Imagerie de diffusion dans l’aspergillose cérébrale Mathilde Charlot ¹, Jean-Baptiste Pialat 1,5, Nathalie Obadia 2, André Boibieux 3, Nathalie Streichenberger 4 , David Meyronnet 4, François Cotton 1,5 ¹ Service de radiologie ² Service de neurologie ³ Service des maladies infectieuses 4 Service d’anatomopathologie 5 Laboratoire CREATIS, UMR 5515, Villeurbanne. Hospices Civils de Lyon, France. Introduction L’aspergillose cérébrale est une pathologie rare et très sévère, atteignant généralement des patients immunodéprimés, pour lesquels un traitement antifungique précoce est nécessaire. Du fait de la difficulté diagnostique clinique et microbiologique, l’imagerie cérébrale est cruciale pour le diagnostique positif et différentiel. Or, l’aspect scannographique et IRM est peu spécifique, les lésions d’aspergillose se présentant classiquement sous la forme de multiples images arrondies, avec ou sans composante hémorragique, avec ou sans rehaussement annulaire après injection de produit de contraste. L’imagerie de diffusion peut présenter un aspect plus spécifique et aider au diagnostic précoce. Introduction Nous décrivons 3 cas de patients atteints d’aspergillose cérébrale pour lesquels une IRM cérébrale a été réalisée comprenant des séquences de diffusion et une cartographie d’apparent diffusion coefficient (ADC). Sur 23 lésions, 2 aspects ont pu être décrits sur les séquences de diffusion: Soit un hypersignal marqué, homogène, sur la séquence de diffusion, correspondant à des valeurs d’ADC diminuées, Soit un aspect en “cible“ (12 lésions): • un hyposignal central et périphérique sur les séquences de diffusion, correspondant à des valeurs d’ADC élevées, • un hypersignal intermédiaire franc, correspondant à des valeurs d’ADC basses. Méthode Analyse rétrospective de 3 cas de patients atteints d’aspergillose cérébrale, pour lesquels une IRM cérébrale a été réalisée (Siemens Symphony 1.5T, Syngo MR 2004 A pour les patients 1 and 2, and Philips Intera 1.5 T, Philips Medical Systems, Best, the Netherlands pour le patient 3), comprenant des séquences de diffusion et une cartographie d’apparent diffusion coefficient (ADC). Patient n°1 Patient de 49 ans immunodéprimé du fait d’une infection à VIH 2 au stade SIDA (lymphocytes CD4 à 47/mm³), hospitalisé pour des signes d’hypertension intracrânienne (céphalées, vomissements, confusion), associés à de la fièvre. L’IRM réalisée 10 jours après le début des symptômes met en évidence 5 lésions parenchymateuses rondes sustentorielles. FLAIR axial : lésions en hypersignal avec œdème péri-lésionnel T1 sagittal avant injection et T1 axial après injection de gadolinium : rehaussement périphérique de toutes les lésions T2* : hyposignal au sein des lésions, compatible avec une composante hémorragique Séquence de diffusion (b=1000 s/mm2) et cartographie ADC : 4 des 5 lésions présentent un aspect en “cible“ : -un hyposignal central et périphérique sur la séquence de diffusion, correspondant à des valeurs d’ADC élevées -un hypersignal intermédiaire franc , correspondant à des valeurs d’ADC basses. Une biopsie cérébrale a été réalisée : présence de nombreux filaments d’Aspergillus fumigatus, ainsi que de nécrose tissulaire entourée d’une paroi fibreuse vascularisée. Le patient est décédé 24 heures après la biopsie. Biopsie cérébrale (coloration Grocott, X400) montrant la présence de filaments aspergillaires. Patient n°2 Patiente de 56 ans hospitalisée pour cirrhose éthylique évoluée et aspergillose pulmonaire invasive avec sérologie aspergillaire très positive. Absence d’immunodépression sévère (nombre de leucocytes subnormal à 15.45G/l). Apparition d’une confusion avec hémiparésie gauche. L’IRM réalisée 7 jours après le début des symptômes montre 16 lésions rondes infra et supra-tentorielles. La patiente est décédée 5 jours plus tard, l’autopsie n’a pas été réalisée. FLAIR axial : lésions arrondies en hypersignal et plage ischémique du territoire sylvien droit T1 sagittal avant injection et T1 axial après injection de gadolinium : absence de rehaussement des lésions T2* : absence ou faible hyposignal périphérique (flèche), témoin de l’absence ou d’une faible composante hémorragique Séquence diffusion (b=1000 et cartographie ADC : Séquence dede diffusion (b=1000 s/mm2)s/mm2) et cartographie ADC : 6 des 1616 lésions circulaires présentent un aspect un en "cible": 10 des lésions circulaires présentent aspect en hypersignal -un hyposignal central et périphérique sur la séquence de diffusion,àcorrespondant à homogène sur la séquence de diffusion, correspondant des valeurs des valeurs d’ADC élevées d’ADC diminuées. -un hypersignal intermédiaire franc , correspondant à des valeurs d’ADC basses. Patient n°3 Patient de 61 ans hospitalisé pour confusion, hyperthermie et hémiparésie gauche. Antécédents de greffe de moelle pour leucémie myéloïde chronique, leucopénie prédominant sur les lymphocytes (0.14G/l), sous corticothérapie. Présence d’antigènes aspergillaires dans le liquide céphalo-rachidien. L’IRM réalisée 2 jours après le début des symptômes met en évidence 2 volumineuses lésions circulaires. Décès du patient 21 jours après le début des symptômes. L’autopsie n’a pas été réalisée. FLAIR axial : 2 lésions circulaires en hypersignal T1 axial avant injection et après injection de gadolinium : absence de rehaussement des lésions T2* : hyposignal périphérique des 2 lésions, compatible avec une composante hémorragique Séquence de diffusion (b=1000 s/mm2) et cartographie ADC : les 2 lésions présentent un aspect en "cible". Au total… Nombre de lésions Patient 1 Patient 2 Patient 3 5 Taille De 1.5 à 2.2 cm 16 De 0.5 à 1.8 cm 2 4.2 et 5.8 cm Rehaussement Aspect en diffusion Oui, périphérique 4 lésions en “cible“ 1 lésion homogène Non 6 lésions en “cible“ 10 lésions homogènes Non 2 lésions en “cible“ Discussion : épidémiologie L’aspergillose cérébrale est une affection rare, affectant classiquement des patients immunodéprimés, en particulier dans les suites de transplantation de moelle. Les spores d’Aspergillus pénètrent généralement l’organisme par inhalation et colonisent les poumons ou les sinus de la face, pouvant secondairement s’étendre à d’autres organes par dissémination hématogène. Le cerveau est un site commun de dissémination, avec une incidence de 10 à 40% d’atteinte au cours d’une aspergillose invasive. Le pronostique est très mauvais, le taux de mortalité étant estimé entre 85 et 100%. Discussion : nature des lésions Contrairement à d’autres micro-organismes disséminés par voie hématogène, les filaments aspergillaires sont angio-invasifs, ce qui les rend responsable de lésions cérébrales spécifiques : les filaments aspergillaires infiltrent et détruisent la paroi des grosses artères cérébrales, bloquant l’origine des petites artères perforantes, et causant des zones d’infarctus initialement stériles. Au cours d’une seconde phase, les éléments aspergillaires envahissent la plage infarcie qui évolue vers la nécrose septique. Discussion : composante hémorragique Patient 2 Les lésions infarcies peuvent présenter une composante hémorragique, pouvant orienter le diagnostic. Toutefois cet aspect n’est décrit que dans 25% des lésions aspergillaires. Patient 3 T2* : Patient 2 : absence de composante hémorragique. Patient 3 : anneau en asignal périphérique, témoin d’une composante hémorragique périphérique. Discussion : prise de contraste Un des signes importants classiquement décrits en imagerie est l’absence de rehaussement des lésions, due à l’absence de réaction inflammatoire chez des patients immunodéprimés ou sous corticothérapie. Or, une prise de contraste périphérique, correspondant à la formation d’une capsule, peut être présente dans 13 à 50% des cas, le plus souvent chez les patients les plus immunocompétents et sur les plus volumineuses lésions. Dans nos cas, la prise de contraste est variable : les lésions du patient 1 présentent un rehaussement franc, en anneau, malgré une immunodépression sévère, alors que les lésions de la patiente 2 ne sont pas rehaussées, malgré l’absence d’immunodépression majeure. L’absence de prise de contraste n’est donc pas toujours un critère déterminant pour le diagnostic positif. Patient 1 Patient 2 Discussion : imagerie de diffusion L’imagerie de diffusion a rarement été décrite dans la littérature. La plupart des cas décrits concernent des lésions rehaussées par le produit de contraste, présentant une diminution globale de la diffusion de l’eau. Dans nos cas, plusieurs lésions se présentent également sous la forme d’un fort hypersignal homogène sur les séquences de diffusion, correspondant à des valeurs d’ADC basses : cet aspect correspond à du parenchyme infarci, comme décrit par Miaux et al. sur l’analyse pathologique de pièces d’autopsie. Miaux Y et al.. American Journal of Neuroradiology 1995;16:555-562 -Séquence de diffusion (b=1000 s/mm2): hypersignal franc, homogène -Cartographie ADC : valeurs basses Discussion : imagerie de diffusion Un point particulier est la présence dans nos 3 cas d’un aspect en "cible" de certaines lésions sur les séquences de diffusion, qu’elles soient rehaussées (4 lésions) ou non rehaussées (8 lésions) après injection de produit de contraste. Discussion : imagerie de diffusion Centre en hyposignal sur la séquence de diffusion, correspondant à une élévation des valeurs d’ADC (valeur moyenne =1.42 x 10-3 mm/sec) Séquence de diffusion (b=1000) Zone intermédiaire en franc hypersignal sur la séquence de diffusion, correspondant à une diminution des valeurs d’ADC (valeur moyenne =0.47 x 10-3 mm/sec) Périphérie en hyposignal sur la séquence de diffusion, correspondant à une élévation des valeurs d’ADC (valeur moyenne =1.41 x 10-3 mm/sec) Cartographie ADC Discussion : imagerie de diffusion L’élévation centrale de la diffusion suggère une évolution du centre de la lésion vers la nécrose. L’abaissement de la diffusion de l’anneau intermédiaire correspond vraisemblablement à une zone infarcie. Cette zone peut également présenter une composante hémorragique dans certaines lésions (présence d’un anneau superposable en hyposignal sur les séquences T2*, discret hypersignal sur les séquences T1). L’élévation de la diffusion de la zone périphérique correspond à de l’œdème vasogénique (apparaissant en hypersignal sur les séquences FLAIR). Discussion : diagnostic différentiel Les principaux diagnostics différentiels à évoquer devant des lésions cérébrales chez un patient immunodéprimé sont : La toxoplasmose, La cryptococcose, La candidose Des lésions malignes (lymphome++) Discussion : diagnostic différentiel La toxoplasmose se présente habituellement sous la forme de multiples lésions rehaussées en anneau, et peuvent présenter une composant hémorragique. En cas d’immunodépression sévère, le rehaussement n’est pas constant. L’imagerie de diffusion peut aider au diagnostic différentiel, montrant une restriction de la diffusion de l’eau avec des valeurs d’ADC élevées. Toxoplasmose chez une patiente atteinte du SIDA. A, T1 axial avec gadolinium : réhaussement en anneau de la lésion des noyaux gris centraux droits B, diffusion (b = 1000 s/mm2) : Le centre de la lésion montre une augmentation de la diffusion C, Cartographie ADC. Augmentation centrale des valeurs d’ADC (ADC ratio : 2.23). Camacho DLA et al. American Journal of Neuroradiology 2003;24:633-637. Discussion : diagnostic différentiel La cryptococcose cérébrale se développe dans les espaces de Virchow Robin, qui sont initialement distendus par du matériel mucoïde (formation de "pseudo-kystes gélatineux"). L’IRM montre de petits hypersignaux dans la région des noyaux gris centraux sur les séquences en T2, persistant en hypersignal sur les séquences FLAIR. En cas de rupture de la barrière hémato-encéphalique, des collections intraparenchymateuses, appelées cryptococcomes, peuvent se former autour des espaces de Virchow Robin. Elles prennent rarement le contraste chez les patients immunodéprimés. L’imagerie de diffusion est mal connue. Cryptococcose chez un patient de 58 ans atteint du SIDA. T2 sagittal montrant de multiples espaces de Virchow Robin dilatés dans la région des noyaux grais centraux (flèches). Robert M. Kwee et al. RadioGraphics 2007; 27:1071–1086 Discussion : diagnostic différentiel La candidose cérébrale se présente habituellement sous la forme de nombreux micro-abcès, mesurant moins de 3mm, avec ou sans rehaussement annulaire, situés à la jonction cortico-médullaire, dans les noyaux gris centraux et dans le cervelet. A notre connaissance, le comportement de ces lésions en imagerie de diffusion n’a jamais été décrit. Discussion : diagnostic différentiel Lymphome du thalamus droit chez une patiente de 80 ans a: T1 avec gadolinium : réhaussement hétérogène de la tumeur b : cartographie du rCBV ne montrant pas d’augmentation de la vascularisation tumorale C : courbe de perfusion dans le lymphome et la substance blanche controlatérale : remontée importante au dessus de la ligne de base après le premier passage de la courbe du lymphome d : séquence de diffusion : signal élevé dans la tumeur Les lymphomes cérébraux se présentent sous la forme de lésions en hyposignal T1, hypo, iso ou hypersignal T2. La prise de contraste, homogène ou périphérique, est quasiment constante. Le caractère hypercellulaire des ces tumeurs est à l’origine d’une restriction de la diffusion de l’eau. L’imagerie de perfusion peut être utile, apportant des information plus spécifiques (valeurs de rCBV normales et courbe de perfusion tumorale présentant une remontée importante au dessus de la ligne de base après le premier passage). Cotton F et al. J Neuroradiol. 2006 Oct;33(4):220-8. Conclusion L’imagerie morphologique des lésions d’aspergillose cérébrale est peu spécifique. La connaissance de leur aspect en imagerie de diffusion (restriction globale de la diffusion de l’eau ou aspect hétérogène en "cible") peut apporter une aide précieuse pour le diagnostic positif et différentiel d’aspergillose. Bibliographie 1- Germazi A, Gluckman E, Tabti B, Miaux Y. Invasive central nervous system aspergillosis in bone marrow transplantation recipients : an overview. European Radiology 2003;13:377-388. 2- Miaux Y, Ribaud P, Williams M et al. MR of cerebral aspergillosis in patients who have had bone marrow transplantation. 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