compte de l’ensemble des sociétés humaines, les anthropologues sont confrontés
à une immense diversité culturelle, ce qui m’amène à formuler un 2e constat :
2e constat : la nature humaine est marginalisée sur la base de la
variabilité des formes et des sens que prend un même phénomène.
La variabilité conduit plusieurs anthropologues à ne pas reconnaître l’unité qui
lui est sous-jacente. Il n’est pas rare que les anthropologues fassent appel aux
cas exceptionnels pour remettre en question, voire pour nier, l’existence des
bases biologiques des phénomènes de parenté. Dans les exemples qui suivent,
les auteurs utilisent les cas de mariage entre frères et sœurs dans les familles
royales comme s’il s’agissait d’un argument : « However, if an instinctive horror
of incest exists, we would be hard pressed to account for [. . . ] cases of insitutio-
nalized incest. » (Haviland et al., 2005, 207) « [We] know of several important
exceptions such as the ruling classes of the Inca, ancient Egypt, ancient China,
and Hawaii. » (Harris, 1995, 113) Ce genre d’affirmation révèle une conception
déterministe de la biologie. Or, les bases biologiques ne déterminent pas, à elles
seules, les comportements. Elles sont plutôt en interaction avec d’autres facteurs.
Ainsi, les cas exceptionnels ne suffisent pas à remettre en question l’existence
de l’effet Westermarck.
Les arguments qu’utilisent les auteurs pour marginaliser la nature humaine
sont parfois inappropriés : « Moreover, anthropologist Nancy Thornhill found
that, in a sample of 129 societies, only 57 had specific rules against parent-child
or sibling incest (so much for the universality of the incest taboo). » (Haviland
et al., 2005, 209) Cette affirmation révèle une confusion importante. En effet,
l’auteur ne fait pas la distinction entre l’évitement de l’inceste et son tabou.
L’évitement de l’inceste est un comportement observé chez tous les primates
incluant l’humain, alors que le tabou est une règle culturelle qui peut, ou non,
être énoncée explicitement. Les règles culturelles sont variables, mais elles s’ins-
crivent en continuité avec une nature humaine qui, elle, est universelle. L’absence
d’un tabou explicite ne permet aucune inférence au sujet du comportement. Il
s’agit donc d’un argument inapproprié, que ce soit pour rejeter l’universalité du
comportement ou ses bases biologiques.
La variabilité culturelle peut conduire encore plus directement à marginaliser
la nature humaine, comme en témoigne la citation suivante : « Ce phénomène
ne relève pas de la nature, mais de la culture parce que les mêmes personnes ne
font pas partout l’objet de la même interdiction. » (Beaudet, 1999, 140) Cette
affirmation révèle, une fois de plus, une conception déterministe de l’influence
de la biologie sur le comportement. En effet, elle sous-entend que les bases
biologiques ne devraient produire aucune variation comportementale (Chapais,
2008, 80). La variabilité culturelle d’un phénomène ne permet pas de conclure
qu’il n’y a pas de bases biologiques. En effet, bien que la biologie soit insuffisante
pour expliquer la variabilité des comportements humains, elle n’en demeure pas
moins un déterminant essentiel.
Je tiens à souligner que ces problèmes ne se limitent pas au thème de l’évi-
tement de l’inceste. Bien au contraire, ils sont généralisables à l’ensemble des
thèmes de parenté. À titre d’exemple, on fait appel à un cas particulier pour
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