LES RESSORTS DE L’ENGAGEMENT Extrait de l'interview de Jean-Christian Fauvet Ancien Vice-président du Cabinet Bossard Consultants 1 © Photo Gérard Balantzian L'engagement et l'esprit d’équipe, au service de l’intérêt collectif, ont de tout temps amené les managers à prendre un certain nombre de dispositions. L'engagement de la Direction a été souhaité par tous dans les projets de Transformation. Mais l’inertie au changement a également été un frein au bon avancement des projets. Dans la pathologie des projets informatiques (Balantzian, 2008), l'insuffisante implication des utilisateurs a été un des facteurs expliquent l’échec de ces projets, sinon le non respect des engagements initiaux. Dans la gestion du changement, l'engagement des parties prenantes et celles concernées est un facteur de succès dans l'entreprise à complexité humaine. Ce sujet est d’autant plus d’actualité en 2014 que les marchés prennent le pouvoir et l’ordre économique mondial a été déstabilisé depuis 2008 par de multiples crises. Les grandes entreprises face à la globalisation et à la révolution numérique ont cherché dans de nouveaux modèles d’affaires des solutions au déclin réel ou annoncé de leurs activités liées aux services traditionnels. Mais la Transformation est-elle pour autant garantie ? L’engagement des acteurs internes ne suffit plus. Il faut également revisiter nos modèles de pensée (au-delà des modèles d’affaires) car il s’agit d’inclure également l’engagement de la foule et de son audience. Deux catégories de comportement se font alors jour : d’un côté l’individualisation des valeurs (Brechon, Galland, 2010) et la fermeture sur son ego, et de l’autre côté l’altruisme, l’ouverture au autres et l’économie du don (Mauss 1925-1925, Balantzian, 1997, Alter, 2009) via les réseaux sociaux largement facilités par la propagation des outils nomades et de la mobilité des acteurs (Attali, 1984) qui les accompagne. Cependant, il est étrange d’observer que les études réalisées encore aujourd’hui en matière de Transformation négligent le concept « d’engagement », même si leurs contributeurs en connaissent l’importance. En réalité l’engagement ne coule pas de source et le « mouvement par les hommes », comme le dit si justement JeanChristian Fauvet avec lequel j’ai longtemps enseigné à l’IMI (UTC), est le facteur de succès. Le management est donc interpellé au premier chef, ainsi que la gouvernance des systèmes d’information et l’organisation. J’ai retrouvé l’interview de Jean-Christian Fauvet, qui a toujours son intérêt et sa pertinence 12 ans après sa réalisation. 1 Source: Les systèmes d'information : art et pratiques, Collectif, sous la direction de Gérard Balantzian, Editions d'Organisation, 2002 1 Gérard Balantzian (GB) : Est-ce que conduire le changement, cela a un sens ? Est-ce que ce mot est justifié ? Jean-Christian Fauvet 2(JCF) : Oui, je crois que le management est soumis au changement, ou est mené par le changement mais il peut aussi en prendre l’initiative. C’est bien le cas particulier de l’entrepreneur. L’entrepreneur, c’est celui qui, dans une situation particulière, fait passer son entreprise d’une situation A à une situation B plus performante. GB : Alors, prenons le premier mode de management. Qu’est-ce que ce premier mode ? Vous parlez d’un commandement vertical qui impose aux subordonnés les objectifs, les voies et les moyens de l’exécution d’une action (par des ordres, des procédures, des consignes, etc) et aussi un contrôle formalisé exercé par la hiérarchie pendant et après l’action. Pouvez-vous m’en dire plus ? JCF : Il s’agit du système mécaniste classique qui fonctionne par inertie. Une mécanique part de « l’initiative » d’un ressort qui transmet aux rouages une énergie. Tout fonctionne à partir de l’énergie du ressort. Sous-entendu, les rouages sont purement soumis, donc obéissants. La conséquence est la passivité de beaucoup d’agents. GB : C’est une obéissance passive et immédiate aux signaux qui les concernent ? JCF : Oui. GB : Très bien. Est-ce qu’aujourd’hui, on peut encore fonctionner selon ce modèle ? JCF : Oui, heureusement que dans certains cas particuliers, on peut profiter de tous les avantages de ce mode. Pour la circulation automobile, par exemple, on ne voit pas très bien comment on pourrait circuler dans une ville si tout le monde ne se soumettait pas au règlement imposé par le code de la route. GB : Si je vous comprends bien, l’inconvénient de ce premier mode est que la décision unilatérale est solitaire, alors que les avantages sont « cohérence » et « référentiel commun », JCF : Oui, mais aussi « rigueur » et « peu de liberté », mais en tout cas « sécurité », sans engagement personnel. Les agents peuvent avoir des centres d’intérêt autres que ceux de l’entreprise. Il est parfaitement compréhensible qu’à certains moments de leur vie ils aient envie de se préoccuper d’autre chose. GB : Qu’est-ce le second mode de management ? JCF : Le second mode est pratiquement le contraire du premier. En d’autres termes, au lieu de partir d’un chef qui dirige pour les autres ou d’une procédure qui s’impose aux autres, les acteurs sont libérés. Chaque acteur défend ses intérêts privés. GB : Mais n’est-ce pas le meilleur moyen de créer une proximité par rapport aux événements internes et aussi externes et de créer, justement, cette intimité tant attendue avec le client ? JCF : Bien sûr. L’avantage est la proximité, la réactivité instantanée, le goût du changement et toutes les formes de créativité égoïste, ou au moins égocentrique. 2 L'élan sociodynamique, Jean-Christian Fauvet Kea § Partners Transformation consulting, Editions d'Organisation, 1996, 2004 2 GB : Ce qui veut dire que dans ce mode de relation, chaque entité, chaque business unit ou chaque individu exprime ses enjeux personnels à travers des schémas d’alliances et d’intérêts mais aussi des luttes de pouvoir pour arriver à ses fins. JCF : Absolument. GB : Vous dites que ce mode de fonctionnement est fondé sur la négociation. Pourquoi ? JCF : Parce que les acteurs n’étant pas soumis à un chef et ne partageant pas des idéaux communs, ils sont tous sur un plan d’égalité. La seule façon de parvenir à des résultats ponctuels, modestes, dans l’intérêt de chacun, c’est de transiger. Si tu me passes sur le hareng, je te cède sur la morue (proverbe anglais) GB : Mais comment dans ce contexte peut-on intégrer les systèmes d’information ? JCF : Non, il n’y a pas d’intégration. Celle-ci ne peut se faire qu’en premier mode ou en troisième. Mais en deuxième mode, chacun est maître du jeu. GB : Mais dans ce mode relationnel, (vous dîtes transactionnel), les autres sont considérés comme des contractants ou des prestataires de services aménagés. Ils sont considérés comme des partenaires ou des alliés à soutenir provisoirement ou des rivaux, des concurrents ou des adversaires à maintenir à distance ou à combattre. JCF : Voilà. GB : Quels sont les inconvénients de ce deuxième mode ? JCF : Le premier inconvénient pour un chef d’entreprise ou pour un chef d’Etat est ici le désordre. Chacun tire la couverture à soi, sans tenir compte des règlements et sans partager d’idéaux communs. C’est donc une sorte d’anarchie. Elle conduit malgré tout à un certain ordre qui résulte de l’équilibre de bon sens que les acteurs s’imposent à eux-mêmes. Chacun défend son pré carré mais sent instinctivement qu’il ne peut pas défendre indéfiniment son intérêt sans tenir compte du pouvoir des autres sur lui. Un équilibre économique se crée ainsi dans la vie sociale. Les relations économiques tournent autour de cette idée ; les prix montent et baissent en fonction de l’intérêt et du pouvoir des uns sur les autres. GB : Voyons, le troisième mode qui est, selon votre mot, celui de « l’animation ». il est le mode supérieur de management par lequel un acteur, s’appuyant principalement sur la confiance que lui témoignent les autres membres du corps social, crée les conditions d’une communauté de type tribal où un fort sentiment d’appartenance et une culture active se mettent au service d’un idéal ou dessein collectif. Vous affirmez que l’institution se voit ainsi gratifiée d’une grande générosité de la part des membres du corps social, lesquels trouvent là l’occasion de satisfaire leurs besoins, de « se donner » dans un projet qui les honore. Par effet de réciprocité, chacun considère tous les autres comme des compagnons d’arme ou des êtres chers. Cela signifie que dans ce contexte, l’affectivité, l’émotion et l’engagement sont très importants ? JCF : Oui. C’est la force fédérative. Le troisième mode est spirituel, immatériel. Plus que les autres. Tous les facteurs fédèrent autour des mêmes valeurs. 3 GB : Vous avez cité l’économie. Que peut-on peut citer en troisième mode ? JCF : Le patriotisme, la religion,... GB : Mais dans l’entreprise ? JCF : L’engagement dans l’entreprise, c’est « l’esprit maison » d’autrefois. Cela reste le projet de l’entreprise, le projet diffus qui fédère les émotions et les raisons des acteurs : améliorer la qualité, réduire les coûts, diversifier, réussir le lancement d’un nouveau produit… GB : Est-ce que l’on peut fonctionner en troisième mode dans des grandes entreprises ? Est-ce que la taille n’est pas un obstacle ? JCF : Oui, sûrement. Le troisième mode, le « vrai » troisième mode, suppose des petites unités, inférieures à 500 personnes. GB : D’accord. JCF : C’est le cas d’un magasin Carrefour, c’est le cas d’une usine de Renault, c’est 200-300 personnes. D’ailleurs, tous les sociologues sont unanimes à dire que la vraie tribalisation, l’esprit communautaire a du mal à déborder la relation de proximité. GB : Est-ce que vous voulez dire que plus on recherche le consensus et plus nous devons aller vers des organisations polycellulaires, chaque cellule étant de petite taille ? JCF : La seule façon de gérer le monde est de créer un monde polycentriste, selon le mot d’Edgar Morin. GB : Cela veut dire ? JCF : Plusieurs centres. Tout est centre. Il faut multiplier les petites entités de 400-500 personnes. À condition que chacune de ces unités soit fédérée dans une autre plus grande. Mais l’appartenance à la plus grande entité est moins forte que l’appartenance à la petite. GB : Cela veut aussi dire que les inter-relations entre les composantes de l’organisation doivent s’appliquer à la gestion des problèmes globaux et non particuliers. Par ailleurs, une conscience de la globalité de l’organisation doit l’emporter sur celle de la pluralité des composantes. Enfin, les objectifs poursuivis doivent être ceux de l’ensemble et non exclusivement ceux des composantes. Ce qui signifie une double capacité, à la fois individuelle et collective, pour s’orienter vers l’intérieur et l’extérieur. JCF : Cela n’est vraiment possible qu’à l’intérieur de ces fameuses entités sociales, c’est-à-dire ce que l’on appelle des « niches sociales » ou des unités d’appartenance emboîtées l’une dans l’autre, la plus grande étant plus ouverte sur le dehors (les clients, les fournisseurs, … etc..). GB : Quels en sont les avantages du troisième mode ? JCF : Tout d’abord l’engagement. 4 GB : Mais aussi la cohérence. JCF: Bien sûr la cohérence, le plaisir d’être ensemble et de travailler ensemble, le fait de partager un projet commun. L’idée de projet n’apparaît que là. Dans le premier mode, il n’y a pas de projet, plutôt un plan, des programmes, des consignes, … GB : mais aussi, si je vous comprends, une culture forte qui donne du sens. JCF : Certes. Rappelez-vous, dans le premier mode, on impose un plan alors qu’en troisième mode, on éveille à un projet, on invite tout le personnel à s’engager dans un projet. Projet, cela veut dire étymologiquement « se lancer en avant. ». C’est cela, le troisième mode. GB : Quels en sont les inconvénients ? JCF : Tous adhèrent au projet, à la culture, mais la culture est fausse, si le projet est mal orienté, tout le monde se trompe. Par exemple, le fascisme relevait du troisième mode ! Le grand risque c’est la clôture, risque que ne connaît pas le deuxième mode, lequel est ouvert sur le dehors. GB : Que voulez-vous dire par « dynamique du projet est co-substancielle à l’organisation, une société ne peut ni se créer, ni se recréer sans, du même coup, créer un idéal » ? JCF : Ce que je veux dire par là, c’est que la tribu ou la communauté qui est le point fort du troisième mode sécrète forcément une culture idéale, une culture qui porte une idée. GB : Donc qui porte une passion. JCF : Qui porte une passion, qui porte un engagement, On retrouve cela partout dans le monde, ce n’est pas nouveau. GB : Ce qui veut dire que le chef animateur assure une fonction de guide des énergies disponibles chez les autres membres du groupe, auxquels il transmet un souffle. JCF : « Animer », c’est justement donner un souffle. Anima, Animus, c’est le souffle qui donne forme à une réalité, donc c’est bien immatériel. On vit là dans l’immatériel GB : Alors, le « quatrième » mode holomorphe, semble selon vos travaux, être une combinaison du deuxième mode et du troisième mode. Il crée les conditions de la concertation. Vous y croyez réellement ? JCF : Oui, j’y crois. Je crois que c’est le type d’organisation vers lequel on tend inexorablement parce que la nouvelle génération de jeunes qui entrent dans le monde du travail ne pourra plus pratiquer le premier mode donc entrer dans une logique d’imposition comme on l’a connu autrefois. Etant donné que l’ on ne peut pas faire fonctionner une entreprise en deuxième mode pur, ni en troisième mode pur, on va se trouver dans l’obligation de créer des groupes auto-organisés où les acteurs seront à la fois libres (deuxième mode), mais pas tout à fait indépendants. « Libres » mais « enclins » à mettre leur liberté au service du projet, d’où la nécessité du troisième mode. C’est donc le mixage du deuxième et du troisième mode qui, à mon avis, définira le type d’entreprise que l’on verra dans 30 ans. 5 GB : Dans 30 ans ? JCF : Oui, l’holomorphisme, ou l’auto-organisation que nous évoquons, n’est praticable aujourd’hui que dans un petit nombre d’organisations : l’équipe de journalistes d’un grand quotidien, parmi les architectes d’un cabinet engagé dans une grande œuvre, dans une équipe sportive ou caritative, dans un groupe de recherches scientifiques… GB : Des petites unités. JCF : Oui, dans des petites unités. A mon avis, ce management des grandes unités ne relèvent que du premier mode, atténué par une dose de deuxième mode : la démocratie industrielle. Les caractéristiques de ce « quatrième mode » portent sur l’émergence d’une énergie collective plus immatérielle que matérielle, issue de la propre morphologie de l’organisation qui libère les initiatives des acteurs tout en les pilotant. La relation au temps est importante : des présents actifs créés dans la perspective d’un futur performant ! Donc des acteurs considérés comme des associés en partenariat. Un emboîtement des niveaux de l’organisation, une rétribution de croissance liée à l’autonomie et au potentiel de chacun, un marché personnalisé, une production décentralisée et une auto-organisation maîtrisée localement, une information-communication globale récursive, sans exclusive, facilitée par une informatique de pointe, en réseau transparent, une délocalisation des traitements. En matière de qualité, un auto-contrôle, une auto-amélioration au plus bas niveau hiérarchique, une innovation audacieuse intégrée, capable de rupture avec les fondements, mais dans une perspective de dépassement. L’initiative marketing est située au plus bas niveau. Des indicateurs suivis par tous. Une politique de changement permanent obtenue par une mise sous tension globale. Une hiérarchie peu interventioniste, d’où les inconvénients qu’on peut imaginer. GB : Je comprends. Mais les limites et les risques portent certainement sur la fragilité du système global souvent inapproprié aux situations d’exception que seul le chef de fort gabarit peut trancher. Dans ce contexte, comment contrôler et coordonner ? Comment piloter ? Vous parlez du « vide contrôlé » . Qu’est-ce ? JCF : Le vide contrôlé suppose que les acteurs libérés, et conscients de la nécessité de partager le projet, prennent les bonnes initiatives ! Mais comme ils peuvent se tromper de bonne foi, il faut un manager qui contrôle les erreurs et évite les débordements. Le mot « contrôlé » nous rapproche un peu du premier mode. GB : Sauf s’il est pris dans le sens anglo-saxon. En termes de dynamisme des valeurs, vous soulignez l’autonomie, le développement qui permet d’intégrer l’intérêt commun dans chaque action locale, des compétences élargies. Qu’est-ce que vous entendez par bien commun « holomorphe » . JCF : Holomorphe, cela vient de « holos », entier et « morphe », la forme, ce qui suppose que le « tout » de l’entreprise ou de l’organisation se retrouve, en réduction et légèrement déformé, dans chaque individu, dans chaque service ou dans chaque sous-ensemble. Le problème de l’organisation holomorphe est la formation, l’information, la concertation permettant de participer à la découverte des projets de l’entreprise et des moyens de tendre vers ce projet. Quand chaque salarié doit réagir personnellement dans des situations précises, il aura une attitude assez proche de celle que prendrait le patron, voire meilleure. 6 GB : Quels sont les avantages de ce mode ? JCF : Ils sont infinis ! Les avantages du deuxième et du troisième mode s’y retrouvent : liberté, initiative, créativité, indépendance et aussi fédération, souci de se dépasser, amour ou engagement dans le projet global. Les inconvénients portent sur la difficulté à organiser durablement une entreprise de ce type. Il y a toujours des incidents qui interviennent. Cela dépend notamment de la psychologie, de la qualité du chef qu’on appelle dans ce cas plutôt un catalyseur. Le catalyseur, c’est celui qui crée ces conditions-là. Il n’est pas guide (3ème mode), il n’est pas chef (1er mode), il n’est pas transactionnel (2ème mode), il est éducateur. Educare, cela veut dire éveiller les bonnes volontés dans une bonne direction. GB : Quels sont les leviers du changement lui permettant de passer d’un mode à l’autre ? JCF : L’initiative vient du management par le moyen de ces fameux trois modes. Le manager joue donc d’un mode ou d’un autre pour changer. En premier mode, il va imposer le changement ; en deuxième mode, il va le négocier et en troisième mode, il va provoquer une espèce de mouvement collectif unanime. Et ces trois modes de changement agissent sur des plans très précis. Dans l’entreprise, ils ne peuvent agir que sur : 1. les structures juridiques, financières, techniques, géographiques ou 2. les flux de produits ou d’information, etc. ou 3. sur la culture. Il n’y a que trois leviers possibles. Il y a différentes formes de changement selon qu’on agit d’abord sur les flux – on appelle cela des réglages ou de réforme - ; on peut aussi agir sur les structures – mais, c’est plus lourd -. Certains voudraient obtenir le changement en agissant directement sur la culture – c’est ce que l’on appelle la rhétorique. Hélas on ne convainc que les gens qui veulent bien être convaincus. Le vrai changement, à mon avis, se fait sur les structures, qui à leur tour imposent un changement dans les systèmes de flux (par exemple, la rémunération), ce qui a pour effet de modifier à terme la culture. GB : Par ailleurs, lorsqu’on voit l’homme se positionner - aussi bien dans les administrations que dans les organismes privés - face à des réformes ou des changements même plus profonds, (ne serait-ce que la réforme de la santé à l’heure actuelle), il y a trois paramètres sur lesquels on peut s’appuyer pour faire le pari d’un changement réussi. Le premier paramètre, c’est l’antérieur, donc l’histoire. Le second paramètre, c’est l’intérieur. Le troisième paramètre, c’est l’extérieur, c’est-àdire la concurrence, le marché. JCF : Ce que l’on appelle « le dehors ». GB : Souvent le « dehors » fait pression et modifie l’intérieur. Mais comment faire bouger la masse des gens un peu passifs qui sont les rouages du premier mode et qui représentent environ 60% des organisations ? JCF : Il faut revenir au mixage du deuxième et troisième modes. Il faut à la fois libérer les gens pour qu’ils puissent défendre leurs intérêts privés en deuxième mode et faire en sorte que cette libération ne tourne pas à la pagaille en leur proposant un projet. Et les gens, assez volontiers, rentrent dans un projet pour autant qu’ils y trouvent leur compte en retour. 7 GB : Qu’est-ce que cela veut dire « libérer les gens » ? JCF : Libérer les gens, c’est leur donner la possibilité d’avoir des initiatives professionnelles, personnelles et transformer le travail pénible en une sorte de jeu, une activité ludique qui leur permet de relever des challenges personnels. Oui, l’homme a besoin de relever des challenges personnels…. et de gagner de l’argent. Les entrepreneurs comprennent ça spontanément. GB : Quel chemin le management doit-il emprunter pour donner aux gens ces initiatives ? Quels changements du management doit-on assurer pour permettre ces initiatives ? JCF : Il faut que la part réservée au premier mode diminue au profit du deuxième et du troisième mode. GB : Comment peut-on quitter le premier mode ? JCF : En organisant des sous-ensembles au sein de l’entreprise où les salariés deviennent (un peu malgré eux) entreprenants en synergie avec les autres. GB : Si je vous comprends bien, c’est aussi en prenant de la distance par rapport au pouvoir, c’està-dire en acceptant de perdre le pouvoir ? JCF : Cela revient à cela. Le deuxième mode, c’est la reconnaissance d’un équilibre de pouvoir. En troisième mode, le « patron » se place au second rang derrière le projet, derrière les idéaux, derrière les principes. Le chef n’est vraiment « chef » qu’en premier mode. Interview menée par Gérard Balantzian Paris, 2002 8