OÙ EN EST LE MODÈLE ÉCONOMIQUE ALLEMAND ?

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OÙ EN EST LE MODÈLE
ÉCONOMIQUE ALLEMAND ?
MODÈLE
ALLEMAND
CHRISTINE DE MAZIÈRES
E
n cette année 1996, l'économie allemande envoie des signaux contradictoires : forte d'avoir réussi, en cinq ans, à « digérer » la réunification
en maintenant son système, elle affiche cependant deux mauvaises
performances : le non-respect en 1995 et 1996 des critères budgétaires de
convergence définis par le traité de Maastricht et le franchissement, au début
de 1996, du seuil des quatre millions de chômeurs officiels (4.270.000 en
février, soit plus de 400.000 chômeurs supplémentaires en un an) et des 11%
de chômeurs au sein de la population active (9,6 % à l'Ouest et 17,5 % à l'Est
en février). D'autres signes d'une détérioration de la situation économique de
l'Allemagne depuis quelques mois s'accumulent : l'investissement des entreprises stagne, les perspectives de croissance demeurent médiocres, le marché obligataire voit ses taux à long terme remonter, affichant ainsi une méfiance persistante à l'égard des performances économiques allemandes.
Depuis 1993, date de la pire récession allemande depuis la dernière guerre
(croissance négative de -1,2 %, dont -1,8 % à l'Ouest), l'on voit s'amplifier en
Allemagne un débat sur la compétitivité structurelle de son économie, la
fameuse Standortdebatte. La question est maintenant posée de savoir si le
« modèle » allemand est menacé dans ses fondements mêmes.
Les composantes du « modèle » allemand
Le terme de « modèle » sera compris ici, non pas dans le sens d'un exemple,
dans la mesure où il n'est guère transposable à d'autres pays, mais dans son
acceptation neutre de système. Plus que d'un système économique, mieux
vaudrait parler de système économique et social, tant les paramètres sociaux
et culturels sont indissociables du fonctionnement de l'économie.
Ce système repose pour l'essentiel sur trois éléments : monétaire, social et
industriel.
En premier lieu, une culture de stabilité monétaire, née de la hantise de
l'hyperinflation de 1923, qui a permis depuis près de cinquante ans le maintien de l'inflation à un bas niveau. Grâce aux efforts ininterrompus de la Bundesbank, le pouvoir d'achat du Deutsche Mark a pu être préservé et même
considérablement amélioré, par des réévaluations successives. Au lieu d'un
long discours, rappelons que la parité franc-mark est passée de 1 pour 1 en
1959 à 3,42 francs pour 1 DM aujourd'hui.
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En second lieu, la gestion concertée du marché du travail ou cogestion a
fait la preuve jusqu'ici de sa remarquable efficacité (rareté des conflits sociaux).
La cogestion repose sur trois fondements : existence d'un syndicalisme unitaire (le DGB, quoique en diminution sensible, a toujours dix millions d'adhérents) et puissant, parité légale de représentation des salariés et dirigeants au
sein des conseils de surveillance des entreprises de plus de 2.000 salariés,
enfin l'« autonomie tarifaire », c'est-à-dire l'indépendance légale des partenaires sociaux par rapport aux pouvoirs publics dans les négociations salariales et sur les conditions de travail.
Troisième élément, une spécialisation industrielle sur des secteurs à haute
valeur ajoutée et des produits de grande qualité, qui permet de dégager
d'importants excédents commerciaux, tout en maintenant une monnaie
surévaluée et des salaires très élevés, corollaires de hautes qualifications.
Cet avantage compétitif fondé sur la qualité et non sur les prix est l'originalité
allemande. L'économie allemande est à la fois très industrielle et extravertie :
la culture industrielle est l'un des fondements de l'identité allemande (le premier salon industriel du monde, l'Industriemesse de Hanovre, n'attire pas que
des professionnels, mais aussi des familles entières), et la tradition exportatrice allemande est ancienne (cf. la Hanse).
Or, depuis le milieu des années quatre-vingt et surtout le début des années
quatre-vingt-dix, c'est cette dernière composante du système qui subit un lent
dérèglement.
Double mise à l'épreuve du modèle économique allemand
Deux évolutions affectent depuis quelques années la compétitivité allemande :
– Une évolution lente, ce qu'il est convenu d'appeler la globalisation de l'économie mondiale. L'internationalisation des marchés du travail et des capitaux
entraîne une « dérégulation » de ceux-ci, c'est-à-dire une remise en cause de
leur organisation au niveau national. En ce qui concerne les marchés financiers, l'on assiste ainsi à une remise en cause progressive des Hausbanken,
les banques-maisons qui illustrent l'imbrication étroite entre l'industrie et les
banques allemandes. Désormais, des entreprises allemandes veulent faire
jouer la concurrence avec des banques étrangères et certains établissements
financiers, comme les caisses d'épargne, adoptent des mentalités plus internationales concernant le placement de leurs fonds. Pour ce qui est du marché
du travail, les délocalisations croissantes d'emplois vers des pays jugés plus
compétitifs sont source d'inquiétudes croissantes (cf. infra).
– Un événement spécifiquement allemand, la réunification. La politique économique du gouvernement de Bonn dans cette affaire majeure s'est au départ
fondée sur une illusion, celle de ne pas devoir planifier le passage de l'économie
planifiée (ou plus précisément d'une économie bureaucratique autoritaire) à
l'économie de marché : le marché par ses seules vertus devait apporter un nouveau miracle économique. Une illustration de cette idée se retrouvait dans la
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croyance selon laquelle la privatisation des entreprises est-allemandes autofinancerait leur assainissement et leur mise aux normes occidentales, en
d'autres termes que la Treuhandanstalt équilibrerait ses comptes. L'on sait qu'il
n'en fut rien. L'Office fiduciaire, au terme de sa mission fin 1994, a laissé un
passif de 270 milliards de DM, représentant un service de la dette de 20 milliards de DM par an pendant quarante ans pour le budget fédéral. L'erreur
conceptuelle initiale de croire en l'existence d'une « main invisible » consubstantiellement inhérente à l'économie de marché a conduit in fine à un financement de l'unification par l'emprunt, qui d'une part entraîne une tension sur
les taux d'intérêt et un effet d'éviction des investissements privés et reporte
d'autre part la charge financière sur les générations futures. Néanmoins, cette
« gestion de crise sans stratégie d'ensemble » du début (ainsi que l'ont écrit
J. Priewe et R. Hickel dans « Der Preis der Einheit » (Le prix de l'unité , Fischer,
1991) n'a pas empêché un succès d'ensemble de la politique économique de
l'unification : seules 20 % des firmes prises en charge initialement par la Treuhand ont totalement disparu, 80 % ont pu être assainies en tout ou partie. Simplement, le modèle de l'économie sociale de marché a fonctionné, dans les nouveaux Länder, beaucoup plus dans sa composante sociale qu'à travers la
logique du marché. La politique économique de l'unification s'est en effet caractérisée par un extraordinaire volontarisme étatique : volontarisme des transferts
financiers d'Ouest en Est et volontarisme d'une véritable politique industrielle
qui n'ose dire son nom (ce terme étant tabou outre-Rhin). En 1994, les transferts
publics vers l'Est se sont élevés à 200 milliards de DM, soit 6 % du PIB ouestallemand et… 60 % du PIB est-allemand ! Quant à la politique industrielle, son
existence ne peut plus être niée lorsqu'il en coûte 25 milliards de DM au total
aux finances publiques du pays pour assainir le secteur de la chimie est-allemande, par exemple.
Au total, la transformation de l'économie est-allemande a dû être beaucoup
plus profonde et brutale qu'il n'avait été prévu à l'origine. Il faudra que les historiens se penchent sur les raisons pour lesquelles l'Occident avait donné foi
à la propagande du « pays du socialisme réel », qui se donnait comme dixième
nation industrielle du monde. En réalité, cette économie était déjà en faillite
plus ou moins bien dissimulée au moment de l'unification : une économie qui
ne pratique plus d'investissements et consomme l'ensemble de sa production
intérieure signe son arrêt de mort. L'effondrement fut en conséquence brutal
(- 45 % du PIB en 1989-90) et relativement long : la Talfahrt (descente rapide )
ne s'arrêta qu'au début de 1994. Depuis, l'économie est-allemande connaît
une croissance « à l'asiatique », de l'ordre de 9 % par an. Mais ce taux n'a
pas jusqu'à présent suffi à retrouver le niveau de production antérieur, et ne
signifie surtout pas un rattrapage rapide des anciens Länder, lorsque le PIB
est-allemand ne représente encore que 10 % du PIB ouest-allemand. C'est
une évidence mathématique : 10 % de 10 constitue moins que 2 % de 100.
Quoi qu'il en soit, le PIB par habitant de l'ex-RDA est passé de 31 % du niveau
de l'Ouest en 1991 à 52 % en 1995. Il dépasse désormais les niveaux du Portugal et de la Grèce, pays membres de l'Union Européenne. Grâce aux transferts venant de Bonn, le revenu disponible par habitant atteignait même à cette
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date 68 % de celui de l'Ouest. Les deux points noirs de l'économie est-allemande demeurent, d'une part les coûts salariaux unitaires qui sont encore
supérieurs à un tiers de ceux de l'Ouest en raison du rattrapage des salaires
plus rapide que l'ajustement des productivités entre l'Est et l'Ouest, et d'autre
part la quasi-disparition des marchés d'Europe de l'Est. C'est l'industrie qui a
le plus souffert : l'ex-RDA est passée d'une surindustrialisation à une sousindustrialisation. Au sein de l'Allemagne réunifiée, les nouveaux Länder
représentent 20 % de la population, mais seulement 10 % du PIB, 5 % de
l'industrie et 1,8 % des exportations. Au total, le modèle de l'économie
sociale de marché a fait ses preuves face à la réunification, mais au prix d'un
coût reporté vers l'avenir considérable. En tout cas, il n'y a plus une, mais deux
économies allemandes distinctes.
Les remises en cause du « modèle » allemand
Sous l'effet conjugué de ces deux facteurs, globalisation et réunification, l'Allemagne assiste, inquiète, à la résorption de son avantage compétitif : des
concurrents sérieux sont apparus sur les marchés des produits de qualité
(pays asiatiques, voire certains pays occidentaux comme l'Italie), marchés
eux-mêmes saturés pouvant plus difficilement absorber la production d'une
Allemagne élargie à plus de 80 millions d'habitants.
Cette érosion de la compétitivité rend plus difficile à supporter les hauts coûts
salariaux et la surévaluation du taux de change du mark, et ce d'autant plus
que ce déplacement de l'équilibre économique s'accompagne de deux autres
tendances préoccupantes : la hausse des prélèvements obligatoires et l'augmentation des délocalisations de productions et d'emplois vers des pays tiers.
- Le coût horaire de la main-d'œuvre allemande est le plus élevé du monde :
en 1994, il atteignait 44 DM en Allemagne de l'Ouest, contre 36 DM au Japon,
29 en France et 28 aux États-Unis. Alors que ce coût horaire augmentait de
21 % en France entre 1988 et 1994, il a crû de 35 % sur la même période en
Allemagne de l'Ouest. Un ouvrier coûtant 100 en Bade-Würtemberg ne coûte
que 80 en Bavière, 75 au Japon, 60 en France et aux États-Unis. (1) Et Lothar
Späth et Herbert Henzler de dénoncer dans la foulée le mythe de l'Allemand
grand travailleur (der fleissige Deutsche) : en fait, il ne travaillait que 1.519
heures par an en 1992, contre 1.857 aux Etats-Unis et 2.007 au Japon (2).
- Le taux de change du mark, qui continue à s'apprécier continuellement, apparaît comme surévalué dès lors que la compétitivité structurelle (qualité des produits) joue un rôle moins grand dans les échanges que la compétitivité-prix. Les
coûts salariaux unitaires relatifs (pondérés par l'évolution des taux de change)
sont ainsi passés, sur la base 100 en 1991, à 122 en 1995 pour l'Allemagne,
se sont maintenus au même niveau en France, ont diminué à 90 pour les États(1) Selon Rémi Lallement, « L'unification sans miracle », CIRAC, 1995.
(2) Henzler et Späth, Sind die Deutschen noch zu retten ? Von der Krise in den Aufbruch (Peut-on encore sauver
les Allemands ? De la crise vers le redémarrage), Bertelsmann, 1993.
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Unis et le Royaume-Uni, et même à 67 en Italie (source OCDE). L'on notera
qu'au sein de l'Union Européenne, ces deux derniers pays, qui ont quitté le système monétaire européen, ont vu leur monnaie se déprécier et leur compétitivité-prix s'améliorer en conséquence. C'est pourquoi l'Allemagne a tout intérêt
à une monnaie unique et une zone de stabilité monétaire la plus large possible
dans une Europe qui continue à absorber 60 % de ses exportations.
- Autre faiblesse, le poids croissant des prélèvements obligatoires (ce que les
Allemands appellent la Staatsquote - la quote-part de l'État -), qui sont passés
de 37 % du PIB en 1970 à 44,5 % en 1995 (mais la France atteint hélas le
même niveau, sans avoir subi le coût d'une réunification et sans en retirer les
avantages politiques et moraux).
Coût salarial record
D'après une étude de la Monthly Labour Review américaine, l'Allemagne arrive de
loin en tête dans le monde pour le coût d'une heure de travail ouvrier dans l'industrie. Il s'élève à 27,4 $ contre 17,1 $ aux États-Unis. Seules la Suisse et la Belgique
se rapprochent des chiffres allemands. La France et l'Italie se trouvent environ au
niveau américain, tandis que les salaires japonais sont d'environ 20 % plus élevés
que les salaires américains. L'écart entre l'Allemagne et l'Espagne atteint plus de
50 % et avec la Grande-Bretagne un peu moins de 50 %. Parmi les 29 pays industriels enregistrés par l'étude américaine, 24 ont un coût salarial inférieur de 45 %
à celui de l'Allemagne. La charge salariale globale allemande est, par ailleurs, de
29 % supérieure à la moyenne des pays membres de l'Union Européenne. Toutes
les comparaisons concernent exclusivement les anciens Länder. La conséquence de
ce décalage salarial sont des délocalisations de plus en plus fréquentes des usines
allemandes. Les investissements directs allemands à l'étranger ont ainsi doublé entre
1994 et 1995 pour s'élever à environ 50 milliards de marks.
Alfred Frisch
- Enfin, les entreprises allemandes recourent de plus en plus aux délocalisations, afin d'améliorer leur compétitivité-prix. En 1995, ce sont 50 milliards de
DM qui ont été investis à l'étranger. La même année, la fabrication d'automobiles allemandes était assurée pour 35 % par des usines à l'étranger, chiffre
en hausse. Il s'agit à 90 % d'investissements dans des pays occidentaux :
ainsi, Mercedes a choisi la France pour produire sa future Swatchmobile. En
1995 toujours, Siemens a supprimé 7.000 emplois en Allemagne et en a créé
4.000 à l'étranger. En 1994, 60 % des investissements de la chimie allemande
ont été réalisés à l'étranger. Cette vague des délocalisations suscite depuis
1993 en Allemagne un vaste débat sur la compétitivité du site productif allemand. Certains, comme Lothar Späth et Herbert Henzler (3), estiment qu'il n'y
a pas d'alternative à ce mouvement, et que l'Allemagne doit au contraire accélérer son entrée dans l'âge post-industriel : 35 % de sa population active est
encore employée dans l'industrie (pourcentage supérieur à celui des autres
(3) Voir note 2, p 18.
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pays industrialisés), alors qu'un taux de 25 % serait suffisant à terme selon
ces auteurs. L'Allemagne devrait, en contrepartie, rattraper son retard dans
les services. Il est intéressant de noter que Lothar Späth, ancien ministre-président du Bade-Würtemberg, applique ces idées à la tête de Jenoptik, issue
de l'ancien combinat Zeiss-Jena en ex-RDA, où, moyennant une politique systématique de délocalisations, compensée par un « essaimage » dans 200 nouvelles entreprises, de services surtout, il a réussi à sauvegarder un grand
nombre d'emplois au prix d'une transformation radicale de l'entreprise.
Vers un épuisement ou un renouvellement du « modèle » ?
Des Cassandre sont apparues, qui professent un certain pessimisme ; ainsi de
Wolfgang Streeck, qui estime que les difficultés du « modèle allemand » sont
telles, du fait de la réunification et de la globalisation, « qu'il pourrait bien ne
pas les surmonter » (4), ou encore de Michel Albert qui, dans un ouvrage remarqué, prévoyait déjà en 1993 la victoire du modèle de capitalisme anglo-américain sur le « modèle rhénan ». Les raisons du pessimisme mises en avant sont,
d'une part le fort accroissement du chômage qui rompt pour ainsi dire le
« contrat social » qui fut à la base du modèle allemand, et d'autre part l'insuffisante capacité d'innovation dont fait preuve l'industrie allemande. Selon
W. Streeck, alors que le système allemand se caractérise par une recherche
d'égalité entre les salariés et une plus faible extension de l'échelle des salaires
qu'ailleurs, le chômage massif et de longue durée introduit une inégalité profonde qui bouleverse le consensus social. Quant à l'innovation, la part des
dépenses de recherche dans le PIB allemand a diminué de 2,26 % en 1990 à
1,88 % en 1993. Et en 1995, l'Allemagne a cédé à la France la troisième place
mondiale pour la part des dépenses de recherche dans le PIB. Cette insuffisance de l'innovation serait liée à une spécialisation industrielle ancienne : l'Allemagne brille encore sur les marchés de la chimie ou de la mécanique, mais
a du mal à rattraper son retard en informatique. Et Bonn continue à soutenir à
bout de bras des secteurs en déclin, comme le charbon ou les chantiers navals.
Cette vision pessimiste doit cependant être contrebalancée par des signes de
renouvellement du « modèle » allemand. Cette dynamique mobilise les trois
acteurs du système : les entreprises, les syndicats et les pouvoirs publics.
- Les entreprises allemandes se restructurent activement depuis quelques
années, conscientes du défi de la globalisation. Siemens a réduit ses coûts
de production de 20 % en trois ans, grâce à une réorganisation drastique : évaluation des salariés, optimisation des relations avec les fournisseurs et, bien
sûr, délocalisations (mais la société produit encore 60 % en Allemagne).
Hœchst s'est réorganisée en vingt unités opérationnelles de taille mondiale,
prenant ainsi acte de la globalisation de son marché. Mercedes Benz a réduit
ses coûts de 5 milliards de DM en 1994… Certaines entreprises misent éga-
(4) Codirecteur du Max Planck Institut für Gesellschaftsforschung (Institut Max Planck pour l'étude de la société),
Cologne ; co-auteur de Les capitalismes en Europe, Éditions La Découverte, 1996.
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lement sur les nouveaux Länder, en y construisant des usines à la pointe de
la technologie, comme celle de Opel à Eisenach, qui détient le record européen de productivité (59,3 véhicules par ouvrier et par an). Selon Horst Köhler
(5), les nouveaux Länder dynamisent la société allemande, en étant en particulier plus ouverts à l'innovation et à la technologie.
- Les syndicats allemands ont opéré, depuis 1995, une véritable révolution culturelle : désormais, ils acceptent les mesures de flexibilité et notamment la possibilité de réductions de salaires en contrepartie d'embauches. Ainsi, le
« pacte pour l'emploi », annoncé le 24 janvier 1996 et élaboré dès la fin de
1995 à partir de propositions de Klaus Zwickel, chef de l'IG-Metall (syndicat
unitaire de la métallurgie, 2,8 millions d'adhérents), acceptait pour la première
fois de limiter les hausses salariales si des emplois étaient créés. Mais si ce
pacte global a eu la vertu de frapper les esprits, c'est sur le terrain, entreprise
par entreprise, que se négocient les nouvelles organisations du travail, fruits
du compromis. Volkswagen a ouvert la voie en adoptant la semaine de quatre
jours et des horaires plus souples, moyennant une réduction de salaire et l'acceptation d'une certaine mobilité géographique. Les accords de flexibilité, qui
se multiplient, réalisent d'une nouvelle manière le modèle allemand, où exigences économiques et sociales se rejoignent : grâce à ces accords, BMW
se targue de n'avoir jamais licencié. Les Allemands trouvent des solutions
internes, là où les Français ont recours tour à tour aux licenciements et à la
précarisation, à l'intérim et aux heures supplémentaires.
- Enfin, l'État affiche son intention de réduire le poids qu'il fait peser sur l'économie. Le programme d'action pour l'investissement et l'emploi, annoncé
par le Chancelier fédéral le 30 janvier 1996, jette un cri d'alarme : « Il manque
aujourd'hui cinq millions d'emplois compétitifs en Allemagne ». En réponse, il
projette d'importantes économies budgétaires, affectées pour moitié à la
réduction du déficit et pour moitié à des baisses d'impôts, de nouvelles privatisations, des mesures d'encouragement à la création d'entreprises, la limitation des cotisations sociales, qui passeraient de 41 % du salaire horaire (1996)
à moins de 40 % en 2000, en réduisant les prestations maladie et le recours
aux préretraites.
En définitive, entreprises, syndicats et État sont convaincus de la nécessité
de réformes structurelles, mais discutent encore des modalités. En Allemagne,
si la prise de décisions est lente, parce que consensuelle, l'application de
celles-ci peut être rapide. Le modèle allemand traverse sans doute une crise
de maturité, mais il est fort à parier qu'il réussira son adaptation au nouvel environnement mondial. Les Français devraient, quant à eux, retenir deux leçons
des évolutions outre-Rhin : primo, les vertus du dialogue social tripartite Étatpatronat-syndicats ; secundo, qu'il n'y a pas d'alternative en Europe, à la veille
de la monnaie unique européenne, à une politique de l'offre, c'est-à-dire de
réduction des charges qui pèsent sur l'économie, même si des sirènes électoralistes prônent ça et là des relances de la demande.
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(5) Ancien Secrétaire d'État aux Finances et négociateur du traité de Maastricht (entretien paru dans Le Monde ,
6.2.1996).
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LE DEUTSCHE MARK
AU-DESSUS DE LA MÊLÉE
MODÈLE
ALLEMAND
LUCAS DELATTRE
U
ne monnaie stable et forte comme condition sine qua non d'une croissance à long terme : cette maxime demeure l'une des bases les plus
solides du consensus allemand. Contrairement à ce qu'on observe
en France, fort peu de dirigeants politiques d'outre-Rhin ont remis en cause
la solidité du Deutsche Mark pourfendu ses effets dévastateurs sur l'emploi.
C'est dire combien la monnaie occupe une place particulière dans le débat
public : malgré l'existence de 4 millions de chômeurs, malgré l'examen critique
dont fait l'objet en profondeur le modèle allemand – particulièrement depuis
la publication du rapport « Standort Deutschland » en 1993 –, le Deutsche
Mark reste à l'écart de toute dispute, comme s'il était au-dessus de la mêlée.
Si on ne s'attaque pas au mark, c'est sans doute qu'il reste le symbole le plus
fort de la réussite économique allemande depuis 1945 et représente un élément clé de ce qu'on pourrait appeler, en terme gaullistes, le « dispositif national ». « Nous avons adopté, en partie grâce à l'expérience de l'inflation, une
culture de la stabilité qui repose notamment sur deux piliers : le soutien de l'opinion publique et la banque centrale indépendante », disait tout récemment le
président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer. S'il reste une certitude à l'heure
où tout bascule, c'est bien celle du Deutsche Mark : même l'étoile de Mercedes, autre grand symbole national, vacille un peu ces temps derniers avec
l'annonce de pertes financières exceptionnelles et des suppressions d'emplois
à n'en plus finir. A l'inverse, un mark reste un mark. Combien de familles allemandes ne conservent pas dans l'armoire de leur salon un billet de banque
de 1923, témoin par le nombre faramineux de ses zéros de l'infamie de l'inflation ? Pour reprendre une formule de John M. Keynes (dont les théories sont
pourtant loin d'être préconisées par les Allemands) : « Pour détruire les fondements d'une société, il n'y a pas de méthode plus subtile ni plus sûre que
de détruire sa monnaie ».
Vu de France cet attachement viscéral au « mark fort » a quelque chose d'incongru. « Le mark fort est un mythe », remarquait récemment dans une interview Patrick Artus, l'économiste en chef de la Caisse des Dépôts et Consignations (voir Die Zeit, du 5 avril 1996). A l'appui de ce jugement, l'éminent
économiste français constatait que « le mark fort n'a pas apporté à l'Allemagne
plus de discipline salariale ni moins d'inflation que ce qu'on peut observer dans
des pays comparables (…). D'un point de vue rationnel, le mark fort est aujourd'hui un problème pour les Allemands ».
Mythe ou problème ? Rappelons ici la définition classique du terme selon
Roger Caillois (dans « Le mythe et l'Homme ») : « Le mythe justifie, soutient
et inspire l'existence et l'action d'une communauté, d'un peuple ». Autrement
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dit le Deutsche Mark, qui fut le premier attribut de souveraineté concédé à l'Allemagne par les puissances alliées dès 1948, c'est-à-dire avant la création de
la République fédérale, s'inscrit bien dans la dimension de l'imaginaire et, pour
citer à nouveau Roger Caillois, « donne à chacun la certitude de son propre
destin ».
« Les Français ont la bombe, les Allemands ont le mark » : cette formule déjà
ancienne reste toujours valable aujourd'hui. L'historien Michael Stürmer utilise
le qualificatif de « monnaie-puissance » (Machtwährung) pour désigner la fonction du mark : instrument d'intégration à l'Ouest après 1945, mais également
trait d'union permanent avec les pays de l'Est et la Russie (où on peut tout
payer en DM ainsi qu'en dollars), la monnaie allemande a permis au pays vaincu en 1945 de se réinscrire dans la réalité du monde (voir Michael Stürmer
Die Grenzen der Macht – Les limites de la puissance, Siedler Verlag, 1992).
A travers le projet d'Union monétaire européenne et la future création de l'Euro,
le mark reste un instrument de puissance au sens classique du terme : la puissance, selon Max Weber, n'est-elle pas « la capacité d'imposer sa volonté aux
autres ? » Même si les Européens l'acceptent pacifiquement et démocratiquement, la future monnaie européenne sera conçue sur le modèle du mark et
fabriquée à Francfort.
Mythe fondateur, dans le sens où chaque famille de l'Ouest se souvient avoir
débuté avec 40 DM, délivrés à chaque Allemand au moment de la réforme
monétaire de juin 1948. « Le 21 juin 1948, date-clé pour l'histoire de l'Allemagne
d'après-guerre », remarque Norbert Prill dans un article récemment publié par
la revue Die politische Meinung (avril 1996). A l'Est, l'arrivée du Deutsche Mark
à l'occasion de l'Union monétaire entre les deux Allemagnes (1er juillet 1990)
est restée comme date fondatrice de la liberté et du Wohlstand (bien-être).
Le mark est plus qu'une monnaie
Le Deutsche Mark n'est pas qu'une monnaie. Il s'agit d'un facteur d'identité,
voire d'un « langage sans malentendus » (selon l'économiste Herbert Giersch
dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 13 janvier 1996). Ce n'est pas un
hasard si les adversaires de la monnaie unique qualifient la future monnaie
unique européenne de « monnaie espéranto » pour la discréditer auprès de
l'opinion publique : l'Allemagne consacre au DM un culte comparable à celui
que la France voue au « génie de la langue française », et la Bundesbank
bénéficie auprès des Allemands d'un prestige comparable à celui de l'Académie française dans la culture hexagonale.
C'est pourquoi, comme le constate régulièrement le président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer : « La monnaie unique européenne n'a pas encore
conquis le cœur de nos concitoyens ». Et même si l'Euro devait être aussi solide que le mark, comme le promettent à l'unisson les dirigeants européens,
beaucoup de citoyens allemands se disent : pourquoi donc changer une bonne
monnaie contre une autre ? Inlassablement, les avocats allemands de la mon23
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naie unique (perçus par une certaine frange de l'opinion comme les fossoyeurs
du mark) rappellent à leur concitoyens que l'objectif de l'intégration européenne
est inscrit dans le préambule de la constitution du pays (rédigé en 1949 et repris
dans la Loi fondamentale de l'Allemagne unifiée en 1990).
Mais comment convaincre les Allemands des bienfaits de la monnaie unique
quand on constate que de nombreux responsables politiques européens, notamment en France, estiment qu'un « Euro fort » calqué sur le modèle du Deutsche
Mark n'apportera rien de bon aux pays de la future union monétaire ?
L'économie, il est vrai, ne trouve pas forcément son compte dans la forte
appréciation de la monnaie. A cause du renchérissement de la monnaie allemande, les produits « made in Germany » se vendent moins bien, et la part
de l'Allemagne dans le commerce mondial diminue (la part des produits allemands sur le marché mondial est passée de 12,5 % à 10 % entre 1990 et
aujourd'hui). D'où des transferts d'emplois à l'étranger de plus en plus fréquents, et un chômage qui s'accroît en conséquence.
Certaines voix très isolées, en Allemagne, dénoncent la politique du « Mark
fort parmi lesquelles celle de l'ancien chancelier Helmut Schmidt. Ce dernier
écrivait récemment dans Die Zeit (Rezepte gegen die deutsche Krankheit Des remèdes contre la maladie allemande, le 12 janvier 1996) : « Le taux de
change excessivement élevé de notre monnaie, dû à la politique de la Bundesbank, est devenu aujourd'hui le handicap économique le plus grave de
notre pays. De 1990 à aujourd'hui, la valeur extérieure du Deutsche Mark a
augmenté de 10 % ; ce qui signifie que le prix de vente d'un produit d'exportation allemand – qu'il soit vendu en DM ou en dollars – a augmenté de 10 %
même si son prix n'a pas bougé en Allemagne ». Helmut Schmidt n'a pas de
mots assez durs pour dénoncer ce qu'il appelle le « fétichisme de la masse
monétaire de la Bundesbank ».
Les dérives de la pensée unique
Exprimées en français dans le texte, ces préoccupations prendraient sans
doute la forme d'un discours enflammé contre les dérives de la « pensée
unique ». Certains économistes allemands d'un tout autre bord qu'Helmut
Schmidt argumentent volontiers en ce sens, et jugent qu'une monnaie forte
comme le DM, avec son corollaire obligé – la « culture de la stabilité » – ne
peut s'appliquer qu'aux besoins d'un pays riche comme l'Allemagne, à la
rigueur aux Pays-Bas et au Danemark. Étendue à toute l'Europe, une telle pratique monétaire forcerait à des ajustements macro-économiques extrêmement
brutaux, du type de ceux qui ont été vécus par les Länder de l'ex-RDA depuis
1990. « Si l'on adopte une banque centrale européenne, un objectif unique de
masse monétaire et un taux d'intérêt identique pour toutes les régions européennes – qu'elles soient fortes ou faibles – alors nous passerons de la paix
économique à la guerre », écrit ainsi l'économiste Wilhelm Hankel, un des plus
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virulents adversaires allemands du Traité de Maastricht (voir Das grosse GeldTheater - Le grand théâtre monétaire, DVA Verlag, 1995).
En théorie, une monnaie forte, c'est-à-dire peu abondante (c'est l'impératif du
knappes Geld), réduit la valeur des importations et oblige les entreprises à
améliorer en permanence leur compétitivité. Mais les industriels allemands
sont les premiers à souffrir de l'appréciation de la monnaie allemande, rendue
encore plus dure à supporter depuis que la lire italienne et la livre britannique
ont quitté le SME en 1992. Pourtant, la philosophie allemande ne change pas :
priorité absolue à la lutte contre l'inflation, garante de la stabilité de la monnaie.
« La stabilité interne du Mark est plus importante que le taux de change »,
selon Hans Tietmeyer, le président de la Bundesbank.
Ainsi, contrairement à la plupart des autres pays industrialisés, l'Allemagne n'a
jamais cherché à utiliser le taux de change comme un instrument privilégié de
sa politique commerciale. Plus généralement, la monnaie allemande ne fait
pas partie de la « boîte à outils » dont il est conseillé de se servir pour redresser l'économie nationale.
Certes, lorsque le dollar est trop faible, la Bundesbank intervient pour le soutenir, comme cela a été le cas en 1995. Mais la politique monétaire n'a pas à
agir au service de grands objectifs comme la conquête des marchés extérieurs
ou la relance conjoncturelle. Dans l'idée allemande, il faut avant tout que les
données macro-économiques de base soient saines (solides finances, salaires
modérés, flexibilité du marché du travail), afin que le niveau des taux d'intérêt
demeure acceptable et que l'activité économique s'épanouisse dans la stabilité. C'est là que l'on touche au cœur du malentendu monétaire européen : tant
que les partenaires de l'Union ne se seront pas mis d'accord sur les fondements quasiment philosophiques de la monnaie, les Allemands auront le sentiment très dangereux qu'avec l'Europe, c'est le DM qu'on assassine.
■
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et avait été couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques, vient d'être
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DOCUMENTS
GRANDEUR ET PERMANENCE
DU MODÈLE ÉCONOMICO-SOCIAL
MODÈLE
ALLEMAND
COMPÉTITIVITÉ, EMPLOI :
LE MODÈLE ALLEMAND EN PANNE ?
HENRIK UTERWEDDE
L
e « modèle allemand » auquel on se réfère si souvent semble être en
panne. Les difficultés persistantes des finances publiques depuis l'unité,
le « trou » du système social, les pertes de compétitivité de l'économie
sur les marchés mondiaux et la brutale augmentation du chômage ont entamé
sérieusement la confiance des Allemands dans la capacité de leur économie
à faire face à la crise. Le sentiment confus que de déchirantes ruptures
s'imposent, qui n'épargneront aucun « acquis », progresse lentement mais
sûrement. Après avoir cru pendant longtemps pouvoir échapper à la crise plus
facilement que les voisins, l'opinion publique allemande, consciente de la gravité de la situation, s'attend à de nouveaux sacrifices.
Les causes de la crise actuelle
La dégradation de la situation écnonomique et sociale a été révélée, plus que
causée, par le rétablissement de l'unité allemande. A court terme, la mauvaise
gestion financière du processus de l'unité a déstabilisé à la fois les finances
publiques et les grands équilibres macro-économiques. L'augmentation des
prélèvements obligatoires a alourdi non seulement le pouvoir d'achat des
ménages mais aussi les coûts de production des entreprises. Quant aux
salaires, ils ont connu un certain dérapage dans les premières années qui ont
suivi l'unité et les coûts unitaires ont augmenté plus vite que chez les principaux concurrents. A cela s'ajoute la réévaluation de fait de la devise allemande, qui a renchéri les produits exportés.
Dans un premier temps quelque peu camouflés par la courte euphorie du boom
économique qui avait suivi l'unité, ces problèmes ont ensuite commencé à se
faire sentir, renforcés par des difficultés plus structurelles rencontrées par la compétitivité allemande. L'évolution des coûts de production, surtout depuis 1989,
a fait de l'Allemagne l'un des pays au monde où les coûts salariaux par unité
(donc déjà compte tenu des effets compensateurs d'un haut niveau de productivité) sont les plus élevés. Cette situation renvoie bien sûr à la question des
salaires et des coûts annexes, mais aussi au système fiscal, aux prélèvements
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sociaux pénalisant les entreprises de main-d'œuvre, à la faible durée d'utilisation
des capacités de production, etc. Par conséquent, « produire allemand » devient
de plus en plus cher pour les entreprises, ce qui les pousse aux délocalisations
et contribue à dissuader des investisseurs étrangers potentiels.
L'affaiblissement des ressorts qualitatifs de la compétitivité, qui avaient été à
la base de la réussite économique allemande, est au moins aussi préoccupant.
L'intensification de la concurrence mondiale et l'émergence de nouveaux
concurrents y jouent un rôle, mais aussi le déclin tendanciel de l'innovation,
de même que les difficultés de passage à de nouvelles formes de management et de production. A quoi s'ajoutent des pesanteurs du côté du processus
de décision politique ainsi que chez les partenaires sociaux, voire d'un blocage
des changements nécessaires, à cause de la façon dont est organisée en Allemagne la médiation entre les intérêts catégoriels. L'extrême difficulté à modifier
la législation très rigide concernant les heures d'ouverture du commerce en
est un exemple flagrant.
Vers la libéralisation
des horaires d'ouverture des magasins
Le débat engagé par le ministre fédéral de l'Économie, M. Günter Rexrodt, et la coalition gouvernementale, sur la libéralisation des horaires d'ouverture des magasins
(Ladenschlußgesetz) touche à sa fin. La première barrière de taille a été franchie le
21 juin. Le Bundestag a en effet voté, à une courte majorité cependant, la modification
du Ladenschluß conformément aux propositions du ministre et prévu son entrée en
vigueur au 1er novembre de cette année. A partir de cette date, les magasins pourront
ouvrir les jours de semaine de 6 heures du matin à 8 heures du soir, et de 6 heures
du matin à 4 heures de l'après-midi le samedi (jusqu'à 6 heures de l'après-midi dans
la période de Noël). Mais il restait un écueil. Le Bundesrat devait encore entériner
le vote du Bundestag le vendredi 5 juillet. Or, ce n'est un secret pour personne que
les Länder, dans leur grande majorité, voyaient se profiler d'un œil plus que suspicieux les changements annoncés. D'ailleurs le SPD menaçait de bloquer le processus en cours en faisant appel à la Commission de conciliation chargée de trouver
un terrain d'entente entre le Bundestag et le Bundesrat. Pour ce faire, les adversaires
de la loi devaient toutefois obtenir une majorité de 35 voix sur les 69 que compte le
Bundesrat et ils ne l'ont effectivement pas obtenue, les « Verts » ayant obligé leurs
associés SPD au gouvernement du Schleswig-Holstein à accepter l'abstention des
représentants de ce Land. Rien n'indique cependant que le nouveau Ladenschluß
saura s'imposer dans la pratique. Car certaines questions demandent encore à être
clarifiées. C'est le cas notamment pour l'aménagement du temps de travail, sur lequel
employeurs et salariés doivent se mettre d'accord. S'il est délicat de porter un jugement définitif sur la suite des événements, il apparaît cependant clairement qu'il faudra s'armer de patience avant de voir la nouvelle mouture du Ladenschluß s'appliquer
à l'ensemble du secteur du commerce.
Olivier Floc'hic
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Enfin, on déplore non sans raison un manque de flexibilité qui empêche les entreprises de mieux réagir aux aléas de la conjoncture et des marchés. La dénonciation des pesanteurs, voire des blocages, caractérisant aussi bien les processus de décision politique que les relations entre partenaires sociaux, et la
revendication de nécessaires changements dominent le débat public. Cela renvoie à une face souvent sous-estimée du mode coopératif qui organise la médiation entre les intérêts sociaux et catégoriels en Allemagne : un penchant pour le
statu quo, et une certaine lenteur de réaction face à de nouveaux défis. (1)
Une risposte difficile
Face à ces problèmes et à la crise qui se dessine, la réponse du gouvernement et des forces sociales a commencé lentement à se dégager. Le point
de départ a été le débat sur la compétitivité du « site » de production allemand
(Standortdebatte), déclenché au début des années 90 par le milieu patronal.
Ce débat fut largement focalisé sur la question des coûts de travail et de la
flexibilité. Le rapport du ministre fédéral de l'Économie sur la compétitivité allemande publié en 1993 est symptomatique du discours dominant. Les mesures
proposées puisent largement dans l'arsenal néo-libéral : désengagement de
l'État, allègements fiscaux en faveur des entreprises, politique salariale modérée, flexibilisation de la législation du travail, privatisations... A l'exception du
soutien à la recherche et à l'innovation, on cherche en vain des mesures
concrètes qui visent à favoriser la compétitivité qualitative. (2)
Peu suivi d'effets concrets, le débat s'est intensifié l'année dernière sous la pression de la récession continue et de l'augmentation également continue du chômage. A la fin de 1995, le puissant syndicat de la métallurgie (IG Metall) a lancé
l'initiative d'un « Pacte pour l'Emploi » qui a été soutenu par l'ensemble des fédérations industrielles réunies au sein du DGB. Les syndicats ont en effet proposé
au gouvernement et au patronat une action concertée permettant à la fois, par
des compromis constructifs et innovateurs sortant des sentiers battus, d'améliorer
la compétitivité de l'économie et de préserver l'emploi. Les syndicats se disaient
prêts à « geler » le pouvoir d'achat des salariés, en contrepartie d'un engagement
ferme du patronat en faveur de mesures concrètes préservant l'emploi. Ils accepteraient également des salaires d'embauche en-dessous des tarifs, pour des chômeurs de longue durée. Ils demandent en échange une réduction substantielle
(de 50 %) des heures supplémentaires, proposant en même temps l'annuali-
(1) Cf. le rapport du gouvernement fédéral sur la compétitivité du site allemand : Bericht der Bundesregierung
zur Zukunftssicherung des Standortes Deutschland, Deutscher Bundestag, 12. Wahlperiode (12e période électorale), BT-Drucksache (Imprimé) 12/5620, 3 septembre 1993 ; et le rapport d'un groupe d'experts commandé
par le gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg : Aufbruch aus der Krise. Bericht der Zukunftskommission
Wirtschaft 2000, erstellt im Auftrag der Landesregierung von Baden-Württemberg, (Se lever pour sortir de la
crise : rapport de la Commission " Avenir économique 2000 " établi à la demande du Land de Bade-Wurtemberg), Stuttgart, 1993. Pour une analyse comparative franco-allemande, cf. Henrik Uterwedde : « Compétitivité
et politique industrielle : les stratégies allemandes et françaises », in : Agir pour l'Europe. Les relations francoallemandes dans l'après-guerre froide, Masson, Paris, 1995, pp. 199-221.
(2) Cf. Bericht der Bundesregierung...,(Rapport du Gouvernement fédéral) op.cit.
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sation du temps de travail afin de permettre une réponse flexible des entreprises aux aléas de la conjoncture. Enfin ils se prononcent pour une baisse
des charges sociales et se disent intéressés par des mesures favorisant des
services de proximité (à cet égard, la formule de chèque-services instaurée
récemment en France est jugée très intéressante). (3)
L'initiative des syndicats a déclenché une vague de négociations, d'une part tripartites au sommet à l'invitation du chancelier Kohl pour dégager les grandes
lignes d'un compromis possible, et d'autre part au niveau sectoriel et régional,
voire au niveau des entreprises, par la voie de négociations entre syndicats et
patronat. La réaction du côté patronal fut d'abord globalement favorable. Mais
une partie des responsables paraissent s'engager dans une stratégie dure, préférant imposer des baisses de salaire (direct et indirect) plutôt que de les négocier en concédant des contreparties. Les déclarations de certains leaders patronaux constatant la « mort du Pacte pour l'Emploi » témoignent de cette ligne.
Elles peuvent s'expliquer par une surenchère « normale » avec l'espoir de pouvoir imposer de substantielles concessions aux syndicats qui se trouvent en position de faiblesse. Mais les dirigeants des organisations patronales font aussi face
à une fronde de la part d'une partie de leur propre base, de moins en moins prête
à accepter des conventions collectives négociées par leur organisation et s'orientant vers des accords d'entreprises plus intéressants pour eux.
Ce durcissement n'a pas empêché les organisations patronales de conclure
des accords dans certaines branches qui s'inscrivent dans la logique du
Pacte pour l'Emploi. Ainsi, un accord à la Deutsche Bahn AG (chemins de
fer), conclu fin mars prévoit la sauvegarde de 11.000 emplois et la création
de 2.000 contrats d'apprentissage supplémentaires contre une flexibilité
accrue dans la gestion du temps de travail (comptes de durée de travail
annualisés). Une convention collective dans la chimie a conclu à une augmentation des salaires très modérée, proche du rythme de l'inflation (2 %),
l'arrêt temporaire des suppressions d'emplois dans la branche et d'autres
mesures concernant les heures supplémentaires et des formules de temps
partiel en fin de carrière. (4)
Le Gouvernement et le Pacte pour l'emploi
La contribution du Gouvernement fédéral au débat sur le Pacte pour l'Emploi
a été annoncée en janvier 1996 sous la forme d'un « programme d'action pour
l'innovation et l'emploi ». Celui-ci s'organise autour de cinq axes :
(3) Sur la position des syndicats, cf. par exemple Klaus Lang : Kein berauschender Erfolg, aber ein kleiner Schritt.
Drei Monate nach dem IG Metall-Vorschlag : Eine Zwischenbilanz der Gewerkschaft über das « Bündnis für
Arbeit » (Pas de succès enivrant mais un petit pas. Trois mois après la proposition de l'IG Metall : Un bilan intermédiaire du syndicat au sujet de l'Alliance pour le travail), in : Frankfurter Rundschau, 14.2.96, p.5 ; « So kann
man mit uns nicht umgehen » (On ne peut nous traiter ainsi), interview avec Dietrich Schulte (président du DGB),
Die Zeit, 8.3.96, pp.17-18.
(4) Cf. Handelsblatt, 1.4.1996, p. 4.
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- Une offensive en faveur des créateurs d'entreprises et de l'innovation, notamment par un accès plus facile des patrons innovateurs et des créateurs d'entreprise au capital-risque, par des mesures fiscales encourageant les petites
entreprises et par des programmes spécifiques d'aide à l'innovation ;
- Une réorientation de la politique budgétaire et fiscale, visant à une baisse
de la pression fiscale par la réduction des dépenses publiques, ainsi qu'à une
réforme fiscale prévue pour 1999 ;
- Une limitation des coûts indirects du travail par une baisse des charges
sociales des entreprises, rendue possible par des économies à pratiquer dans
le système des prestations sociales ;
- La mise en valeur de nouveaux gisements d'emplois comme les services de
proximité, ainsi que de nouvelles facilités pour des contrats à durée déterminée ;
- Enfin une réduction structurelle des subventions multiples qui pèsent lourd
dans les dépenses. (5)
Cependant après une première phase plutôt constructive, marquée par la Table
ronde organisée autour du chancelier Kohl le 23 janvier et par une déclaration
de volonté commune sur l'objectif de diminuer le chômage de moitié d'ici à l'an
2000, le débat sur un Pacte pour l'Emploi est entré dans une période plus conflictuelle. La deuxième réunion au sommet du 23 avril a été un échec. Le gouvernement et le patronat se sont accordés pour imposer de manière unilatérale des
mesures frappant de plein fouet le monde salarial. Les syndicats ont alors quitté
la réunion avec le sentiment que l'on cherchait moins un pacte avec des
concessions mutuelles qu'un « diktat », rompant avec l'esprit des négociations
menées auparavant. Les mesures annoncées un jour après cette réunion dans
le cadre d'un plan d'économies budgétaires ont renforcé chez les syndicats le
sentiment que le gouvernement, profitant de son succès aux élections régionales
du mois de mars et de la défaite de l'opposition social-démocrate, cherchait à
imposer des mesures au lieu de chercher une voie négociée. Entre autres, y sont
proposés un gel des salaires dans le service public, l'assouplissement de la protection contre les licenciements abusifs, une diminution du salaire payé en cas
de maladie, des coupures dans les prestations de l'assurance-chômage et de la
sécurité sociale... .(6) Mais le gouvernement devra compter avec la résistance
de l'opposition (à travers le Bundesrat, où elle est majoritaire – les Länder dirigés
par la CDU et la CSU n'étant pas moins rétifs d'ailleurs que ceux dominés par le
SPD) et avec celle des syndicats qui se poursuit.
A l'heure actuelle, les incertitudes importantes subsistent quant à la future politique économique et sociale. La politique annoncée par le gouvernement fédéral est-elle à la hauteur de la situation ? On peut en douter. D'abord, la voie choisie est ressentie comme une provocation par les syndicats et le monde salarial
et comme une rupture avec la recherche d'une voie négociée, qui fut pourtant
bien avancée. Cela d'autant plus que le train de mesures annoncées ne va pas
(5) In Frankfurter Allgemeine Zeitung, 31.1.996
(6) Cf. la documentation sur les mesures proposées in : Handelsblatt, 26-27.4.96, p. 4.
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dans la direction d'une répartition juste de l'effort. Il est vrai que la situation de
la Sécurité sociale est préoccupante et appelle des mesures draconiennes difficiles à décider consensuellement ; en outre, les économies décidées frappent
forcément en priorité les couches populaires dépendant des prestations
sociales. Toute opposition systématique se crispant sur des « acquis » serait
malvenue. Mais le gouvernement n'a même pas cherché à faire des gestes pour
mieux répartir les sacrifices. Par exemple, envisager l'abandon de l'impôt sur
les grandes fortunes est un symbole blessant pour la majorité des couches
populaires appelées en même temps à travailler davantage et à se serrer la
ceinture. Autre exemple : le Gouvernement fédéral hésite à faire jouer la concurrence dans la branche pharmaceutique, comme l'y invite la Commission de
Bruxelles, renonçant ainsi à faire baisser le niveau des prix des médicaments
(l'un des plus élevés en Europe). Il s'expose ainsi à la critique que sa politique
n'est pas équitable : courageuse dans la mise en cause d'acquis et d'« abus »
sociaux ; extrêmement timide quand il s'agit de demander un effort aux couches
aisées de la population ou des engagements du côté patronal.
Par ailleurs, la capacité de cette politique à créer des emplois peut être mise en
doute. Les solutions proposées pêchent par un esprit systématique inspiré par
le seul néolibéralisme et par un manque cruel d'imagination, écartant ainsi
d'autres pistes pour sortir des difficultés. Pourtant il n'y a ni de mal unique ni de
solution unique à la crise de l'emploi et de la cohésion sociale. Bien sûr, il faut
absolument maîtriser les coûts, comme il faut renverser résolument la tendance
d'une hausse sans fin des prélèvements obligatoires. Mais faut-il pour autant
négliger, voire refuser d'autres voies complémentaires ? L'ampleur des problèmes
appelle une politique de partage : partage du travail par une politique intelligente
de diminution et de flexibilisation du temps de travail ; meilleure répartition de l'effort social par une fiscalisation partielle des cotisations sociales pesant aujourd'hui
sur l'emploi (une piste pratiquement exclue du débat actuel en Allemagne) ; répartition plus juste de l'effort fiscal, pesant actuellement de plus en plus sur les salariés et offrant des possibilités lucratives de fuite fiscale... et scandaleuses. La crise
de l'emploi appelle en outre des solutions sociales originales, capables de repenser le concept du travail par le développement de formules du « temps choisi ». (7)
De même, pour consolider et renforcer les ressorts qualitatifs de la « compétitivitité
globale » allemande (8), l'économie a besoin d'une offensive pour l'innovation et
la création d'entreprises (annoncée il est vrai dans le programme gouvernemental)
et d'une stratégie misant sur la qualité des produits et des services complexes, ainsi
que sur la qualification des salariés. Dans ce domaine, la pratique dans certaines
entreprises peut montrer le chemin : ainsi, le constructeur automobile BMW vient
de mettre au point, avec l'appui du comité d'entreprise, un nouveau modèle de production et de gestion de la main-d'œuvre, qui vise à la fois à réduire les coûts, à
(7) Cf. pour le débat français Jean-Baptiste de Foucauld/Denis Piveteau : Une société en quête de sens, Paris,
Odile Jacob, 1995.
(8) Cf. pour la discussion française : France : le choix de la performance globale, commission « Compétitivité
française » présidée par Jean Gandois, préparation du XIe plan, La Documentation française, Paris, 1992 ; et
pour une description comparative Henrik Uterwedde : « Compétitivité et politique industrielle », op. cit.
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renforcer l'efficacité de la production, à mieux impliquer les salariés et à flexibiliser
le temps de travail selon les besoins de la conjoncture, tout en modifiant le système
de rémunération, qui permettra des hausses de salaire et en renonçant à des licenciements économiques dans les années à venir. (9)
Enfin, on peut s'interroger sur l'avenir du modèle social allemand. La capacité
des acteurs politiques et sociaux à trouver les bases d'un vrai pacte négocié est
loin d'être assurée. Qui s'en étonnerait ? Dans la crise actuelle, les conditions
d'un accord sont devenues très difficiles, tant le chômage et la crise des finances
publiques ont polarisé les intérêts patronaux, gouvernementaux et syndicaux.
Tout dépendra de la volonté des acteurs, de l'arbitrage que feront les patrons
entre les gains de court terme obtenu par voie autoritaire et l'intérêt à long terme
de sauvegarder un système de négociation, d'autorégulation et d'implication
commune des grandes organisations professionnelles et syndicales.
On peut estimer qu'à la longue tout le monde, y compris le patronat, a intérêt à
sauvegarder ce modèle, qui constitue une véritable ressource de compétitivité. (10) Et on peut espérer que l'Allemagne saura conserver son « avantage
décisif en ces temps difficiles : l'aptitude de son organisation socio-économique
à concilier la responsabilité et la solidarité des acteurs. » (11) Ce qui est en jeu,
c'est la capacité du « modèle allemand » à s'adapter et à se renouveler. Il s'agit
de sauvegarder un capitalisme responsable, tempéré, intelligent, qui a su dans
le passé concilier efficacité économique et justice sociale, impliquer le monde
salarial et gagner son adhésion. En d'autres termes : saura-t-on trouver les
bases d'un nouveau contrat social, réinventant le travail, jetant les bases d'un
nouveau compromis entre la logique de l'entreprise et le nécessaire lien social ?
On remarquera par ailleurs que toutes ces questions sont aussi au cœur du
débat français. En fait, il est frappant de constater à quel point, au-delà des
spécificités nationales (12), les problèmes fondamentaux concernant la compétitivité, l'emploi et la cohésion sociale se ressemblent. Par contre, nous continuons à les penser essentiellement au niveau national. N'est-il pas temps de
dépasser nos débats nationaux, de les faires converger afin de profiter des
expériences du voisin, et afin de dégager les contours d'un modèle de développement socio-économique européen ?
■
(9) Voir Stuttgarter Zeitung, 18/05/96, p. 13 : BMW geht neue Wege – Mehr für die Mitarbeiter (BMW emprunte
de nouveaux chemins. Davantage pour les collaborateurs).
(10) C'est l'avis du chercheur Wolfgang Streeck ; cf. « Das deutsche Modell läßt keine andere Wahl als ein
Bündnis » (Le Modèle allemand ne laisse pas d'autre choix qu'une Alliance), Frankfurter Allgemeine Zeitung,
6.2.96, p.12.
(11) Rémi Lallement : « L'impact de l'unification sur le « modèle » allemand : bilan et perspectives, Futuribles,
N° 190, septembre 1994, p. 24. Voir aussi l'excellent ouvrage du même auteur, faisant le point sur l'économie
allemande depuis la réunification : Rémi Lallement : L'unification sans miracle. L'économie allemande en mutation (1990-1995), Paris : CIRAC, 1995.
(12) Qui ont pourtant la vie dure, cf. René Lasserre : « France-Allemagne : deux logiques de modernisation
sociale. Implications pour l'Europe sociale », in : Agir pour l'Europe, op. cit., pp. 275-285.
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