M I S E A U P O I N T Syndrome d’hyperventilation ou asthme : un diagnostic différentiel à faire ● A. Cartier* L e syndrome d’hyperventilation est une entité clinique connue depuis de nombreuses années mais qui demeure trop souvent sous-diagnostiquée. Quoique les manifestations aiguës de l’hyperventilation, ou spasmophilie, soient bien connues des médecins, la forme chronique, beaucoup plus fréquente, passe souvent inaperçue. Affectant plusieurs systèmes à des degrés divers, ce syndrome a été décrit sous plusieurs noms : asthénie neurocirculatoire, soldier’s heart syndrome, effort syndrome, fat folder’s syndrome (1). D’excellentes revues, au cours des dernières années, en ont résumé les éléments importants (2-5). Le syndrome d’hyperventilation chronique est caractérisé par une grande diversité de symptômes somatiques affectant habituellement plusieurs systèmes et induits par une hyperventilation physiologiquement inadéquate, habituellement, en totalité ou en partie, d’origine nerveuse. Ces symptômes peuvent être reproduits totalement ou partiellement par une hyperventilation volontaire (6). On évalue entre 6 % et 10 % l’incidence de ce syndrome en pratique générale (7). Les manifestations cliniques très variées amènent souvent les sujets à consulter plusieurs médecins sans que jamais le diagnostic soit fait. Elles sont pourtant réelles et non imaginaires, et souvent liées à des altérations biochimiques et physiologiques associées à la baisse de la PaCO2. En pneumologie, il s’agit d’une condition fréquente, particulièrement associée à un syndrome asthmatiforme (8-10). Au point de vue respiratoire, les symptômes comprennent une dyspnée, décrite la plupart du temps comme une incapacité à prendre une inspiration profonde ou un manque d’air associé à une oppression thoracique, une petite toux sèche, l’impression d’avoir un chat dans la gorge, avec raclement fréquent. Une des caractéristiques majeures des sujets hyperventileurs est leur besoin fréquent de soupirer et de bâiller, avec une respiration à prédominance thoracique. Les sujets présentant un syndrome d’hyperventilation ont parfois des crises respiratoires aiguës (pouvant aller jusqu’à la * Professeur titulaire de médecine clinique, université de Montréal, Canada. 220 tétanie), mais la forme habituelle est chronique et subtile. La symptomatologie est précipitée par de simples efforts, par l’exposition à des irritants bronchiques (poussières, odeurs fortes, froid) ou par le stress. Les sujets racontent fréquemment que leur respiration est sifflante et s’éveillent parfois même la nuit avec une difficulté respiratoire. Tous ces éléments évoquent à juste titre de l’asthme. D’ailleurs, la présence d’asthme n’exclut pas le diagnostic d’hyperventilation. Les deux conditions sont fréquemment réunies. Parfois, les symptômes d’hyperventilation disparaissent rapidement avec la prise d’un agent bêta-2 agoniste. Ils sont alors habituellement associés à des sifflements thoraciques, et l’hyperventilation est le résultat de la crise d’asthme : un traitement plus agressif de l’asthme amènera une disparition des symptômes. Toutefois, il demeure possible que la dyspnée d’effort ressentie par le patient soit due à un syndrome d’hyperventilation et faussement interprétée comme due à de l’asthme. Bien qu’il soit possible que l’hyperventilation seule précipite un bronchospasme, ce cas est rare, le niveau de ventilation requis étant généralement beaucoup plus important que celui requis pour induire une hypocapnie symptomatique. Parfois, le patient asthmatique pense que ses symptômes sont moins bien contrôlés, faisant penser à une exacerbation de son asthme, ou même que l’exercice induit de l’asthme, alors que les symptômes sont plutôt dus à de l’hyperventilation (11). D’ailleurs, la prise d’un bêta-2 agoniste n’est pas efficace et, contrairement aux symptômes habituels, ceux qu’il présente à ce moment-là sont un peu différents, très souvent associés à de la fatigue, des étourdissements, une sensation de flotter dans les nuages et des palpitations. En effet, bien que les manifestations respiratoires soient très fréquentes, le patient souffrant d’hyperventilation présente en général une série d’autres symptômes associés qui peuvent orienter vers le diagnostic. Ces divers symptômes sont : – généraux, tels que fatigue ou fatigabilité (presque universelles), épuisement ; – neurovégétatifs, tels qu’étourdissements, engourdissements des extrémités, vision trouble, céphalées, sensation de perdre conscience (allant parfois jusqu’à la syncope), sensation de tête légère, de flotter sur des nuages, incapacité à se concentrer, crampes musculaires, sensation de chaud ou froid, tremblements, moiteur des extrémités ; La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 6 - décembre 1999 – cardiovasculaires, tels que palpitations (avec parfois des arythmies importantes), douleurs thoraciques mimant parfois l’angor ; – gastro-entérologiques, tels que flatulence et aérophagie, sécheresse de la bouche, côlon irritable ; – psychiatriques enfin, tels qu’anxiété, crises de panique, phobies et irritabilité. DIAGNOSTIC Le diagnostic est d’abord fait à l’anamnèse, qui doit être systématique, le médecin devant être à l’affût de symptômes inhabituels touchant souvent de multiples systèmes ; on peut se fonder sur certains questionnaires standardisés (12). Le deuxième volet du diagnostic est la reproduction des symptômes lors d’une hyperventilation volontaire du sujet, habituellement facile à induire en lui demandant de respirer profondément lors de l’auscultation pulmonaire, que l’on prolonge près d’une minute. Il est fréquent que les patients constatent, lors de ce simple test, la survenue de symptômes qu’ils n’ont pas rapportés lors du questionnaire médical mais qu’ils ressentent pourtant de façon habituelle. À l’examen, le patient soupire fréquemment durant l’intervention, utilisant presque uniquement ses muscles thoraciques au lieu de respirer à l’aide du diaphragme. Et pour hyperventiler, le sujet n’a pas besoin d’en avoir l’air ; il suffit de quelques soupirs et d’une respiration un peu plus rapide pour diminuer la PaCO2. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL L’hyperventilation est une réponse normale au stress comme à certaines conditions, telles la douleur, l’acidose métabolique, l’intoxication à l’acide acétylsalicylique, l’embolie pulmonaire, certaines pathologies du système nerveux central, etc. Le clinicien doit se fonder sur son examen et l’anamnèse complète pour décider s’il y a lieu de pousser plus loin l’investigation afin d’éliminer une de ces causes organiques de l’hyperventilation. En leur absence, on parle alors de syndrome d’hyperventilation. Cependant, le diagnostic de syndrome d’hyperventilation n’exclut pas d’autres pathologies telles que l’asthme, les maladies bronchopulmonaires obstructives chroniques ou une maladie coronarienne significative. Il est d’ailleurs dangereux d’“étiqueter” faussement un sujet comme “hyperventileur”, parce qu’on peut le priver d’un traitement adapté. Ainsi, Saisch et coll. ont revu 23 sujets qui s’étaient présentés aux urgences et avaient reçu alors un diagnostic d’hyperventilation aiguë par le médecin de garde sur la foi de critères cliniques. Devant un taux élevé d’asthme (74 %) chez ces sujets, les auteurs soulèvent l’hypothèse que certains d’entre eux souffraient en fait d’asthme lors de leur visite aux urgences. Bien que ce diagnostic soit effectivement très possible, la seule façon de le confirmer ou de l’infirmer eût été d’évaluer le calibre bronchique, avec mesure du VEMS ou des débits expiratoires de pointe (DEP). La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 6 - décembre 1999 PHYSIOPATHOLOGIE Bien que les sujets présentant un syndrome d’hyperventilation souffrent fréquemment d’anxiété, avec souvent quelques traits phobiques, cette anxiété peut aussi bien être secondaire à l’hyperventilation qu’en être le facteur déclenchant. Par ailleurs, Lum retient avant tout comme étiologie une mauvaise habitude respiratoire, avec respiration thoracique, ce qui facilite l’hyperventilation et l’apparition de symptômes engendrant un état d’anxiété qui aggrave l’hyperventilation, créant ainsi un cercle vicieux (5, 13). Certains auteurs mettent même en doute la notion d’hypocapnie comme élément essentiel au diagnostic, rejetant du fait même l’étiquette de syndrome d’hyperventilation (14), puisque l’hyperventilation sans hypocapnie peut aussi bien induire des symptômes chez certains sujets que l’hyperventilation avec hypocapnie. Or, d’une part, cette découverte n’est pas universelle et, d’autre part, la reproduction des symptômes sans qu’il y ait effectivement d’hypocapnie doit laisser planer le doute quant au diagnostic. Certains expliquent ce phénomène par le développement d’une réponse conditionnelle, les stimuli provoquant des attaques similaires sans que l’hypocapnie ne soit plus nécessaire (15, 16). INVESTIGATION Dans notre expérience, il est habituellement inutile de monitorer la PetCO2 ou de pratiquer un test d’hyperventilation hypocapnique tel que le proposent Hardonk et Beumer (17), ces tests étant peu sensibles pour confirmer le diagnostic. La détermination des gaz sanguins artériels est parfois utile, quoiqu’il faille tenir compte, dans son interprétation, de l’alcalose respiratoire aiguë provoquée par la piqûre. La PaCO2 peut être basse (< 30 mmHg), mais elle est très souvent normale en dehors des crises. L’investigation d’un sujet chez qui l’on soupçonne un syndrome d’hyperventilation chronique doit donc comprendre un questionnaire exhaustif, un bon examen clinique et des tests de dépistage pour éliminer des pathologies traitables : explorations fonctionnelles respiratoires incluant un test de provocation bronchique non allergénique (histamine, méthacholine, carbachol), une radiographie pulmonaire, un ECG et un bilan biochimique sanguin. Lorsque le patient se présente avec une symptomatologie suggestive d’asthme, il est essentiel de documenter de façon objective le diagnostic, soit par la présence d’une obstruction bronchique réversible, soit par la présence d’une hyperexcitabilité bronchique telle qu’évaluée par un test de provocation bronchique à l’histamine, à la méthacholine ou au carbachol (18). Dans notre expérience, le monitoring des DEP à la maison n’est pas utile chez ces sujets puisqu’ils ont fréquemment beaucoup de difficultés à effectuer les manœuvres de façon adéquate. Au besoin, il peut être nécessaire de compléter le bilan par des tests plus spécifiques tels qu’épreuve d’effort sous-maximale, coronarographie, tomodensitométrie cérébrale ou bilan thyroïdien. 221 M I S E A TRAITEMENT Trop souvent, les sujets porteurs d’hyperventilation se voient rejetés par les médecins ou ne reçoivent que des traitements anxiolytiques, sur la foi qu’il s’agit de troubles imaginaires ou psychologiques. Le défaut majeur du sujet atteint d’hyperventilation consiste en une mauvaise habitude respiratoire que personne ne pense à corriger. Il est essentiel que le patient réalise que les symptômes qu’il présente sont réels et dus à une chute de sa PaCO2. Dans la majorité des cas, l’on obtiendra une amélioration importante de la symptomatologie par la simple correction de la respiration thoracique avec contrôle du rythme respiratoire, respiration diaphragmatique, réduction des soupirs ou des bâillements, respiration dans un sac en papier. Le simple fait pour le patient d’être rassuré sur la nature bénigne de sa condition améliore beaucoup les symptômes. Le sujet doit apprendre à s’observer et à corriger lui-même ses mauvaises habitudes respiratoires. Bien que de simples conseils et une réassurance suffisent souvent à contrôler les symptômes, il est parfois nécessaire d’orienter le sujet vers une rééducation respiratoire. Selon Lum, un programme de rééducation suffit dans la majorité des cas à contrôler les symptômes et à améliorer la qualité de vie de ces sujets (13). La prescription d’anxiolytiques peut à l’occasion améliorer la symptomatologie et permettre une meilleure rééducation respiratoire, mais seule une faible proportion de sujets (environ 5 %) pourra bénéficier d’une évaluation et d’un traitement psychiatriques. Les bêtabloquants, contre-indiqués chez l’asthmatique, permettent parfois de mieux contrôler les symptômes, mais leur emploi reste très limité. Enfin, il est essentiel que toute pathologie sous-jacente, tel un asthme, soit traitée adéquatement. CONCLUSION Le syndrome d’hyperventilation est une entité clinique à laquelle le pneumologue est fréquemment confronté, mais qui nécessite qu’on y songe afin d’orienter le traitement de façon adéquate. L’asthme vient en tête de chapitre dans le diagnostic différentiel lorsque la symptomatologie respiratoire prédomine, et coexiste dans de nombreux cas avec le syndrome d’hyperventilation. ■ 222 U P R É F É R E N O C E S I B I B L N I O G R A T P H I Q U E S 1. Magarian G.J. Hyperventilation syndromes : infrequently recognized common expressions of anxiety and stress. Medicine (Baltimore) 1982 ; 61 : 219-36. 2. Gardner W.N. The pathophysiology of hyperventilation disorders. Chest 1996 ; 109 : 516-34. 3. Le Ber C., Leroyer C., Chenu E., Dewitte J.D., Clavier J. Le syndrome d’hyperventilation chronique. Rev Pneumol Clin 1995 ; 51 : 53-8. 4. Granstrom G., Jacobsson E., Jeppsson P.H. 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