Introduction Extrême Orient et Extrême Occident chrétiens

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L’E GLISE DES 21, DES 3 OU DES 7 CONCILES
Avec la bénédiction du père André Borelly, recteur de la
paroisse Sainte Irénée à Marseille.
Introduction
L’expression l’Eglise des 7 conciles est le sous-titre
donné, pour sa traduction française, au beau livre
« Orthodoxie » de Mgr Kallistos Ware, publié la première
fois en 1963.
Concile Œcuménique de Nicée
1 - On emploie le verbe recevoir ou la
substantive réception pour désigner la
démarche par laquelle le peuple de Dieu
donne son assentiment à la formulation
épiscopale de la vérité. Seuls les
évêques peuvent formuler la pensée de
l’Eglise mais ils ne sauraient asséner la
vérité. Il s’agit encore de réception
lorsqu’au moment d’une ordination, le
peuple clame « Axios », il est digne. Un
autre exemple de réception par les
fidèles est le triple Amen lorsque le
célébrant a achevé l’épiclèse : seul un
évêque ou un prêtre peut prononcer
l’épiclèse, mais le peuple des baptisés
exerce légitimement son sacerdoce
baptismal et chrismal en donnant son
assentiment aux paroles prononcées par
le célébrant. Et prononcer l’anaphore à
voix basse, c’est priver illégitimement le
peuple de Dieu du droit qu’il a d’exercer
son sacerdoce, non pas ministériel, c’est
entendu, mais baptismal et chrismal
Extrême Orient et Extrême Occident
chrétiens
En effet, la désunion des chrétiens, que le mouvement
œcuménique n’a pu surmonter jusqu’à présent, peut se
formuler de la façon suivante. Ce que l’on peut appeler
l’Extrême Orient chrétien, c’est-à-dire les Arméniens
Grégoriens, les Coptes et les Ethiopiens, les Syriens et les
Orientaux de l’Inde constituent l’Eglise des trois
conciles, dans la mesure où ces Eglises ne reconnaissent
comme œcuméniques que les trois premiers conciles :
Nicée I (325), Constantinople I (381) et Ephèse (431). Les
1
chrétiens qui viennent d’être cités n’ont pas reçu le
concile de Chalcédoine (451), pas plus que ceux qui ont
suivis jusqu’au second concile du Vatican compris (19621965). C’est pourquoi on qualifie ces Eglises de
préchalcédoniennes.
A l’opposé de cet Extrême Orient chrétien, il y a ce qu’on
pourrait appeler l’Extrême Occident chrétien formé par le
Protestantisme dont l’ecclésiologie et la théologie de la
sainte Ecriture ont abouti à substituer à l’effort
authentiquement œcuménique pour recomposer en
profondeur l’unité visible et pourtant intérieure de
l’Eglise, la recherche très superficielle, au prix d’un
minimalisme doctrinal et adogmatique, de l’union des
Eglises de telle sorte que le concept même de concile
œcuménique, normatif pour la foi et la discipline
ecclésiale des chrétiens, est désormais considéré comme
hors-jeu.
Catholicisme et Orthodoxie
Restent l’Eglise romaine et l’Orthodoxie. De la première on pourrait dire qu’elle est l’Eglise
des vingt-et-un conciles, et de l’Orthodoxie qu’elle est l’Eglise des sept conciles.
En effet, l’Orthodoxie n’a reçu jusqu’à ce jour comme normatifs parce qu’œcuméniques,
que les conciles suivants : les deux conciles de Nicée (en 325 et en 787) ; les trois conciles
réunis à Constantinople (en 381, 553 et 680-681) ; le concile d’Ephèse (431) et celui de
Chalcédoine (en 451).
L’Eglise catholique, elle, considère
comme
œcuméniques
quatorze
conciles postérieurs à Nicée II, c’est-àdire en tout vingt et un conciles : un
quatrième concile de Constantinople
(en 869-870) ; les cinq conciles du
Latran (en 1123,1139,1179,1215 et
1512-1517) ; les deux conciles qui se
tinrent à Lyon (en 1245 et 1274) ;
celui de Vienne (en 1311-1312) ; celui
de Constance (en 1414-1418) ; le
concile de Bâle-Ferrare-Florence-Rome
(de 1431 à 1445) ; le concile de Trente
(de 1545 à 1563) ; les deux conciles
du Vatican (en 1869-1870 et 19621965). Or, il n’est pas difficile de
comprendre pourquoi les deux parties
du monde chrétien se sont désunies
jusqu’à nos jours sur la question de
savoir quels conciles méritaient la
qualification d’œcuméniques.
LE
P ATRIARCHE DE C ONSTANTINOPLE B ARTHOLOME I ET LE P APE B ENOIT XVI
Il suffit d’être attentif à deux observations.
La première retient le fait que le quatrième concile de Constantinople, réuni en 869-870, et
confirmé par le pape Hadrien II, fut dirigé contre le patriarche Photios 1er (né vers 810 et
mort vers 893) patriarche de Constantinople de 858 à 867, puis de 877 à 886, accusé par
les Latins d’être responsable du premier conflit ouvert entre Rome et Constantinople, alors
que, dès la fin du 10ème siècle, l’Eglise orthodoxe compta Photios parmi les saints et les
Pères de l’Eglise : le synaxaire mentionne sa fête à la date du 6 février. Peut-il y avoir, dans
l’Eglise, une plus grande déchirure de la tunique sans couture du Christ que celle
consistant à proposer en exemple d’orthodoxie et de piété un évêque accusé par d’autres de
schisme ? Corruptio optimi pessima, dit le proverbe : il n’y a rien de pire que la corruption de
ce qu’il y a de meilleur. Or, le meilleur est ici le fait que le ministère épiscopal a pour mission
essentielle de garantir à l’Eglise locale dont l’évêque est le bon berger, le bon pasteur, la
présence vivante de la Tradition apostolique.
-2-
De nos jours où tant de couples, hélas, cessent de s’aimer et finissent par divorcer, ce n’est
pas au moment précis où un magistrat déclare dissout le lien conjugal, que doit être datée
la fin de l’existence conjugale et de l’amour. C’est bien plus en amont que l’amour a
commencé de se refroidir, de s’anémier pour finir par mourir. De même, le quatrième concile
de Constantinople se situe dans une période d’hostilité en laquelle on peut percevoir les
prémisses du schisme de 1054.
Saint Photios vécut à l’époque où les évêques de
Rome, notamment avec un pape tel que Nicolas
1er (858-868), entreprirent de faire subir à la
primauté romaine une mutation fondamentale,
qui demeure en ce 21ème siècle lui-même. Ce
qui est en question depuis ce temps-là et
jusqu’à l’heure actuelle encore, ce n’est pas
la primauté elle-même, mais son mode
d’existence, la manière dont elle est exercée
et vécue. Toutes les Eglises locales avaient
toujours reconnu au siège épiscopal de Rome,
non seulement une primauté d’honneur, de frère
aîné, d’humble animateur de l’unité ecclésiale,
mais aussi une autorité dans l’arbitrage en
matière doctrinale et disciplinaire.
S AINT P HOTIOS
Cette autorité avait été reconnue au siège romain en particulier à l’époque des grandes
hérésies arienne, monothélite et iconoclaste, favorisées pour des raisons bien plus politiques
que théologiques par certains empereurs byzantins. Mais au 9ème siècle se manifeste
clairement la prétention des papes - irrecevable pour saint Photios et, jusqu’à nos jours,
pour tout l’Orient orthodoxe – à une juridiction immédiate sur la totalité des Eglises
locales. Les papes reprenaient à leur compte la prétention hégémonique de l’empire franc
arrêtée par la mort de Charlemagne en janvier 814, et le traité de Verdun, conclu en aout
843 entre les petits fils de Charlemagne, qui se partagèrent l’empire carolingien en trois
royaumes. Les Orientaux, pour leur part, ne pouvaient accepter – et ils ne le peuvent pas
davantage de nos jours - qu’une Eglise locale, si vénérable soit-elle, si abondant qu’ait été le
sang de ses martyrs, prétende avoir le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures des
autres Eglises locales et d’imposer à celles-ci les usages romains (le célibat à partir du sousdiaconat, l’utilisation du pain azyme pour l’Eucharistie, le jeûne du samedi).
Jusqu’à nos jours encore, l’Occident chrétien ne parvient pas à sentir ce que le monde
orthodoxe a toujours su et senti, à savoir qu’en Gaule, en Italie, en Afrique du Nord, un seul
siège épiscopal, celui de Rome, pouvait revendiquer une fondation apostolique (par l’apôtre
Paul également et non pas seulement par l’apôtre Pierre). Au contraire, en Orient, multiples
étaient les villes où les apôtres étaient venus annoncer l’Evangile : à Antioche et à Ephèse, à
Thessalonique et à Athènes, à Corinthe, à Philippes et à Colosses. Quant à Jérusalem, elle
pouvait et elle peut, aujourd’hui encore, être fière d’avoir été le lieu tout à fait unique de la
Passion et de la Résurrection du Seigneur, de la Pentecôte ; et la ville où séjournèrent, non
pas seulement un ou deux apôtres, mais la totalité du collège apostolique, et infiniment
mieux encore, le Christ lui-même.
-3-
Rome ou Jérusalem ?
Si l’on veut se faire une idée de la distance qui, à la fin du premier millénaire, séparait en
profondeur l’Orient et l’Occident chrétiens, on ne saurait mieux faire que comparer.
D’une part le troisième stichère résurrectionnel que l’on chante
dans l’Office byzantin aux vêpres dominicales du huitième ton :
Réjouis-toi, ô sainte Sion,* Mère des Eglises, habitacle de Dieu*,
car c’est toi qui la première as reçu la rémission des péchés* par
la Résurrection ; d’autre part, la façon dont l’Eglise romaine en
vient à désigner la cathédrale du Latran qui est la cathédrale
du Pape : Omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput, la
Mère et la tête de toutes les Eglises du monde entier.
Si ce privilège absolument unique de la Mère des Eglises n’a
pas permis à Jérusalem d’obtenir mieux que la dernière place,
la cinquième dans la Pentarchie, c’est–à-dire dans la
hiérarchie des cinq patriarcats, c’est parce que l’établissement
de cette hiérarchie s’explique moins par l’ecclésiologie, d’une
manière proprement théologique, et par une exégèse des
passages évangéliques concernant l’apôtre Pierre, que par une
accommodation de l’existence de l’Eglise au sein de l’empire
romain.
Basilique SAINT-JEAN de LATRAN - Rome
Lorsque se réunit, en 1123, le neuvième concile œcuménique, selon l’Eglise catholique, le
premier des cinq conciles du Latran, il y a déjà 69 ans que le monde chrétien expérimente
une division dont il ne commencera à entrevoir la possibilité de la fin qu’avec la rencontre
du Pape Paul VI et du patriarche Athénagoras 1er, en janvier 1964, à Jérusalem, c’est-à-dire
quelques huit ou neuf siècles plus tard mais sans pour autant parvenir encore à recomposer
l’unité perdue depuis si longtemps. Cette division est, dans une assez large mesure, le fruit
amer, d’une part, de l’incapacité du patriarche de Constantinople Michel Cérulaire de
discerner l’essentiel de l’accessoire, et d’autre part, de l’intransigeance du cardinal-légat
Humbert, moine de l’abbaye bénédictine de Moyenmoutier, dans les Vosges, et de sa
conviction que la nécessaire réforme de l’Eglise suppose une véritable théocratie papale. Si
maintenant nous nous intéressons aux villes dans lesquelles se réunirent les évêques
convoqués en conciles, une évidence s’impose tout de suite à notre esprit et doit inspirer
notre réflexion. Les sept conciles reçus comme œcuméniques par l’Orthodoxie ont tous été
réunis dans la partie extrême-orientale du bassin méditerranéen ou, comme on voudra,
dans la partie occidentale du plateau anatolien. Nicée, c’est l’actuelle Iznik, en Turquie, à 79
km au Nord-Est de Bursa. Constantinople, devenue Istamboul, est au point de jonction
entre la mer Noire et la mer Egée. Enfin Chalcédoine est l’actuelle Kadiköy, à l’entrée du
Bosphore.
-4-
Or, à partir du concile de 1123, qui se tint au Latran, tous les conciles considérés comme
œcuméniques par l’Eglise de Rome se réunirent en Europe occidentale : en France, en Italie
(à Rome, à Ferrare, à Florence, à Trente) dont huit sur quatorze à Rome et cinq à la
cathédrale des évêques de Rome.
Conciles œcuméniques
ou bien conciles généraux de l’Occident ?
Dans un tel contexte, ne serait-il pas possible de considérer la totalité des conciles tenus
jusqu’ici pour œcuméniques par l’Eglise latine, depuis le quatrième concile de
Constantinople (860-870) jusqu’au second concile du Vatican, comme des conciles
généraux de l’Occident ? Pour cela, il faudrait que l’Eglise de Rome, mais aussi le monde
orthodoxe admettent que ni l’une ni l’autre n’a la possibilité de réunir seule un concile
œcuménique. Aussi longtemps que l’évêque de Rome et les patriarches orthodoxes ne
pourront pas concélébrer la divine liturgie, l’Eglise catholique ne pourra réunir que des
conciles généraux du patriarcat d’Occident. Et de même, sans la présence des évêques de
ce patriarcat, les Orthodoxes ne peuvent réunir que des conciles panorthodoxes. Et ici se
vérifie éminemment le fait que l’œcuménisme bien compris est une ascèse ayant pour but de
mourir, avec humilité, mais en priorité avec l’aide de Dieu, à la tentation triomphaliste et
pharisienne de chercher à convertir les autres au lieu de se convertir soi-même. Et l’effort de
conversion ne doit pas être seulement de chaque personne, mais aussi bien celle de nos
Eglises locales et de nos paroisses. Pour les Orthodoxes, considérer qu’en l’absence de
l’Eglise latine, l’Orthodoxie ne peut réunir que des conciles panorthodoxes et non point
œcuméniques, c’est reconnaître que la totalité de l’Orthodoxie n’est pas contenue dans
les limites visibles, conceptualisables et objectivables de l’Eglise Orthodoxe. Des
vérités sont crues fermement, des réalités sont vécues intensément, des actes sont posés
parfois héroïquement, qui sont véritablement orthodoxes bien qu’ils se situent en dehors des
limites visibles de l’Eglise orthodoxe.
-5-
pasteurs ou fidèles. L’orthodoxie, pour sa
part, considère que Pierre n’est plus Pierre
lorsque, par trois fois, il renie le Christ.
A Césarée, le Christ vient à peine
d’affirmer la primauté de Pierre que déjà il
lui lance : Passe derrière moi, Satan ! Tu
me fais obstacle, car tes pensées ne sont
pas celles de Dieu, mais celles des
hommes ; et à Antioche, nous voyons Paul
rappeler Pierre à l’ordre : dès que Pierre
n’agit pas en conformité avec la plénitude
de l’Eglise, il n’est plus dans la vérité de
l’Eglise et il perd la primauté parce qu’il
perd l’autorité dont l’unique fondement
inattaquable est la Vérité, c’est-à-dire le
Christ ressuscité. On devrait parvenir à
s’entendre pour dire que l’accord de
l’évêque de Rome est nécessaire pour
qu’un concile puisse être reconnu comme
œcuménique, mais inversement il faudrait
convenir que si un concile n’est pas reçu
par une partie considérable du monde
chrétien, la primauté d’aucun évêque ne
saurait l’autoriser à considérer un tel
concile comme œcuménique. Dans le cas
du schisme de 1054, il faut ajouter que le
refus oriental de recevoir les décisions
conciliaires
postérieur
à
787
fut
Les zélotes qui, dans le monde orthodoxe,
sont
partisans
de
rebaptiser
les
catholiques qui demandent à être reçus
dans l’Orthodoxie, oublient gravement
que, dans la Diaspora, un évêque
orthodoxe résidant à Paris, à Lyon ou à
Nice, n’aura pas le titre d’évêque de ces
villes, par respect pour la réalité de
l’épiscopat du cardinal-archevêque de
Paris ou de Lyon ou de l’évêque catholique
de Nice 2.
2) Dans les contextes historiques différents mais
avec le même art consommé du savoir-faire
comme si, l’Eglise romaine a inventé la locution
latine in partibus infidelium, « dans les contrées
des infidèles ». Il s’agit d’un évêque qui n’a pas de
diocèse propre à gouverner et qui est titulaire
d’un ancien siège épiscopal. L’expression vient de
la localisation de ce siège dans des parties de la
terre où il n’y a plus guère que des non-chrétiens.
C’est notamment le cas des évêques appelés à des
fonctions administratives au sein de la curie
romaine ou des évêques auxiliaires. Les Eglises
orthodoxes elles-mêmes acceptent d’ordonner des
évêques des villes où ils ne vont jamais. La vraie
Tradition est celle qui réserve aux évêques
responsables d’un diocèse réel de sièger lors d’un
concile œcuménique. Certains diocèses beaucoup
trop vastes gagneraient à être fractionnés en
donnant ainsi la possibilité à des évêques
d’exercer la plénitude de leur épiscopat
Mais l’Eglise catholique-romaine, de son
côté, nous paraît appelée à effectuer une
métanoia, un retournement de mentalité.
En effet, reconsidérer, dans le sens que
nous venons d’évoquer, les conciles tenus
en Occident, impliquerait qu’on accepte de
revoir quelque peu la copie en ce qui
concerne tel ou tel passage de la
Constitution
dogmatique
Lumen
gentium :…le collège ou corps épiscopal n’a
d’autorité que si on l’entend comme uni au
Pontife romain, successeur de Pierre,
comme à son chef et sans préjudice pour le
pouvoir de ce primat qui s’étend à tous,
-6-
Carte des routes de la région d’Antioche
(d'après Dussaud, Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, 1927, carte XIV)
considérable non point seulement d’un point de vue géographique et quantitatif, mais aussi
lorsqu’on tient compte de l’apport fondamental de l’honneur des Pères conciliaires de
Vatican II d’avoir rappelé, dans le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio, …On doit
… estimer à sa juste valeur que le fait que les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne sur
la Trinité, le Verbe de Dieu, qui a pris chair de la Vierge Marie, ont été définis dans les
conciles œcuméniques tenus en Orient. Pour conserver la foi, ces Eglises ont beaucoup
souffert et souffrent encore. Mais alors, comment considérer comme œcuméniques des
conciles tenus en l’absence des évêques en communion diachronique avec les Pères
conciliaires de Nicée I et II, de Constantinople I, II et III, d’Ephèse et de Chalcédoine ?
Importance de l’unité diachronique de l’Eglise
Par communion diachronique, il convient d’entendre l’unité de la Tradition ecclésiale, sans
rupture à travers le temps – dia chronou. Et, dans la mesure notamment où ils n’en finissent
pas, depuis des lustres de préparer la réunion d’un concile panorthodoxe, les Orthodoxes
doivent mesurer, avec humilité et amour fraternel, l’intensité et la profondeur de l’effort qui
est demandé au Catholicisme lorsqu’on attend de lui - c’est-à-dire, non pas d’un papemonarque solitaire, mais d’un concile général de l’Occident Vatican III - qu’il requalifie la
totalité des conciles tenus depuis 1123 en Europe occidentale. La requalification des
conciles dits œcuméniques en conciles généraux de l’Occident, sera sans doute terriblement
onéreuse. Nous pourrions multiplier les exemples, mais nous pensons qu’un seul suffira.
Dans la Constitution conciliaire Sacrosanctum concilium sur la sainte liturgie, Vatican II
affirme :
La communion sous les deux espèces, étant maintenus les principes dogmatiques établis
par le concile de Trente (3), peut être accordée, au jugement des évêques, dans les cas que
le Siège apostolique précisera, soit aux clercs et aux religieux, soit aux laïcs; par exemple: aux
nouveaux ordonnés dans la messe de leur ordination, aux profès dans la messe de leur
profession religieuse, aux néophytes dans la messe qui suit le baptême (4).
(3) firmis principiis dogmaticis a Concilio Tridentino statutis.
(4) Concile œcuménique Vatican II. Constitutions-Décrets-Déclarations. Op. cit.p.175.
-7-
En lisant un tel texte, un orthodoxe s’étonne et se sent mal
à l’aise. Il ne comprend pas qu’on cherche à édicter des
règles tendant à limiter la communion des laïcs au saint
Sang. Ce qu’il y a de nouveau c’est qu’un laïc pourra,
quelques fois dans sa vie, communier au saint Sang alors
que les paroissiens du saint Curé d’Ars durent se contenter
tout au long de leur existence, de ne recevoir que l’hostie.
Pourquoi ce souci de limitation ? De quoi a-t-on peur ? Où
est le danger ? Ce qui n’est pas nouveau, c’est l’idée
nécessairement sous-jacente, que la communion sous les
deux espèces n’est pas nécessaire, que le sang de la
nouvelle Alliance n’est pas aussi vital que la saint Corps
pour la divinisation des chrétiens.
Présentation côte à côte des deux
espèces eucharistiques avec le
pain à gauche et le vin à droite.
Dans sa quatrième homélie de Carême, le pape Léon le
Grand condamne les fidèles qui reçoivent avec des bouches indignes le corps de Jésus-Christ,
mais s’éloignent complètement du sang de la rédemption. Le saint pape Léon (440-461) tient
cette pratique pour sacrilège et excommunie lesdits fidèles. Quant au pape Gélase, visant le
même genre de chrétiens, il décide qu’ils doivent communier complètement au sacrement, ou
ne doivent pas être reçus du tout, car la division d’un seul et même sacrement ne peut se faire
sans une grave injure envers les choses saintes (Apud Gratianum).
Quels
étaient
donc
les
principia
dogmatica du concile de Trente, que le
second concile du Vatican s’est efforcé de
ne pas contredire ? En Occident, le
12ème siècle voit s’amorcer l’abandon de
la communion des fidèles au saint Sang.
Lorsque se réunit le concile de Trente, il y
a des lustres qu’on a rompu avec la
tradition diachronique de donner aux
fidèles le saint Sang autant que le saint
Corps, comme l’avait fait le Christ, le soir
du Jeudi Saint.
Carte de la province autonome de Trente
Le concile de Trente promulgue : Que soit anathème quiconque prétendrait que, par
commandement divin, ou en tant que nécessaire au salut, tous les fidèles du Christ et
chacun en particulier, sont tenus à recevoir l’une et l’autre espèce du très saint sacrement
de l’Eucharistie. Les papes Léon 1er et Gélase sont-ils donc anathèmes ? Qu’en est-il au
juste de l’unité diachronique, sans rupture à travers le temps entre ces deux papes et le
concile de Trente ? En réalité, ce dernier s’est éloigné de la foi dont Léon le Grand et Gélase
étaient encore témoins. Le concile de Trente n’avait aucun argument de nature proprement
théologique pour justifier la privation de la communion des laïcs au saint Sang. Il se
contenta de canoniser une pratique qui, à l’époque où il se réunit, datait d’un demimillénaire environ, ce qui est bien suffisant pour permettre la confusion entre une tradition
avec un « t » minuscule et la grande Tradition avec un « T » majuscule.
-8-
L’innovation qui consista à ne donner aux fidèles que le saint pain eut très certainement
pour origine, nullement théologique, le fait que c’était – et c’est toujours- plus commode
pour les célébrants.
De très bonne heure, en Occident, on a vu apparaître des avertissements épiscopaux
formulés avec insistance de veiller à ne pas répandre le saint Sang. C’est ainsi que nous
pouvons lire dans la Tradition apostolique d’Hippolyte de Rome : …tu as reçu le calice au
nom de Dieu comme le symbole du sang du Christ. Aussi n’en répands rien, de peur qu’un
esprit étranger ne le lèche, comme si tu le méprisais. Tu seras responsable du sang comme
celui qui méprise le prix auquel il a été acheté (5). Très tardivement, on a tenté une
justification a posteriori qui n’aboutit qu’à montrer que cette innovation signifiait une autre
évolution concernant, elle, le sacerdoce ministériel. On s’est dit que, du moment que le
prêtre communiait au saint Sang, les laïcs pouvaient se contenter de ne communier qu’au
saint Corps. Mais ne battons pas notre coulpe sur la poitrine de nos frères : lorsque des
prêtres orthodoxes considèrent qu’une communion mensuelle est suffisante pour les laïcs,
sont-ils tellement éloignés de ce cléricalisme ? Entre un prêtre qui communie seul au saint
Sang et un prêtre qui communie devant des laïcs qui ne communient pas, où est la
différence ?
Quant à Vatican II, on est peu interloqué : comment peut-on à ce point se dérober à une
question théologique ? Car, enfin, on conçoit aisément qu’au cours d’agapes fraternelles
dans une communauté paroissiale ou monastique, ou au cours d’un repas de famille, le jour
d’un baptême, pour fêter le centenaire de l’arrière-grand-mère, etc., on ouvre une bouteille
de champagne pour solenniser l’événement.
Mais on ne saurait faire de la communion au calice considérée avec le concile de Trente
comme facultative, une démarche exceptionnelle dont la seule finalité serait de rehausser le
caractère festif de l’événement.
Difficile, onéreux serait sans doute, pour l’Eglise latine, le retournement de l’intelligence et
du cœur qui consisterait à repenser en termes de conciles généraux du patriarcat
d’Occident ce qui jusqu’ici et depuis le concile de Constantinople de 869-870 est tenu pour
des conciles œcuméniques. Mais en même temps, quelle formidable révolution
copernicienne ce serait qui rapprocherait à la vitesse grand « V » le patriarcat de Rome des
patriarcats orthodoxes ! Alors ne tarderait pas à se profiler à l’horizon le huitième concile
unanimement reconnu, celui-là ; comme œcuménique.
Importance de la question de la primauté
et de l’autorité dans l’Eglise
La question de la primauté est donc aussi bien celle de l’autorité dans la sainte Eglise du
Christ. Même la célèbre divergence entre l’Orient et l’Occident chrétiens sur la procession du
saint Esprit ne fut pas seulement une question de théologie trinitaire.
(5) Hippolyte de Rome. La tradition apostolique. §38. Coll. Sources chrétiennes, n 11 bis, 2eme éd. Ed.du cerf,
Paris, 1968, p.121
-9-
Considérée depuis Constantinople, Antioche, Alexandrie ou Jérusalem, la question n’était
pas seulement de savoir si le saint Esprit procédait du Père seul, ou bien du Père par le fils,
ou encore, comme le décidèrent unilatéralement les Latins, si l’Esprit procédait du Père et
du fils :…qui ex Patre Filioque procedit.
Certes, les Orientaux étaient capables de s’intéresser, tout comme les Latins, à la question
trinitaire pour elle-même. Mais ils ne pouvaient simultanément éviter de se poser une autre
question : de quel droit un patriarche, quelle que soit sa primauté et sa prééminence dans le
collège épiscopal, de quel droit peut-il arbitrer un conflit, opter pour telle ou telle théologie
et écarter telle autre en contredisant ou en modifiant les décisions d’un concile
œcuménique, de toute manière en plaçant son autorité patriarcale au-dessus de l’autorité
conciliaire ? O, il se trouve que l’un des deux saints apôtres que fête l’Eglise, le 29 juin, est
l’auteur de l’épitre aux Galates. Dans cette épître, nous voyons l’apôtre Paul revendiquer la
légitimité d’une autonomie qui doit nous faire réfléchir à la nature exacte de la primauté de
Pierre. A la différence de Pierre, Paul n’a pas connu Jésus de Nazareth à commencer par le
baptême de Jean jusqu’au jour où il fut enlevé (aux apôtres) (Ac1, 32).
Mais, loin de faire ce que, dans notre langage d’hommes et de femmes éduqués à l’école de
la psychanalyse, nous appellerions un complexe d’infériorité, il affirme avec une grande
assurance être apôtre, non point au nom des hommes, ni (désigné) par un homme, mais par
Jésus-Christ et Dieu le Père (Ga 1, 1).
Dans le premier verset de cet épitre saint Paul nous dit donc que son apostolat ne vient pas
des hommes et ne lui a pas été conféré par le ministère d’un homme. Et dans sa première
épître aux chrétiens de Corinthe il dit : Ne suis-pas libre ? Ne suis-je pas apôtre (I Co9, 1) ?
Loin de se sentir en situation d’infériorité par rapport à Pierre et aux autres apôtres, il
affirme tranquillement être parti pour l’Arabie, puis être revenu à Damas (Ga 1, 17) sans
éprouver le besoin de se former, dirions-nous de nos jours, lui qui avait su, à l’époque où il
était fanatiquement pharisien, se mettre aux pieds de Rabbi Gamaliel dont il devint le
disciple et l’admirateur, le petit-fils d’Hillel. Devenu chrétien, il n’éprouve nullement le
besoin de se rendre auprès de ceux que saint Luc appelle les oi ap’archès autoptai, ceux qui
furent dès le début témoins oculaires des deux ans et demi de vie publique de Jésus qu’ils
avaient suivi, et auprès de qui ils avaient eu chaud au cœur, abandonnant parents (pour ce
qui est des fils de Zébédée), femmes et enfants ( dans le cas de Pierre). Mais, s’agissant de
saint Paul, les interviews, les scoops au sujet de ceux qui étaient apôtres avant (lui) ( Ga
1,17) ne l’intéressent pas. Il nous dit son indifférence aux conseils humains (Ga 1, 16). Il
tient pour plus important de partir en Arabie. Après son retour à Dama où il séjourna sans
doute quelque temps, il n’attend pas moins de trois années avant de monter à Jérusalem
pour s’entretenir avec l’apôtre Pierre, mais c’est pour ne pas rester que quinze jours avec
celui qui avait été désigné par le Maître comme le premier des apôtres et aurait eu besoin de
plus de semaines si Paul s’était montré plus curieux : la transfiguration de Jésus sur la
montagne, la guérison de sa belle-mère par Jésus, les parties de pêche sur le lac de
Génésareth secoué par la tempête et lui, Pierre marchant, avec la peur au ventre, sur les
flots déchainés du Lac, à la rencontre de Jésus, l’intimité de la dernière Cène et l’expérience
de la présence changée du Ressuscité, et toute une foule d’autres faits extraordinaires et
passionnants à découvrir, et dont la découverte ne semble pas avoir passionné saint Paul,
c’est le moins qu’on puisse dire. Et si, dans une perspective résolument latine, on veut faire
de Pierre le premier pape de Rome, on ne devrait jamais
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oublier ce que fut le comportement de Paul à l’égard de Pierre lors de ce que l’on peut
appeler le conflit d’Antioche. Dans l’épître aux Galates, saint Paul dit : Lorsque Képhas vint
à Antioche, je me suis apposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort (Ga 2, 11).
Saint Paul ne craint pas de reprocher à Pierre sa lâcheté et son double jeu face aux gens de
l’entourage de Jacques venus de Jérusalem à Antioche. Saint Paul se révèle alors bien
meilleur théologien que Pierre. Et il doit cette supériorité à sa conversion.
Plus précisément, il y a une logique inattaquable entre l’attitude de Paul à trois tournants
de sa vie tourmentée mais extraordinairement riche et profonde. Il y eut d’abord l’attitude de
Shaoul (autre orthographe pour Saûl) de Tarse envers les chrétiens avant sa rencontre avec
le Ressuscité sur le chemin de Damas. Après cet événement, qui bouleversa son existence, il
y eut son attitude nouvelle à l’égard du Judaïsme qu’il avait tété à la mamelle et surpassant
la plupart de ceux de (son) âge. Et enfin, il y eut la position que Paul défendit
vigoureusement contre Pierre à Antioche. Or, ce qu’il y a de commun à ces trois attitudes
c’est qu’elles ont toutes trois été engendrées par une évidence que saint Paul eut le génie
d’apercevoir le premier de tous et qui illumina et unifia toute sa vie. Cette évidence fut la
suivante : entre la Tora et Jésus Christ il faut choisir. On pourrait formuler autrement cette
évidence : entre la religion et la foi il faut choisir. Ou bien l’homme est sauvé par
l’observance des prescriptions mosaïques – le shabbat, la circoncision, la nourriture casher,
etc. ; ou bien c’est par Jésus Christ qu’on est sauvé, par Jésus Christ qui est le Sauveur, le
salut étant la réception du saint Esprit dont Jésus Christ est l’unique Dispensateur ici-bas
par ce que, de toute éternité, dans l’intimité de la vie trinitaire, il en est le Réceptacle
éternel.
Et dans ces conditions, c’est un impératif catégorique d’appliquer à la Tora l’admirable
phrase du Précurseur parlant de lui-même et de Jésus : Lui doit croître et moi diminuer (Jn
3, 30). Dès lors, avant la rencontre totalement imprévisible avec le Ressuscité il était évident
pour Shaoul de Tarse qu’il fallait éliminer les disciples de ce Jésus qui s’était présenté
comme antérieur à Abraham et supérieur à Moise. Après sa conversion, Paul demeure fidèle
à la même évidence que le salut ne pouvait venir de Jésus si c’était de la Tora qu’il venait, ni
de la Tora si c’est Jésus ressuscité qui était le sauveur. Et si le salut est en Jésus Christ
Donateur du salut, c’est-à-dire Dispensateur de l’Esprit, point n’est besoin d’imposer aux
pagano-chrétiens l’obligation de devenir des juifs en se faisant circoncire avant d’être
baptisés. Car le problème qui se posait aux judéo-chrétiens était de leur répugnance
profonde, ancestrale à créer avec des Goyim, des incirconcis, des païens, ce lien sacré qu’est
pout tout sémite le fait de prendre un repas avec quelqu’un. Et à Antioche Paul ne craint
pas de reprocher à Pierre sa faiblesse et sa lâcheté dès lors qu’il doit affronter les judéochrétiens. Cette attitude de Paul vis-à-vis de Pierre devrait inspirer profondément notre
réflexion à ce que peuvent être dans l’Eglise l’autorité et la primauté.
L’importance de la fête du 29 juin
Mais il y a aussi dans cette fête quelque chose de tout à fait admirable et, pourrait-on aller
jusqu’à dire, de miraculeux, c’est que, nonobstant le fait que la conception de la primauté et
de l’autorité de l’Eglise romaine d’une part et d’autres part de l’Orient chrétien soit allée en
s’éloignant de plus en plus l’une de l’autre malgré tout, les deux parties du monde chrétien,
l’Occident et l’Orient célèbrent aujourd’hui encore le même jour cette même fête. Ce miracle
devrait amener les orthodoxes à découvrir en rendant grâces à Dieu que la totalité de
l’Orthodoxie n’est pas contenue dans les limites visibles et conceptualisables de l’Eglise
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orthodoxe, et que des vérités sont crues fermement, des réalités sont vécues intensément,
que des actes sont posés parfois héroïquement, qui sont véritablement orthodoxes bien
qu’ils se situent en dehors des limites visibles de l’Eglise orthodoxe. Les Orthodoxes
devraient aussi reconnaître avec émotion que c’est l’honneur de l’Eglise romaine d’avoir uni
L ES S AINTS A POTRES P IERRE ET P AUL
dans une commune solennité, depuis le troisième siècle au moins, la fête de saint Pierre et
celle de saint Paul.
De leur côté, les catholiques devraient équilibrer davantage leur conception de la primauté
romaine en tenant un plus grand compte de la manière dont saint Paul s’est comporté
envers l’apôtre Pierre. Ils devraient aussi se dire que les évêques de Rome sont en continuité
apostolique ininterrompue, c’est certain, avec Pierre mais aussi avec Paul et que l’actuel
patriarche d’Antioche peut avoir la conviction d’être, tout autant que Benoît XVI, en unité
diachronique, sans rupture à travers le temps, avec l’apôtre Pierre.
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