Syndrome d`hyperventilation ou asthme : un diagnostic

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La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 6 - décembre 1999
e syndrome d’hyperventilation est une entité clinique
connue depuis de nombreuses années mais qui
demeure trop souvent sous-diagnostiquée. Quoique
les manifestations aiguës de l’hyperventilation, ou spasmophi-
lie, soient bien connues des médecins, la forme chronique,
beaucoup plus fréquente, passe souvent inaperçue. Affectant
plusieurs systèmes à des degrés divers, ce syndrome a été
décrit sous plusieurs noms : asthénie neurocirculatoire, sol-
dier’s heart syndrome, effort syndrome, fat folder’s syndrome
(1). D’excellentes revues, au cours des dernières années, en
ont résumé les éléments importants (2-5).
Le syndrome d’hyperventilation chronique est caractérisé par
une grande diversité de symptômes somatiques affectant habi-
tuellement plusieurs systèmes et induits par une hyperventila-
tion physiologiquement inadéquate, habituellement, en totalité
ou en partie, d’origine nerveuse. Ces symptômes peuvent être
reproduits totalement ou partiellement par une hyperventila-
tion volontaire (6).
On évalue entre 6 % et 10 % l’incidence de ce syndrome en
pratique générale (7). Les manifestations cliniques très variées
amènent souvent les sujets à consulter plusieurs médecins sans
que jamais le diagnostic soit fait. Elles sont pourtant réelles et
non imaginaires, et souvent liées à des altérations biochi-
miques et physiologiques associées à la baisse de la PaCO2. En
pneumologie, il s’agit d’une condition fréquente, particulière-
ment associée à un syndrome asthmatiforme (8-10).
Au point de vue respiratoire, les symptômes comprennent une
dyspnée, décrite la plupart du temps comme une incapacité à
prendre une inspiration profonde ou un manque d’air associé à
une oppression thoracique, une petite toux sèche, l’impression
d’avoir un chat dans la gorge, avec raclement fréquent. Une
des caractéristiques majeures des sujets hyperventileurs est
leur besoin fréquent de soupirer et de bâiller, avec une respira-
tion à prédominance thoracique.
Les sujets présentant un syndrome d’hyperventilation ont par-
fois des crises respiratoires aiguës (pouvant aller jusqu’à la
tétanie), mais la forme habituelle est chronique et subtile. La
symptomatologie est précipitée par de simples efforts, par
l’exposition à des irritants bronchiques (poussières, odeurs
fortes, froid) ou par le stress. Les sujets racontent fréquemment
que leur respiration est sifflante et s’éveillent parfois même la
nuit avec une difficulté respiratoire. Tous ces éléments évo-
quent à juste titre de l’asthme.
D’ailleurs, la présence d’asthme n’exclut pas le diagnostic
d’hyperventilation. Les deux conditions sont fréquemment
réunies. Parfois, les symptômes d’hyperventilation disparais-
sent rapidement avec la prise d’un agent bêta-2 agoniste. Ils
sont alors habituellement associés à des sifflements thora-
ciques, et l’hyperventilation est le résultat de la crise
d’asthme : un traitement plus agressif de l’asthme amènera
une disparition des symptômes. Toutefois, il demeure pos-
sible que la dyspnée d’effort ressentie par le patient soit due
à un syndrome d’hyperventilation et faussement interprétée
comme due à de l’asthme. Bien qu’il soit possible que
l’hyperventilation seule précipite un bronchospasme, ce cas
est rare, le niveau de ventilation requis étant généralement
beaucoup plus important que celui requis pour induire une
hypocapnie symptomatique. Parfois, le patient asthmatique
pense que ses symptômes sont moins bien contrôlés, faisant
penser à une exacerbation de son asthme, ou même que
l’exercice induit de l’asthme, alors que les symptômes sont
plutôt dus à de l’hyperventilation (11). D’ailleurs, la prise
d’un bêta-2 agoniste n’est pas efficace et, contrairement aux
symptômes habituels, ceux qu’il présente à ce moment-là
sont un peu différents, très souvent associés à de la fatigue,
des étourdissements, une sensation de flotter dans les nuages
et des palpitations.
En effet, bien que les manifestations respiratoires soient très
fréquentes, le patient souffrant d’hyperventilation présente en
général une série d’autres symptômes associés qui peuvent
orienter vers le diagnostic. Ces divers symptômes sont :
– généraux, tels que fatigue ou fatigabilité (presque univer-
selles), épuisement ;
– neurovégétatifs, tels qu’étourdissements, engourdissements
des extrémités, vision trouble, céphalées, sensation de perdre
conscience (allant parfois jusqu’à la syncope), sensation de
tête légère, de flotter sur des nuages, incapacité à se concen-
trer, crampes musculaires, sensation de chaud ou froid, trem-
blements, moiteur des extrémités ;
MISE AU POINT
Syndrome d’hyperventilation ou asthme :
un diagnostic différentiel à faire
A. Cartier*
L
* Professeur titulaire de médecine clinique, université de Montréal, Canada.
– cardiovasculaires, tels que palpitations (avec parfois des
arythmies importantes), douleurs thoraciques mimant parfois
l’angor ;
– gastro-entérologiques, tels que flatulence et aérophagie,
sécheresse de la bouche, côlon irritable ;
– psychiatriques enfin, tels qu’anxiété, crises de panique, pho-
bies et irritabilité.
DIAGNOSTIC
Le diagnostic est d’abord fait à l’anamnèse, qui doit être systé-
matique, le médecin devant être à l’affût de symptômes inhabi-
tuels touchant souvent de multiples systèmes ; on peut se fon-
der sur certains questionnaires standardisés (12). Le deuxième
volet du diagnostic est la reproduction des symptômes lors
d’une hyperventilation volontaire du sujet, habituellement
facile à induire en lui demandant de respirer profondément lors
de l’auscultation pulmonaire, que l’on prolonge près d’une
minute. Il est fréquent que les patients constatent, lors de ce
simple test, la survenue de symptômes qu’ils n’ont pas rappor-
tés lors du questionnaire médical mais qu’ils ressentent pour-
tant de façon habituelle.
À l’examen, le patient soupire fréquemment durant l’interven-
tion, utilisant presque uniquement ses muscles thoraciques au
lieu de respirer à l’aide du diaphragme. Et pour hyperventiler,
le sujet n’a pas besoin d’en avoir l’air ; il suffit de quelques
soupirs et d’une respiration un peu plus rapide pour diminuer
la PaCO2.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
L’hyperventilation est une réponse normale au stress comme à
certaines conditions, telles la douleur, l’acidose métabolique,
l’intoxication à l’acide acétylsalicylique, l’embolie pulmo-
naire, certaines pathologies du système nerveux central, etc. Le
clinicien doit se fonder sur son examen et l’anamnèse com-
plète pour décider s’il y a lieu de pousser plus loin l’investiga-
tion afin d’éliminer une de ces causes organiques de l’hyper-
ventilation. En leur absence, on parle alors de syndrome
d’hyperventilation.
Cependant, le diagnostic de syndrome d’hyperventilation
n’exclut pas d’autres pathologies telles que l’asthme, les mala-
dies bronchopulmonaires obstructives chroniques ou une mala-
die coronarienne significative. Il est d’ailleurs dangereux
d’“étiqueter” faussement un sujet comme “hyperventileur”,
parce qu’on peut le priver d’un traitement adapté. Ainsi,
Saisch et coll. ont revu 23 sujets qui s’étaient présentés aux
urgences et avaient reçu alors un diagnostic d’hyperventilation
aiguë par le médecin de garde sur la foi de critères cliniques.
Devant un taux élevé d’asthme (74 %) chez ces sujets, les
auteurs soulèvent l’hypothèse que certains d’entre eux souf-
fraient en fait d’asthme lors de leur visite aux urgences. Bien
que ce diagnostic soit effectivement très possible, la seule
façon de le confirmer ou de l’infirmer eût été d’évaluer le
calibre bronchique, avec mesure du VEMS ou des débits expi-
ratoires de pointe (DEP).
PHYSIOPATHOLOGIE
Bien que les sujets présentant un syndrome d’hyperventilation
souffrent fréquemment d’anxiété, avec souvent quelques traits
phobiques, cette anxiété peut aussi bien être secondaire à
l’hyperventilation qu’en être le facteur déclenchant. Par
ailleurs, Lum retient avant tout comme étiologie une mauvaise
habitude respiratoire, avec respiration thoracique, ce qui faci-
lite l’hyperventilation et l’apparition de symptômes engendrant
un état d’anxiété qui aggrave l’hyperventilation, créant ainsi
un cercle vicieux (5, 13).
Certains auteurs mettent même en doute la notion d’hypocap-
nie comme élément essentiel au diagnostic, rejetant du fait
même l’étiquette de syndrome d’hyperventilation (14), puisque
l’hyperventilation sans hypocapnie peut aussi bien induire des
symptômes chez certains sujets que l’hyperventilation avec
hypocapnie. Or, d’une part, cette découverte n’est pas univer-
selle et, d’autre part, la reproduction des symptômes sans qu’il
y ait effectivement d’hypocapnie doit laisser planer le doute
quant au diagnostic. Certains expliquent ce phénomène par le
développement d’une réponse conditionnelle, les stimuli pro-
voquant des attaques similaires sans que l’hypocapnie ne soit
plus nécessaire (15, 16).
INVESTIGATION
Dans notre expérience, il est habituellement inutile de monito-
rer la PetCO2ou de pratiquer un test d’hyperventilation hypo-
capnique tel que le proposent Hardonk et Beumer (17), ces
tests étant peu sensibles pour confirmer le diagnostic.
La détermination des gaz sanguins artériels est parfois utile,
quoiqu’il faille tenir compte, dans son interprétation, de l’alca-
lose respiratoire aiguë provoquée par la piqûre. La PaCO2peut
être basse (< 30 mmHg), mais elle est très souvent normale en
dehors des crises.
L’investigation d’un sujet chez qui l’on soupçonne un syn-
drome d’hyperventilation chronique doit donc comprendre un
questionnaire exhaustif, un bon examen clinique et des tests de
dépistage pour éliminer des pathologies traitables : explora-
tions fonctionnelles respiratoires incluant un test de provoca-
tion bronchique non allergénique (histamine, méthacholine,
carbachol), une radiographie pulmonaire, un ECG et un bilan
biochimique sanguin. Lorsque le patient se présente avec une
symptomatologie suggestive d’asthme, il est essentiel de docu-
menter de façon objective le diagnostic, soit par la présence
d’une obstruction bronchique réversible, soit par la présence
d’une hyperexcitabilité bronchique telle qu’évaluée par un test
de provocation bronchique à l’histamine, à la méthacholine ou
au carbachol (18). Dans notre expérience, le monitoring des
DEP à la maison n’est pas utile chez ces sujets puisqu’ils ont
fréquemment beaucoup de difficultés à effectuer les
manœuvres de façon adéquate. Au besoin, il peut être néces-
saire de compléter le bilan par des tests plus spécifiques tels
qu’épreuve d’effort sous-maximale, coronarographie, tomo-
densitométrie cérébrale ou bilan thyroïdien.
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TRAITEMENT
Trop souvent, les sujets porteurs d’hyperventilation se voient
rejetés par les médecins ou ne reçoivent que des traitements
anxiolytiques, sur la foi qu’il s’agit de troubles imaginaires ou
psychologiques. Le défaut majeur du sujet atteint d’hyperven-
tilation consiste en une mauvaise habitude respiratoire que per-
sonne ne pense à corriger. Il est essentiel que le patient réalise
que les symptômes qu’il présente sont réels et dus à une chute
de sa PaCO2. Dans la majorité des cas, l’on obtiendra une amé-
lioration importante de la symptomatologie par la simple cor-
rection de la respiration thoracique avec contrôle du rythme
respiratoire, respiration diaphragmatique, réduction des soupirs
ou des bâillements, respiration dans un sac en papier. Le
simple fait pour le patient d’être rassuré sur la nature bénigne
de sa condition améliore beaucoup les symptômes.
Le sujet doit apprendre à s’observer et à corriger lui-même ses
mauvaises habitudes respiratoires. Bien que de simples
conseils et une réassurance suffisent souvent à contrôler les
symptômes, il est parfois nécessaire d’orienter le sujet vers une
rééducation respiratoire. Selon Lum, un programme de réédu-
cation suffit dans la majorité des cas à contrôler les symptômes
et à améliorer la qualité de vie de ces sujets (13). La prescrip-
tion d’anxiolytiques peut à l’occasion améliorer la symptoma-
tologie et permettre une meilleure rééducation respiratoire,
mais seule une faible proportion de sujets (environ 5 %) pourra
bénéficier d’une évaluation et d’un traitement psychiatriques.
Les bêtabloquants, contre-indiqués chez l’asthmatique, per-
mettent parfois de mieux contrôler les symptômes, mais leur
emploi reste très limité. Enfin, il est essentiel que toute patho-
logie sous-jacente, tel un asthme, soit traitée adéquatement.
CONCLUSION
Le syndrome d’hyperventilation est une entité clinique à
laquelle le pneumologue est fréquemment confronté, mais qui
nécessite qu’on y songe afin d’orienter le traitement de façon
adéquate. L’asthme vient en tête de chapitre dans le diagnostic
différentiel lorsque la symptomatologie respiratoire prédo-
mine, et coexiste dans de nombreux cas avec le syndrome
d’hyperventilation.
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