142 M. KISTLER
Intellectica, 2004/1, 38
répètent jamais exactement, en n'exigeant des régularités
constitutives de la causalité que la similarité et non l'identité
qualitative. Selon la fameuse définition de Hume, une cause est « un
objet antérieur et contigu à un autre, tel que tous les objets
semblables au premier soient placés dans une relation semblable de
priorité et de contiguïté par rapport à des objets semblables au
second » (Hume 1739, p. 171, tr. p. 259; cf. aussi Hume 1748, p. 76,
tr. p. 124/5). Mais nous sommes aujourd'hui plus sensibles que ne
l'était Hume au fait que le retrait vers l'exigence vague de similarité
risque de rendre la thèse de la régularité triviale : comme Quine l'a
bien expliqué, d'un point de vue logique tout est semblable et
dissemblable de tout, puisque n'importe quelle paire d'objets partage
un nombre infini de propriétés et diffère par un nombre infini de
propriétés.
Le retrait vers la notion vague de similarité menace de ruiner le
projet de sauver le concept de causalité dans le cadre d'une concep-
tion scientifique du monde, de ses résonances anthropomorphiques
ou animistes, en le réduisant au concept de régularité nomique4. De-
puis Galilée5, les philosophes ont interprété le projet de la science
moderne comme celui de substituer à la recherche des causes la re-
cherche des lois de la nature6. Or cette substitution ne peut conduire
4 « Nomique » - du grec « nomos », la loi – est l’adjectif relatif au nom « loi » que l’on
utilise lorsqu’il s’agit de lois de la nature, « légal » étant réservé pour la loi au sens juridi-
que. Dans cet article, j’utiliserai le terme « nomique » pour désigner ce qui est relatif aux
lois elles-mêmes, alors que « nomologique » désigne ce qui est relatif au discours et aux
théories sur les lois de la nature.
5 Galilée exprime l'idée d'une telle purification de la conception scientifique d'un phéno-
mène naturel, en substituant à la terminologie obscure de la causalité la terminologie plus
claire de la régularité des processus observables, sans utiliser le terme de « loi » : « L'occa-
sion ne me semble pas favorable pour rechercher la cause de l'accélération du mouvement
naturel, problème sur lequel différents philosophes ont formulé différentes opinions. [...]
Pour le moment le but de notre auteur est seulement de nous faire comprendre qu'il a voulu
découvrir et démontrer quelques propriétés d'un mouvement accéléré (quelle que soit la
cause de son accélération). » (Galilée 1638, p. 202, trad. p. 135) Sur la causalité chez
Galilée, cf. Yakira (1994).
6 Deux passages qui témoignent de cette conviction largement partagée, par Berkeley : « la
physique ou la mécanique se proposent de fournir, non les causes efficientes, mais seule-
ment les règles des impulsions et des attractions et, pour tout dire, les lois des mouve-
ments, puis, sur ces bases, de donner une explication des phénomènes particuliers, et non
leur cause efficiente. » (Berkeley 1721, § 35, p. 40 ; trad. p. 166), et Comte : « La révolu-
tion fondamentale qui caractérise la virilité de notre intelligence consiste essentiellement à
substituer partout, à l'inaccessible détermination des causes proprement dites, la simple
recherche des lois, c'est-à-dire des relations constantes qui existent entre les phénomènes
observés. Qu'il s'agisse des moindres ou des plus sublimes effets, de choc et de pesanteur
comme de pensée et de moralité, nous n'y pouvons vraiment connaître que les diverses