Contrats de mariage : ce que permet le droit suisse

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CONTRATS DE MARIAGE : CE QUE PERMET LE DROIT SUISSE
On connaît bien la fonction principale d’un contrat de mariage : choisir un régime matrimonial différent de celui proposé par loi. Ainsi
le plus souvent le contrat de mariage vise l’adoption du régime de la séparation de biens, plus rarement celui de la communauté de biens.
Cependant, il faut souligner, et ce sera l’objet du présent article, que d’autres conventions que l’adoption d’un régime matrimonial
particulier peuvent être adoptées dans un contrat de mariage.
L’inventaire des biens des époux
Le contrat sert de preuve pour déterminer la propriété de certains biens des époux. Cette preuve peut être utile non seulement pour
trancher un éventuel conflit entre époux, notamment au moment du divorce, mais également vis-à-vis des tiers : par exemple si Madame
est une collectionneuse avisée d’objets d’arts et que son conjoint fait l’objet de poursuites engagées par des tiers, il est très important
qu’elle puisse faire la preuve que ces objets ne doivent pas être inclus dans les actifs saisis au bénéfice des créanciers de son mari. Tous
les objets pour lesquels une preuve ne peut pas être établie (essentiellement les objets mobiliers car la propriété des immeubles peut être
établie par les inscriptions au Registre foncier) sont considérés comme appartenant pour moitié à chaque époux, ce qui contraindra
l’épouse à racheter aux créanciers de son mari la moitié de sa collection ! La loi encourage l’établissement de ce type d’inventaire
puisqu’elle prévoit qu’un tel document est présumé exact s’il est établi par acte notarié dans le délai d’un an suivant l’acquisition du bien
en question. Selon l’importance des biens, il vaut donc la peine d’établir régulièrement des inventaires (dont le coût est au demeurant
modeste) pour bénéficier de cette présomption d’exactitude.
Les prêts entre époux
Il est possible pour les mêmes raisons d’intégrer et détailler dans le contrat de mariage les éventuelles dettes existant entre les époux.
Cette information permettra au créancier non seulement de faire valoir son droit contre son conjoint en cas de litige, mais il pourra
également l’invoquer en concours avec d’autres créanciers poursuivants. Notons que ces conventions de prêt ne sont pas obligatoirement
soumises à la forme authentique, mais la conclusion d’un contrat de mariage peut être l’occasion adéquate de les formaliser.
Rémunération des prêts entre époux
La loi prévoit dans le régime légal de la participation aux acquêts le droit pour l’époux créancier de bénéficier d’une partie de la plusvalue réalisée par l’époux débiteur (en pratique il s’agit le plus souvent d’une plus-value immobilière). Le législateur considère que la
participation à la plus-value constitue une contrepartie équitable, compte tenu du fait que le prêt a été consenti sans intérêts ni garantie
particulière. Ce système n’est cependant pas impératif : les époux peuvent donc accepter le régime matrimonial de la participation aux
acquêts mais écarter d’emblée, en la forme d’un contrat de mariage, toute participation à la plus-value. Les époux mariés en séparation
de biens ne sont pas soumis de par la loi à un tel système, mais ils restent libres d’indiquer dans un contrat de prêt, même sous seingprivé, qu’une partie de la plus-value bénéficiera à l’époux créancier.
Répartition des tâches au sein du couple
La loi prévoit que les époux peuvent décider de cette répartition, en évoquant notamment les prestations en argent et les soins voués
aux enfants ou l’aide apportée au conjoint dans sa vie professionnelle. Cette convention n’est pas soumise à une exigence de forme ; elle
peut figurer dans un contrat de mariage ou résulter d’un accord séparé, même non-écrit. Ces conventions ne sont pas conclues pour
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toute la durée du mariage ; elles sont sujettes à adaptation selon les aléas de la vie du couple. En particulier en cas de séparation de fait,
et à défaut d’entente entre les conjoints, c’est au juge qu’il reviendra de les adapter, notamment en matière de prestations en argent due
à l’époux en charge des enfants.
Ainsi la convention qu’auront pu passer les époux n’est pas définitive, elle est sujette à adaptation par le juge.
Les conventions anticipées sur l’effet du divorce
Dans le contexte actuel d’anticipation du divorce et de limitation systématique des risques, l’idée de fixer à l’avance les conséquences
d’un divorce fait son chemin dans la pratique. Mais le droit suisse ne reconnaît pas d’emblée de forme contraignante à ce type de
contrat conclu à l’avance, en dehors du contexte d’un prochain divorce. Ces conventions sont certes admises par la loi, même sans la
forme authentique, mais encore faut-il qu’elles soient ratifiées le moment venu par le juge du divorce. Or le juge peut décider de ne
pas la ratifier parce qu’il la juge manifestement inéquitable, ou parce qu’il reçoit de l’un des conjoints la demande de ne pas la ratifier.
Le partage de l’avoir de prévoyance du deuxième pilier
Le montant acquis par les époux pendant le mariage est parfois évoqué dans les contrats de mariage à titre d’information. Rappelons
que l’augmentation de l’avoir de prévoyance des deux époux est partagée par moitié entre les époux en cas de divorce. Cette règle est
indépendante du régime matrimonial choisi par les époux dans leur contrat de mariage, elle subsiste même lorsque les époux choisissent
le régime de la séparation de biens. La loi interdit dans ce domaine toute renonciation anticipée. Lors du divorce les époux peuvent
certes s’entendre pour un mode de partage différent (qui s’écarte d’une stricte égalité ou qui comporte une renonciation complète par
l’un des époux), mais il revient au juge de ratifier ou non cette convention.
Attribution du logement familial et de son mobilier
Les époux peuvent convenir dans un contrat de mariage de renoncer à l’avance à la protection offerte par la loi en faveur du conjoint
survivant marié sous le régime des acquêts. En régime ordinaire, ce dernier peut en effet demander qu’à l’occasion du partage
matrimonial, il reçoive dans sa part un droit d’usufruit sur le logement familial (voir dans certains cas directement la pleine propriété
du logement) et la propriété du mobilier. Par contrat de mariage les époux peuvent à l’avance renoncer à cette protection.
Dispositions pour cause de mort
Les époux peuvent compléter leur contrat de mariage par des dispositions de nature successorale. Il arrive ainsi que les époux ne
souhaitent pas être héritiers l’un de l’autre, auquel cas ils renoncent réciproquement à leur part réservataire de conjoint survivant. Ils
peuvent aussi s’obliger réciproquement à certaines dispositions pour cause de mort (par exemple la transmission du logement familial
et de son mobilier). Ce type de convention doit être passé en la forme qualifiée du pacte successoral, ce qui ne les empêche pas d’être
intégrées au contrat de mariage comme étant matériellement un seul et même document.
Ainsi la conclusion d’un contrat de mariage peut être l’opportunité d’une réflexion approfondie des époux pour évoquer différents
aspects liés du sort de leur patrimoine. Une tendance se dessine du reste pour élargir cette réflexion aux choix très nombreux que
devront faire les époux quant à l’organisation de leur vie familiale, sociale, religieuse et professionnelle, tant pour eux que pour
l’éducation de leurs enfants. Le juge ne peut certes pas être pris à témoin pour exiger l’exécution de ces conventions mais elles ont le
mérite d’élargir d’emblée le dialogue et de débusquer de cruels malentendus.
Etienne JEANDIN - Notaire à Genève
Article publié dans le quotidien « Le Temps » le 15 avril 2013
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