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Fiche n°38
L'INERTIE THERAPEUTIQUE
Le terme «inertie clinique» (ou inertie médicale) est apparu pour la première fois dans la
littérature en 2001 dans l’article de Phillips et al. intitulé «Clinical Inertia» [127]. Ce concept est
alors défini comme «l’échec de la part des médecins à entreprendre ou intensifier un traitement
lorsque celui-ci est indiqué». Il correspond donc à un retard non justifié concernant l’initiation
ou l’intensification d’un traitement alors que le diagnostic est correctement posé et que le
médecin est bien au fait du risque potentiel encouru par le patient. Junod le traduit de façon
un peu caricaturale comme «un comportement médical réel […] où on sait ce qui est utile mais
on ne le fait pas, on ne sait pas si c’est utile mais on fait, et on sait que c’est inutile, mais on
ne s’abstient pas.» [104] Il concerne surtout les maladies chroniques asymptomatiques telles
que l’hypertension artérielle, le diabète, la dyslipidémie. Les trois raisons avancées par Phillips
pour expliquer ce phénomène sont : 1) une surestimation des soins prodigués
2)
une mise en avant de raisons «molles» (ou peu pertinentes), pour ne pas intensifier le
traitement («les chiffres ne sont pas à la cible mais se sont quand même améliorés», «le
patient n’aime pas les médicaments», «le patient ne suit pas son régime»…)
3)
une formation, une organisation et un entraînement insuffisants à la pratique centrée
sur l’atteinte d’objectifs thérapeutiques.
En 2004, apparaît le terme d’ «inertie thérapeutique» sans qu’une nouvelle définition ne soit
donnée [128]. Les causes de l’inertie clinique sont explorées, et certains auteurs lui attribuent
trois sources : des facteurs liés au médecin, des facteurs liés au patient, et des facteurs liés
au système de soins [129,130]. Les facteurs liés au médecin incluent notamment le manque
de temps, le défaut à initier ou intensifier un traitement, la sousestimation des besoins du
patient. Les facteurs liés au patient touchent à l’inobservance thérapeutique : oubli de prendre
le médicament, coût du traitement, déni de la maladie… Les facteurs liés au système de soins
sont par exemple l’absence de recommandations, l’absence d’aide à la décision, ou encore
l’absence de campagne de sensibilisation des patients.
Pour Phillips et al., lutter contre l’inertie clinique passe par l’assimilation de trois concepts : la
prise de conscience du ratio «bénéfices - risques - coûts» d’une approche «treat to target» (ou
traitement par cible thérapeutique), la complexité pratique à traiter les patients présentant
plusieurs pathologies ou facteurs de risque, et le besoin de structures adéquates permettant
de faciliter une prise en charge efficace des maladies dépourvues de symptômes.
Les moyens de réduire l’inertie clinique, retrouvés dans la littérature, sont la mise en place d’un
enseignement centré sur l’importance et les moyens d’atteindre les objectifs thérapeutiques
dans la prise en charge des maladies chroniques, associé à l’utilisation d’outils dans l’exercice
quotidien, tels que le travail en équipe de soins (peu applicable en soins primaires), les alertes,
check-listes et pense-bêtes, ainsi que le feedback (revoir les dossiers de patients dans le cadre
du problème considéré et expliciter systématiquement les décisions prises).
Discussion
L’inertie clinique est un concept complexe avec une définition non consensuelle pouvant mener
à des interprétations diverses. En effet, sont utilisés différents termes tels que inertie clinique,
inertie thérapeutique, et inobservance, avec plus ou moins (voire pas) de nuances [131]. En
France, le terme «inertie thérapeutique» reste le plus employé. Les causes mêmes de l’inertie
clinique sont variables selon les auteurs, parfois limitées à des facteurs liés au médecin, parfois
élargies à l’attitude du patient ou au système de soins. On sent en effet que les contours sont
difficiles à dessiner, les décisions du médecin étant influencées à la fois par ses normes
intimes mais aussi par ce qu’il perçoit du patient et par différents facteurs liés au système de
soins. Il peut également paraître contradictoire de considérer comme facteur d’inertie clinique
le manque ou l’absence de recommandations alors que la définition initiale concerne la nonapplication des recommandations existantes malgré des résultats cliniques ou biologiques
insuffisants.
Même si l’absence d’une définition unique rend l’inertie clinique difficilement quantifiable, elle
reste un problème important comme le montrent de nombreuses études mettant en évidence
un nombre non négligeable de patients hypertendus mal contrôlés et avec un traitement
insuffisant. Les conséquences ne sont pas anodines en termes de complications
cardiovasculaires et coût pour la société.
Lors de la formation initiale, pour lutter contre l’inertie clinique, il conviendrait, en plus
d’apprendre aux futurs médecins ce qu’il faut faire, de leur enseigner comment s’assurer
qu’effectivement ils le font.
Cependant la lutte contre l’inertie médicale ne doit pas se transformer en une application rigide
des recommandations, aboutissant à une surmédicalisation. Toute la complexité réside dans
le difficile équilibre entre exercice d’une médecine fondée sur les preuves, et individualisation
des soins.
Illustration
Mr R., 55 ans, vient voir son médecin généraliste pour renouveler ses différents traitements. Il
est alcoolique chronique sevré depuis quelques mois, et épileptique. Lors de consultations
précédentes le médecin avait noté à plusieurs reprises une tension artérielle élevée, pour
laquelle il avait instauré un traitement par diurétique thiazidique, renforcé ensuite par l’ajout
d’un bétabloquant. Ce jour, le patient se plaint de divers maux, dont une dorsalgie mécanique.
La tension artérielle est élevée à 160/90 mmHg. Paradoxalement, la nouvelle ordonnance
rédigée en fin de consultation contient son habituel traitement antiépileptique, le bétabloquant,
le diurétique thiazidique, un antalgique, mais aucune nouvelle médication antihypertensive.
Cette situation, banale, est un exemple d’inertie thérapeutique. La raison de n’avoir pas
augmenté le traitement alors que l’hypertension, ses traitements et ses conséquences sont
bien connus fait sans doute appel à de nombreux facteurs : le médecin a-t-il «oublié» face aux
autres motifs de consultation de prendre en charge l’hypertension de son patient ? A-t-il des
doutes sur la prise effective des autres traitements prescrits ? Doute-il de l’abstinence de son
patient, la consommation d’alcool étant connue comme étant cause d’hypertension artérielle ?
Suspecte-il un effet blouse blanche ? Croit-il que le patient n’est pas prêt à prendre un
médicament supplémentaire ? L’analyse de ce dossier au cours d’une réunion avec d’autres
pairs pourra permettre au médecin d’expliciter sa décision et de mettre en évidence l’inertie
clinique.
Pour aller plus loin
Phillips LS, Branch WT, Cook CB et al. Clinical inertia. Ann Intern Med 2001 ; 135 : 825-34.
O’Connor PJ, Sperl-Hillen JM, Johnson PE et al. Clinical inertia and outpatient medical errors.
Advances in Patient Safety 2005 ; 2 : 293-308. [en ligne]. Disponible sur:
http://www.ahrq.gov/downloads/pub/advances/vol2/OConnor.pdf
Allen JD, Curtiss FR, Fairman KA. Nonadherence, clinical inertia, or therapeutic inertia ? J
Manag Care Pharm 2009 ; 15 : 690-695.
Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la discipline. Thèse de médecine - 2013
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