symptôme psychologique ?
Pour bien comprendre la maladie mentale et ce que peut vivre un enfant confronté à ce type daffection chez un
parent ou un proche, il importe de comprendre le sens du symptôme en relation, avec la structure de personnalité et
de distinguer le mode de fonctionnement psychique en termes de psychose, de névrose et détat limite.
Par définition, est « normal » celui qui reste adapté à son milieu, qui est soumis aux lois régies par sa communauté,
qui correspond aux normes en vogue dans une société donnée. Est « normal » celui qui ne sombre pas dans la folie,
qui se défend contre la décompensation (névrotique ou psychotique), qui manifeste du caractère contre la survenue
dune pathologie mentale et mobilise. Est plus ou moins « normal » celui qui est capable de mobiliser des
mécanismes de défenses psychologiques suffisamment efficaces lorsquil est confronté à des situations existentielles
difficiles ou pénibles. Est « normal », celui qui est capable de résoudre un problème personnel (désamorcer un conflit
intérieur) ou affronter un problème relationnel (désamorcer un conflit extérieur) en faisant appel au soutien dautrui
et/ou qui est capable de mobiliser des « forces » psychiques suffisantes (ressources intérieures).
Toutefois, il nexiste pas de véritable démarcation entre un individu « normal » (parfaitement sain desprit et
totalement résiliant) et un individu (névrosé) qui rencontre une période difficile dans lexistence, qui traverse une crise
ou qui souffre de tel ou tel problème psychologique. Il existe un étroit passage entre normalité et pathologie suivant le
degré de permanence (momentané, ponctuel, état de crise, prolongé ou chronique) de létat plus ou moins
psychopathologique du sujet. A tout moment un individu sain peut « pénétrer » dans cet état, ou en sortir. Suivant le
degré de décompensation, lintensité de lévénement qui le perturbe, la mobilisation de ses mécanismes de défense
et le type de structure de sa personnalité, un individu peut souffrir de manière névrotique (répétition compulsive dun
Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 4/27
Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique
symptôme) ou psychotique (délire, rupture avec la réalité, déni du réel), et parfois mobiliser des défenses psychiques
inadaptées (perversion dobjet, clivage du Moi) ou réagir dangereusement (conduites destructrices, psychopathie,
attitude perverse, passage à lacte).
La psychologie clinique établit une typologie psychopathologique entre les névroses et les psychoses, afin dapporter
des nuances aux différents tableaux rencontrés. Calquée sur le modèle du diagnostic médical, cette schématisation
psychiatrique risque de classifier les individus suivant des petites « cases » nosographiques comme dans le DSM V-R
(la « bible » de la psychiatrie anglo-saxonne qui propose une classification des maladies mentales suivant différents
critères diagnostiques) et de perdre en nuance au plus grand détriment du sujet lui-même. De manière un peu
caricaturale, le névrosé serait celui qui prend conscience de sa propre souffrance, de ses symptômes et/ou qui
tenterait de sen sortir en cherchant à résoudre ses conflits intérieurs. En revanche, le psychotique serait le « fou » au
sens clinique du terme, cest-à-dire laliéné mental dautrefois. Même parfois insensés et incompréhensibles, les
symptômes ont pourtant du sens et servent aussi de « béquilles » psychiques à celui qui souffre.
Par définition, est « pathologique » celui qui se fait rejeter parce quil ne peut (ou ne parvient pas) à résoudre
intérieurement ses conflits, cest-à-dire celui qui reste en conflit avec lui-même et/ou avec les autres, celui qui reste en
état dinadaptation relationnelle et sociale, celui qui a perdu certains repères, celui qui est déstructuré mentalement et
ne parvient plus à communiquer plus ou moins « normalement », celui qui est totalement dépassé par sa propre
souffrance et souffre dune importante désespérance. Confronté à un mal intérieur qui le ronge ou à des angoisses
envahissantes, le sujet « pathologique » doit parfois entrer dans un état important de perturbation psychique (crise de
décompensation) avant de « retrouver ses esprits » (se réconcilier avec son moi profond) et entamer lentement un
processus de guérison (retrouver un certain équilibre psychique et un bien-être psychoaffectif). Le pathologique
signifie plus que lanormalité, à laquelle il ne se réduit pas. Un individu, une situation exceptionnelle ou étrange
peuvent paraître parfaitement « normal » : le génie, les sextuplés, quoique rarissimes, ne sont pas des phénomènes
morbides. Tandis que lanormal est ce qui dévie considérablement de la moyenne statistique. Le pathologique est ce
qui provoque la souffrance de lindividu (lésion organique, complexe psychologique, trouble existentiel, deuil
pathologique, mélancolie, compulsion obsessionnelle, angoisse dépressive, etc.).
Par définition, est « pseudo normal » celui qui aménage banalement une partie de sa personnalité, mais sans
résoudre en profondeur ses difficultés, cest-à-dire celui qui joue à la personne hypernormale, effacée, peu expressive
et conformiste, qui entretient une pseudo stabilité dans sa vie, mais qui fonctionne de manière immature, sans
véritables relations, en évitant de se remettre en question. Le sujet évite ainsi les questions périlleuses qui pourraient
déclencher un processus symptomatique comme la dépression. En évoluant dans une espèce de médiocrité
psychique et intellectuelle, le sujet évite à tout prix la dépression ou dautres symptômes. Il manifeste parfois un «
faux-self » de survie.
<h3 class="spip">Le sens du symptôme en psychopathologie</h3>
Au plan psychodynamique, le symptôme nest pas le signe dune maladie, mais plutôt lexpression dune souffrance
liée à un conflit inconscient. Le symptôme est donc porteur de sens (caché, non révélé à la conscience). Il peut
correspondre à un épisode ou à une crise, sans pour autant appartenir à toute structure de type névrotique ou
psychotique. On évoque alors un symptôme dallure névrotique ou psychotique, plutôt quun symptôme de structure,
cest-à-dire un symptôme incorporé à lorganisation même de la personnalité humaine. Il faut éviter dutiliser des
étiquettes pseudo diagnostiques et faire la distinction entre les épisodes, qui sont des états momentanés au cours
desquels le Moi na pas encore achevé sa maturation et instauré ses limites, et une défense symptomatique dune
structure névrotique ou psychotique. Par exemple, le symptôme de conversion hystérique, généralement tenu pour
simulation, est en fait une pantomime du désir inconscient ou de la réalisation dun fantasme inconscient, expression
du refoulé à forte connotation sexuelle. Selon Lacan, le symptôme va dans le sens dun désir de reconnaissance non
reconnu, dans la mesure où ce désir reste exclu, refoulé. Le symptôme réel est celui qui appartient à la structure de la
personnalité et qui génère des défenses psychiques de type névrotique contre langoisse, ou de type psychotique
contre la menace de morcellement et déclatement du Moi.
Copyright © Espace d'échanges du site IDRES sur la systémique Page 5/27
1 / 27 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !