Université de Cergy-Pontoise Laboratoire Arts Littéraires/Arts Cliniques. Fondement du Droit Public. Thèse de Doctorat Nouveau Régime. Spécialité : Littérature Comparée Mention : Littérature Francophone Option : Théâtre LA SOCIETE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE : LES CAS DU CAMEROUN, DU CONGO ET DU GABON. POUR UNE SEMIOTIQUE DE L’ENONCIATION THEATRALE Présentée par : Geneviève MEGNENG-MBA-ZUE Sous la Direction du Pr. Bernard MOURALIS Professeur Emérite à l’Université de Cergy-Pontoise. Cergy-Pontoise 2008. DEDICACES A mon époux, Nicolas, A ma mère Adèle OLLIANG, A mes filles : Aude, Magali et Ophélie, A ma petite-fille Geneviève-Noah, A tous mes frères et sœurs, A toute ma famille. REMERCIEMENTS Au terme de ce travail, je voudrais adresser mes remerciements les plus sincères au Professeur MOURALIS, qui a accepté de diriger mes recherches, menées dans des conditions souvent difficiles. Je lui en sais gré pour la patience et la compréhension dont il n’a cessé de témoigner à mon égard. Je remercie également tous ceux qui, de près ou de loin, ont, de leur bienveillante attention, soutenu mes efforts dans l’aboutissement de ce travail ; je voudrais citer MM.Dieudonné BOULINGUI, David Blaise ASSENE, Mmes Astride BISSA et Rébécca NDIAYE, ainsi que M. Romain GRASTIEN de la Paroisse du Sacré-Cœur de Dijon, dont le soutien matériel m’a souvent été d’un grand secours. A tous, merci. Université de Cergy-Pontoise Laboratoire Arts Littéraires/Arts Cliniques. Fondement du Droit Public. Thèse de Doctorat Nouveau Régime. Spécialité : Littérature Comparée Mention : Littérature Francophone Option : Théâtre LA SOCIETE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE : LES CAS DU CAMEROUN, DU CONGO ET DU GABON. POUR UNE SEMIOTIQUE DE L’ENONCIATION THEATRALE Présentée par : Sous la Direction du Geneviève Pr. Bernard MOURALIS MEGNENG-MBA-ZUE Professeur Emérite à l’Université de Cergy-Pontoise. Cergy-Pontoise 2008. 1 PLAN INTODUCTION : ESSAI DE DEFINITION PREMIERE PARTIE : UNE TERRE, DES HOMMES, UNE EXPERIENCE CULTURELLE CHAPITRE I- UN ESPACE – UNE CULTURE : SITUATION HISTORIQUE 1.1- L’espace géographique et les peuples d’Afrique Centrale 1.2- Aspects de la culture traditionnelle A- Danses traditionnelles et jeux de scène B- Les jeux et les représentations scéniques C- Conteur traditionnel et expression corporelle CHAPITRE II- NAISSANCE D’UN THEATRE DE TYPE MODERNE 2.1- L’arrivée des missionnaires et les premières tentatives de mise en scène. Le rôle de l’Eglise dans la politique coloniale 2.1.1- L’installation des missionnaires 2.1.2- Premières tentatives de mise en scène A- Chez les missionnaires B- Le rôle des Scouts C- Dans les milieux scolaires 2.2- Premières créations théâtrales 2.2.1- Les pionniers du théâtre en Afrique Centrale A- Au Cameroun B- Au Congo C- Au Gabon 2.2.2- Thématique des premières œuvres 2.2.3- Aspects de la critique sociale 2 DEUXIEME PARTIE : LA SOCIETE TRADITIONNELLE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE CHAPITRE III- ORGANISATION DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE : LES STRUCTURES SOCIALES ET POLITIQUES 3.1- Les structures politiques 3.1.1- Les figures de pouvoir 3.1.2- Les symboles et objets de pouvoir 3.2- Les structures sociales 3.2.1- Religions et cultures 3.2.2- Les rapports Hommes/Femmes A- L’homme, ses attributs et ses domaines de compétence B- Place de la femme : rôle économique et social C- L’organisation du travail 3.2.3- Le conflit des générations ou conflit de compétence ? CHAPITRE IV – LES CROYANCES ET LE POUVOIR SPIRITUEL DANS LA SOCIETE TRADITIONNELLE 4.1- Les détenteurs du pouvoir spirituel 4.1.1- Les devins et les sorciers 4.1.2- Chefs de clans et chefs de familles 4.1.3- Les guerriers 4.2- Les pratiques cultuelles dans l’organisation sociale 4.2.1- Le culte des ancêtres 4.2.2- Les autres cultes 4.2.3- Culte et expression du mode de vie TROISIEME PARTIE : LA SOCIETE MODERNE D’AFRIQUE CENTRALE CHAPITRE V – LE CONTACT DES CULTURES 3 DANS LE THEATRE 5.1- Les formes de la conquête impérialiste 5.1.1- L’action des explorateurs 5.1.2- La pénétration coloniale 5.1.3- L’action missionnaire 5.2- Les mutations sociales 5.2.1- La scolarisation 5.2.2- La christianisation 5.2.3- La perte des valeurs traditionnelles CHAPITRE VI – LA SATIRE SOCIALE 6.1- Le poids de la tradition 6.1.1- Survivance des coutumes anciennes 6.1.2- L’écartèlement de l’individu 6.2- Les nouvelles classes sociales 6.2.1- Les nouvelles bourgeoisies politiques 6.2.2- Le peuple exploité 6.3- Les formes de la déchéance humaine 6.3.1- L’alcoolisme 6.3.2- La cupidité 6.4- L’usage des cultes anciens 6.4.1- La nostalgie des cultes du passé 6.4.2- Des cultes dévoyés CHAPITRE VII – LA SATIRE POLITIQUE 7.1- L’homme politique 7.1.1- Origine, situation sociale et familiale 7.1.2- Compétence et psychologie de l’homme politique A- Compétence de l’homme politique B- Psychologie de l’homme politique 7.2- Le pouvoir dans tous ses états 7.2.1- La prise de pouvoir 7.2.2- L’exercice pouvoir 4 7.2.3- Le rôle du peuple QUATRIEME PARTIE : RÔLE DE LA CRITIQUE SOCIALE ET ENONCIATION AU THEATRE CHAPITRE VIII – RÔLE DE LA CRITIQUE SOCIALE DANS LE THEATRE : LE CONTEXTE SOCIOLOGIQUE DE LA CREATION 8.1- Le rôle pédagogique 8.1.1- L’éveil de la conscience à travers la dénonciation des abus et des déviations observés dans la société moderne 8.1.2- La recherche d’une société nouvelle 8.2- Rôle cathartique de la critique sociale 8.2.1- Production théâtrale et catharsis 8.2.2- Contexte sociologique et perspectives de la création CHAPITRE IX – ENONCIATION THEATRALE ET SEMIOTIQUE 9.1- L’énonciation et la question des genres littéraires : le langage dramatique 9.1.1- Le théâtre : genre littéraire ou mode d’énonciation ? 9.1.2- Les formes de la dramaturgie africaine : 9.2- Typologie du discours théâtral : actes de langage/actes de parole ? 9.2.1- Les catégories du discours théâtral. 9.2.2- Nature des énoncés. 9.2.3- Typologie des échanges scéniques. 9.3- La situation d’énonciation. 9.3.1- Structures discursives : l’intrigue. 9.3.2- Structures narratives : la dramaturgie. 9.3.3- Structures actantielles : l’action. 9.3.4- Structures idéologiques et inconscient : le sens. 9.4- De l’énonciation à l’éthos : les codes de la dramaturgie africaine. 5 9.4.1- De la représentation comme contrat de communication ; la narrativité dans le texte dramatique. 9.4.2- Actes de parole et performance : réalisme transparence du discours dramatique africain. CHAPITRE X – POUR UNE SEMIOLOGIE DU THEATRE AFRICAIN 10.1- De la sémiologie du texte dramatique africain 10.1.1- Des formes A- Le théâtre traditionnel B- Un théâtre d’un genre nouveau C- Techniques d’énonciation 10.1.2- Des contenus : un théâtre d’intervention sociale 10.2- Contenus sémiologiques 10.2.1- La notion de rôle 10.2.2- Le personnage : les phases de l’éthos 10.2.3- Le décor et la scène 10.2.4- Autres contenus sémiologiques CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE GENERALE INDEX DES AUTEURS TABLE DES MATIERES ANNEXES 6 ou INTRODUCTION Dès l’origine, la littérature africaine a suscité de nombreuses controverses par rapport à son statut et son identité. Il s’agissait en effet de répondre à la question de savoir si cette littérature méritait dans les faits, le qualificatif de « littérature », non pas tant par les thèmes qu’elle abordait, mais davantage par les modalités, et les systèmes d’expression qui lui permettaient de se manifester. Pourtant, si la question de l’existence d’une littérature africaine avait été en partie résolue à travers les contes, légendes et épopées des traditions orales, et surtout à travers les multiples transcriptions et adaptations qui en avaient été faites, la polémique demeurait en ce qui concerne le théâtre. Bon nombre d’observateurs occidentaux n’avaient en effet décelé dans les manifestations culturelles d’Afrique noire, rien qui pouvait ressembler à une création dramaturgique. C’est que la notion de théâtre qui a revêtue une définition différente au cours des âges et selon les civilisations, n’a jamais fait l’accord des esprits. Chacun a donné à ce concept une acception différente, propre, manquant souvent d’objectivité, car elle niait le caractère relatif des critères de détermination de l’oeuvre théâtrale. C’est dans ce sens que PROUTEAUX, administrateur colonial en Afrique Occidentale française, concluait dans une étude des sociétés indigènes de Côte d’Ivoire, que le nègre n’avait aucune idée de ce que pouvait être une représentation théâtrale. De toute évidence le théâtre semblait n’avoir pas été exploré et envisagé comme une réalité spécifique selon le point de vue à partir duquel on l’observait. La question de l’existence d’un théâtre typiquement africain paraît donc un problème de définition de la notion de théâtre. Jacques CHEVRIER observe d’ailleurs à ce propos 7 que : « la théâtre question de traditionnel décider africain s’il a a existé suscité de ou non un nombreuses controverses dont l’origine réside dans la définition même de la notion de théâtre »1. De ce fait, lorsque nous avons entrepris d’étudier le théâtre d’Afrique Centrale dans ses différents rapports avec la société, il nous a semblé capital de commencer cette étude par un essai de définition du concept même de théâtre. Pierre LARTHOMAS l’a bien vu quand il écrit : « Toute étude (…) d’une œuvre est prématurée, qui n’a pas défini d’abord le genre auquel elle appartient, et elle sera, sinon mauvaise, toujours incomplète si elle n’est pas guidée par une définition correcte de genre. »2 Dans un sens général, le théâtre peut se définir comme l’art servant à représenter des événements fictifs ou ayant trait à la réalité, et qui met en scène des individus désignés comme acteurs, dans des rôles où ils incarnent un personnage, un type de caractère, un courant de pensée, un idéal social. Aussi, dès lors qu’il y a interprétation et représentation devant un public, on peut déduire qu’il y a théâtre. De même que la littérature classique définissait le théâtre comme l’univers du masque, un univers où l’on joue à être quelqu’un d’autre (d’où le terme mascarade), les africains pensent le théâtre comme le monde de l’illusion, mais une illusion qui s’appuie sur la réalité pour signifier la vie, autant le quotidien, que le passé ou l’avenir. Dans cette perspective, le théâtre peut être perçu comme art universel, avec des particularités spécifiques au milieu dans lequel il est produit, car à travers les âges, chaque peuple, chaque civilisation a donné au concept de théâtre une définition qui lui semblait mieux rendre compte de sa vision de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui, 1 - CHEVRIER Jacques : Littérature nègre, Armand Colin, Collection U, Paris, 1984, p. 154. 2 - LARTHOMAS Pierre : Le langage dramatique, Paris, P.U.F, 1980 p. 446. 8 sous toutes les latitudes, le théâtre. Louis JOUVET observe à ce propos que « De tout temps, on a parlé et discuté du théâtre. Il n’est personne, auteur, acteur, spectateur, qui ne soit en même temps critique et esthéticien .Professeur de littérature ou de diction, moraliste, décorateur ou perruquier, chacun a sur le théâtre des opinions, chacun tire des conclusions. »3 Au nombre des définitions données à l’objet qu’est le théâtre, voici celle qui nous a semblé la plus complète et la plus déterminante pour situer le théâtre dans le temps et dans l’espace ; le théâtre est, d’après LE PETIT ROBERT 1, « L’art visant à représenter devant un public, selon des conventions qui ont varié civilisations, une suite avec les époques et les d’événements où sont engagés des humains agissant et parlant. »4 Compte tenu des multiples acceptions qu’il recouvre, le concept de théâtre, tel que nous nous proposons de l’aborder et de l’examiner, perspective sera occidentale exploré que aussi sous bien sa dans une manifestation traditionnelle africaine. Dans sa pratique occidentale, le théâtre se présente comme une réalité à double manifestation. Il est d’une part oeuvre littéraire et d’autre part un mode d’expression physique et matérielle dont l’action est le principe et la fin. Comme l’observe à juste titre Anne UBERSFELD, lorsqu’elle cherche à établir le rapport de complexion ; de connexité et de complicité dans la relation représentation /texte, « Le théâtre est un art paradoxal. On peut aller plus loin et y voir l’art même du paradoxe, à la fois production littéraire et représentation concrète ; à la fois éternel (indéfiniment reproductible et renouvelable) et 3 - JOUVET Louis : Architecture et dramaturgie, Paris, Ed d’Aujourd’hui, ‘’Les Introuvables’’,1980 p.9 4 - LE PETIT ROBERT 1 : Dictionnaire de langue française, les Dictionnaires le Robert, 1986, p.1956. 9 instantané (jamais reproductible comme identique à soi) : art de la représentation qui est d’un jour et jamais la même le lendemain ; art représentation, à la un limite seul fait pour aboutissement une (…). seule Art de l’aujourd’hui, la représentation de demain, qui se veut la même que celle d’hier, se jouant avec des hommes qui ont changé devant des spectateurs autres ; la mise en scène d’il y a trois ans, eût-elle toutes les qualités, est à cette heure aussi morte que la jument de Roland. Mais le texte lui, est au moins théoriquement intangible, éternellement fixé. »5 A travers le propos d’UBERSFELD, l’importance donnée au jeu ; donc à la représentation est évidente car c’est elle qui fait exister le théâtre. Toutefois, on ne peut manquer de s’arrêter sur la place et la valeur du texte en soi ; d’où la question qu’elle se pose dès l’ouverture de sa réflexion, à savoir « peut-on lire le théâtre ? », dans la mesure où il est d’abord un art destiné à la scène, comme l’observe aussi Henri GOUHIER : « La représentation tient à l’essence même du théâtre : l’œuvre dramatique est faite pour être représentée, cette intention la définit.»6 La création scénique est ainsi l’instant où se concrétise l’existence de la pièce, le moment au cours duquel se réalise le besoin d’être du texte, sa volonté d’entrer en rapport avec représentation processus de le que a théâtre veut d’attente de le C’est texte de communication artistique, se monde. fortiori ce n’arrive rien. » un qui art que surtout au théâtre s’engage sous-tend dramatique. qui arrivera, Besoin met « le même si cours toute la dans ce création d’exprimer, spectateur en de en le état définitive, il 7 5 - UBERSFELD Anne : Lire le Théâtre, Paris, Messidor /Editions sociales, 1982, p.13 6 - GOUHIER Henri : L’Essence du théâtre, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p. 27. 7 - GOUHIER Henri : L’Oeuvre théâtrale, Paris, Editions d’Aujourd’hui ‘’Les Introuvables’’ 1978, Postface. 10 Le théâtre privilégie une forme d’échange présence acteurs communicabilité et spectateurs. distingue, et même Ce qui met en rapport oppose le d’inter théâtre aux autres genres littéraires que sont la poésie ou le roman ; et constitue la raison primaire de son existence, et sa principale caractéristique. Nous retiendrons donc que chacun des regards portés sur la création dramatique s’accorde à reconnaître dans la mise en scène l’instant fondateur de l’œuvre théâtrale. L’écriture, vue dans un premier temps comme support de la manifestation physique de l’œuvre, puis comme produit portant la marque de préoccupations esthétiques, constitue un facteur non négligeable, mais ne semble point suffisante, dans certains cas, pour affirmer et confirmer l’existence, dans le domaine de l’expression artistique d’une œuvre dramatique. Pour Henri GOUHIER, le théâtre est plus qu’un produit artistique. Son implication dans la société ; dans la vie, transcende en effet les limites d’une recherche purement esthétique de la pensée artistique pour couvrir des domaines existentialistes ; métaphysiques. Selon GOUHIER en effet, « son existence engage l’homme dans une action tragique ou qu’il se dégage de l’existence en se racontant des histoires merveilleuses, que l’existence se révèle dramatique ou qu’on la prenne par «le bon côté », celui qui n’empêche jamais de «danser en rond », les divertissements du théâtre mettent en jeu, et dans le jeu, les questions les plus impérieuses de la métaphysique. »8 Le théâtre interroge la société à travers l’exploration du quotidien des hommes ; à travers leurs angoisses, leurs préoccupations, événements dans auxquelles ils et leurs lesquels sont espoirs ; ils situations évoluent, confrontés. 8 les En les Afrique, et les difficultés le théâtre - GOUHIER Henri : Le Théâtre et l’existence, Librairie Philosophique J. VRIN, Paris 1991, appendice à la nouvelle édition, quatrième tirage. 11 interpelle de façon directe, et plus concrète la conscience humaine, pour en même temps restituer à l’homme ses valeurs et mieux l’intégrer dans sa société. Du point de vue des africains en effet, la question de la pratique du théâtre revient, de manière générale, à se poser moins en termes de description ou de typologie ; mais en termes tant au de finalité ; plan de la d’objectivité représentation et d’accessibilité, qu’à celui de la réception ; de l’interprétation. En Afrique donc, l’expression de la pensée dramatique reste encore essentiellement traditionaliste dans la mesure où l’homme de théâtre africain affecte toujours à son art des objectifs fondamentalement sociaux. Ainsi, la fonctionnalité ; la valeur et la fonction didactique du fait dramatique occultent bien souvent tout débat autour d’une théorie possible du théâtre, et par conséquent tout rapport à la fonction poétique du langage dramatique. Cette question reste d’ailleurs assez marginale dans ce sens qu’elle est circonscrite aux milieux de la critique universitaire, où les opinions finissent bien souvent par s’aligner sur les travaux des Ecoles création occidentales en dramaturgique ; matière évacuant de par recherches la même sur la occasion l’éventualité de la construction d’une méthodologie ou d’une idéologie du théâtre africain en particulier, ou du théâtre de manière globale. Bien sûr la question paraît aujourd’hui quelque peu éculée dans la mesure où théâtre n’a pu aboutir à l’activité une critique théorisation autour du spécifique et satisfaisante de ce phénomène. Et en Afrique plus que partout ailleurs, le problème ne s’est véritablement posé - à l’instar de tout le processus de création littéraire dans l’Afrique de l’occupation coloniale - qu’autour des années 1930, où il a d’abord été question de prouver l’existence 12 d’une activité littéraire et surtout dramatique au sein de l’univers culturel des populations. Ici comme d’approche de en la occident, l’adaptabilité littérature romanesque des ou méthodes poétique va permettre d’aborder le texte de théâtre africain et de le comprendre aussi bien dans sa dimension sociale que dans son essence littéraire. Car si en définitive l’objet principal des différentes poétiques littéraires n’est pas la recherche de catégories descriptives conçues comme une fin en soi, mais comme un préalable à toute analyse ; celle qui permet de définir et de comprendre le fonctionnement des langages de fiction et singulièrement des univers dramatiques. Peut-on dès lors exclure le théâtre de ces préoccupations méthodologiques, si l’on considère aussi cet art comme un produit de l’esprit qui, bien que puisant toujours – ou presque - dans l’histoire réelle de ses communautés, et de l’humanité de manière générale, n’en tient pas moins pour une grande part, de l’imaginaire et de la fantaisie ? Lire, demeurent complexité autant des que décrire activités même conceptualisation de peu théâtre commodes cet réside le art. dans le compte Cette fait restent tenu de difficulté de son et la de ambivalence identitaire ; il n’est ni totalement un fait littéraire, ni totalement en dehors de la littérature. C’est ce que relève Roland BARTHES lorsqu’il désigne ce phénomène comme : « Une espèce de machine cybernétique. Au repos, cette machine est cachée derrière un rideau. Mais dès qu’on la découvre, elle se met à envoyer à votre adresse un certain nombre de messages. Ces messages ont ceci de particulier qu’ils sont simultanés et cependant de rythme différents. En tel point du spectacle, vous recevez en même temps 6 ou 7 informations (venues de la place des acteurs, de leurs gestes, de leurs mimiques, de leurs paroles), mais certaines de ces informations tiennent (c’est le cas du décor). Pendant que 13 d’autres tournent (la parole et les gestes) ; on a donc affaire à une véritable polyphonie informationnelle et c’est cela la théâtralité : une épaisseur de signes. »9 Pour BARTHES (qui semble faire abstraction de l’aspect littéraire de l’œuvre dramatique), le théâtre va au-delà du simple fait de la langue ou de la diversité des langages qui le structurent, c’est une réunion de codes et de systèmes matériels et formels qui, mis ensemble, vont constituer des signaux à l’adresse des spectateurs, de la société. Le théâtre invite ainsi l’homme à prendre conscience du monde qui l’entoure, de ses manifestations et des différents changements qui s’y opèrent. Ainsi défini, le théâtre apparaît comme une réalité plurielle, ne pouvant de ce fait se réduire à une œuvre exclusivement littéraire ; c’est-à-dire sous sa forme de livre ; un produit de l’industrie, dont on s’accommoderait volontiers. Car sous cette forme, la pièce suffirait à combler le besoin d’évasion du seul lecteur. C’est sans doute ce point de vue qui déjà au XIXème Siècle, amenait Alfred de MUSSET à parler de « spectacle dans un fauteuil », lorsqu’il s’est agit de libérer le théâtre du carcan où l’avaient enfermé les règles si rigides du classicisme. Il suggérait non seulement l’individualité de la quête et de la production du sens dans le questionnement et l’interprétation d’une œuvre d’art, et particulièrement du texte de théâtre. Mais il pouvait aussi conforter une opinion qui avait cours à son époque, et qui ne voyait dans l’art qu’une simple manifestation de l’esthétique ; le fameux principe de « l’art pour l’art » cher aux parnassiens, pour qui la création artistique, n’a d’autre fonction que celle de la quête du Beau ; du plaisir à travers la contemplation. Ici comme chez les défenseurs de l’esthétique classique, l’approche d’une 9 - BARTHES Roland : Essais Critiques, Littérature et Signification, Le Seuil, Paris, 1964, p.258. Cité par Pierre LARTHOMAS dans Le Langage dramatique P.U.F, 1980, p.436. 14 œuvre artistique, et singulièrement l’œuvre littéraire n’a d’autre intérêt que de constituer un moment de distraction pour une caste de privilégiés, une élite intellectuellement et socialement nantie ; et qu’il ne faut pas chercher à « ennuyer », ou à inquiéter. Le théâtre est cependant pour plusieurs observateurs, un langage, et comme tel, a vocation à signifier, à communiquer ; ce que relève d’ailleurs Pierre LARTHOMAS : « … du fait qu’il est représenté, (…) le théâtre est un langage total, non seulement les éléments proprement verbaux prennent un relief extraordinaire, mais encore tout ce qui les accompagne, gestes, contexte, action, situation, etc.… ont plus d’importance que dans la vie, où très souvent préoccupés avant tout témoignons de comprendre d’intérêt et qu’aux d’être seules compris, paroles et nous à ne leurs signification. »10 Le propos de LARTHOMAS illustre à certains points, la conception africaine du théâtre. Il faut en effet réunir un certain nombre de conditions, un contexte particulier, pour que l’œuvre théâtrale s’accomplisse. Du point de vue de la tradition théâtrale africaine, et contrairement Siècle chez à un l’idée grand répandue nombre jusqu’au milieu d’observateurs du XXème européens, à l’instar de PROUTEAUX, qui déclarait que : « S’il est une chose que l’on ne s’attend à rencontrer dans les villages de la brousse africaine, c’est bien une représentation théâtrale si rudimentaire soit-elle. Le noir qui adore entendre raconter des fables et des légendes, semble au moins pour la grande majorité de ceux que j’ai connu, absolument étranger à la conception d’une fable mimée et jouée par des individus incarnant de l’aventure. Même les plus lettrés de nos indigènes ont quelque peine à se faire une idée de ce que 10 - LARTHOMAS Pierre : op.cit., p.437 15 nous appelons théâtre. »11 Contrairement à ce point de vue donc, nous pouvons démontrer qu’il y avait bien en Afrique une expression dramatique ; très diversifiée, quoique généralement de caractère circonstanciel. A l’évidence, il y a bien un fossé entre la spécificité du théâtre africain, et les codes dramaturgiques occidentaux. Le regard de PROUTEAUX est en effet faussé parce qu’il plaque sur les manifestations culturelles africaines des grilles de lecture qui déjà avaient divisé le monde des arts littéraires. Mais le théâtre africain procède d’une histoire riche et complexe ; il est le fait de la cristallisation de diverses formes d’éléments et de productions culturels. Suite à son questionnement, Jacques SCHERER finit par comprendre que « le théâtre africain (…) est profondément différent du théâtre européen et ne saurait être jugé selon les mêmes normes, il est même à certains points de vue son exact contraire. »12 Dans le même ordre d’idées, Françoise GRÜND insiste sur l’aspect multiforme et éclectique du théâtre africain, un théâtre total. Elle écrit : « Il semble que le mot théâtre englobe un univers large (…). En fait, pratiquement toutes les formes d’expression du spectacle, un concert dans un village, au cours duquel la danse se mêle insensiblement à la musique, une cérémonie, une danse rituelle, le sacrifice d’une chèvre ou d’un poulet, un griot, un conteur qui agite sa calebasse au-dessus des femmes du marché, tout cela fait parti du théâtre. »13 Par opposition aux affirmations erronées et tendancieuses de PROUTEAUX, les remarques de SCHERER et de GRÜND apportent un éclairage 11 différent, et sans doute la - PROUTEAUX : Premier essai de théâtre chez les indigènes de Haute Côte d’Ivoire. 12 - SCHERER Jacques : ‘’Approches’’ in la Revue Théâtre d’Afrique, Présence Africaine. 13 - GRÜND Françoise : ‘’Les Théâtres Africains en Europe’’ in la Revue Théâtre d’Afrique, Présence Africaine. 16 preuve de l’existence d’une dramaturgie proprement africaine. C’est une toujours, dramaturgie mal venu spécifique ; de la et regarder il était, d’après et des sera normes occidentales. Le théâtre africain est avant tout le reflet de la vie sociale et culturelle des communautés ; il traduit par ailleurs, par des procédés endogènes ; les contradictions, les angoisses et les espérances de l’individu face à la société. Et la vie quotidienne est elle- même perçue comme une immense scène de théâtre, ce qui fait dire au dramaturge gabonais Vincent de Paul NYONDA : « Tout est théâtralité. » Avec le KOTEBA14 au Mali et en Côte d’Ivoire ; l’ENGUNGUN15 au Nigéria ; et l’OZILA16 au Gabon, au Cameroun et en compte Guinée non continent, Equatoriale, seulement mais aussi de de la la la dramaturgie diversité des pluralité de africaine rend populations ses du productions culturelles. Pour souligner le caractère séculaire de l’art dramatique dans la civilisation africaine, Jacques CHEVRIER écrit : « Si l’on pense aux spectacles de la Grèce antique ou aux célébrations liturgiques du Moyen-âge, dont le caractère est essentiellement religieux, on voit clairement que l’Afrique a connu et pratiqué le théâtre depuis ses origines, dans la mesure, en effet où l’existence même de la communauté rurale traditionnelle croyances manifestées s’enracine par des 14 dans rites un faisceau cycliques de eux-mêmes - Le KOTEBA est une sorte de comédie dont le but est la critique des mœurs. Pour Philippe DUCHEZ, « le KOTEBA est une forme de théâtre populaire qui existe au Mali depuis plusieurs siècles. Dans la plupart des villages, au moment des moissons, avant l’hivernage (mai - juin), des jeunes se rassemblent et vont se servir des principaux événements qui ont marqué la vie de la communauté, pour en faire des sketches. A ce moment là, ils peuvent critiquer aussi bien les responsables du village que les agissements de certains ‘’particuliers’’. » DUCHEZ Philippe in Théâtre d’Afrique, Présence Africaine, p. 10. 15 - Ibid. p. 14.Théâtre traditionnel YORUBA, ces compagnies d’Engungun présentait un spectacle qui tient du carnaval, du ballet et de la revue satirique. Il se déroule soit sur la place du marché, soit à l’intérieur de la concession royale, espace en général formant le centre de toute la ville. 16 - OZILA ; danse et festival de masques d’animaux représentant les traits de caractères moraux et psychologiques humains ou des caricatures de difformités physiques long nez, bec-de-lièvre, etc… 17 fondés sur le rythme des travaux et des jours, on assistera donc périodiquement à des cérémonies, à des fêtes qui ont pour objet de manifester la présence au monde de l’homme africain dans ses rapports multiples et complexes avec les dieux comme avec les hommes. »17 Dans les manifestations traditions culturelles africaines, concourent à de nombreuses l’essence et à l’existence de ce théâtre plein de spontanéité et qui peut se définir comme un théâtre de circonstance. Lors de naissances certains funérailles actes ou liés baptêmes, à la des vie : mariages, villageois ayant quelques aptitudes artistiques se regroupent et mettent au point un spectacle qu’ils vont présenter à leurs invités. Ce spectacle que l’on nomme /BIVYIN/18 dans les communautés Fang du Cameroun, du Gabon et de la Guinée Equatoriale, usent fréquemment d’artifices, de déguisements ; de masques – ce qui n’est pas sans rappeler le théâtre grec antique – comme le travestissement des femmes, mais aussi une utilisation des costumes évoquant la tradition culturelle ou le passé historique, un événement fondateur du groupe ou simplement une fable pouvant servir d’enseignement pour l’assistance. L’autre effet recherché, c’est de créer la surprise et donner «l’illusion d’une union parfaite entre le réel et l’imagination. »19 La représentation se donne en plein air, et le public y prend une part très active. Les spectateurs peuvent en effet, être invités à intégrer la mise en scène ; à prendre part de manière effective à l’action, en donnant par exemple la clé d’une énigme ou en esquissant quelques pas de danses avec les 17 - CHEVRIER Jacques : Littérature Nègre, Ed. Armand Colin, Paris, 1984, p.154. 18 - /BIVYIN/ :(transcription phonologique), terme fang qui désigne le divertissement de manière générale, et qui signifie ‘’les jeux’’, le verbe jouer se traduisant par /AVYIN/. Pour rendre plus accessible l’articulation ces mots, nous avons opté pour la transcription phonologique, avec usage d’archiphonèmes. 19 - CHEVRIER Jacques, Op. Cit. p. 154. 18 acteurs. La pièce est soutenue et entrecoupée par des chants et des danses, avec parfois des chorégraphies complexes et très élaborées, qui constituent en fait un enseignement ; un répertoire de conseils et d’exhortations adressés tant aux jeunes mariés qu’aux jeunes mamans ; aux veuves ou aux veufs ; ainsi qu’à toute l’assistance. Dans cette perspective, la séparation on est entre loin la du théâtre ‘’scène’’ et à l’italienne, où la ‘’salle’’ ; entre les acteurs et le public, n’existe pas. L’absence de frontière entre ces deux espaces crée un lien très intime augmentant entre ainsi l’expression les deux l’inter composantes communicabilité du spectacle, spécifique à théâtrale. Dans le théâtre traditionnel africain, la fonction de metteur en scène reste quasi marginale, dans ce sens que chaque acteur connaît son rôle pour l’avoir vu tenir par un autre. Il en a appris les paroles, les gestes, la mimique et les déplacements ; il s’exprime à l’intérieur d’un canevas connu, et l’improvisation constitue un moyen éprouvé, autant pour la construction de la fable, que pour la construction de l’éthos. Dans ce spectacle hors des normes occidentales, les acteurs jouissent donc d’une totale liberté. Ils peuvent transformer, enrichir et personnaliser leurs rôles. Quant au décor, il est simplement celui de l’espace du village ou du quartier ; réel et vivant. Il fait partie intégrante de la création. Jacques CHEVRIER résume bien cette particularité du théâtre dit-il - traditionnel en Afrique : «Profane ou religieux – ce théâtre (…) a pour caractéristique d’être à la fois synthétique et populaire. Il opère en effet une synthèse au double plan technique et rhétorique puisque d’une part le conteur ou griot fait le plus souvent office d’acteur total qui recrée le drame dans le même temps où il interprète à lui seul tous les rôles (dieux, hommes, animaux) et que d’autre 19 part, ce théâtre mêle indistinctement la comédie, l’épopée et la tragédie et tend à restituer la vie dans son intégralité, rires et larmes confondus. »20 Ainsi donc, il apparaît désormais évident que la notion de théâtre est universelle, mais qu’elle ne peut être étudiée, ou même jugée à partir d’une perspective unique. Et l’art dramatique africain qui participe à cette universalité connaîtra, à partir des années 1930 avec le concours des missionnaires catholiques et protestants une impulsion nouvelle. Cette dynamique nouvelle entraîne un remodelage de l’univers du théâtre africain, qui, dès lors, va introduire dans le cadre de son expression, les facteurs de sa modernisation. En Afrique occidentale française, les activités de l’Ecole William Ponty du Sénégal constituent une étape déterminante dans ce processus de transformation et d’évolution de rayonnement la s’étend création en effet théâtrale au-delà africaine. des Son frontières du Sénégal. Pourtant, malgré traditionnelles la de présence théâtre, en Afrique certains des formes pays ont vraisemblablement mieux que d’autres, développé et perpétué la pratique des arts de la scène aussi bien au niveau de l’écriture que de la création scénique. C’est le cas en Afrique Centrale (région dans laquelle nous situons notre étude), où poursuivi des et pays comme développé une le Cameroun tradition ou le théâtrale Congo, ont séculaire, alors que le Gabon à l’inverse, faisait en quelque sorte figure d’enfant pauvre dans ce domaine. Au regard de ces disparités, nous avons voulu comprendre les causes de ce qu’il est logique de définir comme une situation de désaffection. Pour ce faire, il nous fallait remonter aux origines historiques et sociologiques du théâtre moderne au Cameroun, au Congo et au Gabon ; dans la 20 - CHEVRIER Jacques, op. Cit. p.155. 20 situation où l’ont décrit les précurseurs que sont par exemple les gabonais NYONDA, en tant qu’écrivain ; ou NDONG Damas, en tant qu’acteurs. La seconde étape de notre travail consistera à inventorier les aspects thématiques du théâtre dans cette sous région, ce qui devrait nous amener à essayer de comprendre la nature des rapports que cette dramaturgie entretient avec les communautés dans lesquelles elle se déploie. Pour rapporter une œuvre à son contexte, il faut aussi comprendre le fonctionnement de son lieu d’apparition, car « l’œuvre littéraire ne surgit pas dans « la » société saisie comme un tout mais à travers les tensions du champ proprement littéraire. L’œuvre ne se constitue qu’en impliquant les rites, les normes, les rapports de force des institutions littéraires. Elle ne peut dire quelque chose du monde qu’en inscrivant le fonctionnement du lieu qui l’a rendu possible, qu’en mettant en jeu dans son énonciation les problèmes que pose l’inscription sociale de sa propre énonciation. »21 A ce propos, bouleversements ; de et compte la tenu de profondeur l’importance des des transformations intervenues dans les sociétés africaines il nous est apparu essentiel de comprendre l’intérêt, et la place réservés aux arts dramatiques dans un monde où l’éducation et les valeurs traditionnelles cèdent de plus en plus le pas à des codes et à des référents culturels et sociaux aux antipodes de la sagesse des anciens, singulièrement basée sur la pratique de l’expérience ; une société nouvelle où le matérialisme et l’individualisme, le pouvoir et la richesse semblent déterminer l’être humain. Une autre orientation que nous voudrions donner à cette étude, c’est d’examiner la position des hommes de théâtre, 21 - MAINGUENEAU Dominique : Le contexte de l’œuvre littéraire ; Paris, éditions Dunod, 1993, p. 30. 21 leurs préoccupations, par rapport à leur art ; leurs attentes par rapport à leur société. Dans les faits, notre corpus portera sur des auteurs, peu connus pour la plupart, mais qui nous ont paru assez représentatifs pour avoir su saisir les multiples facettes de leurs sociétés, et les rendre accessibles à un public varié, parfois en total décalage d’une réalité sociologique dont il est lui-même l’objet. En effet, les œuvres de Sony LABOU TANSI et de U TAM’SI au Congo, de Vincent de Paul NYONDA et Laurent OWONDO au Gabon, celles de Guillaume OYONO MBIA ainsi que Gervais MENDO ZE, sont une proposition de dépassement d’une certaine forme de l’histoire, du temps et de la langue (chez Sony), qui est, certes, anti-moderne ; mais qui est aussi une proposition d’émergence d’une conscience moderne, qui tiendra compte des atouts de la modernité et de la tradition africaine. Le choix porté sur ces auteurs est, à plus d’un titre, arbitraire, mais à notre humble avis, caractéristique d’une certaine dynamique littéraire et historique, d’une certaine inquiétude, qui témoigne d’un passé, et se veut le postulat d’un avenir différent, plus positif. Nous voulons encore une fois rappeler le côté arbitraire du choix des auteurs, mais aussi le fait que nous ayons circonscrit notre travail aux seuls textes publiés. Nous autre nous réservons texte (même toutefois des le ouvrages droit qui de convoquer sortent du tout champ théâtral), susceptible de renforcer notre argumentation, même s’il n’a fait l’objet d’aucune publication. Il est en effet courant en Afrique, que d’excellents textes demeurent sous la forme de tablettes, à cause des difficultés inhérentes au monde de l’édition et des circuits de distribution. 22 PROBLEMATIQUE Si du consistera point de vue singulièrement l’existence d’une pour de nous manifestations à la la démarche, répondre dramaturgie voir de de les à africaine, la il interférences donne sociale au notre étude question s’agira ainsi sein que de de aussi les l’univers théâtral africain. Nous voudrons également répondre à des questions côté, d’ordre nous ne préoccupations voudrons en historique manquerons proprement effet et pas thématique. de nous esthétiques tenter de et dégager D’un pencher autre sur matérielles. une vision, des Nous parmi d’autres, de la récurrente question de l’écriture, elle-même trop souvent liée à celle des langues de la littérature africaines. Car nous estimons pour notre part que concernant les littératures africaines, la question devrait se poser non en terme de « langues », mais en terme de « langages », terme qui à notre humble avis rend plus pertinente la problématique du théâtre comme phénomène social et culturel, donc humain. Alain RICARD relève dans Littératures d’Afrique Noire22, au sujet des choix de la première génération d’écrivains africains considérés comme des « passeurs » - parce que se situant à l’intersection de deux univers culturels - : qu’ « Ils n’ont jamais fait comme s’ils étaient nés en Europe et leur adhésion à l’écriture en langues européennes a toujours été problématique. » Pour ces pionniers de la littérature négro-africaine, il s’est en effet souvent posé la question de savoir comment rendre avec africaine. des Leur ‘’mots travail venus d’ailleurs’’, ressemble 22 avant tout une à réalité une sorte - RICARD Alain : Littératures d’Afrique Noire, Paris, C.N.R.S/Karthala, 1995, p. 151. 23 d’entreprise archéologique, une quête anthropologique, ou découvrir et redécouvrir ; collecter, enregistrer et traduire puis présenter des aspects de leurs cultures constituent le maître mot. Pour les ténors de ce que nous pouvons désigner comme « la translittération », tels que HAMPÂTE-BA ou JOMO KENYATTA ; le français pour l’un et l’anglais pour l’autre, apparaissent comme des « métalangages » au sens où ils permettent non seulement la transcription dans des systèmes différents des textes appartenant à leur culture, mais aussi parce qu’ils permettent l’analyse culturelle des textes transcrits. On peut en effet parler de translittération dans la situation de ces écrivains, car ils vont adapter des signes totalement étrangers à leurs codes culturels, dans l’intension de communiquer avec le monde extérieur. L’intérêt majeur de cette entreprise était ainsi d’amener à une plus large diffusion, des textes d’inspiration traditionnelle ; ou leurs créations propres. C’est le malgache Jean-Joseph RABEARIVELO qui va plus loin, dans ce qui apparaît aujourd’hui comme la longue marche d’une littérature en quête d’identité. Il compte en effet prouver qu’en écrivant en français, dans des genres malgaches la réalité écriture langue malgache : «il poétique d’origine, qui mais veut pourrait (…) faire pourrait aussi créer une entendre en s’écouter nouvelle elle en la elle- même.»23 Au-delà d’un besoin légitime de revisiter l’histoire et de la thématique de la littérature Africaine en général, notre travail se veut une contribution modeste certes, mais son importance, de notre point de vue, est de participer à cette vaste entreprise de défrichage et de découverte, sinon de redécouverte de l’univers dramatique africain ; celui de l’Afrique centrale en particulier. Il s’agit en l’occurrence 23 - RABEARIVELO cité par RICARD Alain, Op. Cit. p.155. 24 de se pencher sur l’expressivité de ce théâtre à travers d’une part l’analyse du discours, et d’autre part l’analyse des contenus. Cela revient à questionner les textes de notre corpus sur les moyens mis en œuvre pour dire la société, et surtout de déterminer en quelque sorte, pour qui, et pourquoi parle-t-il? L’objectif de l’analyse des contenus est de définir l’organisation interne du texte ; et de savoir ce que l’on peut en déduire pour caractériser son auteur. Il s’agit en effet de « systématiser et d’essayer de fonder sur des bases rigoureuses ce lignes’’, de qu’on appelle définir couramment des règles ‘’lire qui entre les déterminent l’organisation des textes. Il faut donc reconnaître la même idée sous des formes différentes et définir les paraphrases. »24 La paraphrase étant entendue ici comme la représentation ; la manifestation paradigmatique d’une idée ; d’un thème, à l’intérieur d’une œuvre. Car d’une manière générale, la paraphrase exige une continuité sémantique entre les données qu’elle relie. Ici apparaissent des préoccupations aussi bien de l’ordre de l’interaction entre le littéraire et le social ; que des questions touchant au domaine de la poétique de la littérature. Cette relation de contiguïté sémantique peutelle se définir comme pertinente dans le monde du théâtre au Cameroun, au Congo, et au Gabon ; pour le groupe d’écrivains que nous avons choisi de consulter? Globalement, les questions que nous nous posons concernent les langages de cet art, en définitive très jeune. Dans l’espace littéraire, la notion de langage apparaît comme un terme polyphonique. Notion particulièrement définitoire dans le domaine du théâtre tant les codes qui déterminent cet art sont multiples, et variant d’un genre à 24 - DUBOIS Jean et alii : Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage ; Paris, Larousse – Bordas/HER 1999. P. 35. 25 un autre. La comédie emprunte en effet des codes différents de ceux de la tragédie, même si de part et d’autre il existe ce qu’il est convenu d’appeler des invariants et qui sont caractéristiques de l’univers du théâtre. En nous intéressant à l’esthétique des arts de la scène en Afrique centrale, nous sommes amenés à nous pencher aussi bien sur les différentes poétiques du théâtre que sur les rapports entre le texte et l’art de l’acteur, ou plus encore de la scène. En convoquant tour à tour l’histoire, celle de la littérature et des sociétés africaines ; puisant parfois aux sources de l’anthropologie et de la sociologie d’une part, et d’autre part, en faisant appel à la sémiotique et à la pragmatique, nous voulons nous appuyer sur ces différentes disciplines afin d’examiner le travail, et la portée de la parole théâtrale en Afrique centrale. Pourquoi recours à l’histoire la sociologie et l’anthropologie, dans un projet pourquoi qui se le veut essentiellement littéraire, pourrait-on s’interroger ? On peut essayer de répondre à cette question en rappelant, si besoin était, que l’histoire de la littérature africaine moderne est intimement liée à l’histoire de ses communautés ; à des questions d’ordre sociologique et anthropologique, ainsi qu’à leur histoire politique. Témoin de ce fait, la mémorable épopée des écrivains de la Négritude et de leurs héritiers, qu’ils en aient, ou non, partagé la démarche et les moyens. Luttes pour la liberté et pour la prise de conscience des peuples africains, affirmation et revendications identitaires ou culturelles ; remise en question des nouveaux pouvoirs africains, traditionnelles ou critique dans des les mœurs dans nouvelles les sociétés sociétés post- coloniales ; tout cela a constitué le ferment et le sujet de 26 la production littéraire en Afrique, et tout spécialement du fait dramatique dans notre zone d’étude. Qu’il s’agisse de célébrer le passé glorieux de ses héros, de fustiger ou de mettre en lumière les travers et aléas des sociétés traditionnelles ou modernes, de dire la difficulté d’appartenir à deux cultures différentes, le théâtre va être un moyen d’expression privilégié. Dans cette perspective d’évocation et de description, le rapport permettra à de développement, puis comme l’histoire la saisir d’abord lieu de dans dans comme la son lieu littérature évolution et d’expression revendication politique africaine dans son artistique, et sociale ; l’espace théâtral est en somme un lieu de rencontre et de partage où l’homme de théâtre engage une nouvelle forme de dialogue qui consiste à restituer l’individu dans son humanité. Avec l’histoire, et par-delà la thématique, la pragmatique et la sémiotique nous offrent un panel d’outils utiles et nécessaires, adaptables à la lecture du texte de théâtre. Ici intervient la notion d’interdisciplinarité telle que la perçoit AGAMBEN dans Stanze25, lorsqu’il analyse l’étude des phénomènes liés à l’imagination et à l’intellect sur la perception occidentale du fantasme. Il pense en somme que seule une convenir à discipline de l’interprétation l’interdisciplinarité des phénomènes peut humains. L’interdisciplinarité apparaît ici comme une condition sine qua none, une incontournable nécessité dans les processus d’approche des phénomènes humains ; des phénomènes culturels. Les faits littéraires, et tout spécialement le théâtre, nous semble plus que tout autre, répondre à cette exigence de l’interdisciplinarité. 25 - AGAMBEN Giorgio : Stanze : Parole et fantasme dans occidentale ; Paris, Payot, Collection « Rivages », 1995. 27 la culture En effet, l’objet de la sémantique pragmatique est la prise en compte des « embrayeurs ». Elle « se présenterait ainsi comme l’étude non de phrases, comme « types », hors contexte, mais des occurrences des phrases, de cet événement singulier qu’est chaque acte d’énonciation.»26 En somme, la pragmatique « s’intéresse aux relations des signes avec leurs utilisateurs, à leurs emplois et à leurs effets.»27 Comme tout texte littéraire, le texte de théâtre est sous-tendu par un principe d’immanence. Cette propriété peut être perçue de manière globale, comme cette catégorie de la véridiction, celle de « l’être » (qui s’oppose au paraître), établie par le carré sémiotique et qui donne à saisir le texte autant comme structure de surface (niveau paradigmatique) que comme une structure profonde, latente ; le niveau de la signification. Pourtant, selon Patrice PAVIS, « L’analyse des textes dramatiques est dans une situation paradoxale : on a tellement répété depuis un siècle que le théâtre n’appartient pas à la littérature mais aux arts de la scène qu’on en a presque oublié ou négligé l’analyse du texte, le texte écrit autant que la parole entendue au cours de la représentation. Pourtant, avant cette phase scéno-centriste du siècle passé où seule la mise en scène importait, au point de mépriser toute trace textuelle, on avait une bonne connaissance des règles de la dramaturgie, notamment classique. Mais dès que les pièces se sont émancipées de ce moule (vers 1880), les règles de la composition n’ont plus eu cours. Il est devenu difficile de proposer une méthode d’analyse des textes modernes et contemporains, car la multiplicité et la richesse des formes semblent échapper à toute saisie méthodique. »28 26 - MAINGUENEAU Dominique : Pragmatique pour le discours littéraire, Paris, Ed. Dunod, 1995, p.4. 27 - Id. p. 444 28 - PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse des textes, de Sarraute à Vinaver, Paris, Nathan Université, coll. Lettres Sup. 2002, avant-propos p.VII. 28 Prenant voudrions autour à notre rappeler de la l’écriture, que la a bien le de mise toujours, PAVIS, d’analyse dramaturgique qu’une depuis propos difficulté production aussi réglementée compte nous éprouvée occidentale en scène été au (où extrêmement centre des préoccupations des analystes de la chose théâtrale), concerne tout aussi le théâtre africain, dans la mesure où il faut d’abord répondre à la question de son existence, en partant de l’établissement des divers éléments qui donnent à cet art sa spécificité ( concernant notamment les conditions et les modalités de mise en scène), dans les traditions du jeu sur le Continent Noir. La question de son fonctionnement nous semble en effet elle aussi, divers chargée contextes ; de complexité, sociologique, d’abord culturel en et raison des linguistique, dans lesquels les textes qui composent notre corpus ont vu le jour, mais aussi à cause d’une prétendue «faiblesse» formelle que certains observateurs ont pu relever à l’endroit de la création dramaturgique africaine. Un certain nombre de spécialistes de la littérature négro-africaine estimaient en effet que les écrivains africains n’attachaient que très peu d’importance à l’écriture dramatique ; aux valeurs esthétiques du discours littéraire dans la poésie dramatique. Ceci est sans efforcerons caractère tout doute au un long autre de débat, ce travail, dont à nous nous démontrer le marginal. Cependant, bien que singulier, le théâtre africain échappe-t-il pour autant aux possibilités d’analyse et aux modalités d’interprétation des textes ; aux différentes poétiques élaborées, ou en train d’être construites par le monde de la critique littéraire occidentale moderne? Sans répondre de manière péremptoire à cette interrogation, nous voulons pour le moins rappeler qu’à la base de toute création artistique, et a fortiori dramatique, 29 se trouve un projet ; sinon littéraire, du moins idéologique. On observe en effet que la dimension sociologique dépasse largement les limites du ludique et du didactique. Car pour les créateurs africains, le théâtre apparaît à la fois comme une tribune où le poète va jouer en même temps le rôle de porte parole du peuple, mais aussi celui d’objecteur des consciences tant pour les dirigeants politiques que pour les masses populaires. Entre ces deux composantes de la société, les relations et les échanges se vivent sous le signe de l’opposition et de l’affrontement systématiques. De même, dans la relation particulière du politique et du culturel, nous sommes en situation de crise permanente ; la classe politique voit dans les catégories sociales, un ensemble de forces de subversion. A l’opposé, le monde culturel place son action sur l’échelle d’une démarche civique où l’histoire sociale de la communauté sert de matière première. Jean Pierre SARRAZAC pense en effet que « le théâtre a pour devoir de recomposer sur scène des situations vives, articulées à partir de quelques types essentiels. Et de proposer pour notre temps l’équivalent des esclaves et des domestiques de la comédie… »29 C’est ici que se manifeste l’essentiel des principes génétiques qui fondent la création littéraire et artistique de manière générale. Car à l’origine de toute œuvre artistique, surgit un contexte social et historique. Dans son ouvrage Le Dieu caché, Lucien GOLDMANN pense en effet que « toute (…) œuvre littéraire ou artistique est l’expression d’une vision conscience du monde. collective qui Celle-ci atteint est son un phénomène maximum de de clarté conceptuelle ou sensible dans la conscience du poète. Ces derniers l’expriment à leur tour 29 dans l’œuvre - SARRAZAC Jean Pierre : Critique du théâtre. désenchantement ; Belfort, éditions Circé, 2000, P. 25. 30 De qu’étudie l’utopie au l’historien en se servant de l’instrument conceptuel qu’est la vision du monde. »30 Le propos de GOLDMANN traduit avec pertinence, la conception que la pensé culturelle africaine affecte à la production artistique de manière générale, et où l’idéologique et le philosophique se combinent pour donner corps à une réalité souvent mal perçue à l’extérieur, mais qui s’enracine dans la foi en l’œuvre du poète ; sur les bases de la fonctionnalité de cette œuvre. Pourtant, faut-il toujours souscrire à l’exclusivité du caractère fonctionnel des arts de la scène en Afrique, où ceux-ci semblent tout entiers tournés vers la reconstruction matérialiste d’une certaine vision du monde ? Ne peut-on pas également trouver dans la production artistique, et singulièrement dramatique, une préoccupation esthétique ? Et pour que ce projet emprunter les voies offertes propose en effet un s’exprime, il doit pouvoir par la littérature. Celle-ci ensemble de cadres et de situations formelles, à l’instar des « fonctions » que Vladimir PROPP31 a établi pour le conte populaire russe, mais qui en définitive, pouvaient s’appliquer pour tous les contes, quelle que soit son origine géographique. De même, on peut établir que quatre éléments fondamentaux constituent les invariants du théâtre et signent l’universalité de cet art. Ce sont, selon Patrice PAVIS, l’intrigue, la dramaturgie, l’action, et le sens. Il affirme en effet que : «En lisant la fiction, le lecteur actualise le contenu du texte. Il en sonde les profondeurs, en établit les différents niveaux : discursif (I) pour la thématique et l’intrigue ; narratif (II) pour la dramaturgie et la fable ; actantiel pour les événements, les actions et les actants (III) ; idéologique et inconscient (IV) pour les thèses 30 31 et les contenus latents. En s’immergeant sous - GOLDMANN Lucien : Le Dieu caché ; Paris, éditions Gallimard, 1956. - PROPP Vladimir : Morphologie du conte ; Paris, Gallimard, 1970. 31 la surface du texte, le lecteur accède, en une suite de quatre niveaux toujours plus abstraits et secrets, aux couches successives du texte ; à chaque étape, il s’efforce de lui poser les questions pertinentes en fournissant les outils nécessaires. »32 En plus de la diversité des niveaux de signification de la poésie dramatique, nous relevons dans le propos de Patrice PAVIS, le caractère universel du théâtre, à travers les axes autour la desquels celui-ci s’articule. Un examen structural de production niveaux qui africaine structurent montre le en texte de effet que théâtre les quatre selon PAVIS, apparaissent également de manière indubitable dans le théâtre africain, tels qu’on peut les observer dans d’autres aires littéraires. Par conséquent, la possibilité d’appliquer au texte africain des méthodes déjà éprouvées se révèle non seulement un projet de défrichage théorique du monde de la dramaturgie africaine, mais surtout un moyen de légitimer le travail des créateurs africains. En dépit de la fonctionnalité et de la pertinence des concepts opératoires offerts par la théorie et la critique littéraire contemporaine, les possibilités d’analyse ; les voies d’accessibilité à l’herméneutique du théâtre africain , à l’instar de la production théâtrale de manière générale, demeurent problématiques, ainsi que l’observe à juste titre Patrice PAVIS : « De même qu’il est fort problématique de parler ‘’du’’ théâtre en général, on ne saurait faire la théorie ‘’du’’ texte dramatique en soi, on doit l’envisager dans son cadre historique spécifique : la théorie du texte dramatique devra donc toujours être vérifiée considérations historiques sur l’œuvre analysée. » 32 par des 33 - PAVIS Patrice, id. p. 5 ; les chiffres I - II - III et IV correspondent aux différents niveaux de lecture des textes de fiction. 33 - PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse des textes, de Sarraute à Vinaver. Paris, Nathan Université, collection Lettres Sup, 2002, p. 1. 32 Notre choix méthodologique se trouve ainsi conforté, dans la mesure où l’état actuel de la recherche autour de la création lectures littéraire dramatique possibles. Les propose contextes une variété de historique et sociologique ; voire anthropologique, sont ainsi pour nous des passages autorisés questionnement des et peut-être processus de obligés, génération du dans le texte de théâtre africain ; les modalités de son interprétation, et finalement de production du sens. Cependant, toute interprétation ; toute réception du texte dramatique (comme pour les autres genres littéraires), demeure relative, et strictement dépendante des lieux à partir desquels on le questionne. L’intérêt porté à un texte littéraire, ou à toute autre production artistique, varie en effet selon les objectifs poursuivis par celui qui l’aborde. Le « Littéraire » et le « Social », qui se croisent dans l’œuvre littéraire, actionnent de fait différents leviers qui vont s’intéresser aussi bien aux phénomènes de production qu’aux différents processus de lecture et d’interrogation du texte. 33 PREMIERE PARTIE : UNE TERRE, DES HOMMES, UNE EXPRESSION CULTURELLE. 34 CHAPITRE I : UN ESPACE, UNE CULTURE : SITUATION GEOGRAPHIQUE 1.1 - L’ESPACE ET LES PEUPLES D’AFRIQUE CENTRALE : L’Afrique centrale comprend sept Etats d’échelles très différentes, qui vont du micro Etat insulaire (Sao Tomé e Principe) au véritable sous-continent (Congo ex zaïre). Dans ce vaste ensemble situé entre 10° de latitude Nord et 10° de latitude Sud, inégalement l’empreinte ressentie. du Forte milieu à équatorial proximité immédiate est de l’équateur (température de 25 à 27°C et humidité constante, avec une pluviométrie élevée de 1500 à 2500mm, et une omniprésence de la forêt dense), elle s’atténue vers le Nord et le Sud. Les régions septentrionales du Cameroun et de la République Centrafricaine, le sud de la République Démocratique du Congo se caractérisent par l’extension des savanes et de la longueur d’une saison sèche qui les expose à des accidents climatiques. Le peuplement y est encore modeste, gravement perturbé par des conflits armés. La région compte environ 60 millions d’habitants inégalement répartis. Le sous-peuplement affecte surtout le Gabon (densité autour de 4 habitants au km2) et une grande partie de la cuvette Congolaise. Après une période de régression démographique au début de la colonisation, l’Afrique Centrale avait amorcé autour des années 80, une croissance remarquable entre 2 et 3% par an. Toutefois, cette croissance a été ralentie depuis le milieu des années 90, avec le début des conflits armés dans la sous-région. Les grandes pandémies que sont les infections à V.I.H ont également donné un sérieux coup de frein à cette croissance démographique. 35 Le puzzle ethnique, composé de plusieurs centaines de groupes est particulièrement complexe, mais quelques langues véhiculaires majeures facilitent l’intercompréhension, tandis que le français (en plus de l’anglais au Cameroun) est la langue officielle des principaux Etats, si bien que l’Afrique Centrale forme le plus vaste ensemble francophone du continent. En sa quasi-totalité, l’Afrique Centrale appartient à l’aire bantoue dont le fond culturel constitue un patrimoine commun. Bien des traits de la vie matérielle et des pratiques sociales et religieuses rapprochent les populations. Cette uniformité culturelle est perceptible à travers la création artistique ; notamment dans la littérature, la musique, les danses, la sculpture, l’architecture, les arts culinaires, les rites et croyances, et dans tout ce qui fait le ferment de la civilisation des peuples Bantou et apparentés. 1.2 – Aspects de la culture traditionnelle L’expression de la pensée culturelle des communautés traditionnelles d’Afrique Centrale est essentiellement fondée sur l’oralité. Cet univers suggère un imaginaire merveilleux dont se servent les communautés sociales pour comprendre la vie, et construire une pensée culturelle capable de répondre à des attentes spécifiques. Et à travers les contes et légendes, à travers les mythes et les croyances les danses et les jeux de scène, à travers la sculpture et la peinture, l’individu reçoit autant qu’il donne en partage, un enseignement à travers lequel l’originalité de son groupe social va s’exprimer. Dans les sociétés traditionnelles, les manifestations culturelles appartiennent au cycle normal de l’existence. Et dans les villages, les clans 36 qui vivent de manière indépendante et autonome se retrouvent pour des cérémonies sociales ou pour des rituels religieux comme les mariages, les naissances, les rituels de deuil ; la célébration de certains rites sacrés est cependant devenue plus rare de nos jours. A – Les danses traditionnelles et les jeux de scène Dans la catégorie des danses traditionnelles et des jeux de scènes, il y a notamment de grandes mises en scène collectives tambours ; avec de percussions leurs cithares en tous orchestres et de de sanza ; genres. Les tam-tams de et balafons spectacles de et de sont un foisonnement de couleurs, de peaux de bêtes et de plumes. Les danseurs/acteurs chants, la s’organisent gestuelle, les dans un mouvements espace et codé les où les déplacements suivent un ordre chorégraphique précis, dont les participants gèrent le secret du jeu d’ensemble ou individuel. Ces spectacles dont la finalité est soit l’expression de la société exécutés par idéale, des soit individus la critique portant des parfois mœurs, des sont masques à têtes d’animaux, qui figurent des caractères sociaux ou des difformités physiques ou morales que la représentation veut mettre en exergue. C’est le cas notamment avec la danse « OZILA » chez les Fang du Gabon, de Guinée Equatoriale et du Cameroun, qui fait souvent de la parodie des caractères sociaux son mode d’expression. Ici, tam-tams et tambours dirigent l’action, car c’est sur leurs indications que les danseurs agissent ou passent le relaie à d’autres danseurs, jusqu’à ce que s’achève le tableau souhaité. Le chant constituent et certains la danse, des associés multiples au aspects jeu de de la scène, culture traditionnelle dès lors qu’ils sont expression de quelque chose de caractéristique et de déterminant. Danses, chants et 37 jeux sont aussi bien l’affaire de l’homme que celle de la femme ou de l’enfant, avec chaque fois, un sens et une valeur spécifiques, selon qu’il s’agisse de spectacles donnés par l’une ou l’autre des composantes de la société. B – Jeux de scène et représentations scéniques Les jeux de scène et les représentations scéniques sont d’autres aspects de la culture traditionnelle. Essentiellement produites dans des situations exceptionnelles telles que les mariages, la fin d’un congé de maternité, ou encore la visite à l’école ou au village d’un membre du gouvernement ou de tout autre personnage important de la société. Ces spectacles sont toujours pour les populations, l’occasion de moments privilégiés pour signifier reconnaissance ou récrimination. Voici à ce propos ce que rapporte le Révérend Père De ROP, en visite chez les Nkundo du Congo (ex Zaïre), qui célèbrent son arrivée dans la communauté par une sorte de jeu de représentations : « Le chef et ses adjoints convoquaient les pygmoïdes Bilangui mordantes et les envoyaient étaient les chasser remarques pour faites eux. entre Typiques eux par et les pygmoïdes dans leur dialecte (le lolangui) à l’adresse des Nkundo qui veulent toujours se servir d’eux pour trente-six corvées. Les Bilangui partent donc à la chasse, mais sans faire preuve d’un zèle bien grand. L’un après l’autre, ils viennent annoncer au chef que la chasse a été infructueuse. Le chef ordonne au responsable des Bilangui de donner trois coups de bâton à chacun des chasseurs puisqu’ils n’ont rapporté aucun gibier. Les exclamations des pygmoïdes dans leur dialecte échapper étaient l’aveu, allons bien comiques : donc chercher l’un le d’eux gibier laissa que nous avons caché dans la forêt ! Les pygmoïdes repartent à la 38 chasse fredonnant des chansons de chasse et répondant aux exclamations de leur guide, même le son des clochettes des chiens est imité parfaitement. On tue un animal, deux porteurs attachent, par exemple, une poule à un bâton, comme on a coutume d’attacher le gibier abattu et s’amènent près du chef en fredonnant un chant de partage suivi des chasseurs. Le chef est satisfait et commande de porter le gibier à l’invité d’honneur. »34 Sans être une véritable pièce de théâtre, le jeu de scène ainsi représenté est plus proche du jeu ordinaire. D’autres formes de jeu existent dans les traditions culturelles d’Afrique Central, avec généralement une vocation à la fois ludique et didactique. Il en est ainsi des jeux de devinettes qui permettent aux jeunes ainsi qu’aux moins jeunes d’apprendre des choses par rapport à leur milieu, à leur mode d’existence. C – Conteurs traditionnels et expression corporelle : La transmis tradition oralement orale d’une se définit comme génération à un une témoignage autre. Ses principes de création sont commandés, selon ce que dit Ulysse à propos du récit qu’il s’apprête à donner de son Odyssée, par trois engagements majeurs, que l’on peut résumer ainsi : -Dire selon l’ordre -Dire jusqu’au bout, selon la règle -Créer selon le principe de la liberté, de l’improvisation. Ces trois engagements président aux principes de la création chez les deux catégories de conteurs traditionnels qui existent en Afrique Centrale ; le conteur professionnel et le conteur amateur. Le cas du conteur professionnel est 34 - Révérend Père De ROP : « Théâtre Nkundo » ; Editions de l’Université de Léopoldville, 1959. P. 59, cité par Robert CORNEVIN in Le théâtre en Afrique Noire et à Madagascar. 39 celui qui nous paraît le plus intéressant par ses aspects particuliers. Le conteur traditionnel en Afrique Centrale se distingue en effet du griot d’Afrique de l’Ouest par le fait que si le dernier cité reçoit son art de façon héréditaire, le premier doit suivre, pendant un certain nombre d’années, un enseignement et subir un rituel initiatique auprès d’un maître. L’initiation s’achève en général par un cérémoniel magico-religieux au cours duquel le néophyte est appelé à faire le sacrifice d’une partie de son anatomie ou d’un membre de sa famille. C’est au bout de ce parcours qu’il acquiert la maîtrise des différentes techniques et mécanismes de son art. C’est précisément le cas des conteurs de MVETT chez les Fang du Gabon, de Guinée Equatoriale et du Cameroun. La maîtrise parfaite de son art fait du conteur traditionnel un véritable maître de la parole. Il peut en effet jouer avec les subtilités de la langue et tenir son auditoire en haleine des heures, voire des jours durant. Il y a chez le conteur de MVETT une grande capacité d’improvisation, car si toutes les épopées du MVETT s’articulent autour de la quête de l’immortalité, le conteur ne reprend jamais d’une séance à une autre, le même récit. Il crée « hic et nunc », des situations autour de personnages centraux que l’on retrouve dans tous les récits, en invente d’autres, tous dotés de pouvoirs fantastiques. Quelle que soit la longueur de l’histoire, le nombre de micro-récits qui la composent ou les nombreuses digressions qui la parcourent, celle-ci ne souffrira d’aucune altération lorsqu’elle est proférée. Le conteur est à la fois musicien, chanteur, danseur et acteur, personnages de son récit. 40 car il interprète tous les CHAPITRE II : NAISSANCE D’UN THEATRE DE TYPE MODERNE. Faire théâtre la genèse n’est pas d’un chose objet aisée. aussi complexe Fait social que et le genre littéraire à la fois, l’art dramatique semble quelque chose d’omniprésent dans la vie sociale et culturelle des communautés humaines. Donner une origine au théâtre, c’est chercher à travers l’Histoire pratiques et le passé artistiques civilisations ; naissance de à ce culturel et des peuples, traditionnelles travers concept. les époques, Mais une des les telle dans les différentes conditions entreprise de est toujours délicate dans la mesure où elle reste généralement très approximative ; subjective, voire arbitraire. Car on est souvent tenté d’extrapoler ou au contraire de limiter le champ d’investigation relatif à cet objet d’étude, faussant ainsi la marge d’interprétation des données, en ne tenant pas compte de certains éléments pouvant parfois s’avérer d’une importance capitale en matière de description ou de datation des phénomènes sociaux. De nos jours, la difficulté d’établir ou de fixer la naissance du théâtre en Afrique est particulièrement marquée parce qu’elle demande que l’on considère l’art dramatique à partir d’une double approche. De ce point de vue en effet, on note deux orientations à l’intérieur même de l’idée de théâtre. La première approche de l’art dramatique concerne principalement la représentation en tant qu’ « essence du théâtre », c’est-à-dire ce par quoi le théâtre vient à se produire. Ce premier aspect permet de s’orienter vers ce que l’on peut désigner comme un théâtre traditionnel, et regroupe l’ensemble des éléments culturels appartenant qui au registre des jeux et des danses, ainsi qu’à celui des rites 41 et des cérémonies cultuels inhérents aux usages des peuples africains. La seconde approche du théâtre en Afrique est, quant à elle, essentiellement fondée sur la conception occidentale du théâtre. A la fois pratique d’écriture et phénomène expressif vivant et concret. Car avant d’être exécutée et mise en scène, cette réalité vivante est d’abord un objet qui passe par différentes phases d’écriture, de publication, d’impression, de promotion, de distribution et de vente à un certain public. C’est après ce processus long et complexe que la pièce peut arriver entre les mains d’un metteur en scène, puis de comédiens, ainsi que des différents personnels de la scène qui vont contribuer à son montage, et finalement à sa naissance. Dans cette optique, les théories relatives à la création dramatiques visent à uniformiser un art qui se présente finalement comme un art pluriel. Dans deux l’esthétique approches complémentaires, théâtrale africaine précédemment même si actuelle, énoncées la les deviennent représentation avec sa spécificité semble primer sur les phénomènes d’écriture et d’édition. En conséquence, eu égard aux divers éléments de détermination ci-dessus énoncés, nous pouvons retenir que les prémices d’un Afrique avec théâtre le de type concours occidental des apparaissent premiers en missionnaires chrétiens. De façon particulière, et d’après un certain nombre de témoignages historiques sur l’Afrique centrale, et singulièrement la région qui englobe le Congo, le Gabon ainsi qu’une importante partie du Cameroun méridional, le courant des années 1930 est habituellement donné comme la période d’émergence en Afrique Centrale francophone, d’un théâtre de type occidental. 42 Comparée théâtrales à sont l’Europe depuis ou des à l’Asie siècles où des les faits traditions communs et confirmés, l’Afrique fait encore figure de débutante dans un contexte où l’esthétique et la théorie, mais surtout la pratique scénique tendent à s’universaliser, c’est-à-dire à suivre un schéma description. SCHERER, C’est lorsqu’il unique ce qui affirme d’expression justifie que « Le le mais propos théâtre aussi de de Jacques africain est jeune. Il y a un petit nombre de décennies, il venait à peine de naître, puis on l’a vu se développer et prospérer avec une grande rapidité. Il offre ainsi à qui observe les phénomènes théâtraux unique. un domaine d’expérience privilégié et peut-être Les grandes traditions théâtrales d’Europe et d’ailleurs aussi d’Asie, ont eu besoin de nombreux siècles pour se définir, il en résulte que leur origine nous demeure, dans une large mesure, inconnue. En Afrique, tout est devant nous, et le théâtre s’offre à l’état naissant. »35 Ce propos, discutable à plus d’un titre, dénote non seulement d’une réelle difficulté à cerner les caractères définitoires de l’objet théâtre, mais aussi la difficulté à saisir cet objet sous une autre perspective que celle établie par la pensée artistique occidentale, dans la mesure où cette pensée remet en cause et nie complètement la probabilité du caractère multiforme de l’art théâtral. En effet, Jacques SCHERER qui s’en défend pourtant dans son propos liminaire ne manque cependant pas de tomber dans les travers de tous ceux qui ont voulu comprendre la réalité théâtrale africaine à partir d’un certain nombre de codes et stéréotypes propres à une esthétique occidentale. Pourtant l’on sait que sa forme et sa nature évoluent à mesure que l’on passe d’un milieu culturel à un autre ; d’une époque à une autre. 35 - SCHERER Jacques : Le théâtre en Afrique noire francophone ; Paris, P.U.F., 1992 ; p. 5. 43 Donner le théâtre africain comme jeune par rapport au théâtre asiatique ou européen serait semblable à lui porter un jugement de valeur au même titre que nier la réalité d’une Histoire et d’une civilisation africaine. Une approche historique et descriptive permet cependant de dégager deux orientations à l’intérieur de la sphère théâtrale africaine. La première orientation, vu par SCHERER comme un ensemble de « manifestations parathéâtrales », s’appuie sur les us et coutumes africains, parfaitement descriptibles, dans la mesure où il y a effacement de l’être social derrière un rôle dramatique. L’individu acteur porte en effet un masque à travers lequel il exprime une situation qui est loin de se confondre à son vécu propre. La deuxième tendance du théâtre africain est, à l’heure actuelle, celle civilisations l’esthétique qui, et à les dramatique l’issue des phénomènes échanges cultuels, occidentale, tout en entre emprunte puisant les à aux sources africaines des mythologies, de l’Histoire, ancienne ou récente ; ou au quotidien des individus ou des communautés. Sans jamais se contredire, ces deux formes d’expression théâtrale restent tout à fait complémentaires ; elles créent un modèle syncrétique qui, même s’il est parfaitement intégré au modèle universel, garde toutefois un certain particularisme qui permet de le distinguer des formes non africaines. 44 2.1 – L’arrivée des missionnaires et les premières tentatives de mise en scène : le rôle de l’Eglise dans la politique coloniale. En 1492, connaît à depuis africain. la peu découverte la Celui-ci plus des grande hantait Amériques, partie cependant l’Europe du et continent depuis fort longtemps, les rêves des européens. L’Afrique était à juste titre soupçonnée d’être un fabuleux réservoir de toutes sortes de richesses naturelles et humaines. Cette terre dont l’extrémité nord se trouvait à quelques semaines de navigation des côtes françaises, espagnoles et portugaises, était en effet la plus grande préoccupation des hommes politiques, des hommes de sciences et des peuples européens. Les portugais furent les premiers sur la voie de l’exploration de l’Afrique. Ils découvrir la Guinée en 1480, et dès 1482, ils s’installèrent de manière permanente à l’embouchure du fleuve Congo, en y installant des comptoirs coloniaux qui devaient fonctionner de 1491 jusqu’en 1703. Les portugais introduire le furent christianisme également en Afrique, les et premiers par la à même occasion, ils introduisaient aussi la traite intensive des Noirs, dont le monopole avait jusque-là appartenu aux Arabes. C’est que l’exploitation du Nouveau-Monde avait besoin d’une main-d’œuvre abondante et peu onéreuse, offrant par là même, des possibilités considérables d’enrichissement débouchés pour « les inespérés marchands et de de chair humaine ». Plus tard, les Pays-Bas, la France, l’Espagne et l’Angleterre puis les Etats-Unis, devaient emboîter le pas au Portugal dans l’Afrique d’enfants, près ce sinistre de déportés 40 commerce millions pour allait d’hommes, servir 45 qui de d’esclaves coûter femmes dans à et les Amériques, avant que ce funeste trafic ne fût prohibé entre 1807 et 1889. Des chrétiens pratiquèrent donc pendant 4 siècles, le commerce des êtres humains. Certains néanmoins parmi eux, témoignèrent de préoccupations plus nobles. Ce fut le cas des Jésuites qui arrivèrent à l’embouchure du Congo en 1550, suivis des Capucins un siècle plus tard, et qui eurent à cœur de transformer les indigènes en chrétiens plutôt qu’en esclaves. Le témoignage de cette arrivée dans ce qui fut à l’époque le royaume du Congo peut se lire à travers certains clins d’œil de l’Histoire du Congo que nous retrouvons dans la pièce de Sony LABOU TANSI Antoine m’a vendu son destin36. Ces missionnaires qui étaient avant tout des sujets d’un Prince ou des citoyens d’un Etat, devaient aussi défendre à travers la doctrine de l’Eglise, les intérêts de leurs pays qui en retour, difficultés hostilité devaient assurer rencontrées du populations milieu leur étaient naturel constituaient protection. toujours ajoutée en effet à Car les importantes : l’opposition un réel sous la handicap des au travail des missionnaires. A partir des années mouvements impérialistes, d’affaires mais dans une fabuleuse apparaissent vers la aussi plus ou recherche 1880, militaires, missionnaires épopée moins de où les aventuriers, chrétiens, motivations clairement, produits de poussée des hommes s’engagent de chacun convergeant toutes consommation devenus indispensables, et la quête de matières premières nécessaires pour relancer une économie européenne en proie à une pénurie de ressources. De nos jours, plus aucun esprit sérieux ne peut nier qu’à l’origine des expéditions 36 et des croisades vers - LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin ; Editions Acoria, 1997. 46 l’Afrique, il n’eut pas que des intérêts de l’ordre de la civilisation, ni même religieux. Du fait que les missions chrétiennes avaient toujours soutenues une expansion coloniale et impérialiste, l’Eglise fut donc particulièrement active dans une funeste entreprise où l’Afrique allait être spoliée de ses richesses naturelles, et l’Africain privé de son Histoire et de son humanité. De fait, tous les excès commis à l’endroit des africains au cours des voyages d’exploration des territoires et au moment de l’occupation coloniale, trouvaient une justification dans une interprétation prélats (à hasardeuse l’exemple de et ceux arbitraire de que l’Eglise certains hollandaise) s’employaient à donner aux Saintes Ecritures. Ici, la pensée ségrégationniste élevée au rang de dogme, disait que non seulement Dieu avait établi la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir, mais aussi que ce dernier serait le serviteur du premier. Car disait-on, les Noirs appartenaient à la descendance maudite de Cham, fils irrévérencieux de Noé, tandis que les Blancs étaient issus de Japhet, qui avait honoré son père en recouvrant sa nudité, recevant ainsi en bénédiction la promesse d’un brillant destin et le pouvoir de dominer le monde ; de l’évangéliser, et surtout d’apporter la civilisation aux peuplades sauvages d’Afrique (et d’ailleurs). Pour mieux amener les africains à collaborer et surtout à adhérer aux colonisation, la principes de scolarisation l’évangélisation confiée de généralement hommes d’Eglise va jouer un rôle fondamental. 47 et la aux 2.1.1 – L’installation des missionnaires : Comme nous missionnaires autour des l’avons chrétiens années déjà dans 1845, le période dit, l’installation golfe de durant Guinée laquelle se des fait l’Eglise Catholique se fixe définitivement dans la région (Cameroun, Gabon, Congo), missions ont notamment au Equatoriale alors vu le qu’en jour Sénégal demeurait et un Afrique bien en Occidentale, des décennies Gambie. sujet C’est de plusieurs auparavant, que crainte l’Afrique pour les occidentaux, à cause de l’hostilité du climat et la présence d’une forêt vierge dense et impénétrable. Cette région jugée peu hospitalière est sur le point d’être abandonnée (encore plus avec l’annonce du naufrage d’un navire missionnaire destiné à cette région), lorsqu’un certain Abbé LIBERMANN, bouleversé et torturé par la nouvelle de la catastrophe, reste fermement résolu à poursuivre la mission. Et malgré la permanence des risques et des dangers, l’Abbé LIBERMANN ne peut dit-il, se résoudre à « abandonner plus de 15 millions d’âmes qui n’ont jamais entendu parler de la Bonne Nouvelle que « Notre » Seigneur a apporté sur terre. »37 Une autre expédition est organisée, avec le Père Jean Rémy BESSIEUX, l’un des rescapés du naufrage, accompagné d’un autre spiritain, le Père AUGOUARD. C’est dans ce contexte mitigé que naquit au Gabon la première base de départ de la nouvelle Jean évangélisation Rémy Apostolique BESSIEUX, des Deux de l’Afrique devenu Centrale Evêque, Guinées en est 1848, Equatoriale. nommé avec Vicaire siège à Libreville. La future capitale du Gabon sera à l’Ouest de l’Afrique Equatoriale, la mère 37 de toutes les missions, - LIBERMANN (l’Abbé) ; cité par VAULX Bernard in Les missions : leur histoire, des origines à BENOIT XV (1914) ‘’Je suis – Je crois’’. Encyclopédie du Catholique au XXème siècle – 9ème partie – Les problèmes du monde et de l’Eglise, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1960. 48 ouvrant la porte à une intense activité aussi bien commerciale que religieuse, élargissant son rayon d’influence et d’action au reste du territoire. Ces religieux qui s’installent dans l’estuaire du Gabon appartiennent à la congrégation des Pères du Saint Esprit ; ils créent la mission Saint Paul de Donguila non loin de Libreville. l’Ogooué A et partir de 1885, s’installent ils suivent successivement à le cours Lambaréné, de à Ndjolé, à Lastourville, et plus en aval du fleuve à FernanVaz. En 1878, le Père AUGOUARD accompagné d’autres Spiritains, avaient créé en plusieurs points des rives du Congo, des centres d’évangélisation, notamment à Banana et à Landana. Ce fut de cette dernière localité que partit le Père AUGOUARD en direction de Mfoq (future Brazzaville), où il fonda la mission Saint Joseph de Linzolo. A l’instar de ses confrères du Gabon, AUGOUARD travaillera avec acharnement pour implanter le christianisme dans la région, et convertir toujours plus d’africains. Comme au Congo, les Pères du Saint Esprit venus du Gabon furent les pionniers de l’évangélisation du Cameroun ; ils y arrivèrent dès 1884. Et lorsque le Cameroun devient colonie de l’Empire Germanique, des Pallotins aidés des Pères allemands succèdent aux Spiritains français ; ils poursuivent néanmoins les mêmes objectifs. Durant de longues années pourtant, on ne compte guère qu’une poignée de chrétiens dans toute la région. Ce sont pour la plupart des esclaves rachetés aux marchands, et leur conversion à la religion ressembler à une marque libérateurs, d’autant missionnaires était chrétienne de pouvait gratitude que cette souvent quelque vis-à-vis première accueillie avec de peu leurs vague de réserve et scepticisme. Mais il arrivait très souvent aussi que certains notables préférassent faire baptiser leurs esclaves et les 49 enfants de ceux-ci ; ils se gardaient ainsi d’offenser leurs propres dieux. Il était donc improbable d’amener les indigènes à se détourner des pratiques croyances sur lesquels ancestrales reposait et de leur l’ensemble philosophie, des pour s’initier à une vision du monde étrangère à leurs idéaux et intégrer un système en totale incohérence avec un contexte social où l’homme se réalise en puisant aux sources de la matérialisation de son univers spirituel. Ajoutées aux traumatismes de la traite, toutes ces raisons vont sérieusement freiner l’avancée du christianisme dans les régions où il cherche à s’implanter. C’est seulement au début du XXème siècle que commencent à s’opérer quelques changements. Ces transformations sont dues de toute évidence, aux nouvelles méthodes de conversion basées non plus sur la force et la contrainte, mais sur un enseignement biblique. La création des écoles pour les jeunes indigènes, et pour les adultes un apprentissage par la démonstration offre un meilleur accès au message de la Bible. En effet, le montage de saynètes adaptées des Saintes Ecritures était le moyen par excellence de mettre l’enseignement de Jésus à la portée de tous ceux qui ne pouvaient y accéder autrement que par des procédés de mise en scène ; par théâtralisation. Cette méthode se révélera en effet plus opératoire que les méthodes brutales et coercitives antérieures. D’une certaine manière, le refus et la suspicion affichés par les africains vis-à-vis des contenus dogmatiques du christianisme pouvait s’expliquer à l’époque (et encore aujourd’hui) par le fait notamment des diverses contradictions que l’on pouvait relever dans les contenus du discours biblique. Il était en effet difficile pour les Noirs de comprendre l’interdiction désormais faite à eux de prier des dieux représentés sous forme d’idoles, ou de croire en des esprits protecteurs qui étaient ceux des ancêtres morts 50 de leurs familles ou de leurs tribus, alors même qu’on exigeait d’eux de se référer à un « Homme-Dieu », et Esprit. Car en procédant africains par arrivaient superposition à la et conclusion par que analogie, les les cosmogonies africaines répondaient à un schéma en tous points similaire, sinon identique à celui de la religion chrétienne, notamment concernant la symétrie que l’on peut relever entre les idoles africaines, et les reliques chrétiennes ; entre les mânes des ancêtres dans les cultes traditionnels africains, et les Saints de la religion chrétienne. En répondant traditionnelle, aux les codes de monarques l’hospitalité de l’estuaire africaine du Gabon acceptent de faire l’expérience de ce Dieu nouveau que les Blancs présentent. Le roi Dowé affirme ainsi « Nous aurons donc le temps d’écouter ton message, et toi-même, tu auras le temps de voir si nous ignorons ce que tu prétends nous apprendre de nouveau. »38 Quant aux sorciers (prêtres), ils seraient tout simplement la version païenne africaine du Prêtre catholique, dans la mesure où ils sont tous deux chargés d’exécuter un rite cultuel, et de faire appliquer et respecter les lois et les préceptes inspirés par un Etre supérieur et invisible. Au demeurant, les premiers missionnaires ayant remarqué le goût des africains pour le jeu (même si cela ne correspond pas à la conception occidentale du théâtre), usent de ce média pour assurer la propagation de la foi chrétienne. Et si le spectacle était si présent dans les traditions culturelles africaines c’est qu’il constituait un excellent mode d’expression et de communication. La scène devenait en effet la tribune où l’on pouvait critiquer les travers de la société, remettre en cause les exactions des individus ou celles commises par des institutions, ou dénoncer les mauvais 38 - NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux ! In Le Combat de Mbombi, Paris, Edition François Réder, 1979 ; p. 76-77. 51 comportements des individus. La scène traditionnelle était aussi le lieu où pouvaient s’exprimer les espoirs des individus ou des communautés, au cœur de ce que l’on peut désigner comme des comédies de caractères et de mœurs. Selon les contextes, ces manifestations étaient souvent l’occasion pour certaines catégories de la société comme les jeunes mariés ou les jeunes mamans, les orphelins, les veuves ou les veufs, de recevoir des conseils de sagesse ou de mise en garde de la part de leurs concitoyens. La fréquentation régulière des communautés avait permis aux missionnaires de relever que la indigènes notion de représentation, ainsi que les phénomènes de jeux de scène constituaient pour les africains, une véritable école de la vie. Episodique et circonstancielle, il fallait de cette médiation, tirer un maximum d’avantages pour les entreprises évangéliques et civilisatrices. Les bases du théâtre moderne africain étaient ainsi posées. Il ne restait plus à celui-ci qu’à se structurer ; à se développer et à se diversifier. L’évolution se fera en plusieurs étapes, selon les milieux de production. Il obéit par ailleurs à la contrainte des situations socioculturelles et aux contingences économiques et politiques. Dans le courant de la période de colonisation française, l’instruction scolaire des populations africaines jusque-là dévolue aux missionnaires protestants et catholiques s’élargit bientôt, avec la création des premières écoles laïques, prises en charge par l’administration coloniale. Ainsi donc, ce qui va constituer l’embryon du théâtre moderne en Afrique Centrale sera l’œuvre essentiellement des institutions scolaires et des centres paroissiaux. Son but comme nous l’avons souligné plus tôt, est de promouvoir la religion chrétienne à travers l’illustration des mystères de la Bible. 52 Ailleurs, dans un cadre profane, ce jeune théâtre servira souvent de support à la politique de soumission et d’assimilation mise en place par le colonisateur. Des témoignages de l’époque donnent en effet ce théâtre naissant comme le principal média de propagation des idées de la politique coloniales. C’est que la pénétration coloniale, sans être un des thèmes de prédilection des dramaturges africains, n’a pas manqué de retenir leur attention. L’arrivée des missionnaires chrétiens et des explorateurs a ainsi donné lieu à deux ouvrages essentiels chez le gabonais Vincent de Paul NYONDA39. Il s’agit en l’occurrence de Bonjour Bessieux et de Deux albinos à la M’Passa, ouvrages dans lesquels le dramaturge retrace les circonstances de l’arrivée des européens, et du climat qui prévaut au cours de la rencontre de ces deux mondes. Ce sont en effet des moments décisifs qui vont à jamais changer le cours de l’histoire du continent africain. Et ce qui ressort de ces textes, c’est l’esprit qui a animé la rencontre entre, d’un côté, ceux qui viennent en paix, apporter la Bonne Nouvelle et la Civilisation, et de l’autre les africains, curieux de savoir ce que cachait véritablement l’intérêt nouveau que ces individus semblaient leur porter. Ces deux pièces à caractère historique montrent bien comment l’une et l’autre catégorie d’explorateurs vont poser les bases l’Afrique des relations (Centrale en (toujours particulier) d’actualité) et la entre France, deux univers culturels en totale opposition. Si les intentions pacifiques des visiteurs ne paraissent pas toujours sincères aux yeux des populations autochtones, en c’est qu’il subsistait eux le souvenir douloureux de siècles de commerce d’esclaves et de traite de 39 - NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux in Le Combat de Mbombi ; Paris, Editions François Réder, 1979. Deux Albinos à la M’Passa in La Mort de Guykafi, Paris, Editions l’Harmattan, 1991. Collection Encres Noires. 53 produits tropicaux. Ajouté à cela, il y avait aussi la crainte des méfaits causés par nombre de produits apportés par les Blancs, à l’exemple des armes à feu, de l’alcool ou de bien d’autres choses. Le scepticisme des africains pouvait aussi à plusieurs égards, se justifier par le fait que les européens qui avaient jusque-là abordé les côtes du Continent Noir étaient davantage attirés précieuses que exotiques, sans par l’or, l’abondance les oublier épices, les des richesses l’ivoire, esclaves. Des aussi les bois préoccupations d’ordre spirituel ou culturel n’avaient pas eu cours durant ces périodes ; tout au contraire, soutenait-on que les Noirs étaient plus proches de l’animal que de l’homme, ce qui justifiait largement l’esclavage. C’est de se présenter comme des Blancs différents des premiers « Blancs », que Bessieux et Frère Grégoire d’une part, et d’autre part Brazza et son assistant, vont susciter méfiance et perplexité de la part des populations indigènes, ainsi qu’on peut le voir à travers ce passage de Bonjour Bessieux : Bessieux : Roi Dowé, je suis porteur d’un message capable de vous rendre plus heureux. Kringer : Comment te croire ? Dowé : On ne peut pas le croire ! C’est la première fois que nous entendons un tel langage. Une voix : ça cache quelque chose ! Une femme : Cet homme nous raconte des histoires. Il nous dit qu’il a quitté de son plein gré ce qu’il a de plus cher. Et si c’était un malfaiteur, chassé de son pays par les siens à cause du mal qu’il a fait ? Une voix : Ne serait-il pas sorcier ? Une autre voix : Dans son pays, n’existe-t-il pas de sorciers malfaiteurs comme nous en avons certains ici ? 54 Une voix : Vampireux !40 (Murmures dans l’assistance) Kringer : l’étonnement que Taisez-vous !... tu provoques. Bessieux, Nous n’avons tu jamais vois vu un blanc qui nous ait donné quoi que ce soit sans demander une compensation. Les bateaux qui viennent ici nous apportent toutes sortes de marchandises, mais ils ne partent pas la cale vide… Une voix : J’ai les épaules encore toutes meurtries d’avoir transporté, il y a trois jours, 220dents d’ivoire à bord d’une goélette ! Dowé : Tout se paie, Bessieux ! Tout se paie ! Bessieux : Roi Dowé ! Je ne puis vous prouver en un jour ma sincérité. Mais vous aurez le temps de me juger et de me comprendre. Dowé : Nous aurons donc le temps d’écouter ton message, et toi-même tu auras le temps de voir si nous ignorons ce que tu prétends nous apprendre de nouveau (…)41. Les propos des Rois Dowé et Kringer traduisent parfaitement l’attitude dubitative, sceptique et curieuse qui a souvent prévalue chez bon nombre d’africains au moment de la conquête européenne. d’évangélisation européens Les n’avaient eux-mêmes, car missions donc les de de valeur africains civilisation que pour estimaient et les n’avoir rien à apprendre des européens qu’ils ne savaient déjà. La question de la religion étant dans ce cas précis pour les africains, le lieu d’intersection des cultures européennes et africaines. Pour les notables africains, il s’agissait tout au plus d’écouter leur hôte. Car la bienséance veut que l’on écoute toujours l’étranger qui frappe à votre porte. Mais les africains avaient pu juger de la duplicité des européens à travers les échanges qu’ils avaient entretenus 40 - Vampireux : Terme issu de vampire ; africanisme couramment utilisé pour désigner les sorciers maléfiques auxquels on attribue le pouvoir de « manger » mystiquement leurs victimes. Ils les videraient en fait de leur substance vitale. 41 - Bonjour Bessieux ; Op. Cit. p. 74. 55 avec les commerçants scepticisme des et toutes interlocuteurs sortes de de marchands. Bessieux pouvait Le ici s’expliquer. Pourtant, l’on ne pourrait s’empêcher de penser au fait que les africains se soient peut-être résignés, devant ce qui apparaissait déjà comme inéluctable, et sur le fait que la curiosité semblait avoir pris le pas sur une attitude de rejet vis-à-vis du « miracle » contenu dans le message évangélique du Prêtre, et qui était censé changer la vie des africains. Ce fait en apparence singulier, prend toute son importance car il est révélateur de quelque chose d’essentiel dans l’aventure coloniale française en Afrique. On sait en effet que l’implantation des colonies françaises ne s’est pas déroulée sans heurts. Les différentes expéditions devaient généralement faire face à l’hostilité des populations autochtones, souvent islamisées, quelques fois organisées en puissants Etats, et qui n’entendaient pas passer sous la tutelle d’étrangers, de surcroît des « infidèles ». Ce refus de domination avait donné lieu à des résistances farouches et armées contre les empires occidentaux. Des personnages comme LAT DIOR ou SAMORY TOURE ont été de véritables figures de proue en Afrique Occidentale, des luttes de résistance contre l’envahisseur européen, en particulier contre l’entreprise de colonisation française. Dans les textes de NYONDA cependant, ce qui apparaît c’est le fait que la colonisation se soit déroulée de façon cordiale. Aucune véritable résistance n’ayant été opposée aux nouveaux venus. Si l’on observe quelques hésitations au départ, aucun incident majeur ne semble cependant pas avoir été enregistré. étrangers ; de Et le découvrir désir les de mieux raisons connaître profondes de ces leur présence en des terres si lointaines, et si peu hospitalières aura sans nul doute ôté aux indigènes toutes craintes, et 56 toutes formes d’hostilités naturellement exprimées en de telles circonstances par toute communauté humaine confrontée à l’inconnu. Mais ne serait-il pas permis à ce niveau de penser que les populations d’Afrique Centrale avaient compris très tôt que toute opposition à des individus visiblement mieux outillés pour les conflits armés, était chose vaine ? Et que sans doute, valait-il mieux collaborer afin de préserver les communautés, et peut-être aussi prouver aux européens que l’idée de Dieu n’était pas une idée inconnue en Afrique, même si les usages manière de africains, pouvaient procéder, avait une différer. seule la réelle Car peut finalité, importance. importait aux Peu yeux la des importait en effet pour ces derniers la dénomination donnée à cet Etre suprême, de savoir qu’Il existe et qu’Il a fait l’homme et l’univers, suffisait pour les croyants africains à Lui exprimer leur dévotion dans des cultes divers et variés, où les nombreux esprits et forces de l’univers étaient des intermédiaires vers l’Esprit suprême, au même titre que les Saints du culte catholique. Si nous nous replaçons dans le contexte de l’époque de la colonisation et de l’évangélisation de l’Afrique Noire, il nous est désintérêt permis de déclaré douter des avec les villageois, missionnaires. Et nous du total pouvons le vérifier dans le comportement qu’ils adoptèrent vis-à-vis des éléments et des lieux de cultes des croyances africaines. Les « hommes de Dieu » avaient en effet pu se rendre compte que les africains, ainsi que nous l’avons dit plus haut, n’étaient pas dans une ignorance absolue du Créateur, ou du sentiment d’un être suprême, présidant à la destinée des hommes ; donc un Dieu. S’il n’avait pas ici le même nom, il en avait incontestablement les attributs et les caractéristiques. Mais il était capital pour les européens de convaincre les noirs que ce 57 qu’ils prenaient pour Dieu n’était en réalité que la manifestation du diable, esprit malin qui fit perdre à l’Homme le bénéfice de la vie éternelle et du paradis. Il fallait de ce fait, que tout ce qui avait trait aux cultes et aux religions africaines disparaisse. Les missionnaires s’y employèrent eux-mêmes, et l’on ne fit plus dès lors de différence entre les éléments appartenant au domaine cultuel et religieux, et ceux appartenant à l’univers artistique profane. Les exigences du pouvoir impérialiste populations, d’avoir la prise d’avoir volonté en un absolue Afrique avait total des fait contrôle Eglises des européennes disparaître les plus importants des préceptes chrétiens fondés sur la tolérance et le pardon. Car on ne pardonnait même pas aux africains leur supposée inculture, ni ne tolérait leur prétendue ignorance de ce Dieu auquel rien ne rattachait. Et tolérer chez les africains la poursuite traditionnelles n’était-ce des pas pratiques en quelque religieuses sorte, signer l’échec de la mission civilisatrice et reconnaître de fait l’humanité du Nègre ; admettre que celui-ci, contrairement à la pensée commune établie par les Occidentaux, était doté d’une âme et d’une intelligence. Cela aurait aussi été une façon de concéder aux africains l’éventualité d’une certaine capacité de discernement et d’auto-affirmation. Mais ce qui pour les européens serait passé pour un aveu de reconnaissance du Noir comme d’un être doué de raison serait aussi passé pour la reconnaissance d’une culture et d’une civilisation spécifiquement noires, et remettre en question les fondements d’évangélisation risquer de mêmes ou et de compromettre l’opportunité civilisation le principal et d’une entreprise par conséquent, objectif fixé par l’administration coloniale, avec le concours des Eglises ; l’exploitation des ressources et une main mise totale sur l’économie des colonies destinées à l’usage de l’Europe. 58 Dans tous les cas, l’action coloniale et missionnaire fut loin d’être aussi désintéressée qu’elle fut annoncée. Et le Roi Dowé le perçoit si bien, et peut rétorquer à son interlocuteur Bessieux ! que Tout tout se avait paie ! » un prix : C’est en « Tout ces se termes paie, que le notable africain peut résumer la relation que cherchaient à établir ces étrangers venus d’un monde lointain avec lui-même et ceux de sa race. Il apparaissait ici que les autochtones n’étaient pas dupes du marché conclu avec leurs hôtes et surtout des bonnes intentions de ceux-ci, fussent-ils des hommes de Dieu. Leur plus profond désir n’était-il pas d’assujettir l’esprit du Noir pour mieux le soumettre à la volonté suprême des hommes qui se cachaient derrière cette grande entité qu’était l’Eglise et aussi à la raison colonialiste ? N’aurait-il pas été plus facile dès lors de formuler toutes sortes d’exigences sans que celles-ci rencontrassent la moindre opposition ? Le prix à payer pour la christianisation et la civilisation ne fut donc pas que matériel ; il fut aussi d’ordre spirituel, psychologique, morale et surtout économique. L’histoire de l’installation des missions chrétiennes en Afrique Centrale francophone revêt une importance capitale dans l’histoire de la littérature du continent africain. Cet épisode historique coïncide en effet avec la naissance aussi bien de l’émergence de la littérature romanesque et poétique qu’avec la naissance d’un théâtre africain de type moderne. La notion de modernité traduisant ici les mutations subies par une esthétique originellement propre à l’Afrique, dans ses emprunts à l’esthétique occidentale, européenne en l’évocation de particulier. Dans l’Histoire Deux Albinos contemporaine à de la M’Passa, l’Afrique Centrale constitue également la toile de fond de l’histoire de la pièce. Ici 59 encore, nous assistons à la rencontre de deux univers qui se distinguent l’un de l’autre par la différence des modes de vie autant que par la spécificité des systèmes de valeurs qui fondent leurs existences. Au niveau de la chronologie des événements, Deux Albinos à la M’Passa présente une antériorité par rapport à Bonjour Bessieux. Le premier texte est l’histoire des premiers européens qui foulèrent le sol des bords de la M’Passa, affluent de l’Ogooué, un territoire des du principaux Gabon. cours Localisé d’eau dans la qui baignent province du le Haut- Ogooué, le fleuve M’Passa est aujourd’hui célèbre pour le pont de lianes qui le traverse dans les environs de la ville de Franceville. Le personnage historique de l’explorateur Pierre Savorgnan de BRAZZA donne à cette pièce le cachet de chronique de l’histoire de l’exploration et de l’occupation par la France, de cette partie du Bassin du Congo. Le voyageur et son assistant viennent en effet en reconnaissance sur les lieux où devait s’implanter la future colonie française. Face à des populations qui n’avaient jamais rencontré d’européens, les nouveaux venus sont pris pour des albinos ; seuls êtres à peau blanche qu’ils connaissaient, mais qui pourtant présentaient des différences par rapport à ces visiteurs étrangers. A travers ces deux textes, nous voyons se tisser la trame de l’occupation de l’Afrique Noire. Si les missionnaires viennent y porter la Bonne Nouvelle du pardon et de la vie l’administration caractère non éternelle, coloniale, moins les autres ; nourrissent sacré ; civiliser à travers des projets au et apporter la connaissance à des peuples ‘’à peine sortis de leurs cavernes de primitifs’’. 60 Aussi, un traité fut-il scellé entre les chefs indigènes et l’explorateur. Et tant que flottera la bannière française sur ce territoire conquis à l’obscurantisme, plus aucun autre européen n’aurait le droit d’y planter ses couleurs et de le revendiquer. C’est de cette façon que de BRAZZA matérialisa « le pacte d’amitié » conclu entre la France et ce bout de territoire d’Afrique qu’il venait de « découvrir ». Dès lors, la France acquit le monopole de tous les territoires marqués du sceau de l’explorateur. Il en fut ainsi partout où passèrent les explorateurs européens. Les chefs indigènes qui avaient accédé à la requête de l’explorateur venaient de fixer le sort d’un peuple ; d’un continent. En Afrique Centrale, le rapport à la métropole était pour de BRAZZA un rapport d’exclusivité. Son acte devait donner la pleine mesure de l’engagement des parties en présence dans l’échange. La terre contre les cadeaux. BRAZZA bonjour qui venait (sa) de tribu « uniquement apporte(r) et de (son) chef » un grand marquait par ailleurs une forte détermination à l’accomplissement et au respect des accords. Il doit pour ce faire, sacrifier aux coutumes locales profondeur de et sa bien montrer résolution ; il à ses va interlocuteurs donc comme le la font habituellement ses hôtes, invoquer l’esprit des ancêtres, et marquer ainsi l’importance du moment : De Brazza : Chers frères et amis, je vous remercie de toute mon âme, les âmes de vos ancêtres qui ont conduit favorablement cette cérémonie dont le souvenir restera gravé en lettres d’or dans l’histoire de cette magnifique contrée. Mais le caractère intéressé des rapports qui viennent de s’établir avec les populations du territoire apparaît immédiatement dans la suite de son propos : De Brazza : Mais ce n’est pas tout, il nous reste à accomplir une deuxième cérémonie, l’implantation du drapeau de mon pays sur un terrain que vous voudrez bien me concéder. 61 C’est cette cérémonie que nous attendons ; quant aux autres cadeaux, je vous les donnerai après.42 Le regard du dramaturge gabonais sur l’action des missionnaires et des explorateurs coloniaux laisse présager du fossé qui a toujours existé entre les intensions des européens et les faits observés sur place, dans les colonies. Si tout concourt à la mise en œuvre des voies et moyens pour répondre aux besoins de la métropole, l’intérêt des populations autochtones n’est que très lointainement évoquée. L’essentiel des actes posés dès le début de la présence européenne en Afrique était de s’assurer la pleine et entière coopération des indigènes colonisés. On a souvent d’ailleurs reproché à l’Eglise l’ambiguïté de ses positions par rapport à l’administration coloniale, positions jugées paradoxales à la morale et à l’éthique chrétiennes. L’autorité administrative avait souvent en effet profité de l’audience des institutions religieuses pour mieux amener les populations à se soumettre au diktat du colonisateur, dont les lois privaient généralement les indigènes du droit de décision, individus. du Le choix code des de institutions l’indigénat ou était du ainsi statut des conçu par l’administration coloniale pour mieux contrôler les activités à caractère aussi bien politique qu’économique à l’intérieur des circonscriptions administratives, induisant souvent des abus de comportement de la part de certains colons. L’œuvre romanesque d’un Ferdinand OYONO dans Une vie de boy ou Le vieux nègre et la médaille, ou encore celle d’un Tchicaya U TAM’SI avec sa trilogie Les Cancrelats, Les Méduses et Les Phalènes, permettent de mettre en évidence maints aspects souvent méconnus des actes posés par certaines personnalités pendant la période coloniale en Afrique Centrale. 42 - NYONDA Vincent de Paul ; Deux Albinos à la M’Passa, in La Mort de Guykafi ; Paris l’Harmattan, 1981 ; p. 106. 62 Malgré communautés l’intérêt porté traditionnelles au jeu d’Afrique de scène Noire, par la les critique universitaire n’a pas véritablement à l’heure actuelle, porté un regard d’investigation sur les rapports du théâtre et de l’Histoire sociale en Afrique. Les travaux sur le théâtre en Afrique restent d’ailleurs assez marginaux, l’essentiel de l’activité critique étant tourné vers la création romanesque. En Afrique de l’Ouest cependant, l’action d’émulation née à l’Ecole William Ponty au début des années 1930, a largement favorisé l’intérêt qui marque à l’heure actuelle la production dramatique en Afrique Occidentale, et les activités de recherche autour de celle-ci. L’Ecole William Ponty a longtemps été le symbole et la référence de la social et création théâtrale en Afrique Noire francophone. De la création en elle-même, le contexte culturel actuel continue d’inspirer la production. Différents types de mise en scène coexistent en effet aujourd’hui dans le paysage de la scène africaine. Les circonstances et les raisons qui avaient contribuées à l’émergence d’une mise en scène à l’européenne convaincre, il faut n’ont pas disparues. Pour observer le déroulement des s’en fêtes chrétiennes, les spectacles donnés par les associations de scouts et de tous les autres mouvements d’action catholique, ou encore assister aux kermesses de fin d’années scolaires dans les lycées et collèges ou même dans les cycles primaires. Les répertoires sont variés, allant de l’annonce faite à la Vierge Marie pour la naissance du Sauveur, jusqu’aux tribulations de hauts responsables politiques, en passant par des classiques LABICHE ou français COURTELINE. comme MOLIERE, Dans la CORNEILLE, plupart des RACINE cas, ces spectacles étant généralement adressés aux paroissiens ou aux parents d’élèves étaient essentiellement montés en langues vernaculaires. D’une organisation sommaire, la mise en scène 63 s’embarrassait ici rarement des aspects protocolaires et policées d’une scène à l’italienne (cours, jardin, etc.), un simple rideau suffisait parfois à marquer la séparation entre les différentes parties de celle-ci. 2.1.2 – Premières tentatives de mise en scène : Dans le domaine de la création théâtrale, la mise en scène se définit comme l’organisation matérielle et physique de la représentation d’une œuvre. Elle procède, par le choix d’un metteur en scène, à fixer un cadre spécifique et codé à l’intérieur duquel l’action prend corps. S’appuyant sur des décors, des costumes, des éclairages et les mouvements des acteurs, l’histoire prend forme au sein d’un espace censé figurer les lieux du déroulement de celle-ci. Cependant, en Afrique, la adoptant des mise en scène schémas s’est parfois parfois inédits. Et singularisée comme en l’affirme Jacques SCHERER, « La technique la plus complexe et la plus complète de celles qui concourent à la réalisation théâtrale n’a pas été dominée du premier coup, pas plus en Afrique qu’ailleurs, mais il y a toujours une mise en scène, consciente ou non, puisqu’il faut bien que les efforts des comédiens aboutissent à un résultat global, perçu par les spectateurs. » C’est donc d’organisation qu’en du jeu Afrique, basé sur il existait une une forme scénographie bien particulière. Et les différences apparaissaient dès que l’on tentait de changer de registre. Les résultats d’une mise en scène moderne furent pourtant assez encourageants au tout début de l’absence l’aventure ou quasi théâtrale africaine. inexistence de Car en scénarios dépit de écrits, l’essentiel du spectacle reposait sur la capacité des acteurs 64 à improviser sur un thème dont chacun ne connaissait en fait que les grandes étapes du déroulement de l’intrigue. En Afrique Centrale, parler des premières mises en scène théâtrales revient à s’intéresser au travail accompli par les missionnaires à travers les mouvements de jeunesse tels que les scouts, par le biais desquels la pratique de la représentation a pris un essor considérable. En l’absence d’une véritable documentation de référence sur la naissance du théâtre moderne en Afrique Centrale, les souvenirs l’heure de quelques actuelle la témoins principale de l’époque source constituent d’informations à dont dispose une grande part des chercheurs africains. Quelques revues ou journaux datant de la coloniale viennent parfois étayer ce fait. Il faut parfois remonter aux alentours des années 1930 pour retrouver la trace des premières mises en scène de type occidentale. Quoique très approximative, cette période reste le repère essentiel qui permet de fixer dans le temps les débuts de la mise en scène moderne en Afrique Centrale, et singulièrement au sein de cet espace géographique et culturel constitué par le Cameroun, le Congo et le Gabon. Matondo Kubu TURE, comédien et sociologue congolais relève cette difficulté à dater la mise en scène moderne dans son pays : permet pas « L’état encore actuel de lire de nos investigations nettement le tableau ne nous théâtral d’avant les années 50. Toutefois, il semble que le théâtre dit moderne au Congo soit né sous l’impulsion des missions catholiques et protestantes, à la faveur des mouvements de scoutisme parrainés par elles. »43 Le travail entrepris par les missionnaires permet donc de situer les débuts approximatifs de la mise en scène moderne en Afrique Centrale. 43 - TURE Matondo-Kubu : « Panorama du théâtre congolais et quelques réflexions » Revue Notre Librairie ; Littérature Congolaise, n° 92 – 93 de Mars/Mai 1988 ; p.175. 65 Au moment des premières tentatives de mise en scène moderne, il n’existe pas de véritables structures théâtrales au sens où on peut l’entendre aujourd’hui. On se contentait en effet, pour les besoins d’une fête religieuse ou scolaire ; pour l’organisation d’une soirée récréative, de réunir un groupe d’individus à qui l’on confiait la mise sur pieds d’un spectacle généralement composé de saynètes, de sketches, de chants et de danses. Très souvent aussi, le spectacle pouvait s’agrémenter d’un récital de poèmes (surtout en milieux scolaires). Plus tard, l’accession à l’indépendance des différents Etats d’Afrique Centrale va ouvrir une nouvelle ère dans le monde du théâtre structuration et moderne ; à on assiste en l’institutionnalisation effet des à la arts du spectacle en général, et du théâtre en particulier. La prise en charge des affaires culturelles par les pouvoirs publics avait de fait permis la formation de quelques troupes d’amateurs dont le rôle sera souvent non négligeable dans le processus d’évolution des arts dramatiques en Afrique Centrale. Dans le cadre des contenus, la jeune institution théâtrale africaine se veut déjà le miroir de la société. Le fait dramaturgique s’enracine en effet dans la vie sociale, culturelle et historique des populations. En sortant des usages rituels, le jeune théâtre d’Afrique Centrale soulève un véritable engouement au sein des populations ; il cesse par la même occasion d’être un théâtre circonstanciel. On note en effet une certaine effervescence tant chez les créateurs et les acteurs, que du point de vue du public et de tous ceux qui s’intéressent aux arts dramatiques. Au point de vue des initiatives, on distingue trois niveaux essentiels 66 A- Chez les missionnaires : Pour les missionnaires, les représentations visaient un but essentiellement fonctionnel. A travers elles, le Curé ou le Pasteur espéraient parvenir à susciter la foi chrétienne chez les aspects Noirs. Un accent merveilleux des particulier épisodes était bibliques mis sur choisis. les Dans cette optique, les responsables des communautés religieuses désignaient quelques paroissiens qui présentaient des aptitudes à la comédie pour incarner les rôles voulus. B- Le rôle des scouts : L’organisation prévoit ; en plus des de mouvements l’aide scouts apportée aux africains populations à travers les « les bonnes actions », une importante activité socioculturelle caractérisée par la création de spectacles faits de saynètes, de sketches, de jeux, de chants et de danses traditionnelles en vue de distraire et d’informer les communautés dans lesquelles ils s’installaient pour une période donnée. Ici aussi la vie quotidienne des populations était la source d’inspiration essentielle de ces spectacles. Mais il arrivait aussi que les jeunes optent pour la mise en scène d’un texte tiré de la littérature. Une adaptation préalable était souvent nécessaire pour favoriser une meilleure compréhension au niveau du public. Il y avait là un véritable travail de mise en scène et d’adaptation qui, sans être particulièrement recherchés, n’atteignaient pas moins les objectifs visés par toute représentation, à savoir divertir, former et informer. Le succès de ces représentations résidait dans le fait qu’elles se voulaient avant tout proches des populations, proches de leurs préoccupations. 67 C- Dans les milieux scolaires : Les objectifs et les modes d’utilisations du théâtre dans les milieux scolaires s’apparentent fortement à ceux mis en œuvre par les mouvements scouts, et dans une certaine mesure par les milieux religieux. Dans un cas comme dans l’autre, l’organisation des spectacles se fera toujours en fonction du milieu, ou selon les contingences événementielles du moment. Cependant, la fin d’une année scolaire ou la visite dans un établissement d’une personnalité importante seront toujours des occasions pour des réjouissances et de démonstration de talents par les jeunes comédiens, au cours d’un spectacle total. L’autre fait marquant dans la création théâtrale en milieux scolaires était l’usage indifférencié du français et des langues locales. Et souvent aucune traduction préalable n’était nécessaire si le texte de départ était en français ou dans une langue vernaculaire. D’une façon générale, l’organisation des festivités s’effectue dans une collaboration harmonieuse entre élèves et enseignants. Les acteurs et tout le personnel d’encadrement du spectacle restent de véritables amateurs pour qui l’amour du jeu constitue montrer ; de le seul fustiger ou moteur, de au-delà célébrer une du besoin de situation, un événement. Ces moments constituaient aussi des occasions pour les élèves de révéler d’autres talents créatifs comme la confection d’objets d’art. Ici aussi, les thèmes mis en scène seront généralement tirés de la vie courante, ou plus rarement des répertoires classiques occidentaux (ce fut souvent le cas des œuvres de Molière, ou plus proche de nous encore, du cas de Macbeth de William SHAKESPEARE, qui a fait adaptations). 68 l’objet de remarquables Dans ces organisations, on recherchera toujours le meilleur résultat possible, même si les moyens mis en œuvre ne peuvent présager de la réussite du spectacle. C’est par exemple le cas au sujet des choix effectués quant aux espaces scéniques. Jacques SCHERER constate à ce sujet que « Lorsqu’il est possible d’utiliser un espace naturel ou de plein air, les facultés d’invention des Africains se donnent libre cours et peuvent atteindre au grandiose. »44 L’observation de SCHERER laisse entendre que la réussite des spectacles de mise en scène en Afrique dépend en grande partie à la compétence des comédiens, mais surtout à la nature du lieu de représentation. Le langage dramatique est une association de plusieurs facteurs. Ici, l’esprit et le corps s’unissent à la voix pour donner vie à la pièce. Les textes sont parfois des manuscrits, ou des documents publiés qui, à cette époque, restent assez rares au Gabon, au Cameroun et au Congo. Ainsi que nous l’avons relevé, c’est dans le cadre du grand enthousiasme qui précède les indépendances que se manifestent dans ces trois pays, les premières tentatives de mise en scène théâtrales effectuées ici ou là par des troupes d’amateurs. D’audience populaire, ces premières représentations sont également appréciées des différentes catégories sociales qui peuvent souvent se reconnaître dans les personnages ou dans les caractères sociaux représentés. Le jeu des acteurs, très personnalisé, porte la marque de chaque comédien qui, par improvisation et par toute autre forme de subtilité, cherchera toujours à enrichir son personnage et à lui donner plus d’envergure. C’est que le comédien, qui jouit d’une grande liberté d’action, mettra volontiers l’accent sur les 44 - Jacques SCHERER : Le théâtre en Afrique Noire francophone ; Paris, P.U.F, 1992 ; p. 47. 69 défauts ou les qualités du personnage. Son envergure ici ne sera donc pas toujours positive car elle constitue la mise en évidence, sinon des idéaux auxquels aspirent l’individu et la communauté, du moins des angoisses dont les hommes essayent se libérer. Avec les toutes premières mises en scène, le théâtre d’Afrique Centrale choisit le syncrétisme. Il n’est pas encore question de publication, car pour les Africains le théâtre est à l’instar des autres formes littéraires, essentiellement destiné à la profération. Et quelle que soit la nature du texte dit ; conte, proverbe, poème, épopée, etc., il y a toujours une part de mise en scène. Et le conteur apparaît ainsi comme acteur dans la mesure où il incarnera tour à tour les différents personnages de son récit. Le théâtre moderne qui naissait avait une double vocation ; éducative et ludique. C’est à ce titre qu’il était utilisé d’une part pour la christianisation des indigènes africains, et d’autre part pour réguler la morale publique. Les personnages deviennent dans ce contexte des modèles dont il fallait s’inspirer, ou des exemples à ne pas suivre. 2.2 – Premières créations théâtrales : Lorsque le théâtre moderne voit le jour dans les Etats du Cameroun, du Gabon et du Congo, il est sans grande prétention, car il subissait encore le joug des institutions coloniales. Pourtant, ces premières années d’existence soulèvent à tous les niveaux, un réel enthousiasme. Et à l’instar du premier dramaturge gabonais Vincent de Paul NYONDA, bon nombre de pionniers du théâtre africain (et de la littérature africaine en général) s’accordent à dire que celui-ci, dans sa forme moderne, n’a pas connu de réelles 70 difficultés à s’intégrer dans le mode de vie des populations autochtones. Car le jeu de scène, sous des formes variées, est très présent dans les pratiques culturelles africaines. Et pour arriver aux formes qu’on lui connaît aujourd’hui, l’univers du théâtre traditionnel africain avait simplement opéré une sorte de réadaptation ; une manière de glissement d’une esthétique traditionnelle, vers une autre, différente, régie par un système plus complexe faisant intervenir différents secteurs des univers de la littérature et de la scène, et des industries de l’édition et de la distribution, au-delà de la performance et de la compétence des auteurs et des acteurs. Une dimension nouvelle est donc donnée à la création théâtrale en Afrique, en allant au-delà des compositions éphémères et contextuelles habituelles. Les jeunes auteurs africains commencent en effet à emprunter les voies de l’écriture et de la publication, en somme de la création à l’occidentale. Au lendemain des indépendances, le monde du théâtre rompt avec le manuscrit que l’on offre aux amis, ou que l’on oublie dans un coin de la maison. Pour revenir aux contextes de création des premières années au Congo, au Gabon et au Cameroun, il convient de rappeler que si au cours de la période coloniale, la production était restée très orientée par le goût et les intérêts idéologiques des européens, la période post- coloniale va voir se constituer un théâtre plus porté vers l’histoire, les communautaires. réalités Souvent sociales, assez et les problèmes critiques, ces premières créations s’adressaient en priorité aux africains eux-mêmes. Si, au moment des indépendances de nos trois pays de référence la publication n’est pas encore une priorité, la formation de troupes et le montage de spectacles sont eux, devenus des faits assez courants aussi bien dans les milieux 71 scolaires et universitaires qu’au sein des entreprises et des communautés civiles. Depuis l’origine, la production dramatique dans ces Etats d’Afrique Centrale va généralement s’inscrire dans les modes de pensée sociolinguistiques qui ayant un en commun culturelles et des différentes composent même sociales. cette système Le communautés aire de géographique, valeurs théâtre y morales, joue le rôle d’éducateur des masses. Miroir de la société il en dénonce les maux et les tares. Ces créations vont par ailleurs exprimer les espoirs de ces peuples qui portent désormais les marques d’une civilisation d’emprunt, source de multiples controverses. Parlant des objectifs de sa pièce Trois prétendants…un mari, Guillaume OYONO MBIA, acteur et dramaturge camerounais, donne en quelque sorte la position des arts dramatiques d’Afrique Centrale de manière globale. Il déclare dans la préface à la deuxième édition : « Ce n’est qu’en le divertissant réellement qu’on peut espérer amener le public à prendre connaissance de certains aspects de notre culture et de notre vie sociale. »45 De ce point de vue, le théâtre d’OYONO MBIA apparaîtra donc généralement comme une tribune où l’auteur peut s’adresser à ses congénères. Il peint en quelques tableaux les problèmes nés des grandes mutations de la nouvelle société africaine. Et dans objectifs, le la mesure théâtre où il veut d’Afrique rester Centrale fidèle sera à d’abord ses un théâtre de représentation. C’est qu’ici, priorité est donnée à l’action. générale, Car même certaines si, contrairement civilisations à africaines la ont conception connu et pratiqué des systèmes spécifiques d’écriture (à l’instar de la civilisation Egyptienne avec 45 ses hiéroglyphes ; de - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants …un mari : Yaoundé, Editions CLE, 1975 ; p. 7. 72 l’Ethiopie avec l’écriture amharique, ou encore plus proche de nous, du système mis en place au Cameroun - fin du XIXème siècle et début du XXème - par le Sultan Bamoun Ibrahima NJOYA), la tradition littéraire orale occupe encore une place considérable en Afrique Noire en dépit du fait qu’elle reste encore aujourd’hui, l’apanage d’une catégorie spécifique d’individus ; les griots et les conteurs traditionnels qui sont de véritables maîtres dans l’art de la rhétorique. De ce point de vue, la position du théâtre comme art de l’oral se trouve confortée par le rôle central de la parole au sein de la vie des populations. Et dans les rites et croyances africains, le poids de la parole semble transcender le seul usage esthétique pour atteindre des domaines supra naturels. La parole semble en effet porter une charge déterminante dans la mesure où elle peut influencer le destin de l’individu. Cette affirmation, invraisemblable en apparence, semble toutefois trouver une explication dans le fait que les sociétés traditionnelles africaines attribuent à la parole, dite dans certaines conditions, le pouvoir d’influer sur le destin des individus ; du point de vue de son existence sociale, ou même concernant sa santé. En Afrique, certains témoignages rapportent en effet des exemples de phénomènes étranges et inexpliqués survenus après profération de paroles incantatoires. Des cas de guérison ou d’ascension de l’échelle sociale après une bénédiction figurent parmi les exemples de témoignages les plus courants. Dans le même cas, une malédiction prononcée contre un individu est tout à fait susceptible d’interférer négativement sur l’existence de celui-ci. Dans ces cas spécifiques, la parole est du domaine de la magie et du mysticisme, domaine que l’on attribue quelques fois en Afrique à celui de la sorcellerie. Dans un autre cas, la parole appartient à un domaine purement social. C’est à travers elle que la vie de la communauté se construit et se matérialise. Tout acte, quelle 73 qu’en soit l’importance, fait l’objet d’un examen public préalable. Chaque membre du groupe est en effet appelé à émettre un avis qu’il laisse à l’appréciation générale. Au cours intervention mimiques de est et ces soutenue rassemblements par d’attitudes un publics, ensemble corporelles qui de chaque gestes, portent de les caractéristiques de quelque scène de théâtre. On croise ici des personnages de contes, de légendes, de mythes ou de proverbes. Cet usage traditionnel de la parole appartient à tous les univers culturels bantou. Les premières œuvres dramatiques africaines sont souvent issues de cette tradition orale séculaire. Dans ce théâtre en formation, quelques auteurs vont se distinguer à travers une intense activité de création. 2.2.1 – Les pionniers du théâtre en Afrique Centrale : Parler des pionniers du théâtre en Afrique Centrale c’est faire l’inventaire des facteurs humains et structurels qui ont l’identité présidé ou à à l’émergence, l’existence de à ce la structuration, théâtre. C’est un à art multiple autant par la forme que par le fond. Dans ce travail de recensement, nous distinguerons d’une part les troupes des premières années, et d’autre part les premières œuvres publiées. Que l’on se situe dans le contexte congolais, camerounais ou gabonais, on remarque que plusieurs mouvements marquent de manière déterminante l’évolution dans le temps du théâtre moderne dans cette région. Deux grandes périodes caractérisent en effet l’action des pionniers de ce théâtre. Elles se situent globalement autour des années 1950 pour les premières représentations de type moderne, et les années 1960-1970 74 pour les premières œuvres publiées. Ce sont les textes de cette deuxième période qui retiendront généralement notre attention. A – Au Congo : Les débuts du théâtre moderne au Congo comme dans la majorité des ex-colonies françaises, se situent dans les années 1960. Deux troupes vont animer la naissance de ce théâtre. Leur action sera essentiellement localisée à Brazzaville, capitale du jeune Etat. Ces deux troupes sont l’AS.THE.CO (Association du Théâtre Congolais), et le T.U.C. (Théâtre d’Union Congolaise). La première de ces troupes, la plus dynamique aussi, vit le jour en février 1963 sous la houlette de Ségolo Sia MAHUNGU et de Pascal MAYENGA. Une scission survenue quelques mois plus tard au sein de l’AS.THE.CO donnera naissance à la troupe du Théâtre National Congolais (T.U.C.). D’autre part, au sortir du festival Panafricain tenu à Alger en 1969, le Centre de Formation et de Recherche d’Art Dramatique est créé. En 1967, est créée du côté de Pointe-Noire la troupe « Les Kamangos », dirigée par Ferdinand MOUANGASSA. Cette formation remporte le premier prix de théâtre à l’occasion de la première semaine culturelle nationale en jouant « Nganga Mayala ». Les années 1970 se caractérisent quant à elles, par ce que l’on a appelé le théâtre des écoles. On note en effet une prolifération dans les importante de établissements troupes d’animation scolaires culturelle secondaires où, à l’occasion des fêtes de fin d’année, les jeunes comédiens montaient des spectacles essentiellement sous la forme de sketches. Les troupes les plus actives à cette époque furent la Troupe des Cadets de la Révolution 75 et celle du Lycée Chaminade, dénommée « Nous Oserons ». A signaler également l’existence de la Jeune Troupe Artistique d’Animation du Lycée Central (J.T.A.A.L.C.), dont la particularité était à ce moment-là de s’essayer à l’écriture et à une véritable mise en scène collective avec des pièces telles que La vérité triomphera, ou du dramaturge martiniquais Eïa man maille-là Auguste MACOUBA. D’après le comédien et sociologue Matondo-Kubu TURE, les prestations de ces jeunes troupes étaient dominées par le volontarisme militant. C’est que de manière générale en Afrique, dans les années 60 et 70, on fait du théâtre par amour pour l’art. Souvent le comédien ne s’attend à aucune rétribution. Il est au contraire parfois appelé à apporter lui-même une contribution financière ou matérielle au moment de monter un spectacle. De plus, lorsque Matondo-Kubu TURE parle de « volontarisme militant »46, il évoque un engagement politique ; car le Congo vivait à l’heure de la Révolution Populaire. Tout se fait donc au nom de la Révolution et du Communisme, ce qui explique en partie aussi le dévouement exalté des comédiens (en plus de l’amour du jeu). Ils privilégiaient ainsi, à leur niveau, l’intérêt de la Nation plutôt que le révolutionnaire leur propre, aurait pu ce qui, passer dans pour un une contexte recherche personnelle de profit. Pourtant, en dépit de la volonté qui anime les hommes de théâtre congolais, le monde des arts dramatiques va connaître une période de crise considérable. Avec la fin des années 70, on note en effet une certaine sclérose en matière de production de spectacles. La routine et la facilité à travers un certain relâchement (dans la mise en scène) s’installent ; les troupes se raréfient et le jeu se caractérise par une lourdeur excessive et par un 46 - TURE Matondo- Kubu : « Panorama du théâtre africain africain et quelques réflexion » ; Notre Librairie n°92-93 ; Mars - Mai 1988, p. 175. 76 usage démesuré des éléments de décor. De même, l’absence de renouvellement de la thématique laisse une impression d’essoufflement de la création, induisant par là même une sorte d’attente insatisfaite de la part du public. On peut retenir en définitive que les pionniers du théâtre congolais ont souvent été des groupes de personnes ayant en commun l’amour de la scène et un certain sens de la dramaturgie. Pour mener à bien leurs projets, ces jeunes créateurs n’hésitent pas à mettre en jeu les maigres moyens dont ils peuvent disposer. Plus tard ce sont ces amoureux du théâtre qui vont ouvrir la voie de l’écriture dramatique au sein de la sphère littéraire congolaise. B – Au Cameroun. D’après l’étude menée en 1989 par Clément MBOM47, le théâtre s’est développé au Cameroun dans un contexte de pluralisme linguistique. Il s’est en effet déployé à travers quatre pôles d’expression : -Le théâtre en langues nationales, -Le théâtre d’expression anglaise, -Le théâtre d’expression allemande, -Le théâtre d’expression française. Au celui Cameroun, qui a donné le théâtre les d’expression premières allemande publications. Mais est il apparaît que les formes modernes de ce théâtre ne sont pas l’œuvre de camerounais eux-mêmes, mais celle de colons allemands séjournant au Cameroun. Il y eu Der Liebesieg (La victoire de l’amour) et Tolongi. Ces pièces ont été produites entre 1900 et 1910 par un auteur dénommé RIEDEL. On peut toutefois s’interroger sur l’identité réelle de ces textes ; 47 - MBOM Clément : « Le théâtre camerounais en pleine mutation » ; Revue Notre Librairie, Littérature camerounaise 1. « L’éclosion de la parole », n° 99, Octobre – Décembre 1989 ; p.p 144 à 145. 77 appartiennent-ils au patrimoine théâtral camerounais, ou bien sont-ils simplement des œuvres « sur » le Cameroun ? Concernant les pionniers camerounais, Jean-Baptiste OBAMA apparaît comme le premier dramaturge moderne du pays avec la pièce publiée en 1943 et qui s’intitulait Mbarga Ongono, écrite en langue Beti. L’auteur déclare à propos de celle-ci : « J’ai eu l’idée de lancer avec mes camarades, le théâtre vernaculaire, j’écris alors la moitié en prose, et l’autre en vers. » D’autres pièces en langues vernaculaires suivront celles de OBAMA, notamment Fada Jean en 1944, et Le mariage d’Ebudubudu en 1956, crée par Albert OWONA. Concernant le théâtre camerounais d’expression anglaise, il semble déjà plus productif que le précédent. Les principaux précurseurs en sont l’anglais Charles LOW, avec White flours of latex, publiée entre 1940-1942. En 1959 Sankie MAIMO publie I am vindicated, dont la version inverse, Sow Mbang, the soothsayer, paraît au cours de la même année. Elle sera rééditée en 1969. MAIMO publie ensuite une intrigue politique en 1966 ; The mask. En 1982, il publie une nouvelle intrigue politique qui porte le titre de Succession in Dirakou. La première pièce de MAIMO est publiée au Nigéria chez Ibadan University Press, alors que les deux dernières paraissent chez Clé à Yaoundé. Un nombre important de pièces paraît à partir des années 80, donnant une impulsion nouvelle à la production dramatique camerounaise. Concernant l’écriture francophone, elle se manifeste dès les années 1952, avec la pièce de Prosper BENYE, mariage camerounais. De 1960 à 1969 nous assistons à Le un véritable envol du théâtre francophone camerounais. Voyons quels sont les autres précurseurs de ce théâtre d’expression française. 78 D’un point de vue général, trois auteurs sont régulièrement donnés comme étant les fondateurs principaux du théâtre camerounais francophone. Il s’agit notamment de : - Guillaume OYONO MBIA avec Trois prétendants… un mari, dont la première version date de 1960. - Stanislas AWONA avec Le chômeur en 1961. - Patrice NDENDI-PENDA qui donne en 1969 Le fusil. A l’instar anglaise ou des dramaturges allemande, les camerounais hommes de d’expression théâtre camerounais écrivant en français se détournent des langues vernaculaires comme mode de communication et de production dramatique. Ce choix pour l’époque, paraît quelque peu arbitraire, compte tenu du taux d’analphabétisme très élevé, à cette l’époquelà, dans la communauté camerounaise. Ici, seule une petite fraction de la population scolarisée peut accéder aux textes publiés. Clément MBOM observe à ce propos : « C’est un théâtre qui se manifeste par la présence du texte. Les œuvres sont mises en scène et représentées à partir du terroir camerounais pour un public camerounais. Parce que d’un niveau littéraire et linguistique intéressant, les pièces de cette période, si elles ont été primées par Radio France Internationale, n’ont cependant pas drainé des foules. En réalité, elles n’ont attiré que l’élite intellectuelle. »48 Si le théâtre camerounais d’expression française de 1960 à 1969, s’est amélioré du point de vue de la présence effective du texte et des techniques de mise en scène, il tarde cependant à s’épanouir en qualité et en qualité. La seconde période du théâtre camerounais francophone se situe autour des années 1970 et 1979. Elle se caractérise notamment par deux types de création ; il y a, en effet d’un côté le théâtre que l’on peut qualifier de conventionnel, c’est-à-dire un théâtre qui s’appuie sur des textes écrits ; 48 - MBOM Clément : Op. Cit. p. 146. 79 et de l’autre, un autre type d’expression dramatique où l’écriture est très peu mise en avant. Cette nouvelle forme d’expression théâtrale constitue aujourd’hui la forme la plus populaire des univers dramatiques d’Afrique Centrale ; il s’agit des formes dites de « Télé-théâtre » ou de « Vidéothéâtre ». Les premiers textes camerounais représentés en langue française sont l’œuvre notamment d’Abel ZOMO BEM qui écrit en 1974 Le moule cassé. En 1976, Daniel NDO, plus connu aujourd’hui sous le nom de scène d’Oncle Otsama Mbor Bikyé, écrit Le mariage de Folinika. En 1979, L’homme ‘’bien’’ de là-bas est écrit par Dave K. MOKTOI. La particularité de ce théâtre, comme l’a si bien noté Clément MBOM de l’Université de Yaoundé, est qu’il aspire à une véritable innovation tant dans ses modes d’expression que par ses techniques de représentation. Ce que dramaturgie effet l’on peut camerounaise contre les d’inspiration camerounais déjà d’expression productions occidentale). est un voir mélange comme française antérieures La nouvelle insolite la des nouvelle réagit (trop ère en souvent du théâtre aspects de la dramaturgie occidentale et des données et des faits de la tradition et des cultures orales africaines. Les textes s’encrent sur le vécu quotidien ou historique des populations à travers lequel le public peut se reconnaître. A l’instar des productions anglophones des années 60, la production francophone camerounaise des années 1970-1979 privilégie une thématique d’inspiration essentiellement sociale. Car les enjeux de ce théâtre en pleine modernisation portent essentiellement sur la conscientisation du public, en touchant au plus près la vie des populations. La tonalité est, là aussi, généralement comique, car comme le définit l’universitaire Clément MBOM, « c’est un théâtre qui illustre le ‘’castigare ridendo mores’’, 80 corriger les mœurs en riant ». C’est que de tous temps, le théâtre a toujours utilisé le rire pour critiquer et condamner les travers de la société ou des responsables de communautés. Le second aspect de la production dramatique camerounaise en langue française se rapporte à la production écrite et publiée. Cette production s’est développée en deux phases ; la première va de 1973 à 1978, tandis que la seconde se situe de 1980 à nos jours. Concernant la première période, celle-ci voit la parution en 1973 aux Editions Clé de Yaoundé, de Daïrou IV écrite par Adamou NDAM NJOYA. En 1974, toujours chez Clé, paraît Politicos de Jean MBA EVINA. Quant à Africapolis qui paraît en 1978 aux Editions Semences Africaines, il est l’œuvre de René PHILOMBE. A travers ces différentes productions, les jeunes auteurs camerounais portent sur la vie politique camerounaise un regard sans complaisance, tout en proposant une vision nouvelle et différente de la société. En réagissant contre les institutions politiques, le jeune théâtre manifeste un réel besoin de recréer d’autres schèmes de pensées applicables dans un monde en pleine évolution. Les années 80 à 90, période la plus prolifique, se caractérise par une recherche plus appuyée au niveau de l’écriture. Concernant les sujets abordés, aucune thématique n’est négligée ; dramaturges car sous bénéficient le couvert d’une plus de la fiction, les grande liberté de mouvement dans la mise en scène de leur société. Si la quantité est encore loin d’être vraiment importante, la qualité quant est à elle, assez satisfaisante. Et comme l’a écrit Clément MBOM, « C’est vraiment le théâtre camerounais en voie de rénovation. En effet, cette nouvelle dramaturgie, tout richesses camerounaises, l’action, ce qui en allie constitue la 81 englobant l’essentiel magistralement pierre le angulaire des récit du à vécu camerounais et négro-africain. C’est un théâtre issu d’un double héritage africain et européen fait de techniques éprouvées. »49 En somme, la nouvelle production dramatique se distingue des œuvres des premières années aussi bien dans les formes que dans les choix techniques et matériels de mise en scène. Cette nouvelle production semble mieux maîtriser l’objet dramatique. Ce théâtre semble par ailleurs rencontrer l’adhésion de toutes les composantes de la société camerounaise. Les œuvres qui ont marquées cette seconde période de production sont notamment Guédo de Jacqueline (HENRI) LELOUP avec la compagnie du théâtre universitaire en 1984. Puis en 1985 il y a eu L’Homme-Femme de Protais ASSENG. En 1987, Gervais MENDOZE publie Boule de chagrin et La forêt illuminée50. Cette période de production, assez prolifique, voit également l’émergence de nouvelles publications dont nous ne donnerons pas ici un inventaire exhaustif. C- Au Gabon : Le théâtre d’inspiration moderne au Gabon, voit le jour d’un point de vue général, autour des années 1930, comme ce fut souvent le cas dans cette région du Bassin du Congo. Et comme dans missionnaires œuvres à situations toute cette catholiques caractère vécues plus par région, et ou il est protestants. moins les profane, communautés l’œuvre Les des premières inspirées des locales, ou d’inspiration historique, vont quant à elles émerger à partir des années 1950. Mais c’est au cours des premières années de 49 - MBOM Clément : « Le théâtre camerounais en pleine mutation », Notre Librairie – Littérature Camerounaise – 1- L’éclosion de la parole ; n° 99, Octobre-Décembre 1989, p.147. 50 - MENDO ZE Gervais : La forêt illuminée, suivie de Boule de chagrin ; Paris, Editions ABC, 1988. 82 l’indépendance du pays que le fait théâtral va véritablement prendre son essor. Au moment de son éclosion, le théâtre gabonais est essentiellement constitué de courtes pièces données dans les langues locales sous la forme de sketches. Parmi ces premières productions, on retiendra notamment Le débarcadère de la Nyanga, Le chapeau du Préfet, Le mariage sans dot, ou encore Minuit textes est sous le qu’elles La fromager. sont l’œuvre particularité collective de d’un ces groupe souvent composé par les acteurs qui jouaient eux-mêmes dans la pièce, mais aussi par quelques amateurs extérieurs, tous animés par l’amour du jeu, ou bien motivés par la fonction didactique que pouvait revêtir l’œuvre théâtrale, dans un contexte où la rencontre des cultures suscitait encore des situations de conflit au sein des familles, ou dans des communautés plus élargies. Au cours de cette période de balbutiement, le fait théâtral est pris en charge par la toute jeune Direction Nationale du Centre Culturel, ayant à sa tête Anastasie FATOU, et un membre de la congrégation catholique des Pères du Saint-Esprit, le Père René LEFEBVRE. Sous l’impulsion de ces deux personnalités, la troupe du Centre Culturel présentera entre autres pièces ; Ré-Nkoula (le sorcier qui joue des tours au diable), Ntchèmbo-yi-David (l’adultère de David). Le contenu de ces pièces est volontairement orienté vers une certaine forme de prosélytisme, car les populations restaient toujours attirées par les croyances traditionnelles. L’évolution vers un théâtre moderne et détaché des liens de la religion ne se fera qu’à partir des années 1965, lorsque Vincent de Paul NYONDA est désigné comme Ministre des Affaires Culturelles. Cette période voit l’émergence d’une pléthore de troupes, aussi bien dans les milieux scolaires qu’au sein des entreprises. Les 83 meneurs de ce mouvement d’éclosion sont notamment NDONG Damas ; auteur, acteur et metteur en scène. Sa pièce intitulée Le Procès de Dieu, fait une sortie première remarquable fois à la lorsqu’elle télévision est donnée gabonaise. pour Dans le la même contexte, Ferdinand ALLOGHO-OKE, Bonaventure KASSA-MIHINDOU, Joséphine KAMA-BONGO, Albert-Bernard BONGO, Brice MEZUI- NDONG, Jean MBOUMBA-KOMBILA, et bien d’autres, produisent des pièces qui rencontrent un réel intérêt de la part du public, tant dans pays, où heureux les grands centres les villageois et de retrouver des urbains les qu’à l’intérieur populations aspects rurales de la du sont culture traditionnelle. En 1966, en vue de préparer le Premier Festival des Arts Nègres de Dakar, le nouveau Ministre de la culture procède à la sélection des meilleurs acteurs ; ainsi naît la troupe du Théâtre National du Gabon qui sera chargée de porter les couleurs de la Nation au cours des différentes manifestations culturelles à travers le monde. 84 DEUXIEME TRADITIONNELLE PARTIE : DANS D’AFRIQUE CENTRALE. 85 LA LE SOCIETE THEATRE CHAPITRE III : ORGANISATION DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE : LES STRUCTURES SOCIALES ET POLITIQUES La diversité démographique de l’Afrique subsaharienne offre à l’observateur extérieur, peu attentif, une vision d’unicité culturelle et civilisationnelle, d’où naissent des opinions parfois subjectives. Il n’est pas rare en effet, d’entendre dans les médias ou dans des rencontres à caractère culturel ou l’Afrique scientifique, comme d’« un certains pays ». occidentaux Dans parler l’entendement de de ces individus, on perçoit l’image d’une unité territoriale et géographique, communauté qui des se ramènerait usages et des à unité linguistique ; traditions, unicité de conditions, etc… Bien souvent, et à tort, en effet, on applique à ce vaste continent - plus grand que l’Europe et certainement plus peuplé - une sorte de schéma réducteur et globalisant qui ignore ; peut-être à dessein, la variété et la richesse culturelle et civilisationnelle qui confèrent à chaque peuple africain un ensemble spécifique de traditions, d’us et de coutumes, différents d’un espace à un autre. De ce point de vue, il nous paraît maladroit, même hasardeux de traditionnelles voir par bantoues exemple d’Afrique dans les centrale, une sociétés sorte de prolongement, ou la réplique de la communauté mandingue du Fouta-Djalon. L’un ethnolinguistiques et se l’autre distinguent de autant ces à groupes travers leurs structures politiques que par rapport à leurs usages sociaux. La société système de malinké castes dont la s’oppose structure de manière est fondée évidente, sur un dans la pratique, à la société fang où l’organisation structurelle ne présente nul forme de sectarisme au sens où par exemple, les griots sont les vassaux des castes supérieures, qui elles- 86 mêmes méprisent par ailleurs la caste des forgerons. Entre ces différentes castes, il n’y a par exemple aucune possibilité d’échanges matrimoniaux. Pourtant, si l’on rencontre chez les Bantou une sorte de stratification de la structure sociale, celle-ci s’exprime fondamentalement type castes de manière griottiques éclectique. ou Des forgeronnes phénomènes tels qu’ils du sont vécus chez les mandingues y sont inconnus. Sans appartenir à une confrérie ignore la exclusiviste marginalisation spécifique, sectaire qui le forgeron peut être bantou liée à l’exercice de son métier sous d’autres cieux. Il est ici un personnage important au sein de la communauté. Indispensable, son activité est capitale pour la bonne marche de l’économie ; il fabrique des outils et des armes nécessaires à sa communauté. Il y bénéficie des mêmes droits, y est soumis aux mêmes devoirs politiques et économiques, aux mêmes impératifs sociaux et culturels. Il est admiré et respecté du fait de son seul génie, de son savoir-faire. Les alliances et les échanges interclaniques ou intercommunautaires sont régis par d’autres raisons, d’autres lois qui ne mettent pas en exergue l’appartenance à un groupe spécifique. Seul le lien du sang, qui se traduit par différentes formes de filiations, peut empêcher la contraction d’une alliance matrimoniale. La volonté de préserver et de faire valoir les systèmes de filiations peut produire des situations singulières, allant parfois jusqu’au ridicule. Certains auteurs ont de ce fait évoqué la nécessité d’actualiser en Afrique, la question, en lui donnant aussi bien un fondement juridique qu’une assise véritablement objective par rapport aux motivations réelles qui justifient la proscription des unions consanguines, car c’est de cela qu’il est question, dans l’interdiction faite de se marier à l’intérieur de sa tribu ou de son lignage. Le refus des anciens choses se heurte de voir changer régulièrement 87 au l’ordre besoin séculaire exprimé par des la jeunesse d’assouplir certaines coutumes, voire d’abroger tout simplement celles qui leur paraissent les plus rétrogrades. C’est, dans Trois prétendants…un mari51 de Guillaume OYONOMBIA, le point d’orgue de la querelle qui oppose la jeune génération groupée autour de Juliette, aux anciens menés par son grand-père. laisser Pour Juliette mieux choisir expliquer son futur l’impossibilité époux, le vieil de homme invoquera une très lointaine parenté avec le prétendant de sa petite-fille. Si dans l’ère géographique bantou – comme chez les mandingues d’ailleurs - le travail de la forge est accompagné d’un certain nombre de rituels et entouré de tabous et d’interdits, cela n’est pas toujours lié au fait d’appartenir à une caste, ni même parfois à une quelconque religiosité. Ces rituels entrent dans l’ordre des croyances, souvent empiriques, se rapprochant de ce que l’on pourrait comprendre comme une sorte d’observation du code de déontologie des métiers de la métallurgie. Un vieux forgeron fang du expliquait nord du en accompagnaient Gabon effet son (probablement que métier, les le dernier), interdits avaient pour qui but nous jadis principal d’obtenir une meilleure concentration psychologique, pour un rendement physique optimal. Et avec une certaine pudeur, il finissait par nous avouer qu’on fabriquait les plus beaux objets cette lorsqu’on s’abstenait « ‘’activité’’ était de aussi tout contact épuisante sexuel, qu’essayer car de rattraper à la course une jeune gazelle ». Et à la question de savoir de qui tenait-il son métier, il nous dit l’avoir appris auprès d’un forgeron venu du Cameroun voisin, et qui avait épousé sa sœur. Ici donc, contrairement au forgeron malinké qui reçoit son métier en héritage (le fait de naître fils de forgeron ne 51 - OYONO-MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions Clé, 1975. 88 propose, ou n’admet aucune autre alternative que celle de travailler les métaux), le forgeron bantou choisit son métier ; il y accède par vocation (il y a en effet une sorte d’appel intérieur à l’envie de créer ; une fascination devant la transformation d’un simple lingot de fer en quelque chose de différent, d’utile), ou par nécessité. Le contexte social – situation de conflit ou disparition d’un vieux forgeron – peut très bien justifier le choix, pour un jeune apprenti, son désir de succession, la nécessité de combler le vide laissé par son prédécesseur. On a donc d’un côté, l’obligation due à la naissance ; à la « race », ainsi que l’a si bien exprimé le Guinéen Camara LAYE, dans son chef-d’œuvre autobiographique, L’Enfant Noir ; et de l’autre côté, un besoin purement individuel, dont l’aspect matériel constitue le véritable motif. C’est donc la raison économique ; en d’autres termes l’attrait du profit, qui conditionne le futur forgeron bantou, au-delà même de la fascination que représente tout le processus de fusion, et de transformation des métaux en objets usuels et précieux. A travers le théâtre de Tchicaya U TAM’SI, de NYONDA, de MENDO-ZE, de LABOU TANSI ou d’OWONDO, nous allons explorer les multiples d’Afrique occurrences centrale ; mettre des en sociétés évidence anthropologiques, et leur organisation apparaissent la plume de sous ces traditionnelles leurs structures telles auteurs, et qu’elles de bien d’autres. Nous en établirons la configuration des cercles de décisions politiques, l’agencement des microcosmes sociaux et économiques. 89 3. 1 – Les structures politiques : En tenant compte de la diversité ethnique et linguistique qui définit la population africaine, la question de l’organisation politique des sociétés apparaît comme le reflet de la multiplicité des cultures qui caractérisent le Continent Noir. Dans ce florilège de formes et de structures, il est parfois difficile de déterminer les zones et les limites d’influence de tel ou tel type de système. Dans ce cas, il n’est pas rare en effet voir deux ou plusieurs types d’organisations politiques se côtoyer ou se croiser dans une même région, ou dans un même groupe ethnolinguistique. A travers son Zulu, Tchicaya U TAM’SI donne à voir non seulement le fabuleux destin d’un homme, mais aussi tragédie d’un peuple ; celle qui va se jouer autour la de l’épique conquête du territoire sud africain, à travers la naissance puis la chute du royaume zoulou, dont Chaka semble incarner aussi bien la force positive et exaltante, que l’outil pernicieux qui conduit à la défaite, à l’échec. Aujourd’hui, pouvoirs en politiques dépit qui de la multitude caractérisent de encore formes de l’Afrique traditionnelle, on peut noter que la structure dominante dans la majorité des cas, reste la structure villageoise. A ce propos, Catherine COQUERY-VIDROVITCH observe que « le village n’était pas un lieu égalitaire. C’est évident pour un village indien – casté -, mais c’est aussi vrai de la collectivité rurale africaine. Si elle comporte plusieurs lignages, ceuxci se répartissent entre lignages forts et lignages faibles ; si elle ne comporte qu’un seul lignage, celui-ci implique des lignées d’ « aînés sociaux » : on ne naît pas nécessairement « aîné », on le devient par tout un système d’échanges, de liens matrimoniaux, etc., et par l’âge. »52 Nous pouvons lire 52 - COQUERY-VIDROVITCH Catherine : Afrique Ruptures, Paris, L’Harmattan, 1992. p.69. 90 Noire. Permanences et l’une de ces formes de structures de pouvoir dans la plupart des textes de notre corpus. Ainsi la position dominante exercée par le chef Atangana dans Le Train Spécial de son Excellence de OYONO MBIA tient plus du fait de sa position d’aîné social que par tout autre facteur exogène à la structure et à l’organisation clanique. On peut observer le même phénomène chez NYONDA, à travers Le Combat de Mbombi ; ou encore dans La Mort de Guykafi ; Le Roi Mouanga ; Deux Albinos à la Mpassa ; et aussi dans Bonjour Bessieux. A travers ces différentes histoires nous pouvons observer des chefs de communautés qui sont d’abord des chefs familles. Leurs situations d’aînés sociaux les dispose systématiquement à la position et au rôle de chef dans le village, ou plus largement dans le groupement, ensemble plus élargi, constitué par plusieurs communautés. La stabilité (relative aujourd’hui) de ces modes d’organisation politique ne laisse pas de surprendre les observateurs extérieurs ; c’est que les coutumes et les traditions ont permit depuis l’aube des temps de fixer les choses. Et le respect du droit d’aînesse et de la personne âgée est l’un des principes directeurs de la vie sociale de ces peuples, où les tabous et les interdits ont façonné les comportements et les mentalités. En somme, d’organisation la coexistence politique des laisse différents apparaître une modes nette prépondérance de la structure politique villageoise. Celle-ci reste en effet très importante, et assez représentative des sociétés traditionnelles africaines à plusieurs titres. Dans autour de société. véritable un la premier cellule Ensuite parce stabilité temps, parce qu’elle familiale, socle qu’elle suppose institutionnelle, de la se toute construit forme garantie corrélative de d’une au caractère strictement hiérarchisée de la famille africaine. La structure politique villageoise est représentative de la société traditionnelle africaine car elle est l’expression 91 d’un vaste et complexe réseau de parentés et d’alliances multiples, où les individus sont liés les uns aux autres par des attaches, des conventions dont les origines se perdent parfois aux confins de l’histoire même des groupes. Dans cet ordre d’idées nous pouvons parler des systèmes de filiation et des lois qui régissent l’institution du mariage telles que la notion de consanguinité et du système de circulation de la dot, qui se donnent à saisir dans les textes de notre corpus. D’abord, revenons aux différents systèmes de filiation en présence dans les différents textes observés. Ainsi la première scène de l’acte I de la Mort de Guykafi s’ouvre sur un dialogue entre le jeune Mombina et l’Ancien du village : - L’Ancien.- La chasse a été bonne, Mombina mon enfant ? Tu es le digne fils de ton défunt père ; de la chasse tu ne reviens jamais bredouille ! - Mombina.- Oui, j’ai pris cette gazelle ; mais j’en ai manqué une de belle taille. - L’Ancien.- Si tu as manqué ton gibier, mon fils, c’est que ton esprit n’était pas à la chasse. Mais je sens dans ta voix une certaine préoccupation. Jamais un chasseur comme toi, habitué aux grandes courses de chasse ne revient fatigué comme tu parais l’être. As-tu des soucis ? Depuis que ton père n’est plus, je suis le plus ancien de ce village et tu peux te confier à moi ; j’essaierai de te conseiller comme ton père le faisait autrefois pour nous tous. - Mombina.- Père, donne-moi à boire53. Ce que nous voulons mettre en exergue dans ce passage, c’est la mise en place d’un des aspects du système de filiation tel que nous allons assez souvent le rencontrer à travers la plupart des textes de notre corpus. Si l’on considère cette vision africaine de la paternité qui veut qu’un enfant 53 ‘’appartienne’’, non pas - NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; Paris, L’harmattan, Coll. Encres Noires, 1981, p.11. 92 toujours à son géniteur, mais à celui qui l’a élevé, la relation qui s’établit entre Mombina et l’Ancien préfigure déjà cet état de fait. En effet, les dénominations « père » et « fils » que se donnent les deux personnages doivent être vues, non pas comme de simples vocables destinés à meubler la conversation, mais bien comme l’expression d’une réalité sociale ; la manifestation d’un trait culturelle qui va audelà de la simple formule de politesse. Il s’agit ici d’une situation réelle où, à l’intérieur de la communauté, du clan ou du lignage, les liens qui unissent les classes d’âge équivalent aux relations parents/enfants. IL est à noter ici que la notion de famille prend un caractère plus large, car elle concerne, non plus la cellule de base, mais le groupe ; la communauté ou le clan. A côté de ces systèmes de filiation qui peuvent s’établir à l’intérieur des grands groupes que constituent les ensembles communautaires, un autre type de filiation apparaît ; celui-ci concerne la cellule plus étroite de la famille. On peut dans ces circonstances, parler de filiation patrilinéaire, ou de filiation matrilinéaire. Dans les sociétés traditionnelles d’Afrique centrale, ces deux systèmes existent, on peut notamment les observer autant chez NYONDA que chez OYONO MBIA. D’abord chez NYONDA, nous apprenons dans la scène II de l’acte premier54, que c’est De Nzambi, oncle de la belle Maroundou, qui est chargé de régler la question concernant son mariage. Cet matrilinéaires, appartiennent à où la état les de fait enfants tribu de la est typique d’une des femme, mère. Dans sociétés même ces mariée, types de filiations, le père géniteur n’a aucun droit sur ses enfants, car l’oncle maternel se substitue à lui, et endosse les droits et les devoirs inhérents au statut du père. Une telle situation 54 apparaît explicitement - Idem, p.14. 93 aux pages 16 et 17 du texte55, où Guykafi d’un côté, et Maroundou de l’autre, parlent de leurs oncles respectifs. L’un, Guykafi, s’en remet à l’autorité de son parent, afin de conclure le rite du mariage après le rapt de la future mariée : - (…) Guykafi.- … et dès que mon oncle sera là, nous procéderons au mariage ! De l’autre côté, Maroundou nous apprend que c’est auprès de son oncle, où elle vit, qu’elle a rencontré l’élu de son cœur : - Maroundou.- …j’avais déjà désiré ce bel étranger alors de passage au domicile de mon oncle De Nzambi. Lorsque, plus tard, à la page 19, Maroundou évoque la mort de son père, c’est une information qu’il faut lire sur un double niveau. Si la mort du père constitue en effet un fait réel ; avéré pour cette jeune femme, cette mort, ou plus encore cette absence du père reste également un fait symbolique. Cette situation vient conforter la place, et le rôle très marginal que la matrilinéaires. personne C’est le du père cas des joue dans peuples les sociétés Punu, auxquels appartiennent les protagonistes de notre histoire. En effet, même lorsque celui-ci est en vie, les droits du père mais aussi ses devoirs restent assez limités par rapport à la vie de ses enfants ; il est même tout à fait inexistant. Le rôle du père est tenu par l’oncle maternel ; c’est donc à celuilui qu’appartient la décision de sceller l’union entre Maroundou et Guykafi. En cas d’opposition de sa part, le mariage pourrait bien être compromis. Et dans la tradition de nombre de peuples bantou en général, il faudrait engager des négociations qui, dans tous les cas, mettent la personnalité 55 - NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; Paris, L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981. 94 de l’oncle en avant scène, et en position de force vis-à-vis de la famille du futur époux de sa nièce. Au contraire des sociétés matrilinéaires que nous avons rencontré travers MENDO chez des ZE, NYONDA, auteurs fait le comme aussi théâtre d’Afrique OYONO-MBIA, état, U entre centrale, TAM’SI ou autres à encore réalités socioculturelles, du système de filiation patrilinéaire. Dans les communautés traditionnelles où l’organisation des cellules familiales fonctionne sur le mode de la filiation au père (filiation patrilinéaire), les enfants nés dans un couple appartiennent à la tribu du père. C’est donc celui-ci qui est chargé de l’éducation de sa progéniture ; c’est le père qui fixe les règles de base de la conduite sociale et culturelle au sein de sa famille. Aussi, lorsqu’il s’agit de décider du mariage de la jeune Juliette, c’est à son père et aux hommes de clan que revient la charge de choisir parmi les différents prétendants, celui qui répond le mieux aux aspirations, non pas de la future mariée, mais aux desiderata des hommes de la famille. Les femmes du clan pour leur part, entièrement soumises à la coutume, mais surtout à la volonté masculine, ne voient que le prestige lié à une telle union. Ici tout est mis en place pour amener la jeune fille à se soumettre, et à accepter le choix effectué par ses parents. Le premier acte de la pièce est presque entièrement consacré aux questions matérielles liées à l’union éventuelle entre Juliette et Mbia, le fonctionnaire qui vient demander sa main : - Bella : (fièrement) Un vrai blanc ! Ma petite-fille Juliette va épouser un vrai blanc !... Ah Nane Ngôk ! - Matalina : (qui voudrait bien être à la place de Juliette) 95 Quelle chance ! Ma cousine est vraiment née avec une étoile sur le front ! Epouser un homme si riche ! E é é é ! la veinarde ! Elle aura bientôt des tas de robes, des jupes en tergal, des perruques blondes elle aura tout jamais Ondua : (sentencieux) de Ah Atangana, te faire mon frère ! accorder un Voila fusil l’occasion sans toutes ou les complications d’usage ! - Abessolo : (très vite) Oui, ne rate pas une telle occasion ! Tu sais qu’on te fait subir de longues attentes chaque fois que tu te présentes devant les bureaux administratifs ! Maintenant que tu auras un si grand homme pour gendre, je parie que tous les fonctionnaires de Sangmélima s’empresseront de te servir ! -(…) - Atangana : Vous avez raison tous les deux, mais vous semblez oublier l’essentiel : qu’est-ce que le fonctionnaire nous apporte comme argent ? Si c’est moins que les cent mille francs de Ndi, comment ferai-je pour rembourser la première dot ? Et qu’est-ce qu’il me restera en poche ? Bella : - Ah ka, mon fils ! Il apportera beaucoup d’argent, c’est moi qui te le dis ! De mon temps… Matalina : (parlant peut-être d’expérience) - Un vrai fonctionnaire ne va pas rendre visite à une femme sans s’être au préalable muni d’une forte somme d’argent. - Ondua : (qui n’oublie jamais le principal) Il faut surtout qu’il nous apporte à boire ! Des choses fortes !56 Au-delà de l’intérêt culturel que comportent les textes que nous avons choisis d’explorer, il faut rechercher les différents projets d’écriture 56 qui sous-tendent la - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari ; Yaoundé, éditions Clé, 1975, p.16 et 17. 96 production littéraire africaine, et essentiellement les objectifs poursuivis par les auteurs dramatiques. Une observation globale permet de relever que la presque totalité des textes de notre corpus portent sur la critique sociale. Les questions abordées vont en effet des avatars du mariage traditionnel, à la pratique de la dot ; et dans une large mesure, à ce qu’il est convenu de désigner comme une chronique politique. Comme nous l’avons vu, des motifs souvent invoqués dans les familles perception pour de donner la leurs dot filles ainsi en que mariage, les la alliances intercommunautaires constituent les principales raisons qui orientent le choix des parents. L’usage de la dot est une pratique commune à tous les peuples d’Afrique. Son usage, sa composition ainsi que ses différents modes de circulation varient cependant d’un groupe à un autre. En effet, l’ensemble des populations du bassin du Congo a toujours eu recours à la dot pour conclure les unions matrimoniales. D’une manière générale, il appartient au futur marié et à sa famille de réunir les différents éléments qui rentrent dans la composition de cette dot. Celle-ci avait à l’origine valeur de symbole à plus d’un titre. Dans un premier temps, la dot était le signe du sérieux de l’engagement que l’on prenait. C’était surtout le symbole de la responsabilité du prétendant, mais également la manifestation d’une certaine aisance sociale du futur marié, et en dernier recours seulement, la preuve, sinon des sentiments que l’homme portait à sa future épouse, du moins le signe de sa volonté de s’unir à celle-ci. D’une grande valeur symbolique, la dot était souvent composée d’objets d’usage courant, mais aussi de bien transmissibles ; elle comprenait en général des lingots de fer, des défenses d’éléphant, des bracelets et des colliers de cuivre, des tissus de raphia, et de peaux de panthère. 97 Si les lingots de fer étaient parfois destinés à la fabrication d’outils à usage domestique, ils servaient aussi à forger des armes pour la chasse et pour la guerre. Parmi les objets qui constituaient la dot, les lingots de fer remplissaient une fonction sociale au sein des communautés traditionnelles. Le mariage qui était l’occasion de nouer des alliances entre les tribus et les clans, se conclut encore aujourd’hui, à travers l’échange de présents dont la valeur, nous l’avons dit, était essentiellement symbolique. Au-delà de la valeur matérielle que représentait le fer pour des populations essentiellement rurales, donc agraires, ce métal constituait en quelque sorte une valeur monétaire ; un symbole de richesse et de pouvoir. Le versement d’une dot de fer signifiait en effet qu’on occupait une certaine place au sein de sa communauté, et qu’on était apte à fonder une famille ; à subvenir à ses besoins, et à la protéger. Si répandu la au pratique sein des de la dot populations reste un Bantou, phénomène ses modes très de circulation restent cependant variés. Ainsi, chez les Fang du Gabon, du Cameroun et de Guinée Equatoriale, la dot sert essentiellement à prendre femme. Ici, les jeunes filles sont données en mariage afin que, en échange de la dot qu’elles rapportent, leurs frères, leurs pères ou encore leurs oncles paternels puissent à leur tour, se marier. On comprend donc l’indignation de Matalina lorsque Juliette refuse d’épouser le fonctionnaire qui vient de verser deux cent mille francs à son père. Son frère Ondua se voyait déjà marié avec cette dot. Ailleurs, pour d’autres populations d’Afrique Centrale, la perception de la dot ne signifie pas toujours cette sorte d’échange compensatoire où l’on procède à un remplacement numérique d’un membre du clan par une autre personne, par le biais du mariage. Il s’agit ici de plus en plus, d’un moyen 98 pour les familles d’acquérir des biens matériels dans une forme de troc, où le but visé est l’enrichissement. C’est cette vision de la dot qui lui a donné l’image d’un simple troc ; la femme, ou plutôt la jeune fille, est alors perçue comme une marchandise que l’on échange en contrepartie de biens matériels. Et plus tard, avec l’introduction dans le monde traditionnel de l’argent et des marchandises venues d’Europe, le phénomène a pris les caractères d’un véritable échange commercial. Le mariage perdait ainsi peu à peu toute sa signification sociologique et ethnologique. Il faut en effet se rappeler que les unions matrimoniales constituaient dans les sociétés d’unions entre exclusivement traditionnelles, les à clans tendance et de les véritables tribus. exogamiques Les traités mariages jouaient un rôle éminemment politique même si les clans, et au-delà les tribus et les communautés villageoises, conservaient leur autonomie. Les structures de gestion politique sont ici constituées par le système des classes d’âges ; ce sont en effet les anciens qui gèrent politiquement les communautés, et avec eux, les guerriers, qui sont en fait des auxiliaires du pouvoir politique. Par ailleurs, dans la zone du bassin du Congo, où le Cameroun (essentiellement Congo-Brazzaville géographique et et le dans sa Gabon démographique partie méridionale), forment assez un homogène ; le ensemble où les structures sociales et politiques apparaissent dès le XIXème siècle, comme un système à double tendances, dans les formes de l’exercice politique, un regard sur cette région montre qu’en dépit de la présence de plusieurs types de structures politiques, la structure la plus ancienne et la plus répandue semble y être la « gérontocratie », elle-même fondée sur le lien familial et matrimonial. Si l’autorité des anciens sur les plus jeunes peut apparaître ici comme une véritable dictature, toute forme d’abus et d’injustice y sont cependant 99 proscrite, même si les jeunes observent à l’égard des plus âgés, un devoir de soumission presque servile, renforcée par les nombreux tabous et interdits qui accompagnent la vie du groupe. La gérontocratie est pour ces sociétés à tradition orale, non pas uniquement un mode d’exercice du pouvoir, mais aussi l’un des facteurs essentiels, sinon l’unique, dans le processus de transmission des connaissances ; techniques (fabrication des outils, emploi de substances organiques et végétales utiles religieux, ou traditionnel à la encore et chasse ou médicales. rural dépend la pêche), morales L’enseignement en effet en et milieu entièrement de l’expérience acquise au fil des ans par les seniors, et de ce qu’ils ont eux-mêmes appris auprès de leurs pères. Une constitue politiques, entière le soumission gage à la classe de la pérennité économiques et culturelles des des anciens institutions (des rites et croyances, des us et des coutumes) qui constituent le ferment de l’existence des communautés. C’est que dans tout système d’apprentissage ou d’éducation, on exige du novice non seulement de la rigueur et de la discipline, mais aussi de l’attention et de l’application ; c’est la garantie qu’il pourra assimiler les différents savoirs reçus, et qu’il saura, à son tour, transmettre toute la science qu’il aura reçue des anciens, et perpétuer ainsi les savoirs, l’histoire et la mémoire de son clan, de sa tribu, de son peuple. A propos du pouvoir des anciens, Catherine COQUERYVIDROVITCH observe encore que « L’idée que le conseil de village serait un organe démocratique n’est pas (…) une idée juste : il s’agit bien plutôt d’une gérontocratie, et le chef du village n’ (est) d’avantage qu’un coordinateur : c’(est) le membre le plus influent du lignage dominant. »57 57 - COQUERY-VIDROVITCH Catherine : Afrique Ruptures. Paris, L’Harmattan, 1992, p.69. 100 Noire. Permanences et Si cette observation est fort judicieuse, elle demande toutefois à être recentrée, essentiellement dans ce qui concerne la vision que l’historienne donne du lignage, et par extension, du village lui-même, en tant qu’unité politique. Si cette définition est globalement vraie dans les sociétés qu’elle présente comme « englobantes », c’est-à-dire des sociétés qui demeurent subordonnées à une sorte de pouvoir central (incarné par un chef – un seigneur – une ville), cela est moins probant dans une société où justement le village constitue une entité politique entièrement autonome, où les rapports avec les autres communautés se vivent sur la base d’une absolue égalité. Ce type d’organisation se rencontre particulièrement centrale, où au sein des populations Bantou d’Afrique les influences extérieures sont restées un phénomène parfois marginal (c’est le cas de l’ancien royaume du Congo, et, plus au sud, le royaume du Monomotapa). Les sociétés traditionnelles Fang du Gabon, du Cameroun et de Guinée Equatoriale, les peuples Punu du Gabon, ainsi que plusieurs groupes communautaires de cette région constituent de parfaits exemples de ces sociétés autonomes. Chez les Fang en effet, la structure villageoise est avant tout lignage le unique. fait d’une Ici, la famille notion et par d’aîné conséquent est d’un souverainement exprimée par la naissance. Empreinte de mysticisme et de sacré, le statut de l’aîné va au-delà du simple rôle de chef de famille ou de responsable d’un lignage. Il représente la suprême autorité, mais surtout il incarne la sagesse spirituelle et morale sur laquelle s’appuie la communauté, dans le règlement des conflits, ou dans la gestion du patrimoine économique commun. Sur le plan culturel et religieux, l’aîné peut, toutefois ne présenter aucune disposition particulière et cependant tenir son rang. Son avis est fondamental, mais pas irréfutable ; il reste conscient de la faillibilité de ses opinions ou de ses 101 jugements et concertation délibératif à ce avec qui le titre, en conseil oriente les appelle des sages, débats dans toujours sorte le à la d’organe souci de la justice et de l’équité. Son rôle se confond ici à celui de chef de village qui est, dans le cas des peuples Fang, une sorte de représentant du clan ou même de la tribu, lors de certaines circonstances – exceptionnelles - où celle-ci est engagée ; ce n’est donc pas toujours l’affaire du plus âgé, mais une exigence liée à la valeur intrinsèque de l’individu. Le rôle de chef est confié par le patriarche à celui de ses fils dont le comportement et la relation à autrui sont jugés dignes et convenables. Il n’est donc pas nécessairement le fils aîné. Dans des sociétés – disons-le - prioritairement phallocratiques comme les sociétés Fang, Punu, Téké, Bassa, etc., le rôle de chef a parfois été confié à des femmes (natives du clan), au détriment des fils défaillants ; mais cela reste des situations assez rares, puisque d’une manière ou d’une autre le vide est toujours comblé, par la désignation d’une personne extérieure, mais dont le lien de filiation souvent au deuxième degré (un neveu par exemple), lie celui-ci au groupe. Dans tous les cas, l’aîné est celui-là qui, à sa mort, est destiné à prendre place dans le cercle restreint des mânes des ancêtres, même si de son vivant, il ne se sera particulièrement pas distingué ni comme guerrier, ni par la possession de biens matériels abondants, ni par une importante progéniture qui chez les Fang, constitue la plus grande des richesses. Le rôle de l’aîné, qui se confond à celui de chef peut donc échoir, par défaut, à tout individu membre du lignage. Les femmes en sont exclues non pas par faiblesse, mais parce que, destinée au mariage donc à quitter la cellule familiale, aucune responsabilité engageant la communauté ne peut lui être confiée. Les peuples Bantou considèrent la femme non pas 102 comme une simple génitrice, dont la seule « utilité » est de pérenniser le lignage ou la tribu, mais aussi et surtout comme le véritable socle sur lequel repose la tribu tout entière, au-delà même du noyau familial. Véritable enjeu politique autant qu’économique, la femme est dans l’univers bantou celle pour qui on déclare la guerre au clan ou à la tribu voisine, ou celle grâce à qui on peut conclure un traité de paix. Vincent de Paul NYONDA le montre fort bien dans pièce intitulée La Mort de Guykafi.58 Plus tard, avec le développement du commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques, une nouvelle classe changeant ainsi d’individus les fait facteurs bientôt déterminant son la apparition, place et le statut de l’individu au sein de sa communauté. Au contact des négriers et autres marchands occidentaux en effet, des mutations considérables apparaissent dans les mœurs et dans les processus d’affirmation de l’homme à l’intérieur de son groupe, mais surtout dans sa relation avec l’autre, ou avec son environnement. (étoffes, outils et La possession ustensiles en d’objets métal, manufacturés armes à feu et toutes sortes d’objets de pacotille), la volonté de puissance et le besoin de domination, introduisent bientôt dans ces sociétés jadis tournées vers une économie de subsistance et de préservation des ressources et de l’environnement, une nouvelle manière d’être, mais surtout des critères nouveaux sur l’échelle des valeurs morales, économiques et sociales ; « l’homme n’est plus par ce qu’il est, mais par ce qu’il possède. » L’homme, en effet, n’est plus reconnu par ses qualités morales et humaines, mes à travers la quantité de biens accumulés. L’accumulation de biens matériels semble en effet s’être érigée en valeur essentielle, au détriment des valeurs humaines que sont par exemple la solidarité et la 58 - NYONDA Vincent de Paul : La Mort de L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981. 103 Guykafi ; Paris, Editions justice. Les naissance changements à une observés société vont hybride, à terme, partagée donner entre les structures anciennes et la nouvelle donne issue des systèmes d’échanges entre africains et européens. Dès lors, la position sociale de l’individu est plus que jamais tributaire de la valeur de ses biens, alors que la tradition de l’âge était vouée à la perdition ; à l’abrogation. A propos MBOKOLO note inchangée ; de que ces nouvelles « La cependant, élites structure au cours sociales, socio-politique de la deuxième Elikia restera moitié du siècle, le pouvoir ne se trouvait plus entre les mains des ‘’anciens’’ mais entre celles des gens les plus respectés et les plus puissants, ayant accumulé les produits d’importation. »59 A l’aube du XIXème siècle donc, c’est cette catégorie d’individus qui va prendre de plus en plus d’importance tant du point de vue économique que politique. Avec ces nouveaux potentats, l’Afrique allait-elle amorcer un nouveau retour vers son glorieux passé (dont témoignent les anciens grands Empires du Mali, les Royaumes du Kongo et du Monomotapa, le grand Royaume Zoulou du sud de l’Afrique…) ? La réalité va cependant montrer individualistes la de difficile l’occident adaptabilité aux usages des valeurs traditionnels ; communautaires des africains, mais surtout que les nouvelles élites politiques n’ont rien des souverains idéalistes des temps anciens. Leur culpabilité dans la déportation de millions de leurs congénères, et plus tard dans, l’occupation coloniale de l’Afrique individus, comme africaine. Autant les que sont des véritables les faits qui moteurs de négriers venus donnent la ces tragédie d’Europe, les marchands africains portent la responsabilité de ce qui peut être vu aujourd’hui comme l’un des plus grands traumatismes 59 - MBOKOLO Elikia : Afrique Noire. Histoire et Civilisations. Tome II, XIXème – XXème Siècle. Paris, Hatier – A.U.P.E.L.F., 1992. 104 vécus par l’humanité. Les œuvres littéraires des congolais Sony LABOU TANSI (son théâtre aussi bien que son roman) et Tchicaya U TAM’SI traduisent avec force et émotion le drame né de la volonté de puissance économique et d’expansion territoriale des empires coloniaux français et anglais, ainsi que de la soif de pouvoir qui va par la suite animer les hommes politiques africains, héritiers eux-mêmes d’une idéologie basée sur le culte de la personnalité, le profit et l’individualisme. Si les personnages du théâtre de Sony LABOU TANSI vivent ouvertement leur volonté de puissance, dans Le Zulu de Tchicaya U TAM’SI, autrement, car Chaka que apparaître une forme de pathologique, de les l’on découvre névrose conquérir choses liée Nobamba, se peu à et à son de présentent peu laisse désir soumettre quasi à sa volonté toutes les cités zoulou encore libres. Quoique l’Afrique peu connues, précoloniale les ont de structures toute sociales évidence, de subi l’influence des facteurs économiques venus d’occident, créant de profonds bouleversements au sein des communautés traditionnelles. En somme, l’organisation politique des sociétés traditionnelles restait peu homogène. Et dans cet état de fait, on mesure bien la fragilité des nouveaux systèmes, qui, loin de servir de ciment entre les différentes couches sociales, étaient plutôt source de désaccords de convoitises, de frictions, d’abus et de manipulations en tous genres, ainsi que le souligne fort judicieusement John ILIFFE dans son ouvrage Les Africains. Histoire d’un Continent : « Les lignages segmentaires où l’ordre reposait sur la menace de représailles, existaient principalement parmi les peuples pasteurs (…). Les villages autonomes de pionniers étaient plus répandus : Homme » dont ils les étaient qualités dirigés soit personnelles par un « Grand s’imposaient aux parents et clients, comme ce fut souvent le cas dans les 105 forêts camerounaises, ou bien par le descendant direct d’un pionnier (…). »60 Si le propos de John ILIFFE semble parfois situer une telle organisation déterminées, c’est dans des zones géographiques que les limites mêmes des très aires mal de colonisation territoriale des populations concernées restent encore à cette époque, l’observe aussi Hélène colonial de redistribuer l’Afrique les assez mobiles. d’ALMEIDA eut – pour populations au D’autant TOPOR, « Le conséquence sein de que comme découpage majeure nouvelles de unités politiques. La répartition d’un même peuple entre plusieurs territoires impliquait une rupture de son unité culturelle et l’évolution de chaque rameau dans des cadres différents, en fonction des diverses métropoles dont il relevait désormais. A l’inverse, était regroupées dans une même colonie souvent créée de toutes pièces, des populations d’origines diverses, sans tenir compte de leur passé et des inimitiés profondes qui pouvaient exister entre elles. Des mesures de répression forcèrent les récalcitrants à se soumettre. Dès lors, les sociétés furent obligées, pour survivre, de s’adapter aux données nouvelles. »61 Les oppositions du point de vue de la cohabitation étaient donc notoires ; mais pour l’essentiel, les fondements culturels restaient les mêmes, à quelques variantes près. Ils pouvaient en effet s’exprimer différemment, selon que les influences subies au contact d’autres populations et au gré des échanges interculturels, étaient considérables ou non. C’est ce que relève Georges BALANDIER dans Histoire Générale de l’Afrique Noire : « L’Afrique est terre de contrastes et de diversités. Les conditions géographiques et les impulsions d’une histoire fort active ajoutent leurs effets pour faire 60 - ILIFFE John : Les Africains. Histoire d’un Continent. Paris, Flammarion, Collection Histoire, 1997. p. 114 - 115 61 - D’ALMEIDA – TOPOR Hélène : L’Afrique au XXème Siècle. Paris, Armand Colin, 1993, p. 27. 106 du continent africain le lieu où voisinent et s’affrontent les entreprises humaines les plus différentes. A tel point que l’univers négro-africain a pu apparaître comme celui des micro-civilisations (on a recensé plus de huit cent cinquante ‘’cultures’’) et de particularismes.»62 Globalement, en ce qui concerne la distribution des structures politiques traditionnelles, s’imposent ; dans trois voici les sociétés types donc la de négro-africaines formations classification que sociales propose BALANDIER (nous n’en retiendrons que celles qui intéressent la région du bassin du Congo, et qui définissent pour une grande partie les populations bantou) : 1°)- Les lesquelles les structures du sociétés groupes claniques sociaux territoire, lignagères : fondamentaux, résultent pour et les essentiellement des relations établies selon la filiation et la descendance. 2°)- Les sociétés à pouvoir politique semi- différencié : Ce sont celles où les différenciations et les inégalités sociales sont non seulement plus apparentes, mais aussi « instituées ». Ces groupes présentent habituellement une organisation sociale fondée sur une base territoriale, une hiérarchie militaires, de classes politiques et d’âge investies juridiques qui de charges interviennent directement dans le gouvernement de la collectivité, tandis que les clans et lignages sont réduits à rôle secondaire. 3°)- Les sociétés à chefferies : avec une large série de gradations, montrent davantage de différenciation du pouvoir politique ; certaines d’entre elles disposent d’une organisation complexe qui les rend comparables à un microEtat. (…) Les chefferies Bemba du Congo constituent l’exemple marquant de ces institutions. Dans ces communautés, quatre facteurs fondamentaux déterminent le pouvoir de chaque chef : 62 - BALANDIER Georges, in DESCHAMPS Hubert (SS.) : Histoire Générale de l’Afrique Noire. De Madagascar et des Archipels ; T.1 ; Des Origines à 1800 ; Paris, P.U.F, 1970. p. 91. 107 la richesse, les dépendants (femmes, enfants, fonctionnaires, esclaves…), la compétence juridique et le rôle et le statut spirituel, c’est-à-dire la compétence religieuse ou rituelle.63 Nous pouvons noter en définitive que dans tous les cas, les systèmes politiques de l’Afrique traditionnelle restent très variés. L’âge structuration communautés de représente un élément essentiel dans la la composante traditionnelles sociale africaines. et Et politique avec lui, des les titres et les biens matériels fondent le système au sein duquel les hommes devaient progresser ; en sagesse, en richesse et en influence. C’est sur cette base que devait s’appuyer les structures politiques de l’Afrique traditionnelle, même si en réalité, entre un chef rituel, un ‘’Grand Homme’’ de village et le maître du territoire, la distance politique était étroite. Un seul individu pouvait parfois rassembler ces différentes étiquettes. 3.1.1 – Les détenteurs du pouvoir : Dans l’Afrique traditionnelle la notion de pouvoir relève de plusieurs éléments. Elle est diversement tributaire de contingences selon le figurer lieu, parmi philosophiques, mais les la donne facteurs religieuses historique les plus ou humaines, semble également récurrents dans le processus d’accession aux instances de pouvoir. La diversité des origines sociales de ce que l’on peut désigner comme les figures de pouvoir, implique généralement une approche plurielle dans la saisie de la manifestation et l’incarnation même de ce pouvoir. Dans certaines communautés en effet, la structure sociale peut s’organiser autour de 63 - BALANDIER Georges, in DESCHAMPS Hubert ; Histoire Générale de l’Afrique Noire, De Madagascar et des Archipels ; T.1, Des Origines à 1800 ; Paris, P.U.F., 1970, pp.91-92-93. 108 différents axes institutionnels, qui joueront les uns par rapport aux précis, autres, plusieurs un rôle complémentaire. individus, avec Dans des ce cas attributions différentes, exercent à différents niveaux, une parcelle de ce qui prendre apparaît les comme un pouvoir caractéristiques du central, sans fédéralisme toujours politique tel qu’il a parfois existé dans certaines régions. Les Mvett65, épopées Soundjata64, mandingue ; montrent avec une remarquable et fang pertinence, Le la pluralité des formes, et les particularités de l’exercice de la charge politique, au sens concret du terme. Dans le Mvett, (épopée traditionnelle des peuples Fang du Gabon, du Cameroun et Guinée Equatoriale) en effet, la thématique des récits oppose deux peuples ; les Immortels d’Engong, et les Mortels d’Okü. Ces derniers, nous dit le conteur et écrivain gabonais Tsira NDONG-NDOUTOUME, sont une myriade de tribus dispersées dans une contré imaginaire, et chacune de ces tribus a, à sa tête, un chef dont l’autorité est régulièrement contestée par ses congénères. Ce sont des peuples anarchiques, où sévissent régulièrement la famine, la guerre la maladie, et, suprême « injustice », la mort. Du côté d’Engong prédominent. par Ce contre, peuple ne l’ordre connaît et la aucun des prospérité maux qui sévissent chez ses voisins ; unis le peuple d’Engong vit sous la férule du tout-puissant chef AKOMA-MBA, secondé dans sa charge par un groupe de jeunes guerriers, qui remplissent aussi, l’un la fonction de chef des armées : ENGOUANG–ONDO ; un autre le rôle de « ministre » de la justice, l’impétueux ANGONE–ZOCK ; celui par qui le malheur Mortels. La qualité de « ministre » des 64 arrive chez les cultes incombe au - TAMSIR-NIANE Djibril : Soundjata, L’Epopée Mandingue, Paris, Editions Présence Africaine, 1967. 65 - TSIRA NDONG NDOUTOUME : Le Mvett, T1 ; Paris, Présence Africaine, 1983. Le Mvett, Tome 2 ; Paris, Présence Africaine, 1985. Le Mvett, Tome 3 ; Paris, L’Harmattan, 1993. 109 grand sorcier, maître de la connaissance ésotérique, le magicien ANGOUNG–BERE, et bien d’autres. Ayant découvert le secret de l’immortalité, c’est un peuple qui n’aspire qu’à la paix ; à vivre en bonne intelligence avec ses voisins. Mais les Mortels entendent bien s’approprier l’origine des ce secret incessants farouchement conflits gardé. qu’ils C’est livrent aux Immortels, et où jamais ils ne sortent vainqueurs. Au-delà de l’opposition de deux peuples mythiques, le Mvett propose à travers ses récits, une vision dialectique de l’homme, plus qu’une vision manichéenne du monde. Selon les Grands Maîtres du Mvett, en effet, Okü et Engong se trouvent dans chacun de nous ; le premier étant constitué par toutes les tares et les vices, les travers et les difformités morales qui souillent la nature humaine, alors que le second, plus noble, représente cette part de divin, de noblesse et de spirituel profondément ancrée en l’homme, et qui ne demande qu’à s’exprimer. Dans Le Zulu personnage de Chaka de U TAM’SI, témoigne la de complexité cette même du qui se dualité, manifeste autant dans sa profonde détermination à unir la Nation Zoulou, véritablement que comme dans un son chef incapacité consensuel. à se poser Fondamentalement idéaliste dans sa vision de la nation zoulou, mais aussi incroyablement aveugle devant l’évidente corruptibilité de l’homme ; celle de ses compagnons, Chaka est lui-même habité par le mal. Incapable de manifester d’autres sentiments que ceux qui consistent à s’enfermer dans un monde où la compassion et l’amour apparaissent comme des faiblesses. De même, le guerrier Guykafi, à l’instar d’Othello, aveuglé par la jalousie suite à l’infidélité de sa femme, se laisse submerger par la colère et finit par tuer sa bienaimée. 110 En fait, à travers l’excuse toute faite du respect de la tradition, Guykafi a laissé libre cours à la partie animale qui se terre en chaque être humain. Le dramaturge prend prétexte de son art pour questionner la tradition, mais aussi pour proposer une remise en cause de certains faits et usages de nos coutumes. On le voit bien, le regard de l’écrivain est avant tout un regard inquiet ; s’il peut juger et condamner, c’est qu’il est dans sa communauté, sans doute plus sensible aux tribulations du quotidien. Se donnant pour but la transformation, sinon la re-création de sa société, il est éveilleur différent, L’écrivain Victor des à consciences. une société n’est-il HUGO ? Son pas un œuvre a Il aspire nouvelle, démiurge donc à un idéale ; comme vocation le à monde utopique. préconisait construire le rêve ; à le partager, mais aussi à le poser comme unique source de salut pour la société et pour l’humanité de manière générale. Comme on peut le constater, l’homme est au centre de la production littéraire africaine, autant pour ce qui tient des aspects purement matériels de la vie, que pour ce qui a trait aux domaines philosophiques, l’existence. L’incursion nous de permet récurrents dans mieux la métaphysiques faite situer dans la littérature et l’univers portée de moraux de l’épopée certains négro-africaine de de faits manière générale, et de celle des ères géographiques sur lesquelles se porte notre étude. De ce fait, les régulières intrusions des dramaturges africains dans la thématique du pouvoir portent un double intérêt. Il s’agit dans un premier temps de témoigner d’une certaine réalité sociale et historique, et dans un second temps de faire la critique de cette réalité. Le théâtre étant un fait social, et comme tel, ne peut se concevoir hors des repères du temps et de l’espace. Il 111 existe une réelle interaction entre la création dramaturgique et son contexte social. « Tout théâtralité », est ainsi qu’aimait à le proclamer Vincent de Paul NYONDA, pionnier du théâtre moderne gabonais. l’auteur De de fait, La c’est mort concevoir un théâtre de la société, de dans le Guykafi contexte qu’il du est propos de difficile de africain en dehors des instances mêmes aussi bien traditionnelle que moderne. La composante spatiale des textes de théâtre en Afrique offre presque toujours comme cadre, soit l’espace du village, soit celui de la cour de quelque souverain, ou dignitaire. C’est toujours pour donner la plaine mesure de la société, autant comme objet que comme sujet de l’écriture dramatique. Objet, en même temps que sujet du théâtre, l’étude de la société est donc envisagée dans un premier temps, comme un examen des conditions de sa création ; de sa production, et dans une seconde perspective, comme l’étude de sa porté morale, politique et philosophique ; des conditions de sa réception. C’est une ouverture nécessaire à une approche de l’objet, qui se veut le plus objectif possible dans l’esprit où l’énonce Julia d’entreprendre un PRZYBOS à analyse propos du mélodrame : « Afin complète, il faudra déterminer d’une part à quel besoin psychologique le mélodrame tend-il à répondre, et d’autre part, l’envisager d’un point de vue esthétique, déceler l’idéologie qui le sous-tend et étudier les moyens dont dispose la propagande à son égard ».66 C’est une approche à bien des égards applicable au théâtre de manière globale, car celui-ci est difficilement envisageable en dehors de son contexte social, qui lui-même revoie à une structure appel pluridisciplinaire pour décoder ce qui à laquelle finalement on fera apparaît toujours comme un ensemble de codes aussi bien sociaux que linguistiques. Car, 66 - PRZYBOS 1987, p. 10. Julia : L’Entreprise Mélodramatique ; 112 Paris, José Corti, ajoute PRZYBOS, « Quiconque spectacles populaires (…) l’historien et à psychologue, au sémioticien ambitionne doit tour l’anthropologue, et d’étudier au au à tour les jouer sociologue et à au littéraire ».67 critique C’est le double statut de théâtre ; art de la scène et genre littéraire, qui fait de lui un objet ouvert à plusieurs disciplines, à plusieurs approches. L’intérêt des sciences humaines et littéraires dans l’étude du théâtre doit en effet permettre de faire ressortir les catégories sociales ; leur expression et leurs manifestations, ainsi que les moyens mis en œuvre par le théâtre pour donner à voir et à comprendre ces catégories sociales. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la société traditionnelle africaine présente deux grandes structures qui forment l’ossature de son organisation. Nous avons d’un côté les structures politiques, et de l’autre, les structures sociales qui relèvent également de l’anthropologie, ce qui nous ramène au détenteur du pouvoir dans la société traditionnelle. Dans l’univers traditionnel d’Afrique centrale, la détention et l’exercice du pouvoir, se manifestent à travers certaines figures, certaines formes caractéristiques. D’aspects variés, elles vont du chef de famille au roi, en passant par les chefs de clans et les chefs de villages. La composition de chaque entité sociale détermine en fait le profil de l’individu qui incarne le pouvoir politique et la nature des rapports qu’il entretient avec ses congénères ou avec ses administrés. Ce sont globalement des rapports de type horizontal, où le droit d’aînesse tient lieu de mode de désignation à la charge de responsable de communauté. C’est ce type de rapport que nous retrouvons dans les textes de OYONO MBIA, où, l’administration 67 quoique soumis républicaine du - PRZYBOS Julia : Op. Cit. p. 10.. 113 à l’autorité Cameroun centrale indépendant de des années 1960, les habitants de Mvoutessi (petite bourgade où se déroule par exemple l’histoire de Trois prétendants…un mari), sont sous l’égide de Tita Abessolo, l’Ancien de la communauté, et accessoirement de Mbarga, chef administratif du village, qui est lui-même, soumis à l’autorité des aînés. Les choses paraissent plus clairement données chez NYONDA car, Deux albinos à la M’Passa, Bonjour Bessieux, La mort de Guykafi ou encore Le combat de Mbombi, donnent à lire des systèmes fondés sur le principe du droit d’aînesse, à l’intérieur des clans ou des tribus. Mais d’un autre côté, NYONDA nous présente à travers le Roi Mouanga, le type de rapport dit vertical, système monarchique. car Mais il ce s’agit texte pour ce traduit texte, d’un surtout le caractère d’exception du phénomène monarchique dans le cadre de l’Histoire des systèmes politiques de la zone gabonaise. Ici, la notion de souveraineté monarchique apparaît comme un phénomène quelque peu marginal, n’ayant pas toujours la même envergure, aussi bien territoriale que politique, selon qu’on change de milieu. Et parfois l’histoire coloniale moderne a présenté comme rois ceux qui, dans les faits, n’étaient que des chefs de clans ou de familles (environ 4). Il en va ainsi des nombreux rois qui se sont partagés le littoral de la future cité de Libreville sur le territoire du Gabon, jusqu’à la cession de celui-ci à la France aux alentours des années 1880. En fait de royaumes, nous avons plutôt des sortes de groupes de quelques bourgades familiales gravitant autour d’un chef dont le mode de désignation était souvent la cooptation. Il faut dire que les négociants européens avaient tout intérêt à s’accorder avec des interlocuteurs acquis à leur cause. Pour ce faire, il était souvent utile et important de les doter de titres qui devaient flatter les autochtones et garantir le monopole absolu des européens sur les produits recherchés. Nous sommes en présence de manœuvres démagogiques 114 plutôt que de réelles négociations commerciales entre deux parties égales. Quoi de plus cynique en effet, que de flatter l’orgueil d’un individu en lui conférant des titres grandiloquents, ou encore de lui confier une charge prestigieuse dans les organes de gestion d’un pays dont en réalité il n’a aucun pouvoir de décision. Une saison au Congo68 de Aimé CESAIRE présente parfaitement cet esprit qui a nourri la mentalité conquérante et spoliatrice européenne en Afrique jusqu’à la fin de la période coloniale, et même au-delà. Si l’on parle désormais de coopération entre Etats souverains, les élites politiques et culturelles africaines y voient plutôt du néocolonialisme exercée par les anciennes métropoles européennes dans certaines régions du monde, et particulièrement de l’Afrique. Et le dictateurs soutient tacite, africains par inconditionnel les accordé anciennes aux puissances colonisatrices n’est ni plus ni moins qu’une autre forme, plus vicieuse, précurseurs de de cette cette rouerie dont politique, avaient auteurs du usé les commerce triangulaire. L’ambiguïté des relations entre ces deux pôles dits de coopération a fourni aux écrivains africains, matière à écriture. Le congolais Sony LABOU TANSI est pour, nous le dramaturge africain qui a le mieux rendu compte de ce qui, du « marché de dupes », est passé à l’état de « pourriture » engendrée par des « bâtards », selon ses propres termes. Sur une autre échelle, le littoral Ouest de l’Afrique Equatoriale est en effet constitué, vers 1800, d’un chapelet de micros-Etats parfois réduites documents en dont à les la annexe). dimensions taille Ces de Etats physiques grosses semblent bourgades miniatures (voir correspondent généralement à des sites de traite, points de rencontre entre 68 - CESAIRE Aimé: africaine, 1968. Une saison au 115 Congo; Paris, Editions Présence les commerçants européens et leurs fournisseurs en esclaves et produits tropicaux. C’est donc vers 1880, ainsi qu’on peut le noter dans l’ouvrage de Elikia MBOKOLO, « que la carte politique de l’Afrique (…) se singularise par rapport à celle des époques précédentes par le nombre plus élevé et par l’étendue plus grande des formations étatiques ».69 Au plan historique toutefois, la densité de ces formations politiques, ainsi que nous l’avons déjà souligné, présentait des caractéristiques variables. 3.1.2– Les symboles du pouvoir traditionnel : Dans les civilisations à tradition orale, l’exercice du pouvoir, qu’il religieux, soit d’ordre s’accompagne politique, d’un certain économique nombre de ou signes visibles. Ils sont la traduction physique et matérielle non seulement de la légitimité, mais aussi de l’exercice effectif de l’autorité. traditionnel Les varient éléments d’un attributifs espace à l’autre, du pouvoir mais portent partout la même charge symbolique. Au point de vue social, la nature des éléments caractéristiques du pouvoir traduit généralement les capacités physique, morale ou religieuse de l’individu. éléments Partie peuvent intégrante parfois être de la objet charge de exercée, culte, et ces être vénérés au même titre que leurs détenteurs. Le bâton de pasteur sur lequel on voit s’appuyer Chaka à l’ouverture de la pièce, n’est pas sans rappeler le rôle de guide du troupeau ; rôle qu’il veut incarner pour la nation zoulou. Nous lisons dans Le Zulu : p. 15 ; en didascalie : « Une colline sur le flan de laquelle Chaka se tient sur une jambe 69 appuyé à un bâton de - MBOKOLO Elikia; op. cit. p. 257. 116 pasteur. » La référence au troupeau apparaît « coral », et en effet dans à la page l’allusion 18, dans clairement le terme faite par Malounga : « Le pire troupeau est fait de têtes sans cornes, s’il est fait de têtes d’hommes, renonce ou soit damné ! »70 Le bâton dit de commandement est fait de bois précieux. Sculpté, il peut également être incrusté de matières nobles comme l’ivoire, l’or, l’argent, ou de gemmes de grande valeur. Celui qui est remis à Chaka par les sorciers Malounga et Ndlébé en signe d’intronisation est frappé à l’image d’un totem comme on peut le lire dans la didascalie de la page 33 : « … Ils se prosternent ; puis tous deux déroulent les nattes, en sortant cérémonieusement un bâton de chef à l’image de totem. » Le propos de Chaka contemplant le bâton vient donner toute sa signification à ce objet « Il dépasse en force celui de Ding’Iswayo, le chef de mon père… »71 La possession de ce symbole vient comme par enchantement effacer les doutes et les incertitudes qui semblaient l’habiter jusque-là. L’objet parait magique car aussitôt qu’il s’en empare, il le contemple émerveillé, puis exulte car il est désormais convaincu de pouvoir réaliser ses ambitions ; unifier les différents royaumes zoulou, rassembler en un seul tous les peuples qui vont constituer la nation zoulou : « Ouvert ! Ouvert ! Un ciel uni ouvert à une terre unie, ouverte à un peuple uni, ouvert au dessein du Zulu. Les peuples viennent innombrables. Je les entends. D’autres seront à vaincre ; un ciel ouvert à une terre unie. » En peuvent plus du bâton, matérialiser le sceptre pouvoir royal, d’autres politique ; ce objets sont par exemple les couronnes de plumes, les couvre- chef en peaux de félin, les colliers (tel que celui que Mouanga remet avec le bâton de commandement à Mouga son vice-roi, au cours de son 70 71 - U TAM’SI Tchicaya ; Le Zulu, Editions Nubia, Paris, 1977, p. 15, 18. - Op. Cit. p. 34. 117 intronisation)72, pierres et de faits de métaux dents précieux, ou d’os le de fauves ; chasse-mouches, ou de le petits balais en fibres de raphia, etc. Recevoir certains de ces objets c’était être investi de la légitimité du pouvoir politique et/ou religieux, selon celui qui le transmettait ; et de l’autorité qui en découlait. Dans une situation de crise (ou dans des cas plus rare de pure convoitise), s’en emparer frauduleusement équivalait à usurper du pouvoir, quelle qu’en fut la forme. Mais l’objet le plus symbolique du pouvoir reste le siège, ou trône royal ; lors du banquet offert en son honneur, le Roi Mouanga est invité à prendre place sur le siège royal que lui désigne Moutombi, la courtisane73. Dans un tout autre domaine, le port du bâton est le signe du grand âge, et ne représente alors qu’un point d’appui pour son propriétaire, « une troisième jambe », ainsi qu’il est communément désigné. Le bâton est aussi un symbole de virilité. Souvent sculpté dans des bois précieux, il figure l’identité de son propriétaire ; on peut y lire ses insignes personnels ou ceux de son clan. Ce sont en général la représentation d’animaux totem, ou d’autres signes plus ou moins ésotériques. Chasse-mouches et balais, à l’instar du bâton à palabres, remplissent toutefois d’autres rôles sociaux, en plus d’être des insignes du pouvoir. Ils servent en effet d’objets modérateurs pendant les conseils et autres assemblés communautaires. Brandis, l’un ou l’autre signifient que l’on requiert plus d’attention de la part du public. Celui qui tient le bâton à un moment donné, c’est celui-là seul qui a droit à la parole. La présence folklorique aux constante yeux de de ces l’étranger, 72 objets ; d’apparence constitue, de façon - NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga, Libreville, MultipressGabon ; 1988, p. 29. 73 - Op. Cit. p.43. 118 indéniable dans la mise en scène des pièces africaines à caractère traditionnel, une information culturelle sur la symbolique des objets et de leurs usages. Ils signent en effet l’encrage définitive, se sociologique refuse à d’une faire dramaturgie abstraction qui, d’une en vérité fondamentale, celle qui situe encore la société africaine à l’intersection de deux mondes. D’une région d’Afrique à une autre, la fonction sociologique ou culturelle de certains produits de l’artisanat a depuis longtemps été reconnue. 3.2 – Les structures sociales : Ainsi que nous l’avons énoncé plus haut, les sociétés traditionnelles africaines s’organisent nécessairement autour d’un réseau assez complexe, édifié sur les composantes basiques des communautés. Les quatre éléments fondamentaux de ces structures se ramènent essentiellement au sexe, à l’âge, à la parenté, et à diverses formes d’alliances entre tribus, clans et lignages. Au regard de l’organisation sociale des communautés traditionnelles africaines, il apparaît que pour la plupart de celles-ci, les structures politiques répondent presque toujours à leurs configurations sociales. A travers Deux albinos à la M’passa, de Vincent de Paul NYONDA, la fonction de chef de village ne paraît pas se distinguer de manière fondamentale au rôle de chef de famille. Les jeunes gens qui viennent de voir débarquer ‘’les albinos’’ – en réalité des européens – s’adressent au chef en terme de père : JEUNES FILLES.- Hé ! Hé ! Hé !... OKALA.- (S’arrêtant et grondant.) Pourquoi ces cris alarmants défendus dans un village, surtout en pleine danse ? 119 DEUX JEUNES GENS.- (Tout essoufflés.) Père, il y a quelque chose au débarcadère ! Deux albinos viennent d’accoster avec beaucoup, beaucoup de monde…74 Nous sommes ici en présence d’une communauté où la fonction politique de chef de village se vit d’abord comme celle à de responsable de famille. Le nominatif « père » donné Okala par biologique ; les c’est jeunes filles, simplement n’a que les aucune codes connotation de la morale traditionnelle exigent que, pour marquer le respect et la déférence vis-à-vis des aînés, les jeunes désignent ainsi les plus âgés. De même, la relation établie entre les trois chefs présents au village à l’arrivée des « albinos » ne reflète nul rapport de prééminence. Ainsi que nous l’avons déjà soulevé, le principal critère de référence dans le domaine de la gestion politique des sociétés traditionnelles africaines reste sans conteste le critère de l’âge. En effet, c’est en général aux aînés qu’il incombe d’assumer la charge politique de la communauté. 3.2.1 – Religions et cultures : Dans Centrale un grand nombre traditionnelle, de les communautés structures de l’Afrique religieuses et culturelles reposent sur deux ordres essentiels ; le profane et le sacré. En règle générale, la pensé religieuse et culturelle est profondément marquée dans cette région, par deux faits fondamentaux : les croyances en des forces surnaturelles, et la notion d’INTERDITS. 74 - NYONDA Vincent de Paul : Deux albinos à la M’passa ; Guykafi, l’Harmattan, coll. Encres Noires ; p. 73. 120 in La Mort de Souvent renvoie à déclinée un au système pluriel complexe la notion d’usages d’interdits et attitudes ; prohibés, tels que la consommation de certains aliments : vipères et sangliers, ainsi que l’évoque à la page 15, la vieille Bella de Trois prétendants… un mari75 ou encore l’interdiction faite aux guerriers de révéler à leurs épouses les secrets de leurs forces mystiques tel qu’on l’apprend de la bouche de Dika dans le Roi Mouanga page 10 : « Je sais, grâce à sa concubine, la puissance de ses fétiches. Voyezvous, comme quoi il faut se garder de révéler à une femme ses forces mystiques. Si mon père avait été atteint par ses adversaires, alors qu’il disposait d’un disque solaire comme protecteur, c’est à cause de sa femme »76. C’est aussi au contraire des attitudes obligatoires, imposées, auxquelles sont soumis les individus dans la vie de tous les jours : « Silence ! L’homme qui se laisse couvrir par sa femme perd la face. L’homme qui procrée regarde le sol de son lit et non les poutres de sa toiture ! »77 Chaka fait clairement ici référence à l’acte sexuel qui dans le monde n’autorise aucune fantaisie entre les traditionnel partenaires. Acte essentiellement procréatif, il manifeste aussi la domination masculine dans les rapports sociaux. Il faut encore savoir que la culture traditionnelle accorde une importance fondamentale à la procréation. Dans ce milieu traditionnel, l’importance de la progéniture détermine souvent le statut social d’un individu au sein de sa communauté. Mais plus encore, le fait pour les sociétés traditionnelles de fixer un code de comportements sexuels peut apparaître aujourd’hui comme 75 une manifestation de - OYONO MBIA Guillaume ; Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions Clé, 1975, p. 15 76 - NYONDA Vincent de Paul ; Le Roi Mouanga, Libreville, MultipressGabon, 1988, p.10 77 - U TAM’SI Tchicaya ; Le Zulu, suivi de Vwène le fondateur : Paris, Editions Nubia, Paris, 1977. 121 l’instinct de survie propre à tous les êtres humains. Mais il doit aussi être compris ici comme le refus ou la proscription du libertinage, ou d’autres attitudes libertaires, pour ces populations longtemps confrontées aux conflits, aux famines et à diverses tribulations. C’était donc surtout l’expression d’une volonté de privilégier les comportements utiles, productifs. Les interdits visaient donc aussi des objectifs politiques et économiques. L’individu semblait donc plus rentable, plus utile à sa communauté lorsqu’il observait les règles édictées par le code morale et religieux de son groupe. Dans ce même ordre d’idées, les adeptes d’une religion ou d’un culte ; et globalement les membres d’une même tribu, d’un même clan, ou d’un même lignage sont soumis à des prescriptions dont les objectifs peuvent être mal appréciées par les profanes. Il est alors nécessaire de se référer aux mythes fondateurs des sociétés indiquées. Et dans le cadre des Sociétés Premières (dans le sens où l’on parle des Arts Premiers), fondatrices, où l’opposition Bien/Mal est conçue non pas comme un antagonisme exclusivement extérieur à l’être humain, mais bien comme un facteur fondamentalement endogène, dans l’existence l’accomplissement répondait très de de l’individu, celui-ci, souvent à une et participant l’obéissance aux nécessité d’ordre de règles éthique, militaire et plus généralement économique. Car l’homme est par essence, le lieu d’affrontement des forces antinomiques et contradictoires, ou au contraire compatibles, indissociables à sa nature. Les anciens considéraient par exemple qu’avoir des rapports sexuels pendant la journée rendait les femmes stériles, qu’une femme allaitante coupable du péché de la chair condamnait à mort son enfant, ou que consommer certains aliments pouvait causer la perte de toute une communauté, etc. 122 Les religions traditionnelles ont principalement pour objet de déterminer et d’enseigner à l’homme le rôle et la valeur de chaque entité – animé ou non animé - à la fois sujet et objet de la création. La connaissance et la maîtrise des forces de la nature, l’usage, bon au mauvais que l’on en fait, ne sont en définitive que l’aboutissement de cette qui dans connaissance. Les certains religions cas ont traditionnelles survécu à la africaines, colonisation, montrent à travers leurs pratiques, et en dépit de l’absence de textes écrits, une certaine séparation, et parfois une continuité entre gestes profanes et gestes sacrés. Un même acte peut en effet revêtir plusieurs significations selon les objectifs poursuivis accompli. et d’après Sacrifier un le contexte poulet aux dans mânes lequel des il est ancêtres est totalement différent de tuer un poulet pour la consommation quotidienne. Dans tous les cas, la profération de textes sacrés lors de l’accomplissement toujours pour le l’obligation de obéissent des à infraction à de cérémonies prêtre se officiant soumettre interdits ces règles à des religieuses, et rituels strictement est pour censée présente les qui adeptes, eux-mêmes réglementés. entraîner Toute pour le contrevenant, et pour sa communauté, misères et malédictions en tous genres. C’est que la profanation d’un tabou, la transgression d’un interdit, portent toujours à conséquence, d’où la nécessité de s’y conformer sans restriction. Ainsi chez les Fang, la consommation de certains gibiers identifiés comme animaux considérée totémiques comme tabou. était formellement Outrepasser cet prohibée interdit et c’était risquer d’être frappé de maux divers : folie, infécondité des humains ainsi que des bêtes, improductivité des champs cultivés et des sites où se pratique la chasse ; et les rivières elles-mêmes paraissent désertées par les multiples 123 espèces qui y vivent habituellement. Au final, on note une véritable déchéance du groupe, une dégénération du lignage ou de toute la communauté. Vérifiée ou pas, la transgression des interdits signifiait toujours le malheur, alors que leur observation était au contraire le garant non seulement de la prospérité de la communauté, mais aussi l’assurance d’une nature toujours généreuse dont pourraient jouir les communautés, ainsi que les générations futures. Ces naïves croyances et qui reléguées ont au longtemps rang de été perçues comme superstitions, voire d’infantilismes et de barbarismes vont être systématiquement interdites, au profit d’une religion révélée à un peuple inconnu des africains. Le christianisme va ainsi apparaître et connaître une diffusion basée souvent sur la répression et la peur ; par des peuples dits civilisés, et dont en réalité la sacro-sainte quête du profit justifiait en grande partie la nécessité d’assujettir les africains en les privant de cet aspect fondamental de leur existence culturel que sont les croyances dans les forces et les mystères de la nature. Ces religions d’abord jugées primitives, apparaissent à tous aujourd’hui monde ; une comme une véritable philosophie de l’Etre véritable politique de du patrimoine gestion au écologique mondiale. C’était sans doute la voie royale vers une exploitation plus mesurée ; plus rationnelle des ressources, en vue de la conservation et de la préservation d’une planète désormais en danger de surexploitation, et, à long terme, vouée à l’extinction. C’est d’ailleurs cette vision des us et coutumes, des tabous et des interdits ; cette sacralisation de la nature, qui amène aujourd’hui certains militants écologistes à appeler à un retour vers une attitude plus respectueuse, plus humble vis-à-vis de la nature, donc à une exploitation qui tienne compte du lien ineffable qui relie l’homme à son environnement. 124 A l’opposé du Dieu miséricordieux des religions monothéistes, les dieux animistes sont des divinités dont il faut craindre la colère et les représailles. Aucun être sensé ne peut en l’occurrence prendre le risque de provoquer la colère des Etres dont la puissance reste au-delà de ce que l’homme peut imaginer. Loin de nous toute idée de polémique au sujet de la véridiction ou non, du caractère opérant ou de l’efficacité de telle incantation ou de tel rituel ; qu’il nous soit simplement permis d’indiquer ici les fondements, la place et l’importance des croyances dans la pensé religieuse africaine. Car si la nature est considérée dans toutes les formes de croyances traditionnelles comme la mère des hommes, leurs relations avec celle-ci sont empreintes à la fois de crainte et de respect, voir de soumission, d’où parfois cette sorte de fatalisme caractéristique des peuples animistes. La prière du « nganga » (guérisseur, tradi-praticien, différent du sorcier dont la nature des activités se situe essentiellement au niveau mystique ; son rôle est plutôt à connotation négative) est une marque à la fois de dévotion et de respect à l’endroit de l’arbre dont il va prélever des écorces pour la fabrication des remèdes. Ici, aucun geste, aucune parole n’est fortuite ; pas plus la quantité d’écorces ou de plantes « opère », rituel ne récoltées sont souvent le ni fait complexe le du ou moment hasard. d’une où le guérisseur L’observation liturgie d’un rigoureuse constitue le gage pour obtenir les faveurs aussi bien de la nature que des mânes des ancêtres, avec lesquelles il est en communion. Analysant les effets de l’exercice du rite J. CAZENEUVE constate qu’ « on ne voit pas que son accomplissement produise des effets utiles (…) son efficacité est, au moins en partie, d’ordre extra-empirique. » 125 LEENARDT vient lui aussi conforter ce point de vue car il observe également dans le rite, « l’instrument d’accès au monde extra-empirique. »78 Donnant VINSONNEAU une le vision présente générale comme une du rite, notion Geneviève issue du Latin ‘’Ritus’’ ; il « concerne à la fois les us et les coutumes et les pratiques religieuses au sein d’un groupe social donné. Qu’il s’applique au monde profane ou au monde sacré, le rite, action individuelle ou collective, garantie par l’itération la survivance à travers les âges d’un passé de quelque nature qu’il fût. En répétant invariablement les règles qui le soustendent, le rite consacre l’immortalité du fait social ou mythique qui l’a indéfiniment, fait semblable naître : à il le lui-même, réactualise, indifférent aux coordonnées spatio-temporelles et aux avatars de l’existence d’ici-bas. Il s’érige d’identification donc orientée en vers un des puissant sphères pôle « extra- empiriques ». »79 Dans d’être tous en les phase constituer le pérennité de cas, avec moteur le la nécessité monde essentiel l’activité et de avec du communiquer le sacré développement rituelle, lien et et semble de essentiel la et incontournable entre le monde de la vie courante et le monde mythique des ancêtres, et de toutes les divinités qui peuplent l’univers cosmogonique africain. Il faut cependant relever le caractère aléatoire de l’association souvent établie entre rite et mythe. Le rite est indiscutablement la mise en acte répétitive du mythe, qui en justifie et garantit la validité sociale ; et à l’instar de LEVI- STRAUSS, on peut s’interroger sur les motivations qui sous-tendent le déploiement d’activités rituelles hors de tout contexte religieux. A ce niveau il est possible de situer ces pratiques donnant des apparences de 78 - Jean CAZENEUVE et LEENARDT, cités par VINSONNEAU Geneviève dans L’Identité culturelle, Paris, Armand Colin, collection U., 2002, p. 148. 79 - VINSONNEAU Geneviève : L’Identité culturelle, Op. Cit. p. 148. 126 rituels, dans l’ordre des usages et des habitudes acquises par les peuples à travers la production de certains faits et gestes, et dont l’accomplissement cérémoniel fini par prendre les formes d’un usage sacré, dépouillé toutefois caractéristiques qui font d’un acte rituel des donné, un acte religieux. Il en va sans doute ainsi de la plupart des usages coutumiers qui sont devenus, à travers les âges, des gestes dont on n’a plus vraiment conscience, et qui revêtent un caractère presque mécanique dans leur reproduction. Souvent profanes confondus obéissent aux parfois rituels à des religieux, expressions les rites proches des liturgies sacrées ; seules les raisons et les conditions de leur réalisation confirment leur caractère extra religieux. Dans tous les cas, les sociétés traditionnelles africaines distinguent formellement les pratiques religieuses des rituels profanes. Les deux ordres coexistent sans jamais se confondre. Ainsi par exemple, les rituels qui entourent la première sortie populations de Bantou, jumeaux nouveaux-nés, obéissent à des dans gestes certaines cérémonielles certes, mais le rattachement à une quelconque religiosité n’y est pas toujours avéré ; il en va de même pour certaines activités des confirme guérisseurs Geneviève particularités du traditionnels. C’est VINSONNEAU lorsqu’elle chamanisme qui, à ce que détermine les plusieurs égards s’apparentent aux méthodes et techniques de certains tradipraticiens africains : « Le chamanisme n’est pas, à proprement parlé, une religion. Ce terme désigne un ensemble de méthodes, extatiques et thérapeutiques, qui vise d’abord à établir le contact avec l’univers des esprits, univers parallèle et invisible ; ensuite à s’assurer l’appui de ces esprits dans la gestion des affaires humaines. Bien qu’il se manifeste pratiquement dans les religions de tous les continents et à tous les niveaux culturels, le chamanisme est omniprésent en Asie Centrale et septentrionale. Parmi les 127 peuples de chasseurs septentrionale, le et chaman de a pêcheurs une de fonction la qui Sibérie peut être clanique, locale ou dépourvue de support social. Dans le sud agricole, l’institution du chamanisme est plus complexe et le statut du chaman varie selon ses pouvoirs personnels. Le chaman sibérien, même doté de sa fonction par l’effet d’un héritage paternel, doit subir une initiation individuelle dont les éléments sont en partie traditionnels et en partie surnaturels. Visité par les esprits, le chaman est d’abord en proie à la maladie psychique, qui ne disparaît que lorsque, traversant le territoire désertique de la mort et en revenant à la vie, il apprend à manipuler ses visiteurs pour effectuer des voyages extatiques dont le but sera le plus souvent curatif. Au cours des séances, le chaman se sert de divers objets symbolisant ses facultés particulières et qui l’aident à se mettre en route vers le pays des esprits (le tambour, fabriqué du bois d’un arbre symbolisant l’arbre cosmique, la coiffe, le costume qui à la fois associe son possesseur aux esprits et rappelle le squelette, symbole de la mort et de la résurrection initiatique…). Durant la séance, le chaman appelle les esprits auxiliaires ; une fois en état de transe (qui n’est pas nécessairement associé à la consommation d’hallucinogènes ou de produits toxiques), il voyage au pays des esprits. »80 D’après clairement les que observations les activités de VINSONNEAU, religieuses se il apparaît distinguent nettement des actes rituels , que le rite n’est pas toujours le fait du sacré ; du religieux, même si dans les liturgies religieuses le rituel en préside la pratique et la réalisation. Allant d’un ordre à l’autre ; du religieux au profane, l’homme de la société traditionnelle propose une vision symbiotique de l’univers , où l’invisible se combine au visible ; un monde au sein duquel il mesure parfaitement 80 - Op. Cit. p.141 128 la place de chaque être – animé ou non - et l’importance du rôle dévolu à chacun. En tant que seule créature douée de raison, il se sait le gardien des équilibres cosmiques - et dans ce cas il est l’égal des esprits supérieurs - de même qu’il sait ne représenter qu’un « souffle » infiniment fragile devant la puissance et la grandeur, la supériorité de la nature. L’inexplicabilité de certains phénomènes naturels (irruptions volcaniques, éclipses solaires ou lunaires ; phénomènes météorologiques, etc.) ne font que conforter ce sentiment de fragilité de l’homme, mais dont la force réside dans la capacité à s’adapter à son milieu, à soumettre la nature, de laquelle il tire ce dont il a besoin pour vivre, et finalement à pouvoir choisir entre le bien et le mal. Cette philosophie est dans tous les sens, celle qui gouverne la pensé de l’homme de la société traditionnelle. Pour appeler vers lui les faveurs de cette nature, l’homme de la société traditionnelle crée des cultes à travers lesquels il entre en contact avec les forces qui animent toute créature, et qui peuvent profiter à l’homme, dans sa quête du bienêtre. C’est de briser l’équilibre construit autour du respect et de la crainte inspirée par tout ce qui sort du domaine de son entendement, et sur les bases d’une foi en l’Homme, en l’humanité ; en son semblable, que l’individu se condamne et met en péril sa communauté. Guykafi mourra parce qu’il commet, aussi bien aux yeux de ses congénères que devant les Mânes de ses ancêtres, le péché le plus vil, le péché d’orgueil. Il en est de même pour N’guéba, son beau-frère, qui trouvera la mort au cours de la bataille qui va les opposer. Le fait d’ignorer les supplications de sa mère fait du jeune homme un fils irrévérencieux ; or la désobéissance, comme l’absence de respect envers les aînés constituent des délits vis-à-vis des lois de la société traditionnelle. Ils sont, l’un comme l’autre, victimes du désire de vengeance, et 129 leur mort n’est que la conséquence d’une action dont les motivations restent fondamentalement égotistes, et l’objectivité ne peut se justifier ni pour leur bien-être individuel, ni pour appartiennent. Le celui péché des communautés d’orgueil auxquelles comme celui de ils la transgression des interdits sont généralement punis de mort dans les textes traditionnels. Lorsque cette sanction apparaît dans la littérature moderne d’Afrique, elle n’est jamais totalement donnée au premier degré, car la littérature africaine poursuit toujours un double objectif ; informer et former. Du point de vue de l’analyse du discours, Dominique MAINGUENEAU donne une définition du rituel à travers ce qu’il appelle « les rites génétiques » : « Cette notion dit-il, relève essentiellement de trois domaines : (1) L’éthologie animale, où les rituels obéissent à une codification rigide et immuable. Mauss…), (2) qui L’ethno-anthropologie s’intéresse surtout (E. aux Durkheim, grands M. rituels collectifs, aux « cérémonies », elles aussi très précisément codées, et possédant un caractère religieux ou sacré (plus ou moins « dégradé » : aux côtés des rituels au sens strict, M. Mauss admet ceux superstitions, qui voire relèvent du de la folklore). magie (3) ou des L‘analyse des interactions quotidiennes, où l’on a plutôt affaire à des « petits rituels » se déroulant entre individus ou groupes restreints, C. Javeau (1992, 1996) parlant même de microrituels, à propos des échanges sur la pluie et le beau temps, ou de type d’interaction » (…) « ça va ? recouvrent – ça va ! ». en grande Ces partie « rites ce qu’on appelle politesse (manières de table, façons se tenir ou de se vêtir, mais aussi manifestations discursives : salutations, remerciements, excuses…). Dans une perspective proche, F. Formulae ») Coulmas les (1981) expressions appelle routines « Routine « préfabriquées » apparaissant 130 dans des situations speech »), montrant fonctionnement nombre « standardisées » de de leur importance l’interaction, critères permettant et (« prepatterned pour proposant le un bon certain l’identification de ces séquences. »81 Dans les sociétés africaines contemporaines, ce qui apparaît chez MAINGUENEAU comme des catégories de rituels est pleinement marqué, communautés, un et présente caractère parfois répétitif, dans dénué de certaines sens pour l’étranger, mais dont la valeur se situe dans la conscience sociologique des peuples où se pratiquent ces rituels. C’est ce que l’on peut observer dans le rituel des salutations des peuples islamisés ces « salamalecs » de l’Afrique demeurent pour les de « non l’ouest ; initiés », un véritable mystère, une absurdité, mais surtout une perte de temps ; alors que pour les intéressés ils ont une réelle valeur sociologique, dans le rapport à autrui ; c’est la preuve que l’on donne toute son attention à celui à qui l’on s’adresse. C’est le signe qu’en d’autres termes, l’autre est avant tout une partie de soi-même, et que par conséquent on se doit de s’en préoccuper, de s’en occuper. C’est à travers l’autre que, dans un contexte sociologique ritualisé, l’individu prend conscience de sa propre existence. Dans un autre domaine, pour ce qui est des rituels à caractère religieux essentiellement ou d’ordre ésotérique, spirituel leur et validité psychologique. reste Les rituels ne semblent alors que des sortes de supports à une diversité d’activités. L’impossibilité d’apporter une preuve rationnelle confirmant la véridiction ou non certaines activités « chamaniques » suscite des pouvoirs de toujours des débats. En effet, l’émergence d’une catégorie d’individus ; des usurpateurs, dont le véritable objectif est de profiter 81 - SS. CHARAUDEAU Patrick - MAINGUENEAU Dominique : d’analyse du discours. Paris, Seuil, 2002. p.509. 131 Dictionnaire de la détresse, et souvent de la naïveté de leurs congénères pour s’enrichir, peut expliquer la défiance observée par de nombreux individus à l’égard de certains usages religieux et culturels. C’est une pratique qui peut aller au-delà du seul goût du lucre, car il est régulièrement à l’origine de véritables drames familiaux ou communautaires. La parole du « nganga » étant « parole d’Evangile » donc irréfutable ; il est celui qui « peut voir ce qui se cache derrière les choses » - il est donc en mesure de décider du sort de tous, sans être lui-même inquiété. En tant que courroie de transmission entre le monde des esprits et celui des vivants, le nganga conduit au châtiment ou au bannissement tout individu donné par lui comme coupable de maléfices, ou de tout autre acte de « sorcellerie » au sein de la communauté. Le sorcier étant, dans l’essentiel des cultures bantou, une personne maléfique et malfaisante, ses pouvoirs ne peuvent avoir qu’un effet funestes et destructeurs autant pour son entourage immédiat ; sa famille ou sa communauté, que pour ses ennemis. La littérature africaine dans son ensemble, et singulièrement le théâtre, a largement exploité le personnage du « nganga » et de son pendant ; le sorcier (l’un pouvant parfois se confondre avec l’autre). D’un côté, la littérature africaine qui puise souvent aux sources de l’oralité, veut mettre en relief l’importance et la nécessité de comprendre le rôle de ces institutions dans les cultures à traditions orales, et de l’autre, pour appeler à une inévitable prise de conscience d’un phénomène dont la vocation de servir le bien des populations a été travestie et détournée au profit des intérêts égoïstes et individuels de ceux qui, généralement, détiennent le pouvoir politique et en usent sans partage, au mépris de toute considération humaniste ou démocratique. Ils imposent leur loi et leur présence par la terreur qu’ils inspirent à leurs concitoyens, 132 crédules ; naïfs et superstitieux eux-mêmes ; dès lors, peu à même d’éventer la rouerie de ces individus au statut plus que controversé. Dans Trois prétendants…un mari 82 de Guillaume OYONO- MBIA, la forfaiture du guérisseur appelé au secours par les villageois est mise à nue par la perspicacité des jeunes, par leur refus étriqués de et s’enfermer rétrogrades, ou dans de des se idées qu’ils laisser abuser jugent par un individu dont ils ont compris que seule la cupidité, ajoutée à la naïveté de leurs parents, justifient les pratiques douteuses. Confondu grâce à l’union formée par les jeunes villageois, le faux mage est expulsé du village, car toute la communauté a fini par comprendre la forfaiture de l’escroc. La pièce se déroule sous des accents comiques, car pour le dramaturge africain, l’humour est le meilleur moyen de montrer les travers d’une société, d’en fustiger les caractères jugés déviants et nuisibles. L’homme de théâtre africain pense que son art peut aider à changer la société ; à remettre en question certains usages qui peuvent habituellement passer pour convenables, mais qui représentent en réalité un danger pour l’épanouissement des citoyens et partant, de la société entière. L’art dramatique est vu comme une catharsis ; et c’est en amusant le public que le théâtre atteint le mieux les consciences. Mais la consultation des devins dans le théâtre d’Afrique Centrale n’apparaît pas toujours sous le signe du burlesque ainsi qu’on peut le voir chez OYONO-MBIA. C’est parfois le présage d’une véritable tragédie, à l’instar de ce que l’on peut lire dans Le Zulu83 de Tchicaya U TAM’SI, où Ndlebé et Malounga, amis et conseillers de Chaka, en même temps que sorciers au service du grand guerrier zulu, vont user de la connaissance qu’ils ont de la psychologie profonde 82 - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions Clé, 1975. 83 - U TAM’SI Tchicaya : Le Zulu, suivi de Vwène le Fondateur, Paris, Ed. Nubia, 1977. 133 de Chaka ; de son amour du pouvoir, mais surtout de son attachement aux forces occultes ; aux visions, aux divinations et aux oracles, pour le précipiter vers sa chute. Il y a autour de Chaka, conspirations qui un réseau de connivences et de conditionnent ses comportements, et qui sans y paraître, orientent ses décisions et ses actions. L’objectif des conspirateurs étant de s’emparer du pouvoir à la place de Chaka. Habité par une soif pathologique de pouvoir et de puissance, il est en proie à une sorte de délire prophétique, où la vision d’une silhouette totémique vient annoncer les événements à venir, et le dessein tragique du chef-guerrier. L’ambition et le besoin d’unifier la nation zulu sont cependant plus forts que tout. Chaka n’est plus capable de discernement ; c’est en vain que sa mère et sa fiancée tentent de le prévenir des dangers qui le guettent, et de la possibilité d’un complot ourdi contre sa personne, par ses plus proches femmes que collaborateurs. deux pauvres Mais folles d’entraver le glorieux destin s’arrêtera pas à futiles pensée converge leurs vers un Chaka dont qu’il ne les unique et dans objectifs s’est commérages, objectif voit fixé. ces sont Il ne toute sa obsédant ; la car conquête de nouveaux territoires et la guerre qu’il s’apprête à livrer aux populations encore insoumises à son autorité. Par-dessus tout, Chaka est comme possédé future « campagne dans le Sud », où la vision par cette d’un homme blanc venu de la mer le remplit de tourments. La rencontre avec le totem vient ajouter à son déchirement. Ne reculant point devant la funeste apparition, Chaka comprend que le tribut à payer pour son ambition c’est de verser son propre sang. Il s’engage entre les deux personnages un dialogue aux accents tragiques : «Voici, je suis le serviteur ! » dit la Voix, à qui Chaka répond ; 134 « Quel est ton salaire ? » La Voix : « Il est inscrit sur ce bouclier, avec la pointe de la sagaie. » Chaka : « Ce sang est le mien ? » La Voix : « Celui de ton ambition. Celui de ton dessein. L’unité du ciel comme l’unité de la terre… Le seuil 84 de Nobamba est ouvert. Mais… » La rencontre de Chaka et du totem est vécue par le guerrier mythique comme un signe annonçant la fin de l’ordre ancien, mais surtout comme le signe de la fatalité. Il ne peut échapper à son destin de conquérant et d’unificateur, dû-t-il perdre la vie. Les mises en garde de sa mère et de sa femme ; les tentatives des uns et des autres de le ramener à la raison, restent toutes vaines. Ces différentes manœuvres ne peuvent que conforter une opinion troublée, déjà faussée par des jugements de valeur peu favorables à l’image que cet homme égocentrique renforcer ses et projets. fier, se fait Son rêve se de la femme ; transformera en à un véritable cauchemar autant pour lui-même que pour son peuple, ce qui se traduira par l’anéantissement de son empire. Inflexible l’extérieur dans l’image ses décisions, typique du Chaka tyran projette à égocentrique, superstitieux, manipulateur, et manipulé à son tour par son entourage immédiat, composé comme toujours par les parents, ou les amis de longue date. Il est le stéréotype de ces hommes politiques dont la faiblesse réside justement dans ce refus de la réalité (bien souvent à contre-courant de leur vision personnelle), dans cette sorte de folie de démesure caractéristique de certains grands esprits tourmentés. A travers leurs attitudes radicales, la frontière entre le rêve et la réalité est aisément franchie, ils se donnent pour unique norme, accéder à ce que leur seule volonté aspire à 84 - U TAM’SI Tchicaya : Le Zulu, Paris, Editions Nubia, 1977, P.28. 135 atteindre. Aucun obstacle ne peut dès lors empêcher que s’accomplisse le destin qu’il semble s’être fixé. Souvent comparé au roi Macbeth de SHAKESPEAR, Chaka s’enfonce comme lui dans l’isolement et l’insensibilité. L’obsession chez le Zulu, son refus du respect des alliances et surtout son recours systématique au crime sont des signes d’un véritable déséquilibre mental et psychologique, tout ce qui fait de l’individu un être funeste dont la dimension tragique semble préfigurer la tragédie de l’Afrique actuelle. Aucune vie, hormis la sienne, n’a pour ainsi dire de valeur dès lors qu’elle est susceptible de l’empêcher de réaliser ses projets. Le sentiment qui vient à celui qui aborde le personnage de Chaka est un sentiment d’effroi et de révolte face à cet être à la fois noble et pathétique, sublime et grotesque, dans ses desseins fédérateurs ; dans son besoin définitivement destructeur de rester le maître incontesté et indétournable de la nation Zulu. Le recours à la divination, ou à la sorcellerie ; la croyance dans la prémonition et dans toutes les pratiques ésotériques montrent combien l’exercice du pouvoir en milieu traditionnel peut connaissance et parfois la prêter maîtrise des à confusion. forces Mais la religieuses et spirituelles constituent très souvent une excellente base, un solide fondement l’individu. Une dans la constitution mauvaise gestion et la des formation de connaissances spirituelles, un usage contre nature de celles-ci conduisent généralement à la déchéance ; à une mort de l’être qui n’est pas toujours que symbolique. 136 3.2.2- Les Rapports Hommes/Femmes : La fréquentation de la littérature africaine montre un véritable engouement pour des thèmes tournant autour des relations qui régissent les univers masculin et féminin. Pour comprendre cette récurrence thématique, il est nécessaire de savoir ce qui se passe dans les faits ; dans la vie réelle des africains. Car c’est en partant de l’existence au quotidien que les écrivains africains fondent leurs projets d’écriture ; leur réflexion. Ce projet est généralement l’expression de leurs aspirations ; leur besoin d’une société idéale à travers le rappel des grands événements du passé, ou tout simplement à travers la critique de la société dans laquelle évolue le dramaturge. Ce rêve passe inéluctablement par la critique des institutions politiques et économiques, et la remise en cause des us et coutumes de leurs propres civilisations. D’une manière générale, l’observation de la société traditionnelle africaine donne à voir une sorte de bipolarité fondamentale dans son organisation. Ceci est particulièrement perceptible à partir de sa structure de base, la cellule familiale. En effet, masculins d’un côté, toujours, constitué une et le nette distinction féminins fondement de des l’autre, social et a, univers depuis culturel des peuples africains. La manifestation de cette bipolarité est visible dans la structure même des villages : dans chaque famille, il y a une case réservée aux hommes, et une autre, qui sert aux travaux domestiques, appartient aux femmes ; elle est généralement construite à l’arrière de la case des hommes. Cette séparation par le sexe dans l’organisation matérielle et structurelle de la société traditionnelle a pris, dans certains milieux ; au sein de certains groupes de populations, des formes autrement plus marquées, apparaissant 137 aujourd’hui comme des sociétés sexistes ; phallocratiques, où la domination des hommes sur les femmes apparaît comme une situation de non droit pour les femmes. Il faut ici questionner les sources culturelles qui peuvent avoir généré ce qui paraît aujourd’hui comme un déni de la personnalité morale de la femme. Ainsi donc, lorsque l’on aborde la question du rapport ou de la relation interactionnelle entre l’homme et la femme dans la société africaine ; de la perception et du vécu même de ce rapport, il est nécessaire de reconnaître au préalable qu’il existe en Afrique une sorte de cadre originel où la spéciation de l’individu tant au plan social, que du point de vue psychologique et spirituel, rend compte de la relation d’interdépendance qui seule justifie l’existence de l’homme comme de la femme. De ce fait, l’organisation sociale née de ces deux grands ensembles montre que les échanges entre ces deux blocs sont régis par un réseau de codes et de lois que les uns et les autres apprennent très tôt à identifier et à en retenir les préceptes. Concrètement établis, les échanges hommes/femmes donnent à voir en Afrique aujourd’hui une image qui pour d’aucuns apparaît comme un avatar de la société traditionnelle. C’est une société aux contours quelque peu indéfinissables tant les chevauchements avec des aspects de la culture occidentale sont nombreux rendant malaisée toute entreprise qui cherche à établir la frontière entre ce qui est typiquement Africain et ce qui ne l’est pas. C’est dans ce cadre que le théâtre africain se déploie, en essayant bien souvent de faire le lien entre la société traditionnelle avant les contacts avec l’occident, et la société traditionnelle post-coloniale. Dans cette dernière, il apparaît en effet que si l’on veut bien accepter les mutations dues aux contacts des civilisations, il faut en 138 revanche que seule une partie de la société, en l’occurrence les hommes, en soit les principaux bénéficiaires. Les femmes devront pour leur part se soumettre à la volonté de l’homme. C’est à la vue de tout cela s’interroger sur la situation qu’il de la devient femme légitime africaine de dans l’univers traditionnelle ; sa véritable place au sein de sa communauté. Puis projeter l’extérieur, à de là, voir par l’image rapport que aussi celle-ci à peut l’image de l’homme. C’est ainsi que dans sa trilogie sur le mariage85, OYONO MBIA évoque trois situations qui soulèvent avec acuité la question complexe du rapport de l’homme à la femme ; dans leur être au sein d’une société marquée par les lois et les codes coutumiers. Répondre à cette question c’est d’abord comprendre l’homme non pas seulement dans sa manifestation biologique, mais c’est surtout de le connaître dans sa dimension sociologique, économique, politique et religieuse. Ainsi, l’homme va se distinguer de la femme à travers ce qu’il convient de désigner comme ses univers de compétence et ses attributions. A – L’homme ; ses attributions et ses domaines de compétence : L’homme (le « vir » latin), que dépeint OYONO MBIA, s’énonce globalement sur deux plans. A cheval sur deux sociétés et donc deux époques, l’homme dans le théâtre de ce dramaturge, se situe à la lisière entre le vieux monde et le monde nouveau. Ces deux univers sont eux-mêmes incarnés par « les anciens » d’un côté, et par « les jeunes » de l’autre. 85 - OYONO MBIA Guillaume ; Trois prétendants… un mari, Yaoundé, Editions Clé, 1975. Jusqu’à nouvel avis, Yaoundé, Editions Clé, 1975. Notre fille ne se mariera pas, Yaoundé, Editions Clé, 1978. N’ayant pas pu en disposer, nous avons dû renoncer à inclure dans notre corpus ces deux derniers textes de OYONO MBIA. 139 Le vieux monde, la société traditionnelle confère au mâle des domaines de compétence dont l’autorité familiale constitue la pierre d’angle. C’est en effet le mâle, chef du groupe familial, qui décide de la vie et de l’avenir même des siens. Si le chef de famille est celui sur qui repose le destin, au politique entière même du titre lignage, attend une que il la est certaine conjoncture aussi tenue celui économique dont vis-à-vis du la et tribu sexe dit faible (son ou ses épouses, ses filles, et toutes la parenté féminine qui gravite autour de sa personne). Car dans la société traditionnelle, il est de mise d’affirmer non seulement une autorité absolue sur les membres féminins de sa Maison, mais aussi d’en prendre le plus grand soin. C’est une attitude qui désigne le bon chef de famille à compter parmi les voix autorisées de la tribu. En effet, seul celui qui a prouvé sa maisonnée, valeur peut par une prétendre gestion donner irréprochable un avis de lorsqu’il sa est question de la vie du groupe communautaire. C’est à ce niveau que les attributions d’un chef de famille peuvent rejoindre, sinon se confondre avec celle d’un chef de communauté. Garant de l’harmonie entre les différentes couches de son groupe, il est désigné pour y faire régner l’ordre et la justice. C’est ce que l’on peut lire à la page 111 de l’œuvre de MENDO ZE, Le Retraité86, trancher le lorsque différend le chef qui de oppose village deux est frères, appelé Ezamot à et Ngassa, qui n’arrivent pas à cohabiter en paix. Suite à sa mise à la retraite, Ezamot l’aîné des deux frères, est obligé de partager, avec femme et enfants, la maison de son cadet, qui lui aussi est père d’une nombreuse progéniture. Les conflits surgissent, et il faut faire appel à la médiation du conseil des notables du village amené par le chef. Celui-ci 86 - MENDO ZE Gervais : Editions ABC, 1988. Le Retraité, 140 in Japhet et Jinette ; Paris, devra user de diplomatie et d’autorité pour amener chacun devant ses responsabilités : - Le chef : calmez-vous. Ça ne sert à rien de vous dire des méchancetés. Après tout, vous restez une famille, oui Ngassa, tu as accueilli ton frère pour lui prouver que la famille reste au-dessus de tout. Alors, ne revient pas sur tes nobles pensées. Toi Ezamot, comprends que ton frère a fait preuve d’un grand cœur. Comprends aussi qu’il ne peut pas t’héberger tout le reste de ta vie. Essaie de suivre ton dossier de pension. Cela te permettra d’avoir un peu d’argent et de te construire une maison.87 Ainsi donc, à l’homme échoit la charge de consolider et de pacifier le groupe à travers les meilleurs alliances familiales et intercommunautaires (à forte charge stratégique et politique). Dans le cercle familial, le statut de chef autorise celui-ci à user de façon presque arbitraire de son pouvoir décisionnel. En somme, le rôle de chef se présente comme étant l’apanage des hommes, ce qui induit une vision sexuée, par conséquent sexiste de la fonction de chef. Si globalement le sexisme apparaît comme le fait d’une méprisable domination de l’homme sur la femme, il est en Afrique Centrale et singulièrement au sein des communautés Bantou, d’une nature et d’une sexisme envergure est en moins effet ici, radicale ; beaucoup moins plus virulente. Le circonstancié ; parfois moins manifeste, moins brutal. Pour mieux appréhender la notion de sexisme en Afrique, il est juste de s’arrêter un moment sur ce phénomène qui bien souvent suscite des réactions où la confusion le dispute à l’amalgame sur la situation de la femme africaine, et où les lieux communs tiennent quelques fois lieu de vérité absolue. 87 - MENDO ZE Gervais : Le retraité in Jinette et Japhet ; Paris, Editions ABC, 1988, p.111. 141 En effet, si le sexisme est essentiellement le fait des hommes, ce sont cependant les femmes qui en sont les objets. Ce phénomène se manifeste par exemple dans la prise de décisions concernant la vie sociale des femmes. C’est ce qui apparaît notamment à la page 15 de Trois prétendants… un mari, où OYONO MBIA montre comment la décision de marier la jeune Juliette est prise de manière unilatérale par les hommes de la famille, sur le seul critère de la richesse matérielle des différents prétendants. Le vieil Abessolo, grand-père de Juliette se fait tout naturellement le portevoix de cette vision traditionaliste de l’institution du mariage, et surtout du statut de la femme, et de ses droits vis-à-vis de son ascendance ou de sa communauté: - Abessolo : Toujours un « mais » ! Tu ne peux donc pas comprendre que je te donne toujours de bons conseils ? Si je n’avais été là, l’autre jour, tu aurais refusé de prendre les cent mille francs que nous avait versé Ndi, le jeune homme qui veut épouser ma petite-fille Juliette. D’après toi, il fallait attendre pour consulter Juliette elle-même avant d’accepter la dot. (Scandalisé, au public.) Consulter une femme à propos de son mariage !88 Ici (page 23), même les autres femmes de la famille, à l’exception de Juliette, ne voient dans cette façon d’agir, rien d’inconvenant, qui plus est, le jeune cultivateur s’était auparavant montré fort habile et vigoureux pour les travaux champêtres ; ce qui pour les femmes, constitue un critère d’élection pour faire un bon époux: - Makrita : … (A Juliette :) Ton père te donne un mari très travailleur Juliette ! Ah, si tu avais pu le voir le jour où Oyônô et lui me défrichaient mon champ d’arachides de cette année ! 88 - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975, p.15. 142 - Bella : Un garçon très travailleur !89 Mais comme nous l’avions déjà observé à la page 15, l’argument financier semble plus que tout, motiver le choix des parents de Juliette ; ce que sa cousine exprime très clairement par : - Matalina : Surtout que ce jeune homme avait versé cent mille francs en une fois comme vrai prétendant !90 Pendant que les hommes du clan « négocient » les avantages inhérents à la nouvelle alliance entre, non pas Juliette et son supposé fiancé, mais entre ce dernier et la famille (paternelle) de la jeune fille, personne n’évoque la question des sentiments (accessoire), ni ne songe à prendre l’avis de la « future mariée » : Abessolo : (Se levant, à Juliette) Te consulter ? Pour tout le monde, les hommes en particulier, l’attrait de l’argent et de quelques autres biens matériels comme les boissons fortes ou autres, semble surpasser tout sentiment affectif. Le plus important pour cette famille c’est avant tout une question de rentabilité. On a vite fait de revenir sur le choix porté initialement sur Ndi, le jeune cultivateur ; c’est désormais sur un fonctionnaire (donc d’un niveau social plus élevé) que se portent les attentions des hommes de la famille : - Abessolo : (impatienté) Oui, mais nous ne voulons plus de lui ! Il faut que Juliette épouse le fonctionnaire! - (…) - Ondua : (rayonnant) Oui, un grand fonctionnaire qui boissons fortes de Sangmélima ! - Atangana : Et beaucoup d’argent. 89 90 - Id. p. 23. - Ibid. 143 nous apporte des (Menaçant, à Juliette) Et que je ne t’entende plus dire que tu veux le voir avant de consentir à l’épouser !91 A travers cet échange d’opinions, les rôles des hommes et des femmes apparaissent comme portés par une essence naturelle qui occulte le moindre sentiment individuel chez la femme. Elle apparaît comme spectateur de sa propre vie, en étant paradoxalement le point de mire de toute sa communauté. A côté de ces aspects qui évoquent essentiellement les rôles et les attributions de l’homme au sein de la famille chez OYONO-MBIA, Le zulu de Tchicaya U TAMSI, ainsi que La mort de Guykafi ou Le combat de Mbombi de Vincent de Paul NYONDA donnent à saisir l’homme dans sa dimension plutôt guerrière et conquérante. Si la société traditionnelle fait de l’homme le garant de l’équilibre et du bon fonctionnement de sa communauté, il a également territoires ; réputation de pour de mission les de protéger. puissant conquérir Et guerrier leur doit de nouveaux renommée ; aller leur au-delà des limites de leurs territoires. C’est ce que nous pouvons lire notamment chez NYONDA à propos de son personnage Guykafi dans la pièce du même nom (page 16): L’Ancien.- Béni sois-tu mon fils Guykafi ! J’ai su, les nouvelles que m’apportaient tes compagnons, que tu allais sans doute agir ainsi. L’avenir seul pourra nous dire si tu as eu raison. Mais toi, as-tu bien réfléchi ?92 De même, à la page 38, Mombi, l’homme qui vient pousser la belle Maroundou, toute jeune épouse de Guykafi à l’adultère, évoque lui aussi la réputation du guerrier : 91 - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975, p.23. 92 - NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; Paris, L’Harmattan, 1981. 144 Mombi- Je sais qui est Guykafi. Sa vaillance et son courage sont bien connus dans toutes les régions que j’ai traversées (…)93 La dimension conquérante et guerrière de l’homme se retrouve encore plus chez le Zulu. Et le besoin d’agrandir son espace vital, la quête incessante de pouvoir sont chez Chaka une véritable obsession : - Chaka : (…) Des armes m’ont été données ! L’unité ! L’unité ! L’unité ! du ciel et de la terre ! C’est-à-dire un pays sans horizon. Un pays où l’horizon recule toujours où que l’on aille. Mon ambition. Tous les seuils ouverts, à commencer par celui de Nobamba. Ce rêve est fou. M’y perdrai-je ? Mon corps tressaille, mes muscles se nouent, ma bouche est suave… Je vois ce que je n’ai jamais pu nommer. Quel vertige ? Je suis de ce vertige… Tous les seuils que tu me commanderas de franchir… Je peux passer. Le maître !...94 L’obsession de Chaka trahit en réalité une ambition démesurée ; une soif de pouvoir qui va déterminer la pensée et les actions du chef des zulu, y compris vis-à-vis des femmes, pour qui il ne semble témoigner qu’une relative estime. Il apparaît en effet que pour ce prototype même du mâle, viril et dominateur, l’affirmation de l’identité masculine fasse partie d’un véritable code de conduite pour tous les hommes de sa tribu. Cela se traduit dans ce propos qu’il tient en guise de conseil à l’endroit de Epervier, un de ses fidèles lieutenants, qui vient lui demander de bien vouloir écouter Noliwé (épouse de Chaka). Mais Chaka qui ne peut souffrir de passer pour un faible s’insurge en faisant valoir son point de vue sur les places respectives des hommes et des femmes, surtout lorsqu’il s’agit de questions aussi sérieuses que la guerre, activité exclusivement masculine: 93 94 - Id. - U TAM’SI Tchicaya : Le zulu ; Paris, éditions Nubia, 1977 ; p. 30. 145 -Chaka : Silence ! L’homme qui se laisse couvrir par une femme perd la face. L’homme qui procrée regarde le sol de son lit et non les poutres de sa toiture !95 Dans tous les cas, le rôle et la place de l’homme apparaissent prépondérants au sein de la société. C’est une situation qui marginale ; met qui phallocratique. beaucoup globalement laisse C’est la voir ici d’observateurs, une une ce femme en position société vision qui sentiment que à assez tendance justifie les pour sociétés africaines tiennent pour quantité négligeable, la personne même de la femme. C’est cette vision qui nous amène à examiner la question de la place de la femme et du rôle que celle-ci est appelée à tenir à l’intérieur de sa communauté, et de sa société de façon globale. B – Place de la femme ; rôle économique et social : Un regard panoramique sur l’organisation pratique des sociétés africaines montre en effet, ainsi que nous l’avons déjà énoncé, une réelle distinction entre les univers masculin et féminin. Cette distinction se justifie à travers un fonctionnement séparé des groupes, même si, en définitive, le bien-être de la communauté constitue l’unique objectif recherché par les uns comme par les autres. La femme africaine, aussi bien rurale que citadine, est presque toujours donnée excellence, c’est-à-dire comme « la celle sur bête qui de somme » repose la par charge familiale, la vie du groupe. Pour bien des raisons, la femme reste celle qui ne représente tout au plus qu’un moyen de production et de reproduction, une monnaie d’échange inter clanique ; forme de garantie pour établir et renforcer les alliances entre les différentes ethnies, les groupes sociaux ou entre les communautés. La femme est aussi celle 95 - Id., p. 82. 146 qui va garantir à sa famille un certain nombre de privilèges sociaux. C’est ce que l’on peut lire une fois de plus dans Trois prétendants…un mari de OYONO MBIA ; page 15 : - Atangana : (rayonnant, un peu malgré lui, et se frappant fièrement la poitrine) Euh… Il faut avouer que Juliette est une fille digne d’un père comme moi. En l’envoyant au collège, j’avais bien raison de dire à tout le monde : « Un beau jour, cela me rapportera. »96 La même vision de la femme peut encore se noter à la page 19 ; elle traduit une certaine interférence entre deux modes de vie, deux sociétés ; la société traditionnelle d’un côté, et la société moderne de l’autre. D’un point de vue comme de l’autre, la femme semble acquérir plus instruite, de comme valeur selon l’affirme qu’elle encore est plus Atangana, ou le moins père de Juliette : -Atangana : (…) Evidemment, à cause de ton instruction et de ta valeur, nous avons décidé de prendre les cent mille francs qu’il (le jeune homme) a versé… »97 Cette communautés vision, bien sûr traditionnelles vérifiable africaines, dans certaines doit être reformulée ; nuancée. Pour parler du sexisme et du statut de la femme dans la société africaine, il convient en effet d’observer un certain nombre de données fondamentales, susceptibles de mieux aider à cerner et à comprendre les phénomènes de sexuation des sociétés africaines. Le premier fait observable autour de ce phénomène, dont les origines se perdent dans les méandres des us et coutumes endogènes aux communautés, est que le sexisme, dans certains 96 - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975. 97 - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975. 147 groupes sociaux, a fini par endosser les caractéristiques et les spécificités d’une pratique, d’une vertu religieuse. En effet, l’intensité du phénomène phallocratique est plus forte selon qu’il constitue le est observé fondement dans les essentiel sociétés de la où l’Islam culture et des traditions. Dans ces communautés, on observe une véritable césure entre les deux pôles de la société constitués par les univers féminin et souvent réduite à vivre aucun droit, pratiquement masculin, et une où la forme sinon le femme est presque d’exclusion, n’ayant devoir d’être mère et épouse. A l’opposé de ces groupes souvent bien spécifiques, il y a ces sociétés au sein desquels les récentes influences chrétiennes, ont interféré sur des croyances animistes séculaires. Ici, le rôle et la place de la femme n’ont que peu variés ; ces sociétés entretiennent un rapport tout à fait différent avec l’univers féminin ; avec le statut de la femme. La place de la femme est, non pas celle d’un être inférieure ou immature, mais celle d’un personnage adjuvant. La femme dans les sociétés Bantou est « le bras droit de l’homme » ; car dans la pensée traditionnelle, c’est de la femme que vient la sagesse de l’homme. C’est donc un être de première importance sociale, religieuse ou même politique. Nous pouvons parler ici de complémentarité dans la relation sociale qui s’établie entre l’univers de la femme et celui des hommes. Sans intension polémiste ni jugement de valeur au sujet des pratiques sociales et religieuses des uns ou des autres, nous voulons simplement relever ce qui apparaît comme une réalité observable et déterminante, loin de tout préjugé discriminatoire. Pour établir essayerons développement de de la crédibilité comprendre ces le phénomènes 148 de ce constat, fonctionnement de bipolarisation nous et et le de sexuation qui caractérisent aujourd’hui nombres de sociétés africaines, aussi bien traditionnelles que celles dites modernes. D’une certaine manière en effet, on peut parler de bipolarisation des sociétés traditionnelles africaines dans la mesure où, l’homme et la femme évoluent dans deux univers non pas opposés, mais complémentaires. On est en présence de deux instances aux attributions et aux pouvoirs parallèles, avec pour plusieurs moments de la vie communautaire, nécessité de mélange, et de fusion des deux la mondes ; féminin et masculin, pour un parfait accomplissement de cette entité supérieure qu’est la communauté. Cette complémentarité est aisément observable au sein des communautés Bantou où l’homme est le prolongement de la femme, et vice-versa. Les sociétés Bantou n’envisagent l’Etre (dans le sens de l’Individu) comme totalement accompli complémentarité qu’il qu’à travers entretient la avec dynamique l’autre ; de son partenaire dans la vie domestique, dans la vie de famille. C’est en effet au moment où l’un ou l’autre retrouve cette partie de lui-même dont la pensée traditionnelle veut qu’il ait été amputé en venant au monde, que l’individu se réalise. En contractant une union matrimoniale, l’individu opère la jonction impérative à son épanouissement ; à sa véritable naissance. Dans la conception de la plupart des sociétés initiatiques de l’Afrique traditionnelle, l’individu amorce sa véritable naissance au moment du passage de l’adolescence à l’âge adulte ; c’est généralement le moment où les jeunes hommes et femmes sont amenés à intégrer les univers mysticoreligieux ; moment qui, pour les jeunes hommes s’achève par le rite de la circoncision, et le mariage pour les jeunes filles. C’est pluriel », à selon ce une moment que formule « le du singulier rituel devient féminin Fang ‘’MEVUNG’’, que l’individu prend pleinement encrage dans le 149 monde et dans sa communauté. Ici, naître c’est non seulement intégrer la charges, obligations, usages, mais moment au permettent sexualité. vie communautaire à cette cours au et nouvelle duquel jeune Ce droits les ses devoirs naissance adulte monde travers ; à en travers constitue changements de différentes découvrir effet, aussi ses le physiologiques l’univers lui de est la resté inconnu et interdit, durant le temps de la croissance, de l’enfance et de l’adolescence ; le temps de l’apprentissage. C’est dans le sens de cette complémentarité que naturellement l’organisation matérielle de l’existence dans la communauté est rythmée par une nette répartition des tâches au quotidien. Aussi, dans un contexte rural où la vie des populations tourne essentiellement autour du travail de la terre, l’homme, contrairement à la femme, peut sembler n’avoir que bien peu d’occupations. Et le travail de la terre qui s’accomplit en plusieurs étapes, est toujours d’une durée et d’une intensité inégale (les conditions climatiques ; la pluviométrie et les périodes de sècheresse constituent un facteur déterminant dans le cycle des semailles et des récoltes). La préparation des terres à cultiver est dans un premier temps l’affaire des hommes. C’est un travail essentiellement manuel, tout est fait à la seule force des bras. Ici, aucune machine, aucune technologie moderne. Les outils demeurent rudimentaires : machettes, haches et houes, servent respectivement à défricher à débroussailler, abattre les arbres (en zone forestière), à retourner la terre afin qu’elle soit prête à recevoir les semis. La part la plus importante et la plus périlleuse de ce travail (l’abattage), échoit aux hommes. C’est à eux en effet que revient la charge de préparer les champs ; et aux femmes de semer, de désherber, d’entretenir les champs, de récolter, et enfin d’assurer la bonne conservation des produits. 150 Lorsque commencent les semailles, les hommes n’ont pas obligation d’y participer ; ils sont toutefois tenus d’assurer la protection des cultures soit par la construction de palissades, soit par la pose de pièges et de collets autour des espaces cultivés. La protection des cultures n’est évidemment pas une entreprise à plein temps, et les hommes peuvent ainsi s’adonner à d’autres activités telles que la chasse, la pêche afin d’assurer les besoins alimentaires de la communauté. L’Afrique centrale, et singulièrement la région du bassin du Congo est, comme on le sait, essentiellement habitée par des peuples très peu portés vers des activités pastorales. L’élevage, bien que pratiquée, ne concerne que les volailles, ou quelques têtes d’ovins ou de caprins, qui ne suffit généralement pas à couvrir les besoins nutritionnelles des familles. Mais la période des cultures est surtout pour les hommes, le moment idéal pour entreprendre les grands travaux de réfection ou de construction des cases. Depuis la fin du XIXème siècle, pour le cas de l’Afrique Centrale, l’introduction des cultures industrielles telles que le café, le cacao, l’hévéa, le palmier à huile et le coton (au Cameroun), a largement contribué à accentuer le phénomène de la répartition des tâches au sein du monde agricole. Car pour assurer une production satisfaisante, ces cultures exigent des conditions de vie et de croissance particulièrement pointilleuses. C’est donc un travail de tous les instants et de toutes les attentions. Les récoltes qui sont ici prioritairement le fait des hommes, mobilisent toujours cependant l’ensemble des membres de la communauté villageoise. La fin du cycle des récoltes donne alors souvent l’impression que les hommes restent oisifs ; ce qui heureusement n’est qu’une impression, car comme nous l’avons déjà dit, c’est dans ces moments-là que les hommes peuvent 151 s’occuper des habitations, des cacaoyères, des caféières, des palmeraies et de bien d’autres choses. Dans un tout autre contexte, l’apparente inactivité de l’homme en Afrique, peut s’expliquer par le fait que dans un passé encore récent, les hommes avaient principalement pour obligation d’assurer et de veiller à la sécurité et au bienêtre de leurs communautés. Il était en effet nécessaire que les hommes incursion restassent au étrangère ; village à afin toute de parer agression à venue toute de l’extérieure, pendant que les femmes allaient dans les champs ou en forêt ; où, là également sous la protection des hommes, elles peuvent entretenir les champs, et récolter de quoi nourrir les familles. Les rapts de jeunes filles (en vue d’être mariées), ainsi que les razzias sur le bétail et les produits vivriers constituaient en effet, à une certaine époque, la hantise de beaucoup de populations dans l’Afrique traditionnelle. Pour revenir aux différents rôles que les sociétés traditionnelles assignaient à la femme, les textes de OYONO MBIA et de NYONDA que nous avons sommairement visités jusquelà, donnent à saisir la position centrale de la femme dans les milieux traditionnels. Objet de convoitise, source de conflits interethniques et pourvoyeuse de richesses, la femme est aussi la voie par laquelle l’homme (le mâle), accède à la reconnaissance sociale ; à l’intégration à des cercles de privilégiés, et finalement à son accomplissement. La société traditionnelle voulait d’ailleurs que, lors de la prise d’une décision importante, seuls les hommes mariés ou l’ayant été; puissent jouir d’un droit délibératif. Si les célibataires et les jeunes étaient placés sur le même degré de l’échelon social, certaines femmes avaient par contre acquis des droits inhérents aux seuls hommes. Elles étaient souvent vieilles, veuves ou ménopausées ; elles ont de ce fait été établies par la communauté au rang d’homme. 152 Rappelons-nous simplement le rôle de La Grande Royale, tante du jeune Samba Diallo, héros du célèbre roman du sénégalais Cheick HAMIDOU suscite aussi KANE ; bien Ambiguë98. L’Aventure l’admiration que le Cette respect femme de ses congénères. Elle jouit en outre d’une très haute estime de la part de tous ; hommes, femmes et enfants, et ses paroles et ses jugements portent une valeur quasi évangélique lors des conseils des sages. A propos de cette figure féminine hors du commun, voici ce que révèle le narrateur : « La grande royale était la sœur aînée du chef des Dillobé. On racontait que, plus que son frère, c’est elle que le pays craignait. Si elle avait cessé ses infatigables randonnées à cheval, le souvenir de sa grande silhouette n’en continuait pas moins de maintenir dans l’obéissance des tribus du nord, réputées pour leur morgue hautaine. Le chef des Diallobé était de nature plutôt paisible. Là où il préférait en appeler à la compréhension, sa sœur tranchait par voie d’autorité. »99 Vu sous ces différents aspects, le rôle, mais surtout la place de la femme dans la société traditionnelle africaine, apparaît comme la place centrale ; l’axe majeur autour duquel se déploie toute la vie des communautés. L’homme existe, il s’épanouit et s’accomplit à travers la femme. Dès lors, on ne saurait mésestimer le rôle fondateur du sexe dit faible dans la continuité de la vie et du monde. D’un autre point de vue, la société traditionnelle concède à la femme un pouvoir mystique qui veut que celle-ci soit à l’origine de ce que l’on pourrait désigner comme l’univers occulte. Certaines communautés ethniques expliquent en effet l’origine de la sorcellerie comme procédant de la femme. C’est en effet elle qui, selon le mythe de l’origine du monde et du mal dans la tradition du Bwiti fang, aurait 98 - KANE Cheikh Hamidou : L’Aventure Ambiguë ; Paris, Editions Julliard, 1961. 99 - KANE Cheick Hamidou : L’Aventure Ambiguë ; Paris, Editions Julliard, 1961, p.31. 153 introduit la connaissance et la mort chez les hommes : « Dieu fait surgir à l’existence l’œuf primordial d’où sortent trois êtres : l’aîné, la cadette et le benjamin. En fait, l’enveloppe et le cordon ombilical donnent un quatrième être, Evus. (…). L’aîné doit créer le monde et les hommes ; ceux-ci seront immortels à l’image de Dieu. Mais la cadette est jalouse de l’aîné ; elle va trouver Evus qui séjourne dans la brousse. Celui-ci lui enseigne à faire des hommes en lui révélant sa sexualité. La cadette introduit Evus au village ; celui-ci se repaît de viandes animales et plus tard humaines. La cadette commet l’inceste avec son benjamin. Les hommes que nous connaissons enseigne aux descendent hommes les de cette techniques union. et (…). Evus principalement la forge. »100. Ange ou démon, la femme conserve pour les hommes une part de mystère qui se traduit dans les sociétés traditionnelles par une forme de crainte mêlée d’admiration. Il est de l’avis de tous qu’il vaut mieux avoir les femmes pour complices, plutôt que de s’opposer à elles. Dans un sens, c’est la femme qui tient entre ses mains le souffle de la vie, ne fut-ce que parce que c’est elle qui enfante et donne aux hommes l’existence. Pour notre part, nous pensons que l’opinion qui s’est généralisé, et qui a donné de la femme africaine l’image de la « bête de somme » par vocation est une vision courte et fort peu objective. Lorsque l’on veut rendre compte d’un fait de société, il est toujours essentiel et nécessaire de plonger au plus profond de cette société pour en saisir les fondements culturels et structurels. Les jugements donnés à propos d’un comportement culturel étranger comportent toujours une part importante de subjectivité, intentionnelle ou pas. Mais pour 100 - BUREAU René : Anthropologie, religions africaines et christianisme ; Paris, Edition Karthala, 2002. p. 48. 154 certaines opinions, elle constitue non moins qu’une volonté de proposer sa propre culture comme la meilleure, la plus grande ; et celle qui doit impérativement supplanter toutes celles qui diffèrent d’elle. Cette attitude a largement contribué à nourrir les opinions que nous connaissons aujourd’hui sur la question de l’organisation du travail en Afrique. Nous allons essayer de comprendre ce qui, pour beaucoup d’observateurs, apparaît comme une aberration ; une véritable ignominie. C – L’organisation du travail : Ainsi que nous l’avons évoqué plus avant dans notre réflexion, observer le monde du travail en Afrique aujourd’hui implique que l’on adopte un double point de vue. La première fondements second historiques point pérennisation toutes position les de d’un permettra d’une réalité vue pourra fait qui, sociétés, à sans en toutes d’appréhender encore doute actuelle. Le expliquer définitive, les les est la commun civilisations, et à qui partout, porte même valeur et même signification, tant du point de vue de la rentabilité économique, que du point de vue de la socialisation ; de l’intégration de l’individu. D’une manière générale, l’histoire connue de l’Afrique montre que le développement de ses sociétés s’est effectué comme partout ailleurs, au prix de luttes et de conflits multiples. En effet, anthropologiques, toutes les sociologiques études, ou qu’elles autres, fussent montrent que l’homme a toujours cherché à s’adapter aux conditions de son environnement. réminiscence L’Afrique de ce que est peut-être furent aujourd’hui, beaucoup de la communautés humaines dans un passé plus ou moins lointain. Endogènes ou exogènes, les conditions et les modes de vie des populations ont toujours 155 partie liée à leur environnement. Ainsi développées autour partie la par les d’un femme. populations axe Son central rôle, africaines constitué ainsi que se en sa sont grande place à l’intérieur de sa communauté, loin de l’exclure, en font, paradoxalement à une certaine vision, le pivot du groupe. L’homme pour sa part, joue un rôle non moins négligeable que celui de la femme. Ici, la différence de sexe ou de classe d’âge détermine toujours la place des individus, vus comme membres à part entière de la communauté. La répartition des charges qui répartition correspond du travail souvent de manière assigne à chacun grossière une à charge la bien spécifique. Ainsi, pour le cas de l’Afrique Equatoriale, objet central de notre étude, les populations qui occupent cette partie du continent doivent composer avec la présence de la forêt dense primaire, milieu peu favorable à une agriculture extensive. Celle-ci a en effet contribué au développement d’un mode d’exploitation des espaces assez particulier : on y pratique une agriculture saisonnière itinérante sur brûlis. De ce point de vue, les terres cultivables demandent une préparation où la force physique constitue un élément essentiel. Par ailleurs, l’histoire même des populations montre que la répartition du travail était peut-être un mal, vu aujourd’hui, mais un mal nécessaire. C’était pour nombre de populations, un moyen de survie. La répartition des tâches entre hommes et femmes, entre jeunes et moins jeunes permettait aussi dans une certaine mesure de préserver les forces vives de la communauté, afin d’avoir toujours à disposition un certain nombre d’individus capables de parer à toute situation susceptible de mettre en péril la vie du groupe. Comme nous l’avons énoncé tantôt, la répartition du travail en milieu rural en Afrique constitue une tradition 156 ancienne. La densité de la forêt oppose en effet une réelle difficulté dans la conquête des espaces cultivables. Ici, seul les hommes, du fait de leur force physique, sont à même de s’attaquer à des arbres dont la taille impressionnante, demande parfois le travail d’une journée entière pour un homme seul. Et l’engagement de plusieurs hommes, parfois de tous les hommes de la communauté est parfois nécessaire, pour en abattre suffisamment, et libérer ce qu’il faut d’espace pour, quelquefois permettre juste à une seule femme de cultiver. Le travail des champs étant l’affaire, non pas d’un individu mais celle de toute la communauté villageoise, l’implication de tous les hommes valides à cette entreprise qui se fait l’importance sur de un la temps plus communauté, ou peut moins long, parfois selon courir sur plusieurs semaines. Dans une Afrique encore en proie à l’exploitation instaurée par les puissances européennes, le contexte de la mise en valeur des sites de culture est souvent tributaire du contexte social. conditionnent en Guerres effet et une paix, troubles implication plus sociaux ou moins importante des hommes, aux activités agricoles. C’est que, après la liquidation de la traite négrière, un événement fondamental va contribuer à accentuer la pratique de la répartition du travail ; car, la grande ruée coloniale qui se déclanche à partir de 1880 témoigne d’un fait nouveau : la baisse de production des îles conduit à la réorientation des politiques économiques. En effet, l’arrivée, puis l’installation des politiques et des systèmes coloniaux provoquent un bouleversement des régimes et des modes d’exploitation s’installent peu à agricole. peu en Les Afrique y occidentaux qui introduisent une agriculture d’un type nouveau, industrielle, mais dont les 157 moyens restent archaïques, et la production entièrement destinée à l’exportation. Les Africains, hommes et enfants sont embrigadés de forces dans qu’autre soit ces chose. parce exploitations Les que qui villages les tenaient se vidaient hommes valides plus du bagne progressivement, étaient tous réquisitionnés, soit parce qu’ils avaient été obligés de fuir le travail forcé forestières, dans les exploitations l’ouverture des routes, agricoles le portage, et etc. L’absence des hommes au sein des familles demande une plus grande implication des femmes dans les travaux domestiques et agricoles. Tous ces phénomènes ont pour conséquence d’accentuer le principe de la répartition du travail dans les zones rurales. Mais ce principe va connaître un développement nouveau car l’avidité et la cupidité des marchands de produits exotiques qui exigent toujours plus, crée de facto un réel déséquilibre économiques dans la communautaires, gestion compromettant des politiques par la même occasion l’harmonie des groupes. Souvent, pour échapper au fouet, à la mort ou l’impôt de capitation et à toutes les exactions qui avaient cours au sein des entreprises coloniales, les hommes se cachent, à défaut de se constituer ‘’volontaires’’ pour les plantations et toutes les autres charges imposées par les colons, omettant ainsi d’accomplir leur part de travail au sein de leurs familles. On peut retenir à l’issu de cette présentation que plusieurs facteurs ont contribué à créer, puis à pérenniser le principe de la division du travail dans le mode de vie des africains. Le d’ordre premier pratique ; de aux ces facteurs hommes les étant, selon nous, grands travaux de préparation et de déblaiement des espaces cultivables, la protection des cultures et des villages ; aux hommes reviennent aussi les activités de chasse, de pêche et de 158 cueillette qui ont généralement lieu au moment où les femmes s’occupent de semer et d’entretenir les champs. Le second facteur, qui nous a paru important et qui est extérieur aux l’introduction populations du africaines, paramètre colonial est dans sans la doute vie des africains. Si d’une certaine manière, l’agriculture vivrière de subsistance pratiquée au sein des groupes socio-ethniques avait peu à peu fait place à une agriculture destinée à l’exportation, celle-ci était essentiellement le fait des hommes, dont la condition restait servile. L’ensemble des témoignages que nous avons pu recueillir auprès des anciens tend à confirmer ce que nous sentions comme l’une des explications possibles d’une réalité qui fait aujourd’hui de l’homme africain en général, un homme qui vit aux dépends de la femme. C’est une vision que nous jugeons pour notre part abjecte et pleine d’a priori. La situation de l’Afrique, depuis la pénétration européenne et le déclanchement de la traite négrière, équivaut pour nous, à celle qu’a connue le ‘’vieux continent’’ depuis le Moyen-âge, jusqu’aux époques troublées plus proches de nous. Les femmes y ont souvent joué un rôle de premier plan pour compenser l’absence ou les défaillances des hommes, partis ou morts à la guerre, ou qui en sont revenus invalides. Les femmes se sont souvent substituées dans ces cas aux hommes. A côté des aspects économiques, la division du travail avait aussi un caractère social. Dans la gestion interne des familles, l’éducation des enfants incombait aussi à la femme, du fait de la proximité quasi naturelle qui existe entre eux. Seulement à l’adolescence, la formation rituelle et initiatique se faisait de manière distincte et sexuée. Vu aujourd’hui, le fait de la répartition du travail prend un caractère différent, car au contact du modernisme, avec l’avènement du travail rémunéré, les hommes abandonnent de plus en plus la vie agraire au profit des emplois offerts 159 par les travail industries de la occidentales, terre, et laissant par aux femmes conséquent, le l’entière responsabilité des moyens de subsistance. Le phénomène s’est accru avec l’exode rural ; les hommes et singulièrement les jeunes, désertent les campagnes pour les villes, en quête d’emplois. 3.2.3 – Le conflit des générations ou conflit de compétences ? Depuis ses origines, la littérature africaine écrite a souvent fait état du conflit des générations. Le théâtre, qui, à l’instar de la prose africaine s’inspire des faits de société, y voit semble-t-il, la manifestation d’un conflit lié, semble-t-il, plus à la question des compétences acquises par la pratique et l’expérience, que véritablement du fait de la différence d’âge. L’âge n’apparaissant parfois que comme un plus sur la balance des connaissances. C’est en effet le nombre de connaissances rassemblées par un individu, jeune ou plus âgé, qui fera de celui-ci quelqu’un à même de prendre position dans un débat engagé autour de sa communauté. Car entre « pouvoir » présenter et par-dessus « devoir », tout comme les une choses tendent opposition liée à se à la capacité des uns et des autres à « pouvoir » faire quelque chose, et non plus à « devoir » faire quelque chose. Mais générations, il on est y clair inclut qu’en aussi parlant bien du des conflit de questions de compétence que celle de performance. « Pouvoir » et « devoir » s’opposent ici en ce que le premier introduit les notions de choix et de volonté ; en somme de liberté, alors que le second fait appel essentiellement au fait de répondre à une incitation ou à une injonction extérieure, où l’homme est soumis à une force qui exclut tout notion d’individuation. 160 Porté par le groupe, l’individu communauté. est déterminé S’il peut par ses devoirs physiquement vis-à-vis accomplir une de sa action, c’est qu’il le doit pour sa communauté. Ici se rejoignent les notions de compétence et de performance, qui soulignent la nature des relations entre les individus d’un même groupe social. Ces conflits se vivent aussi bien au sein des cellules familiales, qu’à l’intérieur de ce que l’on peut identifier comme les cercles de décisions politiques. Indépendamment de l’opposition traditionnellement établit entre les jeunes et les vieux, ou celle qui oppose modernité et tradition ; les textes que nous avons choisis d’analyser présentent aussi différent. Il de s’agit une cette opposition adversité d’un qui met type en confrontation des idéologies. Nous verrons souvent s’opérer à l’intérieur quelques du corpus, sortes, un glissement l’évolution de la qui manifeste thématique du en théâtre d’Afrique Centrale. Partant de ce qui, à l’origine, pouvait être perçu comme le conflit né de la peur de l’inconnu, la thématique de la dramaturgie africaine s’est orientée vers ce que nous pouvons désigner aujourd’hui comme un conflit lié à la crise des compétences sociopolitiques. Ainsi, le conflit des générations ne semble plus à lui seul porter la responsabilité de la difficulté relationnelle qui se manifeste de plus en plus aujourd’hui à l’intérieur des groupes socio-ethniques. Manifestée par l’opposition des idéaux traditionnels contre les valeurs nouvelles venues de l’occident, le conflit des générations a souvent été porteur d’un besoin pour les jeunes de s’émanciper de la tutelle omnipotente des anciens, de se soustraire à un mode de penser et de vie jugés rétrogrades et éculés. Mais cette volonté de distanciation est surtout l’expression d’un besoin légitime de s’affirmer comme individu au milieu d’un monde où précisément le principe de l’individuation n’est possible que 161 dès lors qu’on la soumet à l’existence et aux besoins du groupe. C’est en substance ce qui motive la révolte de Juliette, de son cousin et de son fiancé, qui, sans remettre en cause leur appartenance à la communauté, cherchent à s’en distinguer, à se singulariser. 162 CHAPITRE IV – LES CROYANCES ET LE POUVOIR SPIRITUEL DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES. Dans les traditionnelle, groupes les socio-ethniques croyances et le de l’Afrique pouvoir spirituel constituent un ensemble de faits et attitudes homogènes, dans la représentation mentale que les peuples forment autour de l’existence humaine et de la vie. Comme dans toutes les sociétés, la nécessité et l’exigence impérative de perpétuer la vie ; le besoin de la préserver ainsi que la quête du bien-être, ont amené les peuples à fixer des normes et règlements à tenir et à observer au quotidien. Le caractère inexplicable de certains phénomènes naturels, le fait même de l’existence ; le mystère de la vie, a provoqué chez l’homme un besoin sinon de comprendre, du moins de justifier les mécanismes physiques ou métaphysiques qui figurent à l’origine de la dimension matérielle et ontologique de l’Homme. Dans toutes les sociétés premières (ou primitives), l’inexplicable ou le mystérieux, et tout ce qui se situait au-delà de l’entendement humain allait peu à peu revêtir un caractère marginal, voire interdit, dont l’être humain doit parfois en accepter la prédominance et la supériorité, pour s’en accommoder et en faire en définitive objet de culte et de vénération. Ainsi les religions traditionnelles affectentelles un caractère sacré, autant aux éléments de leur environnement immédiat (montagnes, animaux, arbres, forêts, rivières, etc.), qu’aux phénomènes naturels comme la foudre, les tempêtes, le brouillard, les éruptions volcaniques, la pluie etc. quelques Les sortes croyances le cadre traditionnelles législatif de qui ces fixent en sociétés attribuent généralement un statut divin et sacré à maints 163 phénomènes dont elles ne peuvent expliquer l’origine et les fondements. Comprendre et maîtriser – du moins en partie – certains de ces phénomènes globalement physiques, conféreraient à quelques individus aux qualités exceptionnelles, des pouvoirs magico-mystiques, qui les distingueront de la masse de leurs congénères. Parlant des pouvoirs magiques de son oncle, le guerrier Mbombi, le traître Makendo affirme : « … En effet sans mon concours, vous n’aurez jamais l’oncle Mbombi ; il a le pouvoir de devenir instantanément vieillard, enfant, femme, animal, végétal, voire même poisson. »101. Ce propos ne fait que confirmer ce que nous apprenions plus tôt dans le texte, à travers le portrait que le garde Tsoni dresse du guerrier : « A madicama. côté Mbombi Comme lui yana fait la fort beaucoup ; guerre avec ba lui plein sotres (les autres), samais voir la vilace pour lui – comme vous tirez le dusil sur leur, vous tendi n’y a qu’à haut le coq santer cocorico ô ô ô… et samais voir dishommes. »102 L’usage de la magie et des sortilèges dénote de la place du surnaturel, peuples ; certains paranormaux et dont et de individus ils sont l’importance accordent supposés mystiques. La croyance en ces phénomènes à des comportements très divers, 101 à que ces tirer certains phénomènes des pouvoirs donne parfois lieu mais souvent peu - NYONDA Vincent de Paul : Le combat de Mbombi ; Paris, Editions François Réder, 1979, p.26. 102 - Id. p. 19. Ce parler petit-nègre était généralement la manière de s’exprimer des miliciens, des gardes et de beaucoup de commis de l’administration coloniale. Mais certaines expressions particulières renvoient aux origines ethniques du dramaturge. On peut ainsi traduire le propos du garde : « Pour la guerre Mbombi est très fort, il possède beaucoup de sortilèges (des gri-gri). Quand il fait la guerre aux autres, jamais on ne voit son village – quand vous tirez sur lui, vous n’entendez que les chants du coq dans les arbres cocorico ô ô ô… vous ne voyez jamais les hommes », (sous-entendu que vous combattez). 164 rationnels ; c’est ce (Mbombi et que l’on peut lire dans cette didascalie : « Ils tirailleurs arrivant ses sur le guerriers) lieu, le se dissimulent Lieutenant en Les tête, déposent leurs armes sur les guerriers transformés en arbres par la puissance magique de Mbombi »103. Si l’objet premier dans l’attachement à une croyance, ou à l’exercice rechercher garantir le d’un mieux l’intégrité quelconque vivre de et l’être de pouvoir magique préserver humain, la la est de vie ; de maîtrise de la connaissance et des forces naturelles et surnaturelles n’est pas restée sans danger. Plusieurs situations donnent en effet à penser qu’il y a souvent eu dérive dans la pratique de certains rituels, ce qui signifie qu’il y a véritablement détournement croyances ; des des fondements forces et premiers du pouvoir des rites spirituel et qui des en découlent. Pour l’homme qui a été forgé au moule des us et des coutumes de la tradition africaine, il n’est pas concevable de séparer les croyances de leurs manifestations religieuses, et de la force spirituelle qui résulte de ces pratiques dites magiques. Si le fait de croire en des forces et des entités magiques ou mystiques sont propres à tous les membres d’une communauté, la pratique ainsi que l’invocation de ces forces surnaturelles restent cependant l’apanage de quelques individus, à qui le statut d’ « initié » confère une place et un rôle prépondérant au sein du groupe. Ainsi, à différents niveau et à des degrés divers, les « Ngangas » et les « sorciers » ; les mânes des ancêtres ou les esprits (bons ou mauvais) qui constellent la production littéraire d’Afrique Centrale constituent en même temps le 103 - NYONDA Vincent de Paul : Le combat de Mbombi ; Paris Editions François Reder, 1988, p.19. 165 symbole d’un certain attachement aux croyances et aux univers traditionnels, mais aussi la manifestation d’une inquiétude certaine ; d’un questionnement vis-à-vis de la portée sociologique et métaphysique, et de l’impact que produisent ces croyances dans la vie des hommes et dans celle des communautés. La question prend une toute autre importance si l’on tient compte des nombreuses perversions que l’on observe aujourd’hui autour des univers traditionnels du sacré, et de la spiritualité de façon générale. Nous évoquons plus tard la problématique des cultes dévoyés. 4.1 – Les détenteurs du pouvoir : Dans le cadre de l’exercice du pouvoir spirituel, les sociétés traditionnelles ont pris pour mode de fonctionnement, la catégorisation des domaines de compétence et de pouvoir. Ainsi, dans l’ordre protocolaire qui régit les rapports entre ces différents niveaux de compétence on a : - Première catégorie, les mânes des ancêtres et les esprits bienveillants, protecteurs du groupe, du clan ou de la famille. Ils président à la destiné des vivants et sont invoqués ou consultés dans les moments importants la vie des communautés, ou pour expliquer l’origine de certains événements observés au sein des groupes. C’est ce que l’on peu notamment lire chez NYONDA, dans Le ROI Mouanga, où la récurrence du terme « mânes » dénote de l’importance de ce concept dans la société mise en scène : « …. Je pense que c’est à dessein que les mânes l’ont rendu maintenant plus étrange pour qu’enfin, je profite de la situation pour le remplacer. »104 Ou encore : « … il me semble que les mânes 104 - NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, 1988, p. 5. 166 nous ont conféré un commun ».105 destin De même, pour se convaincre de la nécessité de déposer le vieux roi, mais aussi de la pertinence du régicide, le conjuré déclare : « Si telle est la volonté des Mânes nous réussirons sans obstacle. »106 La réplique de son complice vient toutefois montrer que l’invocation des mânes ne concerne pas que des causes justes et salutaires ; celui-ci doute en effet que les mânes répondent favorablement à leur désir de destituer le roi : « Tu parles de Mânes, mais MOUANGA ne se confie-t-il pas aussi à eux ? Et qui sais, peut-être que ceux auxquels nous nous adressons sont moins attentifs à nos prières que les siens. »107 Plus loin, dans le même texte on peut lire : - MOUANGA – MOMA, consulte les esprits… - MOMA – Majesté, que les Mânes gardent à jamais les chemins de KOMBI ! En effet, tes cousin et gendre, s’apprêtent à t’enlever la vie juste au moment du repas. Mes esprits sont catégoriques. A toi d’agir vite !108 - Deuxième catégorie, les devins et les sorciers qui assurent la communication et les échanges entre le monde des vivants et le monde des esprits. Les personnages de Moma, Momo (qui n’apparaît qu’à la scène II de l’acte IV) et de Soula Le Vieux dans Le Roi Mouanga de NYONDA, appartiennent à la catégorie des devins et des sorciers. Dans Emergence d’une nouvelle société du même auteur, le personnage de La Voyante est clairement désigné par son rôle et ses attributions culturels et sociaux. Elle se situe en effet à l’intersection de deux mondes, jouant le rôle de courroie de transmission entre les vivants et les morts. C’est aussi dans cette catégorie que se situe La Sorcière Dingana dans Le Zulu de Tchicaya U TAM’SI. 105 - Id. - Ibid., p. 7. 107 - NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, 1988, p. 8. 108 - Id. p.15. 106 167 - Troisième niveau de compétence ; les chefs de clans et les chefs de familles, dont le pouvoir politique repose souvent sur le pouvoir spirituel. C’est le cas du Roi Mouanga, de Mbombi, de Guykafi, ou des nombreux rois (Louis DOWE, QWABEN, Denis (RAPONTCHOMBO) et tous les chefs de clans, de villages et de familles que l’on rencontre dans la plupart des pièces de NYONDA. - Quatrième catégorie dans l’ordre protocolaire ; les guerriers. Ils constituent la puissance militaire et la force physique des communautés. Force de dissuasion et de persuasion, les guerriers sont un gage de respectabilité. Une armée bien structurée et bien commandée est une assurance de stabilité et de paix. guerriers en font des Les exploits personnalités militaires craintes de et ces enviées. L’origine mystique de leur puissance leur confère une renommé qui est souvent la garantie d’une certaine inviolabilité de la communauté. Cet ordre, qui peut varier selon les milieux et les contextes historiques, peut accorder la préséance à une catégorie plutôt qu’à une autre. C’est cependant l’harmonie et la coordination des activités et des charges entre les différentes catégories qui assurent la cohésion et la bonne marche du groupe. 4.1.1 – Les devins et les sorciers : La récurrence traditionnelles et des au phénomènes pouvoir liés spirituel, aux dans croyances le théâtre d’Afrique Centrale, donne à regarder ces univers comme un facteur potentiel de l’expression de la dimension sociale de ce théâtre. Dans effectuer, les il différentes apparaît que analyses les 168 que devins nous et les avons pu sorciers marquent une certaine prédominance dans la sphère des pouvoirs spirituels. Et si, à l’instar des peuples d’Afrique Centrale, l’on considère que la sorcellerie est à l’opposé des arts stricte), divinatoires il est (vues légitime dans de leur voir expression dans la la plus catégorie des sorciers, non pas un, mais deux types de pouvoirs ; l’un positif, et l’autre négatif. A- Les sorciers : La connaissance des univers paranormaux prédispose les individus dits sorciers au statut de dominant. Ils ont cependant besoin de l’adhésion des autres structures sociales et de tous les membres de la communauté pour asseoir et conforter leur statut et la force de leurs pouvoirs ; et marquer ainsi leur influence publique. René BUREAU en donne la mesure à travers deux questions essentielles. D’abord sur la notion de sorcier ; « Qu’est-ce qu’un sorcier ? On le distingue parfaitement du guérisseur, du « féticheur », du devin. Le vrai « sorcier », ce peut être n’importe qui, vous ou moi. Il est très rare que l’on sache qui est réellement sorcier. Il faut que la situation soit très mauvaise : accidents, stérilité, maladie, mort prématurée. On met alors en œuvre des moyens très élaborés de dépistage, comme l’ordalie par exemple. Par contre, la suspicion de sorcellerie est possible à tout moment, vis-àvis de ceux qui ont plus que les autres : richesse, succès, famille nombreuse et prospère, savoir et pouvoir surtout. »109 S’interrogeant statut de sorcier, ensuite en sur d’autres les voies termes qui comment mènent au devient-on sorcier ? BUREAU note : « En commettant un acte qui viole les normes les plus fondamentales du groupe, par un inceste, ou, 109 - BUREAU René : Anthropologie, religions africaines et christianisme ; Paris, Karthala, 2002. p.178. 169 le plus souvent, en d’envoûtement), tuant si un être possible humain un (par parent la magie proche. La qualification majeure des sorciers est celle de « mangeurs d’âmes ». Moyennant quoi, le sorcier acquiert des pouvoirs qui le mettent dédoublement, ubiquité, au-dessus incarnation capacité de la dans le d’agir à condition corps commune : d’un distance et, animal, surtout, connaissance des choses cachées (le mot fang, beyem, sorcier, est de la même racine que « voir ». Ces dons permettent d’accumuler de manière occulte richesse et pouvoir. »110 Comme nous pouvons le constater, la personnalité du sorcier ainsi que entourés véritable d’un son rôle dans sentiment la communauté, négatif. Souvent restent frappé d’opprobre le sorcier a toujours grand intérêt à ce que son identité reste secrète. En tout état de cause, croyances et pouvoirs spirituels en Afrique sont deux phénomènes qui s’imbriquent l’un dans l’autre. Croire en des forces surnaturelles et mystiques est le fait de tous, alors que la pratique et l’exercice de ces pouvoirs restent le fait d’une certaine élite, ce qui se confirme dans ce propos de BUREAU : « Les sorciers sont censés se grouper en associations nocturnes. Ils constituent donc une cautionne sorte et de garantit contre-société le qui, fonctionnement paradoxalement, de la société publique, le « monde du jour », comme on dit dans certaines langues. D’une part, tout le monde désire, plus ou moins consciemment, posséder le pouvoir sorcier. D’autre part, si quelqu’un est convaincu de sorcellerie, il est, sinon mis à mort, du moins banni du groupe. »111 Mais alors – peut-on se demander – comment se constitue cette élite du pouvoir ; ce cercle fermé de « connaisseurs » (selon la traduction du terme 110 fang pour désigner les - BUREAU René : Anthropologie, religions africaines et christianisme ; Paris, Editions Karthala, 2002, p. 178. 111 - Ibid., p. 178-179. 170 sorciers) ; membre de « savants », d’un groupe alors peut même que prétendre tout au individu titre de « connaisseur », alors même que tout individu jouissant de son libre arbitre serait à même de décider du bien fondé ou non, de telle ou telle assertion, de la validité ou non de telle ou telle pratique ? Répondre à cette question demande que l’on aille audelà de la pensée purement matérielle, pour prendre en compte aussi bien la perspective métaphysique, que le domaine de la morale et des rapports humains. Il convient de ce fait, de se rappeler au préalable, ainsi que nous l’avons énoncé plus avant, que la pensée africaine distingue deux types de pouvoirs. L’un, matériel et sensible, de l’ordre du politique et de l’économie ; tandis que l’autre, plutôt purement idéel dans le domaine fantastique, au monde pouvoir joue sur du de les et spéculatif, paranormal. Il l’imaginaire et questionnements et se situerait fait du appel au mystique. Ce peurs, les les obsessions et les aspirations des populations. Le rapport des africains au paranormal est très important. Il est significatif aussi bien de la résurgence d’une pensée et d’un mode de vie séculaires, que de l’expression d’une forme d’impuissance ; de désespoir face aux défis du monde moderne. C’est dans ce cas précis que l’on peut observer cultuelles sorcier, individus une certaine ancestrales. ou aux Le ordalies indélicats dans déformation recours par une à la exemple, des pratiques « science » pour communauté d’un confondre était des des faits rares, exécutés dans des situations de trouble extrême. Mais la littérature africaine et particulièrement le théâtre, nous présente aujourd’hui ces pratiques comme des faits au caractère commun. Dans Trois prétendants… un mari, le vol de l’argent de la dot est un événement si important que la médiation d’un sorcier est, pour les villageois le seul moyen 171 de découvrir s’agit ici la de vérité montrer sur la l’identité futilité du des malfaiteur. faits qui Il amènent parfois les villageois à faire appel à un sorcier. Ce qui est important à noter dans ce rapport aux choses c’est l’anachronisme de la situation et du choix des villageois. Pour Trois prétendants… un mari, l’anachronisme vient de ce que les viscéral villageois de posséder se des situent biens entre et le des besoin insignes presque du monde moderne (argent, boissons vêtements à l’occidental etc.), et le retour systématique à la pensée traditionnelle lorsqu’il est question de trouver des réponses aux problèmes et aux difficultés induites par la modernité. Cet anachronisme s’observe également dans la vie courante, et c’est parce que le théâtre, en Afrique, s’inspire presque toujours de la vie quotidienne que ces faits apparaissent comme un véritable sujet de préoccupation. Il n’est pas rare en effet que dans les milieux les plus divers, les africains se réfèrent à la sorcellerie pour toutes sortes de situations. Cela peut aller de la quête spirituelle personnelle, à la recherche d’un emploi, ou au désir de progresser au sein de son entreprise comme l’évoque Mayo, personnage de La forêt illuminée de MENDO ZE, qui décrie la bassesse des manœuvres orchestrées par son collègue Lonabo, pour bénéficier d’une promotion : - Mayo : Toi, à force de courbettes, de messes nocturnes et de sorcellerie, tu as envoûté le patron pour mener à bien tes magouilles.112 Dans La forêt illuminée, le fait que Lonabo s’entoure des services d’un sorcier nous ramène bien à cette conception qui veut que le sorcier soit en mesure de contrôler les esprits et le destin des individus ou des groupes entiers. En exécutant des rites magiques ou en proférant des incantations destinées à envoûter des individus cibles, ou en prenant tout 112 - MENDO ZE Gervais : La forêt illuminée, suivie de Boule de chagrin, Paris, Editions Présence Africaine, 1990. 172 simplement possession de leur âme, le sorcier est à mesure d’influer sur le destin individuel de n’importe quel C’est le cas dans la pièce aux accents tragiques de U personne. TAM’SI ; Le Zulu, où le rôle du sorcier se confond à celui de devin, mais où la perspective d’action change, car dans la réalité du texte, la sorcière est surtout annonciatrice de présages, même si le Guerrier ne voit en elle que l’obstacle qui tente de l’empêcher d’accomplir le destin dont il se sent investi. Elle prédit en effet la défaite à Chaka et invite celui-ci à renoncer à son désir de conquête de Nobamba où, dit-elle Chaka sera confronté à la défaite. Ainsi que nous l’avons déjà évoqué plus loin, le rôle sociologique du sorcier tel qu’il est perçu par les occidentaux diffère fondamentalement de la représentation que font les peuples Bantou de la personne même du sorcier. L’imaginaire occidental voit dans le sorcier africain un être certes maléfique, mais il est surtout perçu comme un meneur d’hommes, une sorte de guide moral des populations doublé d’un pouvoir de guérisseur du fait de sa profonde connaissance des vertus pharmacologiques des plantes. En réalité, les Bantou considèrent le sorcier comme un être absolument généralement maléfique. qu’il vit C’est à un cheval individu sur deux dont on dit mondes, celui visible des vivants, un monde profane ; c’est le monde de ceux qui ne perçoivent que le réel ; le monde concret. Et de l’autre côté globalement le monde voués au invisible, mal. Pour des la esprits, majorité des des génies peuples Bantou, le sorcier est doté d’une connaissance des éléments et des choses. Cette connaissance va au-delà des limites de la réalité et de l’entendement humain. Aussi, chez les Fang du Gabon, de vocable /NNEM/ Guinée que l’on Equatoriale peut et traduire du Cameroun, en français le par sorcier, signifie en réalité « savant ». Le sorcier est donc 173 celui qui est supposé voir ce qui se cache derrière les choses, ce qui se passe dans le monde de la nuit, un monde de maléfices et de mystères ; le monde de la mort. L’imaginaire populaire africain veut d’ailleurs que le sorcier soit doté de deux paires justement d’yeux ; celle qui la est seconde supposée paire, voir invisible au-delà du est réel. Lorsque le sorcier fait usage de ses connaissances ce n’est jamais pour construire ; il est le messager du mal, de la destruction et de la mort. C’est que la singularité des pouvoirs mystiques (ou magiques) du sorcier ne se limitent pas à percevoir simplement le monde des esprits ; il peut s’y mouvoir et y agir. Globalement présenté et conçu comme un voyage astral, les déplacements du sorcier s’effectuent du monde réel profane vers le monde des esprits. Ce voyage est possible grâce à une entité mystique qui confère à celui qui le possède les capacités propres aux /BEYEM/ (pluriel du nom /NNEM/ que nous avons vu plus haut). Selon la croyance traditionnelle, seuls quelques élus sont très tôt, dotés de cette entité distinctive, sorte de fluide, de principe vital qui leur permet de se débarrasser de leur enveloppe corporelle pour entrer en communication avec le cosmos. Le sorcier, semble-t-il, ne subit ni les lois ni les limites du temps, ni celles de l’espace ; et d’après les rares témoignages que quelques uns d’entre eux ont parfois donnés, le sorcier peut aller n’importe où sur la surface du globe, à la vitesse de l’éclaire. Puisqu’il n’est pas soumis aux lois de la physique gravitationnelle, le sorcier semble parfois perdre toute notion de prudence et de mesure. Car sans doute emporté par l’élan de ses activités nocturnes et par l’ivresse de ses pouvoirs surnaturels, le sorcier est parfois rattrapé par le ‘’monde diurne’’ ; un monde auquel il s’efforce toujours d’échapper, de se cacher. 174 C’est que dans la réalité quotidienne de l’univers traditionnel africain, le sorcier n’a aucun intérêt à être reconnu en tant que tel en dehors du cercle des « initiés », car son rôle et l’impact de ses activités au sein de son groupe socio-ethnique portent plutôt une marque négative. Le sorcier est celui qui porte malheur, il peut rendre malade ou rendre fou. Il peut provoquer toutes sortes de fléaux contre n’importe qui, il peut donner la mort simplement en ingérant les âmes (et parfois les corps) de ses congénères. Le sorcier est aussi celui qui livre à ses ‘’compagnons’’ mystiques les principes vitaux de ses concitoyens. Dénué de tout sentiment affectif, il est entièrement possédé par la partie obscure et négative de son être ; de son pouvoir. Dans toutes les communautés bantou d’Afrique Centrale, beaucoup de récits font état de sorciers qui n’ont pas hésité à s’en prendre à leur propre progéniture, soit en leur ôtant toute possibilité d’épanouissement social, soit en les livrant comme victimes de leur cérémonies magiques Ainsi que nous l’avons déjà énoncé, il y a une certaine récurrence de littéraire africaine. toujours sur l’élément les dit Du contextes mystique fait de dans qu’elle la la production s’appuie réalité presque sociale, cette littérature et particulièrement le théâtre donnent à lire les différents phénomènes culturels comme relevant du folklore. Il y a en vérité derrière ce fréquent renvoi aux multiples formes de l’expression des usages culturelles, toujours une quête du sens originel des faits et gestes ; des pratiques cultuelles des peuples, de leurs croyances. 175 B- Les devins : Comme les sorciers, les devins appartiennent à l’univers des croyances populaires d’Afrique. Comme son nom l’indique, le rôle du devin consiste à interpréter les signes du monde et du destin, à deviner la cause des faits, à prédire et surtout à anticiper l’accomplissement de certains faits. Il peut par sa science, conjurer un mauvais sort, un mauvais présage, détourner un maléfice, déterminer l’origine d’un malheur ou d’une maladie, etc. A l’origine, son rôle dans la société est positif car favorable à l’épanouissement de l’homme et de la communauté entière. Le devin fait office d’oracle ; il est souvent de bon conseil car il est doté d’une certaine expérience et plein de sagesse. Dans son ouvrage Socio-anthropologie des religions, Claude RIVIERE note que « La place du devin dans la société dépend de plusieurs variables : sa spécialisation technique, c’est-à-dire sa fonction d’interprète savant d’un oracle décodé selon une procédure intellectuelle (divination inductive à base de savoir) ou selon sa propre inspiration s’il se présente comme médium et messager d’une puissance invisible (divination intuitive à base de mysticisme) ; son degré de technicité dans l’interprétation des messages : compétence et notoriété s’acquièrent au fil du temps par des initiations, des mémorisations, des rites, des expériences multiples avec les clients qui jugent les réussites et les échecs ; fonction. le statut Même d’éventuelles essentielles si social la menaces au groupe, attribué conjuration et la au du l’apport situation détenteur mal, de la l’éloignement certitudes sociale de sont réservée au devin peut demeurer modeste chez les Moundang, tandis que le devin fon ou yoruba jouit d’un prestige à la mesure de sa 176 clientèle habituelle (devin de village, de région, de chef, de roi) »113. Le devin, comme le sorcier, se situe à l’intersection du monde profane et du monde spirituel et mystique. Ces deux entités souvent perçues comme le recto et le verso d’une même réalité figurent en quelque sorte la dualité contradictoire du monde ; le « bien » et le « mal ». On peut aussi les voir comme « le yin et le yang » tels qu’ils sont décrits par les philosophies mystiques asiatiques. Pendant que le devin œuvre pour le bien, le sorcier lui, est au service du mal. Dans la vie et la pratique cultuelle et religieuse des sociétés d’Afrique Noire traditionnelle, le sorcier usurpe souvent l’identité du devin pour commettre nombre de méfaits, et instaurer la discorde au sein des groupes. C’est ainsi donc que parfois dans une forme cynique et caricaturale, les dramaturges énoncent les faits liés aux devins et aux sorciers. Mais l’énonciation d’un acte divinatoire ou prophétique dans un texte, peut aussi prendre des accents plus sérieux, plus graves, particulier, Ossito pour ou exprimer général. MIDIOHOUAN à la C’est propos de tragédie d’un ce constate la malédiction destin notamment Guy prophétique prononcée par Zwidé à l’encontre de Chaka : « Ton propre sang t’étouffera ». Il note à ce sujet que le « mysticisme dans lequel baigne toute la pièce rend la tragédie plus poignante par l’extraordinaire puissance de la fatalité. »114. L’influence des croyances semble ici un élément fédérateur des « grands « et des « petits » autour d’un même symbole : le pouvoir politique. Mais d’un autre côté, les raisons qui amènent à convoquer des séances divinatoires peuvent aussi apparaître 113 - RIVIERE Claude ; Socio-anthropologie des religions : Paris, Armand Colin, 1997, p. 108. 114 - MIDIOHOUAN Guy Ossito : L’Idéologie dans la littérature négroafricaine d’expression française ; Paris, L’Harmattan, 1986, p. 159. 177 sous les formes d’une affaire moins sérieuse, ce qui va donner au texte des accents burlesques et comiques, comme c’est le cas représente de un Trois comique prétendant…un de situations mari, aussi où le bien comique que de paroles. Les villageois, désemparés de ne plus pouvoir retrouver l’argent donné par les deux premiers prétendants de leur fille sont contraints de faire appel au sorcier Sanga-Titi, qui se veut en réalité un devin, et dont tout dans la façon de procéder, laisse à penser qu’il n’est qu’un vil escroc, mais qu’au comble du désespoir, les villageois, ses victimes, sont prêts voleur, à même tout les essayer fourberies pour découvrir d’un personnage l’identité aux du pouvoirs douteux, dont ils sentent bien qu’il n’arrivera pas à dénouer une situation qui se présente déjà comme une catastrophe. Mais les malheureux villageois ont-ils d’autres moyens pour démasquer et confondre le malfaiteur ? Car l’unique solution qui se présente à eux est celle que leur indique l’usage traditionnel, à savoir la divination. A cet effet, on peut s’interroger L’explication, sur ce c’est qui fait encore d’un RIVIERE individu qui nous un la devin. fournit lorsqu’il indique les voies qui mènent à ce qu’il appelle la géomancie ; ainsi que ses modes opératoires: « Donc pour être devin, il faut non seulement connaître intellectuellement les codes du langage divinatoire, mais encore maîtriser la psychologie d’un groupe social, ses technique du corps, ses modes sociaux de communication, ses croyances religieuses. C’est dire que, pourtant spéculative en un sens, la géomancie glisse au dramatique en ce qu’elle procède de la supplique et l’imploration. Le consultant, face à un choix cherche à légitimer des actions qui font problèmes pour lui. Il ne le peut qu’en étudiant les rapports de forces entre les dieux, le cosmos et son propre entourage, ce qui met en jeu à la fois un système de valeurs et un jeu de tensions sociales, 178 au point que plus le champ des rapports humains est perturbé par des catastrophes naturelles, mutations technologiques, maladies, haines cachées ou accusations de sorcellerie, plus s’observe une recrudescence des actes divinatoires. Sous cet angle, la géomancie (…) pourrait être saisie comme un instrument d’analyse sociale. »115 4.1.2- Chefs de clans et chefs de familles : Dans la catégorisation que nous présentions en ouverture de ce chapitre, nous donnions les chefs de clans et les chefs de familles comme des dépositaires incontournables du pouvoir spirituel, à l’intérieur des communautés socioethniques. Il faut aussi rappeler que le pouvoir spirituel va parfois de l’organisation paire avec sociale et le pouvoir politique politique des dans communautés de l’Afrique traditionnelle. Aussi, lorsque l’on est appelé à parler des croyances traditionnelles, on peut observer que la relation des chefs de clans et des chefs de familles à ces deux types de pouvoirs apparaît comme une relation de fait ; celle-ci est intimement liée à un ordre d’existence dont la manifestation phénoménologique constitue l’un des moments fondamentaux dans l’expression sociologique des communautés et de leurs traditions. Pour comprendre la situation familiale décrite par les dramaturges africains, il faut faire appel à un élément que nous avons déjà évoqué, à savoir le système des alliances matrimoniales, mais aussi le système des échanges commerciaux entre les communautés. En effet, le rôle de chef de clan et de chef de famille est plus ou moins important en fonction de l’importance et de la nature des alliances contractées au fil des époques, par la famille et le clan de manière générale. 115 - Op. Cit. p. 109. 179 En Afrique certains Centrale, individus au le moment rayonnement de la politique rencontre avec de les premiers explorateurs a donné lieu à des attitudes diverses. Si la majorité des nouveaux venus était davantage préoccupée par la parmi recherche eux a a déclinaisons produits cependant fonctionnement rencontre des des de voulu sociétés permis de la exotiques, un comprendre qu’ils petit les nombre modes rencontraient. mettre en évidence fonction de chef ; les ses de Cette multiples modes de fonctionnement et les limites de son influence. Parmi les textes de notre corpus où l’on peut lire les différentes déclinaisons de la notion de chef, il y a sans doute les textes de NYONDA et de OYONO MBIA. Chez le premier, la notion de chef se confond parfois avec celle d’ancien ; le Conseil des Anciens qui confère avec Bessieux et ses missionnaires dans Bonjour Bessieux, ou bien celui qui va à la rencontre de De Brazza dans Deux albinos à la M’Passa, illustrent bien la nature de cette notion de chef dans les sociétés de type clanique ou lignager. Comme nous l’avons dit plus haut, le rôle de chef est parfois le fruit de circonstances fortuites. Dans les sociétés traditionnelles, n’importe quel individu peut être amené à assurer ce rôle. Mais souvent certains critères, liés à la valeur intrinsèque de l’individu ; extérieurs ou pas à la dimension matérielle et économique de celui-ci (la morale et la générosité ; le dévouement au bien-être de sa communauté), vont le désigner pour assumer le rôle de guide du groupe. C’est à ce niveau que souvent la relation du politique au mystique ; au spirituel, apparaît. Car en Afrique traditionnelle, le monde des esprits exerce une forte influence sur le monde visible. Si par exemple un individu donné accède au rang de chef de clan ou de tribu, c’est parce que, croit-on, les ancêtres du clan ou de la tribu l’on voulu ainsi. C’est un pouvoir d’essence quasi divine, même s’il 180 reste en grande partie contrôlé par l’ensemble des chefs de familles regroupés au sein du conseil des sages. Dans leurs communautés, les chefs de clans et les chefs de familles sont perçus comme les dépositaires d’un certain pouvoir spirituel, qu’ils ont acquis bien souvent au terme d’une initiation plus ou moins longue, selon les rites. Pourtant, tous les initiés aux cultes traditionnels ne sont pas appelés à devenir des chefs de clans ; ils seront tout au plus chefs de familles. Dans tous les cas, ce qui importe le plus dans la désignation d’un responsable de clan, de tribu ou de groupement de tribus c’est globalement sa capacité à mener les hommes ; sa capacité à conduire les affaires ; son expérience à gérer avec le plus d’impartialité possible, les relations au sein du groupe d’où il vient. Sa position est toujours confortée par sa naissance ; car le chef de famille des ces sociétés traditionnelles est presque toujours le premier né, masculin d’un lignage. Le clan désignera souvent à l’intérieur l’individu de qui la catégorie présente le plus des chefs de d’aptitudes à familles, assumer la fonction de responsable de la communauté. C’est cet individu qui présidera à toutes les cérémonies politiques, culturelles et religieuses du groupe. Assisté d’un conseil des anciens, il sera toujours différentes la courroie couches de sa de transmission communauté entre avec le les monde extérieur ; entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Car l’importance demande parfois des que décisions l’on prises consulte les par la mânes communauté des anciens. Avant d’aller livrer bataille, le guerrier Mbombi116 demande que les soutien, mortelles mânes et de soient que ses ces consultés derniers ennemis. Seul afin le le de s’assurer préservent chef de leur des flèches clan, jouant parfois le rôle de grand prêtre, est habilité à convoquer ce 116 - NYONDA Vincent François Réder, 1981. de Paul ; Le combat 181 de Mbombi, Paris, Editions rituel au cours duquel chacun est invité à s’ouvrir à la sagesse des aïeux. La charge mystique investie par la fonction de chef a souvent conféré, à certains de ces élus, un pouvoir politique qui a parfois rayonné au-delà de son territoire ; au-delà de sa zone d’influence initiale. L’histoire politique et religieuse africaine est riche de ces personnages de légende qui, comme Chaka, Soundjata, Lat Dior, Béatrice du Congo, Samory Touré etc…, ont créé et fait prospérer de puissants empires politiques et religieux. Et au Cameroun, le Sultan NDAM N’JOYA qui s’était opposé à l’implantation d’une colonie française sur le territoire du royaume Bamoun ; au Gabon, WONGO le guerrier de l’ethnie Nzébi qui donna tant de soucis au colonisateur français, et dont l’histoire nationale a fait un héros ; etc. Ces personnalités souvent hors du commun, continuent de fasciner encore aujourd’hui, aussi bien les historiens que les politiques. Parfois méconnus, ces grands africains font depuis quelques décennies, l’objet d’un intérêt tout particulier, car les écrivains africains ont entrepris à leur manière de réhabiliter la mémoire de bon nombre de ces héros, souvent injustement présentés comme des renégats, par une opinion parfois incapable d’assumer son histoire, son passé. Qu’ils furent guerriers ou princes ; simples paysans ou riches commerçants, tous ont en commun d’avoir fait de leurs peuples, des hommes de conviction et de combat contre l’envahisseur européen. Dans tous les cas, ce que nous pouvons en définitive retenir du rapport des chefs de clans ou de familles avec le pouvoir spirituel c’est que ce rapport situe l’exercice du pouvoir politique à l’orée du pouvoir spirituel, auquel il confère un cachet religieux plutôt que surhumain, ou surnaturel. Le chef, quelque soit la nature de son pouvoir, reste avant tout un être de chair et de sang, donc faillible 182 et mortel. C’est souvent d’avoir éludé cet aspect limité de l’homme ; sa finitude, que de nombreux dirigeants de l’Afrique traditionnelle se sont révélés au monde comme des tyrans. 4.1.3 – Les guerriers : Comme les chefs de clans et les chefs de familles, les guerriers constituent l’une des catégories qui structurent la société traditionnelle africaine, et l’une des catégories au sein desquelles le pouvoir spirituel peut s’exercer. Certains guerriers, à travers l’importance et la nature de leurs exploits militaires, ont parfois tenu des rôles de prêtres au cours de cérémonies d’initiation de jeunes « appelés ». De fait, leurs charges et leurs domaines de compétence sont cependant d’abord de l’ordre du militaire ; mais il arrive très souvent que leurs fonctions surpassent le domaine des armes, pour englober les aspects politiques, culturels et économiques. Si un guerrier peut donc parfois être investi du rôle de chef de clan ou d’officiant au cours d’une cérémonie rituelle, il est plus généralement au service d’une autorité suprême à laquelle il doit allégeance. De ce point de vue, lorsque l’on compare traditionnelles les africaines, sociétés les modernes, deux aux diffèrent sociétés fort peu ; l’armée est toujours inféodée au pouvoir politique. Dans les textes de notre corpus pourtant, deux types de structures militaires peuvent être observés. Il y a d’un côté, celui que nous pouvons désigner comme le bon militaire, c’est-à-dire celui qui reste entièrement soumis à l’autorité politique ; c’est le cas de Guykafi et de ses compagnons d’armes, tout comme Mbombi. De l’autre, il y a d’autres tels que Chaka, Moroni, Perono etc., à qui il ne peut suffire de 183 n’être que militaire ; il leur faut aussi le pouvoir économique, le pouvoir politique ; le pouvoir absolu. 4.2 – Les pratiques cultuelles dans l’organisation sociale ; formes, fondements et enjeux : Ainsi cultuelles que font nous l’avions partie déjà intégrante énoncé, de la les vie pratiques sociale des communautés traditionnelles africaines. Dans un monde où l’homme et son environnement entretiennent une relation fortement symbiotique, et où les sciences et les techniques locales sont restées à un niveau embryonnaire ; archaïque, la question des pratiques cultuelles et religieuses liées à l’économie du quotidien peut paraître sans grande importance pour une étude sortie d’un contexte anthropologique. Mais il est capital d’y restituer le débat, car c’est en abordant la question sous l’angle de l’évolution des sociétés humaines que l’on peut envisager fondements des et réponses des sur enjeux la des question faits des formes, religieux dans des le processus de l’existence culturelle des peuples africains. Nous pensons aussi qu’il faut s’interroger sur la nécessité pour la revisiter littérature l’univers africaine de ces de manière pratiques, dans générale un milieu de où l’ouverture au monde est pour l’ensemble des populations une manière d’être, et pour d’autres, la voie royale qui mène à la « civilisation ». La question essentielle est donc de rechercher dans notre corpus d’étude, les formes des pratiques cultuelles ; d’en établir les fondements, et ensuite de mesurer les enjeux d’un phénomène qui a été présenté par chrétienté comme hérétique ; diabolique. 184 le monde de la - Fondements, formes et enjeux des pratiques cultuelles dans les sociétés traditionnelles : Au moment cultuelles dans d’aborder la vie la des question sociétés des pratiques africaines telles qu’elles sont vues par le théâtre, nous voulons auparavant essayer de définir ce que l’on entend globalement par religion et, par son pendant qu’est la notion de sacré. Dans un sens général, on peut comprendre la religion comme un ensemble d’attitudes ritualisées qui visent à mettre l’âme humaine profane, la en rapport religion est avec la avant divinité. tout Différent reconnaissance du d’une entité supérieure à l’être humain, à qui ce dernier doit respect, obéissance et soumission, car de lui dépend sa destinée. A travers l’histoire de l’humanité, les religions ont eu des fondements divers, et pris différentes formes. Cette attitude morale et intellectuelle qui tend parfois à se conformer avec un modèle social, peut se constituer en une règle de vie. Et depuis la nuit des temps, les phénomènes religieux ont accompagné l’histoire des communautés humaines soit sous des formes acquises, le cas couramment donné des croyances traditionnelles ; c’est que l’expérience de l’homme au fil des temps, lui a permis de se forger un système de croyances, soit sous christianisme ou religion peut ne de la forme l’islam. s’exprimer révélée, Phénomène d’abord à l’instar du fédérateur, la qu’à un niveau individuel. A propos de religion, Claude RIVIERE, dans son ouvrage intitulé Socio-anthropologie des religions117 observe : « Bien avant l’époque grecque, à Sumer comme en Egypte, certains phénomènes sont censés manifester la présence des dieux. Dans l’antiquité 117 romaine, - RIVIERE Claude : Armand Colin, 1997. le terme religio Socio-anthropologie 185 des désigne religions, la sphère Paris, Ed. indépendante de l’Etat qui régit les pratiques et croyances ayant trait au sacré. »118. Ce qu’il faut retenir ici, c’est d’abord le fait que la notion de religion remonte à la nuit des temps. L’homme semble en effet avoir manifesté depuis toujours, une relation particulière avec le sacré ; avec le cosmos. De nombreux sites archéologiques permettent de renforcer ce propos. Deuxième fait à retenir de l’observation de RIVIERE, c’est l’universalité des notions de croyance et de sacré, donc de religion, notions auxquelles sont généralement attachés des groupes humains liés par l’adhésion à l’idée fondatrice de ce qu’ils considèrent comme participant de leur existence. Car comme le souligne Jean- François DORTIER (qui reprend la réflexion de chercheurs comme Rudolf OTTO, Gerardus van der LEEUW, Mircea ELIADE, Julien RIES…), « Pardelà l’histoire et la diversité de ses manifestations concrètes, il existerait une essence unique de la religion (…). La croyance en l’existence d’un monde invisible, transcendant et sacré, peuplé d’esprits ou de dieux auxquels les hommes vouent depuis toujours un même type de culte. Du chamanisme au christianisme, confucianisme, toutes les manifestations différentes des cultes croyances d’une même ne sataniques sont posture que au des mentale, s’exprimant à travers un même schéma de représentation. »119. La croyance religieuse n’est donc pas l’apanage d’un peuple unique. Et pour RIVIERE, « la religion a été entendue comme l’ensemble des cultes et des croyances, des attitudes mentales et gestuelles, dévotionnelles et orientées par des conceptions expression d’un au-delà. pratique que (…) les c’est religions d’abord se par leur caractérisent, c’est-à-dire par leur culte, ensemble des conduites fortement 118 - Id., p. 12-13. - DORTIER Jean-François ; « Dieu et les sciences humaines », in La religion. Unité et diversité, aux Editions Sciences Humaines, Auxerre, 2005. 119 186 symboliques pour les collectivités et ensemble de relations unissant l’homme à une réalité qu’il estime supérieure et transcendante. »120 C’est dans cette optique communautaire ; symbolique et conventionnelle que le fait religieux trouve ses origines aussi bien que la multiplicité des formes qui la caractérisent en Afrique, et dans les fondements mêmes de la religion. Citant Clifford GEERTZ, RIVIERE définit la religion comme « un système de symboles qui agit de manière à susciter chez les hommes puissantes, des motivations profondes et et durables, des en dispositions formulant des conceptions d’ordre général sur l’existence et en donnant à ces conceptions une telle apparence de réalité que ces motivations et ces dispositions semblent ne s’appuyer que sur du réel. »121. Les rituels religieux qui semblent alimenter le quotidien définir des la communautés place de africaines l’homme au sein veulent de la avant tout création car « l’homme redoute la puissance des dieux qu’il imagine être à l’origine de l’ordre du monde. »122 Ainsi qu’on peut l’observer dans les différents ouvrages qui soutiennent notre étude, un certain nombre de faits apparaissent de manière sporadique. Prenant des formes diverses, ils rendent compte d’un état d’esprit qui semble être caractéristique à une manière d’être de l’Homme africain. C’est ici un mode de vie où l’homme, toujours en quête de savoir et à la recherche du mieux-être, trouve dans les forces de l’univers un soutien, mais aussi un moyen possible de trouver des réponses à ses questionnements. « La géomancie sert à réduire les zones d’incertitude concernant le futur individuel ou un projet collectif, ainsi qu’à appréhender les possibles pour opérer un choix judicieux dans les moments difficiles (mort, maladie, sorcellerie, infortune, rite de passage), mais elle peut aussi dévoiler ce 120 121 122 - RIVERE Claude ; Op. Cit. p. 13. - Id., p. 16. - Op. Cit. p. 13. 187 qui s’est produit ou est en train de se produire de manière à ajuster la conduite en fonction de contextes favorables ou défavorables au consultant. »123 Vécues de façon épisodique et circonstancielle, toutes ces attitudes ; toutes ces pratiques appartiennent au domaine plus ou moins élargi de ce qui constitue croyances traditionnelles. Il en est évoqué, du occurrences, manière, culte des relèvent des ancêtres pratiques elles du monde des ainsi plus largement dans ordaliques aussi le ses qui, culte différentes d’une des certaine ancêtres. Le rituel du /NGUIL/124 chez les peuples Fang (Gabon, Cameroun, Guinée Equatoriale), se situe par exemple à mi-chemin entre le culte des ancêtres et un rituel ordalique dans la mesure où en effet, on peut y recourir aussi bien pour appeler la prospérité au sein du clan (rite de purification), que pour confondre et punir les membres du clan responsables de méfaits, ou soupçonnés d’avoir provoqué la mort d’un de leurs congénères (fonction ordalique du NGUIL). A côté de ces deux principales manifestations cultuelles, on peut noter la présence dans les textes de scènes évoquant des recours à d’autres types de rituels que l’on pourrait également classer dans la catégorie des usages dits cultuels. Ce sont, chez 123 - RIVIERE Claude ; Socio-anthropologie des religions : Paris, Armand Colin, 1997, p.108. 124 /NGUIL/ : D’après nos informateurs, /NGUIL/ou /NGUII/ (la prononciation varie selon les régions ; dans le nord du Gabon par exemple, la voyelle finale est allongée, alors que les Fang de la côte ajoutent un /l/ à la fin du vocable) chez les Fang, rite ou culte lié aux ancêtres d’une communauté donnée. A l’instar du /BIERI/, le /NGUIL/ appartient à la catégorie des rites religieux Fang. Il est donc fondé sur la croyance en la force protectrice des ancêtres d’un clan ou d’une tribu. Concrètement, les mânes des ancêtres sont représentés par un reliquaire constitué au fil du temps par des ossements (crânes essentiellement) recueillis après leur mort, de certains membres du clan qui, de leur vivant, étaient dotés de pouvoirs surnaturels, et qui se sont montrés braves en tant que guerriers, bon fils et bons chefs de familles. Leur disponibilité et leur dévouement face à la cause commune les prédisposent en fait à devenir « ancêtre » du clan. De même, les peuples Téké du Gabon et du Congo ; les groupes Yipunu (ou Punu) et Fang au Gabon, pratiquent respectivement le /NDJOBI/ et le /BWITI/. Ces deux cultes sont considérés par leurs adeptes comme des religions. 188 Chaka par exemple, le recours à la sorcellerie dont nous avons plus avant dénoncé le caractère destructeur et maléfique. Voici comment René BUREAU parle du sorcier, à la fois coupable et victime : « La croyance généralisée aux sorciers mangeurs d’hommes combine l’aspect actif et l’aspect passif du meurtre rituel. Le sorcier, homme ou femme de la nuit, clandestin, est censé accroître son pouvoir propre en s’incorporant la substance des autres. Cette opération se fait par le truchement des doubles : la personnalité a plusieurs composantes. Une fois mangée, la victime n’est plus visible que sous l’apparence de son ombre. Mais le groupe social est à l’affût de ceux qui se sont ainsi mis hors la loi et bénéficient de pouvoirs surhumains au détriment du commun. Si des inégalités apparaissent dans la communauté, si la maladie et la mort sont plus fréquentes que la normale, les individus dominants ou marginaux sont suspectés et, par divers procédés (dont l’ordalie est le plus courant) convaincus de sorcellerie et éliminés physiquement. »125. Ayant établi le fait religieux comme un élément constant de la littérature africaine et essentiellement du théâtre, il s’agit maintenant d’en évaluer les enjeux. Car si l’on peut affirmer une sorte de régularité dans l’évocation des pratiques religieuses (ou magiques) à l’intérieur de l’écriture dramatique d’Afrique Centrale, on ne peut manquer de s’interroger sur la portée et la signification de ces multiples phénomènes. En d’autres termes, il s’agit de cerner la variabilité ; le contenu des croyances selon les sociétés et les individus. Car un événement de type religieux ou rituel, si infime soit-il, dans une œuvre artistique, ne peut pas ne pas signifier quelque chose. La discrétion de ces phénomènes dans certains textes, tient davantage lieu d’une 125 - BUREAU René ; Anthropologie, religions africaines et christianisme, Paris, Ed. Karthala, 2002. 189 forme de « mauvaise foi » bien pensée et savamment mise en œuvre par certains auteurs, qui font mine de ne pas y toucher, mais qui pourtant ne peuvent s’empêcher de revenir d’une façon ou d’une autre, sur ce qui parfois apparaît comme une véritable obsession. Le phénomène prend pourtant une réelle importance lorsqu’il est observé non pas en tant qu’élément fondateur d’une œuvre unique (même si cela peut tout à fait s’envisager), mais lorsque, faisant une étude comparative à l’intérieur d’une aire littéraire par exemple, on y relève une importante occurrence du phénomène. Chez les six auteurs qui forment le socle de notre corpus, le fait religieux (sous une forme ou sous une autre), fait partie des éléments considérés comme incontournables et fondateurs de nombreuses fictions, de même que pour une partie importante de la création artistique africaine. C’est donc dans la généralité des textes qu’il est, à notre avis plus intéressant de saisir cette thématique, et de la questionner. Là où Jinette parle très brièvement de « messes nocturnes » pour évoquer les faits de sorcellerie, Chaka, sans davantage s’étendre sur le sujet, laisse entrevoir la portée et la place des faits de croyance dans la pensée et dans le quotidien des africains. L’importance de la pensée religieuse chez Chaka apparaît au travers de la formulation de son projet personnages, de c’est conquérir le même Nobamba. sujet qui Chez se ces deux déploie, l’un s’attarde sur le fait ; l’autre pas. Il reste cependant que Jinette126 comme Chaka127, ne conçoivent, ni ne croient à une existence ; à un monde sans sorcellerie ni mysticisme, comme source de tous les malheurs pour la première ; et pour le second, comme une médiation bienfaitrice nécessaire. 126 127 - MENDO ZE Gervais : Jinette et Japhet ; Paris, Editions ABC, 1988. - U TAM’SI Tchicaya : Le zulu, Paris, Ed. Nubia 1977. 190 Pour Chaka en effet, la médiation d’un sorcier lorsque l’on se lance dans une entreprise aussi importante que la conquête d’un territoire insoumis, constitue une étape vitale. Ses conseillers et amis Ndlebé et Malounga ; qui sont aussi des sorciers, sont ainsi mis à contribution afin d’assurer la victoire du Zulu à l’issu de la guerre à venir. Le propos de Chaka à la scène II de l’acte Premier du texte de Tchicaya U TAM’SI évoque bien le statut de ces deux personnages ; il dit en parlant de Malounga : Chaka … Va me cherche Malounga. Il sait entendre en clair ce que disent les morts et le destin !128 Plus loin, le dénommé Malounga fait une auto description et dit : -Malounga (à Chaka) Je suis le veilleur. (au public). L’œil occulte qui force l’espace. Par ma mère, j’ai l’œil de la chauve-souris, par mon père, j’ai le museau du chien de garde…129 Concernant Ndlebé, c’est dans la didascalie de la Scène Première de l’Acte Premier que l’on découvre la nature de ses activités : Ndlebé (Plongé dans un jeu de divination,…130 Ailleurs, c’est Vincent de Paul NYONDA, pionnier du théâtre moderne gabonais, qui va nous montrer avec le personnage de Guykafi, héros de son ouvrage le plus connu ; La mort thématique de du Guykafi131, religieux, une à autre travers 128 manifestation la scène du de la guerrier - U TAM SI Tchicaya : Le Zulu, Paris, Editions Nubia, 1977, p. 25. - Id. p. 31. 130 - Id. p. 21. 131 - NYONDA Vincent de Paul ; La mort de Guykafi, Paris, Paris, L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981. 129 191 implorant les mânes de ses ancêtres de le protéger au cours du combat qu’il s’apprête à livrer contre ses beaux-frères. Dans un autre registre ; sur un ton burlesque, Trois prétendants…un mari132 problème faux des de Guillaume devins, mais OYONO aussi MBIA la évoque le question du détournement des rites et cultes ancestraux par des individus motivés par le côté pécuniaire que la pratique de certains cultes a pris avec l’introduction de l’argent en Afrique. Si certains auteurs donnent plus d’envergure que d’autres à l’évocation ou au traitement des faits religieux, c’est que pour les uns comme pour les autres, quelles que soient leurs opinions sur la chose, ces faits existent, et il faut en parler. Les raisons d’une telle attitude sont multiples, et peuvent varier d’un auteur à un autre. C’est que derrière tout renvoi à un quelconque phénomène religieux, nous pouvons lire aussi bien la peur que le doute, par rapport à l’inconnu vers lequel les africains se sont engagés en empruntant les voies de la modernité. Mais on peut aussi y lire une certaine volonté de se tourner résolument vers un avenir désormais inéluctable, vers l’assurance d’un monde où domine la raison matérialiste et qui pour beaucoup d’africains, constitue le gage de survie des peuples. Ainsi donc, les personnages du devin, du sorcier ou de la sorcière ; les mânes des ancêtres et les autres esprits du panthéon africain sont des instances récurrentes dans la création théâtrale d’Afrique Centrale. Il n’est pratiquement aucun texte où ne sont, sinon mis en scène, du moins évoqués, l’une ou l’autre de ces instances. A l’instar des autres thématiques (la thématique du pouvoir, celle de la misère physique ou morale, ou celle de la liberté par exemple), la thématique liée aux croyances religieuses apparaît comme une 132 réelle préoccupation des - OYONO MBIA Guillaume ; Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions Clé, 1975. 192 créateurs africains. Cette récurrence suggère un certain nombre de questions qui nous semblent essentielles dans la mesure où elles traditionnelle permettent dans un d’envisager contexte où la société l’Afrique, riche aujourd’hui d’expériences multiples en matière de croyances religieuses, paraît plus que jamais se rattacher à ses anciennes croyances. Aussi, après avoir établi les différentes formes et les fondements des pratiques cultuelles ou religieuses, on peut se poser la question qu’est-ce donc que croire dans un tel contexte ? A quoi sert-il de croire ? Le fait de croire renvoie-t-il ici à la notion de foi, dans la mesure où celleci équivaut à un contenu de la pensée aussi bien philosophique et morale des religions ; qu’à une dimension purement sociale et humaine de celles-ci ? Autrement dit, il s’agit de répondre religions ? Pour ce à la question faire, nous pourquoi y emprunterons a-t-il encore des à la réflexion de Jean-François DORTIER, qui propose deux pistes de lecture pour justifier les phénomènes religieux. Il y a d’abord la piste psychologique qui, nous dit-il, se réparti en deux, entre les théories affectives d’un côté, et les théories intellectualistes de l’autre : « 1. Les théories affectives qui partent des émotions des hommes : le besoin de croire naît de la souffrance et d’un besoin de consolation qui en résulte (…). 2. Les théories intellectualistes expliquent la religion par une formation particulière de l’esprit (…) »133. La seconde voie d’explication des religions énoncée par DORTIER est TOCQUEVILLE la théorie sociologique, notée ou Auguste COMTE. eux Pour par en Alexis effet, de « la religion contribue au « ciment moral » des sociétés. Elle 133 - DORTIER Jean François ; « Dieu et les sciences humaines », in La religion. Unité et diversité : Auxerre, Editions Sciences Humaines, 2005, p. 12. 193 soude les communautés. Sa raison d’être est donc à rechercher du côté de l’ordre social. »134 Pour les africains, croire en un fait ou en une chose souligne un aspect de foi ; c’est une attitude mentale qui se manifeste et s’exprime de manière concordante, parallèle dans les actes quotidiens, ou dans des situations circonstancielles d’invocation ou de convocation cérémoniale. Observé au quotidien, l’africain manifeste sa croyance, sa religion dans les faits et gestes de tous les jours. Que ce soit dans la manière de saluer, de boire, de manger ou tout simplement de s’adresser à un inconnu, l’africain, imprégné de sa religion suivra toujours une certaine formulation rituelle de ces actes. C’est que, en général, il croit et tient pour vrai, l’objet de sa croyance sans en avoir la preuve absolue de sa véridiction. Plus qu’une question de formes ou de fondements, la question des religions, est plus singulièrement liée à celle des enjeux qui président aux phénomènes des croyances. Car quelles qu’en soient les formes et les rituels, les religions ont partout et de tout temps, porté comme enjeu de mettre en relation l’homme et le sacré ; l’homme et Dieu ou les dieux, dans un but propitiatoire. 4.2.1- Le culte des ancêtres : Nous avons dit que l’univers culturel des africains était en grande faits religieux, partie caractérisée ou rites de religieuse. Il apparaît croyances, le culte particulière. bien 134 que Car dans à qu’au des les les sociétés nombre sociétés - Id. p. 13. 194 une consonance ancêtres dans par de multitude plus ou ces rites occupe une traditionnelles nouvelles de de moins et place aussi l’Afrique contemporaine, bien que les religions monothéistes aient depuis longtemps fait leur apparition, beaucoup d’africains scolarisés ou pas ; citadins ou ruraux, entretiennent une relation sinon marquée, du moins très importante avec l’un ou l’autre des cultes dits des ancêtres. Si les manifestations et les rituels peuvent parfois varier d’une région à une autre, les cependant fondements identiques culturels et communs et à sociologiques une grande restent partie des populations de l’Afrique Centrale. Dans les faits, « le culte des ancêtres, soit divinisés, soit plus fréquemment promus au rang d’intercesseurs privilégiés entre l’homme et Dieu, se manifeste entre autres dans les rites de la mort et des funérailles, par des invocations verbales aux défunts, par des offrandes individuelles et familiales, par des libations et sacrifices en des lieux déterminés, visant à les rendre favorables dans l’au-delà. Ce culte s’inscrit dans la continuité d’un phylum social et d’un renouvellement cyclique de la vie. »135. En effet le culte des ancêtres appartient à la catégorie des religions traditionnelles qui se fondent sur la croyance que l’univers de manière générale, est structuré sur un double plan du visible et de l’invisible. Fonctionnant sur un mode d’échanges réciproques, ces deux univers coexistent dans une logique de complémentarité. Car si les esprits des ancêtres peuvent intercéder auprès des divinités, il est nécessaire que les vivants satisfassent aux désirs de leurs aïeux, qui leur assurent paix, santé, prospérité, bienêtre, et protection contre les mauvais esprits. C’est que les ancêtres, ayant franchi le seuil de la mort, accèdent par la même occasion au monde de la connaissance pure. Non seulement ils connaissent les causes et les conséquences des événements qui surviennent dans le monde visible, mais ils peuvent aussi 135 - RIVIERE Claude ; Socio-anthropologie des religions, Paris, Armand Colin, 1997 ; p.29. 195 influer sur la vie des hommes ou des communautés, avec lesquels ils communiquent à travers oracles et présages. Plusieurs raisons peuvent amener la communauté, et plus rarement l’individu à invoquer les ancêtres. Ce sont généralement des situations de détresse personnelle ou de crise communautaire, à l’instar de ce qui se passe dans la Scène II de l’Acte IV du Roi Mouanga : MOMO – « Mânes de nos pères, est-ce que vous m’écoutez, moi qui, par l’entremise de ma tribu, ai reçu les pouvoirs de vous invoquer, vous BASI, SIGUI, YAGA et tous ceux que je n’ai pas nommés, à chaque fois qu’une détresse frappe notre tribu. C’est moi, MOMO qui, humblement et pieusement, tout pénétré de crainte, vous dis de prêter un instant, à l’objet de ma supplication, vos oreilles toujours attentives. Je vous parle au nom de MOUTOMBI que le clan DIKOIS en détresse, envoie auprès de Sa Majesté, pour implorer son assistance contre les menées criminelles de l’impie MOUGA, ce sanguinaire qui, avec une ardeur sans pareille, nous matraque telle une bête en furie. Je vous prie donc d’écouter la complainte que je vous adresse. De mémoire d’homme, jamais il n’a été dit que notre clan, toujours pacifique, ait tissé une haine quelconque contre celui de MOUGA. Pourquoi, ô Ancêtres, ô Mânes, jetterait-il sur nous ses guerriers avides de notre sang ? Mânes, vous m’avez tous compris, vous m’avez tous entendu. Je reste assuré que vous assisterez tous MOUTOMBI tout au long de sa dure mission. Enflammez ses paroles et bénissez ses lèvres, afin que le Roi l’écoute d’une oreille attentive. Que les choses en soient ainsi ! J’ai terminé. (MOMO marque alors un trait de kaolin sur le front de MOUTOMBI) Va, MOUTOMBI, voir le Roi ; il te recevra, mais garde-toi de porter ta face en arrière jusqu’à ton arrivée au Palais. »136 136 - NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, 1988, pp. 35-36. 196 Ici, les ancêtres sont invoqués pour rendre justice à une personne, en l’occurrence Moutombi, qui a injustement été accusé de saper l’autorité royale au sein de son clan, et de pactiser avec l’ennemi. Afin de légitimer le plaidoyer de l’infortuné fils des Dikois, les anciens de la communauté s’en remettent aux mânes de leurs ancêtres. Il en est ainsi pour la plupart des activités qui engagent la communauté. Dans Deux albinos à la Mpassa, le conseil des sages qui doit décider de la réponse à donner aux visiteurs ne manque pas requérir la bienveillance et la sagesse des mânes. De même dans Bonjour Bessieux, les villageois vont invoquent les mânes, montrant de ce fait leur attachement aux valeurs et aux lois de leur monde et de leurs traditions, mais aussi leur adhésion au projet du missionnaire, ce qui signifie aussi un désir d’ouverture vers l’autre ; vers l’inconnu. DOWE. - « Que les mânes de la rive gauche et de la rive droite de ce pays vous bénissent vous, et ceux qui vous suivront ; que cela soit ainsi. (Puis tous de cracher en l’air…)137. Ils peuvent ainsi conforter et légitimer l’installation des missionnaires sur la parcelle de terrain qu’ils ont sollicitée, afin de bâtir leur église. Dans les deux cas, le rituel de la cérémonie reste assez épuré ; on peut en fait dire qu’il prend les aspects simplifiés d’une prière, car les textes ne montrent pas de véritable cérémonie, dont la liturgie constitue un ensemble très élaboré. Seule la mise en scène dans le cadre d’une représentation peut approfondir cet aspect. C’est dans ce sens qu’en 1988 à Libreville, la troupe du Théâtre National du Gabon s’était fait un point d’honneur à représenter une séquence consacrée à la cérémonie du culte 137 - NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux in Le combat de Mbombi ; Paris, Editions François Réder, 1979, p. 82. 197 des ancêtres lors d’une création de La mort de Guykafi. Le metteur en scène de l’époque, également acteur, Dominique DOUMA, s’en était expliqué en disant qu’à travers cette séquence, il avait voulu restituer certaines vérités au sujet des cultes travers traditionnels les églises que le contact chrétiennes, des avait cultures, contribué à à diaboliser, mais qui, en fait, constituaient le creuset de la pensée et de la sagesse traditionnelles. Au cours d’un de nos entretiens, gabonais il en déplorait aussi particulier, et le les fait que beaucoup africains de de manière générale, éprouvaient une véritable honte à reconnaître et à assumer leur appartenance à une religion traditionnelle. Car, disait-il, « pour exemple c’est sorcier, ce les non souvent qui initiés, synonyme est tout de à être ‘’bwitiste’’ ‘’cannibale’’ fait inexacte. ou par de C’est malheureusement cela que nous ont enseigné les Bonnes Sœurs au catéchisme ! Aujourd’hui je trouve scandaleux de devoir se cacher pour organiser une cérémonie de Bwiti, même si, en tant que religion, en tant que rite ésotérique, le Bwiti ne peut s’exécuter qu’en présence d’initiés et seulement avec des initiés !»138. Le débat apparaître, aux lié yeux aux de croyances non traditionnelles africains comme un peut débat d’arrière-garde. Il revêt cependant une importance capitale pour les africains, dans la mesure où il contribue plus que jamais, à poser des problèmes de reconnaissance identitaire et d’appropriation de sa culture et de sa personnalité. Et dans une société comme celle du Gabon des années 80-90, où la génération post-indépendance se trouvait plus que jamais en bute avec les phénomènes d’acculturation et de détournement des valeurs traditionnelles, la question était loin d’être éculée. Elle avait en effet permis de recentrer le débat sur 138 - DOUMA Dominique ; acteur et metteur en scène de la Troupe Nationale du théâtre gabonais. Entretien recueilli par nous en 1992, lors de la préparation de notre Mémoire de Maîtrise. 198 la perte des valeurs et des repères socioculturels, ce qui constituait une véritable préoccupation au sein des élites culturelles gabonaises. Car l’omniprésence et le matraquage orchestré par des types culturels d’importation à travers les médias internationaux, ont fini par laisser en désuétude la culture identitaire du pays. Le théâtre et aussi le roman africain (et dans une certaine mesure le cinéma), ont largement exploité la thématique de la déstructuration des sociétés africaines, à cause, soit du déni affiché par certains vis-à-vis de leurs cultures et leurs traditions jugées obsolètes ou arriérées, soit à cause de la perversion de certains faits caractéristiques de celles-ci. 4.2.2- Les autres cultes : Dans le monde traditionnel africain, si le culte des ancêtres constitue religieuse, le d’autres fait formes, principal d’autres de l’expression types de cultes participent cependant du monde des croyances traditionnelles, et qui prennent croyances le statut soulignent un de religion aspect de dès lors foi, et que ces qu’elles s’accompagnent d’une conviction intime. Il en est ainsi des sociétés animistes qui, chez les africains se confondent généralement aux sociétés fétichistes. A côté des cultes dits des ancêtres, certains cultes, dont les exemple, cultes réservés appartiennent exclusivement également à aux l’univers femmes par religieux africain. Nous pouvons ainsi évoquer par exemple les rites féminins /MEVOUNG/, le /NDJEMBE/, le /ILOMBO/ ; ou pour les hommes le /MELAN/, le /SOH/, le /MOUBOUANG/, le /NDJOBI/, l’/OKOUKWE/, etc. Si tous ces cultes présentent un caractère exclusif et sexué, ils sont toutefois exécutés et pratiqués 199 pour le bénéfice de la communauté entière (c’est du moins ce qui se faisait à l’origine de ces cultes, car on a pu observer depuis quelques décennies, un véritable détournement des rites et des cultes ancestraux. Nous y reviendrons.). La récurrence à travers la production théâtrale, des thèmes en rapport avec les croyances constitue un signe de cette relation particulière que l’africain entretient avec les phénomènes de religiosité et de mysticisme. Il est clair que si beaucoup d’africains avouent aujourd’hui ne pas croire en Dieu (dans le sens où l’entendent le christianisme ou l’islam), ils restent pourtant fondamentalement attachés aux religions et aux croyances traditionnelles. Les raisons qui justifient cette attitude quelque peu paradoxale sont le plus souvent à rechercher dans l’histoire personnelle des individus, ou dans le vécu collectif des communautés d’origine de ceux-ci. 4.2.3- Cultes et expression du mode de vie : Nous avons observations qu’il établit existait à travers une les multitude de précédentes formes de croyances en Afrique. Ces croyances constituent l’ensemble de l’univers des religions dites traditionnelles (auxquelles l’adjectif séculier est volontiers attribué). Celles-ci ont joué, et jouent encore un rôle fondamental dans la vie des africains. La christianisation populations n’ont pas réussi et à l’islamisation faire disparaître des ces croyances qui, pour la plupart coexistent avec l’un ou avec l’autre. D’ailleurs, lorsque l’on interroge certaines personnes qui se disent à la fois chrétiennes et bwitistes par exemple, ils affirment incompatibilité ne à trouver pratiquer aucun les 200 inconvénient ; deux. A ce aucune propos, le témoignage d’un prêtre et homme de lettres gabonais, l’Abbé Noël NGOUA, est édifiant. « Enfant, nous apprend-il, j’ai été élevé au sein d’une famille où les traditions de mon peuple avaient force de loi. Arrivé à l’adolescence, j’ai donc été initié comme tous les jeunes de ma tribu, aux différents rites et cultes qui devaient nous permettre d’entrer dans l’univers des hommes. Cependant de mon côté, vers l’âge de dix ans, ayant été inscrit à l’école élémentaire de mon village tenue par la congrégation des Pères du Saint-Esprit, j’avais ressenti au contact des missionnaires quelque chose de profond, et que je ne pouvais expliquer. Plus tard, c’est au moment d’entrer au collège que les choses se précisèrent pour moi. Je réalisai avec une certaine angoisse que mon destin allait à tout jamais prendre une voie que les miens allaient avoir beaucoup de mal à comprendre. Je fus moi-même effrayé à l’idée de trahir en quelque sorte le pacte que j’avais scellé avec les miens à travers les initiations que j’avais subies. Contre toute attente, ce fut mon grand-père qui dissipa en moi les doutes et les peurs qui me retenaient. Il m’assura en effet que de son point de vue, il n’y avait aucune incompatibilité à être chrétien et à être fidèle aux cultes auxquels j’avais été initié. Pour lui, dès lors que la religion des blancs nous apprenait l’amour et la charité envers les autres, elle méritait sans doute qu’on s’y intéresse. Entré au grand séminaire, j’allais puiser dans les enseignements traditionnels toute la force et l’énergie dont j’avais besoin pour renforcer ma foi catholique, et endosser le rôle de prêtre que j’assume encore aujourd’hui depuis près de trente ans. »139 C’est dans ce même esprit que le dévot musulman du fin fond du Mali ou du Sénégal trouve une réelle harmonie à 139 - L’Abbé Noël NGOUA ; Ces propos que nous résumons ont été tenus lors de la sortie en 1995, de son livre sur l’église au Gabon. 201 invoquer les dieux de ses ancêtres tout en priant le Dieu révélé par le prophète Mahomet. Dans les textes de Sony LABOU TANSI par exemple, ce qui apparaît pour beaucoup comme un paradoxe, est diversement représentatif de la situation de la majorité des africains aujourd’hui dans leur rapport au sacré et au monde de l’ésotérisme ou du surnaturel. Dans Antoine m’a vendu son destin, la didascalie de la scène I dite scène-genèse du Tableau I, donne la mesure de l’atmosphère générale qui prévaut dans le texte, concernant l’attitude des africains vis-à-vis des phénomènes religieux ou ésotériques : « Dans le bureau où Antoine traite ses affaires les plus secrètes. Lumière ronde qui descend du plafond. Noir autour. Objets de culte. Symboles. Armoiries. Deux hommes entrent. Etendent leurs nattes. S’asseyent. Se taisent un long moment. Toussent à tour de rôle. Trois fois. Chaque fois un peu plus fort. Sans se regarder. (…) »140 Un regard sur certains termes (par nous mis en gras) de cette didascalie permet de saisir l’importance des faits religieux et la place de certaines pratiques cultuelles dans l’expression des modes de vie. On note en effet, d’après ce que l’on peut lire dans ce paratexte, que vie privée (les questions de croyance et de religion étant du domaine privé) et vie publique (politique) peuvent souvent se confondre au point de ne plus représenter qu’une seule et même réalité, pour certains individus. Aussi, les éléments dont s’entoure Antoine (objets de culte – symboles – armoiries – nattes – 140 - LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin, Paris, Editions Acoria, 1997 ; p.17. 202 lumière ronde) ; compagnon (Deux le rituel hommes auquel – entrent il se livre avec son Etendent leurs nattes – S’asseyent – Toussent à tour de rôle – trois fois –Sans se regarder. La mise en relief des termes lumière et noir dans « la lumière ronde » et du « noir autour ») ; l’atmosphère même de rituels la pièce, ne sont-ils magico-mystiques ou pas sans évoquer ésotériques en certains vigueur dans certaines sociétés secrètes occidentales. Plus loin, dans la déclaration que Le Prince Antoine compte offrir à son peuple et au monde (pour entier expliquer sa démarche sacrificielle), la référence à ces sociétés logistes dites savantes est clairement caractéristiques donnée ; négatives et avec néfastes que toutes ces les sociétés portent dans l’entendement des couches populaires africaines. C’est son complice dans la forfaiture qui est chargé de délivrer ledit message : RIFORINI (…) « Pour haute trahison de la liberté du salut et de l’indépendance l’inqualifiable, le démon nationaux, en chef l’ange de Babylone tous les démons, de Antoine, traître patenté à toutes les traîtrises imaginables commandant de tous les génies malfaisants adjoint logique de Lucifer (…) (…) athée grand maître de l’ordre international de la naïveté, haut commandeur de la loge des idiocrates et de la médiocrité internationale interne. »141 Pour beaucoup d’africains, il n’y a pas une véritable opposition entre les différents systèmes de croyances ou de religions ; tout au plus de la complémentarité, sinon une forme de hiérarchie. Cette hiérarchie peut se comprendre en partant du fait que les cosmogonies africaines établissent un ordre de religions. 141 préséance Les au génies sein et du les - Op. Cit. p.17 et 18. 203 panthéon mânes des des différentes ancêtres forment l’avant-garde de cette multitude, alors que des Esprits ou des Etres supérieurs en constituent le sommet. Qu’on le désigne par Allah ou Dieu, il est pour les africains le plus grand des esprits ; celui qui commande à toute la création. Il est, selon une formule incantatoire de certains rites féminins Fang, « celui sans qui rien n’est, et par qui tout est ». Au regard de la vision que donnent les africains de la chose religieuse, on peut trouver aussi bien des références au Dieu des chrétiens ou des musulmans, que des invocations concernant les dieux « païens ». Dans l’indication de jeu de scène (page 17) de la scène un du premier tableau d’Antoine m’a vendu son destin142, on peut lire « objets de culte » ; il est cependant impossible appartiennent l’indication ces de objets. jeu de de dire De même, scène, les à quel(s) dans la culte(s) suite « symboles » et de les « armoiries » dont il est fait référence ne permettent pas non plus religieuse de situer des de manière protagonistes. rigoureuse Cette l’appartenance imprécision perdure jusqu’au moment où l’échange de propos entre deux personnages de la pièce de d’indissociabilité Sony LABOU qui existe TANSI de montrent plus en le degré plus dans l’inconscient religieux des africains, entre le Dieu unique des religions monothéistes et la multitude de dieux proposés par les autres systèmes religieux, en l’occurrence les systèmes de croyance traditionnelle : YOKO-AYELE.- Madame, n’attirez pas la méchanceté et la jalousie des éléments sur votre fils : il n’y a pas dans l’univers plus jaloux que le soleil. FERRUCIANI.- Ho ! Dieu me pardonne. Eloignons-nous : Antoine a besoin de repos. Bonne nuit mes entrailles. Que 142 - LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin, Paris, Editions Acoria, 1995. 204 tous les dieux vous accordent miséricorde et amitié. Mon soleil bien allumé… YOKO-AYELE.- (…) Il est sorti de l’usine de Dieu sans la moindre défectuosité.143 Le propos de ces deux femmes illustre bien cette vision ambivalente que les « religions venues africains manifestent d’ailleurs ». C’est vis-à-vis comme si, des sans réellement remettre en question la performance de ce Dieu que leur ont imposé les occidentaux et la colonisation, les africains préféraient d’abord s’assurer la bienveillance de leurs dieux familiaux et personnels ; plus proches et peutêtre parce que plus au fait de leurs soucis, avant de s’adresser à l’Esprit suprême ; au Dieu des temps nouveaux. C’est dans ce même ordre d’idées que, à la page 18, Riforoni, un autre personnage de la pièce, fait référence, sans les nommer directement, aux sociétés secrètes du type Franc- maçonnique ou Rosicrucienne : Riforoni.- (il continue) « … (…) athée grand maître de l’ordre international de la naïveté, haut commandeur de la loge des idiocrates et de médiocrité internationale interne. » On le voit bien, la profusion des systèmes et des modes de référence au sacré ou au mystique marque l’attitude ambivalente que nous avons suggérée plus haut. Et il semble que, pour les africains qui ont choisi cette sorte de syncrétisme, l’abondance de croyances et de rites cultuels ne risque pas de nuire aux objectifs qui fondent tout système religieux à savoir, mettre l’homme en harmonie avec soi-même, et avec le cosmos. Mais dans la situation actuelle d’une Afrique livrée aux pires avanies de l’histoire, les croyances religieuses et les autres formes de rituels magico-mystiques prennent de plus en plus d’importance dans la vie quotidienne 143 - LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin ; Paris éditions Acoria, 1997. P. 18. 205 des africains. Mais nous verrons plus tard qu’il y a lieu de s’interroger sur la portée sociologique et culturelle de cet intérêt grandissant pour certaines formes de rituels. Cependant, sans entrer dans le détail, on part ici du principe que, les unes comme les autres, toutes ces religions, toutes ces « philosophies », enseignent avant tout l’amour et le respect de l’autre, l’amour et le respect de la nature ; de l’environnement ; la nécessité de préserver l’équilibre entre l’homme et le cosmos. Pourtant, de leur point de vue, les religions traditionnelles ont ceci de particulier, c’est qu’elles proposent à l’homme avant toutes choses, de se connaître soi-même, par une sorte de voyage introspectif où le néophyte va à la rencontre de son être essentiel et des esprits de ses ancêtres afin de connaître aussi bien son passé que son avenir. C’est à cela que sert la manducation ébogha), de qui substances permettent psychotropes aux comme postulants l’ibogha d’effectuer (ou ledit voyage au cours duquel ils vont entrer en contact avec les ancêtres fondateurs du clan. C’est également au cours de ce voyage que le nouvel initié va découvrir l’origine des maux et des désordres qui le perturbent personnellement, ou qui perturbent sa communauté. Dans certains cas, ces séances peuvent aussi avoir pour but de soigner des malades que la médecine moderne n’a pas su guérir. Nous n’avons pas voulu donner ici une taxinomie de ces mouvements religieux ; notre propos tend seulement à en dégager quelques aspects fondamentaux, dont le but est de nous permettre d’avoir une certaine approche de la religiosité et de la pensée sociale de l’africain. De manière générale, l’homme africain vie une relation assez particulière cependant dire si avec les le fait peuples religieux. africains On sont ne peut plus que d’autres, plus religieux ou pas. On peut juste noter une sorte de résurgence du religieux 206 dans la construction de l’individu. En bien ou en mal, l’africain se tourne de manière presque instinctive vers ce qui le détermine, c’està-dire la croyance ou la religion reçue de sa culture traditionnelle. A cet effet, la conscience d’appartenir à un groupe, à une communauté socioculturelle est toujours synonyme d’appartenir à une forme spécifique de croyance ; à une religion. Cela peut entre autre, se traduire par le port d’amulettes caractéristiques, ou par des signes ou des marques visibles sur le corps des adeptes (c’est le cas au Gabon des adeptes du Bwiti (selon le rite Tsogho), qui portent un double losange scarifié à l’intersection du bras et de l’avant-bras peuples Fang en gauche, général, au les niveau du initiés coude. de Chez certains les rites portent des scarifications sur les poignets, les épaules, la base du cou ou entre les omoplates, à la base des reins et sur la face extérieure des pieds. Les Téké du Gabon et du Congo arborent quant à eux quatre traits scarifiés de chaque côté du visage, au niveau des tempes. Ces signes peuvent se retrouver dans d’autres groupes socio-ethniques car ils sont surtout le symbole d’une initiation accomplie chez les individus qui les portent, et qui scellent leur vie à celle de leurs coreligionnaires). Dès lors, les comportements au quotidien de l’individu vont prendre les marques de son appartenance religieuse ; dans son rapport à autrui ; dans sa vie propre, mais environnant. assujettie système de aussi Ainsi, aux dans la vie interdits croyances sa et relation des aux avec « initiés » tabous religieuses à le milieu est-t-elle prescrits travers par le lesquelles l’individu s’identifie. Certains usages ; certaines attitudes, à l’origine voulues par les systèmes de croyances ont quelquefois fini par prendre un caractère profane, commun, mais dont la portée et les valeurs symboliques restent à rechercher dans le fond culturel des peuples. 207 Eu égard à tout ce qui précède, on peut retenir que la vie des populations africaines est en général tributaire des systèmes de croyances religieuses. Celles-ci organisent et déterminent les structures sociales, les mœurs et les modes de vie. Elles influent sur les tissus économiques et politiques qui eux-mêmes, définissent le cadre et les termes des échanges avec l’extérieur. Sur un autre plan, on sait qu’en matière de croyance, la société traditionnelle distingue dans son fonctionnement, des cultes appartenant à l’univers féminin, des cultes réservés exclusivement aux hommes. Du point de vue de ces rites féminins par exemple, un ensemble de préceptes établit pour la femme des droits et des devoirs envers sa communauté. C’est que lors de leur initiation, les femmes sont à jamais liées par un serment d’obéissance et de soumission au règlement et aux lois établies par leur culte. On observe à ce niveau un réseau complexe d’us et de coutumes qui font de la femme la dépositaire de l’ordre social, car elle incarne la force et la continuité du clan et de la communauté. Mais paradoxalement, les mêmes systèmes de croyances font de la femme un être presque entièrement défini par son rapport à l’homme ; l’assujettissant par là même à la communauté. Ce paradoxe se manifeste notamment par le fait que c’est l’homme qui décide dans tous les cas de la vie et de l’avenir de la femme, alors qu’elle est elle-même souvent enjeu d’alliances stratégiques en même temps que le garant de la position sociale au sein du clan de l’homme. Les cultes et les croyances religieuses apparaissent ainsi intimement liés à l’expression du mode de vie des africains. Car si la religion enseigne à l’homme, l’origine de son groupe social, elle lui donne aussi un cadre de vie moral et culturel ; car le contenu de ce qui est cru détermine aussi bien les pratiques sociales que le fait même de croire. De 208 fait, selon Claude RIVIERE « Toute religion (…) suppose d’une part, des relations des hommes aux dieux, associées parfois à des techniques (mortification, yoga, méditation, jeûne) ou à des institutions (monachisme, chamanisme), d’autre part, des relations des dieux aux hommes dans un cadre rituel. Les rites sont à considérer comme un ensemble de conduites et d’actes répétitifs et codifiés, souvent solennels, d’ordre verbal, gestuel et postural, à forte charge symbolique, fondés sur la croyance en la force agissante d’êtres ou de puissances sacrées, avec lesquelles l’homme tente de communiquer en vue d’obtenir un effet déterminé. Certaines pratiques mystiques donnent l’impression de ce rapport entre les forces surnaturelles et les hommes : par exemple, les miracles, les oracles, les possessions »144 Ainsi, le personnage du théâtre africain – à l’instar du personnage romanesque – est un personnage de traditions. Ils obéissent tous les deux, à un ordre social fondé sur les croyances religieuses plus ou moins validées par la réalité économique et politique, et par-dessus tout, historique. C’est ce que confirme ce propos de Georges NGAL, au sujet des sociétés africaines islamisées : « Tous les personnages africains sont affectés par le passé (islamique) qui leur donne leur marque identifiante dans le monde dans lequel ils évoluent. »145 144 - RIVIERE Claude : Socio-anthropologie des religions ; Paris, Armand Colin, 1997, p. 81. 145 - NGAL Georges : Création et rupture en littérature africaine ; Paris, l’Harmattan, 1994. p. 85. 209 III° PARTIE : LA SOCIETE MODERNE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE. 210 CHAPITRE V : LE CONTACT DES CULTURES. Une approche globale de la littérature africaine écrite de l’époque coloniale jusqu’aux indépendances, donne très souvent à voir une description de la réalité coloniale. Il s’agit en effet de la révélation d’un passé historique où l’on découvre les transformations qui sont apparues au moment de la rencontre des cultures africaines et européennes. C’est une expérience commune à tous les peuples d’Afrique Noire, face aux puissances coloniales et à leurs efforts pour « civiliser et développer » les territoires occupés. Le travail de reconstitution de ce passé colonial révèle un ensemble d’actions et de réactions dont témoignent justement les auteurs africains. C’est en effet la perception africaine des changements intervenus dans leurs sociétés, et ce dès les premiers contacts, qui est prise en charge par les écrivains. Cristallisant tout à la fois les douleurs, les souffrances, les l’acceptation de valeurs difficultés plus différentes, en d’adaptation plus consciente l’écrivain africain mais d’un et aussi système de singulièrement l’homme de théâtre, montre en quelque sorte le point de vue de ses congénères. Ulrike SHUERKENS énonce à ce propos que : « Les écrivains décrivent un univers social en transformation, des choix compatibles et incompatibles avec un autre système social, ainsi que des heurts, des ruptures et des symbioses. Ils nous font voir ce processus de changement dans le temps, et, selon les fonctions occupées par les Africains : chef, travailleur, « évolué », étudiants, prêtre ou autres. Les fréquentation de situations contact de auteurs l’école qui étaient, européenne, arrivent à de par sensibilisés relier les deux à leur des univers sociaux, à montrer les rapports sociaux selon un point de vue 211 qui véhicule à la fois un savoir africain et des critères empruntés aux univers sociaux occidentaux. Le public ressent l’ensemble de ces transformations, car ces écrivains lui font comprendre ces événements, et par là- même, des aspects issus de la fusion avec une tradition différente et d’une insertion dans une Histoire autre. (…) (Ils) transcendent la particularité d’une culture autochtone et visent à témoigner d’une transformation qui, dans un laps de temps de quelques décades, a confronté l’Africain à des différentes de celles qu’il connaissait. » cultures très 146 Pour appréhender la notion de contact des cultures, telle qu’elle est perçue par l’écriture dramatique d’Afrique Centrale, plusieurs possibilités s’offrent à notre perspective de lecture. Et à l’intérieur de l’échantillon de textes qui constitue notre corpus, deux auteurs ; le gabonais Vincent de Paul NYONDA et le congolais Tchicaya U TAMSI sont ceux qui abordent nommément la question du premier contact des cultures effectué entre des populations africaines, et des occidentaux. Si chez NYONDA, Bonjour Bessieux et Deux albinos à la M’Passa figurent caractérisé traités l’une des l’acquisition euro-africains, des la trois modalités territoires à conquête qui ont savoir, les missionnaire et la pénétration de l’administration coloniale ; ces modalités y apparaissent sous des formes pacifiques. Chez U TAM’SI avec Le Zulu, c’est l’autre versant de la conquête européenne conquête militaire qui qui se manifeste ; dans certains il cas s’agit avait de la souvent précédé l’administration colonialiste. Militaire ou pacifique, ou encore les deux à la fois, la conquête coloniale qui va avoir d’importantes répercussions au sein des communautés traditionnelles s’est 146 - SHUERKENS Ulrike ; La colonisation dans la littérature africaine, Paris, l’Harmattan, 1994 ; pp. 239-240. 212 opéré à partir de trois formes essentielles de traités. Globalement, on a donc : A – Les traités bilatéraux : Passés entre deux puissances européennes en concurrence dans une région donnée ; l’une des deux renonce à toute revendication sur un territoire délimité si possible par des éléments topographiques et reconnaît ainsi les droits de la puissance rivale. Il s’agissait plus généralement pour les européens de se neutraliser mutuellement, afin que chaque nation colonisatrice « gâteau puisse africain », jouir ainsi que en toute l’affirmait quiétude Léopold du II : « Nous devons agir avec prudence, car nous ne pouvons nous risquer de nous quereller avec les anglais, mais nous ne pouvons pas non plus « laisser échapper une bonne occasion de nous procurer une part de ce magnifique gâteau africain ». »147 B – Les traités euro-africains : Signés entre responsables politiques africains et émissaires européens, ces textes sont généralement ratifiés ultérieurement en métropole. Obtenus dans des conditions suspectes et frauduleuses, les dits traités n’ont souvent aucune valeur légale. Ils sont la manifestation parfaite de l’état d’esprit qui prévaut à l’époque en Europe, où l’on n’accorde qu’une valeur toute relative à la personnalité morale et intellectuelle de l’homme noir. Ici, une simple croix apposée au bas des documents par l’indigène donné comme interlocuteur suffisait pour faire main basse sur les territoires convoités. 147 - WESSELING Henri : Le partage de l’Afrique : 1880-1914 ; Editions Denoël ; Coll. Destins Croisés, 1996 ; p. 126. 213 Paris, Au-delà de la validité des traités, on peut aussi noter le caractère contestable de la nature des relations qui vont se nouer entre africains et européens. Beaucoup de non-dits du point de vue des occidentaux entourent en effet les différentes requêtes qui pour la plupart, se limitent à la demande d’acquisition d’une parcelle où les nouveaux venus allaient Bonjour construire soit Bessieux), simplement un soit relais une un sur église (c’est comptoir les de voies le commerce, de cas dans ou tout circulation des explorateurs (c’est ce que propose Savorgnan de Brazza aux villageois des bords de la M’Passa dans Deux albinos à la M’Passa). Exploration et conquête coloniale apparaissent, à plus d’un titre, comme des étapes d’un même processus où, l’argumentation témoignait développée davantage de par les cupidité et uns et de la les autres, recherche du profit, que de piété ou d’un quelconque humanisme. C – Les guerres de conquête : Dues aussi européens qu’au bien à refus l’ambition des de certains africains de officiers négocier un amoindrissement de leur souveraineté, les guerres de conquête résultent aussi souvent du caractère ambigu des traités. Ce sont là, les trois modalités principales qui ont caractérisé le traditionnelle contact dite des cultures arriérée et entre barbare, l’Afrique et l’occident « civilisé ». Le contexte sociologique qui caractérise ces trois phases africain africaine, a de l’expansion diversement dans les européenne été rendu sur par la formes où cette violente, la conquête le continent littérature expansion s’est effectuée. Pacifique ou coloniale de l’Afrique par l’occident a laissé des traces indélébiles dans les us et coutumes des populations africaines. 214 De ce contact, dans le cas de l’Afrique Centrale (francophone), ont en effet surgit des univers sociologiques multiples, dont les points d’encrage sont aujourd’hui, pour bon nombre d’entre eux, la christianisation et la scolarisation, entraînant un profond bouleversement des modes de vie, des institutions sociales, politiques et économiques. Sans véritablement porter de jugement, mais avec parfois un parti pris à peine dissimulé, NYONDA et TCHICAYA, ainsi que beaucoup d’autres auteurs donnent à lire d’une part, l’accueil fait aux européens en Afrique, et d’autre part, les situations d’incompréhension et d’incommunication qui en découlèrent. Chez NYONDA, plutôt fraternel. bonnes intensions, la rencontre Les se autochtones mais les passe dans apparaissent européens semblent un climat pleins de déjà ce à niveau, fausser les véritables raisons de leur présence en Afrique. La nature des traités signés montre en effet que l’on est en présence d’un véritable marché de dupes car : « leur statut est plus qu’ambigu : traités « d’alliance » ou « d’amitié » pour les Africains, ils sont présentés en Europe comme des traités de « protectorat » par lesquels les Africains abandonnent tout ou partie de leur souveraineté. C’est la principale limite de la négociation : souvent obtenus dans des conditions suspectes, voire frauduleuses, ces accords ont rarement la valeur légale souhaitable. La remarque vaut aussi pour les traités bilatéraux européens, puisqu’ils ne tiennent pas compte de l’avis des Africains concernés. »148. Du côté du zulu, la venue prochaine des européens est vécue comme un funeste présage. Chaka, chef des guerriers zulu, appréhende à juste titre l’arrivée de « ceux qui viennent de la mer. » 148 - HUGON Anne : Introduction à l’histoire de l’Afrique contemporaine ; Paris, Armand Colin, 1998 ; p. 16. 215 A travers ces trois textes (Deux albinos à la M’Passa, Bonjour Bessieux et Le Zulu), nous voyons se poser les bases de ce qui, des décennies durant, va engendrer cette Afrique nouvelle tournée vers l’occident, et désormais en prise avec ce qui est donné comme la modernité, par opposition à la tradition ‘’absence africaine, de que culture ; l’on de a au préalable civilisation, associé archaïsme à et sauvagerie’’. Mais des problèmes sociaux spécifiques à l’Afrique sont aussi traités, et rendent compte des rapports entre la ville et le village ; des problèmes de dot, d’adultère, du conflit des générations, du charlatanisme, etc. Les problèmes politiques soulevés sont aussi des problèmes africains, qu’il s’agisse de la corruption des élites politiques ou de simples citoyens, ou même de l’absurdité et de la férocité des régimes dictatoriaux issus des indépendances. 5.1 – Les formes de la conquête impérialiste : La colonisation de l’Afrique au début du XXème Siècle (1910 de manière générale), par l’Europe intervient dans une situation globale de crise, et selon l’historienne Anne HUGON, « L’une des explications tiendrait dans l’inégalité des rapports de force entre les deux continents. D’un côté, une Europe triomphante, technologiquement politiquement dominante. En face, stable une et Afrique économiquement affaiblie, politiquement éclatée ou déclinante et technologiquement stagnante. (…) Il est vrai, par exemple, que la traite des esclaves a porté atteinte à la vitalité démographique et économique de certaines régions, obligées en outre de se reconvertir après l’interdiction de la traite par plusieurs puissances européennes (à partir de 1815). Mais si la théorie de la crise s’applique effectivement à certains 216 secteurs ou pays, de nombreux exemples la prennent à défaut. De plus, l’Europe économique qui vers 188O conduit traverse également une à grave récession relativiser l’image, trompeuse, du « pot de terre contre le pot de fer. »149 Au cœur du processus de colonisation, les explorateurs, les officiers militaires et les missionnaires vont jouer un rôle de premier ordre sur le plan de l’installation des européens en Afrique. Les différentes nations impérialistes européennes ont développé chacune un mode différent de conquête et d’occupation de territoires ; pondéré ici, ou brutal ailleurs, selon l’attitude hostile ou non des populations autochtones. Dans le bassin s’était manifestée certain d’après de du Congo où le XVIIème depuis nombreux la présence siècle, témoignages que française il la apparaît rencontre entre les natifs et les explorateurs n’ait pas véritablement donné lieu à des situations de conflit comme il s’en était produit en Afrique de l’Ouest. Il semble tout au contraire que les missions d’exploration, et les représentants de l’administration coloniale française aient souvent bénéficiés d’une certaine considération de la part des chefs coutumiers. L’historien Henri WESSELING note à ce sujet que « L’expédition de Brazza marqua le début d’un mode original de colonisation, politique ni typiquement commercial, français, mais c’est-à-dire romantique, ni militaire, exotique, aventurier. »150 Nous le voyons dans ce texte de NYONDA ; Deux albinos à la M’Passa, où, après la surprise et l’inquiétude suscitées par ces inconnus à peau d’albinos, les notables et les chefs des bords de l’Ogooué finissent par signer avec De Brazza un traité d’amitié qui donne à la France toute autorité sur la contrée. Ils concèdent également 149 - HUGON Anne : Introduction à l’histoire générale de l’Afrique ; Paris, Armand Colin, 1998 ; p.9. 150 - WESSELING Henri : Le partage de l’Afrique. 1880-1914 ; Paris, Editions Denoël, 1996, p. 122. 217 à l’explorateur la parcelle de terrain qu’il avait sollicitée pour marquer cette possession. Si pour Henri WESSELING « On ne peut pas dire que ces traités leur furent imposés par la force » parce qu’ « ils négociations »151 ; à donnèrent l’évidence, lieu on à ne de peut véritables douter de l’ignorance des chefs africains des véritables contenus des traités qu’ils signaient, ignorants à la fois de l’écriture, de la lecture et de la langue dans laquelle s’exprimaient les documents. En France dès les années 1880, l’impérialisme est ouvertement donné comme moteur de la conquête. Trois facteurs ici justifient l’entreprise colonisatrice de la France. -Sur le plan économique, la grande récession des années 1873-1895 amène plusieurs gouvernements européens à espérer tirer profit de l’Afrique Noire. -Sur le plan politique, l’équilibre des forces entre la France (mal remise de la perte de l’Alsace-Lorraine) et la Grande-Bretagne (soucieuse de préserver ses intérêts en Inde) justifie l’intérêt que chacune de ces deux nations porte à l’occupation et à la délimitation de zones d’influence ou de protectorats en Afrique de manière générale. - Sur le plan dit « humanitaire », l’environnement idéologique qui caractérise l’Europe à cette époque explique à suffisance la dynamique de la conquête. En effet, d’après Jules FERRY, fervent défenseur de l’expansion coloniale française, « les races supérieures ont un devoir vis-à-vis des inférieures ». races De fait, comme le note fort justement Anne HUGON ; « l’Europe souffre d’un complexe de supériorité qui, se déclinant entre racisme post-darwinien et philanthropie paternaliste, lui donnerait, selon le cas, des droit ou des l’imaginaire devoirs occidental envers est les en autres train peuples. Or, d’élaborer une hiérarchie des peuples dans laquelle les Africains occupent 151 - Op. Cit. p. 135. 218 la dernière place : de bonne ou (plus souvent) de mauvaise foi, la « mission civilisatrice » y puise une inspiration au demeurant totalement contredite par la pratique coloniale. »152. Les différentes composantes que nous venons d’énumérer au sujet de la France concernent aussi bien la Grande- Bretagne et l’Allemagne, que l’Espagne ou le Portugal. Car la mainmise de l’Europe sur l’Afrique trouve son origine dans la monté du phénomène de l’impérialisme. Nous pouvons à l’issu de cette analyse, retenir que trois formes d’actions ont singulièrement défini la conquête de l’Afrique. 5.1.1 – L’action des explorateurs : L’exploration de l’Afrique continentale a longtemps été l’affaire de quelques individus à l’esprit aventurier. Ainsi que l’affirme Hubert DESCHAMPS, « Les causes principales des explorations curiosité, avaient goût gouvernement de été jusque-là l’aventure britannique seul y et surtout de avait individuelles : la ajouté renommée. un Le souci de relations diplomatiques et commerciales. L’Afrique intéresse encore assez peu. Mais les grandes explorations qui vont suivre, surtout celle de Livingstone et de Stanley, largement diffusées, vont attirer l’attention sur le continent mystérieux et la traite des esclaves. Les Européens gardent de ces lectures une impression de sauvagerie primitive : d’où le désir d’introduire la civilisation et le christianisme. Et aussi la croyance aux ressources infinies, qu’il convient de mettre en valeur. »153 L’exploitation et la mise en valeur des territoires colonisés furent 152 donc les objectifs que se - HUGON Anne; Op. Cit. PP. 12-13. - DESCHAMPS Hubert in Histoire Générale de l’Afrique Noire, de Madagascar et des Archipels s.s Hubert DESCHAMPS ; Paris, P.U.F., 1971, p.16 153 219 fixèrent les partisans de la colonisation. Voici, cité par Henri WESSELING, ce qu’en dit en son temps le président de la chambre de commerce de Lyon « Civiliser au sens moderne du terme signifie apprendre aux gens à travailler pour pouvoir acheter, échanger et dépenser »154 En Afrique Centrale équatoriale, les noms de Pierre Savorgnan de BRAZZA, d’Henry Morton STANLEY ; les noms de Paul du CHAILLU, d’Alfred MARCHE et de son compagnon COMPIEGNE, ou encore ceux de David LIVINGSTON et de bien d’autres encore, symboliques constituent de cette d’explorations. Hubert de ce période DESCHAMPS fait de des figures « découvertes » affirme encore que et « La grande ruée coloniale ne va se déclencher partout qu’après 1880. L’exploration se fait, de plus en plus, par équipes et prend une allure de caravane, puis d’expéditions militaires. »155. La littérature africaine a souvent décrit cet épisode de son histoire en montrant le rôle actif joué par les explorateurs au service de leurs gouvernements. Parmi les textes de théâtre de notre étude, Deux Albinos à la M’Passa du gabonais NYONDA, est l’œuvre qui détaille sans doute le mieux, le caractère particulier de ces voyages. Pourtant, si les explorateurs ont ouvert les voies de l’occupation coloniale de l’Afrique, c’est l’action menée par les missionnaires consolider et continent, à catholiques pérenniser travers la la et protestants présence mise en qui européenne place d’un sur ordre va le social nouveau. La quête de territoires des explorateurs européens était motivée avant tout, comme l’attestent les propos de BRAZZA s’adressant aux chefs et anciens des bords de la M’Passa, par un besoin d’assurer l’exclusivité du contrôle de 154 - WESSELING Henri : Le partage Editions Denoël, 1996. p. 126 155 - DESCHAMPS Hubert ; Id. p. 16. de 220 l’Afrique. 1880- 1914 ; Paris, la région par les compagnies marchandes et l’administration coloniale rarement françaises. évoquée. L’aspect D’ailleurs humanitaire sur le n’est terrain et que très dans les faits, l’accent est surtout mis sur le volet économique des différents accords qui lient les populations africaines et les « représentants » des nations européennes. Ainsi donc comme le souligne Hubert DESCHAMPS, « en un siècle l’Afrique avait été pénétrée et révélée. L’exploration avait ouvert la voie au commerce et aux missions, puis à la colonisation, avec des conséquences, les unes passagères, d’autres durables, d’où devait sortir la transformation de l’Afrique. Les explorateurs en furent les pionniers peu conscients, sauf dans les dernières périodes où les buts politiques avaient le pas sur la recherche de l’aventure. »156 5.1.2 – L’action missionnaire : Le mouvement de colonisation de l’Afrique Centrale qui accompagne les missions d’exploration a eu, entre autres, pour principaux acteurs, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, des missionnaires catholiques et protestants venus pour la plupart de France, d’Angleterre, d’Espagne et du Portugal et de Hollande. Fidèles auxiliaires de leurs gouvernements et de leurs administrations respectives, les missionnaires et les Eglises européennes de manière générale, ont joué un rôle capital dans le processus d’endoctrinement et de soumission des peuples africains au nouvel ordre politique et social instauré par les puissances occidentales. C’est ce que nous dit Catherine Africains au missionnaires 156 COQUERY-VIDROVITCH XXème siècle : n’avaient pas dans « En peu - Id. p. 19. 221 l’Afrique quelques contribué à et les années, les préparer le terrain aux expansionnistes coloniaux, les Pères Blancs de Monseigneur LAVIGERIE en tête, qui visaient à l’origine à concurrencer l’influence belge (tout aussi catholique) sur le Haut-Congo. (…) leur privilège de premiers colons conduisit rapidement les missionnaires d’Afrique Centrale à se substituer à une administration inexistante et à légiférer en toute matière comme s’ils étaient les maîtres du pays. »157 La littérature anglaise) qui africaine décrit cette d’expression réalité française sociale est (ou pour la plupart, du domaine du roman. Mais le théâtre a aussi d’un certain point de vue, abordé la question de la colonisation. Concernant l’action missionnaire, notre corpus la situe sur deux ordres essentiels : - Le point missionnaires partisane, européens accepter a de été vue social ; d’instaurer volontairement en Afrique. Il aux africains la ici une distordue, nécessité la en de rôle certaine de s’agissait le vision présence effet la des de des faire présence, mais surtout de la domination européenne, en s’appuyant sur Les Saintes Ecritures. Le discours évangélique tendait à montrer que les africains avaient besoin du salut apporté par la religion chrétienne. Car comme descendants de la race chamitique, ils portaient la malédiction des origines. - Sur justifiaient un point de l’impérieuse vue culturel, soumission des les missionnaires africains par le fait que, jusque-là sans culture et sans Histoire, l’Europe leur apporterait ses lumières, ce qui devait contribuer à les humaniser, à les conduire vers un statut « d’êtres évolués » ou pas, selon qu’ils intégraient ou non, les principes élémentaires des canons occidentaux de la vie. L’instauration de la scolarisation allait de ce fait constituer l’un des 157 - COQUERY-VIDROVITCH Catherine : L’Afrique et les Africains au XXème Siècle. Mutations, révolutions, crises. Paris ; Armand Colin, 1999 ; p.224. 222 moteurs essentiels de ce processus de création du nouvel être africain. Ainsi donc, c’est dans le cadre de la scolarisation que l’action missionnaire va exercer la part la plus importante de son influence. observées de S’appuyant l’oralité sur qui des méthodes constitue la localement base de la transmission des connaissances, les prêtres et les pasteurs vont utiliser comme véhicule d’enseignement des préceptes du christianisme, la médiation du théâtre. Car le jeu de scène est en Afrique, un des espaces de transmission des savoirs par excellence. A ce titre, le rôle des missionnaires s’avérera essentiel dans le processus de renouvellement et d’amplification francophone. A du fait travers théâtral la mise en en Afrique scène des Noire mystères bibliques, un double objectif était visé : christianiser les populations et conforter l’idée de prééminence de la race et de la culture occidentales sur les ‘’traditions’’ des indigènes africains. Du point restructuration de du vue du fait renouvellement théâtral africain, et une de la mention spéciale peut être attribuée à l’Ecole Normale William Ponty du Sénégal qui, au cours des années 1930 et sous l’impulsion d’un de ses administrateurs, a suscité un engouement nouveau pour les arts de la scène. Mais l’action missionnaire en Afrique Noire francophone n’est pas circonscrite au seul niveau de l’histoire des conversions des peuples africains en tant que fait social ou culturel. Elle est aussi devenue parmi d’autres faits, un thème de réflexion littéraire que les écrivains ont abordé, à l’instar d’autres faits de société. Si en Afrique Centrale, les camerounais Ferdinand OYONO et MONGO BETI ont fait du missionnaire une des figures majeures de leurs écrits romanesques, les gabonais Vincent de Paul NYONDA et NDONG Damas ont pris pour thème d’écriture 223 dramatique, le processus de l’installation de l’Eglise en Afrique pour le premier ; et pour l’autre, la notion de rédemption de l’homme à travers le sacrifice du Christ. Le procès de Dieu de NDONG Damas (texte qui est malheureusement resté inédit à ce jour), pose en effet le problème de la notion de l’amour de Dieu pour l’Homme, et du paradoxe de la responsabilité de celui-ci par rapport aux maux qui accablent l’humanité, devant lesquels Il reste insensible. Le procès intenté contre Dieu est, à n’en pas douter, la remise fondement en question de la de religion la notion de chrétienne rédemption, et partant, du de l’existence même de Dieu comme créateur du genre humain et de l’univers tout entier. On ne peut en effet comprendre l’attitude impassible de cet Etre, qui reste insensible face à la détresse et à la douleur de ses « enfants ». Si Dieu est Amour, s’Il peut tout, d’où vient que le mal règne partout en maître absolu ? La guerre, la famine, la maladie et toutes sortes de fléaux ruinent l’humanité, sans que rien de tout cela ne suffise à susciter la clémence du Très Haut. S’il existe vraiment, pour les hommes c’est entendu ; Il est donc le véritable responsable de tous ces malheurs qui frappent le monde. C’est en substance ce que l’on peut retenir du Procès de Dieu de NDONG Damas. Concrètement, le colonialisme par le biais de l’action missionnaire, a eu un effet plutôt inattendu dans le domaine de la création artistique. Car, « en niant ou en étouffant la culture africaine pour imposer celle du colon (…) a enrayé toute évolution artistique. Et il a dévié l’évolution du théâtre africain en imposant des critères occidentaux qui lui retiraient toute spontanéité, toute liberté. »158. Au demeurant, l’activité théâtrale a trouvé un nouvel intérêt 158 - HENRY LELOUP Jacqueline ; ‘’Tradition et modernité dans le théâtre africain : résolution d’une antinomie’’ in THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Actes du colloque sur le théâtre africain ; Ecole Normale Supérieure Bamako, 14-18 novembre 1988, p. 40. 224 auprès des masses populaires. Les fêtes chrétiennes et les fêtes de fin d’années scolaires étaient toujours l’occasion pour les acteurs l’interprétation classiques de amateurs, des la de épisodes littérature rivaliser de la de Bible, française. talent ou On dans même joue en des effet Molière, Labiche, Courteline etc. Les cours d’écoles, les places de villages représentation, car sont dans transformées la définition en espaces africaine de de la création dramaturgique, la notion de scène « à l’italienne » n’existe pas ; pas plus que celle de spectacle payant, ou de personnels de spectacle rémunéré à ce effet ne font partie de la conception traditionnelle de la notion de jeu. En somme donc, comme l’observe si bien le béninois Guy Ossito MIDIOHOUAN, les premières manifestations de ce théâtre d’inspiration européenne et introduit par les missionnaires, datent de la fin représentations pas XIXème du très siècle. élaborées, « Il le s’agissait plus souvent de sans texte écrit, données lors des fêtes de fin d’année scolaire et surtout lors des fêtes chrétiennes (Noël, Pâques). Les spectacles consistaient en une mise en scène de certains passages de l’Ecriture Sainte. (…). D’une façon générale, ces représentations faisaient toujours une certaine place à la culture africaine en s’inspirant par exemple de certaines coutumes et traditions locales. Placées dans le cadre des fêtes de fin d’année scolaire, elles étaient données en français mais comportaient des chants et quelques fois même (cela dépendait du public) des scènes en langue africaine. Quant aux représentations données dans le cadre des activités d’une paroisse devant un public non scolarisé, elles se faisaient exclusivement dans les langues locales (…). Ces propagande manifestations religieuse et étaient le 225 but un excellent que moyen poursuivaient de les organisateurs était de faciliter et d’accélérer le processus de christianisation de « la population indigène ». »159 Ici, on le remarque bien, l’intérêt semble avant tout, donné au plaisir du jeu, mais par-dessus tout au message transmis par l’intermédiaire du texte représenté. Il s’agit plus souvent de sketches ou de saynètes que de véritables pièces au spectacles sens académique réside plus du terme. La valeur fondamentalement, dans de la ces pensée missionnaire, à traduire les contenus idéologiques de leur action, qu’à véritablement respecter les règles classiques de la création théâtrale. Comme toutes les activités intellectuelles de cette époque, le théâtre subissait l’influence et le contrôle de l’idéologie coloniale. A cet effet, Jacqueline HENRY LELOUP précise encore que « les sujets de ces pièces nombreuses et diversifiées peuvent être classés en deux groupes : les sujets religieux et les sujets profanes. Les premiers sont plus nombreux : dramatisation de la vie de Jésus, de ses paraboles, de la vie des saints et martyrs. Ces pièces sont le plus souvent une illustration du cours Histoire Sainte ou de Catéchisme. Elles étaient en fait une participation à la christianisation. Les sujets profanes traitaient de l’amour, du mariage, des maux sociaux tels que l’alcoolisme, la misère, la sorcellerie. »160. S’il était à cet effet, de bon ton de fustiger ce qui, dans la vie et les traditions africaines, était perçu comme arriéré et barbare, il était surtout de mise de donner comme seuls acceptables, les faits de la civilisation européenne, qui devaient à terme, supplanter les coutumes africaines. Autour des années 50 au Congo Brazzaville par exemple, les missionnaires continuent 159 de promouvoir l’activité - MIDIOHOUAN Guy Ossito ; L’idéologie dans la littérature négroafricaine d’expression française ; Paris, l’Harmattan, 1986, p. 79. 160 - HENRY LELOUP Jacqueline ; ‘’Tradition et modernité dans le théâtre africain : la résolution d’une antinomie’’ in THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Paris, Editions Silex, p. 40. 226 dramaturgique en ouvrant l’une des premières salles destinées à la création théâtrale. Mais cette activité reste assez localisée aux environs de certains centres urbains. En définitive, au Gabon ainsi qu’au Cameroun, et comme nous venons de missionnaires l’évoquer qui vont pour le stimuler Congo, la ce sont popularisation les d’une certaine forme de création scénique. Ils donnent à celle-ci une orientation volontairement tournée vers les principes fondateurs de la pensée colonialiste. 5.1.3 – La pénétration coloniale : L’occupation façon générale, coloniale s’est de développée l’Afrique à subsaharienne partir des trois de axes essentiels que sont les missions d’exploration, les missions de christianisation, et l’occupation coloniale proprement dite. Pourtant, si le Royaume Uni avait fini par concéder à l’idée d’expansion coloniale comme une véritable nécessité économique et politique, la France restait circonspecte sur la question. Elle n’avait pas de vocation coloniale, ni davantage une idéologie coloniale. D’autant que, comme le souligne l’historien néerlandais Henri WESSELING, « En 1870, elle n’avait aucune raison de nourrir une telle vocation : l’aventure mexicaine de Napoléon III s’était soldée par un fiasco et, en Algérie, confrontée à une responsables politiques l’administration rébellion français coloniale massive. »161. ont en effet était Plusieurs une vision plutôt pessimiste d’un tel projet et prônaient la prudence. Mais très vite, sous l’action de deux groupes de pression ; la marine et les géographes, une prise de conscience des 161 - WESSELING Henri ; Le partage Editions Denoël, 1996, p. 30. 227 de l’Afrique. 1880-1914. Paris, véritables enjeux d’une politique colonialiste allait donner une formidable impulsion à l’idée de création et d’expansion d’un empire reconquête revanche français de sur compterait au-delà des l’Alsace-Lorraine l’Allemagne bientôt était près mers. et Car d’une absurde, de rêver de la hypothétique quand quatre-vingts celle-ci millions d’habitants. L’avenir de la France était outre-mer. Cette idée trouve l’assentiment de l’économiste Paul LEROY-BAULIEU, qui pense « qu’un peuple qui veut conserver sa vitalité doit s’étendre et essaimer ». Pour lui, il était incontestable que l’avenir de la France était en Afrique : « L’Afrique nous est ouverte… », conclu-t-il. En conséquence, la politique de colonisation de l’Afrique Centrale par la France est la conséquence logique d’une situation de crise qui prévaut dans le pays après 1870. Battue par l’Allemagne qui annexa l’Alsace et la Lorraine, la France se devait de redorer son blason en se lançant à la conquête de nouveaux espaces d’influence outre-mer. Ce projet que certains responsables politiques français accueillaient avec circonspection allait pourtant prendre forme sur les territoires où, dès le XVIIème siècle, la présence française était marquée par l’implantation de comptoirs de commerce. La fragilité de certaines de ces positions, et surtout le nouvel ordre politique en vigueur en Europe devait décider les nations européennes à multiplier les missions d’exploration, et surtout à accroître leurs zones d’influence. C’est ainsi que commença la course frénétique d’exploration, de découverte et d’occupation, au nom de la mère patrie, de nouveaux territoires. Le processus de colonisation qui va connaître son essor à partir de 1910 est à l’origine des mutations sociales, économiques et surtout politiques qui caractérisent l’Afrique d’aujourd’hui. vision du Car monde dès lors que aux africains, 228 l’Europe on avait allait imposé sa assister à l’émergence d’une nouvelle civilisation, ou plutôt de ce que Bernard MOURALIS culture, dans désigne le sens comme où l’émergence la rencontre d’une des sous- cultures européennes et africaines, sans complètement se fondre les unes dans les autres, ont donné naissance à une forme de sous-ensemble africaines syncrétique, empruntent et dans lequel assimilent un les certain cultures nombre de faits sociaux caractéristiques de l’occident. A terme, on peut s’interroger sur ce qu’a été pour les africains, la rencontre des conséquences portée ou tout civilisations, l’Afrique simplement ou des tire-t-elle l’impact cultures ? aujourd’hui, de de la Quelles ce que d’aucuns ont désigné comme un « mariage forcé » ? En d’autres termes, quels sont les changements notables et observables, qui permettent à ce jour de retracer l’histoire de la rencontre de l’Afrique avec l’occident ? De notre avis, les retombés, les conséquences sont nombreuses. Et elles se donnent à lire à travers la quasitotalité de la littérature africaine. Qu’il s’agisse du roman ou de la poésie, ou plus spécialement encore de la production dramatique, la littérature africaine traduit « les difficultés de compréhension entre (les différentes sociétés en présence (sic)) dès les premiers contacts, et les changements de l’univers africain dus en grande partie à des systèmes sociaux occidentaux qui arrivaient à manipuler des mécanismes de transformation que l’Africain ne connaissait pas.162 ». 162 - SHUERKENS Ulrike ; La colonisation dans la littérature africaine, Paris, L’Harmattan, 1994 ; p.240. 229 5.2 – Les mutations sociales : Résultat d’un processus long et souvent douloureux, le contact entre occidentales a les cultures occasionné africaines en Afrique, et ce les que cultures nous avons qualifié avec MOURALIS comme la mise en place d’une sousculture. Celle-ci se manifeste à travers un certain nombre de comportements sociaux et culturels qui placent l’africain à cheval entre tradition et modernité. Nombreux sont les textes qui ont déploré cette situation nouvelle où, dès le départ, la position de l’homme noir fut assez délicate, voire difficile. Mais si les difficultés furent importantes, il reste que la comporte rencontre des des cultures aspects dont issue le de la caractère colonisation positif est indéniable. En Afrique Centrale, la scolarisation et la christianisation ont été les moteurs des transformations que l’on peut observer aujourd’hui au sein des espaces aussi bien urbains que ruraux. 5.2.1 – La scolarisation Au nombre des faits qui ont favorisé la transformation des sociétés africaines au terme de la rencontre avec l’occident, on peut citer la scolarisation. Au début de la pénétration occidentale en Afrique, la difficulté de communication s’est avérée comme un obstacle non négligeable pour la bonne marche des affaires. Il est apparu nécessaire à mesure que les colons s’installaient, de former un certain nombre d’individus qui seraient à même de servir de courroie de transmission entre les indigènes et les trafiquants européens. Les expériences négatives antérieures, 230 où les premiers « interprètes » indigènes arrivaient fort peu à traduire avec exactitude, les messages ou les requêtes des commerçants et des explorateurs avaient servi de levier pour la mise sur pied des premières écoles. Mais c’est surtout la concrétisation de secondairement celle exploitation de la plus mission de christianisation de civilisation ; en plus et massive la des et mise colonies en qui devaient décider, dans tous les cas, les jésuites à ouvrir les premières écoles où de jeunes africains allaient apprendre la croyance et la soumission à un nouveau Dieu. Les servir premiers d’exemple élèves formés avaient dans leurs familles pour mission de respectives en propageant la foi chrétienne, mais aussi, et ce n’est pas le moindre des objectifs visés, de servir en toute dévotion, de commis à l’administration coloniale qui se mettait en place progressivement. Les cycles de formation en Afrique Equatoriale française par exemple, allaient rarement au-delà du cours moyen deuxième année. A l’issu de ce premier cursus, les élèves dont la fin de cycle avait été couronnée de succès étaient appelés à devenir eux-mêmes des enseignants, quand ils ne rejoignaient pas les rangs de l’administration où ils occupaient des emplois subalternes. Ulrike SCHUERKENS qui analyse les différentes phases qui ont caractérisé le contact des mondes Mongou, africains roman du et européens centrafricain à Pierre travers SAMMY, L’Odyssée note de ceci à propos des objectifs visés à travers le projet initial de scolarisation : « Je ne vous demande pas de faire de ces nègres des savants. Ne nous empoisonnez pas l’existence avec une nouvelle classe de lettrés prétentieux et vantards. (…) Il me faut des auxiliaires, des gens qui servent d’intermédiaires entre nous et la population. Apprenez-leur des choses empruntées à leur milieu, à leur vie. Pas de grandes théories, surtout pas de philosophie. Ce ne sont pas 231 des hommes de tête qu’il nous faut, mais des hommes de main. Qu’ils nous servent sans poser de questions et qu’ils obéissent avant de comprendre. »163 Qu’il soit le fait de missionnaire chrétiens ou, comme ici le fait africains de laïcs, était traditionnellement caractère le projet loin de attaché à utilitariste et de scolarisation cadrer avec des l’esprit l’école en occident. Le fonctionnel de l’enseignement primaire adressé aux africains, tel qu’on le découvre dans ce passage, est en porte-à-faux avec le prétexte de la « mission civilisatrice » énoncée par Jules FERRY, fervent défenseur, avec Léon GAMBETTA, de l’idéologie et de l’entreprise colonialiste. Les véritables scolarisation des raisons africains qui sont conduisent en à définitive la d’ordre fonctionnel ; car, comme le note Ulrike SHUERKENS : « Dans la deuxième phase européens, qualifiée la se des contacts nécessité fit entre de sentir. les autochtones disposer (…) « d’une J’ai et les main-d’œuvre besoin, moi, d’un auxiliaire pour m’aider dans l’administration de votre pays, pour tenir certains registres, certains papiers. » »164. C’est ainsi que le chef des Blancs, dans L’Odyssée de Mongou du centrafricain Pierre SAMMY, justifie auprès du chef de village, la nécessité pour les africains à adhérer au projet de scolarisation. La création des cycles primaires était ainsi lancée à travers les centres administratifs coloniaux les plus importants. Pour les cycles secondaires et plus tard pour les cycles supérieurs, minorité, ils qui restaient s’effectuaient l’apanage souvent en d’une Europe, stricte dans les métropoles des pays colonisateurs. Depuis lors, « jusqu’aux années soixante-dix, l’école 163 apparaissait comme la voie - SHUERKENS Ulrike ; La colonisation dans la littérature africaine, Paris, l’Harmattan, 1994, p. 42 164 - Id. p. 41-42 232 royale de la promotion sociale ; lentement en milieu rural et plus rapide en milieu urbain, cette donnée s’est imposée à l’ensemble de la population. L’école est un outil d’accession au rang de l’élite sociale et politique, en prenant l’élite au sens défini par le grand sociologue P. MERCIER « groupes ou quasi groupes susceptibles porteurs soit de directement dynamismes ou particuliers indirectement par des groupes spécialisés (syndicats, partis ou associations) qui les expriment en totalité ou en partie d’infléchir, soit de leur propre initiative ou en réponse à l’incitation d’autres groupes, l’orientation de la société. » »165. C’est plus tard que, selon la vision de MERCIER, vont naître, au premiers sein de ces mouvements élites de formées en revendication occident, les identitaire et politique, dont le mouvement de la Négritude, créé par le sénégalais Léopold Sédar SENGHOR et le martiniquais Aimé CESAIRE. Comme on le voit, la scolarisation a été l’un des processus fondateurs de la donnée impérialiste européenne en Afrique. L’analyse des résultats à plus ou moins long terme, a fait dire à certains - africains ou occidentaux - que le rôle de la colonisation a été, à bien des égards, négatif, dans la mesure où il a contribuer à perpétuer, sinon à renforcer un système déjà déséquilibré, entre une minorité de privilégiés, et une majorité toujours croissante de nécessiteux. Cependant, mettre en doute Car, aussi bien d’un autre les aspects du côté point de positifs des vue, de européens la que on ne saurait colonisation. du côté des africains, chacune des parties s’est enrichie du contact de l’autre. Mais comme tout phénomène humain qui met en présence diverses structures sociales, 165 politiques et culturelles ; - COQUERY-VIDROVITCH Catherine ; Histoire Africaine du XXème siècle. Sociétés – Villes – Cultures. Groupe « Afrique Noire » Cahier n° 14-15, Paris, L’Harmattan, 1993 ; p. 23 233 diverses mentalités, la colonisation a montré certaines limites à mettre en accord les différentes forces en jeu dans le projet. Aussi, les disfonctionnements observés ici et là, surtout dans les milieux autochtones, ne sont-ils pas négligeables, et peuvent servir à expliquer certains points de décadence ou de détérioration observés aujourd’hui dans une Afrique où la « modernité » de façon générale, s’est imposée comme le modèle du développement. Pour marquent mettre en l’échec de colonisation, les évidence la les faits modernité, écrivains africains de société et partant ont pris qui de la l’habitude d’observer leurs sociétés et d’en dénoncer les travers. Ils peuvent ainsi structurelles montrer d’une les répercussions idéologie dont les morales retombées et sont aujourd’hui perceptibles aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. Dans bien des cas, le théâtre a servi de tribune pour dénoncer ce qu’il est convenu d’appeler les méfaits du modernisme. La société africaine qui s’est largement ouverte aux mœurs occidentales a peu à peu adopté, puis transformé, un certain nombre de valeurs, dont l’usage de l’argent ainsi que l’accumulation de biens matériels constituent les points fondamentaux. Avec importante régulière et la scolarisation des masses de plus populaires, en plus l’individu trouve d’autres centres d’intérêt ; il acquiert également une autre valeur au sein de la société. Dans ce contexte, la formation scolaire permet désormais à l’individu de se démarquer de la masse et de prétendre à un niveau de vie meilleur ; Japhet le fonctionnaire et son épouse Jinette dans la pièce de MENDO ZE ; l’instituteur Mallot Bayenda, dans le texte de LABOU TANSI se situent dans cette optique, même si la réalité de leur existence tendra parfois à montrer le contraire. 234 Mais l’instruction pour beaucoup, est une affaire de famille. Dans certaines régions d’Afrique où, à la suite de la période coloniale, la scolarisation passe depuis pour être la seule voie de salut, les familles et parfois des communautés villageoises entières, sont mises à contribution pour envoyer leurs enfants étudier très souvent loin de chez eux. Les jeunes diplômés sont ici perçus comme un investissement à terme pour la communauté, qui compte bien jouir des prérogatives de cet avantage. Des situations dramatiques découlent parfois de cette vision des choses, où l’inversion des rôles sociaux attribués à des faits particuliers, comme par exemple la scolarisation des jeunes filles, qui passe du paradigme de la construction morale et intellectuelle de la personne, à celui où, la jeune fille instruite acquiert une valeur négociable en terme économique. Dans la pièce Trois prétendants…un mari, OYONO MBIA montre les conséquences d’une mauvaise appréciation du fait de la scolarisation des jeunes filles, dans les sociétés post-coloniales du sud du Cameroun. Ici, une fille instruite n’a d’autres rôles que celui de hisser sa famille (très élargie) le plus haut possible, dans l’échelle sociale. Cela ne peut se faire que si celle-ci accepte d’être l’épouse d’un homme riche même très âgé, et déjà polygame. L’amour n’a pas de place ici pour la jeune fille ni même pour l’homme. Seuls comptent le prestige de la future alliance, et les multiples avantages matériels et sociaux potentiels que la communauté peut tirer de la situation. C’est donc ici un travers que l’on peut mettre sur le compte du contact des sociétés, même si à l’origine des sociétés traditionnelles, la femme constituait déjà un capital pour sa tribu. Le système de l’exogamie favorisait en effet l’échange et l’établissement d’alliances matrimoniales, ce qui pouvait être vu comme une sorte de contrat intercommunautaire en faveur de la paix et de l’entraide. 235 Le caractère culturel et sociologique du mariage perd ici son sens et sa valeur originels. Il est désormais soumis à l’influence d’un matérialisme primaire et caricatural, introduit dans les mœurs des populations, et exacerbé par ce que SHUERKENS appelle « des critères empruntés aux univers sociaux occidentaux ». D’un autre point de vue, les mutations des sociétés africaines que décrit la production théâtrale semblent avoir pour origine la christianisation, qui, comme la scolarisation avec laquelle elle est souvent allée de paire, a donné naissance à une nouvelle échelle de valeurs culturelles. 5.2.2 – La christianisation : La christianisation et la scolarisation des populations figurent parmi les moments forts de la politique coloniale européenne en Afrique. Et comme l’affirme Sophie LE CALLENNEC dans son article intitulé ‘’Age d’or ou crépuscule de la colonisation, 1910-1940’’, paru dans le second tome de Afrique Noire Histoire et Civilisation, consacré au XIXème et XXème siècle (en collaboration avec ELIKIA M’BOKOLO), « le christianisme avait été depuis longtemps l’un des points d’appui des relations de l’Afrique avec l’Europe. Même les plus anticléricaux voyaient dans d’acculturation ou la et les plus laïcs religion de un civilisation parmi les Européens moyen indispensable des ‘’indigènes’’. Encouragée et soutenue pendant des siècles par les Etats, l’œuvre missionnaire guerres. » 166 continua à l’être entre les deux . De gré ou de force, le christianisme allait en effet lentement, mais inéluctablement s’introduire et prendre vie dans l’existence des africains. Cette situation nouvelle 166 - LE CALLENNEC Sophie, in ELIKIA M’BOKOLO : Afrique Noire Histoire et Civilisation. Tome II ; XIXème - XXème Siècle, Paris, Hatier-AUPEL, p. 392. 236 de domination devait se traduire pour les africains, par la mise à l’écart de leurs croyances, de leurs modes de vie et de tous leurs savoir-faire. Sophie LE CALLENNEC cite Georges BALLANDIER qui illustre fort justement la situation née de la rencontre des populations africaines avec l’européocentrisme inhérent à la situation de colonisation. Cette situation peut être perçue selon BALLANDIER comme « la domination imposée par une minorité étrangère, ‘’racialement’’ et culturellement différente, au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone matériellement inférieure ; la mise en rapport de civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne s’imposant à des civilisations sans techniques complexes, à économie retardée, chrétienne’’ ; à le rythme lent caractère et radicalement antagoniste des ‘’non relations intervenant dans les deux sociétés qui s’explique par le rôle d’instrument auquel est condamnée la société dominée ; la nécessité pour maintenir la domination, de recourir non seulement à la ‘’force’’ mais aussi à un ensemble de pseudojustifications et de comportements stéréotypés, etc. »167. Dans le propos de BALANDIER, on peut retrouver les différents points d’ancrage de l’idéologie colonialiste, et peut-être aussi ce qui justifie la réussite, observée à long terme, de cette entreprise. Car il est impossible aujourd’hui de ne pas l’Europe et reconnaître de le l’Occident fait en que, du général, point la de vue de colonisation a atteint ses objectifs en Afrique, du moins en ce qui concerne sa volonté de dominer politiquement ce continent et d’y répandre sa culture et ses modes de vie. Pourtant, si comme on peut le relever dans la plupart des ouvrages (poétiques ou romanesques) qui ont traité de la question de la colonisation de l’Afrique, le christianisme se 167 - 0p. Cit. p. 392. 237 tient en bonne place parmi les sujets abordés. Mais celui-ci est diversement perçu. Autant pour le roman, le regard d’un MONGO BETI est incisif et plein de ressentiment sur le fait colonial, autant le théâtre d’un NYONDA porte sur ce thème, un regard qui traduit plutôt le côté naïf, qui pouvait parfois caractériser l’esprit des premiers contacts entre des peuples. Dans Bonjour Bessieux, la caractéristique majeure des populations autochtones semble être la curiosité à l’endroit des premiers missionnaires qui abordent les côtes gabonaises. Cette attitude peut être définitoire de ce qui a pu se passer ailleurs où se sont produits les phénomènes de conquêtes impérialistes. Car comme le dit un proverbe africain, « Ne fermez pas votre porte à l’étranger sans avoir pris rencontre des connaissance de ce qui l’amène chez vous. »168. Dans les textes publiés en effet, la religions semble s’être effectuée dans un climat de totale confiance de la part des africains, car comme le dit l’un des Anciens habitant un village de l’une des deux rives du Komo, « La sagesse l’appel lancé des anciens veut par l’étranger. » qu’on Et réponde croire toujours en de à nouveaux dieux, si cela ne nuit pas à l’homme, n’est pas incompatible avec leurs traditions. caractéristiques de l’empathie, l’amène qui la Ici apparaissent personnalité de systématiquement deux traits l’Homme noir : à s’ouvrir à l’autre, et le sens aigu de l’hospitalité. C’est sans doute ces aspects de la personnalité du Noir, qui ont favorisé, à son détriment, la réussite de l’entreprise coloniale. Cette attitude de confiance à l’égard des européens, mais surtout l’absence de maîtrise des véritables enjeux de la colonisation, achève donc la mise en place des engrenages qui vont par la suite, broyer 168 l’existence politique, - NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux in Le combat de Mbombi ; Paris, Editions François Réder, 1979 ; p. 238 économique, morale et culturelle, des populations africaines placées sous le joug européen. Car s’est avec la complicité active des missions chrétiennes que l’administration coloniale a pu s’établir et fonctionner durablement. C’est ce que relève Sophie LE CALLENNEC, à propos de « l’union sacrée entre l’administration et les missions » : « Parce que les missionnaires étaient engagés dans la lutte contre le « paganisme tribal », lutte indispensable pour mener à bien l’œuvre civilisatrice de la colonisation, l’administration coloniale regardait leur travail d’un œil à tout le moins bienveillant. Elle attendait en retour des ces missionnaires une étroite. »169. collaboration Pour preuve de cette collusion entre l’Eglise et l’Etat, l’Historienne cite encore un recueil du Ministère belge des colonies réalisé en 1930 : « Les agents l’œuvre de du gouvernement la ne civilisation. travaillent Les œuvres pas seuls religieuses à y participent dans une mesure au moins égale ; (…) les agents du gouvernement, quelles que puissent être leurs opinions, ont l’obligation chrétiens. ». stricte d’aider les missionnaires 170 Si la colonisation a été perçue par la plupart des peuples colonisés littérature y a, comme quant à une elle, véritable tragédie, la souvent une de vu sorte génocide politique, économique et culturel. Car pour beaucoup d’hommes de lettres et de culture africains, il n’avait pas suffit à l’Occident de laisser l’Afrique exsangue après trois siècles d’esclavage ; il avait encore fallu qu’il vienne la spolier de patrimoine définitive, ses richesses culturel, ne fut en naturelles, concluant qu’un marché la avec de couper elle dupes. ce de son qui, en Pour nombre d’africains en effet, l’Afrique n’a jamais été rétribuée au prorata 169 170 de ce qu’elle avait apporté - LE CALLENNEC Sophie, Op. Cit. p. 393 - Id. 239 à l’Europe, et à l’Occident de manière générale. Que l’on parle d’économie, de politique ou de culture, l’Afrique a toujours été donnée comme une terre vierge sur laquelle l’Occident a semé les graines de la culture, de l’économie et de la politique ; en somme, de la civilisation. A jamais bien été y ce regarder, que on s’aperçoit l’idéologie que colonialiste l’Afrique a voulu n’a faire d’elle, à savoir un continent dépourvu de toute culture, de toute civilisation ; une terre où l’Europe apparaissait comme le messie, comme un sauveur pour lequel les peuples colonisés devaient témoigner une infinie gratitude. En prenant le contre-pied de cette philosophie négationniste, et c’est là le mérite de la création littéraire depuis l’époque de la Négritude, les écrivains africains ont su témoigner non seulement de l’existence d’une civilisation africaine, mais aussi de sa spécificité et de sa vitalité. La christianisation des populations africaines a ouvert une perspective nouvelle dans le domaine de la référence, et de l’idée de « l’au-delà ». En corroborant la pensée africaine d’un panthéon (La Sainte Trinité) qui prédestine à la vie de l’homme, la religion chrétienne a pu s’implanter et trouver des appuis dans les systèmes de croyances traditionnelles, ceux-là mêmes qu’elle s’était évertuée à combattre. Dieu monothéistes ou Allah (pour révélées) ; les deux ou ZAME, EYOH grandes ou religions encore NDZAMBI (chez certains peuples bantou), toutes ces appellations pour l’africain, renvoient à une même réalité ; l’un ou l’autre de ces vocables ne peut désigner qu’une seule et même personne ; une seule et même entité à laquelle l’être humain se réfère dans ses moments de doute, ou de peine, de malheur ou de bonheur ; pour exulter de joie comme pour crier sa détresse. Sony LABOU TANSI fait d’ailleurs se conjuguer chez un de ses personnages, en l’occurrence Yoko-Ayélé, cet état d’esprit 240 qui signe justement l’aspect unitaire donné aux croyances en Afrique, malgré la volonté affiché de faire prédominer le christianisme dans plusieurs régions d’Afrique : Du occupe point de vue aujourd’hui des une croyances, place si le christianisme prépondérante parmi les religions pratiquées en Afrique, celui-ci a subi par endroit, une sorte de remodelage par rapport aux rites et croyances endogènes. Religions syncrétiques, messianismes locaux ; tout cela est aujourd’hui encore, le signe que l’Afrique n’a jamais été vide d’Histoire, de civilisation ; vide de vie en somme. En tout état de cause, si le fait chrétien apparaît encore dans la littérature, et singulièrement dans l’écriture théâtrale d’Afrique, c’est qu’il est avant tout le témoignage d’un épisode de l’Histoire de ce continent et de ses peuples. Il est aussi, dans les formes syncrétiques qu’il prend chez les africains, la manifestation non seulement de l’évolution de la pensée religieuse, mais aussi le symbole de la capacité d’adaptation de l’homme de manière générale, à tout ce qui, pour lui, participe de son ouverture au monde et à l’autre, et par conséquent de son épanouissement. Tour à tour acceptée puis rejetée, et finalement remise au goût de ceux qui l’adoptaient, la christianisation a sans aucun doute, subi le contrecoup du système colonial en compagnie duquel elle avait fait irruption en Afrique. Elle apparaît dans la plupart des ouvrages comme le pionnier en matière activités de scolarisation théâtrales des populations ; auxquelles la et pour christianisation les a contribué à multiplier les champs d’exploration, son apport reste indéniable, dans la mesure où elle a aidé à établir des points de comparaison entre les univers de croyance européens d’un côté, et africains de l’autre. 241 5.2.3 – La perte des valeurs traditionnelles : L’observation de la société africaine aujourd’hui permet de dire que de profonds changements s’y sont opérés. Le contact des cultures qui s’est effectué pendant les années de l’occupation coloniale a donné naissance à ce que nous avons évoqué plus haut, et que Bernard MOURALIS désigne comme « une sous-culture ». La notion de sous-culture ne doit pas être prise ici au sens péjoratif du terme, où l’on parlerait par exemple de sous race pour désigner une race inférieure par rapport à une autre qui lui serait supérieure, et où la notion de sousculture désignerait une culture inférieure, relativement au caractère primitif de la race qui la produirait. Ce terme renvoie de notre point de vue, à un phénomène de démembrement, ou plus exactement d’embranchement, résultat d’un processus complexe d’associations et de dissociations d’un nombre infini de traditions, de coutumes, d’habitus, etc., issus de plusieurs groupes humains, les uns différents des autres, et où les phénomènes d’échanges, de mélanges, d’emprunts et d’adaptations produisent des types nouveaux de comportements, de modes de vie, et finalement de civilisations nouvelles. Il s’agit en fait d’un phénomène de recomposition d’unités civilisationnelles ; de re-création d’unités de valeur autour desquelles s’organisent de nouveaux centres d’intérêt. Et comme dans toute opération qui consiste à mettre ensemble des identités d’origines et de natures diverses, les cultures nouvelles, nées de la rencontre des civilisations portent chacune son lot de travers et d’imperfections. Pour le cas des africains, comme pour les autres peuples auxquels ils ont été confrontés, un certain nombre de difformités ont été exacerbés, d’autres sont apparus dans les 242 comportements au quotidien des individus, et qui sont pour partie, imputables à la rencontre des cultures. Ces travers et ces difformités ont souvent été pris comme sujets de comédies au théâtre. Dans la majorité des cas, ces comédies qui traitent des mœurs des sociétés africaines, traditionnelles ou modernes, ou dont les sujets sont en référence avec les différents systèmes de croyance (christianisme, islam ou religions traditionnelles), appartiennent au répertoire du théâtre dit populaire. C’est un théâtre populaire à double titre. En effet, les comédies de mœurs ou les mystères tirés de la Bible sont globalement rangées dans la catégorie du théâtre populaire, à la fois par rapport aux thèmes qu’elles abordent, mais aussi par rapport au public visé qui, populaire, composé populaires et en en Afrique, majorité modestes, de auxquels est toujours gens le issus niveau un de public milieux d’instruction souvent peu élevé, ne permet pas d’accéder à une certaine grille de lecture de textes dits sérieux, auxquels seul un public élitiste peut accéder. D’autres aspects de la société jugés graves ou moins légers font en effet, quant à eux, l’objet de pièces plus sérieuses. Il en est ainsi de textes dont le but avoué est la critique des régimes totalitaires, ou encore des textes dont les sujets abordent des questions plus philosophiques. Il est cependant vrai que le théâtre africain, de façon général, écarte toute idée de discrimination au sein de son public. C’est pourquoi la majorité des textes va jouer sur plusieurs registres, ce qui leur permet d’atteindre un plus large public. Ici, le mélange des genres est un fait courant et permet d’associer des sensibilités diverses au processus de création des spectacles, mais aussi à la mise en œuvre de la problématique d’une idéologie fondamentalement sociale. Pour revenir à la question de la perte des valeurs traditionnelles tel que le phénomène se traduit dans l’espace 243 théâtral d’Afrique Centrale, nous observons que l’évocation du sujet va au-delà de la simple critique sociale. La perte des valeurs traditionnelles fait également référence à des domaines domaine touchant de la différentes personne aussi pensée formes les le domaine métaphysique. d’oppression humaine, africaine, bien décelables dramaturges politique Car en évoquant et de déchéance dans la nouvelle posent en fait que la de le les la société question du devenir de l’homme et de l’humanité. Du plus léger au plus grave, chaque texte traduit l’inquiétude et le désarroi de ceux qui, mieux que tous les autres, peuvent ressentir le déséquilibre dans lequel l’Afrique, mais aussi le reste du monde, vacille aujourd’hui. Un déséquilibre qui pourrait présager de l’effondrement potentiel de la race humaine. Les dramaturges, comme les maîtres de la parole, vont utiliser les tribulations mots de la pour dire société leurs sentiments moderne africaine. face aux Ainsi, la haine, l’injustice, l’alcoolisme, la paresse, la traîtrise, la corruption, l’amour, la jalousie, la passion du pouvoir, la difficulté de communiquer et de se comprendre (situation que l’on retrouve plus souvent exprimée à travers le conflit des générations), la révolte devant la mort, ou encore l’absurdité de certaines situations de l’existence, vont être les principaux sujets sur lesquels les hommes de théâtre africains vont se pencher. Si ces différents sujets constituent des thèmes de réflexion abondamment mis en rapport avec la société moderne, ce n’est certes pas un prétexte détourné, pour idéaliser la société traditionnelle ; mais il est clair que l’évocation de cette thématique pose la question légitime de l’impact de la rencontre des extérieure ; de cultures sur la capacité des de sociétés ces situation d’interpolation culturelle. 244 sous sociétés à influence gérer une Le fait longtemps est fonctionné que cette avec des société règles traditionnelle et des usages a assez strictes, qui faisaient que tout contrevenant, selon le degré de la faute commise, était frappé d’une sanction plus ou moins grave. La sanction suprême étant pour la plupart du temps, le bannissement (ou la peine de mort pour les cas extrêmes). De ce point de vue, nul n’avait le désir de se voir marginalisé, coupé de son univers, car on était ainsi condamné à errer le reste de son existence, sans plus de repères. Ce n’est un sort enviable pour personne, dans un contexte où l’homme se réfère toujours à son groupe, à ses traditions, pour s’épanouir et trouver son équilibre. Tout ce qui, aujourd’hui fait figure de travers ou de vice dans la société moderne d’Afrique Centrale, est le signe marquant de la perte des valeurs traditionnelles. Que l’on se réfère aux textes de NYONDA, à ceux de Sony LABOU TANSI, aux textes de Gervais MENDO ZE, à ceux de Tchicaya U TAM’SI, que l’on s’appuie sur la production de Laurent OWONDO ou sur celle de Guillaume OYONO MBIA, la perte des valeurs traditionnelle est partout une préoccupation, une sorte de questionnement sur l’instant qui marque la rupture dans le cours des événements. Car il est plus que probable que les situations décrites aujourd’hui, connues depuis toujours ont été amplifiées à partir du moment où les africains ont été confrontés à de nouveaux critères de détermination sociale ; à une nouvelle l’argent, de échelle l’usage de valeurs. de biens L’introduction de manufacturés ; la requalification du statut de l’homme à travers de nouveaux critères sociaux, l’existence des ont produit communautés. Ce un sont effet ces pervers effets dans pervers induits par la modernité que les hommes de théâtre dénoncent à travers la critique sociale, dont l’objectif primordial est de rechercher les voies possibles de la normalisation des rapports de l’individu à autrui ; de l’homme à son milieu. 245 CHAPITRE VI : LA CRITIQUE SOCIALE. L’on a souvent considéré que le théâtre, comme la plupart des productions de l’art africain, avait une fonction sociale. Instruire et informer, sont les rôles, ou les missions habituellement dévolus aux arts comme à la plupart des productions de l’esprit africains. Pour les arts de la scène, et le théâtre en particulier, la fonction ludique constitue un aspect définitoire déterminant. De fait, dramatique si au niveau africaine (à des exégèses l’instar de des la création autres genres littéraires) l’on a accordé plus d’attention aux contenus sociologiques politique - et politiques, au-delà des c’est aspects que le social philosophiques ou et le encore poétiques de la littérature - constituent les fondements même de la production africaine ; la raison essentielle autour de laquelle l’écrivain construit sa réflexion. Les changements engagés grandes par la société découvertes postcoloniales ont africaine jusqu’aux été pour les depuis la époques écrivains sujets de profonde préoccupation. La période des coloniales et africains des littérature, ou plus généralement l’écriture a servi de tribune à travers laquelle nombre d’africains ont pu exprimer leurs sentiments ; leurs visions de la société et des transformations en train de prendre corps dans leurs milieux. L’orientation volontairement critique de cette production littéraire trouve sa raison d’être, en partie dans ce que l’on peut attribuer à la situation du contexte social et culturel. C’est à ce propos que Michaël WALZER affirme que « Dans la mesure où on admet que la société est directement constituée par les actions et les idées de ses membres, sans la médiation des idéologies, des pratiques et des mises en 246 institutionnelles. »171 ordre majorité, la création Cette théâtrale orientation d’Afrique fonde Centrale. en C’est que, au-delà de tout a priori idéologique, les fondements premiers de toute société humaine se trouvent dans les usages quotidiens et dans le rapport que l’individu institue avec sa société. Rapports d’échanges moraux ou culturels ; philosophiques ou économiques. Mais il est aussi, dans le même temps, peu commode de séparer le regard du critique de quelque contexte idéologique, dans ce sens que l’on peut admettre que toute prise de position basée sur le constat de faits sociaux renvoie plus ou moins à une prise de position idéologique, si l’on considère que l’idéologie c’est ce que l’homme, et pardelà les institutions, établit comme norme possible et idéale dans la perspective de l’organisation et le fonctionnement de la société. L’univers critique de la littérature africaine offre dans ce sens, plusieurs perspectives dans son approche de la société. Car en multipliant les terrains d’intervention, la critique sociale se déploie à l’intérieur d’un système où la taxinomie des référents reste très diversifiée, ainsi que peut le suggérer cette observation de Michaël WALZER « La censure politique, l’accusation morale, l’interrogation sceptique, le commentaire satirique, la prophétie coléreuse, la spéculation utopique : la critique sociale se présente sous toutes formes. »172 ces C’est donc que la critique sociale ne se donne aucune limite dès lors que toutes les dimensions ; susceptibles tous de les domaines l’interpeller, de d’être la société l’objet d’un sont regard particulier. Mais on peut se demander, au vu de la diversité des objets de la critique, dans quelle mesure le critique peut-il 171 - WALZER Michaël : La critique sociale au XXème siècle ; Paris, Editions Métailié, 1995. P. 17. 172 - WALZER Michel; Op. Cit. p. 21. 247 être solidaire ou non, avec les hommes et les femmes de la société qu’il critique. Pour répondre à cette interrogation, on peut s’appuyer sur ce propos de WALZER qui dit que « le rôle spécifique du critique, c’est de faire la description de ce qui ne va pas de manière à suggérer un remède. Mais il est toujours tenté d’élever sa description de telle sorte qu’elle ne s’additionne pas seulement à la perception première de l’état de putréfaction mais s’y substitue. »173 Le regard du critique sur la société se veut avant tout scrutateur, interrogatif, sans complaisance, donc c’est un regard qui se veut le plus objectif possible. Car son but est d’en relever les moindres défaillances, les plus petits déséquilibres, et tout ce qui, à ses yeux, peut apparaître comme un travers par rapport à la « norme » ; à la morale, (même si la définition de cette norme reste quelque chose de tout à fait aléatoire) et donc susceptible de troubler l’équilibre des forces en action dans sa société. Le travail du critique se résume alors à faire l’autopsie de la société dans laquelle il vit, mais surtout à propose des remèdes aux disfonctionnements qu’il aura relevés. Dans le cas spécifique des écrivains africains, la critique sociale a souvent été doublement orientée par le fait même de la double orientation de la société africaine ; engendrant par la même occasion une double vision des questions abordées. Cette vision dualiste est en rapport d’une part avec les sociétés traditionnelles, et de l’autre, avec les sociétés dites modernes. Dans tous les cas, les motivations de l’écrivain restent les mêmes, à savoir la mise en relief des travers de la société. Mais l’écrivain, et singulièrement l’homme de théâtre s’attachera aussi implicitement à suggérer des solutions aux maux qu’il a décrits. Car c’est en leur 173 - WALZER Michaël : La critique sociale au XXème Siècle ; Paris, Editions Métailié, 1995, p. 22. 248 faisant prendre conscience de leurs manquements et de leurs déficiences, que l’on peut amener les sociétés à s’ouvrir au changement et à l’amélioration autant des mentalités, des structures que des institutions sociales. Et l’on peut reconnaître avec Michel WALZER que « La critique, au fond, a toujours un caractère moral, qu’elle se fixe sur les individus ou sur les structures politiques et sociales. Les termes décisifs sont pour elle la corruption et la vertu, l’oppression et la justice, l’égoïsme et le bien commun. La pourriture, quand « quelque chose est pourri dans le royaume du Danemark », c’est une mesure politique ou une pratique ou un nœud de relations condamnables. »174 moralement Ainsi, s’appuyant sur la médiation du théâtre, les auteurs africains peuvent-ils leurs être sociétés, aspects de perçus dans la comme mesure déperdition « décomposition » des des des structures critiques où ce sont valeurs vis-à-vis justement morales économiques et ou de ces de politiques qui interpellent la conscience de l’écrivain, qui se pose lui-même en objecteur des consciences. Et pour accomplir sa mission ; pour dialoguer avec son public et être accessible à la compréhension des populations et surtout afin de légitimer son propos, l’écrivain et l’homme de théâtre en particulier va inscrire son discours dans un cadre où les codes de représentation des choses et des événements sont de l’ordre du commun. C’est que, nous dit encore Michael WALZER, « Le choix d’un langage critique a pour condition (…), l’autorité dont veut ou croit se réclamer le critique pour être entendu. Et cela, à son tour, a pour condition sa relation à son auditoire. » WALZER met ici en relief ce qui peut être vu comme une donnée fondamentale dans le choix globalement opéré par les écrivains et les élites intellectuelles africaines, pour évoquer les problèmes de l’Afrique. La médiation théâtrale en l’occurrence, est posée 174 - Op. Cit. p. 22. 249 comme cadre formel de l’échange qu’ils entendaient nouer avec leur public. C’est ici que la tradition orale retrouve ses lettres de noblesse. On note partout que les sociétés africaines affectent une valeur particulière aux jeux et aux spectacles à caractère prennent parodique parfois ou des mimétique. Ces manifestations caractéristiques institutions. S’inspirant communautaire, ces des spectacles de événements ont une véritables de double la vie vocation de montrer et de fustiger ; puis de corriger les défauts et les travers de la société, et des hommes en particulier, à travers le rire. C’est le « castigare ridendo mores » dont parle l’universitaire camerounais Clément MBOM, pour montrer la dimension Afrique, et D’ailleurs, didactique du jeu, particulièrement dans les de celle sociétés où manière des générale jeux subsistent de les en scène. rites de passage marquant le passage de l’adolescence à l’âge adulte, il y a théâtralisation du rituel initiatique. Mais dans la production dramatique littéraire, les sujets mis en scène concernent aussi bien des thèmes d’ordre personnel que des questions d’ordre général, mais toujours en relation avec la vie des populations. La seconde perspective envisagée par la dramaturgie africaine est celle de la société moderne dans ses multiples développements. Les textes que l’on considère à juste titre aujourd’hui comme des classiques de la production théâtrale africaine, notamment la trilogie sur le mariage du camerounais OYONO MBIA ; Trois prétendants…un mari, Notre fille ne se mariera pas, Jusqu’à intéressants nouvel comme avis ; les et pièces d’autres de son textes non compatriote moins Gervais MENDO ZE ; La Forêt illuminée, Boule de Chagrin, Le Retraité, ou encore Jinette et Japhet ; les textes des gabonais NYONDA dont Le combat de Mbombi, La mort de Guykafi, Le Roi 250 Mouanga ; et Laurent OWONDO : la Folle du gouverneur, et de bien d’autres vision auteurs, qui, au offrent demeurant, à suffisance insert dans cette une double certaine progression thématique axée sur la société africaine, les problèmes liés à son implication dans ce que les Pères de la Négritude avaient posé comme « le rendez-vous du donner et du recevoir ». Ces auteurs ont comme d’autres, évoqué ces sujets qui touchent au plus près les populations dans leur vécu quotidien. Car que l’on parle du monde rural, ou que l’on examine la société urbaine, les préoccupations demeurent les mêmes. Et affectent l’on de verra manière que ces identique, sujets les de deux préoccupation univers de la société contemporaine africaine. En se penchant sur la critique sociale, le théâtre d’Afrique Centrale s’est attelé à dépeindre la société et ses multiples avatars. Il valide ainsi, comme nous l’avons déjà énoncé, un objectif culturel dans la mesure où il peut aussi, pour Georges NGAL, « être exécuté sous la forme d’un principe didactique, avec pour finalité la pédagogie morale considérée comme une relecture des mythes cosmiques, anthropologiques ou autres.»175. En se donnant comme objet la critique de la société africaine dans sa globalité, ce théâtre se veut avant tout fonctionnel, en puisant son essence au cœur même de la vie sociale et culturelle. C’est que, d’une manière essentielle, la critique sociale qui se développe au sein de la production théâtrale africaine se déploie, à notre avis, autour de quatre grands axes principaux. Ce sont en effet : le poids des traditions, les nouvelles classes sociales, les formes de la déchéance humaine, et enfin l’usage des cultes anciens. Il existe d’autres pistes possibles d’exploration de la satire sociale, 175 - NGAL Georges : Création et rupture en littérature africaine ; Paris, L’Harmattan, 1994, p. 32. 251 mais celles-ci nous ont semblé rendre au mieux, les avatars de la société africaine actuelle. Qu’il s’agisse du mariage (dont les aspects les plus mis en cause sont la pratique de la dot, la polygamie, l’adultère, et, dans une certaine mesure le mariage forcé), des conflits de générations, de l’alcoolisme, de la cupidité ou du charlatanisme des féticheurs, la critique sociale dans le théâtre d’Afrique Centrale, a toujours voulu mettre en point de publiques entraver mire, et des aux situations mentalités l’évolution des qui touchent individuelles, mentalités et aux et mœurs peuvent partant, le développement de la société africaine toute entière. Car il semble évident que le poids de la tradition sur la société nouvelle africaine apparaît pour beaucoup, comme une véritable force d’inertie, un frein empêchant un réel ancrage dans un monde où les choses vont de plus en plus vite. Mais on verra aussi que pour beaucoup de critiques africains, la culture traditionnelle africaine ne présente pas que des aspects négatifs. La culture traditionnelle est alors pour les africains cette force identitaire qui leur permettrait de ne pas se perdre dans le moule d’un monde uniforme, mais de ‘’individualité’’ pouvoir particulière, s’affirmer dotée d’une comme une richesse toute aussi particulière. 6.1 – Le poids de la tradition Ainsi que nous venons de l’énoncer, un certain nombre de faits, à l’instar du mariage, de la naissance et de la mort, constituent, intercommunautaires, traditionnelle avec les sociale les différentes principaux et formes événements culturelle des d’échanges de la vie populations d’Afrique Centrale. Ces situations diverses sont le résultat 252 d’une expérience patrimoine Aucune commune, commun à structure et constituent différents sociale, groupes ni aucun également un sociolinguistiques. comportement culturel n’étant ni cloisonné ni complètement refermé sur lui-même, cela implique une transformation due aux apports extérieurs, et ces multiples influences affectent à la société d’autres types de comportements. Un regard sur ces sociétés en mutation montre que la rencontre entre une dynamique traditionnelle d’un côté, et les exigences d’un monde en pleine évolution de l’autre, relèguent l’individu dans une délicate posture où il peut véritablement éprouver des difficultés à trouver ses marques. Car, pris entre la curiosité et la crainte de l’inconnu d’un côté, et le désir de dépasser l’assurance de ce qui est habituel et dont on connaît les limites de l’autre, l’individu tente de résoudre le dilemme en puisant dans l’une et l’autre des situations ; dans l’une et l’autre des cultures. Mais cet exercice, comme pour toute entreprise qui vise à mettre ensemble des idées d’origines diverses, produit un effet complexe, qui suggère une forme d’indétermination où la méconnaissance et l’ignorance mêlent les contenus culturels et civilisationnels, et où l’on fini par perdre de vue la nécessité de compatibilité entre les faits, les concepts ou les notions endogènes que l’on tente de relier ou de fusionner avec des usages extérieurs. C’est notamment ce qui explique les nombreux paradoxes comportementaux qui émaillent les sociétés africaines actuelles. Voulant intégrer à un mode d’existence traditionnelle des idées d’une réalité culturelle empruntée à l’Occident, les africains semblent naviguer entre deux eaux. Ici, le poids de la tradition se fait parfois sentir de manière si violente que l’individu finit par perdre pied. La véritable nécessité de conjuguer dans la réalité quotidienne, les ressources de sa culture traditionnelle et les apports du 253 monde moderne l’empreinte se de mue en un l’éducation sentiment et de la de frustration. tradition est Et alors sentie comme un poids dont il est souvent difficile de se départir. 6.1.1 – La survivance des coutumes anciennes Vivant longtemps dans pris un corps milieu dans où les la modernité comportements a depuis sociaux, les peuples d’Afrique Centrale semblent restés, d’une certaine manière, fortement attachés à une foule d’habitus appartenant à des coutumes très anciennes, et dont beaucoup sont incapables d’en déterminer les origines. De fait, face à la conjoncture de l’Histoire ; à l’urgence et à la nécessité d’aller de l’avant, l’Africain semble parfois marquer le pas, hésitant vraisemblablement à se détacher de certains aspects de sa culture jugés rétrogrades ou archaïques, se mettant par là même, en porte-à-faux avec sa situation d’Etre, dans une société en devenir. En héritage effet, de la pour les africains, colonisation les s’ils progrès ont reçu en scientifiques et technologiques, ils ont aussi, profondément ancrées en eux, les traditions millénaires auxquelles ils se sont toujours identifiés, et à travers lesquelles ils se reconnaissent en tant que Fang, ou bien Zoulou ; Kongo, Vili, Bamoun ou Téké, etc., à l’intérieure de ce grand ensemble que constitue La Population africaine, et à laquelle chacune de ces entités apporte sa spécificité. Car chaque peuple, chaque communauté est régit par un ensemble déterminant de traits distinctifs, associés aux données de la situation de peuples ouverts au monde extérieur. Mais individu, la les situation de contingences chaque qui 254 groupe environnent ou de chaque chaque entité sociologique retour à ou un traduisent culturelle ordre une occasionnent ancien. sorte de des Attitudes conflit qui interne attitudes de elles-mêmes, pour certaines personnes, et où la difficulté d’opérer des choix devient au fil du temps, le prétexte à des comportements de plus en plus étrangers aux fondements sociologiques et culturels qui ont été instaurés par une pratique et une expérience séculaires. Les plus décriés de ces comportements, jugés vils et inadaptés au monde d’aujourd’hui, concernent tous les faits de société où la marque des usages anciens se fait sentir comme un véritable boulet au pied de l’évolution des communautés. C’est par exemple le cas communément admis de certains événements protocolaires qui entourent le mariage traditionnel, à l’instar du phénomène de la dot, et à travers lesquels ce concept substance. C’est social dans a fini cette par perdre optique que toute sa l’écrivain camerounais OYONO MBIA essaye de démontrer comment la survie de certains usages traditionnels peut entrer en contradiction avec la notion de modernité. Juliette, la jeune héroïne de Trois prétendants… un mari, se trouve prise en otage, par la tradition qui l’oblige à épouser l’homme que lui ont choisi ses parents, alors que la modernité que ces mêmes parents ont adoptée en envoyant l’adolescente à l’école, fait de celle-ci une jeune fille libre de choisir son destin. Mais pour Juliette, les choses ne se limitent pas à choisir entre tradition et modernité. Elle doit également faire face à un sujet tout aussi important ; la question des interdits et quotidienne. notions de des Il tabous s’agit parenté ici (qui qui des jalonnent problèmes englobent les l’existence posés par différents les types d’alliance intertribales) ; celle de tribu, et plus largement des questions relatives à la consanguinité. Si ces questions ont une réelle importance du point de vue de la morale et de la biologie, ils restent davantage 255 un moyen de pression utilisé par les familles pour se préserver des alliances indésirables, ou pour se débarrasser d’individus dont ils n’auraient rien à en tirer. Juliette se trouve ainsi face au refus des siens, et singulièrement l’ascendance de de Tita Mbia, le Abessolo second qui a trouvé « fiancé » de sa dans petite- fille, une parenté si éloignée qu’elle se perd très loin dans la nébuleuse justifie généalogie pour du l’aïeul, vieil homme, et l’impossibilité de qui pourtant l’union du fonctionnaire avec sa petite-fille : Abessolo : «Hi yé é é ! Quel malheur, mon fils ! La grand-mère de l’arrière grand-père paternel de Juliette était Yembông ! Mariage impossible ! » Clame le vieil homme. Audelà du comique, et surtout de l’absurdité créée par la situation évoquée par Abessolo, on peut lire une intension de l’auteur à questionner la tradition ; à rechercher les fondements de certains codes ; de certaines pratiques. Ces comportements, loin de rester des faits isolés, traduisent une conception encore vivace de la parenté dans les mœurs et les habitudes de beaucoup de groupes de populations d’Afrique Centrale. Dans ces milieux, les questions de tribus et de lignages apparaissent autant comme des points forts, que comme des handicaps. A l’intérieur des systèmes d’échanges, d’alliances et de relations intercommunautaires, les notions de tribu, de clan ou d’ethnie constituent une force, dans la mesure où elles vont permettre de rendre plus intenses ; plus vivantes, les liens tissés par la mise en exergue de ces facteurs-là. Pour parenté de nombreux sous-tend ce peuples principe d’Afrique, fondamental la de notion de vie des populations qu’est la solidarité. C’est d’elle que dépendent aussi bien la vie et la prospérité des systèmes économiques que la vie politique. 256 Les notions de lignage et de parenté constituent le ferment des sociétés traditionnelles en Afrique de manière générale. Elles prennent une importance plus ou mois grande selon les groupes ethnolinguistiques. Et d’un milieu à un autre, ils constituent un point fort dès lors qu’ils servent à établir et à renforcer la cohésion entre différentes tribus, ou entre les branches issues d’un même clan. Socle de stabilité politique et de solidarité entre les communautés, les notions de parenté portent une valeur de tabou et de sacré ; elles apparaissent dans la plupart des sociétés traditionnelles comme une force. Et ce lien est donné comme inviolable par les codes des alliances traditionnelles, d’où la détresse d’Abessolo, grand-père de Juliette, lorsqu’il découvre que l’ascendance de Mbia rejoint la sienne propre, même très loin dans les méandres de sa généalogie. C’est précisément à ce niveau que se situe le handicap. Supposons un instant que Juliette ait désiré (par amour) épouser le fonctionnaire, le fait aurait été en soi problématique, tant du point de vue de la jeune fille que du côté de Mbia. Car plus que tout autre usage social, la notion de parenté reste aujourd’hui encore, une notion déterminante dans la vie et le fonctionnement des sociétés, et dans la structuration de l’identité et de la personnalité des africains au sud du Sahara. Mais la question de la validité des liens de parenté ne constitue pas le seul indice du poids de la tradition sur la vie des populations africaines d’aujourd’hui, même si, au demeurant, la véritable question ici posée par l’auteur de Trois prétendants…un mari est de savoir jusqu’à quel niveau ; jusqu’à quel degré, les liens de parenté restent-ils valides, et à partir de quel moment les risques de consanguinité peuvent-ils proscrire le rapport sexuel et a fortiori, le mariage entre deux individus donnés comme issus d’un ancêtre commun? 257 Sortant du domaine de la génétique vue du point de vue de la société, OYONO MBIA va s’attaquer à un autre phénomène tout aussi essentiel dans l’existence des populations africaines. Il va en effet s’interroger sur la survivance et la récurrence de certains types de pratiques et de croyances traditionnelles, en posant le problème lié à la compétence de leurs praticiens, et surtout à la validité de leurs actions comme éléments tangibles, pouvant expliquer ou établir la pertinence ou la véridiction d’un fait donné. En effet, le dramaturge camerounais pose notamment le problème de la pertinence du recours à la divination, mais surtout sur la compétence des devins dans une société qui offre désormais d’autres moyens, performants, d’autres pour établir méthodes aussi plus bien fiables et l’innocence plus que la culpabilité d’un individu soupçonné de forfaiture. Autre interrogation soulevée par la pièce de l’homme de théâtre camerounais, le problème de la dot ; ses formes, sa persistance, et au-delà, sa symbolique. En effet, les sociétés traditionnelles d’Afrique Centrale et singulièrement les populations Bantou du Bassin du Congo, ont de tous temps, connu l’usage de la dot, en tant que symbole matérialisant l’union d’une femme et d’un homme. Mais celle-ci reste surtout donnée comme un acte légal qui fait de la femme un membre à part entière de la tribu qu’elle vient d’intégrer. A côté de cela, la dot est le signe de l’alliance conclue entre deux familles et au-delà, deux tribus. Essentiellement constituée à l’origine de lingots de fer ou de cuivre (accessoirement d’or, dans les régions où ce métal avait cours), de pointes d’éléphant, de peaux de bêtes (lions, panthères, genettes, etc.), de pièces de poterie et, suivant les régions, d’une enclume (chez les Téké du Gabon et du Congo), de cauris ou de tissus d’écorces ou de raphia, de quelques têtes de petit bétail (chèvres, moutons, poulets 258 canards essentiellement destinés au repas de la noce), la dot portait avant tout une charge symbolique. Elle constituait en effet une forme de symbole compensatoire dans la perte que subissaient la tribu et la famille qui donnait sa fille en mariage. C’est donc toujours la famille du fiancé, et, dans une large mesure, sa tribu, qui devait payer cette compensation, afin qu’en retour, un membre masculin de la famille proche de la fille qui a été donnée en mariage (frère, oncle paternel ou maternel, cousin ou dans certains cas, père), puisse à son tour prendre (ou reprendre) femme, et ainsi remplacer numériquement la personne « perdue » par le clan. La valeur compensatoire de la dot est donc, du point de vue de ses origines, établie comme un symbole culturel fort dans l’usage que lui confèrent les traditions culturelles des peuples qui en font usage. Vu sous leurs formes originelles, les usages et la pratique de la dot ne pouvaient constituer en eux-mêmes, un problème (on passe sur les questions relatives aujourd’hui, à la sauvegarde et à la protection des espèces animales telles que les éléphants, les grands fauves, et toutes les espèces en voie d’extinction). Mais ce phénomène, largement amplifié par la société moderne de consommation, a produit des effets contradictoires tant dans sa véritable signification au sein des communautés rurales et les milieux urbains, que dans ses usages. Du point de vue de celui qui la verse pour prendre femme, la dot est donnée comme le signe d’une certaine aisance sociale, car plus elle est élevée, plus elle est indicatrice de la position sociale de l’homme. Du point de vue la femme à marier et de sa famille, elle peut revêtir une double valeur. C’est d’abord le signe de la maturité du prétendant, mais surtout la preuve de la valeur que celui-ci accorde à sa future épouse. Dans les sociétés Fang du Gabon, du Cameroun ou de Guinée Equatoriale, 259 la valeur monétaire de la dot a trouvé un nouveau fondement. Selon que la fille à marier est plus ou moins instruite, la dot réclamée par ses parents sera plus ou moins élevée ; l’instruction des filles étant considérée dans ces cas comme un investissement compensatoire à qui perte. était Ceci déjà renforce affectée à alors la la dot valeur dans les sociétés précoloniales. La dot a aussi considérablement changé du point de vue de sa composition. numéraire, divers, Elle accompagné censés porte selon restituer de les à plus milieux, cette en plus par sur des le objets « institution » son caractère originel. Avec l’argent dont les montants sont de plus en plus élevés, on y retrouve en effet toujours des objets en fer (machettes, haches, houes, marmites, etc.), qu’accompagnent liqueurs et toutes sortes de boissons alcoolisées ou non ; des bandes de tissus, du bétail ainsi que de la volaille, etc., et tout ce qui peut contribuer à donner un cachet particulier à l’événement que représente la remise de la dot par le futur marié et sa famille. Si constitue dans la loi le payement statutairement le signe toujours coutumière, de la manifeste dot de l’engagement matrimonial entre les époux et, par extension, l’alliance entre les familles, les clans et les tribus des jeunes mariés, il est surtout devenu la manifestation de la valeur et du rang social de l’homme ; car on l’aura compris, c’est à l’homme, et exclusivement à lui, que revient la charge de verser une dot à sa future belle-famille. On se rappellera ici le fonctionnaire à qui Juliette est promise par ses parents, et qui doit s’acquitter de cette tradition, mais qui doit surtout montrer, à travers les présents offerts à ses futurs beaux-parents ; par sa disponibilité à répondre à leurs moindres désirs, qu’il est le gendre idéal. Car plus que de devoir rassurer sa belle-famille sur l’avenir de leur fille, Mbia le fonctionnaire, doit au préalable prouver sa 260 valeur au clan, en posant des actes relatifs à son statut social : faire étalage de sa richesse en offrant des cadeaux à tous. La dot, la valeur et le statut social de l’homme sont pour la majorité des populations Bantou du Bassin du Congo plus qu’un survivance signe ; d’un ils usage sont ici ancien, la qui manifestation voulait que de seuls la les hommes qui avaient accompli des actes de bravoure, et ceux qui pouvaient réunir une dot importante, étaient en mesure de fonder une famille. Ici la variété des objets constituant la dot ; son importance matérielle était donc un signe rassurant pour la famille de la future mariée. C’était le signe que non seulement celle-ci ne mourrait pas de faim, mais surtout le gage que sa sécurité était assurée. La force physique de l’homme était par conséquent aussi un élément important dans le choix de l’époux. Ainsi que nous l’avons dit, la société moderne a malheureusement travesti les fondements originels et les enjeux tant du mariage, que de la dot. Si OYONO traditionnel, MBIA ce énonce n’est pas une tant critique dans sa du mariage validité comme institution sociale, mais dans ce que l’institution a pris comme éléments de référence et de faisabilité. Le mariage oui, mais dans quelles conditions ? Telle est en gros, la question que se pose le dramaturge. Il affirme à ce propos : « En 1959, quand j’avais décidé d’aller raconter les aventures de ma cousine « Juliette » à mes camarades de Libamba, je me proposais surtout de les divertir le soir, après l’étude surveillée,(…). Bien entendu, le problème de la dot me encore, préoccupait, tous les tout jeunes comme gens il sans préoccupe, argent. » 176 maintenant . En effet, comme le dit l’auteur, la question soulevée par l’impératif de la dot au sein de l’institution 176 du mariage dans - OYONO MBIA Guillaume : Préface à la deuxième édition de Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975, p. 6. 261 de nombreuses communautés traditionnelles constitue un obstacle majeur dans la concrétisation de l’acte. C’est un problème toujours d’actualité. Ce qui, dans le cadre traditionnel, avait surtout valeur de symbole de socialisation, s’est transformé en un facteur d’élitisme et par-dessus tout d’exclusion, pour une catégorie d’individu, notamment les jeunes gens désargentés, à l’instar du jeune Oko, dont le statut de lycéen ne permet pas de s’acquitter de cette charge. Mais la question de la dot semble mettre en évidence une autre préoccupation ; si le choix porté sur Mbia le fonctionnaire semble d’avantage mettre l’accent sur les aspects matériels du mariage, il pose aussi surtout la question de la liberté de l’individu, et plus singulièrement celle de l’émancipation de la femme en Afrique. Bien qu’il s’en défende177, OYONO MBIA a posé assurément le doigt sur un point sensible de l’univers socioculturel africain actuel ; celui du rôle et de la place de la femme dans la société africaine. Son opinion peut implicitement se lire dans la dernière réplique de la pièce, à travers le personnage d’Atangana : « (…) Tu sais, ma petite, j’aurais autant gagné à te donner pour rien… (…) A ton écolier Leclerc, par exemple ! »178 Sans remettre en cause l’institution du mariage, le dramaturge pose néanmoins le problème de la liberté de choix, mais surtout celle de la notion d’individu dans un univers 177 - OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants …un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975, p. 5 à 6. En 1967, lors d’un voyage en autocar dans son village natal, le dramaturge assiste à une discussion entre une jeune femme et l’assistant du chauffeur. Le sujet de la discussion portait sur l’émancipation de la femme africaine, pour laquelle OYONO MBIA apparaissait comme un ardent défenseur. Car beaucoup de gens avaient vu dans le théâtre du camerounais, un plaidoyer en faveur de la liberté et de l’émancipation de la femme africaine. Mais, dit-il, « Il est toujours inquiétant de s’entendre proclamer champion d’une grande cause. L’émancipation de la femme africaine ne saurait, à mon avis, faire exception à cette règle. » p. 6. 178 - Id. p. 117. 262 qui semble instrumentaliser et chosifier une catégorie de ses membres, en l’occurrence les femmes. Ailleurs, à travers la thématique du mariage et de l’ensemble des lois traditionnelles qui le définissent, le gabonais NYONDA soulève un autre aspect de la survivance des traditions anciennes. Il s’agit de la question du rapport de l’homme à la femme, au sein du couple ; de leurs devoirs et de leurs droits respectifs à travers le contrat qui les lie l’un à l’autre. En rappelant cette triste coutume qui voulait que dans certains groupes socio-ethniques, une femme coupable d’adultère subisse le châtiment suprême ; la mort, Vincent de Paul NYONDA veut surtout amener ses compatriotes à s’interroger sur la place et le statut de la femme dans sa société, à prendre position contre certaines aberrations, tout en insistant sur la question de l’égalité des sexes, qui aujourd’hui plus que jamais, se trouve au centre des débats aussi bien sociaux que politiques. Si de nos jours, les sociétés traditionnelles, et/ou modernes d’Afrique Centrale n’appliquent plus ce châtiment à la femme, celle-ci reste néanmoins l’objet d’un grand nombre d’injustices, et singulièrement au sein même du couple, où elle mène une existence terne et privative. On peut ainsi invoquer la question toujours actuelle de la polygamie, qui comme chacun le sait, constitue l’un des problèmes majeurs rencontrés par les femmes dans leurs choix de vie. A ce propos, c’est encore le texte de OYONO MBIA qui va nous servir de point de repère. On réalise par la diversité des sujets abordés par le dramaturge que rien de ce qu’il évoque n’est fortuit. La question sociale du mariage englobe en effet en lui-même une multitude de sujets de société. Audelà du désir de liberté manifesté par les jeunes gens, c’est toute la question liée à l’iniquité des ménages polygamiques 263 qui est ici énoncée. Cette question touche aussi bien les jeunes femmes que les femmes plus âgées. L’on peut en effet se dire que si, à une époque lointaine de l’histoire des sociétés africaines, le système polygamique constituait l’un des fondements culturels majeurs des dites sociétés, les contextes sociologique, économique et culturel exigent que l’on s’interroge sur le sens, la valeur et la nécessité de pérenniser une telle pratique. Mieux, doit-on sacrifier le bonheur d’une personne au profit d’intérêts bassement matériels d’une communauté ? C’est en posant ces différentes questions que le dramaturge espère amener son public à réfléchir sur le poids que les traditions impriment sur leur existence aujourd’hui. Mais il essaye par-dessus tout, ainsi que nous le verrons dans la suite de ce travail, d’amener les africains à prendre conscience des nombreux africaine contemporaine, travers et qui qui affectent mettent la société l’individu en contradiction avec la marche du monde. L’ambivalence observée dans les comportements sociaux des personnages de notre étude nous amène à parler de l’écartèlement de l’individu. 6.1.2 – L’écartèlement de l’individu : De manière générale, la situation et le vécu de l’homme dans la société africaine actuelle, sont le résultat d’un processus qui a pris rencontre des cultures naissance et des avec le phénomène civilisations. de la Jusqu’à la période des conquêtes coloniales l’Afrique traditionnelle a vécu dans économiques d’alliances un contexte reposaient où en communautaires les systèmes majorité et sur sociales. politiques des et stratégies L’oralité y constituait le principal mode de transmission des savoirs, les populations vont passer graduellement du mercantilisme 264 commercial au capitalisme industriel. Mais ils vont être surtout brusquement introduits dans un système où les codes de communication, contradiction avec les modes d’existence ce qu’ils avaient sont souvent toujours connu. en Les européens mettent en effet en œuvre un ensemble de procédures pour réaliser l’implantation d’un système social différent des valeurs africaines, érigeant ainsi leur mode de vie en un système de référence universel et indubitable. Imposées par la présence des occidentaux et sous la pression des puissances colonisatrices, les nouvelles normes de vie n’accordent de ce fait que peu de valeurs aux coutumes et aux traditions endogènes. Car en posant la civilisation européenne comme la seule valable, et unique voie de salut, l’occupant colonial n’a laissé à l’africain aucune véritable alternative ; se potentiellement fondre universel dans ou un système disparaître. donné Ni les comme langues africaines, ni les usages coutumiers, n’avaient pu trouver grâce aux yeux des occidentaux. Il a ainsi fallu aux africains, beaucoup plus que la seule volonté qu’exige une opération de survie, mais surtout un concours de circonstance où la providence préserver et est pérenniser restée leur favorable patrimoine pour et conserver, leur identité culturels. La vigueur de l’entreprise coloniale a cependant été plus importante, et peu à peu, un tournant nouveau s’est ouvert dans la dynamique socioculturelle africaine. C’est donc dans le cadre de la rencontre des cultures que va se former peu à peu une nouvelle identité culturelle africaine. Mais dans ce processus de reconstruction identitaire, la cohabitation entre les traditions africaines et les modèles de vie à l’occidental est faite de choix compatibles et incompatibles ; de ruptures, de symbioses et de heurts, et pose le problème de l’indétermination de l’individu, partagé entre sa culture propre, et l’ensemble des critères empruntés aux univers sociaux occidentaux. Il en 265 résulte un être écartelé, produit d’une sous-culture, dont les manifestations peuvent être autant les signes de la déstructuration de l’individu, ou de la déliquescence de la société elle-même, que ceux d’un processus d’évolution caractéristique de toute société humaine, où les changements et les mutations doivent être perçus non pas comme une aberration, mais comme un phénomène naturel dans la logique fondatrice des civilisations humaines. Dans tous les cas, ces bouleversements ne vont pas sans entamer les fondations d’une existence séculaire. L’image sensible de cette situation nous est offerte grosso à modo, travers les conflits de générations mais aussi à travers la difficulté de certains personnages à concilier identité culturelle traditionnelle et exigences de la vie moderne. Dans les conflits de générations, on peut aussi lire l’écartèlement de l’individu qui se traduit, ainsi que nous l’avons déjà évoqué, par l’inadéquation entre ce que veut la tradition et ce que propose la modernité. La situation qui prévaut au sein de la famille de Juliette, héroïne de Trois prétendants…un mari, et qui est un paradoxe entre le fait d’avoir scolarisé d’enlever à la jeune celle-ci, fille tout (modernité) espoir et celui d’indépendance, d’affirmation, d’émancipation et d’épanouissement de soi, en l’obligeant à se marier avec un homme pour lequel elle n’éprouve aucun sentiment (tradition), tout cela figure bien la situation d’écartèlement dans laquelle nombre d’africains se situent. Atangana, le père de la jeune fille est sans doute le personnage qui manifeste le plus ce paradoxe. C’est lui qui, en tant que scolariser sa chef de fille, famille, ce qui avait par en effet conséquent décidé dénote de d’une volonté de se tourner vers le monde moderne, lui offrant ainsi la possibilité de vivre une vie différente de la leur. Dans le contexte historique de ce choix, l’événement était 266 déjà inhabituel, surtout concernant les filles. Mais cet homme, dont le choix initial laissait entrevoir une ouverture définitive vers le modernisme opère un revirement de situation en n’allant pas jusqu’au bout de sa démarche, et en ne laissant pas à sa fille la liberté de décider de son avenir. C’est que le poids de la tradition ne lui permet pas de se déterminer, et de choisir en définitive, le mode de vie qui convient à sa situation d’africain entre deux rives. Ce qui est manifeste par-dessus tout ici, et qui est définitoire de bon nombre d’africains en situation de dualité culturelle, c’est le fait que notre chef de famille tente, comme le dit un adage populaire africain, de « construire une case neuve avec des matériaux anciens » ; en d’autres termes, « faire du neuf avec de l’ancien ». Il essaye en effet de vivre la modernité avec des usages traditionnels anciens, parfois éculés, car n’ayant plus aucune pertinence dans le contexte des sociétés nouvelles en marche. L’attitude d’Atangana, à l’instar de celle de sa nièce Matalina, est d’africains caractéristique aujourd’hui, qui, de ayant celle reçu de dans beaucoup le cadre traditionnel, une éducation fondée sur la connaissance et l’observation des lois et des préceptes de leurs communautés traditionnelles, choses. Car perdent s’ils parfois côtoient et le sens adoptent véritable volontiers des un environnement moderne souvent mal compris, ils en subissent aussi les influences néfastes et les méfaits. Mais l’écartèlement de l’individu peut aussi se traduire par cette sorte de dégénérescence de la personnalité que l’on note à travers le personnage de Japhet, dans Jinette et Japhet de MENDO ZE. Après avoir exercé des décennies durant, la profession d’infirmier, Japhet, époux de Jinette est admis, comme le stipule la loi, à faire valoir ses droits à la retraite. Mais, à son retour dans son 267 village natal, le nouveau retraité et sa femme sont bientôt confrontés à une situation des plus gênantes. En effet, Japhet qui a longtemps été un personnage envié des hommes de son village, connaîtra bientôt l’opprobre et d’autres déconvenues, lorsque sa belle-sœur va l’obliger, avec son épouse, à quitter la chambre qui leur avait été cédée dans la maison de son frère, en rappelant avec cynisme et cruauté la situation de sans toit de l’ancien fonctionnaire, mais en montrant surtout l’absence de bon sens dont avait fait preuve l’infortuné retraité. « Tu aurais mieux fait de penser à te construire une maison avec l’argent que tu as d’entretenir gagné tes en tant que maîtresses ! », fonctionnaire lui assène au lieu furieuse sa belle-sœur au cours d’un échange de propos particulièrement virulent. Ici apparaît non seulement la notion de déchéance, mais aussi figure celle bien la d’écartèlement de situation beaucoup de l’individu car Japhet d’africains qui oscillent sans cesse entre des comportements propres à la société traditionnelle et d’autres, typiques au monde dit moderne. En effet, d’appartenir à la société moderne en travaillant et en ayant un salaire qui le mettait à l’abris du besoin semblent avoir déconnecté cet homme de la réalité d’un monde qui n’est plus tout à fait régi par les codes de l’hospitalité traditionnelle, mais en même temps pas encore complètement investi par l’individualisme effréné voulu par la nouvelle société de consommation. Il a, semble-t-il, voulu compenser son inconséquence par le fait que dans son milieu d’origine, les notions d’entraide et de solidarité ne sont pas de vains concepts. Les codes sociaux, la morale communautaire veulent que l’africain trouve toujours un toit pour l’abriter et une main pour le nourrir en cas de besoin. La situation d’écartèlement est marquée ici par l’inaptitude de Japhet à s’accomplir, ni comme appartenant au monde moderne en adoptant les codes et les symboles de la 268 modernité : richesses matérielle et autonomie ; ni comme appartenant au monde traditionnel, en restant au village et en vivant de la terre comme tous ceux qui n’avaient pas choisi « le travail du blanc » comme le dit une expression fang. D’un autre point de vue, l’écartèlement de l’individu peut encore se manifester dans cette forme de choix douloureux que certains individus peuvent parfois être amenés à opérer entre deux pôles d’existence, sachant que ce choix peut être le présage d’une destiné funeste. En trahissant son roi, Mouga n’ignore pas qu’il signe par la même occasion son propre arrêt de mort. Mais la trahison de Mouga n’est pas un simple régicide ; il commet en effet le plus infâme des crimes que l’on puisse commettre vis-à-vis de sa communauté ; de sa famille il est coupable du péché de convoitise, ce qui dans le code des lois traditionnelles est considéré comme la pire des avanies. Le conjuré se laisse pourtant tenter par la perspective de devenir roi, et de bénéficier des honneurs dus à ce rang ; à ce titre. Pourtant, on se rend compte aux soins qu’il met à ne pas laisser éventer son projet, que Mouga mesure parfaitement la portée de ses actes, il est cependant comme aveuglé par la perspective de posséder enfin le pouvoir. Et le processus dans lequel s’engageait l’irrévérencieux prince africain n’offre aucune autre issue possible que celle de la mort. Sa trahison apparaît encore plus abjecte à le voir demander, à ses nouveaux amis français un sac (une gibecière) telle qu’en français. On portent les pourrait officiers opérer ici et un les sous-officiers rapprochement de personnalités et de destins, entre Mouga qui trahit les siens pour une vulgaire besace en toile de jute, et le personnage biblique de Judas, qui trahit le Christ pour la modique somme de trente deniers. 269 La question à laquelle semble appeler le dramaturge gabonais ; au-delà de la légende biblique, est sans doute celle de savoir si une vie, fut-elle celle d’un « malfaiteur » (Mouga justifie ses actes par le fait que le Roi, à ses yeux est devenu arrogant et injuste vis-à-vis de ses concitoyens), mérite d’être prise pour satisfaire des intérêts personnels et égoïstes. Car que l’on ne s’y trompe pas, les véritables desseins de Mouga ne sont pas d’agir pour le bien du peuple, mais pour satisfaire son propre désir de gloire et de puissance (matériel et politique). D’un autre point de vue, la mort (physique et métaphysique) de Mouga, mais par-dessus tout celle du roi, manifestent toutes deux, un processus nécessaire de changement dans lequel de manière générale, l’Afrique entrait à l’orée d’une ère nouvelle. La fin de la période des indépendances devait correspondre inévitablement à la remise en question des institutions héritées de la colonisation en même temps qu’elle devait s’interroger sur l’opportunité, d’un tel changement qui envisageait une coupure nette avec l’ordre ancien ; avec la sagesse de l’expérience. Il fallait ‘’tuer’’ l’ordre Mouanga, mais ancien à l’exécution travers du la traître mort du Mouga vieux était roi aussi nécessaire pour que renaisse l’espérance d’un ordre nouveau, symbolisé par la descendance du roi défunt. Pourtant, une vision prophétique du futur ; un futur incertain, amène le couple royal à prodiguer leurs dernières recommandations à la nouvelle génération incarnée par leurs enfants Sasi et Sabi. C’est Gouverneur 179 chez , que Laurent se OWONDO, traduit encore avec La mieux l’allégorie folle du de l’écartèlement. En effet, le personnage de la Folle, (veuve d’un époux dont la mort n’a pas suffi à effacer le souvenir, 179 - OWONDO Laurent : La folle du gouverneur ; Paris, Editions Promotion Théâtre Emile Lansman, 1990. 270 et un nouveau soupirant bien déterminé à tenir un rôle de premier plan auprès d’elle et à abattre toutes les résistances), incarne d’une manière symbolique une Afrique tiraillée entre deux forces, entre deux « amants » dont le souvenir de l’un et les attentes de l’autre, ont produits chez l’être convoité, une névrose qui met celle-ci en difficulté quant au choix qu’elle doit d’une manière ou d’une autre, opérer. Si la difficulté des autres personnages à se situer dans un espace donné est plus globalement du domaine du culturel, l’écartèlement de la Veuve Desenclos dépasse les seuls domaines de l’identité ou de l’histoire, pour atteindre des problématiques d’ordre social et politique. Ce choix, dont les enjeux déterminants pour l’avenir constituent un véritable défi, sonne pour la Veuve, la fin d’une époque. En dépit de sa névrose, la Veuve apparaît au milieu de tous comme seule véritable conscience de ce monde où chaque entité se pose en élément de contradiction. Ici se manifeste au niveau individuel, cette incompatibilité entre le passé et l’avenir qui fait du personnage du fou dans la littérature africaine en général, la figure allégorique de la déchirure ; de l’écartèlement entre le passé et l’avenir de l’individu et de son histoire. Dans bien des domaines l’écartèlement de l’individu manifeste les processus de déculturation et d’acculturation qui mettent la société africaine tout entière dans une situation d’aliénation par rapport aux différentes réalités auxquelles celle-ci est confrontée. Si la problématique de l’aliénation culturelle a constitué la pierre d’angle des romanciers ou des dramaturges africains des années 60 à 50, elle a également fait l’objet des textes de théâtre chez les dramaturges d’Afrique. On ne peut dire aujourd’hui, que la question soit éculée, car les années 90 à 2000 ont vu resurgir, à travers 271 des textes comme La Folle du Gouverneur du gabonais Laurent OWONDO, le société problème partagée de l’orientation entre une idéologique véritable d’une autonomie des institutions politiques et économiques, et une situation de pseudo indépendance, prépondérance à qui donne l’ancien toujours colonisateur une tant véritable à travers l’arrivée au pouvoir et la confiscation de celui-ci par des élites politiques acquises verrouillage des systèmes institutions monétaires à leur d’échanges cause, que économiques internationales, de plus dans le par des en plus hostiles aux véritables politiques économiques consensuelles et égalitaires pouvant favoriser le décollage ou l’émergence des pays les plus faibles. La perversité de ces institutions est incarnée notamment par des personnages comme le Colonel Perono de La parenthèse de sang, pour qui le Lébango ne sera jamais qu’une source d’approvisionnement et d’enrichissement des plus forts ; des gens comme lui, qui détiennent les capitaux et confisquent la totalité des moyens de production : « Ici, voyez-vous, monsieur l’instituteur, je suis tout ; Absolument tout. », ou encore : « Je suis le drapeau, la loi, la liberté le droit, la prison, le diable et le bon Dieu, enfin. Vous voyez bien – tout. (…) Si bien que toute la région m’écoute et m’obéit, disons aveuglément. (…) Je crois qu’on vous a parlé de moi » ; déclare-t-il, à l’adresse de l’instituteur, ce qui vient confirmer la description faite par l’écolier que Mallot avait entrepris de questionner pour avoir une idée de la vie dans ce village, où il venait d’être muté : Monsieur Perono, dit l’enfant, «c’est le bon Dieu du coin »180, « si vous voulez vivre en paix, faut pas déranger monsieur Perono. Parce que vous avez tout le 180 pays dans le dos en cinq - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang ; Paris Hatier, 1981, p. 80. 272 minutes. »181 commercer Il peut avec les en effet décider habitants du qui peut, Lébango ; ou doit « Monsieur Ottellini a fermé. (…) Les mauvaises langues boutiquent que c’est monsieur Perono qui l’a chassé »182 ; annonçait déjà l’enfant. Partagé entre le refus d’aliéner sa liberté et son individualité à un système qu’il estimait corrompu, et la nécessité de s’en accommoder ; il est responsable d’une famille, au sens large de la famille africaine, car en plus de sa femme et de ses deux filles (ses deux diables), Mallot doit aussi subvenir aux besoin de son père, de sa mère et de sa sœur : MANISSA.- A part tes diables et ta femme, qui as-tu ? MALLOT.- Mon père. Un mort qui vit de moi (…). Ma mère, ma sœur et moi (…).183 L’instituteur Mallot Bayenda est donc confronté au dilemme de son humanité ; de son impuissance vis-à-vis de ce qui apparaît de plus en plus comme une fatalité, confronté à la difficulté de sa condition d’individu social, qu’il vit comme une trahison par rapport à ses convictions profondes. Obligé de transgresser en quelque sorte son éthique personnelle. Et face à l’arrogance de Perono qui a retourné à sa convenance la loi du Marché en celle de la jungle : « les plus forts ont toujours raison, et ils mangent les plus faibles » l’instituteur se refuse à plier l’échine comme tous ses compatriotes. Car pour ce chantre de la justice et de la liberté, il faut refuser « d’exister sur commande ». Face aux « guignols », aux « chiffes », au « vide », à « l’élite des charognards », Mallot dresse sa 181 plénitude ; son existence - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, p. 81. 182 - Id. p.82. 183 - Id. p. 119. 273 humaine et métaphysique : « Ils ont fini par faire de moi un Dieu. Malheureux, mais Dieu quand même. »184 D’une observation l’écartèlement de générale, l’individu il obéit apparaît toujours au que contexte idéologique et historique de son inscription au sein de la communauté ; au contexte interrelationnel posé par une vision affective et singulière du monde et des énergies qui le définissent et le structurent. 6.2 – Les nouvelles classes sociales : L’histoire sociale de l’Afrique contemporaine est marquée par trois grandes périodes qui signent d’une certaine manière, la typographie des structures sociales observables aujourd’hui sur le continent. Fruit des époques précoloniales, coloniales et postcoloniales, les différentes classes sociales sont marquées de façon significative dans le paysage démographique africain. Elles tiennent une place déterminante dans la vie publique. Leur évolution ; leur développement, croissant ou décroissant, leur influence, sont souvent la conséquence d’un contexte social, culturel, économique ou politique qui peut favoriser ou pas, l’éclosion d’une classe dominante au détriment d’un ensemble moins privilégié. Qu’il soit d’inspiration lointaine ou contemporaine, le théâtre d’Afrique composantes déterminant l’Afrique. de le Ces la Centrale société visage sociétés, présente comme politique de type un les ensemble et social traditionnel différentes de facteurs actuel de (rural) ou moderne (urbain), ont en commun une histoire qui reste marqué par le processus de confrontation et de mutation auxquels les populations 184 ont été amenées à - Op. Cit. p.90. 274 faire face à travers les multiples tribulations imposées par l’Histoire. Guy Ossito MIDIOHOUAN pense à ce effet que « Dans la mémoire collective des africains, la période coloniale est le « temps de la chicote » marqué par la lourdeur des impôts et le travail forcé. Les relatifs solidarités équilibres qui avaient individuels réussi et à forger collectifs les furent détruites par les nouvelles structures économiques, l’exode rural, la croissance urbaine et l’introduction de nouvelles religions. La domination étrangère a également suscité de nouvelles classes sociales : le prolétariat ouvrier et la bourgeoisie locale. »185 D’un point de vue général, la typologie sociale de l’Afrique se caractérise, ainsi que nous l’avons déjà énoncé, par deux grands ensembles distinctifs ; nous avons en effet, d’un côté : - les instruction, pratiquant communautés rurales, qui des une l’échelle la vivent agriculture plus de basse de pauvres, produits souvent sans de la forêt et subsistance, se situent à cette classification. Leurs revenus ; très limités, dépendant généralement de la vente du fruit de leurs petites exploitations, ne peuvent suffire à couvrir leurs nécessité besoins tel l’éclairage, d’autres que les en matière les produits produits produits de produits pétroliers d’hygiène manufacturés. de comme Cette le première servant savon, catégorie de à ou la population a toujours besoin du secours des citadins pour combler les nombreux déficits auxquels ils doivent souvent faire face. - et urbanisées, de dont l’autre le côté, niveau de il vie y a varie les entre populations riches et pauvres, avec au milieu, une catégorie moyenne. La population urbaine a aussi comme caractéristique, 185 d’être un mélange - MIDIOHOUAN Guy Ossito : « La réalité africaine dans la nouvelle », in Fiction africaine et postcolonialisme ; SS DIOP Samba. Paris, L’Harmattan, 2002 ; p. 203. 275 d’individus instruits, certaine ruraux. de toutes et/ou pas manière, Mais origines la leur et de instruits ; classe des situation, tous ils les constituent privilégiés, très niveaux ; d’une vus par les ne peut se disparate, définir qu’en prenant en compte des situations particulières aux individus ; historique. à Mais d’instruction leur parcours d’une façon scolaire sociologique, générale, conditionne voire le niveau fortement la classification sociale des individus. Pour expliquer les fondements de la répartition des types sociaux, entre villes et campagnes, Elikia MBOKOLO note que « les populations rurales, notamment agricoles, qui vivent du travail de la terre sont encore majoritaires, même si l’espace urbain rassemble une population de plus en plus considérable (environ 40%). »186.A l’intérieur de cet espace urbain, une résultat du partie importante phénomène de de la l’exode population rural, qui est le touche en majorité les adolescents et les jeunes adultes. Fuyant la pauvreté des campagnes, cette catégorie de la population, souvent sans qualification, vient grossir les rangs des chômeurs et des mal lotis. Il est certain que la physionomie de la ville africaine traduit d’une manière fondamentale, la distribution spatiale des différentes classes sociales qui forment le tissu urbain. On peut notamment relever que les zones urbaines d’infrastructures les mieux publiques équipées (routes, en écoles, matière équipement et fourniture d’eau et d’électricité, hôpitaux ou dispensaires, systèmes de collecte et d’évacuation de déchets ménagers etc.), sont occupées par les cadres appartenant aux régimes politiques. Les cadres et personnels de l’administration et des services publics quant à eux vont occuper les espaces mitoyens à ceux des « élites » politiques. Le reste de la 186 - MBOKOLO Elikia, Afrique Noire, Histoire et Civilisations. Tome II, XIXème - XXème Siècle; Paris, Hatier-Aupelf, 1992, p. 517. 276 population urbaine, la plus importante fraction, formée par les cadres subalternes, les ouvriers, ou les agents du secteur informel, et en grande partie aussi les chômeurs, vont occuper les régions ou zones périphériques des grandes agglomérations, formant des bidons villes. Ici sont rassemblés tous les types de problèmes liés, non seulement au déficit de relatives l’emploi, à une mais aussi véritable et politique surtout aux sociale questions qui mettrait l’accent sur la formation des jeunes et la valorisation du monde rural. Symbolique scolaire constitue déterminant dans de dans l’Afrique pour contemporaine, tous l’occupation l’ascension au sein les des de l’instruction africains, catégories celles-ci. un facteur sociales, Cependant et pour certains, il peut représenter une forme d’entrave par rapport à l’identité culturelle, et à l’affirmation de soi. Car dans plusieurs domaines, l’instruction scolaire qui ouvre et donne accès à des perspectives différentes dans la conception et l’appréciation du monde, entre souvent en contradiction avec l’univers des traditions ancestrales, en remettant en cause bien des acquis culturels donnés comme immuables par les codes de la cosmologie et du vécu quotidien des peuples. Dans tous les cas, les nouvelles classes sociales en Afrique reflètent aussi bien le passé culturel des communautés, que l’appartenance à un ordre nouveau issu de la rencontre des cultures occidentales et africaines. Car s’il est impossible populations aujourd’hui vierges l’existence occidentalisées de de d’affirmer toute communautés n’est pas qu’il influence africaines non plus quelque existe des extérieure, entièrement chose de vérifiable. Du plus profond des forêts équatoriales, où les Pygmées chassent désormais au fusil, jusqu’aux grands centres métropolitains comme Douala, Libreville, Brazzaville ou Yaoundé, on mêle depuis, sans distinction, coutumes anciennes 277 et comportements l’émergence modernes. d’un monde Ce qui, nouveau ; du même coup, l’existence de signe classes sociales nouvelles, et la véracité d’une sous-culture, que pour notre point de vue nous voyons comme une nouvelle civilisation, celle qui tend vers l’universalité. On retrouve diverses manifestations de ces strates de la société dans les textes de notre corpus. C’est encore Trois prétendants…un mari de OYONO MBIA qui va nous permettre de lire la représentation concrète de ces strates de la société africaine actuelle. D’abord du point de vue des usages, les grands-parents et les parents l’intérieur cependant de le de Juliette cette premier représentent catégorie, maillon les de la la tradition. parents chaîne A constituent qui relie la tradition ancienne et la génération moderne que représentent Juliette et son fiancé Ndi, groupe auquel il faut ajouter Mbia le fonctionnaire. Toujours chez OYONO MBIA, Le Train spécial de son excellence nous donne un autre visage de ceux qui constituent les nouvelles sociales africaines ; ce sont tous ceux qui, comme le chef de gare, occupe des emplois subalternes au sein de la hiérarchie des cadres d’entreprise, et qui usent et abusent de leur position pour avoir une emprise sur leur concitoyens. Ce sont aussi des individus qui, à l’instar du personnage limites des de Son outrepassent Excellence, prérogatives que leur confère souvent une les autorité supérieure, pour se poser en maître omnipotent vis-à-vis des populations les plus humbles, les moins cultivées et par conséquent ignorantes des véritables attributions aussi bien d’un modeste employé des chemins de fer, que de celles d’un cadre subalterne de l’administration publique. Chez Gervais MENDO ZE, les nouvelles classes sociales apparaissent sous les traits de Jinette. 278 Japhet et de son épouse Anciens citadins lorsque Japhet exerçait le métier d’infirmier, ils étaient enviés et admirés par les villageois qui voyaient en eux des exemples de réussite sociale. Pour les populations rurales en effet, la vie en ville est facile et agréable, comparée à celle de la campagne où le rude travail de la terre reste la seule opportunité. Admis à faire valoir ses droits à la retraite, Japhet et son épouse doivent regagner le village natal. Ils devront s’y réinsérer, et se faire accepter par la communauté, notamment en apportant les fruits de leur labeur passé. A leur retour au village, Jinette et Japhet sont hébergés par le frère de ce dernier, n’ayant pas assuré comme il se doit, la fin de la vie active, en se construisant une maison pour leurs vieux jours. Dans la société traditionnelle, un homme qui ne peut se bâtir une maison est considéré par les siens comme un vaurien ; un irresponsable. C’est donc quelqu’un qui n’a droit ni au respect des siens, ni à leur bienveillance. Japhet et son épouse doivent donc subir les critiques et les railleries des villageois, ce qui finit par déclancher une violente dispute entre les deux belles-sœurs, jetant la honte et l’opprobre sur les anciens citadins. Comme chez NYONDA et OYONO MBIA les pièces de MENDO ZE mettent en scène des situations de la vie commune ; rurale ou citadine, avec pour intention première de fustiger les comportements déviants ; de moraliser la société. A travers le personnage de Japhet, MENDO ZE veut amener à une prise de conscience des cadres et des élites sociales africaines en situations. Car l’avenir et éventuelles, matière pour la prévoir de changement plupart en de de ces conséquence statuts élites, des et de anticiper difficultés semble une notion quelque peu dérisoire. C’est en étant confronté à la réalité du terrain que nombre de ces élites sociales mesure la portée 279 de leur inconscience. Certains (très rares) parviennent à se rattraper en trouvant d’autres moyens de nombreux, ne erreurs. Ils déchéance physique peuvent survie. que sombrent et D’autres subir les contre, contrecoups généralement morale, par dans pouvant une parfois de plus leurs véritable aboutir au suicide, pour les cas les plus graves. Lorsque récurrent, le les problème devient dramaturges, aussi conscience important que collective des sociétés humaines, ne peuvent rester insensibles. Et toujours sur le mode du castigare ridendo mores, ils vont essayer d’amener le public à prendre en compte ce fait, afin de le corriger. 6.2.1 - Les nouvelles bourgeoisies politiques : Toujours pour mieux cerner le phénomène des nouvelles classes sociales africaines (dont font partie intégrante les nouvelles bourgeoisies politiques) et telles qu’elles sont décrites par les auteurs dramatiques d’Afrique Centrale, nous pouvons nous intéresser à une situation de plus en plus récurrente en Afrique. Elle pose comme base de la répartition des couches sociales, une forme d’élitisme fondé, non pas sur le mérite intellectuel, ou sur la capacité des uns ou des autres à proposer un projet politique dans le domaine de la gestion des affaires publiques. Nous avons plus régulièrement affaire à des systèmes fondés sur des alliances ethniques, des parrainages en tous genres, dont celui des fraternités maçonniques, rosicruciennes constitue aujourd’hui systèmes plus formation des ou un moins catégories ou autres, véritable et vivier. dont A côté souterrains, un sociales politiques et l’Afrique autre de type ces de concerne celui de la prise en otage des institutions républicaines par un, ou des groupes d’individus civiles ou militaires, et qui 280 se constituent en de véritables castes de privilégiés et de passe-droit face au peuple, en faisant régner un climat de terreur et de suspicion tous azimut. C’est notamment le cas dans la quasi-totalité des textes de Sony LABOU TANSI, qu’il s’agisse de Je soussigné cardiaque ou de La parenthèse de sang ; qu’il s’agisse de Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha, d’Antoine m’a vendu son destin etc., nous avons face à nous, non plus une élite politique au sens traditionnel du terme, mais des sortes de clubs d’amis, de clans « de malfaiteurs », des groupes et associations tournant autour de la parenté ou des fratries de loges, et qui s’octroient tous les droits, tous les pouvoirs et tous les privilèges inhérents à leurs qualités de responsables politiques, sans toujours consentir à en assumer les obligations. Cette représentation des nouvelles bourgeoisies politiques africaines peut aussi se lire chez les gabonais Vincent de Paul NYONDA dans Le Roi Mouanga. Laurent OWONDO, dans la pièce intitulée La folle du Gouverneur, et où le phénomène de la confiscation du pouvoir politique régimes est aggravé politiques par celui africains par de la les vassalisation anciennes des puissances coloniales, et de l’impact de ce néo-colonialisme occidental sur le Continent Noir. Ces phénomènes qui tendent aujourd’hui à se généraliser, opposent en effet ceux qui appartiennent aux cercles du pouvoir politique dominant, à ceux qui en sont marginalisés. C’est dire qu’en Afrique, une certaine forme d’exercice curieuse exergue du pouvoir manière politique d’appréhender l’émergence d’une a le nouvelle donné naissance monde, en à mettant bourgeoisie liée une en au pouvoir Ainsi que nous venons de l’annoncer, la répartition des classes sociales telle qu’elle est donnée par la production dramatique d’Afrique Centrale 281 tend de plus en plus à privilégier une opposition entre la classe politique et le reste de la population. Ce clivage qui est le fait de ce que nous désignerons politiques », comme se étant construit « les autour nouvelles d’un bourgeoisies certain nombre de paramètres, rarement en rapport avec l’intérêt public. Les classes politiques que décrivent par exemple LABOU TANSI, OWONDO, NYONDA, U TAM’SI ou OYONO MBIA, sont constituées, ainsi que nous l’avons déjà dit ; d’un côté, de ceux qui partagent l’opinion d’un pouvoir aux fondements et à la légitimité souvent discutables ; et de l’autre, ceux qui, ouvertement prennent position contre ce pouvoir, et qui pour cette raison sont marginalisés, ou subissent une répression brutale et féroce. Entre ces deux extrêmes, il y a la masse du peuple ; les sans-voix, au nom desquels tout se fait, et tout se dit. Les nouvelles bourgeoisies politiques, en effet, sont constituées pouvoirs par et des individus jouissent de qui tous disposent les de privilèges, tous ils les sont affiliés au parti politique dominant. Souvent décrits comme « les fossoyeurs de la République », ils ont souvent instauré la loi du plus fort au détriment des règles de la démocratie. Car leur unique motivation concerne l’accumulation de biens et la défense des intérêts personnels, au détriment de la cause publique. Livrant une contradictoire, perçues par guerre les sans nouvelles beaucoup de merci contre bourgeoisies dramaturges toute opinion politiques africains, sont comme de véritables fléaux auxquels il faut sans cesse lutter. En opposant d’un côté le peuple, et de l’autre les classes politiques, les dramaturges essayent de montrer le paradoxe qui caractérise de manière générale le discours politique africain, tenu par des dirigeants peu soucieux du destin public, mais qui 282 toujours proclament leur « attachement au peuple », sans que rien dans leurs agissements ne vienne démontrer ce postulat. D’abord chez Sony LABOU TANSI. Parler du clivage entre le peuple et la classe politique ; évoquer les inégalités sociales comme ou la faire marquantes nouvelles répression l’autopsie de cette bourgeoisies pour de délit la d’opinion, société. société ; celles politiques Et qui apparaît les figures composent africaines, sont les souvent rassemblées autour d’un président autocrate, comme celui dont il est question dans La Parenthèse de sang, et que ses sbires désignent sous l’appellation de la capitale. Les personnages de ces nouvelles bourgeoisies politiques africaines apparaissent aussi sous les traits d’un Antoine, d’un Moroni, général et ami d’Antoine ; d’un Riforini, autre ami et bras droit du même Antoine dans Antoine m’a vendu son destin187. Ce sont aussi des personnages tels que Mamab, monarque déchu de son trône, et visiblement en route vers un exil incertain ; avec lui, il y a Nohami sa femme et Zooam son beau-frère. D’autres personnages viennent compléter ce tableau, ce sont le Docteur comparse, Ghost, Elvire, auteur de épouse la de conjuration, Zooam, dont Léonard, le rôle, son à l’intérieur de l’intrigue qui se joue est central (le rôle et la personnalité de Zakaya le tiennent un peu à l’écart de ce groupe ; son importance est autre). D’une manière générale, les bourgeoisies politiques africaines sont aussi constituées par des juntes militaires qui, comme partout où elles se sont emparées du pouvoir, constituent l’une des formes les plus féroces de individus, l’exécutif. les Pour notions ces de groupes ou pour ces « Démocratie » ou de « Constitution » ne sont rien de plus que des vocables tout juste utiles à donner le change 187 dans des rencontres - LABOU TANSI Sony ; Antoine m’a vendu son destin : Paris, Editions Acoria, 1997. 283 internationales, où ils tenteront souvent de légitimer leur imposture. Clarisse NICOÏDSKI, dans sa postface à Antoine m’a vendu son destin, opère une analogie entre le destin de ce personnage et tristement celui d’autres, l’Histoire dont le souvenir contemporaine, il marque s’agit en l’occurrence du Duce Mussolini, de Staline et du Führer Adolf Hitler : « Que signifie Démocratie ? Constitution ? Seul le destin des mots sépare son Altesse Antoine, d’un petit père du peuple, ou d’un Duce, ou d’un Führer. Ce sont eux qui disent la farcesque de l’histoire, de l’Histoire. »188 En cherchant à déterminer les différents processus conduisent à la constitution des nouvelles qui bourgeoisies politiques africaines, en recherchant l’instant précis de la rupture entre le civil et le politique, le poète cherche avant tout à saisir les motivations profondes d’un clivage dont la nécessité rentre en opposition avec la véritable vocation de toute action destinée à la gestion de la chose publique. Mais il veut aussi se convaincre de la possibilité d’une réconciliation entre deux composantes sociales pour lesquelles l’existence de l’une semble toujours en passe de neutraliser l’autre. Dans le fond, l’histoire d’Antoine paraît se rapprocher de celle de la Reine Béatrice du Congo. Ce texte est en effet une cynique parodie de l’histoire de l’héroïque CHIMPA VITA ; prénommée Béatrice par les explorateurs portugais, et qui comme Saint Antoine, offrit sa vie à ses compatriotes, afin de restaurer la splendeur du royaume du Congo en déliquescence depuis 1662. Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’Antonio Ier du Congo qui, succédant à son père, entra en hostilité contre les portugais, à qui il refusait l’exploitation des mines 188 - Op. Cit., Postface, p.61. 284 d’or et d’argent du pays. Vaincu par les portugais et leurs alliers, Antoine périra décapité. Dans tous politiques sont les cas, souvent les nouvelles visibles au cœur de bourgeoisies la tradition littéraire africaine. Tragiques ou comiques, elles donnent à lire une société où les choses semblent ne jamais être à la bonne place. En effet le discours social ou politique se situe toujours en total décalage avec la réalité vécue par les populations. C’est notamment ce que l’on peut observer dans Le train spécial de son Excellence189, où la surexcitation du chef de gare tranche avec la nonchalance des villageois. Dans un cas comme dans l’autre, l’arrivée de ‘’Son Excellence’’ suscite un sentiment de fierté pour le chef de gare, à la perspective de s’élever dans la société s’il arrivait à faire bonne impression auprès de l’homme politique. Du côté des villageois, les choses sont vues sous un angle différent. Pour ces gens déjà accablés par des taxes et des impôts de toutes sortes, la visite d’un « officiel » ne peut représenter qu’une source nouvelle d’inquiétude. On comprend dès lors l’absence d’enthousiasme dont ils font montre quand il s’agit de se tenir prêt pour l’arrivée du train. Le chef prototype Presque des de gare nouvelles toujours est à classes préoccupés par une certaine dirigeantes leur propre échelle, de le l’Afrique. sort, leurs congénères ne constituant très souvent que des simples fairevaloir, n’ayant aucun pouvoir, et que les classes dominantes assujettissent et réduisent au silence. 189 - OYONO MBIA Guillaume : Le train spécial de son excellence ; Yaoundé, Editions Clé, 1972. 285 6.2.2 – Le peuple exploité : La stratification de la société africaine actuelle, ainsi que l’avons énoncé plus haut, est le fait de plusieurs facteurs. Le l’accumulation plus ou marquant non, de des ces facteurs richesses et est des celui de biens de consommation, ce qui conduit globalement à la marginalisation des couches les plus importantes des populations. Ce facteur économique d’exclusion et plus globalement accentué par des systèmes ou des régimes politiques inégalitaires et autocratiques. Majoritairement bâtis sur le modèle des anciennes puissances colonisatrices, les Etats modernes africains ont adopté des régimes politiques et économiques divers, allant de systèmes dits « à économie de marché », jusqu’aux régimes « socialistes », en passant par des sociétés « marxistes ». Mais modèle il apparaît économique ou généralement politique que pour quel lequel que ces soit Etats le ont opté, on n’y rencontre que des dictatures. Les notions de peuple ou de bien public n’étant ici que de vagues concepts dont se gargarisent les responsables politiques. Sur le plan politique donc, les jeunes Etats africains ont généralement accédé aux indépendances à partir des années 1960. Le modèle politique de ces premières années est globalement de type multipartite. Mais très tôt, des coups d’Etat militaires viennent encore fragile, charriant remettre derrière en cause eux, une liberté toutes sortes d’avanies, de crimes et génocides, dont les conséquences sont des catastrophes humanitaires et économiques, réduisant à la misère la plus sombre, des millions d’individus. Ailleurs, là où la situation n’avait pas dégénéré en conflit armé, les relations entre les classes dirigeantes et les couches populaires étaient tout aussi conflictuelles et dramatiques. Mais on peut aussi 286 voir que les sociétés traditionnelles n’ont pas toujours échappé aux méfaits liés à l’exercice abusif du pouvoir. Ainsi, lorsqu’il est question de destituer le Roi Mouanga, c’est pour cause de grossièreté, de gourmandise et d’égoïsme, comportements qui, dans le contexte des sociétés traditionnelles, restent répréhensibles et déshonorants communauté évoquant aussi bien pour l’individu à laquelle il appartient. ces travers, il emportera que Mouga pour sait l’adhésion la qu’en de ses compatriotes à son projet de destitution du Roi. BALA – Avant les moyens d’exécution, réunissons d’abord les mobiles capables d’entraîner le peuple. Pour ce faire, il s’agit de considérer tous ses actes des plus petits aux plus grands. MOUGA – Il n’y a là aucun problème. Le peuple ne se plaint-il pas de sa grossièreté ? Sa gourmandise n’est-elle pas légendaire compris toutes Et son les égocentrisme : belles filles du tout est pays ; à ses lui, y droits s’étendent jusqu’à nos forêts et rivières que les ancêtres nous ont léguées en partage. BALA – Il opprime les humbles et leur arrache leurs biens190 Ailleurs, avec l’instauration des systèmes de partis uniques totalitaires « iniques » », pour (Sony LABOU évoquer TANSI parle l’absurdité de de « partis ces régimes tyranniques africains), le bâillonnement des opinions et de toutes formes de contestations ; l’oppression systématiquement exercée sur les opposants politiques, les exécutions sommaires et les emprisonnements arbitraires sont érigés en règles absolues. Ces pratiques répressives et inégalitaires vont très souvent interpeller la conscience des hommes de culture et d’une certaine manière, une part importante de la production 190 - NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, p. 9. 287 littéraire africaine des années postindépendance a focalisé son discours sur la critique et la remise en cause de ces régimes tortionnaires. Plusieurs l’oppression personnages et de sont représentatifs l’exploitation exercées sur de les populations africaines, soit par des élites politiques dont la légitimité est souvent relative, soit par les membres des classes moyennes de l’administration publique, qui elle-même est confrontée quotidiennement aux phénomènes de passe-droit, de clientélisme, de trafic d’influence, de corruption, etc. En elle-même, l’exploitation des couches populaires par des élites corrompues, oppressives et égoïstes, apparaît comme la résultante logique d’un état de fait qui vient, ainsi que nous venons de le dire, soit des origines souvent controversée des membres des classes dirigeantes ; soit d’un état généralisé de dégradation du secteur administratif. Si l’on considère que l’exploitation d’un individu par un autre revient à dire que l’un soumet l’autre à sa volonté, il y a un facteur non négligeable dans ce processus ; il est de l’ordre du psychologique, mais il est aussi d’un ordre matériel. En effet, le rapport qui lie l’individu opprimé à son oppresseur va parfois au-delà du rapport de possédant à celui qui ne possède pas. L’exploitation de l’individu est plus souvent le fait d’une attente. Attente de liberté et d’autonomie ; attente de vie, pour laquelle l’individu opprimé se trouve en situation de dépendance ; subordonné à la volonté situations de que l’oppresseur. l’on peut Ce sont découvrir en dans substance, La folle des du Gouverneur191 de Laurent OWONDO, ou dans la plupart des textes de Sony LABOU TANSI, ou encore dans Le train spécial de son Excellence de Guillaume OYONO MBIA. 191 - OWONDO Laurent : La folle du Gouverneur ; Paris, Editions Promotion Théâtre chez Emile Lansman, 1990. 288 Dans La Folle du Gouverneur, le personnage central ; la Veuve Desenclos/Tchémoyo, premier mari, aspire de à la tout suite son de être la à mort la de paix son et la liberté. Débarrassée du poids de la présence oppressive de son premier mari, Tchémoyo réalise qu’elle est encore bien loin des ses rêves. Elle va en effet très vite déchanter en comprenant que son désir le plus cher ne peut se réaliser. Face à elle, le nouvel époux paraît plus sombre, plus cynique que l’ancien : Veuve Desenclos :(comme sortant d’un long sommeil) : Quarante jours après, et le vent n’a pas balayé l’empreinte des pas sur le sol de la cour. Quarante jours et quarante nuits, et c’est tout comme si le temps ne s’était pas écoulé. Le soleil est pourtant tombé derrière le rideau d’arbres. L’herbe a repris le dessus. La mousse a envahi le talus.192 Ici, oppression et exploitation appartiennent à un même processus d’avilissement et de destruction de l’individu. Pour Tchémoyo ou Veuve Desenclos, le destin semble se jouer de ses rêves, et de ses aspirations les plus nobles et les profondes. Et c’est de la bouche de Bomongo, son nouveau soupirant, que l’on saisi mieux la portée de la détresse de Tchémoyo : Bomongo : (…). Je sais ce qu’il en coûte de vous contraindre à ne plus être vous-même.193 Tchémoyo, Veuve Desenclos porte, comme l’indique son nom double ; africain et français, un double héritage. Saurat-elle faire face à sa nouvelle destinée sans que le spectre de la terreur, de l’injustice et de la misère resurgisse des plaies qui avaient marquées son corps et dont elle aspire désormais s’en défaire ? Mais les trois femmes aux propos sibyllins viennent conforter le funeste pressentiment de la Veuve Desenclos, qui 192 - OWONDO Laurent : La folle du Gouverneur ; Paris Editions Promotion Théâtre chez Emile Lansman, 1990, p.35. 193 - Id., p. 37. 289 passe bientôt pour folle aux yeux de ceux qui l’entourent, et qui ne peuvent saisir la portée des changements en cours dans son pays. Qu’est-ce qui a changé ; qu’est-ce qui va changer pour la Nation, pour le peuple ? Tchémoyo doit-elle accepter cette nouvelle alliance ? Dans quelle mesure le nouvel époux peut-il garantir à la Veuve cette liberté tant voulue ? Va-telle plutôt au devant d’une illusion de changement ? 6. 3 – Les formes de la déchéance humaine : Pour évoquer la question relative à la déchéance de l’homme telle qu’elle est vue par les auteurs de théâtre d’Afrique, il convient de mettre en rapport les différentes situations qui caractérisent l’état de déchéance et l’état de normalité telle qu’elle peut être conçue par les codes de la morale sociale africaine. Dans cette optique, il ne serait pas inopportun d’aborder la question sous l’aspect d’un modèle comparatif. Car on le sait bien, la société africaine dans son ensemble, navigue continuellement entre tradition et modernité. Ce sont donc ces deux univers qui déterminent les comportements et même le devenir des individus. Et c’est souvent de chercher à concilier deux réalités qui sont par trop divergentes que parfois l’homme perd ses repères et sombre dans une forme de marginalité. On parle alors de déchéance de l’individu lorsque celui-ci, sortant des normes établies par la société, transgressant les lois de la morale publique, tombe dans un engrenage de comportements qui vont l’éloigner toujours plus des standards sociaux. Nombreux sont ces comportements décadents décrits par la littérature particulier, et africaine qui sont en général, loin de et le constituer théâtre de en simples anecdotes meublant l’intrigue dramatique, mais de véritables 290 sujets de préoccupation des écrivains et de nombreuses élites culturelles et intellectuelles africaines. Parmi ces sujets relatifs à la décadence des sociétés et à la déchéance de l’homme, on note principalement : l’alcoolisme, la cupidité, la corruption et qui, conjointement à l’ignorance, engendrent la misère, elle-même à l’origine des explosions sociales qui parsèment aujourd’hui le paysage politique et économique de tout un continent. Mais la déchéance de l’homme dans le théâtre d’Afrique Centrale peut aussi se lire à travers la symbolique du vide, ou celle de la mort. 6.3.1 – L’alcoolisme : Source d’aliénation morale, psychologique et sociale, l’alcoolisme est considéré par les hommes de théâtre d’Afrique Centrale comme un véritable fléau qui brise les hommes, déstructures les familles et met en péril la société entière. Si l’alcoolisme n’apparaît pas comme thème majeur dans les écrits théâtraux africains, il n’en constitue pas moins une problématique à laquelle sont confrontés certains personnages de cette littérature. Le théâtre moderne en a souvent fait état, mais ce sont surtout les formes dramatiques nouvelles, notamment le téléthéâtre et le théâtre forum qui ont le plus exploité ce travers social. Dans l’écrit, Le saoulard de Vincent de Paul NYONDA est quasiment le seul texte de notre corpus à avoir focaliser l’histoire sur ce fléau social qu’est l’alcoolisme. Mais les autres textes ; Antoine m’a vendu son destin, La parenthèse de sang de LABOU TANSI, ou chez MENDO ZE, Jinette et Japhet, énoncent eux aussi la question de l’alcoolisme, parfois au 291 détour d’une phrase ou d’une scène, sans qu’elle paraisse avoir plus d’importance qu’un autre fait secondaire évoqué dans le texte. Toutefois, le contexte d’énonciation, et surtout les conséquences produits sur les personnages, et les méfaits qui lui sont attribués, vont affecter une valeur plus forte à la question, appelant ainsi un regard plus attentif du lecteur. Ainsi Soûlard194, donc, va Mabourou, nous personnage permettre d’aborder central la de Le question de l’alcoolisme et de ses conséquences sur la vie familiale et sociale de ceux qui en souffrent, et des répercutions que ce fléau produit dans toute la société. Mabourou Eduqué et est formé un à individu l’école bien intégré occidentale, il socialement. est doté de certains atouts à même de faire de lui un citoyen modèle. Il occupe un emploi dans une société d’exploitation de bois. Salarié, il peut subvenir à ses besoins fondamentaux et vivre la vie de citadin ; d’homme moderne. De la modernité, Mabourou a choisi la consommation régulière et abusive de l’alcool, et spécialement le vin rouge. Se surnommant De Bourgogne, il est connu de son entourage pour son addiction à l’alcool, ce qui lui vaut un autre surnom : le saoulard. Mabourou qui traditionnelle sait qu’à la condition est qu’il aussi ne imprégné peut d’assumer de s’accomplir certaines la culture pleinement, responsabilités sociales ; la principale étant celle de chef de famille. Et comme le veut la coutume, Mabourou épouse donc Guiniépa, que les parents refusent de livrer aux mains d’un ivrogne, qui risquerait un jour de mettre en péril sa vie. Envers et contre toute sa famille, la jeune femme épouse le saoulard, à qui elle apportera soutien et affection. Mais son penchant 194 - NYONDA Vincent de Paul Le soûlard in La mort de Guykafi ; Paris, L’Harmattan, 1981. 292 pour l’alcool va se révéler comme une véritable menace pour l’épanouissement et la vie du couple. Le « saoulard », à qui tous reprochent ses excès, s’enivre une fois de plus et sombre dans un coma éthylique. Inquiétée par cette situation, Guiniépa fait appel à un médecin. Celui-ci pose un diagnostic alarmant, interdisant de facto à Mabourou toute consommation d’alcool en dehors des repas. Devenu dépendant, Mabourou est incapable de se tenir à la prescription du médecin. Il cédera ainsi régulièrement à son vice, en prenant tous les prétextes possibles pour consommer du vin : un bol d’eau sucré le matin en lieu et place du petit déjeuné, une poignée de cacahuètes équivalent pour le saoulard à des repas. Ne supportant plus l’addiction de son époux Guiniépa décide de le quitter, laissant ce dernier entre désespoir et indifférence. Mais on comprend bien vite que l’indifférence de Mabourou n’est que de façade. S’il essaye en effet de montrer une certaine indifférence par rapport au départ de Guiniépa, il en souffre pourtant car il est désormais incapable de vivre sans l’aide et le soutien de celle-ci. Pour ramener sa femme à leur domicile, Mabourou usera de ruse et de mensonge, affirmant, dans la lettre qu’il envoie à Guiniépa, ne plus consommer de l’alcool. Arrêté par les gendarmes pour fait de brutalité envers son épouse, conduit au il vivra poste de une véritable gendarmerie, les humiliation agents lui lorsque, intiment l’ordre de danser sans musique, faute de quoi, il serait incarcéré à la prison de la ville. En épousant Guiniépa, Mabourou savait, comme beaucoup de salariés africains, qu’il allait devoir assumer les besoins de deux familles ; la sienne propre, et celle de son épouse, auprès de laquelle il passe pour un homme riche. 293 Incapable de répondre aux nombreuses requêtes des siens, Mabourou sombrera toujours plus dans sa dépendance à l’alcool, pensant y trouver, sinon des solutions, du moins une forme de réconfort ; de répit, face à un environnement familial de plus en plus oppressante. Au-delà des comportements anecdotiques de Mabourou, le dramaturge gabonais a voulu mettre l’accent sur un des maux qui frappent l’Afrique depuis la rencontre des cultures occidentales et africaines. Bien que caricaturé à l’extrême, le personnage de Mabourou n’en est pas moins une figure symbolique ; un aspect marquant de la déchéance humaine. La dépendance à l’alcool constitue en effet un des facteurs les plus importants du processus de dégradation de la personnalité sociale, physique et psychologique de l’individu. De prime abord, rien ne justifie l’addiction à l’alcool de Mabourou. Il jouit en effet d’une situation sociale convenable ; jeune marié, Mabourou a tout pour être heureux. Malgré ce moderne, qui peut notre apparaître homme tombe comme pourtant l’idéal dans les de la vie travers de l’alcoolisme. Incapable d’y renoncer, il courra le risque de mettre en péril sa vie de couple et son emploi. Dans ce texte, c’est la voix de l’auteur que l’on perçoit, et qui attire l’attention de ses concitoyens ; de son public sur les méfaits de l’alcool, et des périls encourus par ceux qui en consomment de manière excessive. L’addiction de Mabourou n’a aucune cause connue, contrairement à celle des personnages tels qu’on peut les rencontrer dans d’autres textes. Ces personnages apparaissent en totale rupture avec la réalité, incapables d’affronter les difficultés imposées par la vie ; de rechercher des solutions aux problèmes posés par le contexte culturel et sociologique dans lequel ils se trouvent projetés. comportements déviants, allant jusqu’à 294 Adoptant des mettre en péril leur propre existence. L’alcoolisme est alors synonyme de fuite, révélant en fait un sentiment de déception, de désillusion, en somme d’échec social. Mais l’addiction à l’alcool peut aussi apparaître africain comme chez un certains élément personnages catalyseur ; du un théâtre stimulateur d’émotions, utile à l’individu pour oser, entreprendre des actions, dire des choses qui, sans l’aide de l’alcool, seraient restées enfouies dans les méandres d’une conscience tourmentée. C’est notamment ce que montre la pièce Le coup de vieux, coécrite par CAYA MAKHELE et Sony LABOU TANSI. Le personnage désenchantement des central, élites Shaba, est le intellectuelles symbole du africaines. Brillant étudiant, il a accumulé des diplômes universitaires, mais doit faire face à la cruauté, à l’indifférence et à l’incompétence des autorités de son pays. Ici l’université, symbole de la connaissance et des lumières, creuset de la liberté et de l’épanouissement social et culturel, ne suscite que haine et violence de la part des autorités et de l’armée. Car si l’université est le creuset de la connaissance et de l’évolution d’une nation, elle est perçue par des pouvoirs totalitaires comme un foyer de subversion et de contestation. L’université et les intellectuels qu’elle forme seront les cibles prioritaires de la répression exercée par les tyrans sur leurs peuples. Pour faire face à ces systèmes d’oppression, plusieurs attitudes assiste à sont une observables forme de du côté passive des élites ; soumission, dès soit lors on les élites choisissent de jouer le jeu du pouvoir ; soit les intellectuels optent pour une résistance et une opposition franche et active. Ils sont alors, pour certains, poussés à l’exil, et pour d’autres, la solution se trouve parfois dans l’utilisation des moyens plus ou moins conventionnels comme les arts militants (on parle de chanteurs, de romanciers, de poètes, de cinéastes, de dramaturges ou de peintres engagés), 295 aux plus extrêmes comme de procéder à une forme d’auto flagellation ; d’autodestruction, par le refus de s’alimenter (grève de la faim), ou par d’autres formes de marginalisation comme de s’adonner à ce qui, de prime abord peut apparaître comme un vice, mais qui est en réalité, un subterfuge pour mieux affirmer ses opinions et son individualité. Boire apparaît en effet pour Shaba, comme pour beaucoup d’intellectuels africains désabusés, comme un moyen de marquer sa différence et son opposition à l’ordre établi ; son refus de se soumettre à la médiocrité d’un pouvoir corrompu et lâche : « Si nous acceptons de garder la terre dans l’ordre où elle est aujourd’hui, alors rien n’y aura plus de sens que l’anis et la mescaline. Rien n’aura plus de sens que la belle manière dont le cognac et le porto se cognent dans les boyaux. Je hais mon oncle pour son argent qui pue le pillage et la lâcheté. Cette haine est viscérale. »195 Shaba justifie son addiction comme un moyen de résister face à l’ordre établi ; un moyen d’échapper au spectacle cruel de la réalité où la société tombe en déliquescence, et où seuls la corruption et l’accumulation des richesses, le recours aux pratiques occultes semblent prévaloir. Shaba qui a sombré dans une forme de crise psychotique exprime son opposition au système en détruisant tout ce qui, dans la maison de Dofano abhorré, mais dans lequel son oncle, rappel cet univers celui-ci trouve bien des qualités: DOFANO : (…) quand il revient après une crise comme celle de tout à l’heure, c’est pour crier et casser. Pas plus tard qu’avant-hier il m’a bousillé un fétiche Yaka. Un vrai chef-d’œuvre. 195 - CAYA-MAKHELE et LABOU TANSI Présence Africaine, 1988, p. 41. Sony : 296 Le coup de vieux ; Paris, SHABA : (qui s’en prend à une peinture) : Voilà des signes extérieurs de richesse et de paix. Mais moi je dis que c’est un foutu foutoir. DOFANO : (le cœur serré) : Pas celui-là, je t’en prie. Il ferme les yeux Quatre-vingts millions. Il ferme les yeux pendant que l’autre déchire le tableau Quatre-vingts millions. SHABA : Ce n’est pas de l’art pour l’art. (…) SHABA : Des signes extérieurs de richesse et de paix. Il s’en prend à un fétiche en argile. Des mensonges. Des simulacres.196 Cet échange entre Shaba et Dofano montre bien la différence de point de vue en ce qui concerne les valeurs que chacun des personnages donne à la vie et aux biens matériels. Pour Shaba, la vie ne peut se réduire en l’accumulation de richesses ; la richesse matérielle n’a pour lui de valeur que si elle peut contribuer à l’épanouissement intellectuel et moral de l’individu. Il n’est donc favorable qu’à la fonction morale et formatrice de l’art, à sa valeur esthétique. La valeur marchande ne peut, à elle seule, justifier son importance : SHABA : L’art devrait nous rendre meilleurs ; c’est à cette seule condition qu’il aurait un sens ; il devrait nous faire aimer la paix.197 Ainsi que nous l’avons dit plus haut l’alcoolisme est l’un des fléaux qui frappent aujourd’hui l’Afrique. Même si son étiologie apparaît diverse ; soit comme le fait d’une addiction par suite d’une absence de contrôle de soi ; soit comme refuge face à une réalité mortifiante, et où l’individu 196 - CAYA MAKHELE – LABOU TANSI Sony : Le coup de vieux ; Paris, Présence Africaine, 1988, p.37-38. 197 - Id. p. 38. 297 est confronté à sa propre impuissance. Dans tous les cas, le théâtre d’Afrique Centrale a toujours donné l’alcoolisme comme un véritable fléau à même de compromettre l’équilibre de la société. 6.3.2 – La cupidité : Parmi les nombreux vices qui gangrènent la société africaine contemporaine figure la cupidité. Celle-ci se situe au premier rang des maux dont souffre l’Afrique, et constitue l’un des fléaux contre lesquels de nombreux hommes de culture se sont élevés, notamment des écrivains. Elle n’est ni le fait exclusif des milieux urbains, ni l’apanage des sociétés rurales. La cupidité comme les autres maux qui frappent l’Afrique, est un problème général, plus ou moins accentué selon des particularismes liés à l’espace et au contexte dans lequel ce phénomène se manifeste. Ostensiblement affichée cependant par certains individus, le fait de vouloir posséder à tout prix et par tous les moyens, certains biens matériels ; le besoin toujours croissant d’une catégorie de personnes à accéder à quelques abject privilèges en un type sociaux, de transforment caractère qui ce comportement peut revêtir les apparences d’une véritable lutte pour la vie, mais ce combat tout juste apparent cache une réalité dont les voies et les moyens restent en majorité contestables. Ce besoin effréné de posséder ; cette avidité notoire pour le matériel est caractéristique d’une classe d’arrivistes issus aussi bien des villes que des campagnes. C’est lorsque cette attitude change d’objet et de centre d’intérêt, passant d’un rapport à autrui basé sur des aspects purement matérialistes, pour prendre d’autres caractéristiques où les objectifs se rapportent plus à un 298 besoin d’ascendance sur un groupe ou une communauté plus grande que la quête initiale se mue en vice, en défaut ; c’est la cupidité à laquelle s’attaque le théâtre de OYONO MBIA, de NYONDA, de LABOU TANSI, de OWONDO, etc. La dessus cupidité tout, personnalité des siens, augurer d’une profonde de qui paraît véritable ses à Juliette, déchéance semblables, trouve de ici par la son fondement. Mais ce fait est aussi, par-dessus tout, la preuve de la perte des véritables valeurs morales de sa communauté. « C’est donc tout ce que je représente pour vous ? », s’écrie la jeune fille au bord des larmes, lorsqu’elle réalise que pour sa famille, elle ne représente qu’un moyen de gravir les marches de l’échelle sociale ; une simple marchandise que l’on cède contre de l’argent, ou que l’on échange au profit d’autres biens de consommation que sont « les alcools forts de Sangmélima, un costume en tergal, un poste de radio à transistor, un vélo, et surtout des médailles », suprême récompense pour ces villageois qui appréhendent visiblement mal la valeur de ce symbole honorifique. Autour du mariage de Juliette, OYONO MBIA semble en fait vouloir amener le public à réagir sur des questions importantes telles que la véritable signification sociologique et culturelle de la dot, chez les peuples Fang d’Afrique Centrale (et de bien d’autres peuples), l’importance sociologique de l’institution du mariage. Mais il veut aussi tirer la sonnette d’alarme sur les dérapages de plus en plus fréquents et dangereux, qui entourent aujourd’hui l’institution. Pour NYONDA, l’évocation du thème du mariage dans La mort de Guykafi, est aussi un prétexte pour poser la question du statut de la femme, et des attitudes liées à cette institution, aussi bien dans les milieux traditionnels que dans les milieux urbains, où d’un côté comme de l’autre, de nombreux abus sont encore faits à la femme sous le couvert 299 des lois coutumières, règlements relégué la nombreuses de la même vie femme si en réalité, traditionnelle au simple rang situations tendent à le les n’ont codes pas d’objet, montrer. et toujours tel que Comme de nous l’avons déjà évoqué dans cette étude, le statut et la place de la femme en Afrique Centrale sont plus complexes à saisir qu’il n’y paraît. Car dans la conception traditionnelle, c’est la femme qui confère à l’homme sont statut social ; ce n’est qu’à travers épanouissement. Les la femme sociétés que l’homme traditionnelles atteint ont son toujours attribué à la femme un rôle capital au sein des communautés. Mais la position de chef de famille a conduit l’homme ; le mâle a usé et abusé de son rôle ; de cette position. Et comme dans toutes les sociétés humaines, la femme a dû se plier au diktat de l’homme. L’abus d’autorité a, de tous temps été le fait propre de celui à qui les lois du groupe et de la communauté en avaient fait le garant. Mais NYONDA donne à la figure de la femme un autre sens, celui de pilier de la communauté. C’est autour de sa personne que se construit l’honneur de son époux. Ne pas respecter le serment de fidélité (par cupidité) c’est amener le déshonneur et la honte sur son conjoint ; sur sa famille. Céder à la cupidité représente de ce fait une source de danger pour le groupe, si elle se laisse séduire par les tentations extérieures. MAROUNDOU.- Tu me tentes, Mombi… Tu es beau garçon… Et puis toutes ces parures sont si jolies… MOMBI.- Alors… que décides-tu ? Si tu les veux, elles sont à toi… (…) Maroundou, je t’aime… MAROUNDOU.- Mais Mombi… Sache que Maroundou ne se partage pas pour des parures… ! (Elle regarde son collier, puis caresse son bracelet.) Elles sont belles… (…).198 198 - NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981, p.40. 300 Paris, Editions Maroundou déclanche ainsi un conflit entre son clan d’origine et celui de son mari, obligé par la coutume de la tuer, afin de laver son honneur terni par l’infidélité de cette dernière. Chez LABOU corruption, TANSI, la apparaissent cupidité comme un et son pendant ; véritable la caractère définitoire des sociétés dépeintes. D’Antoine m’a vendu son destin à La parenthèse de sang, en passant par Je soussigné cardiaque et bien d’autres pièces, le thème de la cupidité est omniprésent. Il est par effet de miroir, la résultante de ce phénomène terriblement destructeur qu’est la corruption. Le dramaturge semble penser que la cupidité des uns favorise le besoin des autres de corrompre. Si une grande partie de la production théâtrale d’Afrique Centrale s’attarde encore de nos jours, sur des questions de comportements génération actuelle couper ses de entravent son sociaux, éprouve racines, de réelles celles-là évolution, et c’est lui mêmes que souvent la difficultés à qui, fois, permettent, à en la tant se que dépositaire du patrimoine culturel de son groupe, d’apporter sa pierre à l’édifice des Nations. L’écrivain choix ; propose écarter ce alors qui, d’opérer dans le le meilleur contexte de des l’Afrique nouvelle, semble peu propice à l’évolution à l’intégration de l’Afrique dans le concert des Nations et qui, pour la survie et l’épanouissement de l’individu ne peut, ou ne doit avoir aucune gabonais incidence donc, il dommageable. paraît Pour plus l’homme indiqué et de plus théâtre sage de préserver et de promouvoir des valeurs nobles pour lesquelles il est méritoire de se battre. Ce sont ces valeurs qui, plutôt que de déprécier l’être humain, lui rendent au contraire toute sa dignité. Dans presque toute la Scène I de l’Acte VI, le personnage de Mouanga, dans Le Roi Mouanga, se fait ainsi le porte-parole de 301 la pensée de l’auteur, en déclarant : famille « doit (…) Les anciens avant de quitter ont sa estimé maison, qu’un (…), père faire de des recommandations à héritier. Prête tes oreilles à ce que je vais te dire. Avant tout, je veux que tu te connaisses bien toi-même. Sache, mon enfant, que dans la vie d’un homme, l’honneur constitue l’élément primordial. Tu veilleras donc sur lui comme sur la prunelle de ton œil. Ainsi le reste te viendra de surcroît. Tu chercheras à devenir le flambeau de la famille. Si, un jour, tu me succédais au trône, aime ton peuple évite de le tromper, car son œil remarquablement perçant se laisse tromper une fois, mais pas deux. Sache, mon fils sache qu’il peut t’ovationner aujourd’hui, et, sans pitié te déposer demain. Tu géreras les biens du royaume avec parcimonie, c’est là une vertu qui fait l’apanage de tous les Rois. Il y a dans notre existence quatre catégories d’êtres qui exigent notre obéissance : ce sont les parents, les Anciens, les supérieurs et les Ancêtres. Il t’arrivera peutêtre un jour, d’entendre qu’un fils a outragé son père, sa mère, un vieux. Mon enfant, plains son sort car les Ancêtres se réservent la vengeance, et tôt ou tard l’anathème sera son partage. La rectitude à tous égards t’ouvrira la porte de l’estime et de la confiance. La bonté et le respect d’un côté, la générosité et la clémence de l’autre, t’apporteront la renommée. Evite la duplicité dans ton langage. Le monde la hait. La correction ? voilà ce qui doit être ton ambition. En compagnie, épargne-toi d’être bruyant, afin de ne gêner personne. Prends toujours l’avis de toute personne âgée, ne méprise aucun conseil. (…). Si le destin te conduit vers d’autres occupations, cherche le mérite et abstiens-toi de la facilité. Si la nature te sourit, garde-toi d’écraser l’homme : l’homme hait l’écrasement. Ton intelligence et ton habileté t’ouvriraient-elles le mode de la richesse ? aie une main ouverte. (…) Dans la vie, pense d’abord aux autres avant tes parents ; sache bien mon enfant, que les vampires ne 302 peuvent t’atteindre que si quelqu’un des tiens en est de concert ; sache aussi que c’est de ta tribu ou de ton clan que surgiront, avant d’autres, des jaloux, des envieux ; c’est d’eux, dis-je, que pourra sortir un jour ta ruine. Ne force pas heureux. ton Evite destin de si tu désires t’engager dans vivre des longtemps intrigues et et des mouvements désordonnés, car tu pourrais y laisser ta vie, tandis que les autres en sortiront sains et saufs ; sur terre, chacun a sa chance. Aime la modestie, hais la gloire. Quand tu auras des enfants, inculque-leur les sentiments d’honneur, de dignité et de grandeur d’âme. C’est à son pied, que la canne à sucre reçoit sa douceur, dit notre dicton. En d’autres termes, c’est dès l’enfance que l’on acquiert les vertus qui font l’homme. Tu reconnaîtras à chacun sa valeur, ne détruis créature laisser la parle quelque mémoire de de créateur. son chose personne après toi : à Tu ton profit : feras tout, afin de laisse rien de qui ne chaque positif, après son passage terrestre, est un mort qui a vécu parmi les vivants. (…) ‘’Ne recherche jamais les louanges car elles ne sont qu’hypocrisie’’. (…) Chercher la sagesse, c’est le plus sur moyen pour te guider, mais la vraie sagesse c’est, ne lesquels l’oublie tu devras jamais, la crainte avoir un commerce des Ancêtres avec continuel ; leur assistance est souvent lente mais sûre. Limite tes amis à trois, car les autres ne sont que de circonstance et qui t’abandonneront dans les jours néfastes. A ce propos, tu dois savoir qu’il n’y a point d’amitié sincère dans l’inégalité de condition. Enfin, mon fils, devenu homme, si tu t’efforçais de mettre en pratique quelques une de ces recommandations, alors tu pourras dire, lorsqu’arrivera le jour de ton rendezvous fatal : ‘’Oui, je pars, mais je pars heureux d’avoir vécu en Homme’’ (…) »199 199 - NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga, Libreville, Editions Multipress-Gabon, 1988, pp. 58 à 60. 303 6.3.3- La corruption : Sans doute l’une des plus grandes plaies de la société africaine d’aujourd’hui, nombreux écrivains la corruption africains comme est un vue signe par des de temps modernes. L’émergence consommation a de l’Afrique donné avilissants les uns corruption figure en lieu dans à que les tête de des société comportements autres. liste. la Parmi de plus ceux-ci, Présente au sein la de toutes les couches sociales, elle semble être surtout le fait des élites politiques et des cadres de l’administration publique. Généralisée dans tous les domaines de la vie, la corruption s’est véritable règle parallèle, qui élevée de va dans vie ; jusqu’à certains en mettre milieux structure en en une administrative déroute les systèmes officiels de gestion des Etats. Ce phénomène est dû à la combinaison de plusieurs facteurs, les plus importants étant l’impunité généralisée issue du gabegie, tribalisme phénomènes et qui du népotisme, ont souvent mais laissée aussi de exsangue la les systèmes économiques des pays où ce fléau va sévir. La notion de service ou de bien public y tombe en désuétude, au profit des intérêts particuliers, ce qui donne lieu à des abus en tout genre. Dans La parenthèse de sang, les causes et les personnages de l’instituteur et du médecin montrent comment le phénomène de la corruption vient à gangrener la société, et à amener même le plus intègre des citoyens à se compromettre : MANISSA.- Sortez ! MALLOT.- J’attends le papier. MANISSA.- Est-ce que vous avez regardé ce que vous me demandez ? Vous me priez d’être ce petit imbécile corrompu qui passe son temps à défoncer les lois. C’est facile n’est- 304 ce pas ? C’est le pays. Mais moi, le pays je le mets à mes dimensions. J’ai ma pointure du Lebango. Le pays, je l’oblige à passer par moi. Après il va où il veut, faire la putain. Mais seulement après. MALLOT.- Figurez-vous que moi j’ai été déviergé, transgressé avec des lois. Ils m’ont saccagé. (…) J’ai une femme et deux diables. Pourquoi est-ce que je ne penserais pas tranquillement à eux ? (…) Je me bats. Je ne me suis pas trompé de lutte. J’ai été vendu à dix millions de cailloux. Et qui a encaissé ? Judas ? Non, même pas. Une punaise qui se cache là-bas au large du pouvoir et qui parle à mon nom. Qui me tue à mon nom. Je ne suis pas le Christ, moi. Je ne sais pas pardonner. Là-haut, dans les bureaux du ministère, quelqu’un a acheté ma vie. Il faut que je la récupère. On me mettra là-bas même planton. Même portier. Mais au moins qu’on me mette là-bas, à deux pas de mon home. Détaché, vous comprenez ? Je veux être détaché de l’enseignement actif pour savoir qui a bu l’argent de Perono. Evidemment, fonctionnez comme vous les ne pouvez pas Vous êtes autres. comprendre. Vous tous Vous faux. trichez. Moi, je suis là, vrai. Je suis l’élite du Lebango. Des fois que vous auriez pitié de moi. Je n’accepte pas la pitié des chiens. Je fonctionne avec de l’orgueil. Vous docteur, vous fonctionnez avec de la lâcheté, comme tout le Lebango. Vous fonctionnez avec de l’opprobre.200 Dans ce passage, la corruption est donnée en premier lieu comme un fait propre à l’individu. Il apparaît en effet comme un désir personnel, toujours motivé par des intensions matérielles, ou dans un but d’obtenir quelque faveur administrative. C’est dans ce sens que Mallot tente d’amener le docteur Manissa à adopter une pratique, qui semble devenir commune à tout le pays : « C’est le pays ! », ne cesse-t-il 200 - LABOU TANSI Sony : La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, p.124-125. 305 de répéter à l’endroit « l’institutionnalisation » du de médecin, la pour corruption, signifier et comme si l’on pouvait désormais identifier le pays sous une forme de « label » dont la corruption serait le trait distinctif. Mais le médecin oppose sa vision du phénomène et de la situation malgré qu’elle les produit apparences, il dans le reste pays, dans en montrant que cette société, des individus attachés au respect d’une certaine éthique ; d’une certaine probité. Si le médecin finit par capituler devant l’insistance de Mallot, il n’est pour autant pas en phase avec ce qui apparaît comme une nouvelle règle de vie. Seules les raisons évoquées par l’instituteur finissent par le convaincre de répondre à sa requête. Une chose essentielle distingue par ailleurs ces deux personnages ; il n’y a pas de cession d’objets entre les deux, ou de deal en tant que tel, pour confirmer le statut de corrupteur et de corrompu. L’un et l’autre se refusant à entrer dans ce moule désormais établit comme modèle. Ce n’est pas non plus la compassion qui fait réagir le médecin, mais c’est de trouver en Mallot quelqu’un qui lui ressemble, par le refus de ces conventions absurdes et dégradantes qui réduisent à néant la dignité des hommes et du pays tout entier : MANISSA.- Et vous êtes digne ? MALLOT.- De moi, de ma viande, du bruit de mon cul. Je me soustrais à Perono et aux siens. Je me rembourse à moi, à mon odeur, à ma propre intensité. MANISSA. – Je vous fais le papier. (…) MANISSA.- Tout de suite. Parce que vous me ressemblez un peu. (…).201 Mais d’un autre côté, et à plus grande échelle, la corruption 201 apparaît comme un - Op. Cit. p. 127-128. 306 phénomène extérieur aux communautés où elle a cours. Elle est souvent alors le fait d’entités gouvernementales ou de personnalités étrangères, comme on le voit dans ce texte de Sony LABOU TANSI, où le personnage de Perono, un colonel espagnol exerce une emprise totale sur le destin du Lébango. Fort de son pouvoir financier et économique, il est à même de décide du destin des habitants du pays. Il ne peut souffrir d’aucune forme de résistance, pas plus qu’il ne peut supporter la concurrence de quelque autre européen. Perono se servira souvent de son pouvoir financier pour enrayer toute velléité de contestation et soumettre tous ceux qui tentent de se dresser contre lui. Son influence est telle, qu’il a droit de vie et de mort sur les habitants du Lebango. Son mode d’action n’est ni plus ni moins d’acheter les consciences des agents du gouvernement et de l’administration du pays pour arriver à ses fins ; le contrôle des activités et de la vie de tous. Dans tous les cas, corruption et cupidité sont pour les dramaturges africains, humain, déstructuration de source de des dépréciation institutions de l’être sociales et politiques, de faillite de la notion même société. Cette situation de décomposition des valeurs morales et éthiques de produits sur la société l’individu. est saisissable Ici, folie et dans mort les en effets sont les signes fondamentaux. Car en manifestant son désaccord face à un système généralisé, l’individu est souvent perçu comme dénué de logique ; comme fou, car souvent pour lui, les conséquences de son refus d’aliénation sont une répression exercée au-delà de toute normalité. 307 6.3.4- La folie et la mort comme ultime étape de la déchéance humaine : Le contexte sociologique de l’Afrique contemporaine donne à voir un monde en proie à diverses tribulations qui, malgré vaste de fabuleuses continent au potentialités dernier rang minières, du relèguent développement ce social, économique et industriel. Pour bon nombre d’observateurs, les nombreux drames vécus par l’Afrique aujourd’hui découlent directement de cet état de sous-développement. Le contexte bouleversement historique paradigmes sociaux des nouveau ont traditions, et ici, le l’entrée changement favorisés de dans un certains l’émergence des comportements où la morale et le bon sens paraissent chaque jour se réduire en une sorte de propos sans aucune valeur réelle. L’être humain semble avoir perdu toute son essence au détriment de valeurs plus matérielles. Pour comprendre ces phénomènes de déshumanisation et de déstructuration de la société, et pour amener le débat sur le devant de la scène, les écrivains vont procéder à un décorticage de la société et de ses diverses composantes. Cette réflexion ; cette observation qui est menée sur le mode de la fiction littéraire proposera, autour de thèmes majeurs, une vision souvent horrifiante, chaotique du monde, et de l’Afrique en particulier. Car au vu de cette thématique régulièrement tournée vers la folie et/ou la mort, nul doute que le sentiment dramatiques qui africains prévaut est chez celui du nombre d’auteurs pessimisme ; du désenchantement et de la désillusion. Mais si la mort et la folie symbolisent tous deux l’échec, il peuvent aussi figurer, dans une certaine mesure, le projet fondateur d’une certaine espérance. 308 D’abord de la vision naturelle du thème de la mort. Comme nous l’avons souvent énoncé dans ce travail, certains thèmes ; certaines figures actantielles apparaissent comme une constante de la production dramatique africaine ; c’est notamment ce que l’on peut observer en parlant de la mort, omniprésente dans l’œuvre d’un LABOU TANSI ou chez U TAM’SI, et souvent récurrente chez NYONDA ou chez OWONDO. Dans la conception générale, la mort signifie la fin d’un cycle naturel qui commence avec la naissance ; la mort exprime la finitude de l’être humain, son humanité. Dans cette optique, elle suppose chez l’être humain, d’être la conclusion d’un processus normal. L’organisme humain arrive à un stade où cessent toutes les fonctions biologiques, par l’effet du vieillissement cellulaire. Le processus naturel d’extinction d’un organisme signifie alors que celui-ci a rempli son rôle dans la chaîne de la création ; dans la vie. La mort d’un individu laisse place dans la société à l’expression doivent d’autres poursuivre individus ; le à processus d’autres de énergies génération et qui de structuration du monde. On ne peut, en effet, imaginer un monde où la mort n’existerait pas. Ne dit-on pas que de la mort jaillit la vie ? Principe biblique fondamental liant la vie à la mort, celle-ci ne doit pas être considérée comme la fin de tout, mais comme le début d’une nouvelle vie ; celle qui s’élève sur les cendres de la précédente, et qui est la destiné de toute existence humaine. Toutes les lois de l’évolution (ou de la création) établissent la mort comme une nécessité absolue. Mais elle répond à la règle de la nature. La mort est donc un mal « positif », dans la mesure où elle permet l’éclosion de vies nouvelles, entendons par là qu’elle permet à d’autres vies ; à d’autres individus d’occuper des places laissées vacantes dans la société par les disparus, et de 309 poursuivre le cycle établit, en préservant l’équilibre cosmique. Dans un contexte religieux ; et singulièrement dans les sociétés où un culte est donné aux morts, ceux qui sont morts vont veiller au bien-être des vivants. Dans la religion chrétienne, le Christ lui-même annonce à ses disciples qu’il monte auprès du Père, où il va préparer une place pour chacun. Le sacrifice christique est un mal nécessaire en vue du salut de l’humanité entière. Or dans géographique jamais, la production d’étude, comme le la fait théâtrale mort de la apparaît nature. de notre rarement, Chaque zone sinon fois que l’individu est confronté à la mort dans le théâtre d’Afrique Centrale, elle lui est toujours donnée ; c’est-à-dire que le processus de fin de vie est toujours anticipé par une volonté de contrôle, ou de nuisance d’une personne tiers vers autrui. Le caractère particulièrement absurde, l’arbitraire absolu de certaines situations où l’individu est confronté à la mort exclut toute idée de sacrifice ; celui-ci étant de l’ordre du voulu. Car la mort, telle qu’elle se donne à lire dans la création dramatique d’Afrique Centrale apparaît plutôt comme un acte d’anéantissement, du point de vue de celui qui la donne ; du tortionnaire. C’est parce que l’intension primaire de ce dernier est de supprimer toutes traces de son adversaire ; de taire toutes formes de contestation que la mort apparaît comme la solution absolue. Mais cet acte, dont la volonté d’anéantissement constitue le fondement, aboutit à des résultats inattendus. Non seulement la mort de l’autre ; de l’opposant dans le contexte politique ne constitue en rien la garantie de la fin des oppositions idéologiques, mais au contraire, elle contribue à nourrir la contestation populaire ; à affirmer ou à conforter populations. les De opinions plus, contradictoires elle 310 est la au sein manifestation des d’un véritable état d’échec ; d’un aveu d’impuissance, lorsqu’on la considère du point de vue des tyrans. Les soldats de La parenthèse donnée de par sang la avouent leur capitale ignorance devant capturer Martial. pour l’ordre Mais l’impuissance de la capitale apparaît plus fortement dans son obstination à trouver un coupable ; un Libertashio définitif, devant se contenter de « coupables provisoires ». Malgré la certitude de la mort de l’opposant (la présence effective d’une tombe dans la cours de son habitation), le pouvoir ne se satisfait, ni ne veut y croire en la réalité de celle-ci, d’où cette atmosphère empreinte de paranoïa que l’on devine aisément au sein de la classe dirigeante. La mort est ici un élément forces fédérateur ; qui très elle souvent sert à la conduisent cristallisation des l’effritement des à pouvoirs dictatoriaux ; à leur propre mort. Dans un contexte sociopolitique, les luttes de pouvoir et autres machinations « idéologiques » restent à la base de ce phénomène qui présente une certaine récurrence dans la production théâtrale d’Afrique de manière générale. L’état de désordre ou de déséquilibre psychologique apparent des personnages comme Mallot Bayenda, l’instituteur de Je, soussigné cardiaque, ou d’autres comme Le Fou de La parenthèse de sang, de Tchémoyo/Veuve Desenclos dans La folle du gouverneur, etc., témoigne de la force destructrice des systèmes d’organisation sociale en vigueur milieux. Confrontés à la perversité ou à dans leurs l’extrême férocité des systèmes politiques de leurs milieux, ces individus qui se refusent à toute compromission manifestent une réelle aversion pour toute attitude défaitiste. Obstinément en quête de justice et de vérité, ils finissent par donner l’impression d’avoir perdu la raison. Ces individus sont en effet incapables de trouver un juste équilibre au sein d’une société où l’être humain a perdu tout sens et toute valeur. La folie apparaît alors, tout comme la mort, comme un moyen, 311 aussi bien de faire face à la réalité, que comme un exutoire ; un instant de vie où l’on peut déverser l’excédent d’émotions, de rancœur et de frustration. La question de la véracité ou non de cet état de folie est rarement posée, car il apparaît que la société entière est une vaste scène de folie. De fait, l’état suffit à tempérer, même ni la de rupture brutalité psychologique de la ne répression politique, ni la perversité des systèmes. Mais au-delà de ce qui se manifeste comme une perte du contrôle de soi ; une hallucination pathologique vraie, une forme plus vicieuse de la folie, celle qui s’apparenterait à cette acuité certains sensorielle artistes, se exceptionnelle donne à lire à dont sont travers dotés d’autres personnages de la création théâtrale africaine. Ce sont en effet tous les potentats décrits au fil des textes ; des personnages comme Chaka, Antoine, etc., qui présentent des signes patents ou diffus, d’un désordre psychologique, mais qui dans la majorité des situations, manifestent un comportement mégalomaniaque, dans une forme d’incarnation et de personnification du monde environnant, de ses institutions et de son fonctionnement. La perte des repères entre un idéal subjectif personnel universel, née de et cette un ordre appropriation logique collectif ; identificatoire des aspirations collectives, a pour effet de créer une véritable rupture pathologique dans l’intellect de ceux-là qui ont fini par paraître aux yeux du plus grand nombre comme des déments. Dès lors que folie et pouvoir se trouvent en association, il en découle toujours des personnages en décalage total de la réalité ; des personnages pour lesquels le monde ne connaît plus aucune limite. Ils ont, de leur rôle dans la société et du monde, messianique une vision qu’ils tronquée, nourrissent déformée vis-à-vis par de le leur propre, par rapport au milieu social et politique. 312 sentiment personne CHAPITRE VII : LA SATIRE POLITIQUE. Lorsque nous avons envisagé d’aborder la thématique de la critique sociale, il nous est apparu nécessaire de distinguer les questions d’ordre purement sociologiques des préoccupations politiques. Pour cela, nous avons pour raison de commodité, proposé que deux chapitres soient affectés, l’un, le 6ème, aux questions socioculturelles ; et le 7ème préoccupations politiques. C’est que, en observant aux la distribution thématique de notre corpus, il s’en dégage deux grands axes de développement qui correspondent à l’orientation ci-dessus mentionnée. D’une manière générale, parler de critique sociale, c’est parler d’une action qui a pour objet de, selon le mot de Sony LABOU TANSI, « faire l’autopsie de la société ». Faire l’autopsie de la société c’est en d’autres termes, observer attentivement la société ; les hommes ainsi que les institutions qui la sous-tendent, la matérialisent et l’animent, pour en donner lecture et en dénoncer les vices et les travers qui la corrompent. Faire la critique d’une société, c’est donc descendre dans les méandres de cette société ; interroger ses composantes caractéristiques, afin de mettre en évidence ses forces et ses faiblesses, et pouvoir proposer en définitive des voies possibles de re-création ou de refondation de cette société. Concernant la satire politique, nous postulons que celle-ci, à l’instar de la critique sociale, procède d’une lecture du fait politique à travers la création littéraire, et spécifiquement à travers la production théâtrale pour notre étude. Sans être contradictoires, critique sociale et satire politique sont plutôt deux acceptions qui renvoient à une 313 même réalité et de notre point de vue, proposent deux niveaux équivalents d’observation des faits de société dans leur généralité. Mieux, les notions de critique et de satire sont d’un point de vue sémantique, des termes assez proches, dans la mesure où ils rendent compte de situations observables sinon dans le vécu réel, du moins dans l’imaginaire créatif de l’écrivain, mais toujours dans une perspective de remise en question des systèmes établis, vécus comme peu favorables à l’épanouissement de l’homme. Car si comme nous venons de l’énoncer, critique et satire comme modalité d’approche du fait social essentiel l’autre visent de de toutes déterminer ces deux la modalités les mêmes prédominance dans buts ; de l’écriture l’une il ou dramatique est de des auteurs de notre corpus. Ainsi, littérature dans le africaine, déploiement on peut chronologique observer que la de la satire politique apparaît comme le passage obligé de la production postcoloniale. Car lorsqu’on pense à l’Afrique des années 60 à nos jours, il est quasi impossible de ne pas penser corruption, génocide, dictature, délinquance de l’Etat, etc., toutes ces plaies qui gangrènent l’Afrique indépendante, et dont elle semble jamais ne pouvoir se guérir. Dans le cadre du théâtre d’Afrique Centrale, la satire politique consiste en une peinture des systèmes de gestion et d’exercice de la chose politique. Cette peinture montre que la grande majorité des systèmes issus de la colonisation se caractérisent par autocratiques et une forte sanguinaires. prédominance Incarnés par des des régimes tyrans pervers à la limite de la déshumanité, les univers politiques exprimés par le théâtre africain donnent à saisir le fait que pour les nouvelles élites politiques africaines, l’idée de force prime sur celle de l’être. Car dans les modes de pensée traditionnelle, le pouvoir et la force se justifient comme conditions nécessaires de l’être. Cette idée, sortie du cadre 314 de la pensée nouveau religieuse dans la traditionnelle constitution des trouve régimes un usage politiques totalitaires. 7.1 – L’homme politique : L’exploration pièces de concept notre de de l’univers corpus permet l’homme particulièrement politique de politique. mettre Deux représentatifs de à en auteurs cette travers les évidence nous le semblent problématique. Il s’agit en l’occurrence de Sony LABOU TANSI et de Laurent OWONDO dont l’univers des les textes pouvoirs sont ouvertement politiques africains orientés vers contemporains. Mais dans une certaine mesure toutefois, Le Zulu de Tchicaya U TAM’SI et Le Roi Mouanga de Vincent de Paul NYONDA nous semblent eux aussi, à bien des égards, porter une charge politique indéniable. Rappelons cependant que si la pièce de Tchicaya peut se saisir comme une chronique historique (son objet était de restituer dans un certain contexte social, politique et historique, l’épopée de Chaka, guerrier unificateur de la nation Zoulou, mais avant tout opposant à l’occupation coloniale de son pays), celle de NYONDA constitue au mieux une fable, dont la finalité est, sinon de garder vivante la tradition culturelle gabonaise, du moins de relayer un discours politique volontiers alarmiste du pouvoir en place au Gabon depuis le milieu des années 60, et qui tendait à violence montrer des coups certes les dangers d’Etat (« évite de de recourir t’engager à dans la des intrigues et des mouvements désordonnés »), mais aussi de rappeler, ainsi qu’il aimait à le dire, aux hommes de pouvoirs que leur souci premier doit être la quête absolue de la sagesse (« chercher la sagesse, c’est le plus sûr moyen 315 pour te guider ») et de la justice (« si la nature te sourit, garde-toi d’écraser l’homme, (il) hait (l’oppression) ».202 Pour plusieurs raisons, Le Roi Mouanga publié en 1988, fut considéré par beaucoup de gabonais comme la réponse aux « Evénements de la Gare Routière » de 1981, événements au cours desquels des opposants (ou des personnes suspectées comme tel) au régime du Président BONGO avaient été arrêtés en masse, pour avoir réclamé, dans des tracts déposés nuitamment dans ce lieu de forte fréquentation, le retour au multipartisme, à la liberté de réunion et d’expression ; le retour à la démocratie. Car depuis son accession à la magistrature suprême en 1967, suite au décès du Père de la Nation gabonaise ; Feu le Président Léon MBA, le Président BONGO avait mis en place un régime autocratique, basé sur une maîtrise totale de l’appareil étatique par un verrouillage absolu des institutions et une véritable main mise sur les ressources du pays, fort nombreuses, par une infime partie de la classe politique, créant des frustrations au niveau populaire. En bon observateur de la vie politique et sociale de son milieu, le dramaturge peut prendre prétexte de cette situation pour créer son œuvre et interpeller son public sur la situation du pays, et les solutions à apporter dans le sens d’une amélioration des relations sociales. L’étude des textes de théâtre des auteurs d’Afrique Centrale est, à partir offre notre des plusieurs avis, possibilités souvent personnages. d’approche, intéressant Ceux-ci donnent de les une mais aborder image il à assez fidèle de la réalité, aussi bien historique qu’actuelle. Ici, l’homme politique se caractérise par un certain nombre de traits déterminants, et qui donnent la pleine mesure de la nature même de sa relation à autrui, et à la 202 - NYONDA Vincent de Paul : Mltipress-Gabon, 1988, p. 59. Le 316 Roi Mouanga, Libreville, Editions notion même d’institution, de bien ou de pouvoir public. Il y a dès lors confrontation de plusieurs réalités ; celle des origines et de la position sociale de l’homme politique, et celle de ses compétences en terme de ce que peut l’homme politique, et de ce qu’il fait dans le concret. 7.1.1 – Origine, Situation sociale et familiale : Que dire des origines sociales et culturelles des hommes politiques africains ? La questions des origines en elle-même, est–elle pertinente et justifiée dans le cadre d’une prise en charge du fait social par la littérature ? La création littéraire et singulièrement le lumière situation de la théâtre, peut-il politique permettre de la mise l’Afrique ; en passée, présente ou future, à travers l’étude des origines, de la position sociale et familiale des hommes politiques africains ? Voilà des questions auxquelles nous allons nous intéresser pour cerner, et pour découvrir certaines caractéristiques des différents acteurs de la vie sociale et politique africaine tels qu’ils apparaissent dans la production dramatique des auteurs qui constituent l’ossature de notre corpus. Si la question des origines et de la position sociales et culturelles a souvent été donnée comme un facteur déterminant dans la saisie de la psychologie des personnages de fiction littéraire, et singulièrement en ce qui est du personnage romanesque, elle l’est aussi, en ce qui concerne le personnage de la création théâtrale. Ainsi, selon que ses origines sont nobles ; légitimes, le personnage de l’homme politique dans le théâtre (d’Afrique Centrale) sera très souvent un personnage marginal, hors des canaux de la norme universelle ; hors des normes en vigueur 317 dans son milieu. C’est un individu généralement confronté à une véritable difficulté à manifester et à exprimer son idéal politique ; sa vision d’une société idéale. Il est d’autant plus entravé dans sa quête de liberté, de justice et de mieux-être, que parce que précisément ses origines, sa position sociale ou son potentiel culturel, plutôt que d’être un atout, vont bien souvent lui être préjudiciables. Ses adversaires peuvent se servir de ces différents paramètres ; de sa famille ou de sa position sociale ; de son emploi, pour exercer sur lui des pressions et l’amener ainsi à renoncer à ses idéaux, et « à rentrer dans les rangs », comme on dit communément ; en fait à se soumettre aux édits du pouvoir en place. Dans ce cas de figure, c’est l’instituteur Mallot qui va le mieux exprimer la détresse de nombreux anonymes, de cadres moyens, de petits commis d’administration, de responsables de familles africains etc., qui doivent souvent entraîner dans le sillage de leurs déboires, des innocents, coupables seulement de les connaître, de les côtoyer, ou plus gravement d’appartenir à leurs familles. Dans une forme de délire cynique, le jeune instituteur fait le constat de l’absurdité d’une situation qui a fini par passer dans les usages communs : MALLOT.- … Tu es coupable, coupable de toi. Oui, Mallot, de toi. Et les coupables que veux-tu qu’on en fasse ? Il faut qu’ils crèvent. Tu pouvais dire : « Je ne veux pas crever maintenant. A cause de Nelly et sa mère. » Mais Nelly et sa mère sont coupable sur rendez-vous. Coupables sur commande. Aah ! Je suis acculé contre moi – jusqu’à moi. Je crève de ma tête, de mon odeur, de ma façon de pisser.203 L’instituteur exprime d’Afrique, attachés à pleinement conscients la de ici la liberté leur 203 et tragédie à incapacité la à des peuples justice, mais amener leurs - LABOU TANSI Sony ; Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang, Paris, Hatier, 1981, p. 79. 318 concitoyens, saisir encore moins l’importance recherche d’un et leurs dirigeants l’opportunité véritable équilibre à politiques tendre social. à vers Optant la souvent pour la voix de la raison contre celle de la passion, ces personnages vivent des choix toujours plus contradictoires. MALLOT. J’ai une femmes et deux diables. Pourquoi estce que je ne penserais pas tranquillement à eux ? (…) Je me bats. Je ne me suis pas trompé de lutte.204 Quoique tout entier déterminé à ne pas se laisser déposséder de sa liberté ; de sa personnalité intrinsèque, l’instituteur ne peut se résoudre à sacrifier l’existence des siens. D’un autre point de vue, le Docteur Manissa est une autre figure de cette tragédie dans laquelle sont pris les peuples d’Afrique de manière générale. Tenus hors des cercles de décisions parfois corps ou paradoxalement défendant, actes d’actions qui vont politique. obtenir ils éminemment prennent souvent Réagissant du politiques, jeune à la décisions ; une requête médecin un actions politiques. des avoir leurs réelle de Mallot certificat Car sont à leur posent des implication (qui veux médical de complaisance, afin de ne pas se voir reléguer aux confins du Lébango, loin de toute structure basique nécessaire à la pratique de son métier ; loin du confort le plus élémentaire, de toute civilisation, à la merci d’un colonel omnipotent, brutal et tentation sans de scrupule), faire comme Manissa tout le refuse monde ; de de céder se à la laisser corrompre, de se détourner des voies de la justice, et de ce que, selon lui, veut le pays : MALLOT. Tu vas me le faire ce papier ? … MANISSA. Non. MALLOT. Mais pourquoi ? 204 - Id. p. 124. 319 MANISSA. Parce que je ne peux pas uriner sur mon boulot.205 D’une certaine manière, les personnages de l’instituteur Mallot et du docteur Manissa figurent l’un et l’autre, le type même du personnage social épris de justice et militant pour une certaine orthodoxie dans la conduite et les mœurs publiques. Ils sont victimes de leur sensibilité, et d’une profondeur certaine d’âme, souvent de leur statut social, ce qui en fait des suspects tout désignés aux yeux des autorités publiques. Leur destin est comme soumis à une forme d’immobilisme ; une sorte de fatum qui, quoiqu’ils fassent, les conduit inexorablement vers l’échec, vers la mort. Dans un échange assez donnent la mesure de leur traduit un profond désarroi, vif, les deux impuissance, et une protagonistes impuissance sorte de doute, qui de pessimisme, quant à la pertinence et la portée réelle de leurs actes, de leurs prises de position : MALLOT.- … Ah ! Que ma viande est simple au bord de ma solitude. Non docteur, vous ne pouvez pas me voir parce que vous avez les yeux fragiles. (…) Vous vous contentez de m’estimer scénique. Mais qui n’est pas scénique dans ce pays ? Qui ? Pérono ? Vous ? Les autres ? Vous êtes une pauvre chambre à merde. Et de tous ces hommes qui sillonnent votre cabinet, en avez-vous seulement rencontré un seul ? Non. Vous leur fulminez des anti-ceci et des anti-cela. Mais après ? Vous les renvoyez. Ils crèvent ou bien ils vivent. Au fond vous êtes une sorte de cancre calibre douze. Vous… … MANISSA-. Est-ce que vous avez regardé ce que vous me demandez ? Vous me prier d’être ce petit imbécile corrompu 205 - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La Parenthèse de sang ; Paris, Hatier, Collection Monde Noir Poche, 1981. P. 117. 320 qui passe son temps à défoncer les lois. C’est facile n’estce pas ? C’est le pays. Mais moi, le pays je le mets à mes dimensions. J’ai ma pointure du Lébango. Le pays, je l’oblige à passer par moi. Après il va où il veut, faire la putain. Mais seulement après.206 Cet échange entre l’instituteur et le médecin est révélateur de cette sorte de tragique fatalité à laquelle nous faisions état plus haut. Soupçonné de lâcheté par son interlocuteur (« vous ne pouvez pas me voir. Vous avez des yeux fragiles »), le Docteur Manissa, donné comme lâche, fuyant devant la cruauté de la vérité, se révèle en fait comme un véritable véritable pourfendeur personnalité de explose à ‘’l’ordre’’ travers la établi. vision Sa qu’il donne aussi bien de son rôle social, que de la manière par laquelle il procède pour essayer de redresser le pays, d’amener celui-ci à plus d’intégrité, à plus de vertu (le pays je le mets à mes dimensions. (…) Je l’oblige à passer par moi.). Mais pour le médecin, la notion de liberté est encore plus importante pour le pays que l’image qu’on peut se faire de sa façon de réagir face à certaines situations, même si cela signifie que celui-ci perde toute dignité, et tout sens morale. Il aura néanmoins donné son opinion sur la marche des choses. A évoquent l’inverse une de forme ces individus d’engagement, dont les seuls les personnages actes ou les hommes qui occupent véritablement une charge politique et qui apparaissent aux premiers rangs de la vie publique dans la création théâtrale africaine, sont presque souvent comme surgis ex nihilo, sans véritables attaches familiales. Ainsi, dans La Folle du Gouverneur, aucune indication sur les origines familiales de Bomongo ; celui-là même qui incarne la nouvelle destinée politique du pays. Dans ce même contexte, La 206 parenthèse de sang, décrit - Op. Cit. p. 123 et 124. 321 un univers où la notion d’identité ne se justifie que pour introduire dans la société une forme de catégorisation entre les hommes du pouvoir, et le reste de la communauté. Cette catégorisation est observable dans la personnification opérée par les maîtres du régime, à travers l’appropriation des vocables « pouvoir » et « capitale ». Ici encore, rien apparaît ne même signale que le l’origine fait de ces d’appartenir à individus. une Il famille ; d’avoir un socle familial bien établi et identifié désigne ce type d’individus comme des ennemis virtuels du pouvoir, constituant ainsi une sorte de casus belli. 7.1.2- Compétence et psychologie de l’homme politique : Si du point de vue des origines et de la situation sociale des production responsables dramatique politiques d’Afrique dépeints Centrale on par note la une véritable situation d’indétermination, au point de vue des compétences et de la psychologie de ces derniers, les choses sont plus nettes, plus marquées. Positivement ou négativement, les personnages se donnent à lire à travers un fascinant faisceau de comportements sociaux et moraux, qui permet de les déterminer et de les classifier par rapport à une norme, vue comme universelle. Ce sont des individus atypiques, quel que soit le prisme à travers lequel on les observe. Echappant parfois à toute logique, l’homme politique dans ce théâtre est comme broyé par une force invisible qui le met en décalage du sens commun des choses. Ces personnages apparaissent caricaturés à l’extrême, et leurs compétences, dans les attributions des uns et des autres tiennent plus de l’anarchie que d’une logique liée à la performance. 322 Chacun de ces personnages va déployer une somme d’énergies ou d’affects pour asseoir une image, une vision souvent trop décalée de la réalité. Ce décalage est généralement, annonciateur d’une caractéristique qui permet à terme, de saisir la logique dans laquelle se meuvent les personnages. Des indices tels que des noms permettent d’entrer dans l’univers de ces différents personnages. Il y a en effet ceux qui, comme Antoine dans Antoine m’a vendu son destin de Sony LABOU TANSI ; Mouanga du Roi Mouanga chez NYONDA ; Bomongo de La Folle du Gouverneur chez Laurent OWONDO (et bien d’autres que nous verrons), portent un nom, et peuvent se distinguer des autres personnages de l’histoire dans laquelle ils évoluent. Mais il y a aussi d’autres, que l’on ne peut identifier qu’à travers leurs titres, ou leurs grades ; civils ou militaires, et qui d’une certaine façon, incarnent l’autorité ; la force ou le pouvoir politique dans son absolu. Ces individus aux mœurs étranges, complètement hors des normes de la morale et de l’éthique sociales, incarnent ce que l’Afrique a de plus terrifiant. Ce sont, chez Sony LABOU TANSI, des personnages sombres et effrayants, à l’instar des sergents et des soldats de La parenthèse de sang, représentants d’un pouvoir politique brutal et tortionnaire, ignorant les missions véritables qui échoient aux responsables d’une nation. Ils sont aux ordres d’un régime suspicieux à l’extrême, fondé sur la confiscation et la personnification des institutions de l’Etat, le culte de la personnalité, et la répression systématique des oppositions idéologiques : les soldats sont à la recherche de Martial, mais ils sont incapables de donner les raisons d’une quête aussi frénétique. Du point de vue du respect de l’intégrité de la personne humaine, ces régimes manifestent souvent une vision singulière de la notion d’individu. Peu importe que Martial 323 Makaya ne surtout, soit il pas lui Libertashio ; ressemble et c’est cela son suffit neveu, à mais faire de l’infortuné citoyen, un coupable tout désigné. Dans La parenthèse de sang, on note que le rôle des forces de l’ordre est en totale inadéquation avec les missions fondamentales qui leur sont habituellement assignées par la loi. Mais la loi, taillée à la mesure du dictateur et incarnée par lui, n’a plus le sens commun, sinon celui que lui affecte un système finalement autocrate. La force publique est alors entièrement au service du Prince, dont elle assure protection et impunité. Son rôle se résume dès lors à poursuivre et à persécuter les opposants du régime en place, ou ceux qui sont seulement soupçonnés de l’être. C’est notamment ce que l’on découvre dans ce propos du soldat Marc : MARC. – (…) Moi je fais ce que la loi me demande. (…) Je suis soldat et ma conscience de soldat commence par la conscience des lois. (…) Est-ce ma faute si les lois n’ont plus de conscience ? Je suis soldat. Bon soldat. Et je fais à la manière du bon soldat. (…). Ce régime que l’on désigne parfois sous des vocables incertains tels obscure et suggère bien semble ne que « La inquiétante, capitale » dont l’imprécision laisser l’imprécision des aucune (sorte domaines alternative de nébuleuse des contours de compétence), à la volonté individuelle, ni même au principe de la différence de point de vue. Et son existence ne paraît se justifier qu’à travers la répression et les torts causés à tous ceux qui résistent à son diktat, ou qui sont suspectés comme tel. C’est ce que l’on peut lire dans ce passage de La parenthèse de sang, où l’on recherche un certain Libertashio: RAMANA.- Qui vous envoie ? … 324 MARC.- La capitale LE SERGENT.- (…).- La capitale. … RAMANA.- Pourquoi cherche-t-elle, la capitale ? … MARC.- Pour faire chier ! LE SERGENT, à Ramana.- Pour faire chier. (Un temps.) Et pour en finir aussi.207 Dans ce passage, l’importance de l’onomastique permet de saisir à certains points, l’orientation psychologique des personnages, ainsi que leur rôle social. Les noms de « Libertashio », des « sergents » et de « la capitale » sont révélateurs d’une certaine atmosphère de confusion, où chacun est unique, en même temps qu’il se confond dans l’autre. LE FOU. – (…) Nous sommes douze dans mon corps. On y est serré comme des rats. Aussi, comme un peut-on individu voir le personnage identifiable, car de son Libertashio, existence est attestée par la famille qui lui a survécue après sa mort (il a en effet laissé une veuve ; Kalahashio, et trois filles : Ramana, Aléyo et Yavila, ainsi qu’un neveu ; Martial Makaya, que les soldats veulent arrêter sous le prétexte qu’il ressemble à son oncle défunt). Et comme chacun de ces autres personnages dont l’identité est, pour le pouvoir un motif de défiance et de condamnation, le Fou en quête de vérité ; aspirant manifeste à la de ce justice, qui et à apparaît la déjà liberté, comme est un la combat figure perdu d’avance. Au-delà de la proximité thématique du Fou de Sony LABOU TANSI avec celui du fou de La Bible (dans le verset 9 du chapitre 5 de l’Evangile selon ST MARC, Jésus guérit un homme possédé par des esprits mauvais. A la question de savoir quel 207 - LABOU TANSI Sony : La Parenthèse de sang ; Paris, Hatier Monde International, 2002, pp.13 et 14. 325 était le nom de l’esprit qui tourmentait l’homme, la réponse est : « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux »208.) On peut lire dans le propos du Fou de La parenthèse de sang, la manifestation du phénomène de l’indifférenciation de la personnalité sociale et morale, vu à travers le prisme d’un système politique totalitaire. Ici, apparaît la notion de transitivité dans la présomption de culpabilité et responsabilité des individus vis-à-vis des régimes répressifs. Dans le cas des régimes politiques totalitaires, la contestation idéologique ou le refus des spécifiques conformismes entraîne en vigueur généralement la par des individus condamnation de son entourage. L’individu est vécu ici non plus comme une entité unique, physiquement, socialement et moralement identifiable et distincte de ses congénères, mais comme une sorte de double de l’autre ; un amalgame de personnalités, un puzzle humain, auquel il devient commode de faire supporter la charge des fautes avérées, ou seulement supposées. Martial, son oncle, ou tout autre individu ne constituent dès lors plus qu’une seule et même personne, coupable devant la capitale : MARC. – (…) Ce type a le menton de Libertashio, les yeux de Libertashio. Ce type a les cheveux de Libertashio. RAMANA. – Il n’est pas Libertashio. MARC. – Nous cherchons un Libertashio. Il nous en faut un. Provisoire ou définitif, ça n’a plus d’importance. Nous finirons par en trouver un provisoirement définitif.209 La notion d’individu, comme celle de responsabilité individuelle, ont une valeur très relative dans la mentalité des régimes politiques totalitaires. 208 - Nouveau Testament. Traduction Œcuménique de la Bible, Paris, Les Editions du Cerf, 1972, p. 144. 209 - LABOU TANSI Sony ; Je, soussigné cardiaque, in La parenthèse de sang, Paris, Hatier, 1981, p.85. 326 D’un autre point de vue, La capitale symbolise la force et le pouvoir ; celui qui a droit de vie et de mort sur les populations, et qui exige une obéissance sans réserve de ses auxiliaires. D’autres individus comme le fruste colonel Perono, donnent à voir un autre visage de l’homme politique. C’est un politique d’un ordre différent ; il est le symbole résiduel d’une époque que l’Afrique dit avoir laissée derrière elle. Perono est en effet un vestige de la colonisation européenne, qui a officiellement pris fin avec les indépendances, mais qui poursuit gestion officieusement économique, anciennes et possessions son œuvre par-dessus de l’empire d’occupation tout et politique, colonial. C’est de des un personnage cynique, brutal, inculte et raciste. Condescendant devant le refus d’aliénation de l’instituteur Mallot Bayenda, Perono proclame sa toute-puissance ; celle de l’occident sur l’Afrique, celle du blanc sur le noir : PERONO.- Mon bel ami… (…) Je t’ai toujours dit que… (…) « Qu’il soit l’esclave de l’esclave de ses frères. » Peut-être crois-tu que ça sort de moi seulement. Eh ben, non. C’est depuis la Genèse. Ca vient tout droit de Dieu. Vous descendez de Cham. Maudits pour de bon. (…) PERONO.- Et tant que vous n’aurez pas compris cette petite chose…210 Perono est le chef d’une armée d’occupation d’un pays imaginaire d’Afrique, le Lébango, où règne la corruption, la gabegie et la misère, mais dont les correspondances avec l’Angola luttant contre le Portugal (puissance colonisatrice figurée ici par l’Espagne à travers le colonel) pour son indépendance, sont à peine voilées dans la pièce Je soussigné 210 - LABOU TANSI Sony ; Je, soussigné cardiaque, in La parenthèse de sang, p. 85. 327 cardiaque.211 Il perpétuelle de néocolonialisme est surtout l’Europe qui le en semble symbole de Afrique. plus fort, la Une plus présence forme de vicieux que l’ancien système, car il n’a aucun caractère officiel. Sous le couvert de la (on recherche parle communément de coopération), les anciennes puissances coloniales perpétuent l’exploitation et le pillage des ressources économiques et culturelles de leurs anciennes possessions, au mépris des populations. Le politologue et chansonnier gabonais PierreClaver AKENDENGUE décrit cette situation en disant des occidentaux qu’ « ils aiment l’Afrique, sans les africains », pour caractériser l’Afrique et les le type de différentes relations instituées puissances entre industrielles qui gouvernent le monde. D’un autre point de vue, le personnage de Bomongo dans La Folle du Gouverneur de Laurent OWONDO, incarne ces hommes politiques dont les actes sont commandés orientés par une ambition démesurée. Fourbes et calculateur, Bomongo louvoie entre vérité et mensonge ; entre fidélité et traîtrise. IL mettra en marche tout son génie dans le seul but de conquérir Tchémoyo ; de la soumettre. Jamais il ne pensera au bonheur de celle-ci. Comme Perono, Libertashio, Tchémoyo, Bomongo et bien d’autres, ces personnages sont des personnages allégoriques. Ils manifestent prise et globalement d’exercice du les pouvoir modes par et les les élites systèmes de politiques africaines actuelles. On peut dire que dans la majorité des cas, ce sont des hommes qui affichent des traits psychologiques très sombres, d’où semble filtrer, une sorte de symptôme de la rupture, une forme de traumatisme primaire, qui les mènerait presque inexorablement à la cruauté, au despotisme, à l’insensibilité et finalement à la déchéance. 211 - LABOU TANSI Sony ; La parenthèse de sang, suivi de Je Soussigné cardiaque, Paris, HATIER, Collection « Monde Noir » Poche. 328 7.2- Le pouvoir dans tous ses états : Dans la création littéraire africaine, le thème du pouvoir a toujours figuré parmi les thèmes les plus abordés. Du pouvoir colonial jusqu’aux indépendances africaines ; même les plus récentes, il ressort une forme de continuité dans la pratique politique, et le rapport à la société ; au peuple, des classes dirigeantes. C’est un rapport de domination des uns sur les autres, où les plus forts chercheront toujours à écraser les plus faibles, et où pour asseoir leur autorité et leur pouvoir, les classes dirigeantes usent de toutes sortes d’artifices, depuis la corruption des élites susceptibles de contrecarrer leurs exactions, jusqu’à l’instauration de régimes de terreur et de répression. Dans tous les cas, on assiste à un véritable divorce des politiques et des populations ; des politiques et du social. La confiscation des institutions publiques et des libertés individuelles par des régimes de partis uniques, les abus de pouvoir, le culte de la personnalité voué « aux chefs suprêmes, aux présidents à vie, aux grands guides éclairés, aux pères de la Nation, aux présidents « dictateurs généraux » et autres « grands camarades, fondateurs de … » ; la théorie généralisée du complot, etc., caractérisent grosso modo, le fonctionnement de la totalité des régimes politiques décrits par la littérature africaine de manière générale, et par certaines conséquence œuvres logique d’un théâtrales tel état en de particulier. décrépitude de La la société est la généralisation de la misère humaine, de la désillusion affichée vis-à-vis des institutions et des hommes qui les représentent : MALLOT.- Mon père. Un mort qui vit de moi. Une ancienne carcasse de planteur d’ignames. (…) Il se mettait à genoux 329 pour supplier les gros messieurs d’Hozana de lui acheter ses queues de persil. Parce qu’il fallait bien qu’on mange, nous. Ma mère, ma sœur et moi. J’avais deux frères : Léon et Stani. Les aînés. Ils ont été mangés par un coup d’Etat. Mes parents ont organisé une veillée à la maison malgré les prohibitions. L’armée est passée. Rixes. Coups de feu. Oh ! Tout s’est tu maintenant. La honte. Les bruits. La méchanceté. Je suis le seul salaud de la famille qui aura pu gravir la société jusqu’au degré d’instituteur. Hélas, un soir, Perono a dit : à genoux. Moi qui ai trop vu mon père à genoux. J’ai craché. Il m’a vendu au système.212 Dans un contexte aussi sombre et absurde, on saisi mieux le cynisme de Mallot Bayenda lorsqu’il sollicite un certificat médical de complaisance au Docteur Manissa. Face à l’absurde, l’instituteur réagit par le cynisme. La conscience même de son impuissance face à la machine corrompue et répressive de l’Etat l’oblige à penser et à agir en suivant le raisonnement tortueux qui singularise désormais la vie sociale du pays. Mallot ne perd ni sa dignité, ni son intégrité morale. Son but est simplement de comprendre ses déboires, et d’y remédier : « Je respire pour annuler Perono. Ordure, bien sûr. Mais ordure spéciale. Imprenable. Je suis la vraie taille, la vraie dimension de l’homme. Et je boxe, je me bats pour conserver mon titre de mammifère spécial. Je suis là-bas au large de la dignité.213 Et comme pour résumer la situation de l’individu réduit à l’inexistence dans cette société, Mallot, répondant à la secrétaire qui lui demande de se calmer (il venait de perdre patience à attendre l’enseignement) dit : d’être « Oui, reçu oui je par vais le me directeur calmer. de Vous n’avez qu’à attendre un peu. Ça vient de très profondément 212 - LABOU TANSI Sony : Je soussigné cardiaque, in La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, p.119. 213 - LABOU TANSI Sony ; Op. Cit. p. 119. 330 là-dedans. Ça se réveille. Ça ébranle mon vieux corps de planteur d’ignames. (Un temps.) Si j’étais grand-chose, hein, mademoiselle. Vous croyez vraiment qu’il m’aurait laissé poireauter pendant trois mois ? Non, mais je suis leur chose. Leur objet. Ils me marchent dedans sans tenir compte de rien. Un peu de poussière au fond du système. Personne ne m’a compté moi. Personne. Tout le monde me saute. Je suis seul. Seul dans cet océan de merde et de lâcheté. Seul pour seul. Noyé. Perdu. Fini. Raturé. Mâché.214 Il y a dans le propos de l’instituteur autant de colère et de révolte que de constat d’échec, mais en même temps un refus de céder à la résignation. Son refus de la fatalité le fait apparaître aux yeux des autres comme fou, ce que confirme la question posée par le directeur : BELA EBARA, à MALLOT.- C’est vous qui beuglez comme un fou ? MALLOT.- Je ne suis pas fou, monsieur le directeur. Je suis le seul Lebangolais qui reste dans ce pays.215 Peut-être Mallot choisit-il des comportements excessifs pour mieux affirmer son individualité ? Peut-être n’a-t-il pas d’autre choix que d’être lui-même ; vrai et entier ? Dans un monde où tout n’est que lâcheté, cruauté et faux-semblant, vide et illusion ; un monde perverti par la mégalomanie des uns, l’infatuation des autres, Mallot Bayenda est le symbole d’une société martyrisée, foulée au pied par des pouvoirs qui ont fini par perdre le sens de la mesure et de l’objectivité. 214 - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang, Paris, Hatier, p.123. 215 - Id. p. 125. 331 7.2.1- La prise de pouvoir : Au sein de notre corpus, il est souvent fait état de systèmes et de pouvoirs politiques ; de leur émergence, et de leur exercice. Ces problématiques ont ainsi diversement été abordées par la littérature africaine pour, d’un côté en situer les origines, mais toujours aussi pour en dénoncer les méfaits et les défaillances. Comme nous l’avons souvent relevé au cours de cette étude, l’histoire relation avec littéraire son histoire de l’Afrique politique, est dans en ce étroite sens que l’histoire politique, celle des sociétés africaines constitue la base de référence de la majorité des productions littéraires africaines d’hier et d’aujourd’hui. Rapports de culpabilité ou de défiance, la littérature africaine donne la mesure de la responsabilité de chacun des acteurs de cette histoire. Après avoir dénoncé les méfaits de la colonisation, les hommes de lettres africains allaient à juste titre, se tourner vers l’observation des sociétés nouvelles issues des indépendances, et faire le constat d’une situation de paradoxes, de contradictions et de chaos. D’une manière générale, il apparaît qu’en Afrique, l’accession au pouvoir des élites politiques s’est opérée de deux manières différentes. Il y a, d’un côté, ceux qui ont « hérité » des anciennes puissances coloniales, et qui, du point de vue économique, ont pérennisé d’exploitation favorables aux anciens « héritiers », bénéficiant inconditionnelle de maîtres de absolus leurs leurs généralement mentors pays, dictatures féroces. 332 de des systèmes maîtres. la s’érigeaient transformant Ces protection souvent en ceux-ci en Les tensions essentiellement suscitées par autocratiques, ces régimes aboutissaient de type globalement à leur renversement, par des forces militaires. Pour illustrer ces modes d’accession au pouvoir, Le coup de vieux216 de Sony LABOU TANSI et CAYA-MAKHELE, ainsi que La folle du gouverneur de Laurent OWONDO nous paraissent donner une assez bonne chronologie de ces situations. Le coup de vieux remonte à la découverte des Amériques (le rappel de l’année 1492 le confirme), pour situer l’origine de la tragédie vécue par les trois personnages principaux de la pièces ; Dofano, Shaba et Esperancio, et ainsi expliquer l’origine du pouvoir politique en vigueur dans leur pays. De son côté, la pièce de Laurent OWONDO, La folle du gouverneur, situe l’origine du pouvoir de Bomongo à la fin de la colonisation. L’Afrique, métaphorisée sous les traits de Tchémoyo, se voit remettre (ou confisquer) son destin entre les mains ambigus. d’un pouvoir Tchémoyo (personnage reste sceptique de quant Bomongo) aux des plus promesses de changement faites par son nouvel « époux » ; celui-ci peut-il en effet s’écarter des chemins tracés par ses anciens maîtres, lorsque l’on sait à quels compromis il s’est laissé aller ? 7.2.2- L’exercice du pouvoir : Ainsi que nous l’avons déjà observé, le théâtre d’Afrique Centrale a fait du thème du pouvoir politique un de ses sujets l’Afrique, de prédilection. traversée de La drames situation humains et politique de de tragédies individuelles n’a pas laissé indifférents les écrivains du continent. 216 - CAYA-MAKHELE, LABOU TANSI Sony : Le coup de vieux ; Paris, Présence Africaine, 1988. 333 D’un texte à l’autre, on est en présence du règne absolu de la violence, gratuite et aveugle ; de la suspicion, d’un climat de délation et de trahison. C’est un monde où la cruauté s’est érigée en une véritable performance, et où la souffrance et la mort deviennent des détails sans grade implication. Dans Je Soussigné cardiaque, le spectacle de la mort devient aussi banal que le fait même d’être malade. L’indication de régie « On pousse un mort » apparaît trois fois, de même qu’une autre indication qui, sans parler de mort, suggère néanmoins celle-ci : « Pleurs dans le couloir ». La mort est partout présente dans le théâtre de Sony LABOU TANSI. Tout est prétexte à l’oppression et à l’injustice, depuis le fait d’être instruit (à l’instar de Mallot, le jeune instituteur de Je soussigné cardiaque qui fait lui-même le constat de sa « culpabilité »: « Tu l’as multiplié par toi. La petite opération, la mathématique des âmes savantes. Tu deviens aussi »217), le sommet jusqu’au des fait mondes, d’avoir le des sommet liens des du hommes sang avec quelqu’un que la force politique condamne au préalable comme coupable du délit de non conformisme. Son épouse Mwanda et sa fille Nelly « sont coupables sur rendez-vous. Coupables sur commande »218. C’est aussi pour cause de parenté que Martial, neveu de Libertashio est recherché Capitale » dans l’existence en La Parenthèse elle-même, comme par « le pouvoir de La de de sang. s’opposer Plus encore, au pouvoir, semble désigner l’individu comme un indubitable coupable ; c’est comme si, pour certains, le fait de vivre constituait en soi Interdit un délit d’être d’opinion : vivant. « Ici, Nous c’est sommes en interdit. (…) interdiction d’existence », observe la jeune Aleyo, condamnée comme toute sa famille à être exécutée, pour avoir hébergé Martial. Elle 217 - LABOU TANSI Sony : La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, p. 79. 218 - Id. 334 réalise en effet que la raison avancée par les soldats pour les juger coupables est loin d’en être le seul motif ; ils ont, les uns et les autres, eu le tort d’exister, d’aspirer à vivre, et même à survivre, comme on peut le découvrir dans cet échange entre Martial et Aleyo : ALEYO. – (…) Tu aimais ça, toi, Martial ? Tu aimais ça la vie ? MARTIAL.- Oui. C’était, comment dirais-je ? C’était moche mais ça me suffisait. Tragique univers où « peut-être la mort revient-elle exactement à la vie », comme le souligne Martial. Ici en effet, il n’y a pas de présomption d’innocence ; on est coupable de naissance, de père en fils comme on naît avec un titre de noblesse. Car dans le cas de Martial et Libertashio, le système de filiation matrilinéaire fait d’un neveu « un fils », donc héritier en ligne directe de son oncle. LABOU TANSI puise ici dans les sources de la tradition du peuple Kikongo auquel il appartient. La culpabilité de Martial n’est pas un simple procédé d’écriture ; à travers le monde, les régimes politiques autocratiques ont usé de la répression et du chantage au sein des familles pour avoir un contrôle absolu sur les oppositions potentielles ou avérées. Les modes maintenir opératoires de ces une de pression populations abusives, forme en opérant des des systèmes répressifs psychologique perquisitions arrestations sont sur les systématiques arbitraires, des de et exécutions sommaires, etc. Pour d’autres individus, détenir le pouvoir, c’est avoir un droit de vie et de mort sur leurs concitoyens. Nous y reviendrons lorsque nous aborderons les phases de l’éthos dans l’étude des personnages. A côté de ces hommes politiques qui possèdent le pouvoir et l’incarnent, il y a ceux qui veulent y accéder, et qui pensent qu’ils ont le devoir 335 de proposer une vision différente de la gestion de la chose publique ; contraire à celle qui est en vigueur, et qu’ils estiment peu satisfaisante ou même dangereuse. Dans cette catégorie, on dénombre beaucoup vocables comme femme », « un etc., sang ; mais d’anonymes, « la Mallot, foule », homme », certains dans souvent « un comme Je « les désignés villageois », passant », Martial soussigné par dans des « une « l’assistance », La cardiaque Parenthèse de Sony de LABOU TANSI, etc., jouent également un rôle politique même s’ils n’en ont pas toujours officiellement les attributions. Leur implication dans le combat pour les droits élémentaires des citoyens ; pour les libertés individuels et pour la justice sociale, s’il se situe souvent en marge des cercles de pouvoir et de décisions, n’en est pas moins retentissant car il est mené au plus près des populations ; au cœur des masses dont il fait partie intégrante. 336 QUATRIEME CRITIQUE PARTIE : SOCIALE ET THEATRE. 337 ROLE DE LA ENONCIATION AU CHAPITRE VIII : LE ROLE DE LA CRITIQUE SOCIALE DANS LE THEATRE. LE CONTEXTE SOCIOLOGIQUE DE LA CREATION. De tous temps, le critique a été considéré comme un héros. Héros à double titre car, tel l’individu du Mythe de la caverne de PLATON, le critique est un être singulier ; son activité, son rôle dans la société est de s’en élever ; de transcender le monde pour mieux le saisir, le sentir ; afin de mieux l’appréhender. Puis, illuminé de la conscience du monde, il peut interroger et orienter ses concitoyens. Son regard se veut objectif car la société est, elle, étrangère à la vérité qu’il a éprouvée. L’homme de théâtre, comme l’homme de lettres en général, est un homme héroïque, ou du moins son activité l’est-elle. Car dans la plupart des textes de la littérature africaine (écrite ou pas), il y a une réelle volonté de centrer le discours sur l’homme, sur les problèmes de la société. Détaché de tout a priori, le regard du critique sur la société est, sans relâche, en quête de vérité. Et selon Michaël WALZER, « la poursuite de la vérité au prix de ses propres liens familiaux et civiques distinguent le critique, et la vérité qu’il découvre par le détachement et le départ donnent à sa critique une autorité spéciale. »219 Qu’il s’agisse de La forêt illuminée, de Boule de chagrin, ou de Jinette et Japhet de Gervais MENDO ZE, de la trilogie sur le mariage de Guillaume OYONO MBIA, ou du Train spécial de son excellence du même auteur ; qu’il s’agisse du Soûlard, de La mort de Guykafi, du Combat de Mbombi ou du Roi Mouanga de Vincent de Paul NYONDA, la marque de la société y est indéniable ; la critique fondamentalement présente. 219 - WALZER Michaël : La critique sociale au XXème siècle. Paris, Editions Métailé, 1995, p.26. 338 En somme, la critique sociale consiste pour le critique, à se plaindre, car « la plainte est une des formes élémentaires de l’affirmation de soi, et répondre à la plainte, l’une des formes élémentaires de la reconnaissance mutuelle. Lorsque la question, ne concerne pas l’existence elle-même mais l’existence sociale – l’être–pour-autrui - la plainte devient une preuve suffisante : je me plains donc je suis. Nous nous entretenons de la plainte, donc nous sommes. »220 Ainsi donc, les auteurs dramatiques africains, à travers la critique sociale, expriment et affirment leur être au monde. C’est une prise de position, un engagement constant où la satire, la polémique, l’exhortation, la prophétie ou l’accusation, etc., sont posées comme les marques de cette critique. La critique sociale a besoin d’un langage, et le choix du langage « l’autorité dramatique dont justifie veut ou pour croit l’homme devoir se de théâtre, réclamer le critique pour être entendu. Et cela, à son tour, a pour condition sa relation à son auditoire. »221 Et dans la mesure où le discours littéraire africain est centré sur les problèmes de société, on peut y voir une plainte. C’est qu’il y a nécessité de rencontre et de dialogue avec son public, la plainte des écrivains africains transcende la plainte ordinaire ; celle des hommes et des femmes ordinaires, qui, selon Michaël WALZER, « se réduit souvent au marmonnement », car « l’oppression et la crainte la rende inarticulée »222. Comme critique de la société, l’écrivain, et singulièrement l’homme de théâtre africain est attentif aux mœurs communes, aux fautes individuelles ou collectives, ou aux défaillances institutionnelles, qui selon le principe de 220 - WALZER Michel : La critique sociale au XXème siècle ; Paris, Editions Métailié ; 1995 p. 15. 221 - Id. p. 23. 222 - Op. Cit. p. 24. 339 la responsabilité collective, sont le fait de tous, car, c’est une faute individuelle ; une défaillance des personnes particulières de tolérer des institutions non adaptées aux besoins et aux aspirations de la communauté. 8.1- Le rôle pédagogique : La critique et la satire sociale sont des phénomènes connus dans toutes les sociétés humaines. Selon qu’elle prend pour cible les traditions ou les institutions sociales, son discours portera sur les systèmes et les traditions culturels, ou sur les systèmes politiques. Alliant parfois le comique et le sérieux, le théâtre d’Afrique Centrale construit un monde parallèle au monde réel, engendrant ainsi une double perception de l’existence. En mettant l’accent sur le ridicule et les déviances individuelles ou collectives, le théâtre comique tend vers une correction matérielle du public car, « Le sentiment de honte que fait naître le ridicule peut seul réformer le public et lui apprendre, par le spectacle grotesque qui lui est offert, à éviter de sombrer dans les mêmes travers que ceux des théâtrale personnages et les représentés. »223 normes morales se Ici, la déplacent métaphore de manière conjointe sur l’univers social, avec pour objet de montrer la voie en démasquant ce qui est contraire à la vérité, à la justice. Le personnage du chef de gare de la pièce de OYONO MBIA ; Le train spécial de Son Excellence, figure tous les aspects du ridicule, dans ses manières empruntées, son besoin absolu de paraître, symbolisant de ce fait les attitudes observées dans les classes moyennes de la société, et qui souvent conduisent au travestissement et à la transgression 223 - DUVAL Sophie et MARTINEZ Marc : La satire ; Paris, Armand Colin, 2000, p. 48. 340 des règles publiques au profit des intérêts individuels et personnels. Les œuvres théâtrales se transforment en miroir, reflétant les travers risibles de la société. C’est de cette attitude que le théâtre peut édifier la société tout en corrigeant les mœurs. 8.1.1- L’éveil de la conscience et la recherche d’une nouvelle société : La critique sociale dans le théâtre d’Afrique Centrale a aussi pour objet d’éveiller la conscience de son public sur les différentes menaces qui pèsent sur la société africaine d’aujourd’hui. En mettant en scène des hommes politiques, des chefs de écoliers directeurs famille, et des collégiens, hommes des d’administrations, ordinaires, des employés, des etc., théâtre le jeunes ; médecins des d’Afrique Centrale appelle à la conscience de tous, de son public, en vue de poser un regard plus juste sur la société et les institutions ; par-dessus engendrés les par tout fléaux sur que les disfonctionnements constituent la corruption, l’alcoolisme, la gabegie, le tribalisme, la cupidité, et tous les autres maux qui freinent le développement économique, politique et culturel de l’Afrique. La mise en évidence des disfonctionnements des appareils sociaux et des travers comportementaux à travers la création dramatique énonce la possibilité d’une société transformée, débarrassée des carcans des coutumes anciennes qui sont souvent en inadéquation avec la situation temporelle et spatiale des peuples. La pérennité des systèmes coloniaux ou néocoloniaux soussigné en Afrique cardiaque), les (La Folle dictatures du Gouverneur, instituées après Je, les indépendances (Le zulu, La parenthèse de sang, Antoine m’a 341 vendu son destin, etc.) décrits par les hommes de théâtres visent aussi bien à montrer la perversité des comportements totalitaires de ces régimes. Mais ces textes invitent surtout les hommes publics et les populations africaines à œuvrer pour la renaissance meilleure prise en de l’Afrique, compte de la et au-delà, dignité de pour la une personne humaine ; pour le respect des institutions et du bien public. Dans le fond, les hommes de théâtre africains qui développent presque toujours une vision pessimiste du monde visent dans le même temps à restituer à la littérature son rôle de gardien menaçantes. La culturelles ou des mise mœurs, en à cause la des politiques ; la fois répressive défaillances critique et sociales, des déviances sociales, l’exposition publique des travers risibles de la société sont les moyens mis en œuvre pour dire le malaise des écrivains. d’une Leur société l’importance objectif nouvelle, du socle est qui de tendre tienne culturel des vers compte la naissance aussi populations ; bien de de leur histoire, des différences de point de vue individuelles ou collectives, de la nécessité de se tourner vers un remodelage de la pensée commune dans le contexte du temps, et de la participation de chaque entité sociale. C’est dans cette optique que, s’inspirant d’une légende gabonaise sur les origines des sociétés mixtes, Vincent de Paul NYONDA a écrit une pièce Emergence d’une nouvelle société. 342 qui porte bien son nom : 8.2- Productions culturelles et catharsis : Les productions culturelles ; chant, danse, peinture, dessin, sculpture, cinéma, théâtre, etc., ont dans la société africaine, une double valeur symbolique et esthétique. Si la valeur esthétique de la création artistique africaine n’a été confirmée par l’Occident que depuis le XXème siècle seulement, sa valeur symbolique et fonctionnelle elle, n’a jamais été remise en cause. Suivant l’africain les situations produira des auxquelles objets, de il est culte confronté, ou profanes, toujours pour rendre témoignage d’une pensée et d’une vie intérieure, manifester ses aspirations, ou faire face à ses angoisses, à ses craintes, et tenter de les conjurer à travers des procédés ritualisés ou autres. Il y a donc dans la production théâtrale un besoin d’éloigner les maux décrits dans les textes. En nommant les dictatures ; en mettant en scène la mort ou l’échec d’un Chaka, le dramaturge se réapproprie son histoire, l’Histoire de l’Afrique, il peut ainsi panser les plaies ouvertes par des décennies de colonisation, et, depuis les indépendances, expurger la colère née de la violence de la confiscation des libertés publiques totalitaires sociale et née et individuelles sanguinaires, de la cruauté regarder des par en des face institutions pouvoirs la misère monétaires internationales, en somme démystifier la misère humaine, afin que toujours plus, l’homme tente de transcender sa souffrance et sa déchéance quotidiennes, pour s’investir dans la quête de la société idéale, même si, pour les hommes de théâtre cette société reste du domaine de l’utopie. Il y a en effet dans la production théâtrale africaine, beaucoup de évoquer les pessimisme. Pour ce théâtre, c’est de ne point turbulences de l’histoire politique et sociale de l’Afrique 343 aujourd’hui qui constitue un manquement notoire face à l’opinion, face à la conscience du monde. La catharsis est alors synonyme politiques, public la de de compassion crimes crainte de pour les économiques, souffrir, et qui victimes de suscitent l’amènent à crimes chez le l’action militante qui doit changer la société. Le théâtre se doit de repenser la question de la crise et des soubresauts de la société, pour reprendre le rôle qui lui est dévolu depuis l’antiquité, et ainsi redevenir luimême, ce que pense aussi ARTAUD qui confirme la fonction cathartique du théâtre : « Le théâtre ne pourra redevenir lui-même, c'est-à-dire constituer un moyen d’illusion vraie, qu’en fournissant au spectateur des précipités véridiques de rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire, mais intérieur »224. 8.2.1- Rôle cathartique de la critique sociale : De manière générale, le théâtre africain figure les traits caractéristiques de la littérature orale. En passant de l’individualité de l’auteur à la collectivité du public, le théâtre peut s’adresser directement à la société. Et comme l’observe Jean-Michel DEVESA à propos du théâtre de Sony LABOU TANSI, « sa dramaturgie, sollicitant ô combien le corps et le geste, supposait un théâtre de la conjuration et de la guérison du corps social. »225 Ici apparaît la vocation de l’écrivain, aussi bien que celle de son œuvre. Le théâtre est pour beaucoup de dramaturges africains, un instrument, un 224 - ARTAUD Antonin ; Le théâtre et son double, cité par DAVID Martine in Le théâtre, Paris, Editions Belin, Collection Sujets, 1995, p.324. 225 - DEVESA Jean-Michel : Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte et des rives du Kongo ; Paris, L’Harmattan, 1996, p. 52. 344 média d’intervention et d’ingérence à l’échelle de la société. Ecrire, c’est avant tout chercher à communiquer ; à nouer un dialogue avec l’autre, avec l’universel, dans le but sacré, de nourrir la conscience et la morale des peuples. C’est que l’homme se situe au cœur de la création dramatique, ce que relève encore DEVESA à propos des textes de LABOU TANSI : « Les révolte humaine. textes Ils de Sony Labou traduisent la Tansi sont conscience pleins de douloureuse d’un écrivain qui avait la passion de dire le monde alors que celui-ci domine de son énigmatique silence l’individu. »226 A des échelles différentes, cette approche de l’écriture de Sony LABOU TANSI peut justifier, d’une certaine manière, le projet d’écriture de la plupart des écrivains d’Afrique Noire réalités : de façon générale. déculturation, Confrontés acculturation, aux misère mêmes sociale, oppression et répression politique, corruption, incompétence et démission littéraire des pouvoirs africaine se publics, nourrit de etc., tout la cela, production en prenant ancrage dans une culture ; dans une communauté, ce que relève encore DEVESA à propos de LABOU TANSI, dont « les ouvrages se nourrissaient de sa chair et de son appartenance hautement revendiquée à une communauté. Ils étaient profondément, totalement marqués par sa sensibilité. Mais ils avaient dans le même temps l’ambition d’exprimer, de façon inspirée, les mouvements de fond qui soulèvent, périodiquement, la conscience collective du peuple Kongo, des congolais et de toute l’Afrique. La conséquent production de Sony l’affleurement du Labou Tansi désir conjugue individuel par avec l’affirmation d’une perception magique de l’univers considéré comme un ensemble cohérent où tout se tient. Participant d’un 226 - DEVESA Jean Michel : Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte et des rives du Kongo ; Paris, L’Harmattan, 1996, p. 54. 345 surréalisme à l’état sauvage, elle met en œuvre une approche sensible des relations des hommes avec le monde. »227 De ce point de vue, on peut dire que la création littéraire africaine pose dans une large mesure, le problème de la vision du monde telle que Marisa FERRARINI a pu le noter chez Lucien GOLDMANN qui note que « La structuration interne des grandes œuvres de la littérature et de l’art est déterminée par le fait qu’elles expriment au niveau d’une cohérence très poussée les attitudes globales de l’homme devant les problèmes fondamentaux que posent les relations interhumaines et les relations entre l’homme et la nature. »228 Dire la société, écrire sa culture, c’est avoir pied dans l’Histoire. L’écrivain dont le rôle est ainsi établi doit en somme orienter le destin ; le créer, et forcer les hommes à faire face à leur destin. C’est un démiurge, et « par son seul pouvoir d’énonciation (doit viser) à précipiter la « force sacrée » capable de faire redresser ses frères et les aider à retrouver l’harmonie avec la nature et la société. Cette quête essentielle entre l’univers et les hommes exige(ait) une participation active à l’Histoire humaine. »229 C’est que pour les écrivains africains, la littérature ne peut être séparée de la vie. Elle est un instrument de cohésion communautaire, une tribune pour la lutte pour le rétablissement de la dignité de l’homme ; c’est donc la littérature qui pourra permettre aux africains de se remettre debout ; Sony LABOU TANSI ne dit-il pas, ainsi que le rappelle Bernard MAGNIER dans sa Préface aux Poèmes et vents 227 - DEVESA Jean Michel, Op. Cit. p. 54. - FERRARINI Marisa : Antoine Bloyé de Paul Nizan. Analyse sociocritique, Milan, Cooperativa Libraria I.U.L.M, 1988 ; p.24. Elle cite Recherches Dialectiques de Lucien GOLDMANN, p.108 ; paru aux Editions Gallimard en 1959. 229 - DEVESA Jean-Michel, Op. Cit. p. 54. Nous assumons les passages entre parenthèse. 228 346 lisses : « J’écris pour qu’il fasse peur en moi » ; « J’écris ou je crie pour forcer le monde à venir au monde. » L’écriture de Sony LABOU TANSI est donc un cri d’auto affirmation, et bien plus qu’un cri de révolte. C’est un appel à la raison ; une invitation à l’action et au dépassement de soi. Pour lui, les africains doivent aller au fond d’eux-mêmes ; de leur malheur, au fond de leur être martyrisé pour trouver l’étincelle qui les ramènerait à la vie, afin d’aller aussi à la reconquête de leur dignité d’homme libre. Mais cette écriture criée ; ce cri écrit, n’est-ce pas aussi le signe de la vitalité et de la présence au monde des africains, le signe que malgré tout, il reste de l’espoir et la vie qui continue ? Toute la force de l’œuvre de cet auteur trop tôt disparu réside dans cette formidable espérance en un avenir meilleur ; dans transformer ses réagir contre sa foi en faiblesses des l’homme en une situations de pour force sa capacité agissante, rupture à ou collective à ou individuelle ; de fracture sociale. L’œuvre finalement de Sony optimiste LABOU de TANSI l’homme, brille de par cette sa vision capacité à rechercher l’équilibre au milieu du chaos. Mallot Bayenda, héros de Je, soussigné cardiaque, est à l’image de son créateur, qui, tel le moucheron de la fable de MOLIERE, ose se dresser contre la toute puissance du lion, en disant son refus de la médiocrité et de la lâcheté. Il clame sa différence et revendique son humanité devant la puissante machine de la répression politique et économique ; il affirme sa singularité face à un pouvoir et à une élite dévoyés et corrompus à l’extrême, et dont il peut sans crainte prédire la fin, avec la venue au monde de l’homme ; de l’homme vrai et libre. 347 Activité culturelle, la littérature est donc ainsi pour les écrivains d’Afrique, une tribune de revendication ; un exutoire, un moyen par lequel ils peuvent conjurer les peurs et les angoisses engendrées par l’incertitude des lendemains « d’élections », de coups d’Etat ; par l’échec des régimes politiques à parti unique, la mondialisation des échanges économiques et ses « redressements structurels » imposés par les organismes financiers internationaux, etc. Si l’on opère une lecture chronologique de l’écriture théâtrale africaine, on notera que la production qui part des années 1980 à nos jours est parcourue par le thème de la violence. Ceci est rendu dans l’écriture ; chez LABOU TANSI, par la métaphorisation du mal et par la violence verbale qui, d’une certaine manière spécifie la déconstruction même de la société. Analysant les caractères de la violence chez l’auteur de La parenthèse de sang, MAMBENGA-YLAGHOU note : « La violence est d’abord, chez Labou Tansi, une parole qui s’enracine dans le concept « génésial » (forgerie à partir du mot genèse) du mal. Pour s’en guérir, certains personnages chercheraient à briser la coque du mal et à faire exploser les forces de la discorde »230. L’appropriation de la violence dans la construction du langage par les écrivains mène ainsi ces derniers à « restituer la force du mal libéré. »231 L’écriture de l’autodérision dans la comédie, de la violence et de la folie dans la tragédie et le drame sont autant d’actes de posés par les dramaturges africains pour affronter un quotidien où l’espoir n’apparaît plus que comme vaste utopie, mais où cette espérance continue malgré tout de nourrir l’essence de toutes ces tentatives individuelles ou collective d’enfantement de l’être : « Je veux me mettre au monde… », dit Mallot Bayenda, dans La parenthèse de sang. 230 - MAMBENGA-YLAGHOU Frédéric, in SONY LABOU TANSI. Le sens du désordre. Textes recueilli par Jean-Claude BLACHERE ; Centre d’Etude du XXème siècle, Axe francophone et méditerranéen ; Université Paul-Valéry Montpellier III. Montpellier, 2001, p. 123. 231 - Id. 348 Réinventer la société, mettre au monde l’homme nouveau, tel semble le but de cette écriture de la catharsis. 8.2.2- Contexte sociologique et perspectives de création : La création dramatique africaine est, comme pour les autres productions artistiques, très marquée par l’influence de son contexte sociologique. Ne pouvant ni justifier, ni se satisfaire du principe de l’art pour l’art, les écrivains d’Afrique se sentent investis d’une mission fondamentale, celle, non seulement de poursuivre l’œuvre de conservation et de préservation du patrimoine communautaire, mais aussi celle d’être les témoins d’une époque, d’un monde. Du positionnement au cœur de la question des genres, jusqu’à la problématique de la sémiologie du texte dramatique en passant par les questions d’énonciation ou de thématique, le contexte de la création de l’œuvre théâtrale embrasse des domaines aussi vastes que variés. Mais tous ambitionnent, sinon de rechercher les différentes structures possibles de signification, du moins de proposer quelques outils, quelques orientations susceptibles de soutenir l’exercice d’exploration, de compréhension et de saisie du texte. Les particularités peuvent en sociologiques effet constituer et un culturelles obstacle de certain création pour la diffusion et l’accès à la signification des œuvres d’art de manière générale, et des œuvres littéraires en particulier. Le travail de l’écrivain africain est donc très souvent un travail de pédagogie et d’information. Ainsi donc, pour parler de l’œuvre théâtrale d’Afrique Centrale, plusieurs situations contextuelles sont à prendre en compte ; elles sont déterminantes aussi bien des contenus 349 thématiques que des structures formelles de création et de développement. L’histoire politique et culturelle des groupes sociaux ou des Etats ; leur situation économique constituent le socle sur lequel les écrivains bâtissent leurs œuvres. A partir de cet éventail historique, culturel, idéologique ou structurel, l’écrivain construira un discours dont le contenu s’efforcera souvent de refléter au moins un de ces aspects. La création Centrale, à la débarrassée des certains aspects contexte de théâtrale renaissance carcans dans Frédéric littérature négro-africaine la partout en Afrique société, une société certains rétrogrades crise et de de africaine, historique aspire des lequel usages éculés, de coutumes. Parlant du émerge MAMBENGA-YLAGHOU socioculturel (…) la littérature note naît dans particulièrement que un « La contexte oppressif, la colonisation. Il n’est point étonnant qu’elle ait porté ce fardeau comme une caractéristique poignante de son originalité et comme une tentative de libération culturelle et morale. »232 Mais le théâtre d’Afrique Centrale œuvre aussi dans la perspective d’amener au monde une société africaine plus juste, plus humaine, pour que l’homme dans son intégralité, retrouve dignité et intégrité. Il y a ainsi une relation particulière d’identification de l’écrivain à sa société, et à son environnement idéologique. Car, ainsi que l’observe encore MAMBENGA-YLAGHOU en parlant de l’œuvre de LABOU TANSI qui, dit-il, « reflète cette constante thématique de la littérature des peuples opprimés ou des sociétés en crise » ; l’œuvre littéraire est en effet solidaire du contexte des sociétés qui la produisent. 232 - MAMBENGA-YLAGHOU Frédéric, in SONY LABOU TANSI, le sens du désordre. Textes réunis par Jean-Claude BLACHERE ; Centre d’Etude du XX°siècle, Axe francophone et méditerranéen. Université Paul-Valéry, Montpellier III ; Montpellier, 2001, p.114. 350 CAPITRE IX : ENONCIATION THEATRALE ET SEMIOTIQUE. POUR UNE LINGUISTIQUE DE L’ENONCIATION THEATRALE. Pour aborder les questions de l’écriture dans le théâtre africain, nous allons partir de l’étude réalisée par Josette REY-DEBOVE sur la linguistique du signe. En effet, cette étude qui porte sur une approche sémiotique du langage (le titre de l’ouvrage est en soi un condensé du contenu : La linguistique du signe. Une approche sémiotique du langage), offre plusieurs possibilités d’aborder la question des systèmes d’énonciation au théâtre. A partir de ce postulat, nous allons essayer de rechercher la formulation d’un objet linguistique à travers les textes de théâtre de notre corpus. Compte souvent tenu amené d’autres, à pour de l’étendu de privilégier des raisons ce corpus, certains pratique nous titres de serons plutôt lisibilité et que de cohérence. Pour REY-DEBOVE, « La parole ne se présente guère à l’état pur, imbriquée fiction dans nécessaire l’ensemble paralangages, comme calligraphie, la des au linguiste ; systèmes la mimique, rature, les et la signes elle est accompagnée de gestuelle, la mathématiques, l’intertextualité et bien d’autres. »233 De ce point de vue, il apparaît que la parole seule ne suffise pas à exprimer le monde (ou la relation de l’Etre au monde). Elle nécessite le concours de paralangages qui vont la soutenir dans son intention de communication ; de signification. Dans le cadre de notre étude, il s’agit de répondre à la question de savoir comment le choix du langage permet-il de saisir le référentiel vu comme « réel » ou « imaginaire » dans son intension de communiquer 233 ou de signifier. En - REY-DEBOVE Josette : La linguistique du signe. Une approche sémiotique du langage, Paris, Editions Armand Colin, 1998 ; p. 5. 351 d’autres termes, l’écriture théâtrale africaine permet-elle de postuler le monde, ou de le voir tel qu’il est ? Aux questions liées à la problématique de l’écriture, nous voudrions aussi, accessoirement, évoquer la question trop souvent formulée, et qui concerne la littérarité ou non, de certains textes africains. C’est que pour les élites culturelles africaines, essentiellement dans le monde de la critique universitaire, certains ouvrages, s’ils peuvent témoigner d’une volonté certaine de créer, ou de communiquer quelque chose, n’ont que fort peu, caractère littéraire. Car condition nécessaire d’éligibilité « l’usage esthétique du d’après langage » ou lointainement, un ces observateurs, la à la de ces littérarité : œuvres reste problématique. Souvent désignées comme une des « lacunes » premières de ces ouvrages, les registres de langages, jugés peu académiques. Cependant, REY-DEBOVE affirme que « tous les registres sont possibles dans chaque type d’expression. »234 C’est donc que la littérarité d’une œuvre ne saurait être une affaire de niveau de langage, ce que relève bien la linguiste lorsqu’elle aborde la question des contextes de validité de l’opposition oral/écrit. Elle suggère à ce propos que cette opposition « très caricaturale (…) doit se déployer selon quatre types d’expression : l’oral spontané, l’oralisation de l’écrit, l’écrit spontané, la transcription de l’oral. »235 Nous pensons que c’est dans cette perspective de la pluralité de types question, moins littéraire africaine d’intention -, de mais d’expression la – de que peut « littérarité » qui pour celle de nous la être de n’est abordée la création qu’un validité la et procès de la pertinence de son discours ; donc de son contenu, quel que soit son mode d’écriture. C’est donc de l’expressivité du 234 - REY-DEBOVE Josette : La linguistique du signe. Une sémiotique du langage. Paris, Editions Armand Colin, 1998, p. 6 235 - Id. 352 approche théâtre d’Afrique qu’il est intéressant de parler. Car c’est finalement de ce choix que surgit le sens, finalité somme toute définitive du projet d’écriture de chaque auteur. Que se passe-t-il donc au niveau de l’écriture dramatique africaine ? Pour répondre à cette interrogation, il nous faut au préalable nous arrêter sur la question des genres littéraires ; voir si l’on peut spécifier un genre littéraire par le biais de la typologie de ses langages, ou de l’énonciation qui la structure et la manifeste. Car comme l’affirme Pierre LARTHOMAS : « « Parole en action » (…) ; « vertus de toute chose écrite » (…). Le langage dramatique nous parait (…) défini comme il doit l’être, comme un compromis entre deux « langages » ».236 Langage scénique et langage littéraire, le théâtre cristallise une pluralité de codes qui le situent à l’intersection d’une diversité d’expressions artistiques. 9.1 – L’énonciation et la question des genres littéraires : le langage dramatique : Comme il est de coutume dans la littérature, la nécessité de grouper à partir de structures typologiques des formes variées de discours nous amène à nous intéresser à la notion de genre, rapportée au discours théâtral. Cette notion est, ainsi que l’observe Yves STALLONI, un « élément essentiel de la description littéraire. »237 Et pour désigner des typologies particulières, la littérature « s’efforce de classer les œuvres et les sujets en fonction de critères particuliers, 236 237 8. qu’ils soient stylistiques, rhétoriques, - LARTHOMAS Pierre : Le langage dramatique ; Paris, PUF, 1980, p.25. - STALLONI Yves : Les genres littéraires ; Paris, Nathan/HER, 2000, p. 353 thématiques ou autres. »238 La notion de genre présuppose ici une mise à l’intérieur la de norme des catégories objets en les déterminées. répartissant Ainsi, « on à peut remédier au désordre d’une production laissée en vrac » car, « le genre, en tant qu’étiquette de classement, s’impose comme un outil opératoire dans la démarche rationnelle qui consiste à passer de l’imprécis au précis, de l’indéterminé au déterminé, du général au particulier. »239 Dans la mesure où les typologies de discours s’organisent à partir de foyers classificatoires tels que le mode énonciatif, l’intention de communication ou les conditions de production, l’énonciation et la question des genres littéraires, concrètement à ce comme piste niveau, la de réflexion, problématique du posent langage dramatique ; des différentes typologies qui la sous-tendent et la manifestent. En abordant la spécificité des formes dramatiques africaines, nous avons essayé de répondre à la question de la définition de la notion de théâtre. Et selon Jean-Pierre RYNGAERT « Le théâtre se définit parfois comme un genre où « ça parle » beaucoup. Le texte de théâtre est même parfois identifié au dialogue, comme si l’on ne retenait comme texte que la somme des interactions entre des personnages par l’intermédiaire de la parole, avec l’effet de réel qui en découle. »240 Mais nous voulons également saisir les interactions qui s’établissent entre le genre dramatique ; ses modes d’énonciation, et les instances énonciatives en action dans les différents systèmes qui organisent ce langage dramatique particulier, celui de l’Afrique Centrale. 238 - STALLONI Yves, Op. Cit., p. 9. - Id. p. 9. 240 - RYNGAERT Jean-Pierre : Introduction à l’analyse du théâtre ; Paris, Editions Dunod, 1991, p.88. 239 354 En fait, il s’agira souvent de répondre à la question fondamentale de savoir : « Qui est-ce qui parle dans la création dramatique d’Afrique Centrale ; à qui s’adresse-t-il, à travers quelles modalités, quels systèmes ? » Car pour Käte HAMBURGER, dans le genre fictionnel ou mimétique qui « se subdivise en deux sous-catégories, l’épique (ou narratif) et le dramatique, (…) selon le mode d’énonciation rencontré »241, le mode énonciatif suggère le « « je » de l’auteur ou du narrateur (qui) s’efface au profit d’un « je » fictif incarné par le ou les personnages et appelé (…) « je-origine » »242 Pour Käte HAMBURGER, la question des genres littéraires renvoie à la conséquence, question à la des question modes des d’énonciation, instances et assumant en les procédés énonciatifs. Dans le théâtre africain en général, et celui d’Afrique Centrale en particulier, nous avons reconnu et déterminé une fonction sociale. Car, à la question préalablement posée, à savoir « qui parle dans la production dramatique africaine ; à qui s’adresse ce locuteur, mais surtout quels sont les objectifs poursuivis par le discours théâtral africain ? », nous pouvons déduire que ce discours dramatique s’adresse à la société africaine, car au vu de nombreux indices identifiés dans les chapitres concernant les univers sociaux et les faits de société, il est indéniable que le mode dramatique, pris en charge par les personnages, à travers les paramètres de la contextualité marqueurs idéologiques, des donnent écrits ce en tant discours que comme l’expression « réaliste » d’hommes (ou de femmes), dont les préoccupations sont une volonté de prise en compte des phénomènes sociaux, en tant que facteurs de développement et 241 - HAMBURGER Käte, citée par Yves STALLONI ; Les genres littéraires ; Paris, Nathan/HER, 2000, p. 18. 242 - Id., p. 18. 355 d’épanouissement de l’individu ou des communautés, dans leurs milieux d’origine. La critique des mœurs ; la satire politique et sociale dans le théâtre d’Afrique Centrale portent à ce propos la marque des auteurs comme Laurent OWONDO qui, à travers son unique pièce publiée à ce jour ; La folle du Gouverneur, n’a pas seulement satisfait au besoin d’écrire, mais à celui de s’exprimer sur sensibilité un sujet d’homme de qui touche culture, fondamentalement à savoir le à sa devenir de l’Afrique indépendante, à l’orée de l’universalisme. Le théâtre d’Afrique Centrale est aussi l’œuvre de Sony LABOU TANSI, un des auteurs les plus marquants de sa génération, et qui comme OWONDO, s’est attaché à peindre les sociétés africaines dans leurs diversités ; livrées aux mains de pouvoirs perspectives dictatoriaux d’avenir et sanguinaires, apparaissent et réellement dont les incertaines, voire compromises. Il y a aussi Tchicaya U TAM’SI, qui, à travers Le Zulu ; Vwène le Fondateur, ou encore La tragédie du Maréchal Nnikon aborde, Nniku, pour le premier texte, l’épopée dramatique de Chaka le guerrier, unificateur de la nation Zoulou et farouche opposant à la conquête de son pays par les armées posent anglaises. des A côté questions essentiellement aux de ces auteurs douloureuses questions plus dont car les se œuvres rapportant ontologiques, il y a Vincent de Paul NYONDA, Gervais MENDO ZE et Guillaume OYONO MBIA, qui ont pris des sujets d’un caractère plus léger mais non moins important, pour s’attaquer aux mœurs de la société africaine, en y dénonçant les vices et les travers. Dans d’étudier, l’espace il géographique existe une que pléthore nous avons d’auteurs choisi dont la similitude d’écriture avec ceux de notre corpus est évidente. C’est en partie ce qui justifie l’échantillonnage auquel nous avons procédé. 356 Ainsi que nous pouvons l’observer dans sa composition thématique, la dramaturgie africaine, à travers un déploiement de formes et de langages, poursuit des objectifs fondamentalement sociaux. Conscientiser, informer et former sont les maîtres mots de ce théâtre. Pour atteindre ces objectifs, le théâtre d’Afrique Centrale va en effet se développer en une pluralité de formes et d’expression, celles-là même qui contribuent à sa vivacité, à sa spécificité et à sa richesse. Il mêle souvent le texte au chant ; à la musique et à la danse. Mais il arrive très souvent que le conte ou la fable participent aussi de la mise en scène du théâtre africain. Ce mélange de genre participe de la dimension plurielle du théâtre africain, le rendant, par rapport au public ; plus proche d’une scène de vie quotidienne. C’est sans doute le reflet d’une volonté affichée des auteurs de coller au plus près des réalités sociales des populations. Car dans cette Afrique actuelle où se croisent traditions et modernité, les codes nouveaux de la création artistique puisent eux aussi aux sources de ces deux univers. Le chant, la danse, ainsi que la musique, peuvent dès lors intégrer le monde de la dramaturgie au même titre qu’ils font partie intégrante des instruments de la communication sociale. Ils sont porteurs de messages, ils traduisent et manifestent des émotions ; ils traduisent des affects à travers lesquels l’individu se construit. Parler des langages dramatiques dans le théâtre africain, c’est faire référence à la double identité de cet art en tant qu’il est texte, et effets de régie. En effet, si la dramaturgie africaine s’est longtemps tenue en marge des phénomènes de composition classiques, elle s’est cependant toujours tenue à un facteur non négligeable qui fait du langage dramatique, une structure englobant l’ensemble des paralangages liés à la pratique de la scène à travers les 357 échanges scéniques, les indications de régie, les didascalies, les mimiques, la gestuelle, les décors, etc. L’existence ou non des deux aspects du théâtre ; écrit et non écrit en Afrique tend à démontrer que le théâtre, art de l’instant et de l’éphémère, peut se passer de l’écrit, mais non de la scène. En terme de langages dramatiques, n’est-il pas plus adapté d’en parler en terme de modalités, lorsque de nos jours, on note, comme le souligne Yves STALLONI que : « Avec l’apparition du théâtre moderne, le discours théâtral se voit concurrencé par les marques de la représentation : occupation de l’espace, décors, accessoires, mimiques, etc. La « mise en scène » (et l’expression doit être entendue au sens fort) devient importante jusqu’à, parfois, éclipser le texte. »243 ? Car les langages dramatiques ne se limitent ni au texte, ni même aux seuls échanges entre les comédiens (les acteurs) ; à leurs mouvements et à leur occupation de l’espace scénique. Les langages dramatiques ce sont aussi, ainsi que le souligne le béninois Sénouvo Agbota ZINSOU dans son intervention au colloque sur le théâtre africain tenu en 1988 à Bamako : « le chant, la musique, la danse, etc. »244, qui font de ce type de représentation un spectacle total. Celui-ci s’exprime également par le biais des costumes, des maquillages, ainsi que par l’entremise des types de personnages qui constituent en eux-mêmes un langage, car, dans le cas d’un personnage comme le « boy » (homme à tout faire au service de bourgeois aux mœurs douteuses), « s’il porte généralement une culotte déchirée, sale, par-dessus un pantalon propre, bien repassé… (…) cela signifie que malgré son apparence de saleté, il est 243 - STALLONI Yves : Les genres littéraires ; Paris, Nathan/HER, 2000, p.28. 244 - ZINSOU Sénouvo Agbota : Commentaire fait après la projection d’un Concert-Party ; THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Actes du colloque sur le théâtre africain. Ecole Normale Supérieure Bamako, 14-18 novembre 1988. P. 70. 358 propre au-dedans… »245. Comme on le voit, le langage dramatique n’est donc pas exclusivement le fait de la parole, mais aussi de tout ce qui contribue à l’expression des contenus et des signifiants. Ces types culturelles de de bon spectacles nombre sont de passés communautés dans les mœurs d’Afrique, ces phénomènes de pièces télévisées (appelé aussi téléthéâtre) et du théâtre audiophonique dont le principal représentant reste à ce jour, malgré son décès prématuré il y a quelques années, le camerounais Jean Miché KANKAN, et dans une certaine mesure, son compatriote Daniel NDO dit OTSAMA MBORE BIKIE, ont dépassé le cadre exclusif des grandes villes africaines pour se déporter au plus profond des campagnes. Au Gabon, dans le domaine du théâtre audiovisuel, ce sont les jeunes DIBAKOU et MAROKOU qui, à la suite de la disparition tragique du précurseur en la matière que fut le talentueux KOMBILA DEKONBEL (de son vrai nom OBAME Marcel), tiennent le haut du pavé. Ces phénomènes nouveaux sont à rapprocher des actuellement spectacles en Europe. de « One En man Afrique show » à Centrale, la ce mode mode d’expression dramatique a peu à peu pris la place de la représentation théâtrale au sens classique du terme. Pour plusieurs raisons en effet, on a vu fleurir d’abord par le canal de la télévision, cette nouvelle expression théâtrale. Sortant des représentations studios des nouvelles télévisions investissent nationales, peu à peu ces des structures plus ou moins équipées pour accueillir ces types de spectacles. C’est ainsi qu’on peut les retrouver dans des soirées privées, dans des fêtes de baptême, de mariage, de naissance ou même à l’occasion des cérémonies très particulières comme les fêtes officielles ou les retraits de deuil, qui sont en Afrique, certains des moments les plus solennels de la vie des familles ou des communautés. 245 - ZINSOU Sénouvo Agbota, Op. Cit. P. 70-71. 359 9.1.1 – Le théâtre : genre littéraire ou mode d’énonciation ? Comme nous l’avons observé en préambule à ce travail, donner une définition de la notion de théâtre n’a pas toujours été chose aisée. Relevant à la fois de l’écrit et de la scène, le théâtre se constitue à travers l’un et l’autre de ces modes d’expression et de figuration. Ils sont résolument indissociables à cet art, ce que suggère MarieClaude HUBERT dans Le théâtre, où elle se propose dans le chapitre premier de l’ouvrage, de « montrer (…) qu’en fait le jeu qui se réalise dans la représentation est inscrit au cœur même de l’écriture et la préforme. »246 C’est donc que le théâtre ressort est en même dans cette d’interdépendance temps vision entre Pourtant cette relation univoque dans ce immédiatement la fonctionnement de écriture du et théâtre, l’écriture et présente un sens que la et troupes une Il relation représentation. caractère l’écriture représentation, certaines représentation. parfois n’induit pas vice-versa. Le populaires africaines corrobore cet état de fait, ainsi que nous l’avons montré plus avant. Dans une perspective d’analyse de l’objet théâtre, il est nécessaire d’expression de de distinguer celui-ci. les C’est deux que systèmes la scène, ou ou modes plus précisément la mise en scène, et l’écriture rendent compte de deux univers bien spécifiques. Si la mise en scène rend visible et vivante ce que l’écrit suggère et garde à l’état latent, c’est que dans une relation d’implication, l’existence de l’une de ces formes 246 - HUBERT Marie-Claude : Le théâtre ; Paris, Editions Armand Colin, 1988, p. 7. 360 constitutives, présuppose l’existence de l’autre, sans en être une condition absolue. Vu sous son aspect matériel ; livresque c'est-à-dire écrit, le théâtre appartient à la catégorie des genres littéraires. Il entre en effet dans cette catégorie par le fait qu’il a été pensé et conçu à travers des normes et des canevas répondant aux critères de la littérature, de l’édition et de la distribution (la question de l’oral et de l’écrit n’entrant pas en ligne de compte ici, car comme nous l’avons vu avec Josette REY-DEBOVE, cette opposition n’a que peu d’incidence dans la perspective où l’objectif fondamental du langage est l’expression et la communication.). Mais le théâtre c’est aussi la représentation ; la mise en mouvement d’un processus suspendu, en attente de prendre forme, avec ce qu’elle implique de modes opératoires, qui rendent tangibles et manifestes les contenus graphiques. Du strict point de vue de l’écrit, le théâtre se donne comme un genre littéraire qui s’exprime selon le mode d’énonciation que nous désignons comme relevant aussi bien de la fiction que de la mimétique. Car selon Yves STALLONI, « Les moyens mis en œuvre au théâtre « imitent tous les genres en train d’agir et de réaliser quelque chose », et l’art dramatique exprime cette mimésis par une énonciation à la première personne ». En donnant l’énonciation à la première personne comme critère de détermination du genre dramatique, elle parait, selon notre observation, se définir plus comme mode d’énonciation que comme genre littéraire, d’autant que comme l’affirme Anne UBERSFELD, « le théâtre n’est pas scénique. » un 247 genre littéraire. Il est une pratique C’est que malgré tout, le théâtre est obligé de passer par le support de l’écriture, donc de la littérature et de ses codes, pour envisager 247 son existence, et se - UBERSFELD Anne : Lire le théâtre II, L’Ecole du spectateur. Paris, Belin 1996, p. 9. 361 manifester ensuite au travers de la représentation qui est son véritable objet ; son but en définitive. De même, structurent nouveaux la que au sein de dramaturgie sont le la diversité africaine théâtre de formes actuelle, télévisuel ou les le qui genres théâtre audiophonique, échappent encore, eux aussi, aux principes de l’écriture ; l’improvisation y tient une part importante, comme il a souvent été d’usage dans les formes les plus anciennes et les plus classiques du théâtre. Toutefois, le respect d’un canevas précis des rôles oriente plus ou moins les acteurs dans l’interprétation de leurs personnages. 9.1.2- Les formes de la dramaturgie africaine : A l’instar l’écriture de théâtrale la poésie africaine dramatique se manifeste occidentale, sous diverses formes, dont la comédie (sous ses différentes catégories) et la tragédie, constituent les plus représentatives. Ces formes répondent chacune à un projet d’écriture spécifique, mais surtout à la nature du sujet abordé. Comme pour le théâtre occidental, la question des formes de la dramaturgie africaine représente depuis quelques décennies, une des préoccupations majeures au sein des unités de recherches universitaires. En effet, avec l’avènement de la nouvelle génération de dramaturges comme Tchicaya U TAM’SI, Sony LABOU TANSI, Laurent OWONDO, etc., les questions ayant trait à l’écriture du théâtre en Afrique ont peu à peu, revêtu une importance certaine. Car si le roman reste le genre le plus étudié, donc le mieux connu, le théâtre, quoique très répandu, n’a que fort peu fait l’objet d’un examen théorique. Dès lors, le point de vue de la poétique est essentiel pour ancrer le théâtre africain, tant au sein de la sphère critique universitaire, que dans le domaine des 362 études secondaire. Il s’agit ici d’amener un autre regard sur les formes théâtrales. En effet, selon Gérard GENETTE, la poétique, « théorie générale des formes littéraires » et « exploration des divers possibles du discours », permet d’interroger la littérature dans ses choix, ses constantes, et dans sa combinatoire. C’est de cette poétique que surgit le sens. Ayant établi le théâtre comme art appartenant moins au genre littéraire (dont toutefois il participe sans en être la finalité), et spécifique par plus comme un mode les codes qui le d’expression régentent, artistique nous pouvons aborder la question des formes de la dramaturgie africaine, en tant qu’elle obéit à deux ordres structurels fondamentaux. Dans plusieurs le cas types de de l’Afrique en dramaturgies effet, rappelons coexistent. Il que s’agit notamment des formes dites traditionnelles, et des formes dites modernes dont l’inspiration est, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, d’origine occidentale. Le théâtre traditionnel ; celui qui se pratique encore aujourd’hui en majorité dans ses formes majeures, au sein des communautés l’écrit, rurales, donc aux échappe exigences souvent des à codes la de contrainte la de littérature. L’Ozila chez les peuples Fang du Gabon, du Cameroun ou de Guinée Equatoriale ; le Kotéba chez les Bambara du Mali et de Côte-D’Ivoire, ou l’Engungun chez les Yorouba du Nigéria et du Bénin illustrent à la perfection ces formes de dramaturgies traditionnelles où la présence du texte écrit reste un phénomène marginal, voire inconnu. Toutefois, sans être un média obligatoire ; une condition sine qua non, les processus l’œuvre d’écriture théâtrale ont cependant traditionnelle investi africaine. le champ Celle-ci a de dû parfois en effet, se soumettre aux contraintes de l’écriture (ainsi qu’à des procédés d’enregistrements télévisuels ou radiophoniques). On note à cet effet que ces adaptations, qui 363 sont plus souvent des transcriptions, ont pour but d’assurer la pérennisation, mais surtout la conservation et la diffusion de ces textes particuliers au sein d’un public plus large et plus varié. Parler des formes de la dramaturgie africaine, c’est donner un aperçu de ce que Gérard GENETTE désigne comme des « catégories littéraires », désignation qui, pour le théâtre englobe à la fois une écriture ; celle du théâtre, obéissant à des codes particuliers ; et celle du genre, c’est-à-dire une désignation qui donne un texte spécifique comme étant une tragédie, une comédie, un drame, etc. Il s’agit pour nous de voir si la notion de type, ou celle de forme répond à un objectif quelconque, ou si les formes donné de la comme établir dramaturgie universel. une africaine En potentielle d’autres motivation procèdent termes, des d’un nous choix modèle voulons génériques adoptés par les auteurs d’Afrique Centrale en particulier, en observant aussi bien l’orientation formelle, que celle des contenus (signifiés) et des contextes de création. D’une façon générale, on peut dire dans un premier temps, que la dramaturgie africaine s’inscrit dans la droite ligne des formes dramatique. On y canoniques qui définissent rencontre les trois le grandes genre formes génériques que sont : la tragédie, le drame et la comédie (et des différentes formes qui en dérivent). Si cette dernière a rencontré plus d’engouement du point de vue des créateurs comme du côté du public, c’est qu’elle constitue sans nul doute, le genre le mieux adapté à la tradition du jeu africain. Ici, le jeu a vocation tant à divertir, à instruire qu’à stigmatiser. C’est le rôle principalement joué par les textes de NYONDA, de OYONO MBIA et de MENDO ZE, dont la tonalité, légère, n’en pose pas moins des questions essentielles, relatives africains au monde nouveau. 364 à la relation des Et comme le veut la tradition moderne du théâtre, les autres formes traitent aussi de été que sont sujets abordés le plus par drame et sérieux ; les la plus auteurs tragédie, graves, africains. et ont La qui elles mort de Guykafi, Le combat de MBOMBI de NYONDA ; Le Zulu de Tchicaya U TAM’SI, mais aussi l’essentiel des pièces de Sony LABOU TANSI, sont à classer dans ces deux catégories. A côté de ces grandes formes génériques, existent d’autres, plus ou moins spontanées, qui se caractérisent par leurs modes de création et de représentation. Ce sont essentiellement les formes que nous avons déterminées comme nouvelles, et qui utilisent la radio, la télévision ou des supports comme la vidéo, ou les systèmes audiophoniques (cassettes à bande magnétique) et depuis quelques années, les réseaux Internet pour se diffuser et s’exprimer. Les sujets représentés ici sont plus souvent de l’ordre de la parodie, la comédie de mœurs, ou de caractères, ou encore de la farce. Ces formes dramatiques, proches des « One man show » télévisés du paysage audiovisuel occidental, s’en distinguent pourtant par le fait qu’elles sont plus brèves et peuvent faire se plusieurs succéder pièces au cours traitant d’une de thèmes même représentation, différents. Souvent conçues comme de véritables pièces de théâtre, avec plusieurs personnages, ces représentions sont parfois entrecoupées par des intermèdes de chants, de musique et de danses. Elles sont généralement interprétées par plusieurs acteurs, et l’influence du public y est notable. Ces créations sont en Afrique Centrale, ce que sont les Concert-Parties en Afrique de l’Ouest. Au niveau thématique ; ils partent du vaudeville à la farce bouffonne des siècles passés en Occident. Le modèle français a sans doute contribué à donner une nouvelle impulsion à une thématique qui avait déjà cours dans les traditions populaires africaines. 365 Si les lieux de « représentation » sont quasi identiques avec le One man show ; studio de radio ou de télévision, les nouvelles dramaturgies africaines vont s’en distinguer car représentation elles le peuvent décor avoir naturel d’un comme cadre village, celui de d’un quartier d’une ville, ou même des espaces aussi populaires et ouverts comme des débits de boissons. Une pièce comme La fille du bar de Jean Miché KANKAN se déroule effectivement, dans une de ses versions, dans un bar africain, où les spectateurs sont aussi bien des consommateurs, des gens de passage, que des représentation. personnes Le thème préalablement mis en scène informées servant de la souvent de prétexte dans le choix du lieu de la représentation. Ces nouvelles quelque formes sorte dramaturgiques l’espace de vie africaines dans sa postulent totalité comme en un espace scénique. Par ailleurs, pour parler des modes de figuration et de représentation de ces dramaturgies africaines nouvelles, on note qu’elles peuvent avoir comme support, non pas toujours l’écrit ; en terme de production littéraire (édition, publication, distribution etc.), mais les moyens techniques de la télévision et des ondes hertziennes de la radio, où ces formes nouvelles peuvent simplement s’écouter à travers des bandes magnétiques audio (cassettes audio), ou bien se visualiser à travers les systèmes de vidéo cassettes ou de compacts disques. dramaturgiques Il faut africaines dire que ces ont largement nouvelles formes bénéficié des nouvelles technologies de communication pour s’épanouir et pour se diffuser. Dans ce sens, les langages dramatiques sont, en somme, de notre point de vue, constitués de l’ensemble des différents modes de figuration à partir desquels l’activité théâtrale se matérialise. Ils tiennent autant des formes que des structures qui construisent la création dramatique. On 366 peut parler ici du caractère interartistique du théâtre et de son intermédialité qui, selon PAVIS, résident, pour l’interartistique, « dans l’art d’utiliser au mieux ce que chaque art apporte d’unique tout en lui opposant une autre manière de signifier ou de représenter. L’incompatibilité ou la différence produit un effet de perspective qui oblige à reconsidérer chaque art et à le penser dans son rapport à l’autre. »248 C’est dans cette optique que les pratiques culturelles relevant d’une certaine esthétique et participant de la mise en scène peuvent enrichir la mise en scène théâtrale. Ainsi que l’on peut aujourd’hui l’observé, le théâtre africain est un art pluridisciplinaire, car il peut quelquefois combiner des méthodes et techniques propres à d’autres formes artistiques, pour rendre lisible une scène ou une séquence définitoire représentation. l’action en La des focalisation elle-même sur des situations des de éclairages, séquences qui vie en celle de donnent par exemple une femme décortiquant des arachides, une autre qui pile des feuilles de manioc ; dans les pièces de OYONO MBIA, une femme entonnant un chant et esquissant des pas de danse, un homme en train de construire un panier, etc., seront, dans la mise en scène, autant de signes de la relation du théâtre et de la séquence filmique (les didascalies peuvent témoigner de cette relation). artistiques théâtre ; et Tous ces témoignent de son faits de relèvent de pratiques l’interdisciplinarité intermédialité. Car pour du PAVIS, l’intermédialité impose « sa volonté de ne pas limiter les échanges aux l’évolution arts des et médias aux spectacles, apparus à mais différents d’observer moments de l’Histoire ainsi que leur impact les uns sur les autres, et, 248 - PAVIS Patrice : Vers une théorie de la pratique théâtrale. Voix et images de la scène ; Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000, p.13. 367 par ricochet, sur l’œuvre d’art. »249 C’est que, de nos jours, d’un côté, le théâtre a évolué en empruntant des techniques développées pour d’autres médias et favorisé en même temps la diffusion du théâtre. Mais d’un autre côté, les médias ont favorisé l’éclosion de formes théâtrales nouvelles. Le théâtre télévisuel ou le théâtre radiophonique ont en effet pris leur essor par l’intermédiaire de ces dits médias. C’est dans cette même perspective que l’on peut saisir la notion d’interartistique telle qu’elle est suggérée par Patrice PAVIS. Tout l’acteur, entière médiatisée l’écriture subjectivité ; « le par dramatique texte la se dramatique voix et le défend ne jeu de de toute s’exprime qu’à travers le discours de ses personnages. »250 Cette vision de l’écriture dramatique nous amène à nous intéresser au discours théâtral en tant qu’il est constitué d’un ensemble de structures formelles pouvant permettre de construire une typologie du discours théâtral, en particulier celui de l’Afrique, et singulièrement à partir de notre corpus. 9.2- Typologie du discours théâtral ; actes de langage/ actes de parole : Le théâtre, comme tout phénomène artistique et culturel, se manifeste à travers un ensemble de structures discursives qui lui permettent de s’exprimer ; de signifier une réalité ; un monde, et en même temps de se spécifier par rapport aux autres formes de création et de représentation culturelles. 249 - PAVIS Patrice ; Op. Cit. p. 13. - HUBERT Marie-Claude : Le théâtre ; Paris, Editions Armand Colin, 1988, p.7. 250 368 De ce point de vue, pour le texte africain (dont ; rappelons-le, l’objet premier est de provoquer une réaction), on peut postuler une typologie du discours théâtral, en établissant notamment une taxinomie des échanges scéniques, et en recherchant la valeur performative de ce discours. Pour ce faire il nous fonctionnement du faut avant système tout comprendre d’énonciation le en mode œuvre de dans l’écriture dramatique. C’est en étudiant les propriétés de la communication verbale que nous pouvons dire en quoi consiste le système d’énonciation dans l’œuvre dramatique. Et pour KERBRAT-ORECCHIONI, certaines autres le discours formes théâtral, de messages au contraire verbaux, de est difficilement concevable comme un message verbal symétrique, en dépit du fait que le public pouvait « ‘’répondre’’ par certains comportements verbaux ou mimo-gestuels »251. Cependant, dans cet espace linguistique et culturel formé par le Gabon, le Cameroun et le Congo, le langage théâtral revêt des propriétés symétriques par le fait même de postuler la parole comme élément déclencheur de la réaction potentiellement observable du côté des populations. C’est alors l’instant initiant l’action, donc d’une certaine forme de réponse, même si cette réponse utilise des codes différents du code oral. Il y effectivement action dans le cas des mises en scène destinées à promouvoir certaines attitudes, certains comportements sociaux, aptes à infléchir les dérives ou les immobilismes observés dans la société, et qui constituent les thèmes servant de prétexte à ces mises en scène. Bien que d’expression francophone, le langage du personnage dramatique de cet espace présente les marques de son ancrage géographique, social, 251 historique, culturel et - KERBRAT-ORECCHIONI Catherine: L’Enonciation; Paris, Armand Colin, 2002, p. 24. 369 par-dessus tout idéologique, dès lors que le théâtre a vocation dans ces milieux à transformer la société. D’un point de vue formel, on peut dire, pour les textes qui structurent notre corpus, qu’ils obéissent globalement à une composition libre, dégagée de toute entrave normative telle qu’elle a pu exister en d’autres lieux et en d’autres temps, et où la versification, ou d’autres exigences et règles formelles liées soit à la métrique ou à la prosodie, soit à d’autres phénomènes stylistiques ou rhétoriques, ont pu constitué un frein au développement et à l’épanouissement de la création artistique comme cela fut le cas en France par exemple, où l’on s’est battu pour libérer la littérature du carcan des règles du classicisme. Nous pouvons dire, pour revenir à notre propos, que le théâtre africain s’est fort peu préoccupé des questions liées à l’académisme qui a pu, à une certaine époque, encadrer, à certains points, la création littéraire et artistique en occident, et singulièrement en Europe. Sans toutefois déroger aux structures et aux conditions de profération spécifiques du genre - Jean MILLY note à ce sujet que ces particulières : textes absence ou sont « régis rareté de par conventions l’élément narratif, découpage du texte en répliques, tableaux, scènes, actes, importance des didascalies (ou instructions de l’auteur portant sur le décor, les costumes, les gestes, la façon de se proférer le texte), contraintes imposées par une représentation en direct, par le fait que le texte doit être parlé et joué. Ils sont construits sur un double système de communication : la communication entre les personnages qui se parlent sur la scène et la communication, extérieure à la fiction, entre la scène et la salle. »252 - la dramaturgie africaine éclate en effet son 252 discours à travers de - MILLY Jean : Poétique des textes ; Paris, Nathan Editions, 2001, p.32-33. 370 régulières incursions dans des domaines littéraires aussi variés que spécifiques, à l’exemple du conte, du proverbe, de la devinette, ou toute autre forme narrative plus ou moins brève, et dont le rôle est d’amplifier, d’expliciter ; de donner plus de corps à l’action ou à l’histoire. Dans sa forme ordinaire, une pièce de théâtre peut se définir comme une succession de dialogues. Avec le dialogue, le monologue est une des structures discursives majeures du texte de théâtre. Et « Quand on observe la spécificité du discours théâtral, il (…) semble que ce qui saute aux yeux, c’est une géométrie dramaturgie réside de présences d’ailleurs apparitions/disparitions, des et dans d’absences. le croisements, des dosage La des évitements, des confrontations. »253 C’est donc que le discours théâtral est fortement tributaire du personnage, mais plus encore de l’action, car c’est à travers ces deux éléments fondamentaux que le discours théâtral se mue en actes de langage. Il est action en même temps que production de sens. Mallot Bayenda, dans Je, soussigné cardiaque de Sony LABOU TANSI d’exister jamais sur eu métaphysique. déclare : « Je commande. lieu, Je je suis, casse J’ai voulu, l’invente. je reste, le je néant ; veux. J’exige je meurs je refuse L’homme une n’a viande debout. (…) J’annule le mal et le bien d’un petit geste du pouce. Là ! Je renverse le ciel à coups de pied. Là ! » Ou encore plus loin : « J’écrase la merde. (…) J’écrase Perono, Ebara et les autres hommes à haute tension (…). Là ! J’arrive jusqu’à moi (…) J’accouche présent, j’ai accouché de ce moi métaphysique qui bouscule ma viande et mes os. (…) Je meurs aller et retour (…) Je piétine la cour et la loi. J’électrise ma chair de cette fougue de respirer. J’aggrave tous les bruits de ma 253 - ADAM Jean-Michel : Langue et littérature ; Paris, Editions Hachette, 1991, p. 193. 371 viande indocile, j’élargis mon sang, j’élargis mes os. »254 Nous avons ici un discours qui transcende le seul domaine de l’énoncé perlocutoire ; il prend en effet une valeur illocutoire en ce sens que Mallot pose véritablement un acte performatif (en plus du fait que la parole théâtrale est, en elle-même un acte de langage performatif : elle est action); il agit en s’opposant à la rigidité du système politique qui semble le condamner l’inexistence, forme au silence et à de non-vie dans la résignation ; laquelle le à système semble avoir condamné la population du Lébango. Les énoncés ici produits prennent la valeur d’actes de langage. A travers un relevé des verbes tels que « annuler », « casser », « renverser », « écraser », « élargir »255, « électriser », « aggraver », « piétiner », nous pouvons envisager la valeur performative des énoncés produits par le personnage de Mallot. Ils sont autant d’actes de paroles que de moment d’action dans le déroulement de l’intrigue ; de l’histoire. C’est en proférant ces énoncés ; ces actes de langage, que le personnage accompli les actions contenus dans le fait de dire. C’est par la production et l’usage conventionnel des énoncés performatifs que le personnage agit et influe véritablement sur le monde. De ces actes de langage vont généralement dépendre les différentes clôtures séquentielles internes du texte, car les énoncés performatifs sont en eux-mêmes l’accomplissement d’un acte qui appelle, selon la situation, une réaction du co-énonciateur. 254 - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, pp. 80 et 81. 255 - LABOU TANSI Sony, Id. 372 9.2.1- Les formes de ce discours : typologie des échanges scéniques : La problématique de l’énonciation dans la dramaturgie d’Afrique Centrale s’intéresse à des questions spécifiques à la matière et à la musicalité des textes. La question des types de paroles dans ce théâtre concerne aussi, de façon plus générale, les points de transition de l’oralité vers l’écriture, mais elle s’intéresse aussi à des faits et à des contenus d’expressions Au-delà des formelles questions des cultures classiques d’écritures. d’énonciation telles qu’elles peuvent être abordées par des spécialistes de la linguistique du texte (ou de la phrase), la problématique de l’écriture dans le texte de théâtre d’Afrique se pose, dans un premier temps en terme de spécificité, ou en terme de singularisation effet lieu à des des formes codes verbales. Celles-ci spécifiques donnent d’utilisation et en de répartition des paroles entre les locuteurs, mais on devra aussi déterminer s’il s’agit de vers ou de prose ; d’un langage formalisé ou d’une langue naturelle, afin de répondre à la question des formes. D’un autre point de vue, la problématique des formes du discours théâtral africain aborde aussi des phénomènes propres de la communication, en ce sens que le théâtre est vécu pour vecteur beaucoup favorisant communautés. ramenant à elle-même Denis la vue d’africains des comme échanges BERTRAND un dynamiques décrit ces au sein phénomènes problématique de comme sédimentation « la instrument ; l’énonciation, des en qui un des les serait structures signifiantes, résultant de l’histoire, (qui) détermine tout acte de langage ». Citant Sémiotique et communication sociale de A. J. GREIMAS, l’énonciation régit BERTRAND note l’énonciation que « L’impersonnel individuelle et de celle-ci parfois s’érige contre lui. La parole, « idéalement libre, 373 (…) se fige et se gèle à l’usage, donnant naissance par des redondances et des amalgames successifs, à des configurations discursives et des stéréotypies lexicales qui peuvent être interprétées comme autant de formes de « socialisation » du langage. »256 En partant de ce point de vue, on observe que la création théâtrale africaine intègre certaines configurations discursives qui constituent au fil des textes, et selon la thématique, des personnages et types rendus d’autres lisibles systèmes en à travers relation les avec la situation d’énonciation ; avec ce qu’il serait commode de désigner comme l’élément déclanchant le processus d’échange ; de communication. C’est une communication en situation, et profondément marquée par l’époque, le milieu, et surtout par un certain patrimoine culturel avec lequel il peut toujours, soit se démarquer, soit s’identifier. C’est que, en observant la transition qui s’effectue de la conception (imagination ; pensée) vers l’écriture (concrétisation), on peut mettre en évidence des structures sous-jacentes, où certaines constantes formelles construisant l’ossature d’une dramaturgie riche de la diversité et de la variabilité de ses types de paroles ; de ses échanges scéniques et de ses discours. Ici, « la répétition et la redondance, assonances, les jeux refrains, phoniques, rimes et l’allitération, autres échos les phoniques et sémantiques, parallélismes lexicaux et grammaticaux, couples de sens, la rythmisation par le geste et par le mouvement de la bouche et le culte de la métaphore »257, qualifient un système d’énonciation qui donne au langage du corps, à l’action une intensité, une force et une valeur énonciatives. Le théâtre de MENDO ZE est remarquable à ce propos par un usage récurrent de la construction en abyme. Le théâtre chez 256 - BERTRAND Denis : Précis de sémiotique littéraire ; Paris, Nathan Université, Collection fac. Linguistique, 2000, p.56. 257 - NGAL Georges : Création et rupture en littérature africaine ; Paris, L’Harmattan, 1994, p. 23. 374 cet universitaire camerounais porte bel et bien l’empreinte du discours de type conversationnel. En effet, le personnage du conteur Ndondoo, que l’on rencontre dans au moins deux de ses pièces, est celui qui donne à lire la marque de l’oralité propre aux espaces traditionnels des peuples Fang. L’abondance de proverbes, d’énigmes, de chants ou de contes dans un texte de théâtre signe l’imprégnation par des usages conversationnels, de cet espace artistique. On remarquera dans un premier temps que la forme dominante dans le théâtre africain est la prose, forme qui semble le mieux restituer l’esthétique africaine des arts de la scène. Au niveau des langages, langue naturelle et langage formalisé cohabitent souvent dans la production, au gré des projets de chaque auteur. Mais d’un autre côté, lorsque l’on a pu noter l’absence d’un langage verbal, cela n’a pas été synonyme d’absence d’expression ou de non-langage. L’expérience de la troupe du Théâtre du Silence créée à Libreville au Gabon dans les années 70 à 80, a fort justement exploité les procédés du langage corporel en lui affectant une valeur expressive déterminante. Comme l’indique son nom, le Théâtre du Silence avait voulu montrer la force suggestive de la gestuelle dans la construction de l’image signifiante. D’un autre point de vue, le discours théâtral semble, comme le décrit Michel ISSACHAROFF, investit d’un double statut. D’un côté il est le fait de l’auteur ; celui-ci prête aux comédiens des propos qu’il a lui-même rédigés ; les comédiens en sont les porte-parole, car l’auteur « emprunte une voie de transmission différée, puisqu’il ne saurait communiquer en direct, mais ce canal est à la fois instable et imprévisible : les porte-parole ne resteront pas les mêmes, rien ne garantit leur énonciation, leur élocution. »258 258 - ISSACHAROFF Michael : Le spectacle du discours ; Paris, José Corti, 1985, p. 17. 375 C’est donc que d’un côté, les textes de théâtre reflètent la pensée de leurs auteurs à un moment donné de leur existence autre point intellectuelle, de vue, mais ils sont indépendamment aussi, de d’un l’auteur, l’expression ; la manifestation d’un « ailleurs » qui prend forme dans l’écriture, mais surtout dans la représentation. Plus concrètement, le discours théâtral qui se présente sous la forme d’un échange de répliques entre des personnages peut aussi se réduire à un monologue. C’est que dialogues et monologues constituent les formes essentielles du discours théâtral. Dans tous les cas, dit Michel PRUNER, le discours théâtral « est travers les discours de sous-tendu propos des l’auteur, par une double personnages qui se s’adresse énonciation : fait au entendre public par à le leur intermédiaire. »259 C’est donc que, à travers les échanges entre les personnages, c’est l’auteur qui s’exprime. Une approche pragmatique du discours théâtral permettra alors de d’échanges saisir en le fonctionnement présence dans le des texte, de différents types déterminer quel usage spécifique tel auteur fait de telle ou telle forme de discours. Ici, les mots, les tournures langagières ; la création et la construction de syntagmes s’associent dans une intension ludique ou poétique. D’abord concernant le dialogue, on peut dire de façon globale, que le théâtre africain concède à celui-ci sa valeur universelle. L’écriture dramatique africaine ne s’écarte pas de l’usage conventionnel des formes dialogiques. Fondement de la pratique théâtrale, c’est à l’intérieur des séquences de dialogue que les tournures langagières spécifiques et les constructions personnelles de l’auteur inscrivent le texte dans son espace culturel et social ; c’est là que le texte acquière une valeur ludique ou esthétique. 259 - PRUNER Michel : L’analyse du texte Dunod, 1998, Collection Les Topos, p. 91. 376 de théâtre ; Paris, Edition Le dialogue reste donc dans son acception générale, un échange de paroles entre deux interlocuteurs ; au théâtre, entre deux personnages. Comme forme privilégiée, le dialogue est motivé par relationnelle la qui position régit sociale les et la structure personnages. Il existe à l’intérieur de cette forme, des sous catégories, elles aussi constitutives de la catégorie dialogue ; il s’agit notamment du faux dialogue, très présent dans la dramaturgie classique, où « le héros parle à un confident qui n’est là que pour l’écouter et relancer le discours sans apporter le moindre point de personnel. »260 vue Avec le faux dialogue, la typologie des échanges scéniques comprend également le duo, sous-tendu par personnages. Pour reconnaissable dialogues le à lyrisme sa la croisés part, des le complexité ou sentiments type de dit sa d’interventions du entre deux polylogue est structure, faite collectives. de L’autre sous-catégorie déterminante du dialogue est le type dit de la conversation, « Dans le que Michel dialogue PRUNER présente théâtral, comme l’échange il des suit : répliques constitue la plupart du temps un ensemble équilibré, chaque personnage intervenant tour à tour selon un enchaînement qui tente de reproduire la vivacité et parfois la familiarité d’une conversation devient (…) Lorsque particulièrement se rapide. fait On plus parle agressif, alors il de stichomythie, pour désigner un dialogue composé de répliques très brèves (vers à vers, ou même hémistiche à hémistiche), qui prend souvent la forme d’un affrontement verbal (…) Quand un déséquilibre s’installe dans l’échange, parce qu’un personnage se lance dans de longues répliques, on a affaire à une tirade »261. Ces types d’échanges scéniques sont souvent déterminés par le genre ou par la tonalité du texte. 260 - PRUNER Michel : L’Analyse du texte de théâtre ; Paris, Dunod, 1998, p. 94. 261 - PRUNER Michel ; Op. Cit. p. 95. 377 De ce qui est du dialogue, on peut dire qu’il est le type le plus répandu et le plus usité dans l’écriture dramatique de notre étude. On retiendra que dans le théâtre d’Afrique Centrale, il apparaît généralement dans sa forme basique. Le théâtral. dialogue Il définition est la constitue un cette forme de forme privilégiée paramètre déterminant d’expression du genre dans littéraire la et artistique. D’un certain point de vue, le dialogue théâtral structure la nature des relations sociales en présence dans les textes. Chez OYONO MBIA, dans les textes de NYONDA, les conditions d’énonciation entre différents les révèlent la protagonistes. nature On a des aussi relations bien des relations de type vertical entre les anciens et les jeunes, que des rapports de type horizontal, entre les personnages se situant sur un même niveau de filiation. La relation qui unit Juliette, Ndi, Oko, Matalina et tous ceux de la jeune génération, et les autres individus de la génération des parents et des grands-parents est une relation de type vertical. Les échanges verbaux sont marqués par une forme de soumission respectueuse, une sorte de déférence des jeunes envers les anciens. Si dans l’autre sens, la nature des échanges porte souvent l’empreint des codes des usages traditionnels (les signes verbaux de l’autorité, du droit d’aînesse, ou d’une forme de suffisance due à l’expérience), ces échanges traduisent également une forme de suspicion plus ou moins ouverte des uns vis-à-vis des autres, essentiellement des anciens envers les jeunes. La remarque outragée du vieil Abessolo à l’encontre de sa petite-fille, se justifie dans ce sens. C’est que pour lui, la décision de la marier revient aux hommes, mais plus encore aux anciens. Du fait de son jeune âge, mais surtout parce que c’est une femme, Juliette ne peut décider de son avenir ; de sa vie : 378 ABESSOLO : Te consulter ? (…) Depuis quand est-ce que les femmes parlent à Mvoutessi ? La tonalité du propos d’Abessolo ; le choix même des termes énoncés, indique sa position au sein de la société, mais aussi la nature du lien qui le lie à Juliette. Abessolo peut interrompre contester la la décision jeune fille parentale, dans la sa tentative réciproque n’est de pas permise, ni même possible ; quoiqu’il lui en coûte, Juliette est tenu de garder le silence devant son aïeul, devant les hommes, devant ses aînés. C’est la stichomythie qui donne à voir la manifestation de ce rapport de type vertical. D’un autre côté, paradoxalement à une relation de type horizontal qui régit les rapports des individus au sein d’une même classe d’âge (relations au sein d’une fratrie, ou celle qui prévaut entre la génération des pères et des fils devenus chefs de familles), celle qui prévaut entre les hommes et les femmes de la même génération sera une relation de type vertical. C’est ainsi que malgré son âge avancé, la grandmère de Juliette occupera toujours une position basse vis-àvis des hommes du clan, y compris ses propres fils, Atangana et Ondoua. Dans ce type de relation, le facteur de l’âge n’est pas le seul à justifier la position de Juliette ; c’est surtout le fait que dans la société traditionnelle, la femme se situe en décalage de la position de l’homme, qui occupe le sommet de la pyramide. Si cette relation verticale impose à la femme une totale soumission à l’homme dans les sociétés traditionnelles d’Afrique Centrale, elle fait aussi de la femme la personne la plus importante du groupe. Son rôle en tant que pilier de la vie économique, social et politique au sein des communautés est fondamental : elle nourrit la famille, pérennise la lignée, mais elle permet surtout de 379 nouer des alliances souvent stratégiques avec d’autres groupes sociaux, ce qui a souvent permis de mettre fin à des conflits ouverts ou potentiels. C’est en somme aussi la femme qui permet à l’homme d’accéder au rang de dignitaire, de conquérir finalement un espace social dans lequel il va pleinement s’épanouir. La aussi création le dramatique dialogue de d’Afrique théâtre dans Centrale ses manifeste autres formes structurelles, il en est ainsi du duo. Le duo est une des formes privilégiées d’échanges, notamment dans les séquences où le sentiment tragique soustend l’action. Dans La Folle du Gouverneur, la Veuve Tchémoyo et Bomongo énoncent dans un duo le rapprochement qui s’est effectué entre eux, en vue de conclure l’union tant désirée par Bomongo, mais que la Veuve Desenclos redoute tant, face au caractère roué de son prétendant : Tchémoyo : Regarde-moi marcher dans les chaussures que tu as commandées pour ta reine du bal. Bomongo : Marie ! Ma douce. Tchémoyo : Qui a dit qu’elles n’étaient pas à mon pied ? Regarde comme j’arrive. Dis-moi, est-ce que je trahis la cadence ? Bomongo : Mon infinie caresse au seuil de l’exode… Tchémoyo : Je te plais ainsi ? Bomongo : Tu me délivres du cri. Tchémoyo : Serai-je à la hauteur au milieu des invités d’honneur ? Bomongo : Tu es resplendissante. Tchémoyo : C’est vrai ? Bomongo : Tu es mon arbre flamboyant. Mon somptueux refuge. Mon ombre bienfaisante sous un soleil de plomb. Tchémoyo : Qui a dit que je lui faisais du tort ? Bomongo : Tu as fini par entendre raison. Tchémoyo : Me suis-je jamais refusée à toi ? 380 Bomongo : Non mon amour. Tu m’as toujours comblé. Pardonne-moi d’avoir osé douter de toi. Tchémoyo : Te souviens-tu ? Bomongo : Où serais-je aujourd’hui sans ton baiser, ma Dieudonné ?262 L’échange entre les deux protagonistes laisse entendre un chant harmonieux, mais l’ambiguïté de la situation, les faux-semblants trahissent ce sentiment tragique que l’on percevait déjà dans la séquence précédente : Le veilleur de nuit : Tout doux, j’ai dit… doucement. Tchémoyo (en proie à la nervosité) : Oh mon oiseau. Jure-moi que tu l’empêcheras de m’enterrer vivante. Jure-le. Du faux dialogue, notre corpus de référence n’en présente que fort peu de cas de cette forme « d’échange ». Toutefois la première scène de l’acte premier du Zulu de Tchicaya U TAM’SI donne à lire un faux dialogue qui porte une réelle intensité dramatique, car il constitue en quelque sorte le présage du drame qui va se jouer dans la suite du texte. Cette scène se passe entre deux personnages, Chaka, et Ndlebé. Si dans le début de la scène les deux personnages prennent la parole l’un à la suite de l’autre, il n’y a pas véritablement échange, car même s’ils donnent l’impression de se répondre, il semble que l’un n’ait pas entendu les paroles de l’autre. Ils semblent avoir une conscience assez éthérée de la présence de l’un et de l’autre : NDLEBE Ce sont les armes d’un nain ou d’un homme pas comme les autres. (Il ricane). CHAKA, qui n’a pas entendu. Eh Ndlebé ! Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi cet air ahuri ? D’où viennent ces armes ? 262 - OWONDO Laurent : La Folle du Gouverneur ; Paris, Editions Promotion Théâtre, 1990 ; p.38- 39. 381 NDLEBE (Plongé dans un jeu de divination, se parle à luimême.) Peut-être que ce sont les armes d’un nain ! ou d’un homme pas comme les autres.263 Sans personnages d’un vraiment se échange se font répondre, cependant suivit, tant les échos, ils sont propos donnant des deux l’impression remarquables par la logique de leur contenu. Les didascalies montrent cependant une forme de distance dans l’échange, ce qui permet de relever une certaine rupture dans l’espace discursif, situant l’un et l’autre protagoniste sur un plan distinct d’énonciation. Il n’y a pas d’échange interlocutif ; chaque protagoniste reste en effet dans un espace de dialogue clos, alors même que la présence de l’autre devrait signifier la fusion des espaces discursifs est d’intérêt et d’échange. marquée des ici La par programmes disjonction des espaces différence des centres la narratifs entre les deux personnages. Alors que Chaka songe à son projet d’unification des Zoulou, Ndlebé de son côté met au point le piège dans lequel il va le précipiter. Concernant le monologue, on peut dire qu’il est une des formes récurrentes de la typologie des échanges scéniques dans le certaines théâtre d’Afrique valeurs, Centrale. notamment Le dans monologue le prend processus de construction identitaire de certains personnages tel que le personnage du fou, ou encore dans la détermination des positionnements idéologiques d’autres entités actantielles. C’est ainsi que Sony LABOU TANSI va lui donner les contours d’un symptôme, d’un signe clinique, évoquant un dérèglement pathologique. Chez NYONDA, le monologue exprime d’avantage le besoin du personnage d’agir sur son auditeur ; un besoin d’établir une communication dont l’enjeu est plus près de la 263 - U TAM’SI Tchicaya : Le Zulu, Editions Nubia, 1977, p. 21. 382 fonction conative telle qu’elle est décrite par JAKOBSON. L’enjeu essentiel de cette fonction dans le texte de NYONDA a valeur d’exhortation, le personnage visant essentiellement à convaincre son auditoire de la véracité et de la justesse de ses propos ou de sa vision des choses, véracité elle-même établie par l’expérience de celui qui parle. Chez l’un et l’autre de ces dramaturges, le monologue prend souvent les formes de la tirade. Il signe les instants dramatiques ou tragiques dans le déroulement de l’action, moments aux cours desquels le personnage se découvre et laisse surgir des tréfonds de son être, la somme des affectes qui le constituent. En ouvrant la pièce sur le monologue de Mallot, LABOU TANSI introduit d’emblée le lecteur dans l’univers psychologique du personnage, un univers que l’on découvre obscure et tourmenté : l’atmosphère de la cellule en ellemême présage déjà de ce tourment. Le lecteur y sera comme enfermé dans un processus irréversible, partageant le sentiment de fatalité qui semble entraîner le personnage vers son funeste destin. Le monologue de Mallot traduit le trouble ressenti par ce dernier devant l’absurdité des événements qui l’ont conduit au fond de cette cellule (la particularité de cette pièce est d’être construite en prolepse ; c’est-à-dire que l’ouverture de la pièce se fait sur la clôture des événements qui constituent le récit ; après avoir été condamné à mort par le pouvoir du Lebango, Mallot vit ses dernières heures dans une cellule de prison). Mais ce monologue est surtout l’expression et la manifestation d’une vie brisée ; le signe apparent de la déchirure psychologique qui place l’homme en porte-à-faux avec son milieu social. L’instituteur y apparaît comme un obstacle au fonctionnement délictueux ambiant. Sa quête incessante de la vérité et de la justice se cristallise dans cette forme de délire maniaque, où en définitive, Mallot 383 manifeste une conscience dialectique de soi, par rapport au monde qui l’entoure. Il se paradigmes perçoit sociaux à l’intérieur sont en d’un univers opposition avec sa où les vision personnelle des choses ; il cherche alors à établir ce qui, jusqu’à un certain niveau constitue une vérité simplement postulée, au détriment d’une vérité-adéquation ; une vérité qui serait en mesure de rendre compte de la société telle qu’elle pourrait être. Ceci l’amènera à transcender la réalité du monde commun, pour s’inscrire dans une réalité où la charge émotionnelle de ses actions le désolidarise de son milieu. Pour son entourage, ses propos apparaissent alors souvent dénués de sens, et hors du contexte dans l’instant où s’inscrit le propos. Ses actions, en inadéquation avec le contexte de l’énonciation le situent en décalage par rapport à la société. Du fait de cette marginalité Mallot présente les caractéristiques de la folie telle qu’elle est donnée dans la communauté. Mais on constate que la folie de Mallot n’est que la réaction à un état de chose, à une conjonction d’événements qui auront perturbés un psychisme trop conscient de soi-même, et de la perversité du système. Comme le poète, Mallot se distingue du commun des mortels qui s’est accommodé d’une situation qui, de son point de vue, a servi de catalyseur, produisant chez lui une attitude de rejet d’une certaine conformité et du défaitisme ambiant, pour affirmer son individualité, reconquérir en somme son humanité . Alors se pose parfois la question de savoir du fou ou du non fou, lequel des deux est normal, lucide, ou simplement le plus courageux, le plus impliqué dans l’histoire de la société ? C’est parenthèse notamment de sang, ce où le que l’on personnage 384 peut du lire fou dans La (personnage allégorique), rationnelle incarne et l’incommunicabilité ; idéologique qui consacre la la rupture relation (ou l’absence de relation) entre le vécu et l’idéal, entre le politique et le social ; entre l’homme politique et le peuple. Par certains contextes de production, le monologue apparaît comme un délire onirique ; Chaka du Zulu, Martial et Le Fou de La parenthèse de sang, Mallot Bayenda de Je, soussigné cardiaque, semblent transportés dans un monde hors du temps, où, à travers un état de semi léthargie (Chaka, Martial), la vision et les sensations sont de l’ordre de l’irréel ou du cauchemar (Le Fou). Les événements paraissent se reproduire à l’infini, d’où la répétition des gestes (tic de la tête) ou de paroles pour marquer sa révolte contre les injustices, et son dépit contre l’indifférence ou l’arrogance de ses congénères. Mallot use à cet effet du crachat qui, dit-il, est le milliard du pauvre, la force du simple. Il est aussi amené à user de la violence physique car à deux reprises, il giflera Bela Ebare, et finira par le battre à coups de ceinture, au comble de la rage qui s’était emparé de lui. La profération de mots injurieux et obscènes traduit une forme de transgression de la norme que franchit malgré lui Mallot, mais dont le caractère inévitable lui apparaît comme un échec aussi bien personnel que collectif. Car il réalise son incapacité à amener à soi une certaine logique dans la vision commune du fonctionnement de la société, en même temps qu’il prend conscience du caractère dévoyé des institutions, de l’immobilisme destructeur, des comportements sclérosés des agents de l’Etat ; de la déliquescence de tout ce qui fonde un pays, une nation. Mallot se vit comme un être brisé par toute cette forfaiture, cela se manifeste à travers des comportements obsessionnels : Je, soussigné cardiaque s’ouvre d’ailleurs sur Mallot, dont le premier mouvement est un tic de la tête, ainsi que le souligne l’indication : MALLOT (tic 385 de la tête)264. Mais la fracture psychologique de Mallot se lit aussi, dans son monologue à travers la forme de ses énoncés ; ils son brefs, ponctués d’exclamations et de silences, de formules rappelant les rituels de bénédiction ou de désenvoûtement : « je casse le néant », « j’annule le bien et le mal d’un geste du pouce », etc. Un autre trait de sa rupture psychologique, Afrique est souvent en plus perçu de comme soliloquer, le signe ce qui visible en d’une névrose, est la présence dans son discours d’effets sonores produits par les allitérations : « Oh, l’éblouissant sol soleil des mondes fondants au fond de ma fougue », ce qui n’est pas sans rappeler ce vers célèbre de Racine « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes »265, et qui sont l’expression de la folie d’Oreste. Les monologues délirants des personnages ci-dessus cités apparaissent comme la volonté de conjurer les malheurs et les déboires auxquels ils sont confrontés, mais aussi comme un besoin d’affirmer leur existence dans une société qui a mis en déshumanisation œuvre et de toutes sortes de déstructuration de stratégies l’individu de mais aussi du tissu social. C’est dans l’optique de ramener la pensée politique sur le social et l’humain en général, que les hommes de théâtre focalisent leurs discours sur l’interaction entre le politique et le peuple. Le manière discours générale, théâtral se en Afrique caractériser Centrale comme une peut de production culturelle, dont le modèle social fixe les formes et les orientations thématiques et idéologiques. Il est donc porteur d’un certain nombre d’enjeux, au double sens de la réceptivité et de la perspective d’action et d’avenir. 264 - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang ; Paris Editions Hatier, 1981, p. 77. L’occurrence de ce tic est de six, de la page 77 à 81, puis p. 83. De la page 106 à 112, à nouveau 5 occurrences. 265 - RACINE Jean : Andromaque, Acte V, Scène 5. 386 9.2.2- Les enjeux de ce discours : Les enjeux du discours théâtral africain résident dans une quête de la vérité en tant qu’elle est la mise en évidence de la nécessité de substituer à la vérité-adéquation (historiquement et sociologiquement présente et en situation), une vérité construite (donc postulée) et garantie par la culture. Car comme le suggère Patrice PAVIS, « la rhétorique du discours social et inconscient s’amarre à notre propre monde, notamment à travers la croyance, l’évidence, l’identification, l’effet produit, l’effet cathartique sur le lecteur ou le lectateur. »266 Le discours théâtral africain suggère une interaction entre l’homme et le monde, en ce sens que notre relation au monde est en même temps théorique et pratique au double sens de la réceptivité et de l’activité. C’est que nous interagissons sans cesse avec les êtres qui nous entourent ; nous représentons symboliquement le monde, et nous intervenons dans le réel à travers une participation active. L’étude des littérature formes symboliques permettent que d’élaborer sont cette l’art et la problématique interactionnelle, de saisir les enjeux du discours théâtral africain ; sa valeur heuristique. Les faits humains étant d’ordre psychologique, les sciences morales, au cœur desquelles s’inscrit le théâtre, ont dès lors pour fondement la psychologie. Le théâtre est pleinement lié à la psychologie, car dans la peinture des personnages et des sociétés, c’est bien de leur psychologie, de leur conscience et de leur inconscient qu’il est souvent fait référence. Soumettre de ce fait, l’art dramatique au principe universel selon lequel tout fait a une cause, qui doit suffire à la reproduire, 266 c’est rechercher dans les - PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse des textes, de Sarraute à Vinaver. Paris, Nathan/VUEF, 2002. p.26. 387 histoires mises en œuvre par le théâtre, les événements fondateurs de ces histoires. Et l’analyse des faits humains remontant des causes secondaires aux causes dominantes, amène à rétablir les moments de cohésion ou de divorce des équilibres du monde et des sociétés. Les causes dominantes dans l’analyse des faits humains sont données au nombre de trois selon Hyppolite TAINE : - La race - Le milieu - Le moment L’étude de ces causes dominantes permet en général de saisir le texte dans la complexité de ses enracinements, de ses fonctionnements et de ses séductions, de saisir le contexte et les enjeux qui portent le projet de l’écrivain. En tant que forme sémiologique, le discours théâtral rend compte de préoccupations éthiques et esthétiques. Le discours théâtral africain rend compte de préoccupations éthiques dans la mesure où il a vocation à restituer le propos dans son milieu de création. Il vise ainsi à rendre lisible un contenu culturel dont la saisie peut parfois donner lieu à des méprises ou à de mauvaises interprétations. Le discours théâtral peut ainsi être perçu comme le niveau communicationnel, « lieu où se trouvent les données externes lesquelles qui jouent « déterminent le rôle l’enjeu de de contraintes, l’échange, ces contraintes provenant à la fois de l’identité des partenaires et de la place qu’ils occupent dans l’échange, de la finalité qui les relie en terme de visée, du propos qui peut être convoqué et des circonstances matérielles dans lesquelles il se réalise. »267 Le discours théâtral a donc pour fonction de représenter et d’exprimer des idées dans le cadre de plusieurs types de compétence, celle de la situation, celle 267 - CHARAUDEAU Patrick, in CHARAUDEAU et MAINGUENEAU : d’analyse du discours ; Paris Le Seuil, 2002, p. 536. 388 Dictionnaire du code (manière de dire), et celle qui ordonne les formes, les règles combinatoires des signes et leur sens. C’est que « pour le texte dramatique, le monde de référence du lecteur est constitué par la mise en jeu des locuteurs, de leurs forces psychiques et sociales à travers l’acte de lecture. S’approprier la fiction par l’interpellation et la légitimation du lecteur, c’est ramener celui-ci à nous, c’est le replacer pragmatiquement dans le contexte concret d’une situation d’énonciation. »268 Le discours théâtral porte aussi sur des valeurs esthétiques. Du point de vue de sa structuration, le discours théâtral rend compte de la manifestation du signe en tant que vecteur possible de la communication. Il veut également rendre compte de son importance au point de vue de l’impact du signe sur public. Les enjeux du discours théâtral africain s’appliquent donc théâtre ; situer à à légitimer le une théâtre fonction comme un sociale langage et du une esthétique particulière. La société africaine se donne à lire à travers un discours qui a souvent misé sur des formes plus ou moins réalistes ; ce qui est le cas en général de la production des premières années, ou sur une écriture de la démesure et du symbolique, telle qu’elle est suggérée par l’écriture de Sony LABOU TANSI. En s’appuyant sur le fond culturel, historique, social et politique et civilisationnel des communautés dont ils sont généralement issus, les dramaturges africains espèrent amener leur public à la saisie des situations caractérisent ces sociétés, œuvrant contingentes qui encore, à cet effet, à la construction et à l’édification des esprits. Mais discours d’autres théâtral enjeux d’Afrique sont identifiables Centrale. A côté au des cœur du aspects historiques de civilisation et de formation ou d’information, 268 - PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan/VUEF, 2002, p. 26. 389 des textes de de la recherche de la catharsis (en ce sens justement qu’il vise à la réforme des mœurs), le théâtre africain poursuit d’autres objectifs qui le situent dans le moule de la création et de l’existence purement de la vie artistique et culturelle du monde. Le théâtre africain essaye donc de garder en vie un univers social et culturel, dont le sens de l’esthétique bien de apparaît la aujourd’hui conservation d’un comme l’instrument patrimoine en aussi danger de dissolution dans des cultures hybrides et artificielles, que comme la réponse à une problématique toujours d’actualité, et qui escamote millénaire l’existence en Afrique. et Il la est spécificité en effet d’un art regrettable de constater que le monde occidental continue de passer sous silence la réalité du théâtre africain, alors même que le No japonais et le théâtre d’ombre chinois, occupent une place de choix dans la taxinomie des cultures de la scène. Il y a un enjeu fondamental lié la création dramatique africaine de spectateur, manière un générale, jugement c’est critique par de susciter rapport à chez la le trame dramatique représentée. 9.3- La situation d’énonciation : La particularité de l’œuvre littéraire est de rendre lisible un certain nombre de paramètres relatifs aux circonstances événementielles, de temps et de lieux de sa production. permettent l’œuvre Ces de paramètres, déterminer littéraire qui la concernent d’une situation aussi certaine manière d’énonciation les individus de qui produisent l’œuvre littéraire, et par conséquent ceux vers qui elle est dirigée. D’une certaine manière, la situation d’énonciation de l’œuvre théâtrale implique de facto les conditions de réception de celle-ci. Car chez le spectateur, 390 différents mécanismes – sociologiques, psychologiques, psychanalytiques et anthropologiques – sont sollicités. Au-delà créateurs de des l’espace, œuvres, la du temps question et de des la individus communication littéraire est à la base de la problématique de la situation d’énonciation. Pour rendre compte de cette situation d’énonciation, Patrice PAVIS propose une lecture des contenus du texte qui renvoient à différents types de structures, dont les plus importantes sont : l’intrigue, la dramaturgie et le sens. Ces « structures sont l’armature formelle qui à la fois sous-tend l’organisation des différents niveaux textuels et permet d’observer surface visible ces du quatre texte. étages Au ou premier couches depuis niveau, celui la des structures du discours, c’est-à-dire de la perception assez immédiate de l’intrigue et des thèmes, le lecteur perçoit deux axes simultanément : l’axe horizontal, le syntagme (les événements racontés) et l’axe vertical, le paradigme (les thèmes abordés) ». Quelle résonance ces structures trouventelles dans le théâtre d’Afrique Centrale ? 9.3.1- Structures discursives : l’intrigue : L’analyse des structures discursives dans le texte de théâtre permet de saisir les différents niveaux structurels de l’intrigue ; des événements racontés, et des thèmes abordés. Il s’agit en l’occurrence de reconstituer la trame de l’histoire ; de définir « l’organisation de l’intrigue, ses nœuds, physiques ses qui la méandres, ses construisent » résolutions, 269 , en les d’autres actions termes de répondre à des questions d’ordre herméneutique où le point de 269 - PAVIS Patrice : L’analyse des spectacles ; Paris, Armand Colin, 2005, p. 234. 391 vue du lecteur ; sa position par rapport au texte, constituent le socle de la réflexion. Mais l’observation de l’intrigue peut aussi partir du point de vue de l’acteur, appelé à répondre à la question « comment jouer ceci », ou, de la perspective du metteur en scène dont les préoccupations sont de l’ordre de l’interprétation de l’ensemble constitué des thèmes, motifs, topoï et leitmotive. L’intrigue met l’accent sur la causalité des événements. Elle donne à lire les aspects manifestes de la conduite de l’histoire ; de la progression dramatique : et pour PAVIS, « l’intrigue, c’est le sujet de la pièce, le jeu des circonstances, le nœud des événements. »270 Pour avoir une vision plus claire de ce que PAVIS désigne comme « intrigue », nous nous sommes penché sur deux textes à l’intérieur de notre corpus ; Trois prétendants…un mari de Guillaume OYONO MBIA et Le Zulu de Tchicaya U TAM’SI. Le choix de ces deux textes est motivé par le facteur chronologique de leur parution, mais la différence générique entre comédie déterminant structures comment et en tragédie vue de l’étude d’énonciation. le universelle théâtre de nous Car africain construction a de il paru la est s’inscrit ou de un autre progression intéressant dans la constitution facteur et de des voir dynamique du schéma dramatique. Ainsi donc, pour le texte de OYONO MBIA, nous pouvons établir la notion d’intrigue comme il suit : dans un premier temps, nous avons relevé que la notion de thème, qui constitue l’un des axes majeurs de l’intrigue, porte sur la question de la condition sociale de la femme dans une Afrique nouvellement indépendante. En second lieu, pour faire état de cette condition, le dramaturge prend comme motif le mariage 270 - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002, p.179. 392 d’une jeune femme à mi-chemin entre tradition et modernité. En définitive, nous obtenons la configuration suivante : Thème de la pièce : La condition sociale de la femme africaine entre modernisme et tradition. Motif : Le mariage. La dispositio, ou mouvement de la pièce : a)- Exposition : Juliette est accueillie en triomphe au village ; son année scolaire à la ville est couronnée de succès. Elle est donc promise à un bel avenir. Ses parents lui annoncent son futur mariage : ils ont perçu une première dot. b)- Nœud : Juliette veut bien se marier, mais avec celui qu’elle a choisi. Opposition des parents ; arguments, puis perception d’une seconde dot. c)- Péripétie : Juliette parents. Avec veut le faire soutient échouer de son le projet cousin et de ses de son véritable fiancé, elle subtilise l’argent versé en dot par les deux premiers prétendants. Découverte de la disparition de l’argent ; désespoir des villageois. d)- Dénouement : Le troisième prétendant arrive et « rembourse » l’argent disparu ; joie et soulagement des villageois. Juliette peut épouser celui qu’elle aime et qu’elle a choisi. Ainsi décrite, il ressort que la pièce de OYONO MBIA observe l’orientation esthétique déterminante de la comédie de mœurs. Ici, c’est l’étude des travers du groupe social qui prime sur celle des caractères particuliers des individus. L’intrigue se donne à lire à travers le schéma de la progression ; à travers les étapes majeurs autour desquels se 393 tisse la trame de l’histoire de la pièce ; celle de Juliette voulant disposer librement de sa personne. L’intrigue se perçoit ici comme l’ensemble des structures formelles, de surface formant l’armature de la pièce. Elles permettent de ce fait de saisir, à travers la multiplicité d’événements, le fondement de la pensée du dramaturge ; ses idées et son opinion par rapport au vécu et à la perspective d’avenir donnés à la femme dans un milieu où les traditions et le modernisme se croisent et essayent mutuellement de se neutraliser. Le second texte que nous avons choisi pour étudier le déploiement de la situation est Le Zulu de U TAM’SI. Voici comment se donne à lire la construction de l’intrigue : Thème de la pièce : Le destin des peuples Zoulou à travers l’Histoire de Chaka. Motif : Unifier la Nation Zoulou, et protéger le seuil de Nobamba de toute intrusion extérieure. Mouvement de la pièce : La pièce s’ouvre sur un prologue, et s’achève avec un épilogue. Ceci constitue, d’après les codes génériques de classification des textes, dans le théâtre grec antique par exemple, un indice majeur sur la détermination du contenu. Le Zulu est une tragédie ; le prologue annonce en effet la nature des événements à suivre ; leur portée dramatique. Ce prologue qui s’intègre à la pièce permet au spectateur de vivre « l’action dramatique à deux niveaux : en suivant le fil de la fable, en « survolant » et en anticipant l’action : il est à la fois dans et au-dessus de la pièce, et grâce à ce changement de perspective, il s’identifie et prend le recul nécessaire. »271 Le prologue de la pièce de U TAM’SI cadre bien avec cette vision ; il est donc de nature analytique. Il annonce non seulement la conspiration et la 271 - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002, p. 273. 394 trahison ourdie par les amis de Chaka, mais aussi la fatalité qui semble présider au destin de Chaka. a)- Exposition : Chaka rêve de rassembler en un seul peuple, toutes les tribus zoulou. Pour cela, doit rallier à lui tous les chefs de tribus, vassaux de Ding’Isswayo. Mais le destin et la fatalité veillent ; une conspiration se trame dans les rangs de Chaka. b)- Nœud : Au sein de son propre camp, une conspiration est ourdie contre Chaka. c)- Péripétie : Rébellion de Zwidé. Ding’Isswayo, suzerain de Chaka est assassiné par les conspirateurs. Avant d’être exécuté par les hommes de Chaka, Zwidé prononce contre lui une malédiction. Pour conjurer ce sort, Chaka pris d’un excès de folie, tue sa femme afin qu’elle ne mette pas au monde leur enfant, celui par qui la malédiction devait s’accomplir. d)- Dénouement : Chaka n’a pas réussi à rassembler les peuples Zoulou en une terre, sous son égide. Son cauchemar se fait réalité ; le seuil de Nobamba est franchi par quelque chose « de blanc » venue avec « l’écume de la mer. » Avec la complicité de certains conjurés, le pays zoulou est livré aux mains des « hommes blancs ». 9.3.2- Structures narratives : la dramaturgie : Dégager les structures narratives du texte dramatique consiste à mettre en lumière les conventions de jeu utilisées par le texte, à observer le type de codification utilisées par ces conventions. Ces conventions sont décelables à tous les niveaux de déploiement du texte ; elles sont narratif, actantiel et idéologique. 395 d’ordre stylistique, Pour ce qui est de la dramaturgie, il s’agit de déterminer les points d’ancrage des structures narratives au cœur de la situation d’énonciation. Du point de vue stylistique, les conventions de jeu concernent essentiellement la situation d’énonciation en tant qu’elle permet au texte d’exister physiquement dans l’imaginaire du lecteur. C’est la situation d’énonciation qui figure la circulation de parole ; les échanges scéniques. La structure externe de cette pièce ; sa narrativité donne à voir l’histoire telle qu’elle est construite à travers la fable, c’est-à-dire dans ce cas précis, l’histoire du destin tragique de Chaka, dans sa tentative d’unifier les peuples zoulou, et d’en faire une nation forte et prospère, rayonnant sur l’ensemble du sud du continent africain. L’histoire de Chaka, son rêve d’expansion coïncide avec les débuts des invasions et de la colonisation du sud de l’Afrique par les troupes anglaises. Faits historiques et indices spatiaux valident ici le chronotope ; alliance d’un temps et d’un espace, tel qu’il est définit par Mikhaïl BAKHTINE, en tant que « fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. »272 Dans le texte de U TAM’SI, on peut parler du chronotope de la colonisation du sud de l’Afrique, alors que dans d’une Trois prétendants… communauté un mari, traditionnelle il s’agit africaine du chronotope entre deux cultures. Dans un cas comme dans l’autre, la dramaturgie donne la nature des conflits ; elle permet de dégager « l’enjeu de l’action, ses conditions, sa finalité ; elle établit (…) la 272 - BAKHTINE Mikhaïl : Esthétique et théorie du roman ; Paris, Editions Gallimard, 1978, p. 137 ; cité par Patrice PAVIS in Le théâtre contemporain. Analyse des textes de Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan, Collection Lettres Sup., 2002, p. 17. 396 tâche principale ou le superobjectif de la pièce et la ligne continue de l’action permettant d’y accéder. »273 Les couples contradictoires constitués par : intrigue/éclaircissement ; imbroglio/reconnaissance ; énigme/révélation ; nœud/dénouement ; sont caractéristiques d’une dramaturgie fermée classique. Cette dramaturgie donne corps à « des figures textuelles qui vont du conflit ouvert, violent, rapide (les stichomythies) à l’absence de conflit (succession de remarques, de notations lyriques, de constatations absurdes) » D’une manière plus générale, la connaissance des genres et des discours ; des règles génériques, la connaissance des registres, des tons de l’œuvre ; la connaissance des registre de parole, le niveau de style et les implications de ce type de parole sur l’action et l’univers de la fiction aident à la saisie de l’histoire ; à cerner son mode d’énonciation. 9.3.3- Structures actantielles : l’action : Si l’intrigue et la dramaturgie permettent d’aborder le texte à partir de sa surface, les structures actantielles permettront de mettant lumière en dégager des les structures différentes plus forces abstraites qui en régissent l’action et les motivations des personnages. Thème, motif et mouvement de la pièce constituent l’armature à partir de laquelle se structure l’action de la pièce. Le schéma qui s’en dégage permet de visualiser les principales forces du drame et de leur rôle dans l’action ; l’avantage du schéma actantiel est « de ne plus séparer artificiellement les caractères et l’action, mais de révéler la dialectique et le passage 273 progressif - PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan, 2002, p.18. 397 Analyse de l’un à des textes de l’autre. »274 Les problèmes de la situation dramatique, de la dynamique des situations et des personnages, de l’apparition des conflits et leur résolution peuvent se clarifier notamment par le concours du modèle actantiel. En procédant à la mise en séquence de l’histoire, on obtient la progression interne de l’intrigue. A ce propos, le modèle de GREIMAS, qui se déploie autour de six fonctions subdivisées en trois paires de fonctions, est de notre avis, celui qui donne une meilleure approche de la structure actantielle d’un texte théâtral. Voici données les six fonctions constitutives du schéma actantiel de GREIMAS : Destinateur Æ Objet Æ Destinataire ↑ Adjuvant Æ Sujet Å Opposant Nous faisons converger les flèches des axes Adjuvant/Opposant vers le sujet car cet axe est l’axe des influences (aide et empêchement), Destinateur/Destinataire est l’axe de alors que l’axe transmission. Les flèches dans ce cas expriment la transmission du désir. Voici comment grâce au schéma actantiel, nous pouvons donner lecture de l’action et des caractères de : 1)- Trois prétendants… un mari : Dans continuité ce texte, l’action d’événements. Sa se donne progression à voir est dans régulière une et continue, mais elle offre cependant une double perspective de détermination, selon qu’elle est vue du point de vue des anciens, donc de la tradition, ou du point de vue des jeunes ; de la modernité. Dans tous les cas, on note que l’action s’appuie sur une 274 opposition jeunes/vieux ; - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2006, p. 2. 398 tradition/modernité. A partir de deux super programmes actantiels qui donneraient lecture de l’action à partir de la double perspective jeunes/vieux, nous pouvons obtenir un super programme unique qui résumerait en quelque sorte, la trame de la pièce. Dans la perspective des vieux et de la tradition : Destinateur (Tradition) → Objet → (Marier Juliette) Destinataire (Père de Juliette) ↑ Adjuvant → (Mbia+Ndi+Famille Sujet ← Opposant (Père de Juliette) (Juliette) de Juliette) A partir de ce point de vue, on note que la quête, donc l’objet du désir ; le fait de marier sa fille, est suscitée par la tradition. Ce désir est transmis à un destinataire ; Atangana, père de Juliette, qui devient par cette même occasion, le sujet de la quête. Les actions entreprises par le sujet seront soutenues par les adjuvants ; par les deux premiers prétendants ainsi que par toue la famille de la jeune fille, alors que dans la classe des opposants, se trouve Juliette, qui refuse de se plier à la décision de son père. Dans la perspective des jeunes, donc de la modernité, l’action prend une autre configuration actantielle. Ici, le destinateur de la quête est l’amour, Juliette et Oko en sont les destinataires en même temps qu’ils en sont les sujets. Pour faire aboutir leur quête, ils seront soutenus par leur amour ainsi que par Kouma le cousin de la jeune fille, mais aussi par la ruse qui leur permettra de s’acquitter de la somme exigée pour le remboursement des deux premières dots. Dans l’axe opposant/objet, on retrouve la famille de Juliette, car celle ne consent à donner sa fille en mariage 399 qu’à la seule condition que le futur époux soit un homme riche et influent, ce qui est loin d’être le cas du collégien Oko. La configuration actantielle est donc la suivante : Destinateur → Objet (Amour) → Destinataire (Mariage) (Juliette +Oko) ↑ Adjuvant → (Amour+Ruse+Juliette Sujet ← (Juliette+Oko) Opposant (Famille de Juliette) +Oko+Kouma) A partir de ces deux approches, nous pouvons obtenir un super programme qui résume la pièce, et donne une idée de la configuration des forces en action dans le texte. En effet, si l’on prend en compte le fait du non accomplissement du projet initial qui est pour Atangana de marier sa fille, on note qu’il y a échec, donc disjonction de l’action entre le programme initial et la sanction finale. Mais en partant du point de vue des jeunes, on constate qu’il y a conjonction de l’action entre le programme et la sanction. Dans cette optique, on peut considérer que les véritables maîtres de l’action sont Juliette et ses amis, car ce sont eux qui mènent le jeu et finissent par faire aboutir leur projet. C’est donc cette perspective qui mène et contrôle toute l’action ; toute la dramaturgie de la pièce. Voici le schéma actantiel global que nous pouvons en tirer : Destinateur → (Amour) Objet → (Se marier) Destinataire (Juliette+Oko) ↑ Adjuvant (Amour+Ruse+Kouma) → Sujet (Juliette+Oko) 400 ← Opposant (Néant) Pour la pièce de Tchicaya U TAM’SI ; Le Zulu, la détermination d’un super schéma actantiel qui résume toute la dramaturgie de la pièce est possible. Car l’histoire de la pièce s’articule autour du rêve ou de l’ambition de Chaka. Le schéma qui rend compte de cette dramaturgie est le suivant : Destinateur (Ambition) → Objet → Destinataire (Unifier le peuple Zoulou) (Chaka) ↑ Adjuvant → (Ambition) Sujet (Chaka) ← Opposant (Ambition+Folie de Chaka +Ndlebé+Malounga) Cette figure actantielle montre les différentes forces en action dans l’histoire du Zulu. On remarque que l’ambition est l’actant qui tient le plus de positions dans le schéma. Celle-ci constitue une force majeure dans la sanction finale de l’histoire. Toute la dramaturgie de la pièce porte donc sur la conjonction et la disjonction de l’action par rapport à l’ambition ; à la folie de Chaka. L’ambition constitue dans un premier temps une force dans la mesure où elle fait naître chez Chaka le rêve d’un peuple zoulou uni, fort, indépendant et prospère. Celle-ci devient folie, et donc handicap lorsque Chaka, aveuglé par elle n’est plus capable ni de discernement par rapport aux événements troublants qui surviennent autour de lui, ni capable de compassion vis-à-vis des siens, par rapport à la détresse suscitée par la rigidité de son caractère et son intransigeance. L’analyse actantielle permet de constater que la notion d’actant est applicable aussi bien à des personnages humains qu’à des personnages non humains, mais anthropomorphisés. C’est dans ce cadre que des concepts abstraits comme l’Amour et la Tradition (dans Trois prétendants… un mari), ou encore 401 l’Ambition dans Le Zulu, peuvent apparaître comme actant, car leur rôle dans la dramaturgie est essentiel. Ils sont l’un et l’autre à la source de la quête de chacun des destinataires. 9.3.4- Structures idéologiques et inconscient : le sens : L’approche initiale du texte de théâtre permet de mettre en évidence « les thèmes, leur mise en forme dramatique (…), leur déploiement dans l’action d’un temps »275. espace L’ensemble de ces éléments ouvre la perspective de la question de l’historicité, et du contexte social, culturel et politique ; donc de la question de l’idéologie posée par le texte. Avec les structures idéologiques, les structures de l’inconscient sont celles qui vont amener le lecteur à la découverte du sens, car « il sera attentif à l’historicité de la réalité représentée, celle de la fiction telle qu’envisagée autrefois autant que celle de notre point de vue actuelle ; à l’historicité de la mise en jeu, celle de notre point de vue sur l’œuvre qui n’est pas fixé pour l’éternité. »276 C’est que le sens est variable selon les paradigmes à partir desquels structures on dites le recherche. de Il est l’inconscient ; tributaire « les des contenus idéologiques (…) les pensées inconscientes de l’auteur et du lecteur qui, chacun à sa manière, tentent d’accéder aux différents sens possibles. (…), ce contenu implicite, latent, passe souvent par le sous-texte où se réfugie l’essentiel du message, tandis que l’on ne 275 perçoit - PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan, 2002, p.22. 276 - Id. p. 22. 402 que la Analyse surface des textes du de texte. »277 Le sens du texte se situe donc pour l’essentiel, dans ce qu’il est juste d’appeler « le hors-texte » ; ce sont les sous-entendus, idéologèmes ; en l’implicite, somme tout les ce présupposés, qui peut les permettre de répondre, outre aux questions de forme ou de contexte, mais aussi aux questions que l’on se pose sur les attentes du lecteur ; les lieux d’indétermination du texte ; son atmosphère. Les structures inconscientes et idéologiques du texte invitent finalement le lecteur « à légitimer, c'est-àdire à comprendre et à admettre, une certaine vision du monde. »278 Le sens est donc repérable dans le texte à partir de multiples faisceaux d’éléments disposés d’une manière aléatoire ; « une disposition des niveaux comme des cercles concentriques serait plus proche de l’enchâssement des instances et de la réalité des échanges. Chaque niveau est en effet contenu et englobé par le suivant, le passage de l’un à l’autre s’effectue comme une suite d’ondes de choc qui nous éloigne de plus en plus de l’identité et de la matérialité textuelle. »279 9.4- Les codes de la dramaturgie africaine : Comme nous l’avons souvent relevé au cours de ce travail, la dramaturgie ; l’écriture, la structure narrative et la mise en scène des textes de théâtre en Afrique, obéissent à un certain nombre de codes et de conventions qui permettent de le spécifier. Mais comme pour tous les espaces et milieux de création, il est peu aisé d’établir ici, de manière figée, pouvons-nous 277 278 279 une typologie des retenir qu’il existe - Op. Cit. p. 23. - Id. p. 24. - Id. p .28. 403 codes. des Tout codes au ou plus, des conventions observables à travers les choix de la mise en scène ; à travers également les contenus et les signifiés discursifs, que ces codes et conventions, peuvent être explicites lorsqu’elles sont d’ordre générique et esthétique par exemple ; ou implicites, lorsqu’elles concernent l’idéologie ou les affectes. Certaines données invariantes, décelables dans chaque texte peuvent à cet effet, être perçues comme conventionnelles dès lors qu’elles permettent de distinguer la comédie du drame ; le drame de la tragédie, distinction qui tient autant de la forme et de la structure narrative que de la forme et de la structure de mise en scène. En dramaturgie africaine comme partout ailleurs, il serait plus juste, comme l’observe fort justement PAVIS, « de parler de processus d’instauration de code par l’interprète, car c’est bien le récepteur qui, en tant qu’herméneute, décide de lire tel aspect de la représentation selon tel code librement choisi. Le code ainsi conçu, est plus une méthode d’analyse qu’une propriété figée de l’objet analysé. »280 La dramaturgie africaine obéit ainsi à la conception de TAINE qui veut que, le théâtre, à l’instar des autres faits humains, repose sur les facteurs de constructions historiques et contextuels figurés par la race, le milieu et le moment ; données fondamentales, nécessaire à toute approche, à toute analyse du texte de théâtre. Ainsi, les problèmes relatifs à la dot, au statut social de la femme ; les questions de respect de l’éthique sociale et de la dignité humaine ; les questions de affirmation, liberté, etc., posés de justice par les sociale textes de et d’auto- OYONO MBIA, d’OWONDO, de NYONDA, ou encore par les textes de Tchicaya U TAM’SI, de MENDO ZE, ou bien par les textes de LABOU TANSI, peuvent-ils être considérés comme 280 de l’ordre du contexte - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre Paris, Armand Colin, 2006, p. 320. 404 sociologique, politique et historique. Mais ils sont aussi d’une certaine manière, définitoires conventionnalisme, du vocation inscription et cultuelle d’une affectée à fait la qu’ils d’un rendent compte fondamentalement création certain théâtrale d’une sociale en et milieux africains. Le théâtre apparaît alors comme la conscience de la vie. 9.4.1- La représentation comme contrat de communication ; de la narrativité dans le texte dramatique : La situation d’énonciation et l’inscription sociale du théâtre africain projettent d’emblé celui-ci dans la position de système communicant. En effet, ainsi que nous l’avons déjà énoncé, les arts de la scène ont vocation à s’exprimer pour faire part d’une certaine vision du monde, et pour amener leur public à prendre partie pour, ou contre cette vision du monde. L’échange, s’il n’est pas toujours immédiat ; en situation et conventionnel, entre l’auteur ; émetteur, et le public récepteur, est pourtant ce qui motive le dramaturge. La communication au théâtre se différencierait de toutes les autres formes de discours par le fait qu’elle est considérée à ce niveau comme indirecte, du fait qu’elle passe par la médiation de la scène et des acteurs. Si les protagonistes de la pièce occupent le même plan d’énonciation ; le premier plan, l’auteur et le public se situent quant à eux sur le second niveau de communication. Car en réalité, c’est au public que le « message » de la pièce est destiné. C’est le public qui est avant tout sollicité, autant par l’attention qu’il porte à la pièce, que par les incidences éventuelles ; l’accueil (favorable ou non) que celle-ci pourrait rencontrer. 405 En prenant en charge la mise en représentation d’une histoire de la société ; en délégant en quelque sorte le rôle d’ « émetteur » tant au personnage qu’au dramaturge, ou au metteur en scène, à travers la présence du paratexte (présence des didascalies essentiellement) ; en délégant à ces différentes incluant au instances système référentiel lié à la de fonction la la énonciative signification compétence un et en système encyclopédique de l’auditoire, l’univers dramatique africain s’organise et se structure de ce fait en un univers d’échange, donc de communication. La représentation est alors un langage où les personnages, et tous les autres éléments participant de la dramaturgie d’échange concourent à la communicationnel. mise en Son but œuvre d’une réside action dans la signification du texte ; dans la structuration d’un système appelé à rendre lisible un contenu implicite doté de signification. Et si, comme l’observe Patrice PAVIS, « la communication est conçue comme un moyen utilisé pour influencer autrui et reconnu comme tel par celui qu’on veut influencer, la nécessaire »281 on réciprocité peut dire de dès l’échange lors, sans n’est risque plus de se tromper, que le théâtre africain s’inscrit dans une logique de transmission d’idées ; d’échange et de communication, car son objectif est aussi d’influencer son auditoire. Le Roi Mouanga de Vincent de Paul NYONDA présente fort à propos ce désir de communiquer, à travers l’usage qu’il fait de la sentence, dans une optique clairement déterminée, qui est celle d’édifier le public, à travers le personnage de son fils.282 La visée éducative du texte dramatique africain est sans doute ce qui fonde le plus cette activité ; on va au théâtre d’abord pour apprendre quelque chose, mais on espère 281 - PAVIS Colin, 2002, 282 - NYONDA Gabon, 1988, Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Editions Armand p. 61. Vincent de Paul : Le roi Mouanga ; Libreville, Multipressp.58 à 60. 406 aussi que le théâtre, reconnu comme une école de la vie, soit aussi une forme de chant galvanisant qui va conduire le public à l’action. Le changement de certaines habitudes, de certains usages a pu être observé chez certaines populations après une représentation. Et dans le cadre de la médiation social, le théâtre s’avère donc un moyen efficace de communication. En faisant voir la fable à partir de la successivité des actions, des images et des événements, le théâtre en général procède à cette occasion, à un acte narratif. Par la présence, la valeur, et l’importance du paratexte et des didascalies d’un côté, et par cet horizon d’attente qui sous-tend toute création artistique d’un autre, nous pensons, dramatique pour est non notre part seulement qu’en Afrique, narratif, mais le il langage est aussi communication, dans la mesure où il participe de l’échange entre l’auteur et le public ; à la construction des idées de l’auditoire, et, au sens où il postule, dans la majorité des cas une société renouvelée, à replacer l’Homme au centre de ses préoccupations, à en faire non plus l’objet de l’Histoire, mais son sujet. Mais plus explicitement, le théâtre africain se pose en espace de dialogue entre le public et la scène, par un système direct d’interpellation des acteurs vers la salle, où le public est parfois sollicité, soit pour donner la réplique à un acteur, soit pour donner son avis sur une situation, sur un acte précis. D’une manière générale, la réception faite à la pièce ; son accueil (heureux ou négatif); l’interprétation donnée à la pièce au vu des codes esthétiques, psychologiques et idéologiques de la réception, et plus accessoirement, à la perception de la thèse de l’auteur, fondent ce qui, à un certain niveau, peut hisser la pièce de théâtre au niveau d’un système de communication. 407 Ayant énoncé ce qui, de notre point de vue, peut être perçu comme une forme de communication dans le discours théâtral, que pouvons-nous dire de la narrativité du texte dramatique ; ou plus précisément qu’est-ce qui, dans le texte de théâtre, constitue l’élément narratif ; à quel moment y at-il récit dans le texte dramatique ? Mais avant de répondre à la question concernant ce que Matthijs ENGELBERTS désigne comme le « récit scénique »283, nous voulons d’abord définir ce que c’est que le récit. Le récit peut fondamentales ayant se trait définir aux à partir significations de notions thématique et technique, auxquelles il faut ajouter la signification de l’adjectif « narratif », où les caractéristiques modales constituent l’élément clé de cette définition. Il s’agit en effet de déterminer racontées dans un comme temps récit, donné, l’ensemble par un des actions personnage ; un narrateur. Le récit peut être long ou bref, mais ce qui le détermine se situe au-delà de sa longueur ; de son intensité. Pour définir le récit, Gérard GENETTE note que celui-ci recouvre trois notions distinctes. Dans un premier temps, « le récit désigne l’énoncé narratif, le discours oral ou écrit qui assume la relation d’un événement ou d’une série d’événements »284. Dans cette première acception du terme récit, c’est l’aspect formel ; le contenant, qui semble présider à la détermination de la signification de la notion de récit. En second lieu, le terme récit renvoie encore pour GENETTE, à « la succession d’événements, réels ou fictifs, qui font l’objet de ce discours, et leurs diverses relations d’enchaînement, d’opposition, de 283 répétition, etc. »285 Dans - ENGELBERTS Matthijs : Défis du récit scénique. Formes et enjeux du mode narratif dans le théâtre de Beckett et Duras, Genève, Librairie Droz, 2001. 284 - GENETTE Gérard : Figure III ; Paris, Editions du Seuil, 1972, p.71. 285 - Id. 408 cette définition la notion de récit se rapporte à la notion de contenu ; de signifié énonciatif. Le troisième sens enfin donné à la notion de récit par GENETTE est celui d’événement, « non plus toutefois celui que l’on raconte, mais celui qui consiste en ce que quelqu’un raconte quelque chose : l’acte de narrer en lui-même. »286 Le récit peut être perçu comme le processus de relation des événements ; de description des actions et des lieux dans lesquels se sont déroulés ces événements. Tel que l’on peut l’observer et le décrire dans notre corpus, la notion de récit se restreint à celle d’événement ; de processus d’énonciation, et à celle d’événements relatés. Il est en effet moins évident de retrouver dans la production dramatique d’Afrique Centrale, cette forme particulière expérimentée par BECKETT et DURAS, qui consiste en un texte dramatique intégralement donné sous le mode narratif. Il y a cependant dans certains textes de notre corpus, des passages plus ou moins importants, où des séquences narratives sont prises en charge par quelque personnage ; il en est ainsi du récit de Shaba, dans Le coup de vieux, qui raconte le massacre de ses camarades lors d’une manifestation d’étudiants : « Ce grand soudanais qui ouvrit le ventre de mon copain Bayene Kene, sortit le foie et les flanqua au tableau noir. Et les camarades morts et vivants criaient : « Viva youniversita ! Viva youniversita ! » Je me souviens ; nous sortions donnait une de l’amphithéâtre conférence sur où le mon collègue visage indien culturel des Caraïbes. »287 Tous les indices sont réunis pour confirmer le caractère narratif de ce passage. Nous avons en effet un narrateur en la personne de Shaba, qui prend en charge le récit ; grand la narration soudanais », d’événements : d’étudiants, 286 le alors massacre que ces par « un derniers - GENETTE Gérard: Figure III, Paris, Editions du Seuil, 1972, p. 71. - KAYA-MAKELE et LABOU TANSI Sony: Le coup de vieux ; Paris, Présence Africaine, 1988, p. 32. 287 409 suivaient un cours sur « le visage culturel des caraïbes ». La fonction de narrateur dans un récit appelle un corollaire immédiat ; le narrataire ; celui qui reçoit le récit fait par le narrateur. Dans le cas présent, le récit est destiné à Esperancio, nouvellement arrivée dans une famille minée par la violence et le désespoir. Le deuxième indice faisant de cet extrait un récit, est qu’il est donné au passé simple ; les prétérites « ouvrit », « sortit » et « flanqua » ; l’imparfait de « criaient » atteste du caractère achevé de ces actions. L’autre indice fondamental qui définit ce passage en tant que récit est qu’il est donné à la troisième personne du singulier. En effet, le déictique « ce », en début de récit signale la distance marquée entre le narrateur et les événements qu’il rapporte, et dont il n’est pas acteur, mais juste un témoin ; un observateur. Au contraire, à travers la position syntaxique des autres déictiques, tels que « je », dans le segment de phrase me « Je « nous » ; dans « nous sortions » narrateur comme personnage à souviens » ; c’est la présence l’intérieur du récit. de du Il participe aux événements qu’il rapporte ; il peut en attester la véracité car il en a été un témoin oculaire. D’autres paramètres permettent de déterminer la nature narrative d’un texte ; ceci ne constituant pas le fond de notre propos, nous nous sommes bornée à signaler les traits les plus pertinents de définition de la notion de récit. D’autres textes de notre corpus présentent des situations de narrativité ; c’est le cas des textes de MENDO ZE, où le personnage de Ndondoo, dans Le retraité288, ou dans La forêt illuminée, ou encore dans Boule de chagrin289, illustre et étoffe son histoire par des récits enchâssés au 288 - MENDO ZE Gervais : Le retraité in Jinette et Japhet ; Paris, Editions ABC, 1991. 289 - MENDO ZE Gervais : La forêt illuminée suivie de Boule de chagrin ; Paris, Editions ABC, 1988. 410 cœur des intrigues dramatique des Ce narrateur structures appartient énonciatives dans à l’univers lesquelles il apparaît comme personnage protagoniste. Il prend en charge des récits d’événements, en l’occurrence des contes où des légendes dans le but d’illustrer la situation en énonciation dans la pièce. Nous avons, à ce moment précis où Ndondoo déploie son récit, une situation construite en abyme, dans une structure énonciative première : l’action dramatique. Les récits de Ndondoo sont des récits secondaires au cœur de la relation dramatique des événements du Retraité d’une part, et celle de La forêt illuminée, ou dans la trame dramatique de Boule de chagrin d’autre part. Dans la majorité des cas, la séquence narrative que Jean-Michel ADAM identifie comme monologue narratif théâtral dans le texte théâtral est régit, selon lui, par trois lois : - Loi fréquence d’économie : et la durée elle des contrôle récits. essentiellement Dans la mesure où la il postule une distanciation du temps narré et du temps de la narration, le récit monologue narratif perturbe de Shaba l’homogénéité crée textuelle. ainsi une Le rupture stylistique par son insertion dans la structure externe de la pièce. L’hétérogénéité de celle-ci est cependant maintenue car le peuvent monologue narratif être en mis rapporte action des (conformité événements avec la qui ne règle de bienséance)290. - Loi exigences limites d’information : référentielles ; imposées par elle « le les 290 est récit déterminée doit « unités », par des raison des apporter de en - La contrainte de bienséance ne peut cependant être retenue ici, car le jeune théâtre africain, comme le théâtre de la cruauté d’un ARTAUD, opte pour la mise en acte de toute scène, même les plus cruelles. Pour ARTAUD en effet, « le théâtre comme la peste est une crise qui se guérit par la mort ou par la guérison ». Il mettra « en jeu aussi bien l’acteur, qui ne participe pas à un simulacre, mais à un véritable sacrifice, que le spectateur, dont il faut ébranler les nerfs et la sensibilité jusqu’à le jeter « dans des transes magiques.» » Cf. DAVID Martine, Le théâtre, Paris, Belin, 1995, p.293. 411 l’information sur des faits inconnus ; il doit aussi (…) fournir des informations sur les caractères des personnages eux-mêmes. L’information porte soit sur les absents dont il est question dans le narrateur-récitant récit, lui-même soit et/ou sur son les présents : auditeur. »291 le Aussi bref soit-il, le récit de Shaba permet de saisir la situation antérieure à l’action en cours. - La loi de motivation : la loi de la motivation « souligne surtout la nécessité pour le récit de susciter, au-delà d’un simple apport d’information, une véritable émotion. »292 D’une manière générale, le monologue narratif théâtral permet de mettre en évidence les motivations psychologiques et affectives du récit vis-à-vis du récepteur. La réaction d’Esperancio, qui manifeste envers Shaba autant compassion qu’indulgence traduit bien la compétence de narrateur de ce dernier, ainsi que la performance attendue de toute narration théâtrale. En pragmatiques, plus les d’être lois définissable d’économie, celle comme des lois d’information et celle de motivation peuvent se définir également comme des objectifs visés par le récit, ou monologue narratif théâtral. 9.4.2- Actes de paroles et performance ; réalisme ou transparence du discours dramatique africain : La particularité de l’écriture dramatique est de donner le langage comme un moment de l’action ; l’action théâtrale est une action parlée. L’action théâtrale dépasse le cadre limité du mouvement « ou d’agitation scénique perceptible. Elle se situe aussi, et pour la tragédie classique surtout, à l’intérieur du personnage dans son évolution, ses décisions, 291 - ADAM Jean-Michel : Les textes : types et prototypes ; Paris, Armand Colin, 2002, p.177. 292 - Ibid. 412 donc dans ses discours. D’où le terme d’action parlée. »293 La parole théâtrale est un acte ; elle est « agissante et là, plus qu’ailleurs, « dire c’est faire ». »294 En tant qu’action, la parole théâtrale symbolise et représente le comportement humain. Citant SARTRES, PAVIS note « que le langage humain est action, qu’il y a un langage particulier au théâtre et que ce langage ne doit jamais être descriptif (…) que le langage est un moment de l’action, comme dans la vie et qu’il est fait uniquement pour donner des ordres, défendre les choses, exposer sous la forme de plaidoiries les sentiments (donc un but actif), pour convaincre ou pour défendre ou pour accuser, pour manifester des décisions, pour des duels de paroles, des refus, des aveux, etc., bref, toujours en acte ».295 La parole théâtrale postule de ce fait une certaine pragmatique. Cette perspective pragmatique rejoint en somme le point de vue du réalisme affecté à l’écriture et à la création dramatique dialogue africaine ; et l’événement performatives l’implicite car « la de et la comme un pragmatique scénique jeu conversation, comme sur bref, les envisage des actions présupposés comme une le et manière d’agir sur le monde par la parole. »296 C’est parce que le discours théâtral africain cherche avant tout, à produire de l’action auprès du public qu’il est acte de communication ; acte performatif appelant « à dégager un champ d’énergies et d’intensité, une vibration et un ébranlement physique »297, à recréer « une culture en action (…) un nouvel organe, une sorte de souffle second »298. - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002, p.11. 294 - Id. 295 - SARTRES Jean Paul : Un théâtre de situations, Paris, Gallimard, 1973, p. 133-134 ; cité par PAVIS Patrice in Dictionnaire du théâtre, Paris Armand Colin, 2006, p.11. 296 - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2006, p. 11. 297 - Id. 298 - Id., p.11-12. 293 413 De ce fait, la parole de Mallot Bayenda de Je, soussigné cardiaque est-elle force agissante par le refus de s’aliéner à la médiocrité et à la dictature du Lébango. Toute la pragmaticalité de son discours ; la performabilité de son langage se résume dans le choix des verbes, et dans leur contextualité, mais ‘’je’’ : casse « Je surtout le dans néant ; le je choix refuse du déictique d’exister sur commande. J’ai voulu, je veux. L’homme n’a jamais eu lieu, je l’invente. J’exige une viande métaphysique. Je suis, je reste, je meurs debout. J’ai escaladé toute chose jusqu’à moi. (…) J’annule le mal et le bien d’un petit geste du pouce. Là ! Je renverse le ciel à coup de pied. (…) J’écrase la merde (…). »299 Le discours de Mallot se traduit comme un langage en action, mais il est surtout donné par le contexte sociologique comme un appel à l’action. Même si le discours de Mallot, comme tout discours théâtral, est dirigé vers un protagoniste immédiat, il y a cependant dans son contenu, un destinataire autre que les autres personnages. Le discours de Mallot est destiné surtout au public, car c’est de leur condition aussi qu’il est question. Le personnage agit ici comme harangueur ; celui qui veut amener le peuple à agir. Réaliste à plus d’un titre, l’écriture dramatique d’Afrique Centrale essaye de donner à voir une tranche de vie, car en postulant une écriture réaliste, ce théâtre porte un message essentiel ; « celui de l’authentification de tout le reste », car comme l’affirme Roland BARTHES, « Le réalisme (…) n’est pas seulement un discours aussi particulier et aussi réglé que les autres ; l’une des règles a un statut bien singulier : elle a pour effet de dissimuler toute règle et de nous donner l’impression que le discours est en luimême parfaitement transparent, autant dire inexistant, et que nous avons affaire à du vécu brut, à une « tranche de vie ». 299 - LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque, in La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, p.80, puis p. 81. 414 Le réalisme est un type de discours qui voudrait se faire passer pour un autre ; un discours dont l’être et le paraître pas. D’où, toujours littérature explicite deux réaliste, (un transmettre selon discours le réel), séries qu’on sans ou de décrit règle son définitions qui son se fonctionnement de la intention contente de effectif (un discours fondé sur la particularisation et la cohérence, qui n’a donc de réaliste que le nom). »300 Dans ce contexte, la production dramatique d’Afrique Centrale semble bien se développer comme une écriture de la réalité ; celle qui dit à son public : « Voici ce que tu es », tout en l’invitant à se prendre en charge ; à opérer cette nécessaire mutation qui doit conduire la société tout entière vers un mieux-être. Le réalisme s’applique donc, autant à l’histoire qu’au personnage représenté. Parlant du réalisme du personnage de roman, Léo BERSANI observe que « Dans la littérature réaliste, les comportements sont l’expression personnages. continuelle Des transmettent, incidents, avec personnalité ; sorte la psychologie apparemment économie, de de des images que le des fortuits, nous concernant leur monde s’accorde, structuralement au moins, avec le personnage de roman, en ce qu’il propose constamment à notre intelligence des objets et des événements qui contiennent des désirs humains et leur confèrent une forme intelligible. »301 Selon les différentes positions prises par les analystes de la littérature, le discours réaliste développe soit une position intention prise par explicite, une ce large qui est majorité généralement des la écrivains dramatiques africains ; soit une intention affective, fondée sur la particularisation et la cohérence du mouvement plutôt 300 - BARTHES Roland et alii : Littérature et réalité Paris, Editions du Seuil ; p. 9. 301 - BERSANI Léo in BARTHES et alii : Littérature et réalité ; Paris, Seuil, Collection Points Essais, 1982, p.49. 415 observé chez les dramaturges de la génération de OWONDO, de Sony LABOU TANSI ou de Tchicaya U TAM’SI. 416 Laurent CHAPITRE X : POUR UNE SEMIOLOGIE DU THEATRE AFRICAIN. Ce chapitre, bien que constituant l’ultime étape de notre réflexion sur les interactions entre le théâtre et la société en Afrique signification du sociale, peut ne Centrale ; discours de la théâtrale signifier portée dans et de la son inscription ou la l’épuisement clôture définitive du sujet. Maints aspects de ce thème demeurent certainement, qui peuvent à leur tour donner lieu à des approches diverses et variées. Nous avons donc voulu, avant d’arrêter notre propos, explorer l’art dramatique de quelques auteurs d’Afrique Centrale à travers une sémiologie du texte. Dans un travail où le maître mot est la recherche de la signification à travers les formes et les contenus discursifs, la médiation des réseaux d’analyse sémiologiques (ou sémiotiques) nous a semblée dotée de véritables atouts, car la pertinence souligne Denis les discursive ; ces BERTRAND littéraire, dans envisagent de ce que approches dans Précis « Sémiologie et signifiants dans phénomènes mais son réside, surtout, au-delà de ainsi de que sémiotique sémiotique la leur le (…) globalité seule langue naturelle, elles considèrent la signification comme un objet propre, transversal aux différents langages qui lui donnent forme et en assurent l’efficience. »302 C’est que le théâtre, comme art pluridisciplinaire, se manifeste et s’exprime à travers une diversité de langages aussi bien verbalisés que non verbalisés. La question de la validité d’une lecture sémiologique ou sémiotique se trouve pour nous ainsi justifiée, car on peut considérer que l’une et l’autre de ces approches, envisagent la signification dans sa globalité ; au-delà des 302 - BERTRAND Denis : Précis de sémiotique littéraire ; Paris, Nathan Université, 2000. P. 7. 417 langages à travers lesquelles elle se manifeste. La signification au théâtre vient de la co-implication au cœur de son système, de plusieurs autres systèmes de signification. Ainsi données, il revient à répondre à la question de savoir dans quelle mesure les interactions entre les formes et les compte contenus de discursifs leurs contenus peuvent-ils sociaux. En signifier ; d’autres rendre termes, il s’agit de savoir dans quelle mesure la typologie du langage dramatique africain peut-elle être définitoire du milieu de production de celui-ci ; ou encore en quoi les formes et les contenus du discours théâtral d’Afrique Centrale peuvent-ils donner à lire, à voir sa cette société ? Pour sémiotique mieux appréhender qui sous-tend préalable rappeler approches qui, bien les que la démarche notre étude, domaines de distinctes sémiologique nous voulons compétence n’en sont de pas et au ces moins proches, par le fait qu’elles s’intéressent toutes deux à la question globale de la signification. De la sémiologie ; Denis BERTRAND la donne, telle que définie d’un côté par Ferdinand de SAUSSURE comme « science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale », et de l’autre par Le Petit Robert comme la « science étudiant les systèmes de signes (langues, codes, signalisations, etc.) » BERTRAND souligne encore que « le signe-objet de la sémiologie comprend donc les différents langages qui lui donnent forme d’expression : langages verbaux (oral, écrit) non verbaux (visuel, plastique, gestuel, musical, etc.) ou « syncrétiques » (combinant plusieurs langages comme le théâtre par exemple). La sémiologie (ou sémiotique) postule l’unicité du phénomène de la signification, quels que soient les langages qui l’expriment et la manifestent. »303 303 - BERTRAND Denis : Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan HER, 2000, p. 7 et 8. 418 Après avoir américaine ; énoncé basée sur la particularité l’œuvre du des approches et philosophe logicien Charles Sanders PEIRCE (qui est une sémiotique logique et cognitive, détachée de tout ancrage dans les formes langagières), et européenne (enracinée dans la théorie du langage et (qui) affiche par là sa filiation avec SAUSSURE, ses postulats structuraux et sa conception de la langue comme institution sociale »304, Denis BERTRAND se détermine pour cette seconde approche de la sémiotique. C’est de notre point de vue, cette seconde vision de la sémiotique, donnant le langage comme valeur sociale et institutionnelle qui paraît mieux s’accorder avec la conception africaine de la notion de langage. langage Dans est les en sociétés effet performatif, valeurs traditionnelles institution déterminées par africaines, mais aussi son usage le instrument codifié et contextuel ; la parole a force d’acte, elle noue et dénoue des faits ou des destins ; elle illustre et explique des situations, la parole sert à édifier la société. Ce sont ces valeurs que nous retrouvons notamment à travers les formules incantatoires de bénédiction ou de malédiction ; dans les proverbes, les dictons, les contes, les fables, etc. C’est pour cet esprit fonctionnel que nous avons voulu questionner le (ou les langages) dramatique(s) africain(s) afin d’y cerner le phénomène de la signification. 10.1 – De la sémiologie du texte dramatique africain : Envisager une sémiologie ou une sémiotique du texte de théâtre de façon générale (les deux termes, ainsi que nous le voyons notamment chez Denis BERTRAND, renvoyant de manière guère différenciée, à la définition greimassienne de cette méthodologie, 304 dans « un programme - BERTRAND Denis ; Op. Cit. p. 8. 419 qui associe étroitement (les) deux dimensions : celle du système et celle du procès »), c’est essayer de saisir la valeur des systèmes de signes ; des langages de la création dramatique, mais aussi la nature des formes de discours et leur inscription dans l’œuvre dramatique, et plus largement dans l’œuvre dramatique vue comme média dans le cadre de l’échange ou de la communication sociale. D’un autre point de vue, on note que le langage dramatique s’appuie aussi sur la valeur des symboles et des signes dans leur capacité à reproduire le sens. Leur caractère motivé ou arbitraire sera toujours définit par le cadre de la conventionalité, elle-même définie par le contexte sociologique de la naissance du texte. Dans le théâtre d’Afrique Centrale, plusieurs éléments sont constitutifs des contenus que nous désignons comme sémiologiques. Ces éléments vont des catégories plus ou moins concrètes comme stéréotypés), musique ou la les dans notion de sonorités le rôle (cas (hauteur chant ; les des personnages mélodique) expressions dans la corporelles, l’intensité de la voix ; ses inflexions, et son débit, la symbolique des masques ou de la statuaire, etc. ; ou encore à des choses plus abstraites comme le code des couleurs. Pour une meilleure approche de la sémiologie du texte de théâtre pencher d’Afrique d’abord sur Centrale, les il formes théâtre. 420 est nécessaire caractéristiques de se de ce 10.1.1 – Des formes: De manière générale, le théâtre africain se caractérise par une diversité de formes, elles-mêmes définies par la diversité des contenus dont elles rendent compte. Ainsi, en parlant des formes du théâtre africain, nous voyons essentiellement deux sphères de classifications qui donnent un aperçu des contextes et des modes de création de ces différentes premier temps, formes le théâtrales. théâtre dit On rituel, a ainsi, qui dans dramatise un les différents rites d’insertion social. En second lieu, on peut parler des formes modernes d’inspiration occidentale, à l’intérieur desquelles l’on peut distinguer des sous-groupes, dont le théâtre forum et le télé-théâtre constituent les formes les plus marquantes. A- Le théâtre traditionnel : Dans le premier groupe, on peut parler du théâtre traditionnel, d’inspiration religieuse ou cultuelle ; celui qui fonde son coutumiers. discours C’est globalement au sein un sur les théâtre des usages et rituel, sociétés les qui rites s’élabore initiatiques. Dans son essence première, le théâtre rituel est le fait de quelques individus dont les rôles sont plus de l’ordre de l’anthropologie. Il s’agit pour ces rituels théâtralisés, de procéder à la transmission d’un enseignement ; d’un savoir sacré, dont seuls quelques membres du groupe sont dépositaires. Ils sont les seuls à pouvoir en assumer la transmission au cours des rites de passage. Si certains aspects de ce théâtre peuvent être réalisés devant un public de profanes, d’autres, par contre, du fait de certains contenus à cause du caractère ésotérique qu’ils 421 peuvent véhiculer, restent le fait uniquement des initiés et des impétrants. B - Le théâtre forum et les formes audiophoniques et télévisuelles (télé-théâtre) : Le théâtre forum est sans doute la forme d’expression théâtrale Ainsi la que plus le répandue décrit en Prosper Afrique KOMPAORE Noire de francophone. l’université de Ouagadougou au BURKINA FASO, il est d’intervention social : « Le théâtre forum repose sur un principe fondamental qui est la non-dichotomie entre acteur/spectateur. En outre il part du postulat que le spectateur peut jouer au théâtre et que, ce faisant, il peut rendre compte des états de son cœur et de sa raison et qu’enfin ce jeu met en branle une volonté de libération et de rupture de l’oppression manifestée. »305 A côté du théâtre forum, il existe une autre dramaturgie qui a su exploiter le contexte et les moyens modernes de la radiodiffusion et de la télévision. C’est cette dramaturgie qui consiste en une caricature prononcée des mœurs ou des types de caractères. Sa particularité est d’emprunter les canaux de la télévision, de la radio ou de la vidéo pour investir aussi bien les foyers, les espaces publics de spectacles, que des espaces aussi singuliers et particulièrement réduits tel que l’habitacle d’une voiture, etc., par le biais de lecteurs de cassettes audio. Point n’est plus besoin se rendre dans une salle communautaire pour apprécier les prestations d’un Jean Miché KANKAN, ou d’un DIBAKOU, pour ne citer que ceux-là. 305 - KOMPAORE Prosper : Le théâtre d’intervention sociale en Afrique. Expérience de la Troupe « Atelier-Théâtre Burkinabè » au Burkina Faso ; in THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Paris, Editions Silex, 1990, p. 151. 422 C - Techniques d’énonciation : Dans le domaine de l’énonciation, la dramaturgie africaine tend souvent à faire correspondre l’écriture à la réalité sociologique. C’est ainsi que plusieurs niveaux ou registres de langue se rencontrent au sein de la production. On y trouve en effet des textes dont la recherche en matière de poétique de la langue constitue un élément fondamental ; c’est le cas notamment chez Sony LABOU TANSI, Tchicaya U TAM’SI ou chez Laurent OWONDO. Chez ces auteurs, il y a un véritable rapport entre la notion de théâtre au sens moderne, et la valeur accordée aux questions formelles du texte par le respect des codes graphologiques, notamment le découpage de celui-ci en actes, scènes ou tableaux. Il est à noter cependant que chez LABOU TANSI, les codes graphologiques « délires forme, constituent créatifs » ; où le poète des laisse parfois espaces libre des lieux d’appropriation cours à une de de la imagination débordante de fantaisie, caractérisée par exemple par le non respect des conventions de dénomination des scènes. Dans Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? , les scènes portent des numéros d’ordre, mais elles portent également des titres dont la relation avec le contenu n’est pas toujours clairement établie (exception faite des scènes : 2, titrée « paysanne » ; et 24, dite « scène de marbre », qui, en 2, mettent en scène des paysans, et en 24, se passent « au pays des mort », car la symbolique du marbre évoque ici le marbre des tombes et monuments funèbres ; la froideur du marbre rappelant la froideur de la mort.)306. C’est ainsi que l’on a, comme titres de scènes : 1. Scène porte cassée ; 2. Scène paysanne ; 3. Scène parenthèse ; 4. Scène punique, etc. Il en 306 - LABOU TANSI Sony : Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? , in Théâtre I ; Paris, Editions Lansman, 1995, p.38 et 102. 423 est ainsi dans tous les textes qui constituent les volumes Théâtre I et Théâtre II. Concernant les personnages, soit ils sont classés par groupes, et ces groupes portent des titres génériques comme on peut le lire dans Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent : Les personnages-clefs, personnages au pain les personnages et perdu, le au beurre, personnage à les l’eau de menthe, qui occupe seul cette classe. Le même procédé de classification des personnages apparaît aussi dans Une vie en arbre et chars… bonds, où les deux groupes de personnages sont désignés comme : Les personnages et initiaux, Personnages à clefs. Sur le plan de l’expression et de la langue, on peut observer une forme de transposition de la langue orale à l’écrit. On peut dire que les choix du type, ou de la nature (niveau) de la langue constituent un choix motivé par les besoins de l’auteur vraisemblable, production, le la à rendre contenu thématique, de plus sa et réaliste ; pièce. d’une Le plus contexte certaine de manière l’idéologie de la pièce obéissent de façon essentielle à des codes sociologiques et culturelles. C’est que le théâtre africain ancrera toujours son discours dans le système de l’oralité, elle-même régit par un ensemble de lois et contraintes éthiques et esthétiques. Tant que le personnage demeure dans le contexte identitaire de sa culture, les codes correspondront globalement à ce milieu. C’est le croisement des identités et des systèmes qui produira l’effet de décalage que l’on peut observer chez certains personnages, notamment dans les pièces de NYONDA, où le croisement des cultures donne naissance à un type particulier de langage. Ainsi, les villageois de Trois prétendants, …un mari ; les miliciens du Combat de Mbombi, ou encore les Anciens qui se réunissent en conseil dans Deux albinos à la M’passa, peuvent-il de ce fait s’exprimer dans une forme de langue 424 fort peu conventionnelle. Cet écart par rapport aux codes normatifs n’est que le reflet, soit le fait, volontairement mis en évidence par l’auteur, de l’ignorance par les paysans, des règles de la syntaxe française, soit le fait de cette transposition de l’oral à l’écrit, caractéristique de l’esprit et du contexte du mode conversationnel dans lequel se déroulent les échanges de paroles. Le choix de l’auteur réside donc dans sa volonté à coller au plus près de ses sources d’inspiration. Car, dans le contexte de la rencontre des cultures par exemple, la maîtrise de la langue française dans les milieux ruraux reste (encore aujourd’hui) le fait d’une certaine minorité. Parler de l’énonciation au théâtre, c’est donc aborder des questions d’ordre esthétique, mais aussi des question de l’ordre de l’organisation formelle de la pièce. Dans cet ordre d’idées, les didascalies et l’ensemble du paratexte peuvent constituer d’autres termes de l’analyse. A ce propos, l’organisation formelle des textes semble n’avoir obéit à aucune règle tragique, précise, drame, la etc.) a tonalité parfois, des chez pièces (comique, certains auteurs, orienté la division interne du texte. Ainsi chez Sony LABOU TANSI, la division conventionnelle en actes et scènes ou en tableaux ne constitue pas un élément régulier et conventionnel ordinairement admis dans la structure formelle du texte. Cette division intègre l’esthétique particulière de cet auteur. Il peut briser les codes et façonner celle-ci selon son ressenti. Au sein de notre corpus, les formes de l’énonciation sont donc de plusieurs ordres. Il y a des formes que l’on peut désigner comme académiques, et que la critique africaine, en matière de théâtre désigne comme appartenant au théâtre universitaire, qui semble plus ou moins cadrer avec les standards formels de l’écriture théâtral. C’est notamment le théâtre d’OWONDO, de U TAM’SI 425 ou de MENDO ZE, où la répartition scènes et tableaux rend compte d’une certaine adhésion au conventionnalisme scriptural, formel et structurel lié au formes théâtrales « classiques ». A côté de ce théâtre universitaire, il y a le théâtre de Sony LABOU TANSI qui joue volontiers sur une énonciation de la rupture ; rupture de construction entre l’énonciation et le contenu énonciatif ; entre le signifié et le signifiant. Mais l’aspect le plus remarquable dans ce phénomène de déconstruction, de rupture vis-à-vis de la norme et des codes littéraires reste la liberté prise par l’auteur dans la dénomination des séquences textuelles. 10.1.2 – Des contenus : un théâtre d’intervention sociale : En terme de contenus, le théâtre d’Afrique Centrale se donne à voire à partir d’un certain nombre de facteurs définitoires à travers lesquels il tire sa spécificité. Ce sont des facteurs d’ordre thématique d’un côté ; et matériel de l’autre. Concernant les contenus thématiques, nous retiendrons qu’ils tournent sociale, alors essentiellement que du point autour de vue d’une problématique matériel, le théâtre d’Afrique Centrale offre une diversité d’objets fonctionnels qui, d’une certaine manière, participent à la caractérisation de cet art. A la question de savoir quel lien unit le théâtre et la société, nous pouvons essayer d’y répondre en partant de l’association fréquemment établie entre les arts de la scène en général, formation et l’idée communément de message, affectée à d’information l’œuvre et de théâtrale en Afrique. Le théâtre étant presque toujours conçu comme un art 426 d’intervention sociale. Il y a, paradoxalement à ce que peut penser PAVIS sur le message comme thèse307 au théâtre, en Afrique, toujours un besoin de concevoir le théâtre comme un média pour la transmission de certaines idées, de certains messages. Nous en voulons pour preuve, les multiples créations qui portent autant sur la lutte contre les grandes pandémies de nécessité ces de derniers la temps ; scolarisation la des valorisation jeunes et filles la dans certaines sociétés, ce qui n’a pu parfois se faire que par la médiation du théâtre. En effet, le théâtre d’intervention sociale a pour objet de mettre en relief les phénomènes de société tels que vécus par l’individu ou la communauté. Du fait de son caractère événementiel, ce théâtre va favoriser une forme de cristallisation des énergies en vue de faire émerger sinon des solutions, du moins des questions auxquelles le théâtre social veut amener le public à répondre, en prenant le jeu comme prétexte. A ce propos, KOMPAORE note le rôle catalyseur du théâtre d’action sociale : « La représentation théâtrale, du fait de son caractère d’événement de masse, favorise la catalyse sociale. Cette catalyse sociale est tributaire de la puissance évocatrice des images théâtrales, et de la mise en œuvre des phénomènes de dynamique de groupe. Il en résulte une sorte d’emphase des émotions collectives : la joie, la douleur ou la révolte individuelle sont surmultipliées par le nombre de 307 - PAVIS in Dictionnaire du théâtre ; aux Editions Armand Colin, 2002, p.202, trouve « suspecte » la conception selon laquelle « le message de l’œuvre ou de sa représentation serait ce que les créateurs sont censés vouloir dire », et que « cette conception (…) implique que les créateurs possèdent d’abord, avant leur travail dramaturgique et scénique, une leçon à transmettre, et que le théâtre n’est qu’un moyen subalterne et occasionnel pour cette transmission ». Il se trouve qu’en Afrique, c’est justement l’un des rôles prioritairement assignés à l’activité théâtral. Ceci fort clairement dans l’analyse faite par Prosper KOMPAORE au sujet du théâtre burkinabè. 427 participants et se transmuent en euphorie, délire ou émeute. »308 Collectivement ou individuellement donc, le public est appelé à prendre conscience des situations ou des phénomènes qui peuvent entraver le bon fonctionnement de l’organisme social ou communautaire, et ainsi tenter de remédier aux défaillances observées. Car en Afrique, on ne peut dissocier l’art de sa fonction sociale. Prosper KOMPAORE observe encore fort justement à ce propos que : « Les véritables praticiens du théâtre africain savent d’expérience que les cultures africaines ignorent la dichotomie artificielle entre l’art et la fonction sociale. Le conteur, non seulement dit une fable de manière vivante, mais en même temps pointe du doigt les défauts de la société et indique les voies préconisées par l’éthique sociale ou délivre des fragments de la connaissance de la collectivité. Le danseur, dans la majorité des cas non seulement se livre à une exhibition artistique valorisant la force, la grâce ou l’endurance, mais traduit dans bien des cas et de manière imagée ou mimétique les actes essentiels de la vie du groupe ou de son esthétique sur la vie : une prise de parole médiatisée parle corps. Certaines représentations sociales, rituelles ou ludiques, sont de toute évidence des formes d’intervention sociales théâtrales ou théâtralisées (…) ».309 Le conte, l’épopée, le chant la danse, la devinette etc., toutes ces formes d’expression artistique participent ; en Afrique, événements et de l’intervention les vicissitudes sociale. de la En énonçant les vie sociale, ces différentes manifestations culturelles visent à sensibiliser 308 - KOMPAORE Prosper : Le théâtre d’intervention sociale en Afrique. Expérience de la Troupe « Atelier-Théâtre Burkinabè » au Burkina Faso, in THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Paris Editions Silex, 1990 ; p.153. 309 - KOMPAORE Prosper ; Op. Cit. p. 150. 428 l’auditoire, à l’amener à rechercher des solutions salutaires en vue du mieux-être de l’homme. 10.2 – Contenus sémiologiques : Avec ce que nous avons identifié comme appartenant à l’ensemble des contenus thématiques, des contenus d’une autre nature sont repérables à l’intérieur du discours et de la pratique théâtrale africaine. Car le théâtre se sert aussi bien de la parole que des systèmes de signes non linguistiques, mais qui tous ont une valeur signifiante. L’on peut classer ces derniers dans une catégorie qui aurait pour propriété, à représenter l’intérieur ou culturelles. de Tous des signifier les systèmes des signes, énonciatifs, réalités tous les de sociales ou systèmes de signification sont utilisables dans le spectacle théâtral. C’est que, terrain signes affirme Tadeusz particulièrement les plus fonctionnement d’autres, le favorable divers, des KOWZAN, signes personnage ; à la « Le à théâtre la confrontation sémiose, dans la vie son rôle offre dans des c’est-à-dire sociale. »310 le un du Comme discours et l’action théâtrale, peut à cet effet être envisagé comme un signe C’est dans ce sens que nous nous proposons d’aborder les notions de rôle et de personnage, ainsi que des questions relatives aux espaces scéniques, aux décors et à bien d’autres phénomènes scénographiques tels qu’ils peuvent se manifester dans le théâtre d’Afrique Centrale, ou dans le théâtre de manière générale. Ici le phénomène et les processus de la sémiotisation confèrent une valeur de signe à toute chose apparaissant sur la scène, avec pour dessein de 310 - KOWZAN Tadeusz : Sémiologie du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2005, Collection Fac. Littérature, p. 9. 429 participer à la formalisation d’une signification. C’est ce qu’exprime fort sémiotisation justement d’un le élément propos de la de PAVIS : « Il représentation y a lorsque celui-ci apparaît clairement comme le signe de quelque chose. Dans le cadre de la scène ou de l’événement théâtral, tout ce qui est présenté au public devient un signe « voulant » communiquer un signifié »311. En effet, en intégrant un signe à système esthétique signifiant, et par on confère conséquent ce à ce signe signe est une valeur caractérisable comme élément sémiologique : « Tout ce qui est sur scène est un signe », Cette confirme encore sémiotisation des VELTRUSKY, éléments de PAVIS312. que cite la représentation constitue un fait majeur dans le système de représentation et de signification dans le théâtre africain. Les objets de la représentation dans leur ensemble prennent quasiment à chaque fois, une valeur connotative. 10.2.1 – La notion de rôle : Ainsi que nous venons de l’énoncer, la notion de rôle, comme celle de personnage, dans l’univers du théâtre, sont, de notre point de vue, constitutifs des contenus sémiologiques dans la mesure où leur inscription dans une sémantique du discours théâtral permet l’élaboration d’un système signifiant, lui-même élaboré à partir de contenus culturels producteur et de civilisationnels sens. Le rôle donnés comme rejoint ici potentiellement par endroit une certaine image de stéréotypie, car il désigne des caractères sociaux généraux, ou spécifiques des groupes ou des personnes individuelles. 311 - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002, p. 323. 312 - VELTRUSKY J. A Prague School Reader on Esthetics. Literary Structure and Style, Georgetown University Press, Washington, 1964, p. 84, in PAVIS Patrice, Op. Cit. p. 323. 430 Telle qu’on la retrouve dans ses multiples usages, la notion de rôle est une notion pluridisciplinaire. De notre point de vue, un certain nombre de domaines essentiels d’intervention expliquent ce caractère pluridisciplinaire et transitif de la notion de rôle. Ce sont notamment, comme les présente Catherine psychologie KERBRAT-ORECCHIONI, sociale, de la sémiotique théâtral associera les et domaines de de la l’analyse du discours. Le discours souvent ces trois domaines de manifestation de la notion de rôle pour rendre compte et exprimer la subjectivité du personnage, en même temps que sa fonction et ses comportements langagiers. Rôle et personnage sont donc deux notions littéraires, sociales, artistiques, etc., qui restent indéfectiblement et intimement liées. Car du personnage dépend le rôle à travers lequel celui-là peut être identifié. Et selon les nombreuses acceptions données à la notion de rôle par sociologie KERBRAT-ORECCHIONI, et en psychologie le rôle sociale désigne, « une en position déterminée dans un ensemble ordonné de comportements de la vie en société. (…) Le rôle se rattache au statut et en constitue en quelque sorte les différentes fonctions. »313 C’est dans ce sens que les personnages de l’univers théâtral et des univers de fiction en général, peuvent entrer dans la catégorie des rôles sociaux ; leur univers étant donné comme potentiellement réel. En sémiotique narrative, le rôle désigne « la fonction que joue un personnage dans un récit, mais cette fonction n’est qu’un pur comportement syntaxique qui est tenu par des actants (agent, patient, bénéficiaire), ce pourquoi on parle de rôles actantiels. »314 Cette définition de la notion de 313 - KERBRAT-ORECCHIONI Catherine in Dictionnaire d’analyse du discours, sous la direction de Patrick CHARAUDEAU et Dominique MAINGUENEAU ; Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 513. 314 - Id. 431 rôle présentée ici dans l’univers de la narration est applicable à l’univers de la dramaturgie, vu comme processus par lequel l’histoire prend corps. Au point de vue de l’analyse du discours, la notion de rôle est utilisée « pour déterminer des comportements langagiers. (Car) de même qu’il existe des comportements qui révèlent le statut et les fonctions des acteurs sociaux, des comportements qui révèlent un type d’action des personnages d’un récit, il existe des comportements qui révèlent le mode d’énonciation dans lequel sont engagés les sujets parlants. »315 Dans la mesure où la fiction littéraire a pour ambition de rendre crédible son discours, le déploiement de la notion de rôle, à travers psychosociologiques ; narratives ou légitimité. en Car ses à travers analyse elle acceptions du permet les sociologiques situations discours, de trouve spécifier les et sémio- toute sa différentes positions de cette notion à l’intérieur du texte. Les tel ; personnages ils psychologique, sont ne sont aussi plus la sémiologique, vécus seulement représentation etc., de comme sociale, certaines réalités identifiables à partir de traits caractéristiques. La notion de rôle se rapproche alors de celle de personnage, au sens ou elle traduit un état sociologique ou psychologique. 10.2.2 – Le personnage : les phases de l’éthos : Pour rendre compte de la société et des interactions qui régissent les arts dramatiques et leurs milieux de production, nous nous sommes notamment penchée sur la notion de personnage. Le personnage est de fait l’instance qui incarne le mieux la réalité du théâtre. C’est en effet le 315 - Id. p. 513 à 514. 432 personnage qui porte l’action, les idées et les différents univers sociaux et politiques, culturels et philosophiques en mouvement dans le texte. A ce propos, il est intéressant de voir comment se comporte cette instance dans les processus de mise en œuvre du discours, et dans ceux de génération du sens. La notion de personnage est ici fondamentalement constitutive des univers de la fiction littéraire. Et si dans le texte romanesque le personnage du narrateur est l’instance qui assume la principale fonction du récit, à savoir la fonction narrative, c’est en effet à travers le narrateur que les actions théâtre la singulière, des autres notion car de elle personnages personnage manifeste sont est les connues. en Dans le elle-même assez caractéristiques d’une instance totalement autonome, libre des interférences liées à la nature profonde du genre romanesque où le propos du personnage est toujours de l’ordre du discours rapporté, en dépit de l’usage des artifices mis en place par le narrateur pour faire passer les répliques des personnages comme appartenant au registre du discours direct. Pour comprendre la notion de personnage au théâtre, il convient de répondre à une double interrogation : 1 – qu’est-ce qu’un personnage ? 2 – qu’est-ce qu’un personnage de théâtre ? Pour entretient Georges une ZARAGOZA316, corrélation chacune avec de deux ces questions autres termes différents, où la notion de personnage s’oppose à celle de personne ; la seconde corrélation étant rendue par l’autre postulat où la notion de personnage de théâtre diffère de celle de personnage d’un autre genre artistique, par exemple la peinture. pertinente Mais réside selon entre ZARAGOZA, deux 316 l’opposition personnages de la plus statut - ZARAGOZA Georges : Le personnage de théâtre ; Paris, Armand Colin, 2006 ; p. 1. 433 littéraire. Pour lui donc, le personnage le plus proche du personnage de théâtre au sein de la sphère littéraire est le personnage de récit. Il observe notamment qu’en considérant que « personne » et « personnage » ont la même étymologie latine c’est-à-dire « persona » qui signifie « masque tragique », il souligne qu’il y a ici un certain risque de confusion entre les deux notions. Mais pour ZARAGOZA il apparaît plus vraisemblable de dire que « la personne » appartient au réel, alors que « le personnage » appartient au fictif. Homme ou femme, le personnage (la personne fictive) est plus proche de ce que le latin traduit par « masque tragique ». Le terme latin « persona » renvoie par conséquent à la notion de rôle, au sens le plus large de « composition ». C’est que ces êtres fictifs ne sont appelés à vivre que dans le temps et l’espace d’une représentation, car le personnage ne renvoie pas nécessairement à une personne dans le réel. Dans la majorité des cas, le personnage du théâtre d’Afrique Centrale, comme en d’autres lieux, tend vers un statut de personnage-allégorie, en ce sens qu’il incarne souvent une notion, une entité qui peut aller au-delà des limites de la notion d’individu social, pour prendre des formes plus générales d’un caractère humain, d’un courant de pensée, d’habitus sociaux, d’espaces chronologiques, etc. Il serait juste dans ces cas précis, de parler de symboles, d’archétypes, car ils rendent compte de la vision que les peuples et les individus se font des personnes, des institutions, des usages et des comportements sociaux, des pratiques sociales ; des traditions, etc. La désignation des personnages selon leur appartenance à une catégorie sociale tend à les caractériser par rapport à des traits spécifiques, reconnaissables à un groupe. Les vieux sont ainsi classés selon la conception qui en fait 434 des dépositaires de la tradition et des coutumes anciennes. Et dans le théâtre de NYONDA ou de OYONO MBIA, les termes « Vieux » et « Ancien » s’apparentent souvent à « sagesse », « expérience », « tradition » et « coutumes ». C’est personnage dans de ce sens théâtre que que ZARAGOZA celui-ci note est à propos du comme un « conçu type : le roi ou le tyran (au sens grec du terme) renvoient à tous les vrais rois de l’histoire et les représentent, car il correspond à une vraisemblance du personnage de roi. Chaque personnage de théâtre antique et classique (jusqu’au XVIIIème siècle) est un ensemble de signes et de repères donnés par son langage chaque et ses actions représentation (leur précise conduite en en scène) l’incarnant, mais que sans épuiser l’exemplarité qui lui est propre : chaque personnage reste le représentant d’un type plus ou moins complexe. »317 La pratique du théâtre en Afrique s’appuie généralement sur des usages conventionnels dans sa manière de déterminer les rôles et les éléments de la scène. C’est ainsi que les rôles et les personnages vont souvent apparaître comme des caractères, construits ainsi que nous l’avons déjà relevé, sur un modèle bien déterminé, et qui est reconnaissable à certains éléments définitoires et caractéristiques de leur manifestation et de leur existence. Le théâtre populaire, dont la thématique s’appuie essentiellement sur la satire et la dérision des travers et des vices personnages de ou la société, de ces fait rôles un usage caractérisés. massif On a de ces ainsi le personnage de l’homme politique, riche, suffisant et borné, reconnaissable à son embonpoint, et à la richesse de son accoutrement, mais aux manières détonantes. L’autre personnage caractérisé par la scène africaine est celui de la commère, véritable mégère se mêlant de tout, et capable de 317 - ZARAGOZA Georges : Le personnage du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2006, p. 9-10. 435 commettre les plus viles actions pour nuire aux autres membres de la communauté. Personnage très mobile, elle est reconnaissable à ses formes généreuses : callipyge et forte poitrine (cette comédiennes par caractéristique des artifices est de souvent apportée rembourrage dans aux les costumes), est souvent à l’origine de conflits. Elle est le contraire de la femme sage et réservée, ou de la jeune fille innocente. Le personnage du fonctionnaire est quant à lui reconnaissable à son allure stricte et fonctionnel ; vêtu souvent d’un complet avec cravate, il incite au respect et à l’envie. Le bandit ou l’escroc pour leur part apparaissent souvent avec des attributs divers. Suivant l’objectif visé, ils emprunteront un déguisement qui leur permettra de mieux abuser de leurs victimes. Ce sont en somme de véritables personnages caméléons. L’ivrogne, moderne, est le souvent présent contraire de dans tous le théâtre africain les autres. Vêtu de haillons, mal chaussé, il va toujours avec une bouteille à la main. C’est un personnage ambigu, souvent abhorré car il est le signe d’une certaine forme de déchéance physique et morale, mais il peut parfois susciter un élan de sympathie chez le public lorsqu’il devient l’instrument de la vérité et de la morale. L’ivrogne est souvent celui qui fait éclater au grand jour les secrets de la femme adultère, les exactions ou les délits des responsables politiques ou d’administration. Et comme l’ivrogne, les femmes de mauvaise vie sont reconnaissables à leur habillement ostentatoire et à leur maquillage extravagant. Si l’ivrogne est quelques fois donné comme la victime des bouleversements de sa société, les femmes de petite vertu elles caractérisent le vice et la débauche, tout ce que la morale condamne. 436 Le théâtre inspiré des faits historiques ou tirés de la culture traditionnelle types ; ses présente caractères. Le lui aussi vieillard à ses la personnages barbe et aux cheveux blanchis symbolise la sagesse et l’expérience ; le guerrier harnaché de ses armes et de ses amulettes est le symbole de la force, de la vaillance et de la loyauté, tandis que les jeunes gens sont souvent le signe de l’ignorance, de la légèreté, de l’inconscience et de l’opposition au traditions. Ils ont besoin de la sagesse des anciens pour acquérir la connaissance et la sagesse. Il faut dire caractéristiques servent à le que et chaque personnage d’attributs distinguer des qui le autres est doté de déterminent, et protagonistes. Cette caractérisation des rôles dans le théâtre d’Afrique Centrale est un héritage de la pratique traditionnelle du jeu de scène, ou le personnage était avant tout traité comme un caractère social. Comme nous l’avons dit plus haut, certains personnages de la dramaturgie allégorique, car ils africaine présentent incarnent souvent une un caractère abstraction ; c’est notamment le cas chez Sony LABOU TANSI, dans Qui a mangé Madame d’Avoine Bergtha ?, où l’on rencontre des personnages tels que : L’homme à la voix de diable et de toutes les diableries, Les espions de l’homme à la voix de diable, La crieuse qui pleure, Des inséminateurs, etc., ou dans Une vie en arbre et chars … bonds : L’homme- monstre, L’homme montre, Le géniteur d’emplois, Le préposé, Les taureaux-chicoteurs, Les foules etc., dont on peut imaginer les fonctions à partir de leurs dénominations. Le personnage allégorique peut aussi se saisir à partir de ce Georges NGAL désigne comme des repères identificatoires : « Entendons par repères identificatoires les traits distinctifs qui singularisent un individu, comme son nom, son sexe, son comportement, 437 son statut social. D’autres parleront « l’ensemble des réidentifier un de traits marques individu de caractère, distinctives comme étant qui le c'est-à-dire permettent même. Par de traits descriptifs, il cumule l’identité numérique et qualitative, la continuité temps »318 ou reconnaît une dispositions ininterrompue et « l’ensemble personne » acquises des (…). qui la permanence dans le à quoi on peuvent être des dispositions Celles-ci viennent s’ajouter aux traits distinctifs du caractère. Pour une part, l’identité d’une personne ou d’une communauté est faite à des identifications à des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros, des figures héroïques, légendaires dans lesquels la personne, la communauté se reconnaissent. Ces dispositions d’une personne ou d’une communauté ont une histoire, une stabilité une continuité ininterrompue »319. C’est que dans la construction de l’éthos, donc du caractère, l’influence du milieu social et culturel ; la personnalité profonde de l’individu ; du personnage, sont définitoires de l’image que ce dernier se construit, et qu’il projette à l’extérieur afin de se singulariser ; elle est en quelque sorte sa marque de fabrique, ce par quoi il est reconnu. La construction de l’éthos d’un personnage est aussi en relation étroite avec son univers affectif. La création littéraire donne souvent à lire des caractères qui surgissent des contenus et des situations souterraines ; du vécu sousjacent des enfouis au détresse de personnages, plus profond pouvoir des de sentiments leur s’accorder être autant contradictoires tourmenté, avec le et en monde environnant qu’avec leur propre conscience. Il en résulte, pour certains comme Hamlet, une forme de « lâcheté » ; de « défaitisme », par opposition à la férocité des autres, qui 318 - RICOEUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p.146 ; cité par NGAL Georges in Création et rupture en littérature africaine, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 79. 319 - Ibid., NGAL Georges. 438 ne peuvent s’accomplir qu’à travers la perversion idéologique et l’absence de toute valeur morale. 10.2.3- La scène et le décor : En terme de contenus sémiologiques, la scène, et les décors qui la structurent constituent en eux-mêmes, des systèmes signifiants, dont au théâtre, le caractère est donné comme motivé. Car, « le fait même de leur utilisation dans le cadre d’un spectacle leur accorde, habituellement, un degré de motivation supérieur à celui qu’ils avaient à l’origine, dans la nature ou dans la vie sociale. Dans l’échelle dont le bas est constitué par l’arbitraire pur, le signe théâtral occupe le plus souvent, un ou plusieurs degrés plus haut que son équivalent non théâtral. »320 La spécificité du fait théâtral est d’être un art multiforme et multidimensionnel. Son caractère essentiel est de se manifester à travers la mimèsis, en donnant l’illusion d’être ce qui se passe, en situation, au cours de la représentation. La mise en scène choisira donc toujours de mettre l’accent sur les éléments déterminants de l’histoire, et sur les aspects événementiels du décor. Celui-ci offre au sein de la dramaturgie, une économie de la signification nécessaire au caractère mimétique de l’acte théâtral. L’importance et la spécificité du traitement de la scène et du décor dans la pratique théâtrale africaine sont, à notre avis, à rechercher dans le traitement de l’espace et du temps comme éléments de structuration scénographique, mais surtout comme marqueurs idéologiques et culturels, objectivement liés, et sous-tendus par l’histoire et le vécu quotidien des populations mis en représentation. 320 - KOWZAN Tadeusz : Sémiologie du Collection Fac. Littérature, 2005, p. 439 théâtre ; Paris, Armand Colin, Afin de rendre lisibles les cadres historiques et sociologiques des structures dramatiques, la construction de la scène, où, dans le cas des représentations de plein air, le metteur en scène utilisera le cadre naturel du milieu ; ou au contraire, espaces il s’appliquera souvent à reproduire les évoqués, tout en les mettant en relation avec des facteurs plus ou moins explicites d’époques, ou de moments historiques. Les didascalies donnent souvent le cadre de référence sur lequel s’appuiera la construction du décor. Les décors et l’occupation de l’espace scénique constituent donc aussi un élément nécessaire à la construction de la signification portée par les contenus discursifs du théâtre en Afrique Centrale de manière particulière. La parenthèse de sang de LABOU TANSI qui s’ouvre dans un décor où la vie et la mort se côtoient (les trois tombes sous les kambalas : signe de la mort ; dans la cours d’une villa sur la terrasse de laquelle est dressée une table : signe de vie), montre comment le décor peut participer à l’élaboration du sens de la pièce. En introduisant ce symbole de mort qu’est la tombe, le dramaturge propose une des pistes à travers lesquelles le public va se mouvoir pour aboutir au sens. La tombe étant le signe de l’enfermement et de la finitude, le sens tragique de la pièce est ressentit dès le levé de rideau. 10.2.4- Autres contenus sémiologiques : les costumes, la musique et le maquillage : A L’instar de la scène et des décors, les costumes, la musique, et dans une certaine mesure le maquillage, constituent d’autres éléments porteurs de sens dans la mise en scène du théâtre africain. On peut en effet observer une forme de distribution socio-culturelle dans l’utilisation de ces éléments, car comme le relève Tadeusz KOWZAN à propos de 440 l’utilisation des couleurs au théâtre, « la motivation et l’arbitraire dans l’utilisation des couleurs se côtoient, avec une tendance générale à renforcer le caractère motivé (…) Les couleurs dans le maquillage et les masques de certaines traditions théâtrales sont le plus souvent (…) des signes arbitraires ; (…) ils sont conventionnels parce que leur valeur significative est fondée sur des règles connues du public ou au moins par une partie du public »321. La mise en scène des textes comme Le Zulu de U TAM’SI, La mort de Guykafi, Le combat de Mbombi, Deux albinos à la M’Passa, Bonjour Besieux de NYONDA, demanderont toujours que les costumes et les maquillages reflètent une certaine fidélité à l’esprit et aux usages culturels des sociétés et des époques au cours desquelles ces histoires sont censées avoir eu lieu. Mais les costumes sont aussi révélateurs des moments et de l’importance des situations au cours desquelles ils vont être arborés. Ainsi, les costumes et les peintures de guerres que porte Chaka traduisent les moments de tension qui structurent la pièce. Il arbore en effet dès l’ouverture de la pièce, perturbation un costume d’apparat, signe de troubles et du quotidien de la communauté du guerrier. De même, lorsque les guerriers Guykafi et Mbombi chez NYONDA se montrent en costumes de guerre, on peut comprendre que les événements à venir et l’action en cours, se situent dans un contexte de conflit ; de guerre. Le costume est pour le personnage, la transposition d’une idée ou d’un sentiment en lien avec son vécu intérieur, ou avec sa position sociale à laquelle la situation dramaturgique tend à donner corps. Le costume peut alors se lire comme l’affirmation d’une certaine identité morale ou sociale ; ou d’un contexte événementiel particulier. 321 - KOWZAN Tadeusz : Sémiologie du Collection « Fac. Littérature », 2005. 441 théâtre ; Paris, Armand Colin, Nous pouvons faire une lecture similaire par rapport aux instruments de musique, ou plus précisément à la musique qui, dans les cultures africaines, est porteuse d’une réelle charge symbolique. classification Celle-ci des est instruments. déjà contenue Ceux-ci dans la constituent non seulement des instruments de musique au sens strict du mot, mais ils sont aussi utilisés comme mode de communication. Les systèmes de communication traditionnels affectent en effet un rôle spécifique à divers instruments, et essentiellement aux tam-tams, qui sont des instruments majeurs dans ce domaine. Au cours d’une séquence de danse, il s’instaure un véritable dialogue entre les danseurs et les joueurs de tamtam. Si le joueur orchestre la chorégraphie, c’est à l’aide de son instrument qu’il peut se faire comprendre. Les sons et les modulations rythmées de l’instrument sont interprétés par le groupe de danseurs de la même manière que l’on peut interpréter les séquences verbales de la voix humaine. Produites de manière distincte, les sonorités graves du grand tam-tam évoquent immanquablement la tragédie, le malheur ; alors que celles plus gaies et légères du petit tam-tam Ensemble sont le les signe deux de la tam-tams joie et expriment des ces réjouissances. deux côtés de l’existence humaine. Là où l’on se réjouit, ne jamais oublier que le malheur n’est pas loin. A la fougue donc du petit tamtam, répond la tempérance du grand. Concernant le maquillage, son utilisation est plus ou moins fréquente dans la mise en scène africaine. L’usage du maquillage dépend de la nature de la pièce. Et en fait de maquillage, il faut signaler que celui-ci reste assez sommaire ; on parlera plus nettement de couleurs, car la mise en scène africaine a rarement recours aux grands artifices de transformation matière, physique l’ocre essentielles de et la le des acteurs. caolin palette des 442 Toutefois, constituent couleurs qui les en la bases servent à transformer les traits des personnages dans la mise en scène africaine. Les textes comiques du téléthéâtre, les pièces où l’on veut amener le spectateur à distinguer les classes d’âge des différents personnages auront généralement recours à un maquillage spécifique, dont le rôle sera de donner les traits marquants de la vieillesse : les cheveux et la barbe blanchis suffisent à créer cette illusion de vieillesse chez les hommes, tandis que chez les femmes, le recours au maquillage reste assez limité ; la représentation d’une femme d’âge mûre se fait généralement vestimentaire : grande par le robe biais tombant de sur son les apparence chevilles, cheveux cachés par un fichu ; et pour un meilleur effet, on peut ajouter un trait de caolin sur chaque sourcil. D’autres éléments comme les couronnes de plumes ou de feuilles, des parures de bras ou de jambes ; des anneaux ou des bracelets de cuivre, dans les pièces à caractère historique ; des perruques ou des fausses barbes dans les pièces modernes, peuvent être utilisés pour accentuer l’effet recherché. En général, la mise en scène des textes africains fait un usage très modéré du maquillage ; et pour certains effets spéciaux, leurs apparitions dans la mise en scène africaine restent des moments marginaux, car les coûts de la mise en scène sont souvent supportés par les membres de la troupe, composée pour une grande majorité par des amateurs (cadres moyens d’entreprises, élèves et étudiants) et par des personnes sans ressource, seulement animées par l’amour du jeu. 443 CONCLUSION. Si le théâtre reste une réalité sociale peu aisée à définir du fait de sa double orientation, spectaculaire et littéraire, son analyse comme objet littéraire croise elle aussi une réelle complexité quant au choix de modalités potentiellement opératoires, susceptibles d’offrir à ceux qui s’y intéressent comme objet de recherche, des méthodologies propres, applicables à cette réalité. Dans une réflexion donnée au sujet de la notion de récit au théâtre, Patrice PAVIS souligne la complexité inhérente à toute recherche axée sur le théâtre en tant que produit littéraire : « Le théâtre n’a pas vraiment encore fait l’objet d’une analyse systématique, sans doute du fait de son extrême complexité (multitude et variété des systèmes signifiants), mais aussi parce qu’il reste surtout associé, dans la conscience critique, à la mimésis (imitation de l’action) plus qu’à la diégésis (le récit du narrateur).»322 C’est donc que la spécificité du système d’énonciation théâtrale oblige à une certaine prudence applicables à quant cet aux objet. possibles Car dans grilles le de domaine lecture de la littérature, la recherche universitaire aime à préciser les outils et les méthodes d’approche, les écoles et les courants de pensée qui soutiennent l’esprit de la recherche. L’étude n’échappe que donc nous pas à venons la de règle mener des sur méthodes le et théâtre outils susceptibles de les rendre saisissables. Car, si à travers la lecture que nous avons donnée de ce qui ne constitue qu’un bref échantillon de la production dramatique du Congo, du Gabon et du Cameroun, nous avons voulu rechercher les marques et les influences de la société, de son histoire, de son 322 - PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002, p.14. 444 évolution ; relation nous de avons cette aussi production voulu et établir du projet la mise en littéraire de chacun des acteurs de cette entreprise. A travers les nombreux réseaux d’influence que nous avons pu observer entre création artistique et vie sociale et communautaire, il apparaît fréquemment que la société et le théâtre africain jouent d’une influence réciproque, et que le théâtre qui s’inspire de la société pour exister, agit en même temps sur celle-ci pour en recadrer les fondements et les préceptes, en même temps qu’il joue un rôle d’observateur de l’évolution globale des microcosmes humains. Ainsi, la création littéraire et artistique africaine répond presque toujours à des attentes fonctionnelles, pratiques dans l’intérêt marqué de communiquer, de former et d’informer. C’est donc que toute analyse, toute étude opérée autour d’une œuvre d’art africaine cherchera d’abord à s’interroger, ou à répondre à la question des contenus, de leur validité en tant que message et véhicule d’une certaine vision du monde. De ce fait, ce qui apparaît de prime abord comme une activité ludique (pour le théâtre, le chant, la danse, les contes, les proverbes, les légendes, etc.), une création dont l’objet premier exclusivement se limiterait esthétiques à des (statuaire, considérations masques dessins, peinture, etc.), revêtira dans la pensée et la vision du monde des Africains, une charge aussi bien émotive, liée à la matérialité métaphysique, esthétique de sociologique l’objet, et que culturelle philosophique, du groupe dans lequel il né. Le contexte de naissance et de création de l’œuvre artistique oriente donc pour l’essentiel, le prisme à partir duquel cette œuvre doit être observée. C’est sans doute cette exigence qui a longtemps tenu le théâtre et tous les autres occidentale, arts qui africain a essayé loin de 445 de la porter sur compréhension les réalités culturelles africaines un regard formaté par des standards et des canons différents. L’objet fondamental de la recherche sur les activités artistiques et culturelles africaines sera donc pour l’essentiel, de donner du sens ; de suggérer des lectures possibles de celles-ci. éclairage différent Il s’agit ce qui sur en somme apparaît de donner souvent un obscure, difficilement catégorisable ; et en littérature, de partager la vision du simplement monde d’aller de à peuples la et de découverte civilisations, d’une identité ; ou de comprendre leurs angoisses et leurs aspirations, dont les artistes et les écrivains ne sont finalement que les interprètes. C’est souvent ce rôle que les chercheurs, par tâtonnement, essai, ajustement, construction et déconstruction, essayent de démontrer. Partant de la lecture des thèmes à la critique textuelle et sociale, nous avons tenté, par ces différentes approches, d’énoncer influence entre la situation théâtre et ou la société ; relation de de co- postuler la signification plurielle des œuvres de notre corpus. Cette diversité de sens est déjà sous-jacente dans la diversité des méthodes d’investigation mise en œuvre. Nous aurions pu privilégier une approche unique pour ce travail, ce qui lui aurait sans doute conféré un caractère assez restrictif, nous privant par la même occasion de la satisfaction de saisir la réalité du théâtre dans sa multiplicité. Objet artistique et culturel certes, mais aussi œuvre poétique, le spécifique théâtre déterminée, se déploie avec un à travers langage une structure particulier et pluridisciplinaire : le langage de la vie. Le théâtre soumet en effet celui qui l’aborde à une perspective multiple. Et comme le relève Daniel BERGEZ, « L’art n’est pas d’abord une construction formelle, il vaut en tant qu’il est fédérateur d’expérience et production d’un 446 sens qui retentit sur la vie. »323 C’est donc la conjugaison de plusieurs facteurs qui donne un sens théâtrale en à l’œuvre d’art particulier, en car général, « l’œuvre et à l’œuvre d’art est l’épanouissement simultané d’une structure et d’une pensée (…) amalgame d’une forme et d’une expérience dont la genèse et la naissance sont solidaires. »324 Ainsi chez l’écrivain, il y a interaction entre l’œuvre littéraire et le monde tel qu’il est pensé et vécu par l’écrivain ou l’artiste, car l’œuvre littéraire ou artistique raconte d’abord son créateur, son contexte, sa place et son implication à l’intérieur l’aventure d’un destin mouvement même de de ce spirituel, son contexte : qui se élaboration. »325 « L’œuvre réalise La est dans question le du contexte de l’œuvre littéraire est donc fondamentalement liée à la recherche de la signification. Le contexte de l’œuvre permet alors de saisir l’esprit de la genèse du texte et de fixer les bases de son éclosion, de sa naissance. L’œuvre littéraire porte en effet la marque de la pensée de l’auteur, son vécu ; il y imprime l’expérience de son être au monde, ce que confirme le propos de ROUSSET : « Avant d’être production ou expression, l’œuvre est pour le sujet créateur un moyen de se révéler à lui-même. »326 C’est que l’œuvre littéraire, tout en excluant la personne sociale de l’écrivain pour se manifester en tant que création, imaginaire, associe en même tant ce « moi » social au « moi » créateur pour, non pas donner des réponses aux questionnements de celui-ci, mais permettre la prise de conscience de lui-même ; de sa propre situation, de son groupe, au moment de son acte d’écriture. Les formes et les langages de la littérature, plutôt que le style, donnent à l’écrivain dramatique africain sa 323 - BERGEZ Daniel et alii : Méthodes critiques pour l’analyse littéraire ; Paris, Nathan, 2002, p.117. 324 - ROUSSET Jean : Forme et signification, cité par BERGEZ Daniel, Op. Cit. p.117-118. 325 - ROUSSEAU Jean-Jacques, cité par BERGEZ, Op. Cit. p.118. 326 - ROUSSET Jean, Op. Cit., in BERGEZ Daniel, p. 119. 447 vision de la société, objet autant que sujet de sa réflexion. Et l’un des moments majeurs de cette réflexion orientée par la thématique, est celui de la relation ; relation à soi, mais aussi relation au monde, celle qui permet à l’individu créateur de se définir, d’ancrer les enjeux des questions d’écriture dans des lieux d’interrogation existentielle. Et pour l’orientation thématique de son œuvre, il s’agit pour le dramaturge africain d’atteindre son public à travers son propre vécu ; un vécu donné sans complaisance, car il faut que le public dans sa globalité, opère un retour vers soi même, vers son histoire, pour se réapproprier cette humanité qui replace l’individu au cœur de son rapport à l’autre, ce qui lui permet de s’assumer dans la reconnaissance d’autrui, même dans sa différence. N’est-ce pas la crainte suscitée par cette différence qui a de tout temps été à l’origine des plus atroces entreprises que le monde a jamais connu ? Par le seul fait de la différence, guerres, génocides, esclavages, colonisations et autres conquêtes impérialistes jalonnent et obscurcissent l’histoire de l’humanité. Les peuples africains, toujours victimes (ou objets) de toutes ces forfaitures, ont besoin comme d’autres victimes à travers le monde, que soit évoquée cette fracture. Et le théâtre constitue pour ces peuples, un média privilégié. A travers son ancrage dans l’oralité, fondement des cultures et des traditions africaines, la double relation d’implication réciproque conscience, entre le le sujet créateur et et son l’objet, œuvre, le est monde non et la seulement accomplie, mais constitue la garantie d’une prise en main du destin des peuples par eux-mêmes. Quel intérêt pour une approche du théâtre africain, qui allie aussi bien la lecture des thèmes abordés, que ce qu’il est juste dans ce travail, de considérer comme une démarche sociocritique ? 448 Cette démarche nous a paru plus indiquée en ce qu’elle vise, selon le constat de Claude DUCHET, « le texte lui-même comme lieu où se joue et s’effectue une certaine socialité. »327 Car si la sociologie du littéraire concerne les conditions de production de l’écrit, et la sociologie de la réception et de la consommation celles de lectures, de diffusion, d’interprétation culturel, etc.), la (et démarche du destin scolaire et intègre un sociocritique ensemble de disciplines qui évoluent vers une vision marxiste de la littérature, tout en prenant en compte son historicité. Cette vision parfois honnie de la littérature est celle qui motive encore la majorité des écrivains africains, car ils sont confrontés, depuis les origines de la littérature écrite, à une partition de la société entre les dirigeants et les masses populaires ; les possédants et la grande majorité des misérables. C’est la recherche de l’équilibre entre ces différentes fractions de orientation marxiste de la société la qui création suggère cette littéraire. La sociocritique effectuera donc une « lecture de l’historique, du social, de l’idéologique, du culturel dans cette configuration étrange qu’est le texte : il n’existerait pas sans le réel. »328 Les sociétés africaines, urbaines ou rurales, traditionnelles ou modernes, voient dans le théâtre une école de la vie, une conscience de la vie, car si le théâtre peut imiter ce qui est, il peut surtout dénoncer et condamner ce qui ne devrait pas être. Comme le note fort justement Martine DAVID, « Un des corollaires de la mimèsis théâtrale est l’identification aux personnages : mieux on imite la réalité, mieux on spectateur crée de l’illusion « croire » théâtrale, au mieux personnage, de on permet partager au ses désirs, ses doutes, ses passions, ses angoisses. Or c’est sur 327 - DUCHET Claude, cité par BERBERIS Pierre in Méthodes critiques pour l’analyse littéraire ; BERGEZ et alii, Paris, Nathan, 2002, p. 153. 328 - Op. Cit., p. 153. 449 la notion d’identification que se fonde principalement la réflexion concernant les effets du théâtre sur le public : purgation, réforme des mœurs, exorcisme, révolte »329. Il y a dans le phénomène d’identification liée à l’illusion théâtrale, un effet résolument positif revendiqué, que la société africaine, à travers ses écrivains dramatiques, peut rechercher. Le théâtre porte en effet, des valeurs ludique, didactique totalité et morale continue que de la société privilégier à africaine travers dans une sa véritable interaction entre la société et ses codes, et la production de manière générale. L’influence de l’oralité dans la tradition culturelle africaine favorise une certaine identification de la société africaine à l’objet théâtral. Pourtant, au regard des mouvements de fluctuation observé au sein de la production dramatique, il serait légitime de s’interroger sur ce qui peut parfois apparaître comme des moments d’essoufflement, tant en ce qui concerne les œuvres éditées, que pour ce qui est de la mise en scène, même des textes considérés aujourd’hui comme des classiques. Les raisons, ou plutôt les causes de ces moments d’apathie se situent essentiellement dans le manque ou la rareté des moyens de production et d’édition. Toutefois, les milieux scolaires et universitaires poursuivent une activité non négligeable dans la réalisation de spectacles, souvent avec des moyens limités. Mais la principale cause de la léthargie observée au niveau de la production dramatique africaine vient surtout de la suspicion affichée des pouvoirs publics vis-à-vis des arts de la scène, plus proches des masses populaires, et dont l’influence est tenue pour subversive, tant le pouvoir du théâtre a, de tout temps, été reconnu par les sociétés africaines. 329 - DAVID Martine : Le théâtre ; Paris, Editions Belin, 1995, p. 322. 450 Le théâtre est le lieu où les masses populaires : les plus faibles, les sans-voix, peuvent critiquer, condamner et ridiculiser les puissants. Le temps de la représentation, c’est le moment où les auteurs et le public peuvent se pencher sur leur existence, sur leur devenir. Le théâtre sera toujours pour les populations africaines, la tribune à partir de laquelle ils pourront se poser des questions liées à leur être au monde. Et plus que le roman ou la poésie, le théâtre restera en Afrique le média par excellence de l’implication et de la participation des peuples aux questions de l’évolution et de la transformation des sociétés africaines. 451 BIBLIOGRAPHIE - CORPUS D’ETUDE : LABOU TANSI Sony : La parenthèse de sang suivi de Je, soussigné cardiaque ; Paris, Hatier, 1981. - Antoine m’a vendu destin ; son Paris, Editions Acoria, 1997. - Théâtre I : Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent suivi de Qui a mangé Madame d’Avoine Paris ; Bergotha ?, Editions Lansman, 1995. - Théâtre II : Une vie en arbre et chars…bonds, suivi de Une chouette petite vie osée ; bien Paris, Editions Lansman, 1995. LABOU TANSI Sony, CAYA-MAKHELE : Le coup de vieux ; Paris, Présence Africaine, 1988. 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ELIADE Mircea, 185 ENGELBERTS Matthijs, 408 FATOU Anastasie, 83 FERRARINI Marisa, 346 GENETTE Gérard, 363, 364, 408, 409 GEERTZ Clifford, 186 GOLDMANN Lucien, 30, 346 GOUHIER Henri, 10, 11 GREIMAS Algirdas-Julien, 373, 398 GRÜND Françoise, 16 HAMBURGER Käte, 355 HAMIDOU KANE Cheick, 152 HAMPÂTHE-BA Amadou, 24 HUBERT Marie Claude, 360 HUGO Victor, 111 HUGON Anne, 215, 217 ILIFFE John, 105, 106 ISSACHAROFF Michel, 375 JAKOBSON Roman, 383 JOMO KENYATTA, 24 JOUVET Louis, 9 KAMA-BONGO Josephine, 84 KANKAN Jean Miché, 359, 366, 422 KASSA-MIHINDOU Bonaventure, 84 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, 369, 431 KOMBILA DEKOMBEL, 359 KOMPAORE Prosper, 422, 427, 428 KOWZAN Tadeusz, 429, 440 LABICHE Eugène, 63 LABOU TANSI Sony, 22, 46, 89, 105, 115, 201, 203, 233, 239, 244, 281, 282, 283, 287, 288, 291, 295, 299, 301, 307, 309, 313, 315, 323 333, 334, 335, 336, 344, 345, 346, 347, 481 348, 350, 356, 362, 365, 371, 382, 383, 389, 404, 416, 423, 426, 437, 440 LARTHOMAS Pierre, 8, 15, 353 LAYE Camara, 89 LE CALLENNEC Sophie, 235, 236, 238 LEFEBVRE René (Révérend Père), 83 LEVI-STRAUSS Claude, 126 LEEUW Gerardus van der, 185 LELOUP Jacqueline (HENRI), 82, 225 LOW Charles, 78 MACOUBA Auguste, 76 MAGNIER Bernard, 346 MAÏMO Sankié, 78 MAINGUENEAU Dominique, 130, 131 MAMBENGA-YLAGHOU Frédéric, 348, 350 MAROKOU, 359 MBA-EVINA Jean, 81 MBOM Clément, 77, 79, 80, 81, 250 MBOKOLO Elikia, 104, 116, 235, 276 MBOUMBA-KOMBILA Jean, 84 MENDO ZE Gervais, 22, 82, 89, 95, 140, 171, 233, 244, 250, 267, 278, 279, 291, 338, 356, 364, 374, 404, 410, 425 MERCIER P., 232 MEZUI-NDONG Brice, 84 MIDIOHOUAN Guy Ossito, 176, 224, 275 MILLY Jean, 370 MOLIERE, 63, 347 MOKTOÏ Dave K., 80 MONGO BETI, 222, 237 MOURALIS Bernard, 228, 229, 241 NDAM-NJOYA Adamou, 81, 181 NDENDI-PENDA Patrice, 79 NDO Daniel dit OTSAMA MORE BIKIE, 80, 359 NDONG Damas, 21, 83, 222, 223 482 NDONG NDOUTOUME Tsira, 109 NGAL Georges, 208, 251, 437 NGOUA Noël (L’Abbé), 200 NICOÏDSKY Clarisse, 284 NYONDA Vincent de Paul, 17, 21, 22, 53, 56, 70, 83, 89, 91, 93, 95, 103, 111, 114, 119, 144, 152, 165, 166, 167, 179, 190, 211, 214, 216, 219, 222, 237, 244, 250, 263, 279, 281, 282, 291, 298, 299, 300, 309, 315, 323, 338, 342, 356, 364, 365, 378, 382, 383, 404, 406, 424, 435, 441 OBAMA Jean-Baptiste, 78 OTTO Rudolf, 185 OWONA Albert, 78 OWONDO Laurent, 22, 89, 244, 251, 270, 272, 281, 282, 288, 299, 309, 315, 328, 333, 356, 362, 404, 416, 423, 425 OYONO Ferdinand, 62, 222 OYONO MBIA Guillaume, 22, 72, 79, 88, 91, 93, 95, 113, 133, 139, 142, 144, 146, 152, 179, 191, 234, 244, 250, 255, 258, 261, 262, 263, 278, 279, 282, 288, 299, 338, 340, 356, 364, 367, 378, 392, 393, 404, 435 PAVIS Patrice, 28, 31, 32, 367, 368, 387, 391, 392, 404, 406, 413, 427, 430, 444 PHILOMBE René, 81 PIERCE Charles Sanders, 419 PLATON, 338 PROPP Vladimir, 31 PROUTEAUX, 7, 15, 16 PRUNER Michel, 376, 377 PRZYBOS Julia, 112 RABEARIVELO Jean Joseph, 24 RACINE Jean, 63 RICARD Alain, 23 RIES Julien, 185 RIVIERE Claude, 175, 177, 184, 185, 186, 208 REY-DEBOVE Josette, 351,352, 361 483 ROUSSET Jean, 447 RYNGAERT Jean-Pierre, 354 SAMMY Pierre, 230, 231 SARRAZAC Jean-Pierre, 30 SARTRES Jean-Paul, 413 SAUSSURE Ferdinand (de), 418, 419 SCHERER Jacques, 16, 43, 44, 64, 69 SENGHOR Léopold Sédar, 232 SHAKESPEARE William, 68, 136 SHUERKENS Ulrike, 210, 230, 231, 235 STALLONI Yves, 353, 358, 361 TAINE Hyppolite, 388, 404 TOQUEVILLE Alexis (de), 192 TURE Matondo Kubu, 65, 76 UBERSFELD Anne, 9, 10, 361 U TAM’SI Tchicaya, 22, 62, 89, 90, 95, 105, 133, 144, 166, 172, 211, 214, 244, 282, 309, 315, 356, 362, 365, 381, 392, 394, 396, 401, 404, 416, 423, 425, 441 VELTRUSKY, 430 VINSONNEAU Geneviève, 126, 127, 128 WALZER Michaël, 246, 247, 248, 249, 338, 339 WESSELING Henri, 216, 217, 219, 226 ZARAGOZA Georges, 433, 434, 435 ZINSOU Sénou Agbota, 358 ZOMO BEM Abel, 80 484 TABLE DES MATIERES : PLAN ……………………………………………………………………………………………………………………………………………… 2 INTRODUCTION ………………………………………………………………………………………………………………………… 7 PROBLEMATIQUE …………………………………………………………………………………………………………………… 23 PREMIERE PARTIE : UNE TERRE, DES HOMMES : UNE EXPERIENCE CULTURELLE CHAPITRE I.- Un espace, une culture : Situation géographique ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 35 1.1- L’espace et les peuples d’Afrique Centrale………………… 35 1.2- Aspects de la culture traditionnelle ……………………………… 36 A- Les danses traditionnelles et les jeux de scène…… 37 B- Jeux de scène et représentation …………………………………………… 38 C- Conteurs traditionnels et expression corporelle…… 39 CHAPITRE II.- Naissance d’un théâtre moderne ……………………………… 41 2.1- L’arrivée des missionnaires et les premières tentatives de mise en scène : le rôle de l’Eglise dans la politique coloniale …………………………………………………………………………………………………………………………… 45 2.1.1- L’installation des missionnaires …………………………………………… 48 2.1.2- Premières tentatives de mise en scène ……………………………… 64 485 A- Chez les missionnaires ……………………………………………………………………… 67 B- Le rôle des Scouts ………………………………………………………………………………… 67 C- Dans les milieux scolaires …………………………………………………………… 68 2.2- Premières créations théâtrales ……………………………………………………… 70 2.2.1- Les pionniers du théâtre en Afrique Centrale …………… 74 A- Au Congo …………………………………………………………………………………………………………… 75 B- Au Cameroun …………………………………………………………………………………………………… 77 C- Au Gabon …………………………………………………………………………………………………………… 82 DEUXIEME PARTIE : LA SOCIETE TRADITIONNELLE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE CHAPITRE III.- Organisation de la société traditionnelle : les structures sociales et politiques …………………………………………………… 86 3.1- Les structures politiques ……………………………………………………………………… 90 3.1.1- Les détenteurs du pouvoir ……………………………………………………………… 108 3.1.2- Les symboles du pouvoir traditionnel ………………………………… 116 3.2- Les structures sociales ………………………………………………………………………… 119 3.2.1- Religions et cultures ………………………………………………………………………… 120 3.2.2- Les rapports hommes/femmes …………………………………………………………… 137 A- L’homme ; ses attributions et ses domaines de compétence ………………………………………………………………………………………………………………………… 139 B- Place de la femme ; rôle économique et social …………… 146 C- L’organisation du travail ………………………………………………………………… 155 3.2.3- Le conflit de génération ou conflits de compétence ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 160 486 CHAPITRE IV.- Les croyances et le pouvoir spirituel dans les sociétés traditionnelles …………………………………………………………………………………… 163 4.1- Les détenteurs du pouvoir …………………………………………………………………… 166 4.1.1- Les devins et les sorciers …………………………………………………………… 168 A- Les sorciers …………………………………………………………………………………………………… 169 B- Les devins ………………………………………………………………………………………………………… 176 4.1.2- Chefs de clans et chefs de familles …………………………………… 179 4.1.3- Les guerriers ……………………………………………………………………………………………… 183 4.2– Les pratiques cultuelles dans l’organisation sociale ; formes, fondements et enjeux ………………………………………………………………………… 184 -Fondements, formes et enjeux ……………………………………………………………………… 185 4.2.1- Le culte des ancêtres ………………………………………………………………………… 194 4.2.2- Les autres cultes …………………………………………………………………………………… 199 4.2.3- Cultes et expression du mode de vie …………………………………… 199 TROISIEME PARTIE : LA SOCIETE MODERNE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE CHAPITRE V.- Le contact des cultures ………………………………………………… 211 A- Les traités bilatéraux ………………………………………………… 213 B- Les Traités euro-africains ……………………………………… 213 C- Les guerres de conquête ……………………………………………… 214 5.1- Les formes de la conquête impérialiste ……………………………… 216 5.1.1- L’action des explorateurs …………………………………………………………… 219 5.1.2- L’action missionnaire ……………………………………………………………………… 221 5.1.3- La pénétration coloniale ……………………………………………………………… 227 5.2- Les mutations sociales ………………………………………………………………………… 230 5.2.1- La scolarisation …………………………………………………………………………………… 230 5.2.2- La christianisation …………………………………………………………………………… 236 487 5.2.3- La perte des valeurs traditionnelles ……………………………… 242 CHAPITRE VI.- La critique sociale ………………………………………………………… 246 6.1- Le poids de la tradition …………………………………………………………………… 252 6.1.1- La survivance des coutumes anciennes ……………………………… 254 6.1.2- L’écartèlement de l’individu …………………………………………………… 264 6.2- Les nouvelles classes sociales …………………………………………………… 274 6.2.1- Les nouvelles bourgeoisies politiques …………………………… 280 6.2.2- Le peuple exploité ……………………………………………………………………………… 286 6.3- Les formes de la déchéance humaine ………………………………………… 290 6.3.1- L’alcoolisme ……………………………………………………………………………………………… 291 6.3.2- La cupidité ………………………………………………………………………………………………… 298 6.3.3- La corruption …………………………………………………………………………………………… 304 6.3.4- La folie et la mort comme ultime étape de la déchéance humaine ……………………………………………………………………………………………………………………………… 308 CHAPITRE VII.- La satire politique ……………………………………………………… 313 7.1- L’homme politique ……………………………………………………………………………………… 315 7.1.1- Origine, situation sociale et familiale ……………………… 317 7.1.2- Compétence et psychologie de l’homme politique …… 322 7.2- Le pouvoir dans tous ses états …………………………………………………… 329 7.2.1- La prise de pouvoir …………………………………………………………………………… 332 7.2.2- L’exercice du pouvoir ……………………………………………………………………… 333 QUATRIEME PARTIE : RÔLE DE LA CRITIQUE SOCIALE ET ENONCIATION AU THEATRE CHAPITRE VIII.- Le rôle de la critique sociale dans le théâtre d’Afrique Centrale. Le contexte sociologique de la création ……………………………………………………………………………………………………………………………… 338 8.1- Le rôle pédagogique …………………………………………………………………………………… 340 488 8.1.1- L’éveil de la conscience et la recherche d’une nouvelle société ………………………………………………………………………………………………………… 341 8.2- Productions sociales et catharsis ……………………………………………… 343 8.2.1- Rôle cathartique de la critique sociale ………………………… 344 8.2.2- Contexte sociologique et perspectives de création… 349 CHAPITRE IX.- Enonciation théâtrale et sémiotique. Pour une linguistique de l’énonciation théâtrale …………………………………………… 351 9.1- L’énonciation et la question des genres littéraires …353 9.1.1- Le théâtre : genre littéraire ou mode d’énonciation ? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 360 9.1.2- Les formes de la dramaturgie africaine …………………………… 362 9.2- Typologie du discours théâtral ; actes de langage/actes de parole …………………………………………………………………………………………………………………………… 368 9.2.1- Les formes de ce discours : typologie des échanges scéniques …………………………………………………………………………………………………………………………… 373 9.2.3- Les enjeux de ce discours ……………………………………………………………… 387 9.3- La situation d’énonciation ………………………………………………………………… 390 9.3.1- Structures discursives : l’intrigue …………………………………… 391 9.3.2- Structures narrative : la dramaturgie ……………………………… 395 9.3.3- Structures actantielles : l’action ……………………………………… 397 9.3.4- Structures idéologiques et inconscient : le sens … 402 9.4- Les codes de la dramaturgie africaine …………………………………… 403 9.4.1- La représentation comme contrat de communication ; de la narrativité dans le texte dramatique …………………………………………… 405 9.4.2- Actes de parole et performance ; réalisme ou transparence du discours dramatique africain ……………………………… 412 CHAPITRE X.- Pour une sémiologie du théâtre africain ………… 417 10.1- De la sémiologie du texte dramatique africain …………… 419 10.1.1- Des formes …………………………………………………………………………………………………… 421 A- Le théâtre traditionnel …………………………………………………………………… 421 B- Le théâtre forum et les formes audio-phoniques et le télévisuelles (téléthéâtre) …………………………………………………………………………… 422 489 C- Techniques d’énonciation ………………………………………………………………… 423 10.1.2- Des contenus : un théâtre d’intervention social … 426 10.2- Contenus sémiologiques ………………………………………………………………………… 429 10.2.1- La notion de rôle ………………………………………………………………………………… 430 10.2.2- Le personnage et les phases de l’éthos ………………………… 432 10.2.3- La scène et le décor ………………………………………………………………………… 439 10.2.4- Autres contenus sémiologiques : les costumes, la musique et le maquillage …………………………………………………………………………………… 440 CONCLUSION ………………………………………………………………………………………………………………………… 444 BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………………………………………………… 452 INDEX DES AUTEURS ……………………………………………………………………………………………………… 480 ANNEXE …………………………………………………………………………………………………………………………………… 490 ANNEXES Document photo Action missionnaire et jeux de scène Les mouvements d’action catholique au GABON : « Cœurs Vaillants », « Ames Vaillantes », Scouts et « Jécistes » de la Paroisse des RoisMages d’Akébé à Libreville célèbrent la Fête de l’Amitié. Au menu, saynètes, sketches et ballets traditionnels. Sources : Archives personnelles du Révérend Père Gérard WARENGHEM (1985). CARTE POLITIQUE D’AFRIQUE http://www.frenchimmersionusa.org/activites/documents/carte.AFRIQUE.gif EN RELIEF, LES TROIS PAYS QUI CONSTITUENT NOTRE ZONE DE REFERENCE. http://www.educol.net/fr-images-coloriages-colorier-photo-carte-dafrique-vierge-i7462.html Carte Politique du Cameroun http://www.quid.fr/monde.html?mode=detail&iso=cm&style=carte&zoom=1&id=50215&docid=385 Carte Politique du Congo Brazzaville http://www.quid.fr/monde.html?mode=detail&iso=cg&style=carte Carte Politique du Gabon http://www.quid.fr/monde.html?mode=detail&iso=ga&style=carte&zoom=2&id=50248&docid=418