Et mon rôle ici devrait être trois fois plus long que le tien.

« Et mon rôle ici devrait être trois fois plus long que le
tien. » Promenade avec Laure Roldan, pétillante
interprète du monologue final dans « Souterrain
Blues ».
Je retrouve Laure Roldan à la Maison Jean Vilar pour déjeuner.
Nous nous perdons dans les rues un long moment, durant
lequel elle me raconte son aventure en duo avec Yann Collette.
« Quand je tracte pour le spectacle, on me demande souvent “de
quoi ça parle”. Et là, blanc total, impossible de résumer la pièce
de Handke en une phrase ! Le texte est tellement dense quen
lécoutant des coulisses jentends à chaque fois quelque chose de
nouveau. Cest un texte prophétique, profond, qui na pas
dexplication simple. Comme dirait Yann, cest un texte
“vertical”, tourné vers Dieu. Et en même temps très concret, le
personnage invective les passagers du métro de station en
station, en écho aux “stations” du Christ lors du Chemin de
croix. “Quest-ce quune vie, sans le sentiment de la vie ?” écrit
Handke. Cest magnifique, ça, je trouve. Tiens, passe-moi le sel.
Mon rôle ma intéressée. Il est compliqué, certes, jentre en
scène à la fin du spectacle après le long et intense monologue de
Yann. Mais cest un beau morceau, un chant damour sincère.
Le discours que la “femme sauvage” assène en réponse à
l’“homme sauvage” agit comme un révélateur. Elle le renverse,
mais jusquà létreinte amoureuse. Je vis dans lamour depuis
trois ans, alors cela me touche. »
Le poids des mots
« Je suis née à Madrid dun père espagnol et dune mère
vendéenne. Jai grandi au Luxembourg, où jai été au Lycée
français, fréquenté par les milieux dexpatriés, on y parle un
français international, un peu fade. Alors, quand jai débarqué à
Paris pour mes études de théâtre, après un passage par la
Belgique, jai découvert au Cours Florent puis au Conservatoire
national une langue française soutenue, raffinée. Cela ma
fascinée. Aujourdhui je suis comédienne et metteur en scène, et
ce fantasme de la langue française ne ma pas quittée.
La rencontre avec Yann sest faite lété dernier, au festival, par
des amis communs. Il jouait déjà cette pièce avec une autre
partenaire. Peu après, en vacances, je lai accompagné à une fête
chez Jean-Louis Trintignant à Uzès, une fête magnifique. À la
fin du dîner, chacun offrait un poème ou une chanson, et nous
avons fait une lecture du texte. Cette année, sa partenaire était
prise pendant le festival, alors je lai remplacée. La première à
Avignon, pour moi, cétait une vraie première ! Tandis que
Yann, lui, fréquente ce texte depuis des années. Il la joué avec la
femme de Handke au [théâtre du] Rond-Point avant de le
reprendre dans cette mise en scène de Xavier Bazin.
Les mots sont primordiaux ici, la profération des mots. Un
spectateur ma dit quil navait vu quune bouche sur scène, une
bouche qui parle. Je trouve ça juste. Cest le texte qui nous
porte, le poids des mots. Cette attention au langage entre en
résonance avec ma propre fascination pour la langue dont je te
parlais. »
Frénésies festivalières
« Je suis surexcitée par le festival cette année, lambiance est
frénétique. Déjà, ce spectacle memballe et jadore travailler
avec Yann. Il a une énergie débordante. Et il y a ce nouveau
projet, IO, que je suis de près et qui ajoute une effervescence.
En même temps, je me sens très détendue. Jadore me perdre
dans les rues entre deux représentations et deux interviews. Je
vais aller voir le Novarina, puis Les Misérables et Elle(s) au
théâtre des Doms par fidélité à la création belge. Et
“La République de Platon”, de Badiou. Mais je ne peux voir
aucun des nombreux spectacles programmés à 18 heures ! Le
OFF minspire aussi, jy fais de belles découvertes et jaccumule
de la matière pour mes propres mises en scène à venir… »
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