Penser au travers de la différence. La langue de la collaboration

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/ CASCA 2013
©2013 Harvey
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Penser au travers de la différence. La langue de la collaboration
anthropologique.
par Penelope Harvey, University of Manchester
« Ce que nous pouvons faire ensemble, qui que soit ce « nous » et partout il peut exister, dépend
en grande partie de ce qui existe entre nous, de ce qui nous permet d'aller vers l'autre ou de nous en éloigner.
Quelle est la matérialité de cet entre-deux, la composition et l'intensité de sa durabilité, de sa viscosité, de sa
visibilité, etc. ? Qu'est-ce qui nous permet d'être maintenus en place, d'être vus, touchés, évités, scrutés ou
sécurisés ? L'infrastructure concerne cet entre-deux. » (Simone 2013). Cette description de l'infrastructure de
Simone fait référence à son expérience de la vie à Johannesburg, une ville dans laquelle il a trouvé vitalité et
instabilité chronique, peur et suspicion, illégalité et créativité, et où il a exploré les façons selon lesquelles les
personnes sont des infrastructures de la vie urbaine. Ses questions résonnaient en moi alors que je pensais à
la langue et à la production de connaissances anthropologiques dans le cadre d'un projet de recherche
collaborative. Dans ce court article, j'examine comment la langue est venue se dresser entre les membres de
l'équipe de recherche, offrant des possibilités et des résultats pour les pratiques de recherche collaborative,
tout en nous différenciant et en nous tenant éloignés.
Notre projet de recherche ethnographique se proposait d'explorer les formes d'ambiguïté,
d'incertitude et d'expérimentation constitutives de la gouvernance néolibérale dans le Pérou contemporain.
En se concentrant sur la vallée de Vilcanota dans la région administrative de Cusco, une équipe de six
chercheurs a étudié comment la communauté, la municipalité et le gouvernement régional comprenaient les
pratiques administratives et politiques par lesquelles le processus de décentralisation et les revendications de
souveraineté de l'état central sont à la fois autorisés et non accomplis. En termes moins abstraits, nous avons
travaillé avec et autour des municipalités locales alors qu'elles participaient à divers projets rassemblant des
agences étatiques diverses (planification d'une bretelle de contournement, amélioration des systèmes
d'approvisionnement en eau, d'assainissement et de traitement des déchets, obtention de protections contre
les inondations) tout en examinant en chemin les instruments réglementaires et techniques par lesquels le
pouvoir étatique est à la fois dévolu et recentralisé. Ce projet impliquait une petite équipe de chercheurs,
composée de deux universitaires titulaires (un des États-Unis et un du Royaume-Uni), un chercheur en post-
doctorat (formé au Royaume-Uni), un chercheur en troisième cycle (formé au Pérou), et deux
anthropologues péruviens, n’ayant pas encore terminé leurs études de premier cycle, l'un étant un jeune
étudiant
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, et l'autre un chercheur expérimenté qui avait travaillé de nombreuses années pour une ONG
respectée de Cusco. Tous les membres de l'équipe parlaient couramment espagnol. Nos compétences en
quechua étaient très inégales. Deux membres de l'équipe (un Britannique et un Péruvien) ne parlaient pas
quechua, deux parlaient un peu de quechua (les deux universitaires titulaires) et deux le parlaient
couramment (les deux Péruviens). Mais nous le savons, une langue commune n'offre pas de base stable pour
une communication efficace. Alors que j'analyse nos tentatives pour mettre en œuvre une anthropologie
collaborative, ce sont nos compétences communicatives diverses, nos capacités différentes pour utiliser le
langage correctement et efficacement dans des cadres relationnels spécifiques qui passent au premier plan.
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Dans ce qui suit, je ne traite pas de la façon selon laquelle l'étudiant a fait partie de notre projet de collaboration, par
manque d'espace et parce que les problèmes étaient différents.
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Ce projet a été financé en partie par la Fondation Wenner Gren dont l’intérêt explicite est d’étendre
les capacités de recherches anthropologiques dans les pays dotés de relativement peu de possibilités de
formation avancée
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. L'équipe de recherche ne correspondait pas exactement à un modèle selon lequel des
anthropologues moins expérimentés étaient formés, sur le tas, par les membres les plus expérimentés de
l'équipe. Les membres péruviens de l'équipe avaient peu de formation systématique en méthodes
ethnographiques, mais ils avaient tous une vaste expérience du travail sur le terrain. La formulation de
l'engagement comme collaboratif définissait la façon dont nous espérions apprendre l'un de l'autre. Les
ethnographes expérimentés étaient beaucoup moins compétents que les membres péruviens de l'équipe dans
les registres linguistiques avec lesquels négocier l'accès aux cadres institutionnels ou dans les compétences
d'interprétation nécessaires pour lire la qualité changeante de cet accès. Tirant parti de leur travail précédent
avec des bureaux gouvernementaux, des ONG et des fonctionnaires locaux, et avec un engagement personnel
important dans l'activisme politique, les chercheurs péruviens apportèrent une sensibilité sociale et culturelle
aiguë au projet, qui devint centrale pour la façon dont notre travail s'est développé. Cependant, au cours de la
progression de notre projet de recherche, il devint clair que ces connaissances constituaient pour la réflexion
anthropologique une base différente des connaissances que nous souhaitions obtenir en tant qu'ethnographes.
Pour explorer cette différence plus en détails, je me penche sur quatre aspects du processus de recherche
cette tension est devenue explicite. Je souhaite ainsi montrer en partie comment l'expertise anthropologique
est transmise de façon relationnelle et différentielle par la langue.
Accès : Ainsi que nous l'avons brièvement mentionné ci-dessus, un accès de qualité aux personnes et
aux situations qui devinrent la base de notre étude ethnographique fut obtenu directement par nos chercheurs
péruviens. Ils avaient l'expérience du travail avec des fonctionnaires de tous les niveaux du gouvernement et
de nombreux amis et connaissances directement engagés dans le gouvernement et la vie publique. Les
langages de la mairie, de la procédure bureaucratique, ou de la formulation normative leur étaient totalement
familiers, ainsi que les façons subtiles de repérer les moments où il est possible ou non d'échanger des potins,
les moments il convient de rester formel ou de se détendre. Leurs réseaux personnels ont de plus ouvert
certaines portes. Dans de nombreuses occasions, nous avons pu parler et passer du temps avec des
fonctionnaires car nous avons été présentés en tant qu’amis et collègues. Avec le temps, cet élément de la
dynamique de l'équipe a quelque peu changé. Comme dans toute étude ethnographique, chaque chercheur a
trouvé des façons d'établir ses propres relations, et la confiance et l'autorité s'établirent sous diverses formes
qui n'étaient pas toujours associées à une connaissance préalable.
Engagements sur le terrain : La langue du travail sur le terrain a posé des problèmes
supplémentaires. Briggs a avancé de façon célèbre qu'« apprendre à poser des questions » est une
compétence qu'un ethnographe doit nécessairement acquérir. Il faisait référence au besoin d'encourager la
connaissance des modes d'interrogation appropriés, et au fait qu'une partie de la capacité d'interprétation de
l'ethnographe side dans sa capacité à établir comment ses interlocuteurs imaginent la conversation à
laquelle ils participent (ou non). La sociolinguistique a analysé comment tous les énoncés linguistiques
traduisent des différenciations plus ou moins subtiles. Savoir ce qui a été dit exige une compréhension
approfondie des possibilités permettant aux événements linguistiques de devenir significatifs. Dans nos
réunions d'équipe régulières, nous avons discuté de l'importance d'apprendre à écouter, de ne pas interrompre
ni poser des questions suggestives et d'essayer de pratiquer la patience comme méthode, même dans le
contexte d'un entretien, afin de permettre à son interlocuteur de définir les conditions de l'engagement et
donc de découvrir comment des problèmes spécifiques sont soulevés ou écartés, quels sont les concepts
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La recherche a été également financée par l'ACLS, la NSF et l'AHRC. Toutes ces aides étaient destinées explicitement
à la recherche collaborative, mais pour ces fondations la collaboration se centrait sur la relation de recherche entre les
chercheurs principaux.
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utilisés, les analogies, les répétitions et les styles. Nous avons essayé d'enseigner à nos ethnographes novices
que toutes sortes de choses inattendues, actions et paroles, peuvent être intéressantes. Notre travail a été de
faire participer les gens, mais aussi de suivre comment cette participation a évolué. Nous savions que de
petites choses qui semblaient peu significatives ou non pertinentes lorsqu'elles étaient énoncées pouvaient
devenir cruciales afin de comprendre autre chose ultérieurement. À nouveau, tout comme pour la négociation
de l'accès, trouver des façons de mener des entretiens ou des conversations informelles ne présentait pas en
soi un obstacle majeur à nos collaborations. Nous avons tous trouvé notre chemin. Nous avons ri au moment
de décider si tel ou tel commentaire ou événement était « intéressant » mais la plaisanterie a évolué pour
aborder des différences plus fondamentales, à savoir pourquoi et comment quelque chose devient «
intéressant ». Devenir « intéressant » dans ce contexte revenait à savoir si des observations sur le terrain
avaient le potentiel de devenir anthropologiquement intéressantes.
Notes de terrain : Cette traduction de l'observation en connaissance anthropologique potentielle est
apparue comme un problème dans notre ambition de partager des notes de terrain. Nous avions envisagé
d'utiliser les notes les uns des autres lorsque nous serions prêts à formuler des arguments ethnographiques.
L'un des membres anglophones de l'équipe avait beaucoup écrit et en espagnol. Le résultat était un
enregistrement merveilleux de ses observations. Mais ces notes étaient aussi assez problématiques. Le fait
d'écrire en espagnol, et pour être lue par d'autres, a changé ce qu'étaient les notes de terrain pour cette
chercheuse, et l'a amenée, de plusieurs façons, à ressentir une certaine distance avec ses propres
observations. Et alors que les notes en espagnol étaient maintenant disponibles pour être lues par tous les
membres de l'équipe, les rythmes du travail sur le terrain et de la prise de note sur le terrain laissaient peu de
temps pour lire les vastes notes des autres en détail. Les informations étaient plus utilement partagées lors
des réunions hebdomadaires, lorsque les membres de l'équipe parlaient de ce qu'ils avaient fait et
comparaient leurs notes sur ce qui était « intéressant », soulignant les points d'intérêt commun au fil de la
conversation qui était toujours plus fluide et facilement collaborative que la tentative de créer une ressource
collective de notes de terrain partagées. Cependant, nous ne pouvions pas abandonner la nécessité de notes
partagées car les chercheurs principaux savaient que nous aurions besoin de ces notes au moment d'écrire la
monographie anthropologique que nous souhaitions produire dans le cadre de ce projet. Il y avait ici un
problème linguistique, car nous avions besoin que les notes de terrain enregistrent des descriptions riches des
événements, concepts et gestes, tout en continuant à développer la perception de ce qui était « intéressant ».
Les notes de terrain sont toujours personnelles car hautement sélectives. Cette sélectivité est guidée par des
sensibilités qui n'étaient pas partagées, mais liées, en termes anthropologiques, à ce que nous avions lu, aux
personnes avec qui nous dialoguions, aux types d'anthropologie que nous valorisions, aux conversations dans
lesquelles nous cherchions à intervenir. Donc, même si les notes de terrain n'avaient pas à être analytiques,
nous avons rapidement découvert que, dans la perspective des chercheurs principaux, les notes de terrain des
autres membres de l'équipe pouvaient être riches et utiles, mais seulement jusqu'à un certain point. Il y aurait
toujours aussi des manques problématiques. Nos propres notes de terrain étaient aussi incomplètes. Nous
écrivions beaucoup moins que nos collaborateurs. Mais les manques dans ses propres notes de terrain sont
d'un autre ordre. Notre mémoire enregistre certaines des façons d'apprendre avec le plus d'impact, les plus
incarnées, précisément ces choses qui ne sont ni pleinement conscientes ni communicables au moment
elles sont enregistrées comme étant « intéressantes ». Nous avons aussi écrit de façon analytique dès le
début, isolant ce qui était « intéressant » en fonction de nos divers publics professionnels, principalement aux
États-Unis et en Europe.
Publication et engagement : J'aborde maintenant le domaine dans lequel la langue est venue entre
nous pour nous séparer. Les chercheurs principaux devaient négocier des différences dans leur écrit
collaboratif mais ces différences étaient familières et gérables. Notre collaboration était de fait explicitement
définie autour d'un intérêt commun pour les intérêts et les préoccupations de l'autre. Nous étions intéressés
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par la façon dont les concepts et les formes d'argumentation déployés dans l'anthropologie du droit pouvaient
entrer en relation avec ceux de l'anthropologie de la science et de la technologie. Nous pouvions discuter
ensemble de ce qui constitue une bonne anthropologie, mais nos arguments étaient présentés en référence à
des textes que nous avions lus tous les deux, ou dont nous avions entendu la présentation dans des séminaires
et conférences. Négocier une langue commune avec le reste de l'équipe de recherche a été beaucoup plus
difficile. L'importance relative de la conversation anthropologique en langue anglaise dans la formation de ce
que les chercheurs principaux trouvaient intéressant se tenait clairement entre eux et les autres membres de
l'équipe de recherche. Mais j'avancerais que ceci n'était pas le problème principal. Il existe de nombreuses
publications en espagnol, accessibles à l'ensemble de notre équipe, qui créèrent des connaissances
anthropologiques à partir de conversations internationales. La différence était plus liée à nos différentes
perspectives sur la façon de mobiliser nos connaissances anthropologiques pour créer de nouvelles
possibilités : de nouvelles façons de penser, de nouvelles façons de s'organiser, de nouvelles façons de
participer, peut-être de nouvelles façons de collaborer. Les conditions de notre formation anthropologique
établissaient une différence dans la façon dont nous envisagions de faire progresser notre travail, et ont
rétrospectivement façonné les façons de mener les recherches. Pour les chercheurs formés aux États-Unis et
au Royaume-Uni, découvrir la façon dont les choses fonctionnaient sur le terrain avait une importance
prioritaire. Nous n'avions aucune ambition « d'améliorer » les travaux du gouvernement régional ou de l'état
local. Au contraire, nous suivions à bien des égards les effets de décennies d'initiatives de développement
externe et nous n'avons pas envisagé d'appliquer des mesures externes de bonne pratique. Notre approche
assumait plutôt que les choses fonctionnaient et que notre tâche était de mieux comprendre comment elles
fonctionnaient et dans quel but. Cette approche a selon nous étendu les possibilités de réflexion sur la
décentralisation au Pérou. Alors que nous développons notre analyse, nous cherchons à élaborer des moyens
de décrire comment les façons spécifiques de la décentralisation et du contrôle central (régulateur)
s'articulent dans le sud du Pérou et deviennent la base de réalisation des initiatives de politique locale et des
différends. Au Pérou, la tradition anthropologique est par contraste beaucoup plus liée à un engagement en
faveur d'une intervention sociale. Lorsque notre projet se termina, nos collaborateurs n'avaient pas la sécurité
de postes académiques. Ils ont obtenu des postes dans ces agences étatiques où ils pourront ou non
développer des discours académiques sur leurs connaissances de la gestion politique péruvienne. Pour
l'instant, leurs interventions sont plus susceptibles d’être exprimés dans les genres des conversations en cours
par le biais desquelles ils nous ont attiré dans leurs mondes en premier lieu. Je pense également que leurs
engagements reflèteront une sensibilité ethnographique différente.
Au cours de notre projet de recherche, nous avons appris les uns des autres. Nous n'avons pas tous
appris à devenir des anthropologues de la même façon, ni même souhaité cela. La collaboration n'exige pas
une langue commune, elle requiert un espace de participation dans lequel différentes connaissances,
compétences et possibilités peuvent être utilisées pour créer un dialogue productif. Ainsi que Brenneis l'a
avancé : « l'action politique side à la convergence de plusieurs genres de discours, plutôt que dans un seul
genre » (Brenneis 1984). C'est en ce sens que la langue qui s'érige entre nous peut et doit devenir une source
de créativité.
Références :
Brenneis, D. 1984. “Straight Talk and Sweet Talk: Political Discourse in an Occasionally Egalitarian
Community”, in Dangerous Words: Language and Politics in the Pacific. D. Brenneis and F. Myers (eds)
New York University Press.
Briggs, C. 1986. Learning How to Ask: A Sociolinguistic Appraisal of the Role of the Interview in Social
Science Research. Cambridge University Press.
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Simone, A. 2004. “People as Infrastructure: Intersecting Fragments in Johannesburg”. Public Culture. 16(3):
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