Un régime issu de la guerre
Quand la réunification se fait par le Nord, c’est un gouvernement de guerre qui est à la
manœuvre. L’économie, les institutions, la société, tout au Nord-Viêt Nam était pensé en
fonction des exigences du conflit. Les destructions issues de la guerre ont donc lourdement
pesé sur la réunification et le développement économique du pays. Contrairement à la
réunification allemande, par exemple, ce n’est pas la partie la plus prospère du pays qui
réunifia la nation. Mais, au contraire, la réunification eut lieu sous la houlette d’un Nord-
Viêt Nam, sorti exsangue du conflit et plus rural que son voisin du Sud. «Après la guerre
d’Indochine et la guerre du Viêt Nam, c’est un pays exsangue qui a été réunifié en 1975. On
évalue au moins à un million le nombre de morts et l’agriculture a été ruinée par les
bombardements au napalm et de défoliants»[7]. Le sud du pays, le poumon économique du
pays, est lui aussi sorti ruiné du conflit. «En 1975, Saïgon comptait 1,5 million de
chômeurs, 350 000 mutilés, un million de veuves et autant d’orphelins, 250000 toxico-
manes. Dans les campagnes, un tiers des terres sont gâtées, 9000 villages détruits en tout ou
en partie, des millions d’hectares stérilisés par les défoliants[8]. » Ces conditions ont pesé sur
le Viêt Nam réunifié.
Le pays n’a pas pu, dans ces conditions, appliquer, quand bien même l’aurait-il voulu, le
modèle de développement des «Tigres d’Asie» (Corée du Sud et Taiwan notamment). En
effet, on estime bien souvent que la première étape du décollage économique des pays
d’Asie orientale a reposé sur une hausse de la productivité agricole. Les surplus agricoles ont
permis d’augmenter le niveau de vie et de libérer une part de la population pour des acti-
vités non agricoles mais aussi de générer des profits qui allaient être par la suite réinvestis
dans les industries légères d’exportation. C’est ce schéma qu’on a pu constater notamment
à Taïwan à partir des années 1950 avec la politique de redistribution des terres, et aussi en
Corée du sud. Il ne faut pas oublier ainsi qu’en Chine, la première étape des réformes
économiques avait consisté à autoriser la production agricole issue de parcelles privées[9].
Or, dans le cas vietnamien, tout cela devient impossible du fait des destructions des terres
cultivables consécutives au conflit.
Si le conflit a laissé des traces dans le sol, il a également durement touché la population.
La réunification du pays marque pour les autorités communistes le lancement d’une
nouvelle bataille, celle contre la pauvreté. Or, force est de constater que le conflit a laissé des
séquelles dans la population, qui a perdu une part importante de ses actifs et qui compte de
L’ÉVOLUTION DU PARTI COMMUNISTE VIETNAMIEN
7. Ibid.
8. Ibid.
9. Sur l’importance des réformes agricoles dans le décollage économique de la Chine, voir notamment ZHAO
Ziyang, Prisonner of the State, Simon & Schuter, New York, 2009.
N° 48
57
dossier