I N F O - C O M P R I M É E // VORTIOQUOI ? VORTIOXÉTINE, NE DÉPRIMEZ PAS ! La prise en charge d’un patient souffrant d’une dépression majeure représente souvent un défi. Les taux d’efficacité des médicaments actuellement offerts sont généralement peu impressionnants. En effet, environ les deux tiers des patients n’atteindraient pas la rémission après un premier antidépresseur1,2. Anne Bhéreur et Nicolas Dugré Quant aux options non pharmacologiques, comme la psychothérapie, elles sont difficiles d’accès pour la plupart des patients. Les traitements médicamenteux sont nombreux, mais le profil d’effets indésirables, les interactions ainsi que les diverses précautions ou contre-indications propres à chacun rendent le choix de traitement complexe. Par ailleurs, plus de 40 % des patients ne prendraient plus leur antidépresseur dans les 90 jours après le début du traitement3. L’arrivée de nouvelles molécules est donc la bienvenue. VOUS VOULEZ PRESCRIRE LA VORTIOXÉTINE ? LISEZ CE QUI SUIT ! La vortioxétine est un nouvel antidépresseur indiqué dans le traitement du trouble dépressif majeur chez l’adulte. Elle est commercialisée au Canada depuis octobre 2014 sous le nom de Trintellix (Brintellix aux États-Unis). Il s’agit d’un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS), multimodal en raison de son affinité pour plusieurs récepteurs sérotoninergiques. Il possède des propriétés agonistes sur les récepteurs 5-HT1A et antagonistes sur les récepteurs 5-HT1D, 5-HT3 et 5-HT7 ainsi que des propriétés ago­nistes partielles sur les récepteurs 5-HT1B4. Ces propriétés mul­ti­ples pourraient avoir des effets cliniques positifs sur la mémoire, les fonctions cognitives, l’apprentissage et l’anxiété en modulant les systèmes de la noradrénaline, de la dopamine, de l’histamine et de l’acétylcholine2,4. Les répercussions cliniques chez l’humain, autrement que sur la dépression, ne sont toutefois pas encore bien étudiées4. Une étude a montré l’efficacité de la vortioxétine dans le traitement aigu et d’entretien du trouble dépressif majeur. En phase aiguë, la vortioxétine s’est en effet avérée su­périeure au placebo dans plusieurs essais à répartition aléa­toire de six à huit semaines menées chez des patients de 18 à 88 ans souffrant d’un trouble dépressif majeur selon les critères suivants : diminution du score à l’échelle de dépression de Montgomery-Asberg (MADRS), taux de réponse (diminution du score MADRS > 50 %) et atteinte d’une rémission (score MADRS < 10)5. Dans d’autres études similaires, la vortioxétine ne s’est cependant pas révélée supérieure au placebo2. Dans une revue de dix essais à répartition aléatoire, des taux de réponse et de rémission de 34 % à 72 % et de 21 % à 49 % ont respectivement été signalés2. Ces résultats sont semblables à ceux des antidépresseurs actuellement recommandés en première ligne. Toutefois, aucune comparaison statistique directe n’a été publiée. Il est donc difficile de comparer la vortioxétine aux au­tres antidépresseurs2. La Dre Anne Bhéreur, médecin de famille, exerce au GMF-UMF Sacré-Cœur et à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. M. Nicolas Dugré, pharmacien, pratique au sein du même établissement. lemedecinduquebec.org 69 TABLEAU I CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DE LA VORTIOXÉTINE2,4, 5 TABLEAU II Indication h Traitement du trouble dépressif majeur chez l’adulte Posologie h Début du traitement chez l’adulte : 10 mg, 1 f.p.j., avec ou sans nourriture h Augmentation progressive possible par palier de 5 mg à 10 mg, jusqu’à 20 mg par jour Effets indésirables fréquents h Nausées h Constipation h Vomissements h Douleur abdominale Ajustement posologique Adultes > 65 ans : h Début : 5 mg, 1 f.p.j. h Dose . 10 mg/j ; prudence, car il existe peu de données4,5 Ces doses peuvent aussi être utilisées chez les patients sensibles aux effets indésirables. Contre-indications et précautions Ajustement rénal et hépatique5 h Aucun ajustement recommandé en cas d’insuffisance hépatique légère ou modérée ; non recommandée en cas d’insuffisance hépatique grave h Aucun ajustement en cas d’insuffisance rénale h Selon une étude à répartition aléatoire contre placebo sur la prolongation de la vortioxétine chez des patients en rémission, la vortioxétine constitue un traitement d’entretien efficace du trouble dépressif majeur. Après vingt-quatre semaines, 13 % des patients sous vortioxétine avaient rechuté contre 26 % de ceux sous placebo (P = 0,0013)6. Les caractéristiques principales de la vortioxétine sont détaillées dans le tableau I 2,4,5. LES PIÈGES À ÉVITER La vortioxétine à doses élevées doit être cessée progressivement afin de limiter l’apparition de symptômes de sevrage2,5. En effet, bien que la longue demi-vie d’élimina­ tion de la vortioxétine (66 heures) puisse évoquer une meil­leure tolérance à l’arrêt du médicament, des symptômes de sevrage (céphalées, étourdissements, vertiges, tensions musculaires et irritabilité) ont été signalés lors d’un arrêt brusque2,4,5. Bien que le comprimé ait la forme d’une amande et possède un enrobage, il peut probablement être écrasé, car il ne possède aucun mode de libération particulier et son enrobage est inactif. JE FAIS UNE RÉACTION : EST-CE QUE CE SONT MES PILULES ? Les effets indésirables les plus fréquents de la vortio­xétine sont les nausées, les vomissements et la constipa­tion5 (tableau II 5). Les nausées, qui toucheraient de 20 % à 30 % des 70 EFFETS INDÉSIRABLES LES PLUS FRÉQUENTS DE LA VORTIOXÉTINE, CONTRE-INDICATIONS ET PRÉCAUTIONS5 Le Médecin du Québec, volume 50, numéro 12, décembre 2015 h h h Hypersensibilité au produit ou à l’un de ses ingrédients Utilisation d’un IMAO (notamment le linézolide et le bleu de méthylène, deux molécules possédant aussi des propriétés de type IMAO) dans les quatorze jours précédant la prise de vortioxétine Innocuité et efficacité non établies chez les enfants, les femmes enceintes et celles qui allaitent Des hyponatrémies ont parfois été signalées, donc contrôle à considérer chez les patients à risque (patients âgés, patients prenant un diurétique, etc.) patients, sont habituellement d’intensité légère à modérée et sont présentes surtout durant les deux premières semaines2,5. Plusieurs effets indésirables sont liés à la prise d’ISRS. Bien que ces effets n’aient pas été nécessairement décrits pour la vortioxétine, il est concevable de penser qu’ils pourraient survenir avec celle-ci. Les ISRS sont notamment associés à une faible hausse du risque de fractures et possiblement une diminution de la densité minérale osseuse5 ainsi qu’à un risque accru de saignements5. Il faut donc être vigilant et envisager une cytoprotection gastrique chez les patients à risque7. Une augmentation du risque de convulsions a été décrite avec certains antidépresseurs. C’est pourquoi la vortioxétine devrait être employée avec prudence chez les patients ayant des antécédents de convulsions. Enfin, l’instauration d’un traitement par un ISRS a été associée à une augmentation des idées et des comportements suicidaires2,5. Les patients devraient donc être avisés des risques. Par ailleurs, contrairement aux autres ISRS, la vortioxétine semble causer peu d’effets indésirables sur le plan sexuel5,8. Dans les diverses études ayant mesuré ces effets à l’aide de l’échelle ASEX d’évaluation des troubles sexuels dans la dépression, leur fréquence pour la vortioxétine (16 % – 34 %) semble liée à la dose et est légèrement supérieure au placebo à une dose de 10 mg ou plus par jour5,8. En comparaison, la fréquence des effets indésirables sur le plan sexuel pour certains ISRS atteint 80 % dans les études9. La vortioxétine ne semble pas non plus avoir d’effets importants sur la masse corporelle2,5. I N F O - C O M P R I M É E Y A-T-IL UNE INTERACTION AVEC MES AUTRES MÉDICAMENTS ? En raison de ses propriétés sérotoninergiques, la vortio­xétine prise en association avec d’autres agents sérotoninergi­ ques, comme les IMAO ou les antidépresseurs tricycliques, accroîtrait le risque de syndrome sérotoninergique2,5. Il faut également être prudent avec les médicaments pouvant hausser le risque de saignement, comme les anticoagulants, les antiplaquettaires ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). La vortioxétine est métabolisée par plusieurs cytochromes, mais principalement par l’isoenzyme CYP2D6 du cytochrome P450. La dose de vortioxétine devrait être diminuée de moitié avec un inhibiteur puissant de l’isoenzyme CYP2D6 (ex. : bupropion, cinacalcet et quinidine) et pourrait être augmentée en présence d’un inducteur (ex. : rifampicine, carbamazépine et phénytoïne)2,5. Les patients possédant un faible ou un puissant métabolisme par cette isoenzyme pourraient aussi avoir besoin de doses plus faibles ou plus fortes. Enfin, la vortioxétine se liant fortement aux protéines plasmatiques, elle pourrait engendrer une élévation de la fraction libre d’un autre médicament se liant également aux protéines plasmatiques et inversement5. Il est intéressant de mentionner qu’un allongement de l’in­ter­ valle QT n’a pas été noté après quatorze jours de trai­te­ment par la vortioxétine dans un essai à répartition aléatoire menée chez 340 patients sains10. La prudence est toutefois de mise étant donné le peu de données disponi­bles et l’absence de données chez des patients susceptibles de souffrir de torsades de pointes. ET LE PRIX ? La vortioxétine est offerte en comprimés de 5 mg, 10 mg et 20 mg5. Un traitement coûte de 80 $ à 100 $ par mois selon la dose, sans les honoraires du pharmacien. En comparaison, le prix du citalopram (générique) est de 7,19 $ par mois pour la dose de 20 mg. EST-CE SUR LA LISTE OU PAS ? La vortioxétine n’est pas inscrite sur la liste des médicaments remboursés par le régime public d’assurance médicaments du Québec. // La Dre Anne Bhéreur et M. Nicolas Dugré n’ont signalé aucun conflit d’intérêts. // CE QUE VOUS DEVEZ RETENIR h h h h La vortioxétine est un nouvel antidépresseur au mécanisme d’action novateur. Son efficacité en monothérapie dans le traite­ment du trouble dépressif majeur fait l’objet de don­nées probantes. Cependant, il est difficile actuelle­ment de la comparer à celles des autres antidépres­seurs, car aucune comparaison statistique directe n’a été publiée. Son profil d’effets indésirables pourrait en faire un choix intéressant, particulièrement chez les patients chez qui l’on voudrait éviter une prise de poids ou des effets indésirables sur le plan sexuel. Son prix est beaucoup plus élevé que celui d’au­tres antidépresseurs existants. BIBLIOGRAPHIE 1. Kennedy SH, Lam RW, Parikh SV et coll. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) clinical guidelines for the management of major depressive disorder in adults. J Affect Disord 2009 ; 117 (suppl. 1) : S1-S64. 2. Pearce EF, Murphy JA. Vortioxetine for the treatment of depression. Ann Pharma­cother 2014 ; 48 (6) : 758-65. 3. Olfson M, Marcus SC, Tedeschi M et coll. Continuity of antidepressant treatment for adults with depression in the United States. Am J Psychiatry 2006 ; 163 (1) : 101-8. 4. Garnock-Jones KP. Vortioxetine: a review of its use in major depressive disorder. CNS Drugs 2014 ; 28 (9) : 855-74. 5. Lundbeck Canada inc. Monographie de Trintellix. Montréal : Lundbeck ; 2014. Site Internet : www.lundbeck.com/upload/ca/fr/files/pdf/monographie_ produit/Trintellix/Trintellix.pdf (Date de consultation : le 15 juillet 2015). 6. Boulenger JP, Loft H, Florea I. A randomized clinical study of Lu AA21004 in the prevention of relapse in patients with major depressive disorder. J Psycho­ pharmacol 2012 ; 26 (11) : 1408-16. 7.INESSS. Algorithme d’utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Québec : l’Institut : 2010. 14 p. 8. Alvarez E, Perez V, Artigas F. Pharmacology and clinical potential of vortio­xetine in the treatment of major depressive disorder. Neuropsychiatr Dis Treat 2014 ; 10 : 1297-307. 9. Serretti A, Chiesa A. Treatment emergent sexual dysfunction related to antidepressants: a meta-analysis. J Clin Psychopharmacol 2009 ; 29 (3) : 2159-66. 10. Wang Y, Nomikos GG, Karim A et coll. Effect of vortioxetine on cardiac repolarization in healthy adult male subjects: results of a thorough QT/QTc study. Clin Pharm Drug Dev 2013 ; 2 (4) : 298-309. ERRATUM Deux erreurs se sont glissées dans la colonne de droite de la page 50 de la chronique « Info-comprimée » d’août 2015. Il aurait fallu lire : Une crème qui associe à la fois l’acyclovir à 5 % (dans un nouvel excipient qui favoriserait la pénétration) et un agent anti-inflammatoire (hydrocorti­ sone à 1 %) a récemment fait son apparition sur le marché. Dans l’étude pivot de bonne qualité méthodologique comportant 1443 patients, ce traitement a diminué la gravité, principalement en réduisant l’apparition de lésions ulcérées chez 42 % des patients traités contre 35 % chez les patients prenant l’acyclovir seul et 26 % dans le groupe témoin (excipient uniquement), soit un nombre de patients à traiter d’environ 6 pour l’association acyclovir-hydrocortisone et de 15 pour l’acyclovir seul afin d’éviter l’apparition de lésions ulcérées chez une personne. lemedecinduquebec.org 71