Date : 01/02/2013 Pays : FRANCE Page(s) : 9 Rubrique : Dossier La responsabilité du fai… Périodicité : Mensuel Surface : 86 % Propos introductifs La responsabilité du fait des produits : un droit en déséquilibre ? Thomas Rouhette, Avocat Associé, Hogan Lovells (Paris) LLP Le Journal des Sociétés avait publié en janvier 2010 un premier dossier spécialement consacre à la responsabilité du fait des produits (l). Nous nous étions alors attachés à présenter les profondes évolutions qui ont traversé la matière au des années récentes. La responsabilité du fait des produits s'est depuis longtemps démarquée du droit de la responsabilité civile classique, en abandonnant l'exigence d'une faute (responsabilité objective) puis, par l'effet de la directive du 25 juillet 1985 (2), en gommant notamment la frontière entre responsabilités délictuelle et contractuelle. Le développement de la protection des consommateurs et le poids croissant de ont fait peser sur les îa réglementation fabricants une charge de plus en plus L'obligation lourde. d'information atteint des niveaux d'exigence jamais imaginés il n'y a encore pas si longtemps, en matière de cosmétiques ou de produits alimentaires des (3) par exemple. L'internationalisation échanges commerciaux contraint les fabricants à revoir leurs approches pour respecter les standards les plus stricts (4). La multiplication des procédures pénales diligentées contre des fabricants ou exploitants, spécificité française voire latine, du fait de la dangerosité de produits, voire du simple non-respect de dispositions formelles dépourvues de toute réglementaires incidence renforce encore cette sécuritaire, exposition. En conclusion de nos propos introductifs de du fait des 2010, intitulés «Responsabilité produits : vers la tolérance zéro ?», nous formions «qu'un juste le équilibre, difficile à atteindre, sera recherché entre ces intérêts contraires pour continuer à concilier développement économique et technique d'une part et protection des consommateurs d'autre part». Trois ans plus tard, non seulement nous n'avons pas été entendus, mais la balance penche de plus en plus dans un sens unique. Le droit substantiel de la responsabilité du fait des produits n'a pas connu de changements significatifs depuis, en France, la transposition de la directive du 25 juillet 1985 aux articles 1386-1 et suivants du Code Civil, même si questions intéressantes quelques demeurent en suspens (5). La plupart des grands systèmes de droit contemporain, de la Chine aux EtatsUnis en passant par l'Union Européenne, se sont au demeurant dotés de régimes de responsabilité objective largement comparables dans les grandes lignes. La différence d'impact du contentieux de la responsabilité du fait des produits entre, par exemple, les Ltats-Unis et l'Europe s'explique ainsi par des différences fondamentales l'environnement tenant à procédural dans lesquelles ces règles évoluent et non par des divergences de droit substantiel. Les réformes récentes de la procédure civile qui ont vu le jour en Europe (6) et sont à l'étude coûts vœu ■*- en France, marquées notamment par une volonté affichée de faciliter l'accès à la justice, ne devraient pas manquer de contribuer à un accroissement des risques contentieux pour les entreprises, d'autant que les systèmes de conflits de lois et de juridictions en vigueur ne sont qu'imparfaitement de nature à réguler la gestion des litiges dans un cadre international (7). Par ailleurs, en droit français, à l'abolition de longue date de l'exigence d'une faute, s'ajoute désormais la dilution de plus en plus marquée du lien de causalité ainsi que de la preuve du préjudice. La simple exposition à des substances dites dangereuses tend ainsi à être considérée comme suffisante, alors même que les seuils légaux peuvent être respectés, pour caractériser un lien de causalité, voire l'existence d'un en préjudice (8). Tel est le cas notamment matière d'amiante, les juridictions de sécurité sociale et prud'homales constatent, de maladies respectivement, l'existence professionnelles sans égard pour la situation personnelle ou les antécédents médicaux ou professionnels du demandeur, ou indemnisent le préjudice d'anxiété subi par des personnes en parfaite santé, sans pour autant que le moindre justificatif de nature à démontrer un état d'inquiétude permanent ne soit produit. Cette évolution déborde du strict cadre des relations du travail pour atteindre les juridictions civiles dont certaines décisions récentes, en matière de s'inscrivent résolument pesticides notamment, dans cette tendance. 1-e secteur des produits de santé est une autre illustration de cet alourdissement de l'exposition qui pèse sur les industriels, par la combinaison de l'accroissement d'un risque pénal, du poids de la réglementation (s'agissant dos obligations de surveillance du marché notamment) ou d'une atténuation des règles de causalité en l'absence de certitudes scientifiques qui distingue la France de la plupart des autres pays de l'Union Européenne. En parallèle, l'absence de prise en compte d'un bilan bénéfices/ risques et la jurisprudence récente sur les conséquences juridiques du non-respect du devoir d'information du patient en l'absence même d'alternative thérapeutique, couplées au rejet du principe dit de la market share liability, contribuent à faire pencher de plus en plus la balance du côté des patients (9). Le droit, comme mode de régulation des rapports sociaux, se doit de préserver les équilibres. La protection des parties faibles (consommateurs, un est naturellement usagers, patients...) impératif de nos droits modernes. Mais à force de trop faire pencher la balance en la défaveur des entreprises, l'innovation risque de se trouver compromise et le prix des produits renchéri. Ce mouvement de balancier continu risque bien à terme de ne pas servir les intérêts de ceux qu'il entend protéger. où 1)Journal des Sociétés. Janvier 20 K). n" 72, pages 11 à X2. 2) Directive 11e85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement -.lesdispositions législatives, réglementaires et administratives des Etals membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. 3) Cf. mfra Christine Gâteau et Pauline Faron. L'obligation d'information due au consommateur, l'exemple du secteur agroalimenlaire. Journal des Sociétés. Février n' 201 3. 106. page 10. 4) Cf. Dossier La sécurité des produits par Hogan Lovells. à paraître au Journal des Sociétés. 51 Cf. mfro Christophe Ganu, L'iippUcution des règles relatives à la responsabilité du lait des produits défectueux et à la sécurité générale des produits aux biens immatériels, Journal des Sociétés. Février 2013. 11*106. page 16. 6) Cf. infra Francesca Rolla. Karen Jelsma cl al.. Mécanismes de recours collectifs et responsabilité du fait des produits Journal des Sociétés, Février 20 13. nc 106. page 2 1 : VJatîhew Felwiek et Katie Vemon. Les reformes de la procédure civile en Angleterre et au Pays de Galles et leurs implications en matière de responsabilité du fait des produits, Journal des Sociétés, Février 2013. n" 106. page 28. 7) Cf. infru Cécile Di Meglio. La loi applicable à la responsabilité du fait des produits. Journal des Sociétés. Février n' 2013. 106. page 35 : Chiistelle Coslin. La coordination internationale des procédures relatives à la responsabilité du fait des produits, Journal des Sociétés, Février 2013. n" 106. page 39 : AK'in I-.Lindsay. La compétence des tribunaux américains à l'égard des fabricants étrangers après J. Mclntyre vtachinery. Ltd. v. Nicastro ?, Journal des Sociétés. Février 2013. nc 106, page 45. 5) Cf. infru Sylvie Gallage-Alwiset Delphine l.apillonne. Substances potentiellement dangereuses : vers une mutation du droit de la responsabilité du fait des produits 7 Journal des Sociétés. Février 20 13. n'106. page 50. 9) Cf. infru Cécile Derycke et CharlesHenri Caron. La responsabilité du fait des prrxluits de santé en France : renforcement des obligations des fabricants et évolutions jurisprudenticllcs en faveur des patients. Journal des Sociétés. Février 20)3. n"106. page 55. Tous droits de reproduction réservés