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Cours de Questions contemporaines en philosophie
Cours de Licence 1, Université de Picardie, 1er semestre 2015
Bruno AMBROISE
L'HUMAIN, ENTRE NATURE ET CULTURE,
Introduction
Ce cours est un cours classique en philosophie, qui se situe à la frontière de
trois autres disciplines : l'épistémologie de la psychologie, l’ethnologie et
l'anthropologie.
C'est
plus
exactement
ce
qu'on
appelle
une
question
« d'anthropologie philosophique », qui vise à interroger les fondements de ce qu'est
l'être humain – question que les deux disciplines précédentes étudient de manière
empirique.
Ce cours vise globalement à comprendre en quoi l'être humain est un être
spécifque, qui appartient à la fois à l'ordre de la « nature » et à l'ordre de la « culture ».
La question est déjà de savoir ce qu'est la « nature » (de l'homme), et ce qu'est la
culture, pour ensuite voir en quoi la nature de l'être humain, à la différence de celle
d'un autre être, est liée à la culture. On pourra même aller jusqu'à dire que la nature
de l'humain est d'être un être de culture – c'est-à-dire en fait se demander si l'être
humain a vraiment une nature.
Vous allez voir que cela conduit à de multiples questionnements sur ce qui
fait l'identité de l'être humain, son éventuelle spécifcité (par rapport aux autres
êtres vivants, par rapport aux animaux), son statut dans le monde des vivants (ce
qui n'est pas sans conséquence dans le monde social : c'est notamment ce qui le
dote de « droits » (statut juridique) à la différence des animaux, et peut-être de
« devoirs » (statut moral)).
Parmi ces questionnements, certains toucheront de près à des problématiques
touchant à la psychologie (en tant que discipline) : l'esprit – ou le psychisme –
humain relève-t-il ainsi de l'ordre de la nature ou de la culture ? (Selon la réponse,
on considérera que la psychologie doit s'occuper de choses différentes, puisque la
psychologie est la science de la psychè, du psychisme, de l'esprit) Y a-t-il même une
unité de l'esprit humain -
avons-nous tous le même en partage ? Ce n'est pas
évident si ce qu'on appelle « esprit » est relatif à la culture dans laquelle on
appartient, si par exemple, comme on a pu le soutenir, la pensée dépend du
langage (or il y a de multiples langues). Les productions psychologiques (pensées,
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sentiments, voire même les perceptions) ne sont-elles pas affectées par la culture
que nous avons apprises ? Autrement dit, les productions de l'esprit humain sontelles innées ou acquises ? Finalement, y a-t-il une nature humaine ? (Et est-ce un
problème s'il n'y en a pas?). Et, réciproquement, comment peut-on étudier l'esprit
humain s'il dépend de la culture ? Peut-on en établir des lois comme le font les
sciences de la nature (et comme prétend parfois le faire la psychologie) ? Peut-elle
avoir les mêmes critères épistémologiques les sciences de la nature ? (Cf. opposition
sciences de l'esprit (sociologie, anthropologie, psychologie)/sciences de la nature
(physique, biologie, géologie, etc.)). Ce sont là autant de questions que l'on croisera.
Défnitions provisoires :
Défnitions de « Nature »
- Nature # Artifce : la nature est d'abord ce qui est inné, spontané, voire brut,
pur, inaltéré (c'est ce qui est « naturel »). L’artifce, au contraire, concerne tout ce
qui est produit par la technique, l’activité humaine fnalisée (qui a un but qui
oriente la production), et non par la nature (qui n'a pas de but, mais une
production, organisée certes, mais non ordonnée).
- Nature # Convention : une convention est ce qui résulte d’un accord
réciproque, d’un consensus, d’une règle acceptée, d’une décision humaine. La
nature, par opposition, est tout ce qui ne relève pas d’une décision humaine et qui,
de ce fait, est indépendant de la volonté – qui arrive de manière autonome, sans
qu'on se soit mis d'accord sur elle.
- Nature #Règle : si l’on entend par règle un modèle, une norme décrivant ce
qui doit être, et par rapport à laquelle sont formulés les jugements de valeur, la
nature désigne l’ordre du fait, de la réalité, tout ce qui est étranger aux valeurs de
l’homme (les animaux, les végétaux, etc.). La nature relève de l'être et non du
devoir-être.
On peut, à partir de là, distinguer trois signifcations principales du mot
« nature »:
1. ce qui est donné par la naissance : ce qui est inné, c’est-à-dire ce qui se manifeste
spontanément en un être à mesure qu’il croît; c’est aussi le tempérament, le
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caractère d’un individu. La nature, c’est donc, en un premier sens, une force
productrice ;
2. ce qui constitue un être : ce qui permet de le défnir, de le rattacher à une espèce;
3. l’ordre des choses : l’ensemble de ce qui existe et qui ne résulte pas de l’initiative
humaine (le ciel, la terre, les animaux, la mer, etc.).
Qu'en est-il maintenant de la « culture » ?
1. Le terme « culture » vient du latin Cultus : action de cultiver, d’entourer.
2. La culture désigne, en premier lieu, la culture du sol : une terre cultivée, par
opposition à la terre non cultivée, a été travaillée, transformée par l’homme; la
culture est à la fois ce travail et le produit de ce travail.
3. Par extension, « culture » désigne tout développement acquis par la pratique
d’un exercice et d’un entraînement (ex. : la culture physique). La culture concerne
aussi les soins donnés à l’esprit par l’éducation; quand on parle de la culture, on
entend ici les oeuvres de l’esprit – la science, le droit, la médecine, les arts, etc. – et
une personne « cultivée » est celle qui possède des connaissances étendues dans ces
domaines.
4. Il y a enfn la culture japonaise, américaine ; le mot est ici voisin de celui de
« civilisation » : ensemble des productions matérielles (techniques, monuments,
oeuvres) et immatérielles (idées, croyances, lois, etc.) par lesquelles l’homme
surpasse son animalité primitive et crée un « nouveau monde » dans lequel il vit et
qui lui permet d'avoir certaines « valeurs ».
5. De tous ces sens, il faut retenir l’idée d’un effort intelligent et volontaire fait par
l’homme sur la nature pour en obtenir le rendement maximum et la conduire à son
point de perfection. Une origine naturelle (la terre, l’esprit, l’animalité) a été
dépassée par un travail qui a fni par la transformer radicalement. Nature = départ,
culture = arrivée, de sorte que la culture naît de la nature (rien ne naît de rien) et la
nie en la dépassant.
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Problématisation :
Les défnitions données précédemment suggèrent que la nature et le naturel
renvoient à ce qui est donné, spontané, voire inné, ce à quoi il sufft d’obéir et dont
on peut se contenter, cela même qui reste tel qu’il est à travers le temps ou l’espace.
La culture et le culturel, au contraire, renvoient au domaine de l‘acquis, de ce qui
est construit ou à construire, c’est-à-dire ce qui exige un effort d’invention et de
fnalisation.
Remarquons ensuite que les termes “nature” et “culture” se présentent
d’emblée comme liés (l’intitulé du cours est « nature et culture » ). Toute la
diffculté semble alors résider dans le “et”, comme s’il n’existait rien de tel que “la”
nature tout court, ou “la” culture. On sait d'ailleurs que tous les êtres humains sont
des êtres de culture – des êtres de cultures différentes, mais appartenant bel et bien
à un type de culture (# à ce qu'ont pu croire certains ethnologues de la fn du 19è
S./début du 20è S, qui considéraient, dans une perspective ethnocentriste que
certains hommes n'avaient pas de culture ou étaient « hors de l'histoire »).
Généralement, cet ethnocentrisme1 est le fait des hommes occidentaux à l'égard de
tous ce qui leur ressemble pas (mais déjà les Grecs qualifaient leurs ennemis de
« barbares ») – c'est cela qui a justifé plusieurs formes de colonialisme : il fallait
aller éduquer « les sauvages ». C'est l'anthropologie des années 1930 puis 1950,
notamment avec Cl. Levi-Strauss2, qui a montré que tous les hommes avaient des
cultures, même si celles-ci étaient différentes.) A tel point qu'on peut dire qu'il n'y a
pas d'humanité sans culture. (Une autre question est de savoir si la culture est le
propre de l'être humain : y a-t-il des cultures animales?)
Or, si la culture est le fait de l’être humain, où fnit la nature et où commence
la culture ? Y a-t-il, de l’une à l’autre, continuité, développement de l’être premier,
épanouissement, ou changement radical (et, dans ce cas, comment l'expliquer) ? Cette
distinction, ou cette possible opposition, entre la nature et la culture, renvoie alors à
une question fondamentale, qui apparaît comme étant d’emblée culturelle et
historique : qu’est-ce que l’être humain ? Qu'est-ce qui fait sa spécifcité ? quelle est
1. « Ethnocentrisme » : tendance à privilégier le groupe social, la culture auxquels on appartient et à en
faire le seul modèle de référence.
2. Claude Levi-Strauss, Race et histoire, Folio-Gallimard, Paris, 1952. Texte à lire en intégralité.
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sa place dans la nature ? en quoi sommes-nous humains ? Autrement dit : Qu’estce qu’être humain ? Et même que signife être humain ? Comment le devient-on ?
En devenant un être de culture ? Mais alors il faut pouvoir distinguer nature et
culture : quels sont les critères de démarcation chez l'homme – peut-on discerner ce
qui est censé être purement naturel de ce qui est censé être purement culturel ?
L’être humain a-t-il d’ailleurs une nature ? Et si oui, quelle est-elle (la
violence, la compassion, la solidarité, l'appât du gain…) ? Sachant que ce sont là
des questions importantes pour bâtir les sciences humaines et sociales : on
n'étudiera pas l'homme de la même façon, ni 'expliquera son comportement
identiquement, selon qu'on pose qu'il est mû par l'égoïsme ou par la compassion.
D'une certaine façon, la psychanalyse freudienne ne vaut, du moins dans la
première topique, qu'à considérer que l'homme est mû par ses désirs, suivant en
cela une conception nietzschéenne des ressorts humains (qui s'oppose par exemple
à une conception kantienne). De la même manière, en sociologie, vous avez des
conceptions considérant que l'homme vise à maximiser son intérêt de manière
rationnelle (« théorie du choix rationnel »), d'autres considérant que l'homme agit
selon la coutume (« théorie de l'habitus ») et d'autres encore considérant que
l'homme peut agir gratuitement (« conception anti-utilitariste »). Naturellement,
tout l'économie néo-classique – orthodoxe – s'appuie sur une conception utilitariste
forte – mais qui n'a rien d'assurée, ni d'un point de vue philosophique, ni d'un
point de vue psychologique (est-on sûr qu'on veuille toujours ce qui maximise
notre intérêt ? Est-ce irrationnel de vouloir le contraire, ou du moins, autre chose?)
Mais pourrait-il ne pas avoir de nature alors que la culture semble ne pouvoir
s'ériger que sur une espèce de socle naturel ?
Nous verrons peut-être même que si nature et culture sont pensées
simultanément ou contradictoirement, c’est peut-être que la nature est toujours
celle d’une culture, qu’elle est toujours investie par les désirs humains, produite par
les relations imaginaires et affectives que l’homme vit avec elle 3 et, qu’à travers la
réfexion sur le rapport entre la nature et la culture, c’est aussi sur lui-même que
l’homme tente de s’interroger.
3. Voir Ph. Descola, Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2007.
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I – La spécifcité de l'homme – être humain – et de sa « nature »
I.1. Platon et le mythe de Prométhée
I.2. Rousseau et la nature humaine
I.3.Itard et l'enfant sauvage
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