L`Accord comme opération syntaxique distincte - ArtSites

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L’Accord comme opération syntaxique distincte
Brandon J. Fry
Laboratoire syntaxe-sémantique, Département de linguistique, Université d’Ottawa
[email protected]
7 novembre 2015
1 Introduction
— Les phénomènes d’accord sont très répandus dans les langues (encore plus si nous considérons que la
concordance et la sélection catégorielle sont essentiellement des phénomènes d’accord). Ici, nous nous
intéressons à l’accord concernant les traits φ (personne, nombre, genre).
— Nous soutenons que l’accord est bel et bien un phénomène proprement syntaxique, en dépit de propositions qui voudraient que l’accord ait lieu dans une composante postsyntaxique de la grammaire.
— Nous soutenons également que l’Accord (Agree (Chomsky 2000)) est une opération grammaticale
distincte de la Fusion (Merge (Chomsky 1995)).
2
L’accord : phénomène syntaxique ou postsyntaxique ?
— Traditionnellement, ces phénomènes sont traités en termes syntaxiques. Cependant, quelques chercheurs soutiennent que l’accord n’est pas proprement syntaxique, mais a lieu dans une composante
postsyntaxique de la grammaire.
2.1
L’Accord
— Chomsky (2000) propose que l’opération Accord est le mécanisme syntaxique responsable des phénomènes d’accord.
(1)
(2)
Accord
α s’Accorde avec β ssi
a. α (la sonde (probe)) porte un trait ininterprétable/sans valeur [F :
] et β (la cible
(goal)) porte un trait interprétable/avec valeur du même type [F : val] ;
b. α c-commande β ;
c. il n’existe pas de γ portant un trait interprétable/avec valeur du même type [F : val] tel
que α c-commande γ et γ c-commande β.
a.
there
were
1
SN
SP
two men
in the garden
Fry : L’accord
ALPA 39
b.
SN
deux hommes
2.2
étaient
SN
SP
deux hommes
in the garden
Le cas morphologique et l’accord
— Bobaljik (2008) propose que l’accord n’est pas un phénomène proprement syntaxique mais devrait
être traité dans la composante phonologique (PF) de la grammaire.
— L’argument concerne l’ordre des opérations.
— Marantz (1991) propose que le cas morphologique n’est pas attribué dans la syntaxe propre mais
plutôt dans une composante postsyntaxique.
— L’islandais présente toutes les propriétés liées au Cas abstrait (e.g., le déplacement-A) mais le cas
morphologique porté par un SN n’est pas strictement déterminé par son Cas abstrait.
(3)
Fiskinum er talið
[ fiskinum hafa
verið hent
fiskinum ]
the.fish.dat is believed
have.inf been discarded
‘The fish is believed to have been discarded.’
(adapté de Preminger 2011 : 136)
— Le verbe hent attribue de façon idiosyncratique le cas morphologique datif à son patient.
— Marantz (1991) propose que le cas morphologique est déterminé dans une composante postsyntaxique parce que le cas morphologique ne détermine jamais l’application d’une opération syntaxique.
— Bobaljik (2008) présente certains phénomènes d’accord qui ont lieu si et seulement si un SN porte un
certain cas morphologique.
— En islandais, le SN qui porte le cas nominatif, qu’il soit le sujet ou l’objet, détermine l’accord du
verbe.
(4)
(5)
Það líkuðu einhverjum Þessir sokkar
expl liked.pl someone.dat these socks.nom
‘Someone liked these socks.’
(Bobaljik 2008 : 298)
Um veturinn voru
konunginum gefnar ambáttir
In the winter were.pl the king.dat given slaves.nom
‘In the winter, the king was given slaves.’
(Bobaljik 2008 : 298)
— Si l’accord dépend du cas morphologique et que le cas morphologique est déterminé dans la composante phonologique (Marantz 1991), alors l’accord doit aussi avoir lieu dans une composante
postsyntaxique.
— Cependant, Preminger (2011) soutient que le déplacement du sujet vers sa position canonique (i.e.,
le spécifieur du SF) est déterminé par le cas morphologique.
— La construction suivante est impossible parce que le SN «Marie» est plus accessible à F mais c’est
le SN «Jean» qui porte le cas nominatif.
(6)
?* Jean semble [à Marie] [Jean avoir du talent]
— Si le dépacement, un phénomène véritablement syntaxique, dépend du cas morphologique, alors le cas
morphologique doit avoir lieu en syntaxe propre. La prémisse de l’argument de Bobaljik (2008) est
fausse, alors l’argument n’est plus valide.
2
Fry : L’accord
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ALPA 39
L’Accord : une opération distincte
3.1
L’Accord est distinct de la Fusion
— Hornstein (2009) soutient que l’Accord n’est pas nécessaire : les phénomènes d’accord peuvent être
analysés comme une configuration structurale donnée par une application de la Fusion.
— Hornstein (2009) propose que l’Accord est redondant dans sa fonction de créer des relations à
distance dans les structures syntaxiques : si la Fusion peut être interne ou externe, alors son
application interne est capable de créer des relations à distance. 1
— En particulier, la Fusion interne peut mettre en relation un sytagme déplacé vers le spécifieur
d’une projection et la tête de cette projection. (C’est de nouveau la relation spécifieur-tête.)
— Cependant, il y a de bonnes raisons de croire que la Fusion et l’Accord sont deux opérations
distinctes.
— Alors que la Fusion peut être externe ou interne, l’Accord est toujours interne : l’Accord met
toujours en relations deux éléments qui font déjà partie d’une structure syntaxique.
— Même si l’élément qui détermine l’accord du verbe fait surface dans une position depuis laquelle
il c-commande le verbe (e.g., (2b)), la position de base de cet élément est toujours c-commandé
par la sonde.
— Dans certains cas, il est très difficile de proposer une analyse en termes de spécifieur-tête.
— Dans l’exemple suivant, de l’algonquin, le verbe dans la proposition principale s’accorde avec
le sujet de la proposition principale (1re personne) et le sujet de la proposition enchâssée (2e
personne).
giibashkizwaadj
(7) ggikenimin
gii-bashkizw-aa-d
gi-gikenim-in
2-know.vta-dir.1(ind) past-shoot.vta-2>3(conj)
‘I know that you shot him.’
(Lochbihler et Mathieu To appear : 23)
— Une analyse en termes de spécifieur-tête voudrait que le sujet de la proposition enchâssée se
déplace vers le spécifieur du Sv principal.
(8) gi [SC pro2 [ pro1 gikenimin [SC pro2 giibashkizwaadj pro3 ] ] ]
— Cette analyse prédit que ce SN pro2 peut se déplacer vers une phrase encore supérieure pour
déterminer l’accord du verbe. Branigan et MacKenzie (2002) montrent que cette prédiction se
révèle comme étant fausse.
— Une analyse selon Hornstein (2009) de ces constructions d’accord à longue distance n’est pas
valide.
— Rezac (2010) découvre que les pronoms (y compris les pronoms faibles, les clitiques) autorisent la
présence de quantificateurs flottants (QF) mais l’accord ne les autorisent pas.
3.2
(9)
clitique... QF ... objet
Quand on lesi a tousi interrogés euxi aussi, nous avons clos l’enquête.
(10)
accord... QF ... sujet
* Quand onti tousi été interrogés euxi aussi, nous avons clos l’enquête.
Un argument de l’évolution : «All you need is Merge !»
— Certains chercheurs (e.g., Hornstein (2009), Boeckx (2015)) proposent que les opérations grammaticales doivent être très peu nombreuses parce que le langage s’est émergé très récemment chez les
humains (il y 200 000 ans). Cette courte période n’aurait pas permis l’évolution de plusieurs opérations
syntaxiques.
— Cependant, de nouveaux mécanismes n’apparaissent que très rarement. Il est plus plausible que
l’Accord a été adapté par le langage mais a son origine dans une autre faculté cognitive (e.g.,
la reconnaissance visuelle).
1. Voir aussi Chomsky (2013).
3
Fry : L’accord
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Conclusion
— Le cas morphologique détermine certaines opérations syntaxiques, alors il doit avoir lieu en syntaxe
propre. Il n’y a donc pas de bonnes raisons de croire que l’accord n’est pas syntaxique.
— Il existe plusieurs distinctions entre la Fusion et l’Accord, y compris leurs domaines d’application
et leur capacité d’autoriser les quantificateurs flottants.
— L’Accord est bel et bien une opération syntaxique et indépendante.
Références
Bobaljik, Jonathan David. 2008. Where’s phi ? Agreement as a post-syntactic operation. Dans Phi-theory :
phi features across interfaces and modules, sous la direction de Daniel Harbour, David Adger, et Susana
Béjar, 295–328. Oxford : Oxford University Press.
Boeckx, Cedric. 2015. Elementary syntactic structures : prospects of a feature-free syntax. Cambridge and
New York : Cambridge University Press.
Branigan, Phil, et Marguerite MacKenzie. 2002. Altruism, A′ -movement, and object agreement in Innuaimûn. Linguistic Inquiry 33 :385–407.
Chomsky, Noam. 1995. The minimalist program. Cambridge, MA : MIT Press.
Chomsky, Noam. 2000. Minimalist inquiries : the framework. Dans Step by step. Essays on minimalist
syntax in honor of Howard Lasnik, sous la direction de Roger Martin, David Michaels, et Juan Uriagereka,
89–155. Cambridge, MA : MIT Press.
Chomsky, Noam. 2013. Problems of projection. Lingua 130 :33–49.
Hornstein, Norbert. 2009. A theory of syntax : minimal operations and Universal Grammar. Cambridge :
Cambridge University Press.
Lochbihler, Bethany, et Éric Mathieu. To appear. Clause typing and feature inheritance of discourse features.
Syntax. Available at : http://ling.auf.net/lingbuzz/002203.
Marantz, Alec. 1991. Case and licensing. Dans Proceedings of the 8th Eastern States Conference on Linguistics
(ESCOL8), sous la direction de German Westphal, Benjamin Ao, et Hee-Rahk Chae, 234–253. Ithaca, NY :
CLC Publications.
Preminger, Omer. 2011. Agreement as a fallible operation. Thèse de doctorat, MIT.
Rezac, Milan. 2010. ϕ-Agree versus ϕ-feature movement : evidence from floating quantifiers. Linguistic
Inquiry 41 :496–508.
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