la societe dans le theatre d`afrique centrale - Biblioweb

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Université de Cergy-Pontoise
Laboratoire Arts Littéraires/Arts Cliniques.
Fondement du Droit Public.
Thèse de Doctorat Nouveau Régime. Spécialité :
Littérature Comparée
Mention : Littérature Francophone
Option : Théâtre
LA SOCIETE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE
CENTRALE : LES CAS DU CAMEROUN, DU
CONGO ET DU GABON. POUR UNE
SEMIOTIQUE DE L’ENONCIATION
THEATRALE
Présentée par :
Geneviève
MEGNENG-MBA-ZUE
Sous la Direction du
Pr. Bernard MOURALIS
Professeur Emérite à
l’Université de
Cergy-Pontoise.
Cergy-Pontoise 2008.
DEDICACES
A mon époux, Nicolas,
A ma mère Adèle OLLIANG,
A mes filles : Aude, Magali et Ophélie,
A ma petite-fille Geneviève-Noah,
A tous mes frères et sœurs,
A toute ma famille.
REMERCIEMENTS
Au
terme
de
ce
travail,
je
voudrais
adresser
mes
remerciements les plus sincères au Professeur MOURALIS, qui a
accepté de diriger mes recherches, menées dans des conditions
souvent difficiles. Je lui en sais gré pour la patience et la
compréhension dont il n’a cessé de témoigner à mon égard.
Je remercie également tous ceux qui, de près ou de
loin,
ont,
de
leur
bienveillante
attention,
soutenu
mes
efforts dans l’aboutissement de ce travail ; je voudrais citer
MM.Dieudonné
BOULINGUI,
David
Blaise
ASSENE,
Mmes
Astride
BISSA et Rébécca NDIAYE, ainsi que M. Romain GRASTIEN de la
Paroisse du Sacré-Cœur de Dijon, dont le soutien matériel m’a
souvent été d’un grand secours.
A tous, merci.
Université de Cergy-Pontoise
Laboratoire Arts Littéraires/Arts Cliniques.
Fondement du Droit Public.
Thèse de Doctorat Nouveau Régime. Spécialité :
Littérature Comparée
Mention : Littérature Francophone
Option : Théâtre
LA SOCIETE DANS LE THEATRE D’AFRIQUE
CENTRALE : LES CAS DU CAMEROUN, DU
CONGO ET DU GABON. POUR UNE
SEMIOTIQUE DE L’ENONCIATION
THEATRALE
Présentée par :
Sous la Direction du
Geneviève
Pr. Bernard MOURALIS
MEGNENG-MBA-ZUE
Professeur Emérite à
l’Université de
Cergy-Pontoise.
Cergy-Pontoise 2008.
1
PLAN
INTODUCTION : ESSAI DE DEFINITION
PREMIERE
PARTIE :
UNE
TERRE,
DES
HOMMES,
UNE
EXPERIENCE
CULTURELLE
CHAPITRE I- UN ESPACE – UNE CULTURE : SITUATION HISTORIQUE
1.1- L’espace géographique et les peuples d’Afrique Centrale
1.2- Aspects de la culture traditionnelle
A-
Danses traditionnelles et jeux de scène
B-
Les jeux et les représentations scéniques
C-
Conteur traditionnel et expression corporelle
CHAPITRE II- NAISSANCE D’UN THEATRE DE TYPE MODERNE
2.1- L’arrivée des missionnaires et les premières tentatives
de mise en scène. Le rôle de l’Eglise dans la politique
coloniale
2.1.1- L’installation des missionnaires
2.1.2- Premières tentatives de mise en scène
A- Chez les missionnaires
B- Le rôle des Scouts
C- Dans les milieux scolaires
2.2- Premières créations théâtrales
2.2.1- Les pionniers du théâtre en Afrique Centrale
A- Au Cameroun
B- Au Congo
C- Au Gabon
2.2.2- Thématique des premières œuvres
2.2.3- Aspects de la critique sociale
2
DEUXIEME PARTIE : LA SOCIETE TRADITIONNELLE DANS LE THEATRE
D’AFRIQUE CENTRALE
CHAPITRE III- ORGANISATION DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE : LES
STRUCTURES SOCIALES ET POLITIQUES
3.1- Les structures politiques
3.1.1- Les figures de pouvoir
3.1.2- Les symboles et objets de pouvoir
3.2- Les structures sociales
3.2.1- Religions et cultures
3.2.2- Les rapports Hommes/Femmes
A- L’homme, ses attributs et ses domaines de compétence
B- Place de la femme : rôle économique et social
C- L’organisation du travail
3.2.3- Le conflit des générations ou conflit de compétence ?
CHAPITRE IV – LES CROYANCES ET LE POUVOIR SPIRITUEL DANS LA
SOCIETE TRADITIONNELLE
4.1- Les détenteurs du pouvoir spirituel
4.1.1- Les devins et les sorciers
4.1.2- Chefs de clans et chefs de familles
4.1.3- Les guerriers
4.2- Les pratiques cultuelles dans l’organisation sociale
4.2.1- Le culte des ancêtres
4.2.2- Les autres cultes
4.2.3- Culte et expression du mode de vie
TROISIEME
PARTIE :
LA
SOCIETE
MODERNE
D’AFRIQUE CENTRALE
CHAPITRE V – LE CONTACT DES CULTURES
3
DANS
LE
THEATRE
5.1- Les formes de la conquête impérialiste
5.1.1- L’action des explorateurs
5.1.2- La pénétration coloniale
5.1.3- L’action missionnaire
5.2- Les mutations sociales
5.2.1- La scolarisation
5.2.2- La christianisation
5.2.3- La perte des valeurs traditionnelles
CHAPITRE VI – LA SATIRE SOCIALE
6.1- Le poids de la tradition
6.1.1- Survivance des coutumes anciennes
6.1.2- L’écartèlement de l’individu
6.2- Les nouvelles classes sociales
6.2.1- Les nouvelles bourgeoisies politiques
6.2.2- Le peuple exploité
6.3- Les formes de la déchéance humaine
6.3.1- L’alcoolisme
6.3.2- La cupidité
6.4- L’usage des cultes anciens
6.4.1- La nostalgie des cultes du passé
6.4.2- Des cultes dévoyés
CHAPITRE VII – LA SATIRE POLITIQUE
7.1- L’homme politique
7.1.1- Origine, situation sociale et familiale
7.1.2- Compétence et psychologie de l’homme politique
A- Compétence de l’homme politique
B- Psychologie de l’homme politique
7.2- Le pouvoir dans tous ses états
7.2.1- La prise de pouvoir
7.2.2- L’exercice pouvoir
4
7.2.3- Le rôle du peuple
QUATRIEME PARTIE : RÔLE DE LA CRITIQUE SOCIALE ET ENONCIATION
AU THEATRE
CHAPITRE VIII – RÔLE DE LA CRITIQUE SOCIALE DANS LE THEATRE :
LE CONTEXTE SOCIOLOGIQUE DE LA CREATION
8.1- Le rôle pédagogique
8.1.1- L’éveil de la conscience à travers la dénonciation des
abus et des déviations observés dans la société moderne
8.1.2- La recherche d’une société nouvelle
8.2- Rôle cathartique de la critique sociale
8.2.1- Production théâtrale et catharsis
8.2.2- Contexte sociologique et perspectives de la création
CHAPITRE IX – ENONCIATION
THEATRALE ET SEMIOTIQUE
9.1- L’énonciation et la question des genres littéraires : le
langage dramatique
9.1.1- Le théâtre : genre littéraire ou mode d’énonciation ?
9.1.2- Les formes de la dramaturgie africaine :
9.2- Typologie du discours théâtral : actes de langage/actes
de parole ?
9.2.1- Les catégories du discours théâtral.
9.2.2- Nature des énoncés.
9.2.3- Typologie des échanges scéniques.
9.3- La situation d’énonciation.
9.3.1- Structures discursives : l’intrigue.
9.3.2- Structures narratives : la dramaturgie.
9.3.3- Structures actantielles : l’action.
9.3.4- Structures idéologiques et inconscient : le sens.
9.4- De l’énonciation à l’éthos : les codes de la dramaturgie
africaine.
5
9.4.1- De la représentation comme contrat de communication ;
la narrativité dans le texte dramatique.
9.4.2-
Actes
de
parole
et
performance :
réalisme
transparence du discours dramatique africain.
CHAPITRE X – POUR UNE SEMIOLOGIE DU THEATRE AFRICAIN
10.1- De la sémiologie du texte dramatique africain
10.1.1- Des formes
A- Le théâtre traditionnel
B- Un théâtre d’un genre nouveau
C- Techniques d’énonciation
10.1.2- Des contenus : un théâtre d’intervention sociale
10.2- Contenus sémiologiques
10.2.1- La notion de rôle
10.2.2- Le personnage : les phases de l’éthos
10.2.3- Le décor et la scène
10.2.4- Autres contenus sémiologiques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
INDEX DES AUTEURS
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
6
ou
INTRODUCTION
Dès l’origine, la littérature africaine a suscité de
nombreuses
controverses
par
rapport
à
son
statut
et
son
identité. Il s’agissait en effet de répondre à la question de
savoir
si
cette
littérature
méritait
dans
les
faits,
le
qualificatif de « littérature », non pas tant par les thèmes
qu’elle abordait, mais davantage par les modalités, et les
systèmes d’expression qui lui permettaient de se manifester.
Pourtant,
si
la
question
de
l’existence
d’une
littérature africaine avait été en partie résolue à travers
les contes, légendes et épopées des traditions orales, et
surtout à travers les multiples transcriptions et adaptations
qui en avaient été faites, la polémique demeurait en ce qui
concerne le théâtre. Bon nombre d’observateurs occidentaux
n’avaient en effet décelé dans les manifestations culturelles
d’Afrique noire,
rien qui pouvait ressembler à une création
dramaturgique. C’est que la notion de théâtre qui a revêtue
une définition différente au cours des âges et selon les
civilisations, n’a jamais fait l’accord des esprits.
Chacun a donné à ce concept une acception différente,
propre, manquant souvent d’objectivité, car elle niait le
caractère relatif des critères de détermination de l’oeuvre
théâtrale. C’est dans ce sens que PROUTEAUX, administrateur
colonial en Afrique Occidentale française, concluait dans une
étude des sociétés indigènes de Côte d’Ivoire, que le nègre
n’avait aucune idée de ce que pouvait être une représentation
théâtrale. De toute évidence le théâtre semblait n’avoir pas
été exploré et envisagé comme une réalité spécifique selon le
point de vue à partir duquel on l’observait.
La
question
de
l’existence
d’un
théâtre
typiquement
africain paraît donc un problème de définition de la notion
de théâtre. Jacques CHEVRIER observe d’ailleurs à ce propos
7
que :
« la
théâtre
question
de
traditionnel
décider
africain
s’il
a
a
existé
suscité
de
ou
non
un
nombreuses
controverses dont l’origine réside dans la définition même de
la notion de théâtre »1.
De ce fait, lorsque nous avons entrepris d’étudier le
théâtre d’Afrique Centrale dans ses différents rapports avec
la société, il nous a semblé capital de commencer cette étude
par un essai de définition du concept même de théâtre. Pierre
LARTHOMAS l’a bien vu quand il écrit :
« Toute étude (…) d’une œuvre est prématurée, qui n’a
pas défini d’abord le genre auquel elle appartient, et elle
sera, sinon mauvaise, toujours incomplète si elle n’est pas
guidée par une définition correcte de genre. »2
Dans un sens général, le théâtre peut se définir comme
l’art servant à représenter des événements fictifs ou ayant
trait
à
la
réalité,
et
qui
met
en
scène
des
individus
désignés comme acteurs, dans des rôles où ils incarnent un
personnage, un type de caractère, un courant de pensée, un
idéal social. Aussi, dès lors qu’il y a interprétation et
représentation devant un public, on peut déduire qu’il y a
théâtre. De même que la littérature classique définissait le
théâtre comme l’univers du masque, un univers où l’on joue à
être
quelqu’un
d’autre
(d’où
le
terme
mascarade),
les
africains pensent le théâtre comme le monde de l’illusion,
mais une illusion qui s’appuie sur la réalité pour signifier
la vie, autant le quotidien, que le passé ou l’avenir.
Dans
cette
perspective,
le
théâtre
peut
être
perçu
comme art universel, avec des particularités spécifiques au
milieu dans lequel il est produit, car à travers les âges,
chaque
peuple,
chaque
civilisation
a
donné
au
concept
de
théâtre une définition qui lui semblait mieux rendre compte
de sa vision de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui,
1
- CHEVRIER Jacques : Littérature nègre, Armand Colin, Collection U,
Paris, 1984, p. 154.
2 - LARTHOMAS Pierre : Le langage dramatique, Paris, P.U.F, 1980 p. 446.
8
sous toutes les latitudes, le théâtre. Louis JOUVET observe à
ce propos que « De tout temps, on a parlé et discuté du
théâtre. Il n’est personne, auteur, acteur, spectateur, qui
ne soit en même temps critique et esthéticien .Professeur de
littérature
ou
de
diction,
moraliste,
décorateur
ou
perruquier, chacun a sur le théâtre des opinions, chacun tire
des conclusions. »3
Au nombre des définitions données à l’objet qu’est le
théâtre, voici celle qui nous a semblé la plus complète et la
plus déterminante pour situer le théâtre dans le temps et
dans
l’espace ;
le
théâtre
est,
d’après
LE
PETIT
ROBERT
1, « L’art visant à représenter devant un public, selon des
conventions
qui
ont
varié
civilisations, une suite
avec
les
époques
et
les
d’événements où sont engagés des
humains agissant et parlant. »4
Compte tenu des multiples acceptions qu’il recouvre, le
concept de théâtre, tel que nous nous proposons de l’aborder
et
de
l’examiner,
perspective
sera
occidentale
exploré
que
aussi
sous
bien
sa
dans
une
manifestation
traditionnelle africaine.
Dans sa pratique occidentale, le théâtre se présente
comme une réalité à double manifestation. Il est d’une part
oeuvre
littéraire
et
d’autre
part
un
mode
d’expression
physique et matérielle dont l’action est le principe et la
fin.
Comme
l’observe
à
juste
titre
Anne
UBERSFELD,
lorsqu’elle cherche à établir le rapport de complexion ; de
connexité
et
de
complicité
dans
la
relation
représentation /texte, « Le théâtre est un art paradoxal. On
peut aller plus loin et y voir l’art même du paradoxe, à la
fois production littéraire et représentation concrète ; à la
fois éternel (indéfiniment reproductible et renouvelable) et
3
- JOUVET Louis : Architecture et dramaturgie, Paris, Ed d’Aujourd’hui,
‘’Les Introuvables’’,1980 p.9
4
- LE PETIT ROBERT 1 : Dictionnaire de langue française, les
Dictionnaires le Robert, 1986, p.1956.
9
instantané (jamais reproductible comme identique à soi) : art
de la représentation qui est d’un jour et jamais la même le
lendemain ;
art
représentation,
à
la
un
limite
seul
fait
pour
aboutissement
une
(…).
seule
Art
de
l’aujourd’hui, la représentation de demain, qui se veut la
même que celle d’hier, se jouant avec des hommes qui ont
changé devant des spectateurs autres ; la mise en scène d’il
y a trois ans, eût-elle toutes les qualités, est à cette
heure aussi morte que la jument de Roland. Mais le texte lui,
est au moins théoriquement intangible, éternellement fixé. »5
A travers le propos d’UBERSFELD, l’importance donnée au jeu ;
donc à la représentation est évidente car c’est elle qui fait
exister
le
théâtre.
Toutefois,
on
ne
peut
manquer
de
s’arrêter sur la place et la valeur du texte en soi ; d’où la
question qu’elle se pose dès l’ouverture de sa réflexion, à
savoir « peut-on lire le théâtre ? », dans la mesure où il
est d’abord un art destiné à la scène, comme l’observe aussi
Henri GOUHIER : « La représentation tient à l’essence même du
théâtre : l’œuvre dramatique est faite pour être représentée,
cette intention la définit.»6
La
création
scénique
est
ainsi
l’instant
où
se
concrétise l’existence de la pièce, le moment au cours duquel
se réalise le besoin d’être du texte, sa volonté d’entrer en
rapport
avec
représentation
processus
de
le
que
a
théâtre
veut
d’attente
de
le
C’est
texte
de
communication
artistique,
se
monde.
fortiori
ce
n’arrive rien. »
un
qui
art
que
surtout
au
théâtre
s’engage
sous-tend
dramatique.
qui
arrivera,
Besoin
met « le
même
si
cours
toute
la
dans
ce
création
d’exprimer,
spectateur
en
de
en
le
état
définitive,
il
7
5
- UBERSFELD Anne : Lire le Théâtre, Paris, Messidor /Editions sociales,
1982, p.13
6
- GOUHIER Henri : L’Essence du théâtre, Paris, Aubier-Montaigne, 1968,
p. 27.
7
- GOUHIER Henri : L’Oeuvre théâtrale, Paris, Editions d’Aujourd’hui
‘’Les Introuvables’’ 1978, Postface.
10
Le théâtre privilégie une forme d’échange
présence
acteurs
communicabilité
et
spectateurs.
distingue,
et
même
Ce
qui met en
rapport
oppose
le
d’inter
théâtre
aux
autres genres littéraires que sont la poésie ou le roman ; et
constitue
la
raison
primaire
de
son
existence,
et
sa
principale caractéristique.
Nous retiendrons donc que chacun des regards portés sur
la création dramatique s’accorde à reconnaître dans la mise
en
scène
l’instant
fondateur
de
l’œuvre
théâtrale.
L’écriture, vue dans un premier temps comme support de la
manifestation physique de l’œuvre, puis comme produit portant
la marque de préoccupations esthétiques, constitue un facteur
non
négligeable,
mais
ne
semble
point
suffisante,
dans
certains cas, pour affirmer et confirmer l’existence, dans le
domaine de l’expression artistique d’une œuvre dramatique.
Pour Henri GOUHIER, le théâtre est plus qu’un produit
artistique. Son implication dans la société ; dans la vie,
transcende
en
effet
les
limites
d’une
recherche
purement
esthétique de la pensée artistique pour couvrir des domaines
existentialistes ; métaphysiques. Selon GOUHIER en effet, «
son
existence
engage
l’homme
dans
une
action
tragique
ou
qu’il se dégage de l’existence en se racontant des histoires
merveilleuses, que l’existence se révèle dramatique ou qu’on
la prenne par «le bon côté », celui qui n’empêche jamais
de «danser en rond », les divertissements du théâtre mettent
en jeu, et dans le jeu, les questions les plus impérieuses de
la métaphysique. »8
Le théâtre interroge la société à travers l’exploration
du quotidien des hommes ; à travers leurs angoisses, leurs
préoccupations,
événements
dans
auxquelles
ils
et
leurs
lesquels
sont
espoirs ;
ils
situations
évoluent,
confrontés.
8
les
En
les
Afrique,
et
les
difficultés
le
théâtre
- GOUHIER Henri : Le Théâtre et l’existence, Librairie Philosophique J.
VRIN, Paris 1991, appendice à la nouvelle édition, quatrième tirage.
11
interpelle de façon directe, et plus concrète la conscience
humaine, pour en même temps restituer à l’homme ses valeurs
et mieux l’intégrer dans sa société.
Du point de vue des africains en effet, la question de
la pratique du théâtre revient, de manière générale, à se
poser moins en termes de description ou de typologie ; mais
en
termes
tant
au
de
finalité ;
plan
de
la
d’objectivité
représentation
et
d’accessibilité,
qu’à
celui
de
la
réception ; de l’interprétation.
En Afrique donc, l’expression de la pensée
dramatique
reste encore essentiellement traditionaliste dans la mesure
où l’homme de théâtre africain affecte toujours à son art des
objectifs
fondamentalement
sociaux.
Ainsi,
la
fonctionnalité ; la valeur et la fonction didactique du fait
dramatique occultent bien souvent tout débat autour d’une
théorie possible du théâtre, et par conséquent tout rapport à
la fonction poétique du langage dramatique. Cette question
reste d’ailleurs assez marginale dans ce sens qu’elle est
circonscrite aux milieux de la critique universitaire, où les
opinions finissent bien souvent par s’aligner sur les travaux
des
Ecoles
création
occidentales
en
dramaturgique ;
matière
évacuant
de
par
recherches
la
même
sur
la
occasion
l’éventualité de la construction d’une méthodologie ou d’une
idéologie du théâtre africain en particulier, ou du théâtre
de manière globale.
Bien sûr la question paraît aujourd’hui quelque peu
éculée
dans
la
mesure
où
théâtre
n’a
pu
aboutir
à
l’activité
une
critique
théorisation
autour
du
spécifique
et
satisfaisante de ce phénomène. Et en Afrique plus que partout
ailleurs,
le
problème
ne
s’est
véritablement
posé
-
à
l’instar de tout le processus de création littéraire dans
l’Afrique de l’occupation coloniale - qu’autour des années
1930, où il a d’abord été question de prouver l’existence
12
d’une activité littéraire et surtout dramatique au sein de
l’univers culturel des populations.
Ici
comme
d’approche
de
en
la
occident,
l’adaptabilité
littérature
romanesque
des
ou
méthodes
poétique
va
permettre d’aborder le texte de théâtre africain et de le
comprendre aussi bien dans sa dimension sociale que dans son
essence littéraire. Car si en définitive l’objet principal
des différentes poétiques littéraires n’est pas la recherche
de catégories descriptives conçues comme une fin en soi, mais
comme un préalable à toute analyse ; celle qui permet de
définir et de comprendre le fonctionnement des langages de
fiction et singulièrement des univers dramatiques. Peut-on
dès
lors
exclure
le
théâtre
de
ces
préoccupations
méthodologiques, si l’on considère aussi cet art comme un
produit
de
l’esprit
qui,
bien
que
puisant
toujours
–
ou
presque - dans l’histoire réelle de ses communautés, et de
l’humanité de manière générale, n’en tient pas moins pour une
grande part, de l’imaginaire et de la fantaisie ?
Lire,
demeurent
complexité
autant
des
que
décrire
activités
même
conceptualisation
de
peu
théâtre
commodes
cet
réside
le
art.
dans
le
compte
Cette
fait
restent
tenu
de
difficulté
de
son
et
la
de
ambivalence
identitaire ; il n’est ni totalement un fait littéraire, ni
totalement en dehors de la littérature. C’est ce que relève
Roland BARTHES lorsqu’il désigne ce phénomène comme : « Une
espèce de machine cybernétique. Au repos, cette machine est
cachée derrière un rideau. Mais dès qu’on la découvre, elle
se
met
à
envoyer
à
votre
adresse
un
certain
nombre
de
messages. Ces messages ont ceci de particulier qu’ils sont
simultanés et cependant de rythme différents. En tel point du
spectacle, vous recevez en même temps 6 ou 7 informations
(venues de la place des acteurs, de leurs gestes, de leurs
mimiques,
de
leurs
paroles),
mais
certaines
de
ces
informations tiennent (c’est le cas du décor). Pendant que
13
d’autres
tournent
(la
parole
et
les
gestes) ;
on
a
donc
affaire à une véritable polyphonie informationnelle et c’est
cela la théâtralité : une épaisseur de signes. »9
Pour BARTHES (qui semble faire abstraction
de l’aspect
littéraire de l’œuvre dramatique), le théâtre va au-delà du
simple fait de la langue ou de la diversité des langages qui
le structurent, c’est une réunion de codes et de systèmes
matériels et formels qui, mis ensemble, vont constituer des
signaux à l’adresse des spectateurs, de la société.
Le théâtre invite ainsi l’homme à prendre conscience du
monde qui l’entoure, de ses manifestations et des différents
changements qui s’y opèrent.
Ainsi défini, le théâtre apparaît comme une réalité
plurielle, ne pouvant de ce fait se réduire à une œuvre
exclusivement
littéraire ;
c’est-à-dire
sous
sa
forme
de
livre ; un produit de l’industrie, dont on s’accommoderait
volontiers.
Car
sous
cette
forme,
la
pièce
suffirait
à
combler le besoin d’évasion du seul lecteur. C’est sans doute
ce point de vue qui déjà au XIXème Siècle, amenait Alfred de
MUSSET à parler de « spectacle dans un fauteuil », lorsqu’il
s’est
agit
de
libérer
le
théâtre
du
carcan
où
l’avaient
enfermé les règles si rigides du classicisme. Il suggérait
non seulement l’individualité de la quête et de la production
du
sens
dans
le
questionnement
et
l’interprétation
d’une
œuvre d’art, et particulièrement du texte de théâtre. Mais il
pouvait aussi conforter une opinion qui avait cours à son
époque,
et
qui
ne
voyait
dans
l’art
qu’une
simple
manifestation de l’esthétique ; le fameux principe de « l’art
pour
l’art »
cher
aux
parnassiens,
pour
qui
la
création
artistique, n’a d’autre fonction que celle de la quête du
Beau ; du plaisir à travers la contemplation. Ici comme chez
les défenseurs de l’esthétique classique, l’approche d’une
9
- BARTHES Roland : Essais Critiques, Littérature et Signification, Le
Seuil, Paris, 1964, p.258. Cité par Pierre LARTHOMAS dans Le Langage
dramatique P.U.F, 1980, p.436.
14
œuvre artistique, et singulièrement l’œuvre littéraire n’a
d’autre intérêt que de constituer un moment de distraction
pour une caste de privilégiés, une élite intellectuellement
et
socialement
nantie ;
et
qu’il
ne
faut
pas
chercher
à
« ennuyer », ou à inquiéter.
Le théâtre est cependant pour plusieurs observateurs,
un
langage,
et
comme
tel,
a
vocation
à
signifier,
à
communiquer ; ce que relève d’ailleurs Pierre LARTHOMAS : « …
du fait qu’il est représenté, (…) le théâtre est un langage
total, non seulement les éléments proprement verbaux prennent
un
relief
extraordinaire,
mais
encore
tout
ce
qui
les
accompagne, gestes, contexte, action, situation, etc.… ont
plus d’importance que dans la vie, où très souvent préoccupés
avant
tout
témoignons
de
comprendre
d’intérêt
et
qu’aux
d’être
seules
compris,
paroles
et
nous
à
ne
leurs
signification. »10
Le propos de LARTHOMAS illustre à certains points, la
conception africaine du théâtre. Il faut en effet réunir un
certain nombre de conditions, un contexte particulier, pour
que l’œuvre théâtrale s’accomplisse.
Du point de vue de la tradition théâtrale africaine, et
contrairement
Siècle
chez
à
un
l’idée
grand
répandue
nombre
jusqu’au
milieu
d’observateurs
du
XXème
européens,
à
l’instar de PROUTEAUX, qui déclarait que : « S’il est une
chose que l’on ne s’attend à rencontrer dans les villages de
la brousse africaine, c’est bien une représentation théâtrale
si
rudimentaire
soit-elle.
Le
noir
qui
adore
entendre
raconter des fables et des légendes, semble au moins pour la
grande majorité de ceux que j’ai connu, absolument étranger à
la conception d’une fable mimée et jouée par des individus
incarnant
de
l’aventure.
Même
les
plus
lettrés
de
nos
indigènes ont quelque peine à se faire une idée de ce que
10
- LARTHOMAS Pierre : op.cit., p.437
15
nous appelons théâtre. »11 Contrairement à ce point de vue
donc, nous pouvons démontrer qu’il y avait bien en Afrique
une
expression
dramatique ;
très
diversifiée,
quoique
généralement de caractère circonstanciel.
A l’évidence, il y a bien un fossé entre la spécificité
du théâtre africain, et les codes dramaturgiques occidentaux.
Le regard de PROUTEAUX est en effet faussé parce qu’il plaque
sur les manifestations culturelles africaines des grilles de
lecture
qui
déjà
avaient
divisé
le
monde
des
arts
littéraires. Mais le théâtre africain procède d’une histoire
riche et complexe ; il est le fait de la cristallisation de
diverses formes d’éléments et de productions culturels. Suite
à son questionnement, Jacques SCHERER finit par comprendre
que « le théâtre africain (…) est profondément différent du
théâtre européen et ne saurait être jugé selon les mêmes
normes,
il
est
même
à
certains
points
de
vue
son
exact
contraire. »12
Dans le même ordre d’idées, Françoise GRÜND insiste sur
l’aspect multiforme et éclectique du théâtre africain, un
théâtre total. Elle écrit : « Il semble que le mot théâtre
englobe un univers large (…). En fait, pratiquement toutes
les
formes
d’expression
du
spectacle,
un
concert
dans
un
village, au cours duquel la danse se mêle insensiblement à la
musique,
une
cérémonie,
une
danse
rituelle,
le
sacrifice
d’une chèvre ou d’un poulet, un griot, un conteur qui agite
sa calebasse au-dessus des femmes du marché, tout cela fait
parti du théâtre. »13
Par
opposition
aux
affirmations
erronées
et
tendancieuses de PROUTEAUX, les remarques de SCHERER et de
GRÜND
apportent
un
éclairage
11
différent,
et
sans
doute
la
- PROUTEAUX : Premier essai de théâtre chez les indigènes de Haute Côte
d’Ivoire.
12
- SCHERER Jacques : ‘’Approches’’ in la Revue Théâtre d’Afrique,
Présence Africaine.
13
- GRÜND Françoise : ‘’Les Théâtres Africains en Europe’’ in la Revue
Théâtre d’Afrique, Présence Africaine.
16
preuve de l’existence d’une dramaturgie proprement africaine.
C’est
une
toujours,
dramaturgie
mal
venu
spécifique ;
de
la
et
regarder
il
était,
d’après
et
des
sera
normes
occidentales. Le théâtre africain est avant tout le reflet de
la vie sociale et culturelle des communautés ; il traduit par
ailleurs, par des procédés endogènes ; les contradictions,
les
angoisses
et
les
espérances
de
l’individu
face
à
la
société. Et la vie quotidienne est elle- même perçue comme
une immense scène de théâtre, ce qui fait dire au dramaturge
gabonais Vincent de Paul NYONDA : « Tout est théâtralité. »
Avec
le
KOTEBA14
au
Mali
et
en
Côte
d’Ivoire ;
l’ENGUNGUN15 au Nigéria ; et l’OZILA16 au Gabon, au Cameroun
et
en
compte
Guinée
non
continent,
Equatoriale,
seulement
mais
aussi
de
de
la
la
la
dramaturgie
diversité
des
pluralité
de
africaine
rend
populations
ses
du
productions
culturelles. Pour souligner le caractère séculaire de l’art
dramatique dans la civilisation africaine, Jacques CHEVRIER
écrit : « Si l’on pense aux spectacles de la Grèce antique ou
aux célébrations liturgiques du Moyen-âge, dont le caractère
est
essentiellement
religieux,
on
voit
clairement
que
l’Afrique a connu et pratiqué le théâtre depuis ses origines,
dans la mesure, en effet où l’existence même de la communauté
rurale
traditionnelle
croyances
manifestées
s’enracine
par
des
14
dans
rites
un
faisceau
cycliques
de
eux-mêmes
- Le KOTEBA est une sorte de comédie dont le but est la critique des
mœurs. Pour
Philippe DUCHEZ, «
le KOTEBA est une forme de théâtre
populaire qui existe au Mali depuis plusieurs siècles. Dans la plupart
des villages, au moment des moissons, avant l’hivernage (mai - juin), des
jeunes se rassemblent et vont se servir des principaux événements qui ont
marqué la vie de la communauté, pour en faire des sketches. A ce moment
là, ils peuvent critiquer aussi bien les responsables du village que les
agissements de certains ‘’particuliers’’. » DUCHEZ Philippe in Théâtre
d’Afrique, Présence Africaine, p. 10.
15
- Ibid. p. 14.Théâtre traditionnel YORUBA, ces compagnies d’Engungun
présentait un spectacle qui tient du carnaval, du ballet et de la revue
satirique. Il se déroule soit sur la place du marché, soit à l’intérieur
de la concession royale, espace en général formant le centre de toute la
ville.
16
- OZILA ; danse et festival de masques d’animaux représentant les
traits de caractères moraux et psychologiques humains ou des caricatures
de difformités physiques long nez, bec-de-lièvre, etc…
17
fondés sur le rythme des travaux et des jours, on assistera
donc périodiquement à des cérémonies, à des fêtes qui ont
pour objet de manifester la présence au monde de l’homme
africain dans ses rapports multiples et complexes avec les
dieux comme avec les hommes. »17
Dans
les
manifestations
traditions
culturelles
africaines,
concourent
à
de
nombreuses
l’essence
et
à
l’existence de ce théâtre plein de spontanéité et qui peut se
définir comme un théâtre de circonstance.
Lors
de
naissances
certains
funérailles
actes
ou
liés
baptêmes,
à
la
des
vie :
mariages,
villageois
ayant
quelques aptitudes artistiques se regroupent et mettent au
point un spectacle qu’ils vont présenter à leurs invités. Ce
spectacle que l’on nomme /BIVYIN/18 dans les communautés Fang
du Cameroun, du Gabon et de la Guinée Equatoriale, usent
fréquemment d’artifices, de déguisements ; de masques – ce
qui n’est pas sans rappeler le théâtre grec antique – comme
le travestissement des femmes, mais aussi une utilisation des
costumes
évoquant
la
tradition
culturelle
ou
le
passé
historique, un événement fondateur du groupe ou simplement
une fable pouvant servir d’enseignement pour l’assistance.
L’autre effet recherché, c’est de créer la surprise et donner
«l’illusion
d’une
union
parfaite
entre
le
réel
et
l’imagination. »19
La représentation se donne en plein air, et le public y
prend une part très active. Les spectateurs peuvent en effet,
être invités à intégrer la mise en scène ; à prendre part de
manière effective à l’action, en donnant par exemple la clé
d’une énigme ou en esquissant quelques pas de danses avec les
17
- CHEVRIER Jacques : Littérature Nègre, Ed. Armand Colin, Paris, 1984,
p.154.
18
- /BIVYIN/ :(transcription phonologique), terme fang qui désigne le
divertissement de manière générale, et qui signifie ‘’les jeux’’, le
verbe jouer se traduisant par /AVYIN/. Pour rendre plus accessible
l’articulation ces mots, nous avons opté pour la transcription
phonologique, avec usage d’archiphonèmes.
19
- CHEVRIER Jacques, Op. Cit. p. 154.
18
acteurs. La pièce est soutenue et entrecoupée par des chants
et des danses, avec parfois des chorégraphies complexes et
très élaborées, qui constituent en fait un enseignement ; un
répertoire de conseils et d’exhortations adressés tant aux
jeunes
mariés
qu’aux
jeunes
mamans ;
aux
veuves
ou
aux
veufs ; ainsi qu’à toute l’assistance.
Dans
cette
perspective,
la
séparation
on
est
entre
loin
la
du
théâtre
‘’scène’’
et
à
l’italienne,
où
la
‘’salle’’ ;
entre les acteurs et le public, n’existe pas.
L’absence de frontière entre ces deux espaces crée un lien
très
intime
augmentant
entre
ainsi
l’expression
les
deux
l’inter
composantes
communicabilité
du
spectacle,
spécifique
à
théâtrale.
Dans le théâtre traditionnel africain, la fonction de
metteur en scène reste quasi marginale, dans ce sens que
chaque acteur connaît son rôle pour l’avoir vu tenir par un
autre. Il en a appris les paroles, les gestes, la mimique et
les déplacements ; il s’exprime à l’intérieur d’un canevas
connu, et l’improvisation constitue un moyen éprouvé, autant
pour la construction de la fable, que pour la construction de
l’éthos.
Dans ce spectacle hors des normes occidentales, les
acteurs
jouissent
donc
d’une
totale
liberté.
Ils
peuvent
transformer, enrichir et personnaliser leurs rôles. Quant au
décor, il est simplement celui de l’espace du village ou du
quartier ; réel et vivant. Il fait partie intégrante de la
création. Jacques CHEVRIER résume bien cette particularité du
théâtre
dit-il -
traditionnel
en
Afrique : «Profane
ou
religieux
–
ce théâtre (…) a pour caractéristique d’être à la
fois synthétique et populaire. Il opère en effet une synthèse
au double plan technique et rhétorique puisque d’une part le
conteur ou griot fait le plus souvent office d’acteur total
qui recrée le drame dans le même temps où il interprète à lui
seul tous les rôles (dieux, hommes, animaux) et que d’autre
19
part, ce théâtre mêle indistinctement la comédie, l’épopée et
la tragédie et tend à restituer la vie dans son intégralité,
rires et larmes confondus. »20
Ainsi donc, il apparaît désormais évident que la notion
de
théâtre
est
universelle,
mais
qu’elle
ne
peut
être
étudiée, ou même jugée à partir d’une perspective unique. Et
l’art dramatique africain qui participe à cette universalité
connaîtra, à partir des années 1930 avec le concours des
missionnaires
catholiques
et
protestants
une
impulsion
nouvelle. Cette dynamique nouvelle entraîne un remodelage de
l’univers
du
théâtre
africain,
qui,
dès
lors,
va
introduire dans le cadre de son expression, les facteurs de
sa
modernisation.
En
Afrique
occidentale
française,
les
activités de l’Ecole William Ponty du Sénégal constituent une
étape déterminante dans ce processus de transformation et
d’évolution
de
rayonnement
la
s’étend
création
en
effet
théâtrale
au-delà
africaine.
des
Son
frontières
du
Sénégal.
Pourtant,
malgré
traditionnelles
la
de
présence
théâtre,
en
Afrique
certains
des
formes
pays
ont
vraisemblablement mieux que d’autres, développé et perpétué
la pratique des arts de la scène aussi bien au niveau de
l’écriture
que
de
la
création
scénique.
C’est
le
cas
en
Afrique Centrale (région dans laquelle nous situons notre
étude),
où
poursuivi
des
et
pays
comme
développé
une
le
Cameroun
tradition
ou
le
théâtrale
Congo,
ont
séculaire,
alors que le Gabon à l’inverse, faisait en quelque sorte
figure d’enfant pauvre dans ce domaine.
Au
regard
de
ces
disparités,
nous
avons
voulu
comprendre les causes de ce qu’il est logique de définir
comme une situation de désaffection. Pour ce faire, il nous
fallait remonter aux origines historiques et sociologiques du
théâtre moderne au Cameroun, au Congo et au Gabon ; dans la
20
- CHEVRIER Jacques, op. Cit. p.155.
20
situation
où
l’ont
décrit
les
précurseurs
que
sont
par
exemple les gabonais NYONDA, en tant qu’écrivain ; ou NDONG
Damas, en tant qu’acteurs. La seconde étape de notre travail
consistera à inventorier les aspects thématiques du théâtre
dans cette sous région, ce qui devrait nous amener à essayer
de comprendre la nature des rapports que cette dramaturgie
entretient
avec
les
communautés
dans
lesquelles
elle
se
déploie. Pour rapporter une œuvre à son contexte, il faut
aussi comprendre le fonctionnement de son lieu d’apparition,
car « l’œuvre littéraire ne surgit pas dans « la » société
saisie comme un tout mais à travers les tensions du champ
proprement
littéraire.
L’œuvre
ne
se
constitue
qu’en
impliquant les rites, les normes, les rapports de force des
institutions littéraires. Elle ne peut dire quelque chose du
monde
qu’en
inscrivant
le
fonctionnement
du
lieu
qui
l’a
rendu possible, qu’en mettant en jeu dans son énonciation les
problèmes
que
pose
l’inscription
sociale
de
sa
propre
énonciation. »21
A
ce
propos,
bouleversements ;
de
et
compte
la
tenu
de
profondeur
l’importance
des
des
transformations
intervenues dans les sociétés africaines il nous est apparu
essentiel de comprendre l’intérêt, et la place réservés aux
arts dramatiques dans un monde où l’éducation et les valeurs
traditionnelles cèdent de plus en plus le pas à des codes et
à des référents culturels et sociaux aux antipodes de la
sagesse des anciens, singulièrement basée sur la pratique de
l’expérience ; une société nouvelle où le matérialisme et
l’individualisme,
le
pouvoir
et
la
richesse
semblent
déterminer l’être humain.
Une autre orientation que nous voudrions donner à cette
étude, c’est d’examiner la position des hommes de théâtre,
21
- MAINGUENEAU Dominique : Le contexte de l’œuvre littéraire ; Paris,
éditions Dunod, 1993, p. 30.
21
leurs préoccupations, par rapport à leur art ; leurs attentes
par rapport à leur société.
Dans les faits, notre corpus portera sur des auteurs,
peu connus pour la plupart, mais qui nous ont paru assez
représentatifs pour avoir su saisir les multiples facettes de
leurs sociétés, et les rendre accessibles à un public varié,
parfois en total décalage d’une réalité sociologique dont il
est lui-même l’objet.
En effet, les œuvres de Sony LABOU TANSI et de U TAM’SI
au Congo, de Vincent de Paul NYONDA et Laurent OWONDO au
Gabon, celles de Guillaume OYONO MBIA ainsi que Gervais MENDO
ZE, sont une proposition de dépassement d’une certaine forme
de l’histoire, du temps et de la langue (chez Sony), qui est,
certes, anti-moderne ; mais qui est aussi une proposition
d’émergence d’une conscience moderne, qui tiendra compte des
atouts de la modernité et de la tradition africaine.
Le choix porté sur ces auteurs est, à plus d’un titre,
arbitraire, mais à notre humble avis, caractéristique d’une
certaine dynamique littéraire et historique, d’une certaine
inquiétude, qui témoigne d’un passé, et se veut le postulat
d’un avenir différent, plus positif.
Nous
voulons
encore
une
fois
rappeler
le
côté
arbitraire du choix des auteurs, mais aussi le fait que nous
ayons circonscrit notre travail aux seuls textes publiés.
Nous
autre
nous
réservons
texte
(même
toutefois
des
le
ouvrages
droit
qui
de
convoquer
sortent
du
tout
champ
théâtral), susceptible de renforcer notre argumentation, même
s’il n’a fait l’objet d’aucune publication. Il est en effet
courant en Afrique, que d’excellents textes demeurent sous la
forme de tablettes, à cause des difficultés inhérentes au
monde de l’édition et des circuits de distribution.
22
PROBLEMATIQUE
Si
du
consistera
point
de
vue
singulièrement
l’existence
d’une
pour
de
nous
manifestations
à
la
la
démarche,
répondre
dramaturgie
voir
de
de
les
à
africaine,
la
il
interférences
donne
sociale
au
notre
étude
question
s’agira
ainsi
sein
que
de
de
aussi
les
l’univers
théâtral africain. Nous voudrons également répondre à des
questions
côté,
d’ordre
nous
ne
préoccupations
voudrons
en
historique
manquerons
proprement
effet
et
pas
thématique.
de
nous
esthétiques
tenter
de
et
dégager
D’un
pencher
autre
sur
matérielles.
une
vision,
des
Nous
parmi
d’autres, de la récurrente question de l’écriture, elle-même
trop
souvent
liée
à
celle
des
langues
de
la
littérature
africaines. Car nous estimons pour notre part que concernant
les littératures africaines, la question devrait se poser non
en terme de « langues », mais en terme de « langages », terme
qui à notre humble avis rend plus pertinente la problématique
du théâtre comme phénomène social et culturel, donc humain.
Alain RICARD relève dans Littératures d’Afrique Noire22,
au
sujet
des
choix
de
la
première
génération
d’écrivains
africains considérés comme des « passeurs » - parce que se
situant
à
l’intersection
de
deux
univers
culturels
-
:
qu’ « Ils n’ont jamais fait comme s’ils étaient nés en Europe
et
leur
adhésion
à
l’écriture
en
langues
européennes
a
toujours été problématique. »
Pour ces pionniers de la littérature négro-africaine,
il s’est en effet souvent posé la question de savoir comment
rendre
avec
africaine.
des
Leur
‘’mots
travail
venus
d’ailleurs’’,
ressemble
22
avant
tout
une
à
réalité
une
sorte
- RICARD Alain : Littératures d’Afrique Noire, Paris, C.N.R.S/Karthala,
1995, p. 151.
23
d’entreprise
archéologique,
une
quête
anthropologique,
ou
découvrir et redécouvrir ; collecter, enregistrer et traduire
puis présenter des aspects de leurs cultures constituent le
maître mot.
Pour les ténors de ce que nous pouvons désigner comme
« la
translittération »,
tels
que
HAMPÂTE-BA
ou
JOMO
KENYATTA ; le français pour l’un et l’anglais pour l’autre,
apparaissent
comme
des
« métalangages »
au
sens
où
ils
permettent non seulement la transcription dans des systèmes
différents des textes appartenant à leur culture, mais aussi
parce
qu’ils
permettent
l’analyse
culturelle
des
textes
transcrits. On peut en effet parler de translittération dans
la
situation
de
ces
écrivains,
car
ils
vont
adapter
des
signes totalement étrangers à leurs codes culturels, dans
l’intension de communiquer avec le monde extérieur. L’intérêt
majeur de cette entreprise était ainsi d’amener à une plus
large diffusion, des textes d’inspiration traditionnelle ; ou
leurs créations propres.
C’est le malgache
Jean-Joseph RABEARIVELO qui va plus
loin, dans ce qui apparaît aujourd’hui comme la longue marche
d’une littérature en quête d’identité. Il compte en effet
prouver qu’en écrivant en français, dans des genres malgaches
la
réalité
écriture
langue
malgache : «il
poétique
d’origine,
qui
mais
veut
pourrait
(…)
faire
pourrait
aussi
créer
une
entendre
en
s’écouter
nouvelle
elle
en
la
elle-
même.»23
Au-delà d’un besoin légitime
de revisiter l’histoire
et de la thématique de la littérature Africaine en général,
notre travail se veut une contribution modeste certes, mais
son importance, de notre point de vue, est de participer à
cette vaste entreprise de défrichage et de découverte, sinon
de redécouverte de l’univers dramatique africain ; celui de
l’Afrique centrale en particulier. Il s’agit en l’occurrence
23
- RABEARIVELO cité par RICARD Alain, Op. Cit. p.155.
24
de
se
pencher
sur
l’expressivité
de
ce
théâtre à
travers
d’une part l’analyse du discours, et d’autre part l’analyse
des contenus. Cela revient à questionner les textes de notre
corpus sur les moyens mis en œuvre pour dire la société, et
surtout de déterminer en quelque sorte, pour qui, et pourquoi
parle-t-il?
L’objectif de l’analyse des contenus est de définir
l’organisation interne du texte ; et de savoir ce que l’on
peut en déduire pour caractériser son auteur. Il s’agit en
effet de « systématiser et d’essayer de fonder sur des bases
rigoureuses
ce
lignes’’,
de
qu’on
appelle
définir
couramment
des
règles
‘’lire
qui
entre
les
déterminent
l’organisation des textes. Il faut donc reconnaître la même
idée
sous
des
formes
différentes
et
définir
les
paraphrases. »24 La paraphrase étant entendue ici comme la
représentation ; la manifestation paradigmatique d’une idée ;
d’un
thème,
à
l’intérieur
d’une
œuvre.
Car
d’une
manière
générale, la paraphrase exige une continuité sémantique entre
les données qu’elle relie.
Ici
apparaissent
des
préoccupations
aussi
bien
de
l’ordre de l’interaction entre le littéraire et le social ;
que des questions touchant au domaine de la poétique de la
littérature. Cette relation de contiguïté sémantique peutelle se définir comme pertinente dans le monde du théâtre au
Cameroun, au Congo, et au Gabon ; pour le groupe d’écrivains
que nous avons choisi de consulter?
Globalement,
les
questions
que
nous
nous
posons
concernent les langages de cet art, en définitive très jeune.
Dans l’espace littéraire, la notion de langage apparaît
comme
un
terme
polyphonique.
Notion
particulièrement
définitoire dans le domaine du théâtre tant les codes
qui
déterminent cet art sont multiples, et variant d’un genre à
24
- DUBOIS Jean et alii : Dictionnaire de linguistique et des sciences du
langage ; Paris, Larousse – Bordas/HER 1999. P. 35.
25
un autre. La comédie emprunte en effet des codes différents
de ceux de la tragédie, même si de part et d’autre il existe
ce qu’il est convenu d’appeler des invariants et qui sont
caractéristiques de l’univers du théâtre.
En nous intéressant à l’esthétique des arts de la scène
en Afrique centrale, nous sommes amenés à nous pencher aussi
bien sur les différentes poétiques du théâtre que sur les
rapports entre le texte et l’art de l’acteur, ou plus encore
de la scène.
En
convoquant
tour
à
tour
l’histoire,
celle
de
la
littérature et des sociétés africaines ; puisant parfois aux
sources de l’anthropologie et de la sociologie d’une part, et
d’autre
part,
en
faisant
appel
à
la
sémiotique
et
à
la
pragmatique, nous voulons nous appuyer sur ces différentes
disciplines afin d’examiner le travail, et la portée de la
parole théâtrale en Afrique centrale.
Pourquoi
recours
à
l’histoire
la
sociologie
et
l’anthropologie,
dans
un
projet
pourquoi
qui
se
le
veut
essentiellement littéraire, pourrait-on s’interroger ?
On
peut
essayer
de
répondre
à
cette
question
en
rappelant, si besoin était, que l’histoire de la littérature
africaine moderne est intimement liée à l’histoire de ses
communautés ;
à
des
questions
d’ordre
sociologique
et
anthropologique, ainsi qu’à leur histoire politique. Témoin
de ce fait, la mémorable épopée des écrivains de la Négritude
et de leurs héritiers, qu’ils en aient, ou non, partagé la
démarche et les moyens.
Luttes pour la liberté et pour la prise de conscience
des
peuples
africains,
affirmation
et
revendications
identitaires ou culturelles ; remise en question des nouveaux
pouvoirs
africains,
traditionnelles
ou
critique
dans
des
les
mœurs
dans
nouvelles
les
sociétés
sociétés
post-
coloniales ; tout cela a constitué le ferment et le sujet de
26
la production littéraire en Afrique, et tout spécialement du
fait dramatique dans notre zone d’étude.
Qu’il s’agisse de célébrer le passé glorieux de ses
héros, de fustiger ou de mettre en lumière les travers et
aléas des sociétés traditionnelles ou modernes, de dire la
difficulté
d’appartenir
à
deux
cultures
différentes,
le
théâtre va être un moyen d’expression privilégié.
Dans cette perspective d’évocation et de description,
le
rapport
permettra
à
de
développement,
puis
comme
l’histoire
la
saisir
d’abord
lieu
de
dans
dans
comme
la
son
lieu
littérature
évolution
et
d’expression
revendication
politique
africaine
dans
son
artistique,
et
sociale ;
l’espace théâtral est en somme un lieu de rencontre et de
partage où l’homme de théâtre engage une nouvelle forme de
dialogue
qui
consiste
à
restituer
l’individu
dans
son
humanité.
Avec
l’histoire,
et
par-delà
la
thématique,
la
pragmatique et la sémiotique nous offrent un panel d’outils
utiles et nécessaires, adaptables à la lecture du texte de
théâtre. Ici intervient la notion d’interdisciplinarité telle
que
la
perçoit
AGAMBEN
dans
Stanze25,
lorsqu’il
analyse
l’étude des phénomènes liés à l’imagination et à l’intellect
sur la perception occidentale du fantasme. Il pense en somme
que seule
une
convenir
à
discipline
de
l’interprétation
l’interdisciplinarité
des
phénomènes
peut
humains.
L’interdisciplinarité apparaît ici comme une condition sine
qua none, une incontournable nécessité dans les processus
d’approche des phénomènes humains ; des phénomènes culturels.
Les faits littéraires, et tout spécialement le théâtre, nous
semble plus que tout autre, répondre à cette exigence de
l’interdisciplinarité.
25
- AGAMBEN Giorgio : Stanze : Parole et fantasme dans
occidentale ; Paris, Payot, Collection « Rivages », 1995.
27
la
culture
En effet, l’objet de la sémantique pragmatique est la
prise en compte des « embrayeurs ». Elle « se présenterait
ainsi comme l’étude non de phrases, comme « types », hors
contexte, mais des occurrences des phrases, de cet événement
singulier qu’est chaque acte d’énonciation.»26 En somme, la
pragmatique « s’intéresse aux relations des signes avec leurs
utilisateurs, à leurs emplois et à leurs effets.»27
Comme tout texte littéraire, le texte de théâtre est
sous-tendu par un principe d’immanence. Cette propriété peut
être perçue de manière globale, comme cette catégorie de la
véridiction, celle de « l’être » (qui s’oppose au paraître),
établie par le carré sémiotique et qui donne à saisir le
texte
autant
comme
structure
de
surface
(niveau
paradigmatique) que comme une structure profonde, latente ;
le niveau de la signification.
Pourtant, selon Patrice PAVIS, « L’analyse des textes
dramatiques
est
dans
une
situation
paradoxale :
on
a
tellement répété depuis un siècle que le théâtre n’appartient
pas à la littérature mais aux arts de la scène qu’on en a
presque oublié ou négligé l’analyse du texte, le texte écrit
autant que la parole entendue au cours de la représentation.
Pourtant, avant cette phase scéno-centriste du siècle passé
où seule la mise en scène importait, au point de mépriser
toute trace textuelle, on avait une bonne connaissance des
règles de la dramaturgie, notamment classique. Mais dès que
les pièces se sont émancipées de ce moule (vers 1880), les
règles de la composition n’ont plus eu cours. Il est devenu
difficile
de
proposer
une
méthode
d’analyse
des
textes
modernes et contemporains, car la multiplicité et la richesse
des formes semblent échapper à toute saisie méthodique. »28
26
- MAINGUENEAU Dominique : Pragmatique pour le discours littéraire,
Paris, Ed. Dunod, 1995, p.4.
27
- Id. p. 444
28
- PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse des textes, de
Sarraute à Vinaver, Paris, Nathan Université, coll. Lettres Sup. 2002,
avant-propos p.VII.
28
Prenant
voudrions
autour
à
notre
rappeler
de
la
l’écriture,
que
la
a
bien
le
de
mise
toujours,
PAVIS,
d’analyse
dramaturgique
qu’une
depuis
propos
difficulté
production
aussi
réglementée
compte
nous
éprouvée
occidentale
en
scène
été
au
(où
extrêmement
centre
des
préoccupations des analystes de la chose théâtrale), concerne
tout aussi le théâtre africain, dans la mesure où il faut
d’abord répondre à la question de son existence, en partant
de l’établissement des divers éléments qui donnent à cet art
sa spécificité ( concernant notamment les conditions et les
modalités de mise en scène), dans les traditions du jeu sur
le Continent Noir.
La question de son fonctionnement nous semble en effet
elle
aussi,
divers
chargée
contextes ;
de
complexité,
sociologique,
d’abord
culturel
en
et
raison
des
linguistique,
dans lesquels les textes qui composent notre corpus ont vu le
jour, mais aussi à cause d’une prétendue «faiblesse» formelle
que certains observateurs ont pu relever à l’endroit de la
création
dramaturgique
africaine.
Un
certain
nombre
de
spécialistes de la littérature négro-africaine estimaient en
effet que les écrivains africains n’attachaient que très peu
d’importance
à
l’écriture
dramatique ;
aux
valeurs
esthétiques du discours littéraire dans la poésie dramatique.
Ceci
est
sans
efforcerons
caractère
tout
doute
au
un
long
autre
de
débat,
ce
travail,
dont
à
nous
nous
démontrer
le
marginal.
Cependant,
bien
que
singulier,
le
théâtre
africain
échappe-t-il pour autant aux possibilités d’analyse et aux
modalités
d’interprétation
des
textes ;
aux
différentes
poétiques élaborées, ou en train d’être construites par le
monde de la critique littéraire occidentale moderne?
Sans
répondre
de
manière
péremptoire
à
cette
interrogation, nous voulons pour le moins rappeler qu’à la
base de toute création artistique, et a fortiori dramatique,
29
se trouve un projet ; sinon littéraire, du moins idéologique.
On observe en effet que la dimension sociologique dépasse
largement les limites du ludique et du didactique. Car pour
les créateurs africains, le théâtre apparaît à la fois comme
une tribune où le poète va jouer en même temps le rôle de
porte
parole
du
peuple,
mais
aussi
celui
d’objecteur
des
consciences tant pour les dirigeants politiques que pour les
masses populaires. Entre ces deux composantes de la société,
les relations et les échanges se vivent sous le signe de
l’opposition
et
de
l’affrontement
systématiques.
De
même,
dans la relation particulière du politique et du culturel,
nous
sommes
en
situation
de
crise
permanente ;
la
classe
politique voit dans les catégories sociales, un ensemble de
forces de subversion. A l’opposé, le monde culturel place son
action sur l’échelle d’une démarche civique où l’histoire
sociale
de
la
communauté
sert
de
matière
première.
Jean
Pierre SARRAZAC pense en effet que « le théâtre a pour devoir
de recomposer sur scène des situations vives, articulées à
partir
de
quelques
types
essentiels.
Et
de
proposer
pour
notre temps l’équivalent des esclaves et des domestiques de
la comédie… »29
C’est ici que se manifeste l’essentiel des principes
génétiques qui fondent la création littéraire et artistique
de
manière
générale.
Car
à
l’origine
de
toute
œuvre
artistique, surgit un contexte social et historique. Dans son
ouvrage Le Dieu caché, Lucien GOLDMANN pense en effet que
« toute (…) œuvre littéraire ou artistique est l’expression
d’une
vision
conscience
du
monde.
collective
qui
Celle-ci
atteint
est
son
un
phénomène
maximum
de
de
clarté
conceptuelle ou sensible dans la conscience du poète. Ces
derniers
l’expriment
à
leur
tour
29
dans
l’œuvre
- SARRAZAC Jean Pierre : Critique du théâtre.
désenchantement ; Belfort, éditions Circé, 2000, P. 25.
30
De
qu’étudie
l’utopie
au
l’historien en se servant de l’instrument conceptuel qu’est
la vision du monde. »30
Le
propos
de
GOLDMANN
traduit
avec
pertinence,
la
conception que la pensé culturelle africaine affecte à la
production
artistique
de
manière
générale,
et
où
l’idéologique et le philosophique se combinent pour donner
corps à une réalité souvent mal perçue à l’extérieur, mais
qui s’enracine dans la foi en l’œuvre du poète ; sur les
bases de la fonctionnalité de cette œuvre.
Pourtant, faut-il toujours souscrire à l’exclusivité du
caractère fonctionnel des arts de la scène en Afrique, où
ceux-ci semblent tout entiers tournés vers la reconstruction
matérialiste d’une certaine vision du monde ? Ne peut-on pas
également
trouver
dans
la
production
artistique,
et
singulièrement dramatique, une préoccupation esthétique ?
Et
pour
que
ce
projet
emprunter les voies offertes
propose
en
effet
un
s’exprime,
il
doit
pouvoir
par la littérature. Celle-ci
ensemble
de
cadres
et
de
situations
formelles, à l’instar des « fonctions » que Vladimir PROPP31 a
établi pour le conte populaire russe, mais qui en définitive,
pouvaient s’appliquer pour tous les contes, quelle que soit
son origine géographique. De même, on peut établir que quatre
éléments fondamentaux constituent les invariants du théâtre
et signent l’universalité de cet art. Ce sont, selon Patrice
PAVIS, l’intrigue, la dramaturgie, l’action, et le sens. Il
affirme
en
effet
que : «En
lisant
la
fiction,
le
lecteur
actualise le contenu du texte. Il en sonde les profondeurs,
en établit les différents niveaux : discursif (I) pour la
thématique et l’intrigue ; narratif (II) pour la dramaturgie
et la fable ; actantiel pour les événements, les actions et
les actants (III) ; idéologique et inconscient (IV) pour les
thèses
30
31
et
les
contenus
latents.
En
s’immergeant
sous
- GOLDMANN Lucien : Le Dieu caché ; Paris, éditions Gallimard, 1956.
- PROPP Vladimir : Morphologie du conte ; Paris, Gallimard, 1970.
31
la
surface du texte, le lecteur accède, en une suite de quatre
niveaux
toujours
plus
abstraits
et
secrets,
aux
couches
successives du texte ; à chaque étape, il s’efforce de
lui
poser les questions pertinentes en fournissant les outils
nécessaires. »32
En plus de la diversité des niveaux de signification de
la poésie dramatique, nous relevons dans le propos de Patrice
PAVIS, le caractère universel du théâtre, à travers les axes
autour
la
desquels celui-ci s’articule. Un examen structural de
production
niveaux
qui
africaine
structurent
montre
le
en
texte
de
effet
que
théâtre
les
quatre
selon
PAVIS,
apparaissent également de manière indubitable dans le théâtre
africain, tels qu’on peut les observer dans d’autres aires
littéraires. Par conséquent, la possibilité d’appliquer au
texte
africain
des
méthodes
déjà
éprouvées
se
révèle
non
seulement un projet de défrichage théorique du monde de la
dramaturgie africaine, mais surtout un moyen de légitimer le
travail des créateurs africains.
En dépit de la fonctionnalité et de la pertinence des
concepts opératoires offerts par la théorie et la critique
littéraire
contemporaine,
les
possibilités
d’analyse ;
les
voies d’accessibilité à l’herméneutique du théâtre africain ,
à l’instar de la production théâtrale de manière générale,
demeurent problématiques, ainsi que l’observe à juste titre
Patrice PAVIS : « De même qu’il est fort problématique de
parler ‘’du’’ théâtre en général, on ne saurait faire la
théorie ‘’du’’ texte dramatique en soi, on doit l’envisager
dans son cadre historique spécifique : la théorie du texte
dramatique
devra
donc
toujours
être
vérifiée
considérations historiques sur l’œuvre analysée. »
32
par
des
33
- PAVIS Patrice, id. p. 5 ; les chiffres I - II - III et IV
correspondent aux différents niveaux de lecture des textes de fiction.
33
- PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse des textes, de
Sarraute à Vinaver. Paris, Nathan Université, collection Lettres Sup,
2002, p. 1.
32
Notre choix méthodologique se trouve ainsi conforté,
dans la mesure où l’état actuel de la recherche autour de la
création
lectures
littéraire
dramatique
possibles.
Les
propose
contextes
une
variété
de
historique
et
sociologique ; voire anthropologique, sont ainsi pour nous
des
passages
autorisés
questionnement
des
et
peut-être
processus
de
obligés,
génération
du
dans
le
texte
de
théâtre africain ; les modalités de son interprétation, et
finalement de production du sens.
Cependant,
toute
interprétation ;
toute
réception
du
texte dramatique (comme pour les autres genres littéraires),
demeure
relative,
et
strictement
dépendante
des
lieux
à
partir desquels on le questionne. L’intérêt porté à un texte
littéraire, ou à toute autre production artistique, varie en
effet selon les objectifs poursuivis par celui qui l’aborde.
Le
« Littéraire »
et
le
« Social »,
qui
se
croisent
dans
l’œuvre littéraire, actionnent de fait différents leviers qui
vont s’intéresser aussi bien aux phénomènes de production
qu’aux différents processus de lecture et d’interrogation du
texte.
33
PREMIERE PARTIE : UNE TERRE, DES
HOMMES, UNE EXPRESSION CULTURELLE.
34
CHAPITRE I : UN ESPACE, UNE CULTURE : SITUATION
GEOGRAPHIQUE
1.1 - L’ESPACE ET LES PEUPLES D’AFRIQUE CENTRALE :
L’Afrique centrale comprend sept Etats d’échelles très
différentes, qui vont du micro Etat insulaire (Sao Tomé e
Principe) au véritable sous-continent (Congo ex zaïre). Dans
ce vaste ensemble situé entre 10° de latitude Nord et 10° de
latitude
Sud,
inégalement
l’empreinte
ressentie.
du
Forte
milieu
à
équatorial
proximité
immédiate
est
de
l’équateur (température de 25 à 27°C et humidité constante,
avec
une
pluviométrie
élevée
de
1500
à
2500mm,
et
une
omniprésence de la forêt dense), elle s’atténue vers le Nord
et le Sud. Les régions septentrionales du Cameroun et de la
République
Centrafricaine,
le
sud
de
la
République
Démocratique du Congo se caractérisent par l’extension des
savanes et de la longueur d’une saison sèche qui les expose à
des accidents climatiques.
Le peuplement y est encore modeste, gravement perturbé
par des conflits armés. La région compte environ 60 millions
d’habitants inégalement répartis. Le sous-peuplement affecte
surtout le Gabon (densité autour de 4 habitants au km2) et
une grande partie de la cuvette Congolaise.
Après une période de régression démographique au début
de la colonisation, l’Afrique Centrale avait amorcé autour
des années 80, une croissance remarquable entre 2 et 3% par
an.
Toutefois,
cette
croissance
a
été
ralentie
depuis
le
milieu des années 90, avec le début des conflits armés dans
la sous-région. Les grandes pandémies que sont les infections
à V.I.H ont également donné un sérieux coup de frein à cette
croissance démographique.
35
Le puzzle ethnique, composé de plusieurs centaines de
groupes est particulièrement complexe, mais quelques langues
véhiculaires majeures facilitent l’intercompréhension, tandis
que le français (en plus de l’anglais au Cameroun) est la
langue officielle des principaux Etats, si bien que l’Afrique
Centrale
forme
le
plus
vaste
ensemble
francophone
du
continent.
En sa quasi-totalité, l’Afrique Centrale appartient à
l’aire bantoue dont le fond culturel constitue un patrimoine
commun. Bien des traits de la vie matérielle et des pratiques
sociales et religieuses rapprochent les populations. Cette
uniformité culturelle est perceptible à travers la création
artistique ; notamment dans la littérature, la musique, les
danses, la sculpture, l’architecture, les arts culinaires,
les rites et croyances, et dans tout ce qui fait le ferment
de la civilisation des peuples Bantou et apparentés.
1.2 – Aspects de la culture traditionnelle
L’expression de la pensée culturelle des communautés
traditionnelles d’Afrique Centrale est essentiellement fondée
sur l’oralité. Cet univers suggère un imaginaire merveilleux
dont se servent les communautés sociales pour comprendre la
vie, et construire une pensée culturelle capable de répondre
à
des
attentes
spécifiques.
Et
à
travers
les
contes
et
légendes, à travers les mythes et les croyances les danses et
les jeux de scène, à travers la sculpture et la peinture,
l’individu
reçoit
autant
qu’il
donne
en
partage,
un
enseignement à travers lequel l’originalité de son groupe
social va s’exprimer.
Dans les sociétés traditionnelles, les manifestations
culturelles appartiennent au cycle normal de l’existence. Et
dans
les
villages,
les
clans
36
qui
vivent
de
manière
indépendante et autonome se retrouvent pour des cérémonies
sociales ou pour des rituels religieux comme les mariages,
les
naissances,
les
rituels
de
deuil ;
la
célébration
de
certains rites sacrés est cependant devenue plus rare de nos
jours.
A – Les danses traditionnelles et les jeux de scène
Dans la catégorie des danses traditionnelles et des
jeux de scènes, il y a notamment de grandes mises en scène
collectives
tambours ;
avec
de
percussions
leurs
cithares
en
tous
orchestres
et
de
de
sanza ;
genres.
Les
tam-tams
de
et
balafons
spectacles
de
et
de
sont
un
foisonnement de couleurs, de peaux de bêtes et de plumes. Les
danseurs/acteurs
chants,
la
s’organisent
gestuelle,
les
dans
un
mouvements
espace
et
codé
les
où
les
déplacements
suivent un ordre chorégraphique précis, dont les participants
gèrent le secret du jeu d’ensemble ou individuel.
Ces spectacles dont la finalité est soit l’expression
de
la
société
exécutés
par
idéale,
des
soit
individus
la
critique
portant
des
parfois
mœurs,
des
sont
masques
à
têtes d’animaux, qui figurent des caractères sociaux ou des
difformités physiques ou morales que la représentation veut
mettre en exergue.
C’est le cas notamment avec la danse « OZILA » chez les
Fang du Gabon, de Guinée Equatoriale et du Cameroun, qui fait
souvent
de
la
parodie
des
caractères
sociaux
son
mode
d’expression. Ici, tam-tams et tambours dirigent l’action,
car c’est sur leurs indications que les danseurs agissent ou
passent
le
relaie
à
d’autres
danseurs,
jusqu’à
ce
que
s’achève le tableau souhaité.
Le
chant
constituent
et
certains
la
danse,
des
associés
multiples
au
aspects
jeu
de
de
la
scène,
culture
traditionnelle dès lors qu’ils sont expression de quelque
chose de caractéristique et de déterminant. Danses, chants et
37
jeux sont aussi bien l’affaire de l’homme que celle de la
femme ou de l’enfant, avec chaque fois, un sens et une valeur
spécifiques, selon qu’il s’agisse de spectacles donnés par
l’une ou l’autre des composantes de la société.
B – Jeux de scène et représentations scéniques
Les jeux de scène et les représentations scéniques sont
d’autres
aspects
de
la
culture
traditionnelle.
Essentiellement produites dans des situations exceptionnelles
telles que les mariages, la fin d’un congé de maternité, ou
encore la visite à l’école ou au village d’un membre du
gouvernement
ou
de
tout
autre
personnage
important
de
la
société. Ces spectacles sont toujours pour les populations,
l’occasion
de
moments
privilégiés
pour
signifier
reconnaissance ou récrimination.
Voici à ce propos ce que rapporte le Révérend Père De
ROP, en visite chez les Nkundo du Congo (ex Zaïre), qui
célèbrent son arrivée dans la communauté par une sorte de jeu
de représentations :
« Le chef et ses adjoints convoquaient les pygmoïdes
Bilangui
mordantes
et
les
envoyaient
étaient
les
chasser
remarques
pour
faites
eux.
entre
Typiques
eux
par
et
les
pygmoïdes dans leur dialecte (le lolangui) à l’adresse des
Nkundo qui veulent toujours se servir d’eux pour trente-six
corvées. Les Bilangui partent donc à la chasse, mais sans
faire preuve d’un zèle bien grand. L’un après l’autre, ils
viennent annoncer au chef que la chasse a été infructueuse.
Le chef ordonne au responsable des Bilangui de donner trois
coups
de
bâton
à
chacun
des
chasseurs
puisqu’ils
n’ont
rapporté aucun gibier. Les exclamations des pygmoïdes dans
leur
dialecte
échapper
étaient
l’aveu,
allons
bien
comiques :
donc
chercher
l’un
le
d’eux
gibier
laissa
que
nous
avons caché dans la forêt ! Les pygmoïdes repartent à la
38
chasse fredonnant des chansons de chasse et répondant aux
exclamations de leur guide, même le son des clochettes des
chiens
est
imité
parfaitement.
On
tue
un
animal,
deux
porteurs attachent, par exemple, une poule à un bâton, comme
on a coutume d’attacher le gibier abattu et s’amènent près du
chef en fredonnant un chant de partage suivi des chasseurs.
Le chef est satisfait et commande de porter le gibier à
l’invité d’honneur. »34
Sans être une véritable pièce de théâtre, le jeu de
scène ainsi représenté est plus proche du jeu ordinaire.
D’autres formes de jeu existent dans les traditions
culturelles d’Afrique Central, avec généralement une vocation
à la fois ludique et didactique. Il en est ainsi des jeux de
devinettes
qui
permettent
aux
jeunes
ainsi
qu’aux
moins
jeunes d’apprendre des choses par rapport à leur milieu, à
leur mode d’existence.
C – Conteurs traditionnels et expression corporelle :
La
transmis
tradition
oralement
orale
d’une
se
définit
comme
génération
à
un
une
témoignage
autre.
Ses
principes de création sont commandés, selon ce que dit Ulysse
à propos du récit qu’il s’apprête à donner de son Odyssée,
par trois engagements majeurs, que l’on peut résumer ainsi :
-Dire selon l’ordre
-Dire jusqu’au bout, selon la règle
-Créer
selon
le
principe
de
la
liberté,
de
l’improvisation.
Ces trois engagements président aux principes de la
création chez les deux catégories de conteurs traditionnels
qui existent en Afrique Centrale ; le conteur professionnel
et le conteur amateur. Le cas du conteur professionnel est
34
- Révérend Père De ROP : « Théâtre Nkundo » ; Editions de l’Université
de Léopoldville, 1959. P. 59, cité par Robert CORNEVIN in Le théâtre en
Afrique Noire et à Madagascar.
39
celui qui nous paraît le plus intéressant par ses aspects
particuliers.
Le
conteur
traditionnel
en
Afrique
Centrale
se
distingue en effet du griot d’Afrique de l’Ouest par le fait
que si le dernier cité reçoit son art de façon héréditaire,
le premier doit suivre, pendant un certain nombre d’années,
un enseignement et subir un rituel initiatique auprès d’un
maître. L’initiation s’achève en général par un cérémoniel
magico-religieux au cours duquel le néophyte est appelé à
faire
le
sacrifice
d’une
partie
de
son
anatomie
ou
d’un
membre de sa famille. C’est au bout de ce parcours qu’il
acquiert la maîtrise des différentes techniques et mécanismes
de son art. C’est précisément le cas des conteurs de MVETT
chez les Fang du Gabon, de Guinée Equatoriale et du Cameroun.
La
maîtrise
parfaite
de
son
art
fait
du
conteur
traditionnel un véritable maître de la parole. Il peut en
effet jouer avec les subtilités de la langue et tenir son
auditoire en haleine des heures, voire des jours durant.
Il y a chez le conteur de MVETT une grande capacité
d’improvisation,
car
si
toutes
les
épopées
du
MVETT
s’articulent autour de la quête de l’immortalité, le conteur
ne reprend jamais d’une séance à une autre, le même récit. Il
crée « hic et nunc », des situations autour de personnages
centraux que l’on retrouve dans tous les récits, en invente
d’autres, tous dotés de pouvoirs fantastiques.
Quelle que soit la longueur de l’histoire, le nombre de
micro-récits qui la composent ou les nombreuses digressions
qui la parcourent, celle-ci ne souffrira d’aucune altération
lorsqu’elle est proférée. Le conteur est à la fois musicien,
chanteur,
danseur
et
acteur,
personnages de son récit.
40
car
il
interprète
tous
les
CHAPITRE II : NAISSANCE D’UN THEATRE DE TYPE MODERNE.
Faire
théâtre
la
genèse
n’est
pas
d’un
chose
objet
aisée.
aussi
complexe
Fait
social
que
et
le
genre
littéraire à la fois, l’art dramatique semble quelque chose
d’omniprésent
dans
la
vie
sociale
et
culturelle
des
communautés humaines.
Donner une origine au théâtre, c’est chercher à travers
l’Histoire
pratiques
et
le
passé
artistiques
civilisations ;
naissance
de
à
ce
culturel
et
des
peuples,
traditionnelles
travers
concept.
les
époques,
Mais
une
des
les
telle
dans
les
différentes
conditions
entreprise
de
est
toujours délicate dans la mesure où elle reste généralement
très approximative ; subjective, voire arbitraire. Car on est
souvent
tenté
d’extrapoler
ou
au
contraire
de
limiter
le
champ d’investigation relatif à cet objet d’étude, faussant
ainsi la marge d’interprétation des données, en ne tenant pas
compte de certains éléments pouvant parfois s’avérer d’une
importance capitale en matière de description ou de datation
des phénomènes sociaux.
De nos jours, la difficulté d’établir ou de fixer la
naissance du théâtre en Afrique est particulièrement marquée
parce qu’elle demande que l’on considère l’art dramatique à
partir d’une double approche. De ce point de vue en effet, on
note
deux
orientations
à
l’intérieur
même
de
l’idée
de
théâtre.
La
première
approche
de
l’art
dramatique
concerne
principalement la représentation en tant qu’ « essence du
théâtre », c’est-à-dire ce par quoi le théâtre vient à se
produire. Ce premier aspect permet de s’orienter vers ce que
l’on peut désigner comme un théâtre traditionnel, et
regroupe
l’ensemble
des
éléments
culturels
appartenant
qui
au
registre des jeux et des danses, ainsi qu’à celui des rites
41
et des cérémonies cultuels inhérents aux usages des peuples
africains.
La seconde approche du théâtre en Afrique est, quant à
elle, essentiellement fondée sur la conception occidentale du
théâtre. A la fois pratique d’écriture et phénomène expressif
vivant
et
concret.
Car
avant
d’être
exécutée
et
mise
en
scène, cette réalité vivante est d’abord un objet qui passe
par
différentes
phases
d’écriture,
de
publication,
d’impression, de promotion, de distribution et de vente à un
certain public. C’est après ce processus long et complexe que
la pièce peut arriver entre les mains d’un metteur en scène,
puis de comédiens, ainsi que des différents personnels de la
scène qui vont contribuer à son montage, et finalement à sa
naissance. Dans cette optique, les théories relatives à la
création
dramatiques
visent
à
uniformiser
un
art
qui
se
présente finalement comme un art pluriel.
Dans
deux
l’esthétique
approches
complémentaires,
théâtrale
africaine
précédemment
même
si
actuelle,
énoncées
la
les
deviennent
représentation
avec
sa
spécificité semble primer sur les phénomènes d’écriture et
d’édition.
En
conséquence,
eu
égard
aux
divers
éléments
de
détermination ci-dessus énoncés, nous pouvons retenir que les
prémices
d’un
Afrique
avec
théâtre
le
de
type
concours
occidental
des
apparaissent
premiers
en
missionnaires
chrétiens.
De façon particulière, et d’après un certain nombre de
témoignages
historiques
sur
l’Afrique
centrale,
et
singulièrement la région qui englobe le Congo, le Gabon ainsi
qu’une importante partie du Cameroun méridional, le courant
des années 1930 est habituellement donné comme la période
d’émergence en Afrique Centrale francophone, d’un théâtre de
type occidental.
42
Comparée
théâtrales
à
sont
l’Europe
depuis
ou
des
à
l’Asie
siècles
où
des
les
faits
traditions
communs
et
confirmés, l’Afrique fait encore figure de débutante dans un
contexte
où
l’esthétique
et
la
théorie,
mais
surtout
la
pratique scénique tendent à s’universaliser, c’est-à-dire à
suivre
un
schéma
description.
SCHERER,
C’est
lorsqu’il
unique
ce
qui
affirme
d’expression
justifie
que
« Le
le
mais
propos
théâtre
aussi
de
de
Jacques
africain
est
jeune. Il y a un petit nombre de décennies, il venait à peine
de naître, puis on l’a vu se développer et prospérer avec une
grande rapidité. Il offre ainsi à qui observe les phénomènes
théâtraux
unique.
un
domaine
d’expérience
privilégié
et
peut-être
Les
grandes
traditions
théâtrales
d’Europe
et
d’ailleurs aussi d’Asie, ont eu besoin de nombreux siècles
pour se définir, il en résulte que leur origine nous demeure,
dans une large mesure, inconnue. En Afrique, tout est devant
nous, et le théâtre s’offre à l’état naissant. »35
Ce propos, discutable à plus d’un titre, dénote non
seulement d’une réelle difficulté à cerner les
caractères
définitoires de l’objet théâtre, mais aussi la difficulté à
saisir cet objet sous une autre perspective que celle établie
par la pensée artistique occidentale, dans la mesure où cette
pensée remet en cause et nie complètement la probabilité du
caractère multiforme de l’art théâtral. En effet, Jacques
SCHERER qui s’en défend pourtant dans son propos liminaire ne
manque cependant pas de tomber dans les travers de tous ceux
qui ont voulu comprendre la réalité théâtrale africaine à
partir d’un certain nombre de codes et stéréotypes propres à
une esthétique occidentale. Pourtant l’on sait que sa forme
et sa nature évoluent à mesure que l’on passe d’un milieu
culturel à un autre ; d’une époque à une autre.
35
- SCHERER Jacques : Le théâtre en Afrique noire francophone ; Paris,
P.U.F., 1992 ; p. 5.
43
Donner le théâtre africain comme jeune par rapport au
théâtre asiatique ou européen serait semblable à lui porter
un jugement de valeur au même titre que nier la réalité d’une
Histoire
et
d’une
civilisation
africaine.
Une
approche
historique et descriptive permet cependant de dégager deux
orientations à l’intérieur de la sphère théâtrale africaine.
La
première
orientation,
vu
par
SCHERER
comme
un
ensemble de « manifestations parathéâtrales », s’appuie sur
les
us
et
coutumes
africains,
parfaitement
descriptibles,
dans la mesure où il y a effacement de l’être social derrière
un
rôle
dramatique.
L’individu
acteur
porte
en
effet
un
masque à travers lequel il exprime une situation qui est loin
de se confondre à son vécu propre.
La deuxième tendance du théâtre africain est, à l’heure
actuelle,
celle
civilisations
l’esthétique
qui,
et
à
les
dramatique
l’issue
des
phénomènes
échanges
cultuels,
occidentale,
tout
en
entre
emprunte
puisant
les
à
aux
sources africaines des mythologies, de l’Histoire, ancienne
ou
récente ;
ou
au
quotidien
des
individus
ou
des
communautés.
Sans jamais se contredire, ces deux formes d’expression
théâtrale restent tout à fait complémentaires ; elles créent
un modèle syncrétique qui, même s’il est parfaitement intégré
au
modèle
universel,
garde
toutefois
un
certain
particularisme qui permet de le distinguer des formes non
africaines.
44
2.1
–
L’arrivée
des
missionnaires
et
les
premières
tentatives de mise en scène : le rôle de l’Eglise dans la
politique coloniale.
En
1492,
connaît
à
depuis
africain.
la
peu
découverte
la
Celui-ci
plus
des
grande
hantait
Amériques,
partie
cependant
l’Europe
du
et
continent
depuis
fort
longtemps, les rêves des européens. L’Afrique était à juste
titre
soupçonnée
d’être
un
fabuleux
réservoir
de
toutes
sortes de richesses naturelles et humaines. Cette terre dont
l’extrémité
nord
se
trouvait
à
quelques
semaines
de
navigation des côtes françaises, espagnoles et portugaises,
était
en
effet
la
plus
grande
préoccupation
des
hommes
politiques, des hommes de sciences et des peuples européens.
Les
portugais
furent
les
premiers
sur
la
voie
de
l’exploration de l’Afrique. Ils découvrir la Guinée en 1480,
et
dès
1482,
ils
s’installèrent
de
manière
permanente
à
l’embouchure du fleuve Congo, en y installant des comptoirs
coloniaux qui devaient fonctionner de 1491 jusqu’en 1703.
Les
portugais
introduire
le
furent
christianisme
également
en
Afrique,
les
et
premiers
par
la
à
même
occasion, ils introduisaient aussi la traite intensive des
Noirs, dont le monopole avait jusque-là appartenu aux Arabes.
C’est que l’exploitation du Nouveau-Monde avait besoin
d’une main-d’œuvre abondante et peu onéreuse, offrant par là
même,
des
possibilités
considérables
d’enrichissement
débouchés
pour
« les
inespérés
marchands
et
de
de
chair
humaine ».
Plus
tard,
les
Pays-Bas,
la
France,
l’Espagne
et
l’Angleterre puis les Etats-Unis, devaient emboîter le pas au
Portugal
dans
l’Afrique
d’enfants,
près
ce
sinistre
de
déportés
40
commerce
millions
pour
allait
d’hommes,
servir
45
qui
de
d’esclaves
coûter
femmes
dans
à
et
les
Amériques, avant que ce funeste trafic ne fût prohibé entre
1807 et 1889.
Des chrétiens pratiquèrent donc pendant 4 siècles, le
commerce des êtres humains. Certains néanmoins parmi eux,
témoignèrent de préoccupations plus nobles. Ce fut le cas des
Jésuites
qui
arrivèrent
à
l’embouchure
du
Congo
en
1550,
suivis des Capucins un siècle plus tard, et qui eurent à cœur
de
transformer
les
indigènes
en
chrétiens
plutôt
qu’en
esclaves. Le témoignage de cette arrivée dans ce qui fut à
l’époque le royaume du Congo peut se lire à travers certains
clins d’œil de l’Histoire du Congo que nous retrouvons dans
la pièce de Sony LABOU TANSI Antoine m’a vendu son destin36.
Ces
missionnaires
qui
étaient
avant
tout
des
sujets
d’un
Prince ou des citoyens d’un Etat, devaient aussi défendre à
travers la doctrine de l’Eglise, les intérêts de leurs pays
qui
en
retour,
difficultés
hostilité
devaient
assurer
rencontrées
du
populations
milieu
leur
étaient
naturel
constituaient
protection.
toujours
ajoutée
en
effet
à
Car
les
importantes :
l’opposition
un
réel
sous
la
handicap
des
au
travail des missionnaires.
A
partir
des
années
mouvements
impérialistes,
d’affaires
mais
dans
une
fabuleuse
apparaissent
vers
la
aussi
plus
ou
recherche
1880,
militaires,
missionnaires
épopée
moins
de
où
les
aventuriers,
chrétiens,
motivations
clairement,
produits
de
poussée
des
hommes
s’engagent
de
chacun
convergeant
toutes
consommation
devenus
indispensables, et la quête de matières premières nécessaires
pour relancer une
économie européenne en proie à une pénurie
de ressources.
De nos jours, plus aucun esprit sérieux ne peut nier
qu’à
l’origine
des
expéditions
36
et
des
croisades
vers
- LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin ; Editions Acoria,
1997.
46
l’Afrique, il n’eut pas que des intérêts de l’ordre de la
civilisation, ni même religieux.
Du fait que les missions chrétiennes avaient toujours
soutenues une expansion coloniale et impérialiste, l’Eglise
fut donc particulièrement active dans une funeste entreprise
où l’Afrique allait être spoliée de ses richesses naturelles,
et l’Africain privé de son Histoire et de son humanité. De
fait, tous les excès commis à l’endroit des africains au
cours des voyages d’exploration des territoires et au moment
de l’occupation coloniale, trouvaient une justification dans
une
interprétation
prélats
(à
hasardeuse
l’exemple
de
et
ceux
arbitraire
de
que
l’Eglise
certains
hollandaise)
s’employaient à donner aux Saintes Ecritures. Ici, la pensée
ségrégationniste
élevée
au
rang
de
dogme,
disait
que
non
seulement Dieu avait établi la supériorité de l’homme blanc
sur
l’homme
noir,
mais
aussi
que
ce
dernier
serait
le
serviteur du premier. Car disait-on, les Noirs appartenaient
à la descendance maudite de Cham, fils irrévérencieux de Noé,
tandis que les Blancs étaient issus de Japhet, qui avait
honoré son père en recouvrant sa nudité, recevant ainsi en
bénédiction la promesse d’un brillant destin et le pouvoir de
dominer le monde ; de l’évangéliser, et surtout d’apporter la
civilisation
aux
peuplades
sauvages
d’Afrique
(et
d’ailleurs).
Pour mieux amener les africains à collaborer et surtout
à
adhérer
aux
colonisation,
la
principes
de
scolarisation
l’évangélisation
confiée
de
généralement
hommes d’Eglise va jouer un rôle fondamental.
47
et
la
aux
2.1.1 – L’installation des missionnaires :
Comme
nous
missionnaires
autour
des
l’avons
chrétiens
années
déjà
dans
1845,
le
période
dit,
l’installation
golfe
de
durant
Guinée
laquelle
se
des
fait
l’Eglise
Catholique se fixe définitivement dans la région (Cameroun,
Gabon,
Congo),
missions
ont
notamment
au
Equatoriale
alors
vu
le
qu’en
jour
Sénégal
demeurait
et
un
Afrique
bien
en
Occidentale,
des
décennies
Gambie.
sujet
C’est
de
plusieurs
auparavant,
que
crainte
l’Afrique
pour
les
occidentaux, à cause de l’hostilité du climat et la présence
d’une forêt vierge dense et impénétrable.
Cette région jugée peu hospitalière est sur le point
d’être abandonnée (encore plus avec l’annonce du naufrage
d’un navire missionnaire destiné à cette région), lorsqu’un
certain Abbé LIBERMANN, bouleversé et torturé par la nouvelle
de la catastrophe, reste fermement résolu à poursuivre la
mission. Et malgré la permanence des risques et des dangers,
l’Abbé LIBERMANN ne peut dit-il, se résoudre à « abandonner
plus de 15 millions d’âmes qui n’ont jamais entendu parler de
la
Bonne
Nouvelle
que
« Notre »
Seigneur
a
apporté
sur
terre. »37
Une autre expédition est organisée, avec le Père Jean
Rémy BESSIEUX, l’un des rescapés du naufrage, accompagné d’un
autre spiritain, le Père AUGOUARD. C’est dans ce contexte
mitigé que naquit au Gabon la première base de départ de la
nouvelle
Jean
évangélisation
Rémy
Apostolique
BESSIEUX,
des
Deux
de
l’Afrique
devenu
Centrale
Evêque,
Guinées
en
est
1848,
Equatoriale.
nommé
avec
Vicaire
siège
à
Libreville. La future capitale du Gabon sera à l’Ouest de
l’Afrique
Equatoriale,
la
mère
37
de
toutes
les
missions,
- LIBERMANN (l’Abbé) ; cité par VAULX Bernard in Les missions : leur
histoire, des origines à BENOIT XV (1914) ‘’Je suis – Je crois’’.
Encyclopédie du Catholique au XXème siècle – 9ème partie – Les problèmes du
monde et de l’Eglise, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1960.
48
ouvrant
la
porte
à
une
intense
activité
aussi
bien
commerciale que religieuse, élargissant son rayon d’influence
et d’action au reste du territoire.
Ces religieux qui s’installent dans l’estuaire du Gabon
appartiennent à la congrégation des Pères du Saint Esprit ;
ils créent la mission Saint Paul de Donguila non loin de
Libreville.
l’Ogooué
A
et
partir
de
1885,
s’installent
ils
suivent
successivement
à
le
cours
Lambaréné,
de
à
Ndjolé, à Lastourville, et plus en aval du fleuve à FernanVaz.
En
1878,
le
Père
AUGOUARD
accompagné
d’autres
Spiritains, avaient créé en plusieurs points des rives du
Congo, des centres d’évangélisation, notamment à Banana et à
Landana. Ce fut de cette dernière localité que partit le Père
AUGOUARD en direction de Mfoq (future Brazzaville), où il
fonda la mission Saint Joseph de Linzolo. A l’instar de ses
confrères
du
Gabon,
AUGOUARD
travaillera
avec
acharnement
pour implanter le christianisme dans la région, et convertir
toujours plus d’africains.
Comme au Congo, les Pères du Saint Esprit venus du
Gabon furent les pionniers de l’évangélisation du Cameroun ;
ils y arrivèrent dès 1884. Et lorsque le Cameroun devient
colonie de l’Empire Germanique, des Pallotins aidés des Pères
allemands succèdent aux Spiritains français ; ils poursuivent
néanmoins les mêmes objectifs.
Durant de longues années pourtant, on ne compte guère
qu’une poignée de chrétiens dans toute la région. Ce sont
pour la plupart des esclaves rachetés aux marchands, et leur
conversion
à
la
religion
ressembler
à
une
marque
libérateurs,
d’autant
missionnaires
était
chrétienne
de
pouvait
gratitude
que
cette
souvent
quelque
vis-à-vis
première
accueillie
avec
de
peu
leurs
vague
de
réserve
et
scepticisme. Mais il arrivait très souvent aussi que certains
notables préférassent faire baptiser leurs esclaves et les
49
enfants de ceux-ci ; ils se gardaient ainsi d’offenser leurs
propres dieux.
Il était donc improbable d’amener les indigènes à se
détourner
des
pratiques
croyances
sur
lesquels
ancestrales
reposait
et
de
leur
l’ensemble
philosophie,
des
pour
s’initier à une vision du monde étrangère à leurs idéaux et
intégrer un système en totale incohérence avec un contexte
social où l’homme se réalise en puisant aux sources de la
matérialisation de son univers spirituel.
Ajoutées
aux
traumatismes
de
la
traite,
toutes
ces
raisons vont sérieusement freiner l’avancée du christianisme
dans les régions où il cherche à s’implanter. C’est seulement
au début du XXème siècle que commencent à s’opérer quelques
changements. Ces transformations sont dues de toute évidence,
aux nouvelles méthodes de conversion basées non plus sur la
force et la contrainte, mais sur un enseignement biblique. La
création des écoles pour les jeunes indigènes, et pour les
adultes
un
apprentissage
par
la
démonstration
offre
un
meilleur accès au message de la Bible. En effet, le montage
de saynètes adaptées des Saintes Ecritures était le moyen par
excellence de mettre l’enseignement de Jésus à la portée de
tous ceux qui ne pouvaient y accéder autrement que par des
procédés
de
mise
en
scène ;
par
théâtralisation.
Cette
méthode se révélera en effet plus opératoire que les méthodes
brutales et coercitives antérieures.
D’une
certaine
manière,
le
refus
et
la
suspicion
affichés par les africains vis-à-vis des contenus dogmatiques
du christianisme pouvait s’expliquer à l’époque (et encore
aujourd’hui)
par
le
fait
notamment
des
diverses
contradictions que l’on pouvait relever dans les contenus du
discours biblique. Il était en effet difficile pour les Noirs
de comprendre l’interdiction désormais faite à eux de prier
des dieux représentés sous forme d’idoles, ou de croire en
des esprits protecteurs qui étaient ceux des ancêtres morts
50
de
leurs
familles
ou
de
leurs
tribus,
alors
même
qu’on
exigeait d’eux de se référer à un « Homme-Dieu », et Esprit.
Car
en
procédant
africains
par
arrivaient
superposition
à
la
et
conclusion
par
que
analogie,
les
les
cosmogonies
africaines répondaient à un schéma en tous points similaire,
sinon identique à celui de la religion chrétienne, notamment
concernant la symétrie que l’on peut relever entre les idoles
africaines, et les reliques chrétiennes ; entre les mânes des
ancêtres
dans
les
cultes
traditionnels
africains,
et
les
Saints de la religion chrétienne.
En
répondant
traditionnelle,
aux
les
codes
de
monarques
l’hospitalité
de
l’estuaire
africaine
du
Gabon
acceptent de faire l’expérience de ce Dieu nouveau que les
Blancs présentent. Le roi Dowé affirme ainsi « Nous aurons
donc le temps d’écouter ton message, et toi-même, tu auras le
temps
de
voir
si
nous
ignorons
ce
que
tu
prétends
nous
apprendre de nouveau. »38
Quant
aux
sorciers
(prêtres),
ils
seraient
tout
simplement la version païenne africaine du Prêtre catholique,
dans la mesure où ils sont tous deux chargés d’exécuter un
rite cultuel, et de faire appliquer et respecter les lois et
les préceptes inspirés par un Etre supérieur et invisible.
Au demeurant, les premiers missionnaires ayant remarqué
le goût des africains pour le jeu (même si cela ne correspond
pas à la conception occidentale du théâtre), usent de ce
média pour assurer la propagation de la foi chrétienne. Et si
le spectacle était si présent dans les traditions culturelles
africaines
c’est
qu’il
constituait
un
excellent
mode
d’expression et de communication. La scène devenait en effet
la
tribune
où
l’on
pouvait
critiquer
les
travers
de
la
société, remettre en cause les exactions des individus ou
celles commises par des institutions, ou dénoncer les mauvais
38
- NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux ! In Le Combat de Mbombi,
Paris, Edition François Réder, 1979 ; p. 76-77.
51
comportements des individus. La scène traditionnelle était
aussi
le
lieu
où
pouvaient
s’exprimer
les
espoirs
des
individus ou des communautés, au cœur de ce que l’on peut
désigner comme des comédies de caractères et de mœurs.
Selon les contextes, ces manifestations étaient souvent
l’occasion pour certaines catégories de la société comme les
jeunes mariés ou les jeunes mamans, les orphelins, les veuves
ou les veufs, de recevoir des conseils de sagesse ou de mise
en garde de la part de leurs concitoyens.
La
fréquentation
régulière
des
communautés
avait permis aux missionnaires de relever que la
indigènes
notion de
représentation, ainsi que les phénomènes de jeux de scène
constituaient pour les africains, une véritable école de la
vie.
Episodique
et
circonstancielle,
il
fallait
de
cette
médiation, tirer un maximum d’avantages pour les entreprises
évangéliques et civilisatrices.
Les bases du théâtre moderne africain étaient ainsi
posées. Il ne restait plus à celui-ci qu’à se structurer ; à
se développer et à se diversifier. L’évolution se fera en
plusieurs étapes, selon les milieux de production. Il obéit
par ailleurs à la contrainte des situations socioculturelles
et aux contingences économiques et politiques.
Dans
le
courant
de
la
période
de
colonisation
française, l’instruction scolaire des populations africaines
jusque-là
dévolue
aux
missionnaires
protestants
et
catholiques s’élargit bientôt, avec la création des premières
écoles
laïques,
prises
en
charge
par
l’administration
coloniale.
Ainsi donc, ce qui va constituer l’embryon du théâtre
moderne en Afrique Centrale sera l’œuvre essentiellement des
institutions scolaires et des centres paroissiaux. Son but
comme nous l’avons souligné plus tôt, est de promouvoir la
religion chrétienne à travers l’illustration des mystères de
la Bible.
52
Ailleurs,
dans
un
cadre
profane,
ce
jeune
théâtre
servira souvent de support à la politique de soumission et
d’assimilation
mise
en
place
par
le
colonisateur.
Des
témoignages de l’époque donnent en effet ce théâtre naissant
comme
le
principal
média
de
propagation
des
idées
de
la
politique coloniales.
C’est que la pénétration coloniale, sans être un des
thèmes de prédilection des dramaturges africains, n’a pas
manqué de retenir leur attention. L’arrivée des missionnaires
chrétiens
et
des
explorateurs
a
ainsi
donné
lieu
à
deux
ouvrages essentiels chez le gabonais Vincent de Paul NYONDA39.
Il s’agit en l’occurrence de Bonjour Bessieux et de Deux
albinos à la M’Passa, ouvrages dans lesquels le dramaturge
retrace les circonstances de l’arrivée des européens, et du
climat qui prévaut au cours de la rencontre de ces deux
mondes. Ce sont en effet des moments décisifs qui vont à
jamais changer le cours de l’histoire du continent africain.
Et ce qui ressort de ces textes, c’est l’esprit qui a animé
la rencontre entre, d’un côté, ceux qui viennent en paix,
apporter la Bonne Nouvelle et la Civilisation, et de l’autre
les africains, curieux de savoir ce que cachait véritablement
l’intérêt nouveau que ces individus semblaient leur porter.
Ces deux pièces à caractère historique montrent bien
comment l’une et l’autre catégorie d’explorateurs vont poser
les
bases
l’Afrique
des
relations
(Centrale
en
(toujours
particulier)
d’actualité)
et
la
entre
France,
deux
univers culturels en totale opposition.
Si
les
intentions
pacifiques
des
visiteurs
ne
paraissent pas toujours sincères aux
yeux des populations
autochtones,
en
c’est
qu’il
subsistait
eux
le
souvenir
douloureux de siècles de commerce d’esclaves et de traite de
39
- NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux in Le Combat de Mbombi ;
Paris, Editions François Réder, 1979.
Deux Albinos à la M’Passa in La Mort de Guykafi, Paris, Editions
l’Harmattan, 1991. Collection Encres Noires.
53
produits
tropicaux.
Ajouté
à
cela,
il
y
avait
aussi
la
crainte des méfaits causés par nombre de produits apportés
par les Blancs, à l’exemple des armes à feu, de l’alcool ou
de bien d’autres choses.
Le scepticisme des africains pouvait aussi à plusieurs
égards,
se
justifier
par
le
fait
que
les
européens
qui
avaient jusque-là abordé les côtes du Continent Noir étaient
davantage
attirés
précieuses
que
exotiques,
sans
par
l’or,
l’abondance
les
oublier
épices,
les
des
richesses
l’ivoire,
esclaves.
Des
aussi
les
bois
préoccupations
d’ordre spirituel ou culturel n’avaient pas eu cours durant
ces périodes ; tout au contraire, soutenait-on que les Noirs
étaient
plus
proches
de
l’animal
que
de
l’homme,
ce
qui
justifiait largement l’esclavage.
C’est de se présenter comme des Blancs différents des
premiers « Blancs », que Bessieux et Frère Grégoire d’une
part, et d’autre part Brazza et son assistant, vont susciter
méfiance et perplexité de la part des populations indigènes,
ainsi qu’on peut le voir à travers ce passage de Bonjour
Bessieux :
Bessieux :
Roi
Dowé,
je
suis
porteur
d’un
message
capable de vous rendre plus heureux.
Kringer : Comment te croire ?
Dowé : On ne peut pas le croire ! C’est la première
fois que nous entendons un tel langage.
Une voix : ça cache quelque chose !
Une femme : Cet homme nous raconte des histoires. Il
nous dit qu’il a quitté de son plein gré ce qu’il a de plus
cher. Et si c’était un malfaiteur, chassé de son pays par les
siens à cause du mal qu’il a fait ?
Une voix : Ne serait-il pas sorcier ?
Une autre voix : Dans son pays, n’existe-t-il pas de
sorciers malfaiteurs comme nous en avons certains ici ?
54
Une voix : Vampireux !40 (Murmures dans l’assistance)
Kringer :
l’étonnement
que
Taisez-vous !...
tu
provoques.
Bessieux,
Nous
n’avons
tu
jamais
vois
vu
un
blanc qui nous ait donné quoi que ce soit sans demander une
compensation. Les bateaux qui viennent ici nous apportent
toutes sortes de marchandises, mais ils ne partent pas la
cale vide…
Une voix : J’ai les épaules encore toutes meurtries
d’avoir transporté, il y a trois jours, 220dents d’ivoire à
bord d’une goélette !
Dowé : Tout se paie, Bessieux ! Tout se paie !
Bessieux : Roi Dowé ! Je ne puis vous prouver en un
jour ma sincérité. Mais vous aurez le temps de me juger et de
me comprendre.
Dowé : Nous aurons donc le temps d’écouter ton message,
et toi-même tu auras le temps de voir si nous ignorons ce que
tu prétends nous apprendre de nouveau (…)41.
Les
propos
des
Rois
Dowé
et
Kringer
traduisent
parfaitement l’attitude dubitative, sceptique et curieuse qui
a souvent prévalue chez bon nombre d’africains au moment de
la
conquête
européenne.
d’évangélisation
européens
Les
n’avaient
eux-mêmes,
car
missions
donc
les
de
de
valeur
africains
civilisation
que
pour
estimaient
et
les
n’avoir
rien à apprendre des européens qu’ils ne savaient déjà. La
question de la religion étant dans ce cas précis pour les
africains, le lieu d’intersection des cultures européennes et
africaines. Pour les notables africains, il s’agissait tout
au plus d’écouter leur hôte. Car la bienséance veut que l’on
écoute toujours l’étranger qui frappe à votre porte.
Mais les africains avaient pu juger de la duplicité des
européens à travers les échanges qu’ils avaient entretenus
40
- Vampireux : Terme issu de vampire ; africanisme couramment utilisé
pour désigner les sorciers maléfiques auxquels on attribue le pouvoir de
« manger »
mystiquement leurs victimes. Ils les videraient en fait de
leur substance vitale.
41
- Bonjour Bessieux ; Op. Cit. p. 74.
55
avec
les
commerçants
scepticisme
des
et
toutes
interlocuteurs
sortes
de
de
marchands.
Bessieux
pouvait
Le
ici
s’expliquer.
Pourtant, l’on ne pourrait s’empêcher de penser au fait
que les africains se soient peut-être résignés, devant ce qui
apparaissait déjà comme inéluctable, et sur le fait que la
curiosité semblait avoir pris le pas sur une attitude de
rejet
vis-à-vis
du
« miracle »
contenu
dans
le
message
évangélique du Prêtre, et qui était censé changer la vie des
africains.
Ce
fait
en
apparence
singulier,
prend
toute
son
importance car il est révélateur de quelque chose d’essentiel
dans l’aventure coloniale française en Afrique. On sait en
effet que l’implantation des colonies françaises ne s’est pas
déroulée sans heurts. Les différentes expéditions devaient
généralement
faire
face
à
l’hostilité
des
populations
autochtones, souvent islamisées, quelques fois organisées en
puissants
Etats,
et
qui
n’entendaient
pas
passer
sous
la
tutelle d’étrangers, de surcroît des « infidèles ». Ce refus
de domination avait donné lieu à des résistances farouches et
armées contre les empires occidentaux. Des personnages comme
LAT DIOR ou SAMORY TOURE ont été de véritables figures de
proue en Afrique Occidentale, des luttes de résistance contre
l’envahisseur européen, en particulier contre l’entreprise de
colonisation française.
Dans les textes de NYONDA cependant, ce qui apparaît
c’est le fait que la colonisation se soit déroulée de façon
cordiale. Aucune véritable résistance n’ayant été opposée aux
nouveaux
venus.
Si
l’on
observe
quelques
hésitations
au
départ, aucun incident majeur ne semble cependant pas avoir
été
enregistré.
étrangers ;
de
Et
le
découvrir
désir
les
de
mieux
raisons
connaître
profondes
de
ces
leur
présence en des terres si lointaines, et si peu hospitalières
aura sans nul doute ôté aux indigènes toutes craintes, et
56
toutes
formes
d’hostilités
naturellement
exprimées
en
de
telles circonstances par toute communauté humaine confrontée
à l’inconnu.
Mais ne serait-il pas permis à ce niveau de penser que
les populations d’Afrique Centrale avaient compris très tôt
que
toute
opposition
à
des
individus
visiblement
mieux
outillés pour les conflits armés, était chose vaine ? Et que
sans doute, valait-il mieux collaborer afin de préserver les
communautés, et peut-être aussi prouver aux européens que
l’idée de Dieu n’était pas une idée inconnue en Afrique, même
si
les
usages
manière
de
africains,
pouvaient
procéder,
avait
une
différer.
seule
la
réelle
Car
peut
finalité,
importance.
importait
aux
Peu
yeux
la
des
importait
en
effet pour ces derniers la dénomination donnée à cet Etre
suprême, de savoir qu’Il existe et qu’Il a fait l’homme et
l’univers,
suffisait
pour
les
croyants
africains
à
Lui
exprimer leur dévotion dans des cultes divers et variés, où
les
nombreux
esprits
et
forces
de
l’univers
étaient
des
intermédiaires vers l’Esprit suprême, au même titre que les
Saints du culte catholique.
Si nous nous replaçons dans le contexte de l’époque de
la colonisation et de l’évangélisation de l’Afrique Noire, il
nous
est
désintérêt
permis
de
déclaré
douter
des
avec
les
villageois,
missionnaires.
Et
nous
du
total
pouvons
le
vérifier dans le comportement qu’ils adoptèrent vis-à-vis des
éléments et des lieux de cultes des croyances africaines. Les
« hommes de Dieu » avaient en effet pu se rendre compte que
les
africains,
ainsi
que
nous
l’avons
dit
plus
haut,
n’étaient pas dans une ignorance absolue du Créateur, ou du
sentiment
d’un
être
suprême,
présidant
à
la
destinée
des
hommes ; donc un Dieu. S’il n’avait pas ici le même nom, il
en
avait
incontestablement
les
attributs
et
les
caractéristiques. Mais il était capital pour les européens de
convaincre
les
noirs
que
ce
57
qu’ils
prenaient
pour
Dieu
n’était en réalité que la manifestation du diable, esprit
malin
qui
fit
perdre
à
l’Homme
le
bénéfice
de
la
vie
éternelle et du paradis. Il fallait de ce fait, que tout ce
qui
avait
trait
aux
cultes
et
aux
religions
africaines
disparaisse. Les missionnaires s’y employèrent eux-mêmes, et
l’on ne fit plus dès lors de différence entre les éléments
appartenant
au
domaine
cultuel
et
religieux,
et
ceux
appartenant à l’univers artistique profane. Les exigences du
pouvoir
impérialiste
populations,
d’avoir
la
prise
d’avoir
volonté
en
un
absolue
Afrique
avait
total
des
fait
contrôle
Eglises
des
européennes
disparaître
les
plus
importants des préceptes chrétiens fondés sur la tolérance et
le pardon. Car on ne pardonnait même pas aux africains leur
supposée inculture, ni ne tolérait leur prétendue ignorance
de ce Dieu auquel rien ne rattachait. Et tolérer chez les
africains
la
poursuite
traditionnelles
n’était-ce
des
pas
pratiques
en
quelque
religieuses
sorte,
signer
l’échec de la mission civilisatrice et reconnaître de fait
l’humanité du Nègre ; admettre que celui-ci, contrairement à
la pensée commune établie par les Occidentaux, était doté
d’une âme et d’une intelligence. Cela aurait aussi été une
façon de concéder aux africains l’éventualité d’une certaine
capacité de discernement et d’auto-affirmation. Mais ce qui
pour
les
européens
serait
passé
pour
un
aveu
de
reconnaissance du Noir comme d’un être doué de raison serait
aussi passé pour la reconnaissance d’une culture et d’une
civilisation spécifiquement noires, et remettre en question
les
fondements
d’évangélisation
risquer
de
mêmes
ou
et
de
compromettre
l’opportunité
civilisation
le
principal
et
d’une
entreprise
par
conséquent,
objectif
fixé
par
l’administration coloniale, avec le concours des Eglises ;
l’exploitation des ressources et une main mise totale sur
l’économie des colonies destinées à l’usage de l’Europe.
58
Dans tous les cas, l’action coloniale et missionnaire
fut loin d’être aussi désintéressée qu’elle fut annoncée. Et
le Roi Dowé le perçoit si bien, et peut rétorquer à son
interlocuteur
Bessieux !
que
Tout
tout
se
avait
paie ! »
un
prix :
C’est
en
« Tout
ces
se
termes
paie,
que
le
notable africain peut résumer la relation que cherchaient à
établir ces étrangers venus d’un monde lointain avec lui-même
et ceux de sa race. Il apparaissait ici que les autochtones
n’étaient pas dupes du marché conclu avec leurs hôtes et
surtout des bonnes intentions de ceux-ci, fussent-ils des
hommes
de
Dieu.
Leur
plus
profond
désir
n’était-il
pas
d’assujettir l’esprit du Noir pour mieux le soumettre à la
volonté suprême des hommes qui se cachaient derrière cette
grande
entité
qu’était
l’Eglise
et
aussi
à
la
raison
colonialiste ? N’aurait-il pas été plus facile dès lors de
formuler
toutes
sortes
d’exigences
sans
que
celles-ci
rencontrassent la moindre opposition ?
Le
prix
à
payer
pour
la
christianisation
et
la
civilisation ne fut donc pas que matériel ; il fut aussi
d’ordre
spirituel,
psychologique,
morale
et
surtout
économique.
L’histoire de l’installation des missions chrétiennes
en Afrique Centrale francophone revêt une importance capitale
dans l’histoire de la littérature du continent africain. Cet
épisode historique coïncide en effet avec la naissance aussi
bien de l’émergence de la littérature romanesque et poétique
qu’avec la naissance d’un théâtre africain de type moderne.
La notion de modernité traduisant ici les mutations subies
par une esthétique originellement propre à l’Afrique, dans
ses
emprunts
à
l’esthétique
occidentale,
européenne
en
l’évocation
de
particulier.
Dans
l’Histoire
Deux
Albinos
contemporaine
à
de
la
M’Passa,
l’Afrique
Centrale
constitue
également la toile de fond de l’histoire de la pièce. Ici
59
encore, nous assistons à la rencontre de deux univers qui se
distinguent l’un de l’autre par la différence des modes de
vie autant que par la spécificité des systèmes de valeurs qui
fondent leurs existences.
Au
niveau
de
la
chronologie
des
événements,
Deux
Albinos à la M’Passa présente une antériorité par rapport à
Bonjour Bessieux.
Le premier texte est l’histoire des premiers européens
qui foulèrent le sol des bords de la M’Passa, affluent de
l’Ogooué,
un
territoire
des
du
principaux
Gabon.
cours
Localisé
d’eau
dans
la
qui
baignent
province
du
le
Haut-
Ogooué, le fleuve M’Passa est aujourd’hui célèbre pour le
pont de lianes qui le traverse dans les environs de la ville
de
Franceville.
Le
personnage
historique
de
l’explorateur
Pierre Savorgnan de BRAZZA donne à cette pièce le cachet de
chronique de l’histoire de l’exploration et de l’occupation
par
la
France,
de
cette
partie
du
Bassin
du
Congo.
Le
voyageur et son assistant viennent en effet en reconnaissance
sur
les
lieux
où
devait
s’implanter
la
future
colonie
française.
Face à des populations qui n’avaient jamais rencontré
d’européens, les nouveaux venus sont pris pour des albinos ;
seuls êtres à peau blanche qu’ils connaissaient, mais qui
pourtant
présentaient
des
différences
par
rapport
à
ces
visiteurs étrangers.
A travers ces deux textes, nous voyons se tisser la
trame
de
l’occupation
de
l’Afrique
Noire.
Si
les
missionnaires viennent y porter la Bonne Nouvelle du pardon
et
de
la
vie
l’administration
caractère
non
éternelle,
coloniale,
moins
les
autres ;
nourrissent
sacré ;
civiliser
à
travers
des
projets
au
et
apporter
la
connaissance à des peuples ‘’à peine sortis de leurs cavernes
de primitifs’’.
60
Aussi,
un
traité
fut-il
scellé
entre
les
chefs
indigènes et l’explorateur. Et tant que flottera la bannière
française sur ce territoire conquis à l’obscurantisme, plus
aucun
autre
européen
n’aurait
le
droit
d’y
planter
ses
couleurs et de le revendiquer. C’est de cette façon que de
BRAZZA
matérialisa
« le
pacte
d’amitié »
conclu
entre
la
France et ce bout de territoire d’Afrique qu’il venait de
« découvrir ». Dès lors, la France acquit le monopole de tous
les territoires marqués du sceau de l’explorateur. Il en fut
ainsi partout où passèrent les explorateurs européens. Les
chefs
indigènes
qui
avaient
accédé
à
la
requête
de
l’explorateur venaient de fixer le sort d’un peuple ; d’un
continent. En Afrique Centrale, le rapport à la métropole
était
pour
de
BRAZZA
un
rapport
d’exclusivité.
Son
acte
devait donner la pleine mesure de l’engagement des parties en
présence dans l’échange. La terre contre les cadeaux.
BRAZZA
bonjour
qui
venait
(sa)
de
tribu
« uniquement apporte(r)
et
de
(son)
chef »
un
grand
marquait
par
ailleurs une forte détermination à l’accomplissement et au
respect des accords. Il doit pour ce faire, sacrifier aux
coutumes
locales
profondeur
de
et
sa
bien
montrer
résolution ;
il
à
ses
va
interlocuteurs
donc
comme
le
la
font
habituellement ses hôtes, invoquer l’esprit des ancêtres, et
marquer ainsi l’importance du moment :
De Brazza : Chers frères et amis, je vous remercie de
toute mon âme, les âmes de vos ancêtres qui ont conduit
favorablement cette cérémonie dont le souvenir restera gravé
en lettres d’or dans l’histoire de cette magnifique contrée.
Mais le caractère intéressé des rapports qui viennent
de
s’établir
avec
les
populations
du
territoire
apparaît
immédiatement dans la suite de son propos :
De Brazza : Mais ce n’est pas tout, il nous reste à
accomplir une deuxième cérémonie, l’implantation du drapeau
de mon pays sur un terrain que vous voudrez bien me concéder.
61
C’est cette cérémonie que nous attendons ; quant aux autres
cadeaux, je vous les donnerai après.42
Le
regard
du
dramaturge
gabonais
sur
l’action
des
missionnaires et des explorateurs coloniaux laisse présager
du
fossé
qui
a
toujours
existé
entre
les
intensions
des
européens et les faits observés sur place, dans les colonies.
Si tout concourt à la mise en œuvre des voies et moyens pour
répondre
aux
besoins
de
la
métropole,
l’intérêt
des
populations autochtones n’est que très lointainement évoquée.
L’essentiel
des
actes
posés
dès
le
début
de
la
présence
européenne en Afrique était de s’assurer la pleine et entière
coopération des indigènes colonisés. On a souvent d’ailleurs
reproché à l’Eglise l’ambiguïté de ses positions par rapport
à l’administration coloniale, positions jugées paradoxales à
la
morale
et
à
l’éthique
chrétiennes.
L’autorité
administrative avait souvent en effet profité de l’audience
des
institutions
religieuses
pour
mieux
amener
les
populations à se soumettre au diktat du colonisateur, dont
les lois privaient généralement les indigènes du droit de
décision,
individus.
du
Le
choix
code
des
de
institutions
l’indigénat
ou
était
du
ainsi
statut
des
conçu
par
l’administration coloniale pour mieux contrôler les activités
à caractère aussi bien politique qu’économique à l’intérieur
des circonscriptions administratives, induisant souvent des
abus de comportement de la part de certains colons. L’œuvre
romanesque d’un Ferdinand OYONO dans Une vie de boy ou Le
vieux nègre et la médaille, ou encore celle d’un Tchicaya U
TAM’SI avec sa trilogie Les Cancrelats, Les Méduses et Les
Phalènes, permettent de mettre en évidence maints aspects
souvent méconnus des actes posés par certaines personnalités
pendant la période coloniale en Afrique Centrale.
42
- NYONDA Vincent de Paul ; Deux Albinos à la M’Passa, in La Mort de
Guykafi ; Paris l’Harmattan, 1981 ; p. 106.
62
Malgré
communautés
l’intérêt
porté
traditionnelles
au
jeu
d’Afrique
de
scène
Noire,
par
la
les
critique
universitaire n’a pas véritablement à l’heure actuelle, porté
un regard d’investigation sur les rapports du théâtre et de
l’Histoire sociale en Afrique. Les travaux sur le théâtre en
Afrique restent d’ailleurs assez marginaux, l’essentiel de
l’activité critique étant tourné vers la création romanesque.
En Afrique de l’Ouest cependant, l’action d’émulation
née à l’Ecole William Ponty au début des années 1930, a
largement favorisé l’intérêt qui marque à l’heure actuelle la
production
dramatique
en
Afrique
Occidentale,
et
les
activités de recherche autour de celle-ci. L’Ecole William
Ponty
a
longtemps
été
le
symbole
et
la
référence
de
la
social
et
création théâtrale en Afrique Noire francophone.
De
la
création
en
elle-même,
le
contexte
culturel actuel continue d’inspirer la production. Différents
types de mise en scène coexistent en effet aujourd’hui dans
le paysage de la scène africaine. Les circonstances et les
raisons qui avaient contribuées à l’émergence d’une mise en
scène
à
l’européenne
convaincre,
il
faut
n’ont
pas
disparues.
Pour
observer
le
déroulement
des
s’en
fêtes
chrétiennes, les spectacles donnés par les associations de
scouts et de tous les autres mouvements d’action catholique,
ou encore assister aux kermesses de fin d’années scolaires
dans
les
lycées
et
collèges
ou
même
dans
les
cycles
primaires.
Les répertoires sont variés, allant de l’annonce faite
à la Vierge Marie pour la naissance du Sauveur, jusqu’aux
tribulations de hauts responsables politiques, en passant par
des
classiques
LABICHE
ou
français
COURTELINE.
comme
MOLIERE,
Dans
la
CORNEILLE,
plupart
des
RACINE
cas,
ces
spectacles étant généralement adressés aux paroissiens ou aux
parents d’élèves étaient essentiellement montés en langues
vernaculaires. D’une organisation sommaire, la mise en scène
63
s’embarrassait
ici
rarement
des
aspects
protocolaires
et
policées d’une scène à l’italienne (cours, jardin, etc.), un
simple rideau suffisait parfois à marquer la séparation entre
les différentes parties de celle-ci.
2.1.2 – Premières tentatives de mise en scène :
Dans le domaine de la création théâtrale, la mise en
scène se définit comme l’organisation matérielle et physique
de la représentation d’une œuvre. Elle procède, par le choix
d’un metteur en scène, à fixer un cadre spécifique et codé à
l’intérieur duquel l’action prend corps. S’appuyant sur des
décors, des costumes, des éclairages et les mouvements des
acteurs, l’histoire prend forme au sein d’un espace censé
figurer les lieux du déroulement de celle-ci. Cependant, en
Afrique,
la
adoptant
des
mise
en
scène
schémas
s’est
parfois
parfois
inédits.
Et
singularisée
comme
en
l’affirme
Jacques SCHERER, « La technique la plus complexe et la plus
complète de celles qui concourent à la réalisation théâtrale
n’a pas été dominée du premier coup, pas plus en Afrique
qu’ailleurs,
mais
il
y
a
toujours
une
mise
en
scène,
consciente ou non, puisqu’il faut bien que les efforts des
comédiens aboutissent à un résultat global, perçu par les
spectateurs. »
C’est
donc
d’organisation
qu’en
du
jeu
Afrique,
basé
sur
il
existait
une
une
forme
scénographie
bien
particulière. Et les différences apparaissaient dès que l’on
tentait de changer de registre. Les résultats d’une mise en
scène moderne furent pourtant assez encourageants au tout
début
de
l’absence
l’aventure
ou
quasi
théâtrale
africaine.
inexistence
de
Car
en
scénarios
dépit
de
écrits,
l’essentiel du spectacle reposait sur la capacité des acteurs
64
à improviser sur un thème dont chacun ne connaissait en fait
que les grandes étapes du déroulement de l’intrigue.
En
Afrique
Centrale,
parler
des
premières
mises
en
scène théâtrales revient à s’intéresser au travail accompli
par les missionnaires à travers les mouvements de jeunesse
tels que les scouts, par le biais desquels la pratique de la
représentation a pris un essor considérable.
En l’absence d’une véritable documentation de référence
sur la naissance du théâtre moderne en Afrique Centrale, les
souvenirs
l’heure
de
quelques
actuelle
la
témoins
principale
de
l’époque
source
constituent
d’informations
à
dont
dispose une grande part des chercheurs africains. Quelques
revues ou journaux datant de la coloniale viennent parfois
étayer ce fait. Il faut parfois remonter aux alentours des
années 1930 pour retrouver la trace des premières mises en
scène de type occidentale. Quoique très approximative, cette
période reste le repère essentiel qui permet de fixer dans le
temps les débuts de la mise en scène moderne en Afrique
Centrale,
et
singulièrement
au
sein
de
cet
espace
géographique et culturel constitué par le Cameroun, le Congo
et le Gabon.
Matondo
Kubu
TURE,
comédien
et
sociologue
congolais
relève cette difficulté à dater la mise en scène moderne dans
son
pays :
permet
pas
« L’état
encore
actuel
de
lire
de
nos
investigations
nettement
le
tableau
ne
nous
théâtral
d’avant les années 50. Toutefois, il semble que le théâtre
dit moderne au Congo soit né sous l’impulsion des missions
catholiques et protestantes, à la faveur des mouvements de
scoutisme parrainés par elles. »43
Le travail entrepris par les missionnaires permet donc
de
situer
les
débuts
approximatifs
de
la
mise
en
scène
moderne en Afrique Centrale.
43
- TURE Matondo-Kubu : « Panorama du théâtre congolais et quelques
réflexions » Revue Notre Librairie ; Littérature Congolaise, n° 92 – 93
de Mars/Mai 1988 ; p.175.
65
Au moment des premières tentatives de mise en scène
moderne, il n’existe pas de véritables structures théâtrales
au sens où on peut l’entendre aujourd’hui. On se contentait
en
effet,
pour
les
besoins
d’une
fête
religieuse
ou
scolaire ; pour l’organisation d’une soirée récréative, de
réunir un groupe d’individus à qui l’on confiait la mise sur
pieds d’un spectacle généralement composé de saynètes, de
sketches, de chants et de danses. Très souvent aussi, le
spectacle
pouvait
s’agrémenter
d’un
récital
de
poèmes
(surtout en milieux scolaires).
Plus tard, l’accession à l’indépendance des différents
Etats d’Afrique Centrale va ouvrir une nouvelle ère dans le
monde
du
théâtre
structuration
et
moderne ;
à
on
assiste
en
l’institutionnalisation
effet
des
à
la
arts
du
spectacle en général, et du théâtre en particulier.
La prise en charge des affaires culturelles par les
pouvoirs
publics
avait
de
fait
permis
la
formation
de
quelques troupes d’amateurs dont le rôle sera souvent non
négligeable
dans
le
processus
d’évolution
des
arts
dramatiques en Afrique Centrale.
Dans
le
cadre
des
contenus,
la
jeune
institution
théâtrale africaine se veut déjà le miroir de la société. Le
fait dramaturgique s’enracine en effet dans la vie sociale,
culturelle
et
historique
des
populations.
En
sortant
des
usages rituels, le jeune théâtre d’Afrique Centrale soulève
un véritable engouement au sein des populations ; il cesse
par la même occasion d’être un théâtre circonstanciel.
On note en effet une certaine effervescence tant chez
les créateurs et les acteurs, que du point de vue du public
et de tous ceux qui s’intéressent aux arts dramatiques.
Au point de vue des initiatives, on distingue trois
niveaux essentiels
66
A- Chez les missionnaires :
Pour les missionnaires, les représentations visaient un
but essentiellement fonctionnel. A travers elles, le Curé ou
le Pasteur espéraient parvenir à susciter la foi chrétienne
chez
les
aspects
Noirs.
Un
accent
merveilleux
des
particulier
épisodes
était
bibliques
mis
sur
choisis.
les
Dans
cette optique, les responsables des communautés religieuses
désignaient
quelques
paroissiens
qui
présentaient
des
aptitudes à la comédie pour incarner les rôles voulus.
B- Le rôle des scouts :
L’organisation
prévoit ;
en
plus
des
de
mouvements
l’aide
scouts
apportée
aux
africains
populations
à
travers les « les bonnes actions », une importante activité
socioculturelle caractérisée par la création de spectacles
faits de saynètes, de sketches, de jeux, de chants et de
danses traditionnelles en vue de distraire et d’informer les
communautés
dans
lesquelles
ils
s’installaient
pour
une
période donnée. Ici aussi la vie quotidienne des populations
était la source d’inspiration essentielle de ces spectacles.
Mais il arrivait aussi que les jeunes optent pour la
mise
en
scène
d’un
texte
tiré
de
la
littérature.
Une
adaptation préalable était souvent nécessaire pour favoriser
une meilleure compréhension au niveau du public. Il y avait
là un véritable travail de mise en scène et d’adaptation qui,
sans
être
particulièrement
recherchés,
n’atteignaient
pas
moins les objectifs visés par toute représentation, à savoir
divertir, former et informer.
Le succès de ces représentations résidait dans le fait
qu’elles se voulaient avant tout proches des populations,
proches de leurs préoccupations.
67
C- Dans les milieux scolaires :
Les objectifs et les modes d’utilisations du théâtre
dans les milieux scolaires s’apparentent fortement à ceux mis
en œuvre par les mouvements scouts, et dans une certaine
mesure par les milieux religieux.
Dans
un
cas
comme
dans
l’autre,
l’organisation
des
spectacles se fera toujours en fonction du milieu, ou selon
les contingences événementielles du moment. Cependant, la fin
d’une année scolaire ou la visite dans un établissement d’une
personnalité importante seront toujours des occasions pour
des
réjouissances
et
de
démonstration
de
talents
par
les
jeunes comédiens, au cours d’un spectacle total.
L’autre fait marquant dans la création théâtrale en
milieux scolaires était l’usage indifférencié du français et
des langues locales. Et souvent aucune traduction préalable
n’était nécessaire si le texte de départ était en français ou
dans une langue vernaculaire.
D’une façon générale, l’organisation des
festivités
s’effectue dans une collaboration harmonieuse entre élèves et
enseignants. Les acteurs et tout le personnel d’encadrement
du spectacle restent de véritables amateurs pour qui l’amour
du
jeu
constitue
montrer ;
de
le
seul
fustiger
ou
moteur,
de
au-delà
célébrer
une
du
besoin
de
situation,
un
événement. Ces moments constituaient aussi des occasions pour
les
élèves
de
révéler
d’autres
talents
créatifs
comme
la
confection d’objets d’art.
Ici aussi, les thèmes mis en scène seront généralement
tirés de la vie courante, ou plus rarement des répertoires
classiques occidentaux (ce fut souvent le cas des œuvres de
Molière, ou plus proche de nous encore, du cas de Macbeth de
William
SHAKESPEARE,
qui
a
fait
adaptations).
68
l’objet
de
remarquables
Dans
ces
organisations,
on
recherchera
toujours
le
meilleur résultat possible, même si les moyens mis en œuvre
ne peuvent présager de la réussite du spectacle. C’est par
exemple le cas au sujet des choix effectués quant aux espaces
scéniques.
Jacques SCHERER constate à ce sujet que « Lorsqu’il est
possible d’utiliser un espace naturel ou de plein air, les
facultés d’invention des Africains se donnent libre cours et
peuvent atteindre au grandiose. »44
L’observation
de
SCHERER
laisse
entendre
que
la
réussite des spectacles de mise en scène en Afrique dépend en
grande partie à la compétence des comédiens, mais surtout à
la nature du lieu de représentation. Le langage dramatique
est une association de plusieurs facteurs. Ici, l’esprit et
le corps s’unissent à la voix pour donner vie à la pièce.
Les
textes
sont
parfois
des
manuscrits,
ou
des
documents publiés qui, à cette époque, restent assez rares au
Gabon, au Cameroun et au Congo.
Ainsi que nous l’avons relevé, c’est dans le cadre du
grand
enthousiasme
qui
précède
les
indépendances
que
se
manifestent dans ces trois pays, les premières tentatives de
mise en scène théâtrales effectuées ici ou là par des troupes
d’amateurs.
D’audience
populaire,
ces
premières
représentations
sont également appréciées des différentes catégories sociales
qui peuvent souvent se reconnaître dans les personnages ou
dans les caractères sociaux représentés. Le jeu des acteurs,
très personnalisé, porte la marque de chaque comédien qui,
par
improvisation
et
par
toute
autre
forme
de
subtilité,
cherchera toujours à enrichir son personnage et à lui donner
plus
d’envergure.
C’est
que
le
comédien,
qui
jouit
d’une
grande liberté d’action, mettra volontiers l’accent sur les
44
- Jacques SCHERER : Le théâtre en Afrique Noire francophone ; Paris,
P.U.F, 1992 ; p. 47.
69
défauts ou les qualités du personnage. Son envergure ici ne
sera donc pas toujours positive car elle constitue la mise en
évidence, sinon des idéaux auxquels aspirent l’individu et la
communauté, du moins des angoisses dont les hommes essayent
se libérer.
Avec les toutes premières mises en scène, le théâtre
d’Afrique
Centrale
choisit
le
syncrétisme.
Il
n’est
pas
encore question de publication, car pour les Africains le
théâtre
est
à
l’instar
des
autres
formes
littéraires,
essentiellement destiné à la profération. Et quelle que soit
la
nature
du
texte
dit ;
conte,
proverbe,
poème,
épopée,
etc., il y a toujours une part de mise en scène. Et le
conteur apparaît ainsi comme acteur dans la mesure où il
incarnera
tour
à
tour
les
différents
personnages
de
son
récit.
Le
théâtre
moderne
qui
naissait
avait
une
double
vocation ; éducative et ludique. C’est à ce titre qu’il était
utilisé d’une part pour la christianisation des indigènes
africains, et d’autre part pour réguler la morale publique.
Les personnages deviennent dans ce contexte des modèles dont
il fallait s’inspirer, ou des exemples à ne pas suivre.
2.2 – Premières créations théâtrales :
Lorsque le théâtre moderne voit le jour dans les Etats
du
Cameroun,
du
Gabon
et
du
Congo,
il
est
sans
grande
prétention, car il subissait encore le joug des institutions
coloniales.
Pourtant,
ces
premières
années
d’existence
soulèvent à tous les niveaux, un réel enthousiasme. Et à
l’instar
du
premier
dramaturge
gabonais
Vincent
de
Paul
NYONDA, bon nombre de pionniers du théâtre africain (et de la
littérature
africaine
en
général)
s’accordent
à
dire
que
celui-ci, dans sa forme moderne, n’a pas connu de réelles
70
difficultés à s’intégrer dans le mode de vie des populations
autochtones. Car le jeu de scène, sous des formes variées,
est très présent dans les pratiques culturelles africaines.
Et pour arriver aux formes qu’on lui connaît aujourd’hui,
l’univers du théâtre traditionnel africain avait simplement
opéré une sorte de réadaptation ; une manière de glissement
d’une esthétique traditionnelle, vers une autre, différente,
régie
par
un
système
plus
complexe
faisant
intervenir
différents secteurs des univers de la littérature et de la
scène, et des industries de l’édition et de la distribution,
au-delà de la performance et de la compétence des auteurs et
des acteurs.
Une dimension nouvelle est donc donnée à la création
théâtrale
en
Afrique,
en
allant
au-delà
des
compositions
éphémères et contextuelles habituelles. Les jeunes auteurs
africains
commencent
en
effet
à
emprunter
les
voies
de
l’écriture et de la publication, en somme de la création à
l’occidentale. Au lendemain des indépendances, le monde du
théâtre rompt avec le manuscrit que l’on offre aux amis, ou
que l’on oublie dans un coin de la maison.
Pour revenir aux contextes de création des premières
années au Congo, au Gabon et au Cameroun, il convient de
rappeler
que
si
au
cours
de
la
période
coloniale,
la
production était restée très orientée par le goût et les
intérêts
idéologiques
des
européens,
la
période
post-
coloniale va voir se constituer un théâtre plus porté vers
l’histoire,
les
communautaires.
réalités
Souvent
sociales,
assez
et
les
problèmes
critiques,
ces
premières
créations s’adressaient en priorité aux africains eux-mêmes.
Si, au moment des indépendances de nos trois pays de
référence la publication n’est pas encore une priorité, la
formation de troupes et le montage de spectacles sont eux,
devenus des faits assez courants aussi bien dans les milieux
71
scolaires et universitaires qu’au sein des entreprises et des
communautés civiles.
Depuis
l’origine,
la
production
dramatique
dans
ces
Etats d’Afrique Centrale va généralement s’inscrire dans les
modes
de
pensée
sociolinguistiques
qui
ayant
un
en
commun
culturelles
et
des
différentes
composent
même
sociales.
cette
système
Le
communautés
aire
de
géographique,
valeurs
théâtre
y
morales,
joue
le
rôle
d’éducateur des masses. Miroir de la société il en dénonce
les
maux
et
les
tares.
Ces
créations
vont
par
ailleurs
exprimer les espoirs de ces peuples qui portent désormais les
marques
d’une
civilisation
d’emprunt,
source
de
multiples
controverses.
Parlant des objectifs de sa pièce Trois prétendants…un
mari, Guillaume OYONO MBIA, acteur et dramaturge camerounais,
donne
en
quelque
sorte
la
position
des
arts
dramatiques
d’Afrique Centrale de manière globale. Il déclare dans la
préface
à
la
deuxième
édition :
« Ce
n’est
qu’en
le
divertissant réellement qu’on peut espérer amener le public à
prendre connaissance de certains aspects de notre culture et
de notre vie sociale. »45 De ce point de vue, le théâtre
d’OYONO MBIA apparaîtra donc généralement comme une tribune
où l’auteur peut s’adresser à ses congénères. Il peint en
quelques tableaux les problèmes nés des grandes mutations de
la nouvelle société africaine.
Et
dans
objectifs,
le
la
mesure
théâtre
où
il
veut
d’Afrique
rester
Centrale
fidèle
sera
à
d’abord
ses
un
théâtre de représentation. C’est qu’ici, priorité est donnée
à
l’action.
générale,
Car
même
certaines
si,
contrairement
civilisations
à
africaines
la
ont
conception
connu
et
pratiqué des systèmes spécifiques d’écriture (à l’instar de
la
civilisation
Egyptienne
avec
45
ses
hiéroglyphes ;
de
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants …un mari : Yaoundé, Editions
CLE, 1975 ; p. 7.
72
l’Ethiopie avec l’écriture amharique, ou encore plus proche
de nous, du système mis en place au Cameroun - fin du XIXème
siècle
et
début
du
XXème
- par
le
Sultan
Bamoun
Ibrahima
NJOYA), la tradition littéraire orale occupe encore une place
considérable en Afrique Noire en dépit du fait qu’elle reste
encore
aujourd’hui,
l’apanage
d’une
catégorie
spécifique
d’individus ; les griots et les conteurs traditionnels qui
sont de véritables maîtres dans l’art de la rhétorique. De ce
point de vue, la position du théâtre comme art de l’oral se
trouve confortée par le rôle central de la parole au sein de
la
vie
des
populations.
Et
dans
les
rites
et
croyances
africains, le poids de la parole semble transcender le seul
usage esthétique pour atteindre des domaines supra naturels.
La parole semble en effet porter une charge déterminante dans
la mesure où elle peut influencer le destin de l’individu.
Cette affirmation, invraisemblable en apparence, semble
toutefois
trouver
une
explication
dans
le
fait
que
les
sociétés traditionnelles africaines attribuent à la parole,
dite dans certaines conditions, le pouvoir d’influer sur le
destin
des
individus ;
du
point
de
vue
de
son
existence
sociale, ou même concernant sa santé. En Afrique, certains
témoignages rapportent en effet des exemples de phénomènes
étranges et inexpliqués survenus après profération de paroles
incantatoires.
Des
cas
de
guérison
ou
d’ascension
de
l’échelle sociale après une bénédiction figurent parmi les
exemples de témoignages les plus courants. Dans le même cas,
une malédiction prononcée contre un individu est tout à fait
susceptible
d’interférer
négativement
sur
l’existence
de
celui-ci. Dans ces cas spécifiques, la parole est du domaine
de
la
magie
et
du
mysticisme,
domaine
que
l’on
attribue
quelques fois en Afrique à celui de la sorcellerie.
Dans un autre cas, la parole appartient à un domaine
purement
social.
C’est
à
travers
elle
que
la
vie
de
la
communauté se construit et se matérialise. Tout acte, quelle
73
qu’en
soit
l’importance,
fait
l’objet
d’un
examen
public
préalable. Chaque membre du groupe est en effet appelé à
émettre un avis qu’il laisse à l’appréciation générale.
Au
cours
intervention
mimiques
de
est
et
ces
soutenue
rassemblements
par
d’attitudes
un
publics,
ensemble
corporelles
qui
de
chaque
gestes,
portent
de
les
caractéristiques de quelque scène de théâtre. On croise ici
des
personnages
de
contes,
de
légendes,
de
mythes
ou
de
proverbes. Cet usage traditionnel de la parole appartient à
tous
les
univers
culturels
bantou.
Les
premières
œuvres
dramatiques africaines sont souvent issues de cette tradition
orale séculaire.
Dans ce théâtre en formation, quelques auteurs vont se
distinguer à travers une intense activité de création.
2.2.1 – Les pionniers du théâtre en Afrique Centrale :
Parler des pionniers du théâtre en Afrique Centrale
c’est faire l’inventaire des facteurs humains et structurels
qui
ont
l’identité
présidé
ou
à
à
l’émergence,
l’existence
de
à
ce
la
structuration,
théâtre.
C’est
un
à
art
multiple autant par la forme que par le fond.
Dans
ce
travail
de
recensement,
nous
distinguerons
d’une part les troupes des premières années, et d’autre part
les premières œuvres publiées.
Que
l’on
se
situe
dans
le
contexte
congolais,
camerounais ou gabonais, on remarque que plusieurs mouvements
marquent de manière déterminante l’évolution
dans le temps
du théâtre moderne dans cette région.
Deux grandes périodes caractérisent en effet l’action
des pionniers de ce théâtre. Elles se situent globalement
autour des années 1950 pour les premières représentations de
type
moderne,
et
les
années
1960-1970
74
pour
les
premières
œuvres publiées. Ce sont les textes de cette deuxième période
qui retiendront généralement notre attention.
A – Au Congo :
Les débuts du théâtre moderne au Congo comme dans la
majorité
des
ex-colonies
françaises,
se
situent
dans
les
années 1960. Deux troupes vont animer la naissance de ce
théâtre.
Leur
action
sera
essentiellement
localisée
à
Brazzaville, capitale du jeune Etat. Ces deux troupes sont
l’AS.THE.CO (Association du Théâtre Congolais), et le T.U.C.
(Théâtre d’Union Congolaise).
La première de ces troupes, la plus dynamique aussi,
vit le jour en février 1963 sous la houlette de Ségolo Sia
MAHUNGU et de Pascal MAYENGA. Une scission survenue quelques
mois plus tard au sein de l’AS.THE.CO donnera naissance à la
troupe du Théâtre National Congolais (T.U.C.). D’autre part,
au sortir du festival Panafricain tenu à Alger en 1969, le
Centre
de
Formation
et
de
Recherche
d’Art
Dramatique
est
créé.
En 1967, est créée du côté de Pointe-Noire la troupe
« Les
Kamangos »,
dirigée
par
Ferdinand
MOUANGASSA.
Cette
formation remporte le premier prix de théâtre à l’occasion de
la première semaine culturelle nationale en jouant « Nganga
Mayala ».
Les années 1970 se caractérisent quant à elles, par ce
que l’on a appelé le théâtre des écoles. On note en effet une
prolifération
dans
les
importante
de
établissements
troupes
d’animation
scolaires
culturelle
secondaires
où,
à
l’occasion des fêtes de fin d’année, les jeunes comédiens
montaient des spectacles essentiellement sous la forme de
sketches.
Les troupes les plus actives à cette époque furent la
Troupe
des
Cadets
de
la
Révolution
75
et
celle
du
Lycée
Chaminade, dénommée « Nous Oserons ». A signaler également
l’existence
de
la
Jeune
Troupe
Artistique
d’Animation
du
Lycée Central (J.T.A.A.L.C.), dont la particularité était à
ce moment-là de s’essayer à l’écriture et à une véritable
mise en scène collective avec des pièces telles que La vérité
triomphera, ou
du dramaturge martiniquais
Eïa man maille-là
Auguste MACOUBA.
D’après le comédien et sociologue Matondo-Kubu TURE,
les prestations de ces jeunes troupes étaient dominées par le
volontarisme
militant.
C’est
que
de
manière
générale
en
Afrique, dans les années 60 et 70, on fait du théâtre par
amour pour l’art. Souvent le comédien ne s’attend à aucune
rétribution. Il est au contraire parfois appelé à apporter
lui-même une contribution financière ou matérielle au moment
de monter un spectacle. De plus, lorsque Matondo-Kubu TURE
parle de « volontarisme militant »46, il évoque un engagement
politique ; car le Congo vivait à l’heure de la Révolution
Populaire. Tout se fait donc au nom de la Révolution et du
Communisme, ce qui explique en partie aussi le dévouement
exalté
des
comédiens
(en
plus
de
l’amour
du
jeu).
Ils
privilégiaient ainsi, à leur niveau, l’intérêt de la Nation
plutôt
que
le
révolutionnaire
leur
propre,
aurait
pu
ce
qui,
passer
dans
pour
un
une
contexte
recherche
personnelle de profit.
Pourtant, en dépit de la volonté qui anime les hommes
de
théâtre
congolais,
le
monde
des
arts
dramatiques
va
connaître une période de crise considérable.
Avec
la
fin
des
années
70,
on
note
en
effet
une
certaine sclérose en matière de production de spectacles. La
routine et la facilité à travers un certain relâchement (dans
la mise en scène) s’installent ; les troupes se raréfient et
le jeu se caractérise par une lourdeur excessive et par un
46
- TURE Matondo- Kubu : « Panorama du théâtre africain africain et
quelques réflexion » ; Notre Librairie n°92-93 ; Mars - Mai 1988, p. 175.
76
usage démesuré des éléments de décor. De même, l’absence de
renouvellement
de
la
thématique
laisse
une
impression
d’essoufflement de la création, induisant par là même une
sorte d’attente insatisfaite de la part du public.
On
peut
retenir
en
définitive
que
les
pionniers
du
théâtre congolais ont souvent été des groupes de personnes
ayant en commun l’amour de la scène et un certain sens de la
dramaturgie.
Pour
mener
à
bien
leurs
projets,
ces
jeunes
créateurs n’hésitent pas à mettre en jeu les maigres moyens
dont ils peuvent disposer.
Plus tard ce sont ces amoureux du théâtre qui vont
ouvrir la voie de l’écriture dramatique au sein de la sphère
littéraire congolaise.
B – Au Cameroun.
D’après l’étude menée en 1989 par Clément MBOM47, le
théâtre
s’est
développé
au
Cameroun
dans
un
contexte
de
pluralisme linguistique. Il s’est en effet déployé à travers
quatre pôles d’expression :
-Le théâtre en langues nationales,
-Le théâtre d’expression anglaise,
-Le théâtre d’expression allemande,
-Le théâtre d’expression française.
Au
celui
Cameroun,
qui
a
donné
le
théâtre
les
d’expression
premières
allemande
publications.
Mais
est
il
apparaît que les formes modernes de ce théâtre ne sont pas
l’œuvre
de
camerounais
eux-mêmes,
mais
celle
de
colons
allemands séjournant au Cameroun. Il y eu Der Liebesieg (La
victoire de l’amour) et Tolongi. Ces pièces ont été produites
entre 1900 et 1910 par un auteur dénommé RIEDEL. On peut
toutefois s’interroger sur l’identité réelle de ces textes ;
47
- MBOM Clément : « Le théâtre camerounais en pleine mutation » ; Revue
Notre Librairie, Littérature camerounaise 1. « L’éclosion de la parole »,
n° 99, Octobre – Décembre 1989 ; p.p 144 à 145.
77
appartiennent-ils au patrimoine théâtral camerounais, ou bien
sont-ils simplement des œuvres « sur » le Cameroun ?
Concernant
les
pionniers
camerounais,
Jean-Baptiste
OBAMA apparaît comme le premier dramaturge moderne du pays
avec la pièce publiée en 1943 et qui s’intitulait Mbarga
Ongono, écrite en langue Beti. L’auteur déclare à propos de
celle-ci : « J’ai eu l’idée de lancer avec mes camarades, le
théâtre vernaculaire, j’écris alors la moitié en prose, et
l’autre en vers. »
D’autres
pièces
en
langues
vernaculaires
suivront
celles de OBAMA, notamment Fada Jean en 1944, et Le mariage
d’Ebudubudu en 1956, crée par Albert OWONA.
Concernant
le
théâtre
camerounais
d’expression
anglaise, il semble déjà plus productif que le précédent. Les
principaux précurseurs en sont l’anglais Charles LOW, avec
White
flours
of
latex,
publiée
entre
1940-1942.
En
1959
Sankie MAIMO publie I am vindicated, dont la version inverse,
Sow Mbang, the soothsayer, paraît au cours de la même année.
Elle sera rééditée en 1969. MAIMO publie ensuite une intrigue
politique en 1966 ; The mask. En 1982, il publie une nouvelle
intrigue
politique
qui
porte
le
titre
de
Succession
in
Dirakou. La première pièce de MAIMO est publiée au Nigéria
chez Ibadan University Press, alors que les deux dernières
paraissent chez Clé à Yaoundé.
Un
nombre
important
de
pièces
paraît
à
partir
des
années 80, donnant une impulsion nouvelle à la production
dramatique camerounaise.
Concernant
l’écriture
francophone,
elle
se
manifeste
dès les années 1952, avec la pièce de Prosper BENYE,
mariage
camerounais.
De
1960
à
1969
nous
assistons
à
Le
un
véritable envol du théâtre francophone camerounais. Voyons
quels sont les autres précurseurs de ce théâtre d’expression
française.
78
D’un
point
de
vue
général,
trois
auteurs
sont
régulièrement donnés comme étant les fondateurs principaux du
théâtre camerounais francophone. Il s’agit notamment de :
- Guillaume OYONO MBIA avec Trois prétendants… un mari,
dont la première version date de 1960.
- Stanislas AWONA avec Le chômeur en 1961.
- Patrice NDENDI-PENDA qui donne en 1969 Le fusil.
A
l’instar
anglaise
ou
des
dramaturges
allemande,
les
camerounais
hommes
de
d’expression
théâtre
camerounais
écrivant en français se détournent des langues vernaculaires
comme mode de communication et de production dramatique. Ce
choix pour l’époque, paraît quelque peu arbitraire, compte
tenu du taux d’analphabétisme très élevé, à cette l’époquelà, dans la communauté camerounaise. Ici, seule une petite
fraction de la population scolarisée peut accéder aux textes
publiés.
Clément MBOM observe à ce propos : « C’est un théâtre
qui se manifeste par la présence du texte. Les œuvres sont
mises
en
scène
et
représentées
à
partir
du
terroir
camerounais pour un public camerounais. Parce que d’un niveau
littéraire et linguistique intéressant, les pièces de cette
période,
si
elles
ont
été
primées
par
Radio
France
Internationale, n’ont cependant pas drainé des foules. En
réalité, elles n’ont attiré que l’élite intellectuelle. »48
Si
le
théâtre
camerounais
d’expression
française
de
1960 à 1969, s’est amélioré du point de vue de la présence
effective du texte et des techniques de mise en scène, il
tarde cependant à s’épanouir en qualité et en qualité.
La seconde période du théâtre camerounais francophone
se situe autour des années 1970 et 1979. Elle se caractérise
notamment par deux types de création ; il y a, en effet d’un
côté le théâtre que l’on peut qualifier de conventionnel,
c’est-à-dire un théâtre qui s’appuie sur des textes écrits ;
48
- MBOM Clément : Op. Cit. p. 146.
79
et
de
l’autre,
un
autre
type
d’expression
dramatique
où
l’écriture est très peu mise en avant. Cette nouvelle forme
d’expression théâtrale constitue aujourd’hui la forme la plus
populaire des
univers
dramatiques
d’Afrique
Centrale ;
il
s’agit des formes dites de « Télé-théâtre » ou de « Vidéothéâtre ».
Les premiers textes camerounais représentés en langue
française sont l’œuvre notamment d’Abel ZOMO BEM qui écrit en
1974
Le
moule
cassé.
En
1976,
Daniel
NDO,
plus
connu
aujourd’hui sous le nom de scène d’Oncle Otsama Mbor Bikyé,
écrit Le mariage de Folinika. En 1979, L’homme ‘’bien’’ de
là-bas est écrit par Dave K. MOKTOI.
La particularité de ce théâtre, comme l’a si bien noté
Clément MBOM de l’Université de Yaoundé, est qu’il aspire à
une véritable innovation tant dans ses modes d’expression que
par ses techniques de représentation.
Ce
que
dramaturgie
effet
l’on
peut
camerounaise
contre
les
d’inspiration
camerounais
déjà
d’expression
productions
occidentale).
est
un
voir
mélange
comme
française
antérieures
La
nouvelle
insolite
la
des
nouvelle
réagit
(trop
ère
en
souvent
du
théâtre
aspects
de
la
dramaturgie occidentale et des données et des faits de la
tradition
et
des
cultures
orales
africaines.
Les
textes
s’encrent sur le vécu quotidien ou historique des populations
à travers lequel le public peut se reconnaître.
A l’instar des productions anglophones des années 60,
la production francophone camerounaise des années 1970-1979
privilégie
une
thématique
d’inspiration
essentiellement
sociale. Car les enjeux de ce théâtre en pleine modernisation
portent essentiellement sur la conscientisation du public, en
touchant au plus près la vie des populations. La tonalité
est, là aussi, généralement comique, car comme le définit
l’universitaire Clément MBOM, « c’est un théâtre qui illustre
le
‘’castigare
ridendo
mores’’,
80
corriger
les
mœurs
en
riant ».
C’est
que
de
tous
temps,
le
théâtre
a
toujours
utilisé le rire pour critiquer et condamner les travers de la
société ou des responsables de communautés.
Le
second
aspect
de
la
production
dramatique
camerounaise en langue française se rapporte à la production
écrite et publiée. Cette production s’est développée en deux
phases ; la première va de 1973 à 1978, tandis que la seconde
se situe de 1980 à nos jours.
Concernant
la
première
période,
celle-ci
voit
la
parution en 1973 aux Editions Clé de Yaoundé, de Daïrou IV
écrite par Adamou NDAM NJOYA. En 1974, toujours chez Clé,
paraît Politicos de Jean MBA EVINA. Quant à Africapolis qui
paraît
en
1978
aux
Editions
Semences
Africaines,
il
est
l’œuvre de René PHILOMBE.
A
travers
ces
différentes
productions,
les
jeunes
auteurs camerounais portent sur la vie politique camerounaise
un regard sans complaisance, tout en proposant une vision
nouvelle et différente de la société. En réagissant contre
les institutions politiques, le jeune théâtre manifeste un
réel
besoin
de
recréer
d’autres
schèmes
de
pensées
applicables dans un monde en pleine évolution.
Les années 80 à 90, période la plus prolifique, se
caractérise
par
une
recherche
plus
appuyée
au
niveau
de
l’écriture. Concernant les sujets abordés, aucune thématique
n’est
négligée ;
dramaturges
car
sous
bénéficient
le
couvert
d’une
plus
de
la
fiction,
les
grande
liberté
de
mouvement dans la mise en scène de leur société.
Si
la
quantité
est
encore
loin
d’être
vraiment
importante, la qualité quant est à elle, assez satisfaisante.
Et comme l’a écrit Clément MBOM, « C’est vraiment le
théâtre camerounais en voie de rénovation. En effet, cette
nouvelle
dramaturgie,
tout
richesses
camerounaises,
l’action,
ce
qui
en
allie
constitue
la
81
englobant
l’essentiel
magistralement
pierre
le
angulaire
des
récit
du
à
vécu
camerounais et négro-africain. C’est un théâtre issu d’un
double
héritage
africain
et
européen
fait
de
techniques
éprouvées. »49
En
somme,
la
nouvelle
production
dramatique
se
distingue des œuvres des premières années aussi bien dans les
formes que dans les choix techniques et matériels de mise en
scène.
Cette
nouvelle
production
semble
mieux
maîtriser
l’objet dramatique.
Ce théâtre semble par ailleurs rencontrer l’adhésion de
toutes les composantes de la société camerounaise. Les œuvres
qui ont marquées cette seconde période de production sont
notamment
Guédo
de
Jacqueline
(HENRI)
LELOUP
avec
la
compagnie du théâtre universitaire en 1984. Puis en 1985 il y
a eu L’Homme-Femme de Protais ASSENG. En 1987, Gervais MENDOZE publie Boule de chagrin et La forêt illuminée50.
Cette
période
de
production,
assez
prolifique,
voit
également l’émergence de nouvelles publications dont nous ne
donnerons pas ici un inventaire exhaustif.
C- Au Gabon :
Le théâtre d’inspiration moderne au Gabon, voit le jour
d’un point de vue général, autour des années 1930, comme ce
fut souvent le cas dans cette région du Bassin du Congo. Et
comme
dans
missionnaires
œuvres
à
situations
toute
cette
catholiques
caractère
vécues
plus
par
région,
et
ou
il
est
protestants.
moins
les
profane,
communautés
l’œuvre
Les
des
premières
inspirées
des
locales,
ou
d’inspiration historique, vont quant à elles émerger à partir
des années 1950. Mais c’est au cours des premières années de
49
- MBOM Clément : « Le théâtre camerounais en pleine mutation », Notre
Librairie – Littérature Camerounaise – 1- L’éclosion de la parole ; n°
99, Octobre-Décembre 1989, p.147.
50
- MENDO ZE Gervais : La forêt illuminée, suivie de Boule de chagrin ;
Paris, Editions ABC, 1988.
82
l’indépendance du pays que le fait théâtral va véritablement
prendre son essor.
Au
moment
de
son
éclosion,
le
théâtre
gabonais
est
essentiellement constitué de courtes pièces données dans les
langues
locales
sous
la
forme
de
sketches.
Parmi
ces
premières productions, on retiendra notamment Le débarcadère
de la Nyanga, Le chapeau du Préfet, Le mariage sans dot, ou
encore
Minuit
textes
est
sous
le
qu’elles
La
fromager.
sont
l’œuvre
particularité
collective
de
d’un
ces
groupe
souvent composé par les acteurs qui jouaient eux-mêmes dans
la pièce, mais aussi par quelques amateurs extérieurs, tous
animés par l’amour du jeu, ou bien motivés par la fonction
didactique que pouvait revêtir l’œuvre théâtrale, dans un
contexte où la rencontre des cultures suscitait encore des
situations
de
conflit
au
sein
des
familles,
ou
dans
des
communautés plus élargies.
Au
cours
de
cette
période
de
balbutiement,
le
fait
théâtral est pris en charge par la toute jeune Direction
Nationale
du
Centre
Culturel,
ayant
à
sa
tête
Anastasie
FATOU, et un membre de la congrégation catholique des Pères
du Saint-Esprit, le Père René LEFEBVRE. Sous l’impulsion de
ces
deux
personnalités,
la
troupe
du
Centre
Culturel
présentera entre autres pièces ; Ré-Nkoula (le sorcier qui
joue des tours au diable), Ntchèmbo-yi-David (l’adultère de
David). Le contenu de ces pièces est volontairement orienté
vers une certaine forme de prosélytisme, car les populations
restaient
toujours
attirées
par
les
croyances
traditionnelles.
L’évolution
vers
un
théâtre
moderne
et
détaché
des
liens de la religion ne se fera qu’à partir des années 1965,
lorsque Vincent de Paul NYONDA est désigné comme Ministre des
Affaires Culturelles. Cette période voit l’émergence d’une
pléthore de troupes, aussi bien dans les milieux scolaires
qu’au
sein
des
entreprises.
Les
83
meneurs
de
ce
mouvement
d’éclosion sont notamment NDONG Damas ; auteur, acteur et
metteur en scène. Sa pièce intitulée Le Procès de Dieu, fait
une
sortie
première
remarquable
fois
à
la
lorsqu’elle
télévision
est
donnée
gabonaise.
pour
Dans
le
la
même
contexte, Ferdinand ALLOGHO-OKE, Bonaventure KASSA-MIHINDOU,
Joséphine
KAMA-BONGO,
Albert-Bernard
BONGO,
Brice
MEZUI-
NDONG, Jean MBOUMBA-KOMBILA, et bien d’autres, produisent des
pièces qui rencontrent un réel intérêt de la part du public,
tant
dans
pays,
où
heureux
les
grands
centres
les
villageois
et
de
retrouver
des
urbains
les
qu’à
l’intérieur
populations
aspects
rurales
de
la
du
sont
culture
traditionnelle.
En 1966, en vue de préparer le Premier Festival des
Arts
Nègres
de
Dakar,
le
nouveau
Ministre
de
la
culture
procède à la sélection des meilleurs acteurs ; ainsi naît la
troupe
du
Théâtre
National
du
Gabon
qui
sera
chargée
de
porter les couleurs de la Nation au cours des différentes
manifestations culturelles à travers le monde.
84
DEUXIEME
TRADITIONNELLE
PARTIE :
DANS
D’AFRIQUE CENTRALE.
85
LA
LE
SOCIETE
THEATRE
CHAPITRE
III :
ORGANISATION
DE
LA
SOCIETE
TRADITIONNELLE : LES STRUCTURES SOCIALES ET POLITIQUES
La diversité démographique de l’Afrique subsaharienne
offre à l’observateur extérieur, peu attentif, une vision
d’unicité culturelle et civilisationnelle, d’où naissent des
opinions parfois subjectives. Il n’est pas rare en effet,
d’entendre dans les médias ou dans des rencontres à caractère
culturel
ou
l’Afrique
scientifique,
comme
d’« un
certains
pays ».
occidentaux
Dans
parler
l’entendement
de
de
ces
individus, on perçoit l’image d’une unité territoriale et
géographique,
communauté
qui
des
se
ramènerait
usages
et
des
à
unité
linguistique ;
traditions,
unicité
de
conditions, etc…
Bien souvent, et à tort, en effet, on applique à ce
vaste continent - plus grand que l’Europe et certainement
plus peuplé - une sorte de schéma réducteur et globalisant
qui ignore ; peut-être à dessein, la variété et la richesse
culturelle et civilisationnelle qui confèrent à chaque peuple
africain un ensemble spécifique de traditions, d’us et de
coutumes, différents d’un espace à un autre.
De ce point de vue, il nous paraît maladroit, même
hasardeux
de
traditionnelles
voir
par
bantoues
exemple
d’Afrique
dans
les
centrale,
une
sociétés
sorte
de
prolongement, ou la réplique de la communauté mandingue du
Fouta-Djalon.
L’un
ethnolinguistiques
et
se
l’autre
distinguent
de
autant
ces
à
groupes
travers
leurs
structures politiques que par rapport à leurs usages sociaux.
La
société
système
de
malinké
castes
dont
la
s’oppose
structure
de
manière
est
fondée
évidente,
sur
un
dans
la
pratique, à la société fang où l’organisation structurelle ne
présente nul forme de sectarisme au sens où par exemple, les
griots sont les vassaux des castes supérieures, qui elles-
86
mêmes méprisent par ailleurs la caste des forgerons. Entre
ces
différentes
castes,
il
n’y
a
par
exemple
aucune
possibilité d’échanges matrimoniaux.
Pourtant, si l’on rencontre chez les Bantou une sorte
de stratification de la structure sociale, celle-ci s’exprime
fondamentalement
type
castes
de
manière
griottiques
éclectique.
ou
Des
forgeronnes
phénomènes
tels
qu’ils
du
sont
vécus chez les mandingues y sont inconnus. Sans appartenir à
une
confrérie
ignore
la
exclusiviste
marginalisation
spécifique,
sectaire
qui
le
forgeron
peut
être
bantou
liée
à
l’exercice de son métier sous d’autres cieux. Il est ici un
personnage important au sein de la communauté. Indispensable,
son
activité
est
capitale
pour
la
bonne
marche
de
l’économie ; il fabrique des outils et des armes nécessaires
à sa communauté. Il y bénéficie des mêmes droits, y est
soumis aux mêmes devoirs politiques et économiques, aux mêmes
impératifs sociaux et culturels. Il est admiré et respecté du
fait de son seul génie, de son savoir-faire. Les alliances et
les échanges interclaniques ou intercommunautaires sont régis
par d’autres raisons, d’autres lois qui ne mettent pas en
exergue l’appartenance à un groupe spécifique. Seul le lien
du sang, qui se traduit par différentes formes de filiations,
peut empêcher la contraction d’une alliance matrimoniale. La
volonté
de
préserver
et
de
faire
valoir
les
systèmes
de
filiations peut produire des situations singulières, allant
parfois jusqu’au ridicule. Certains auteurs ont de ce fait
évoqué la nécessité d’actualiser en Afrique, la question, en
lui donnant aussi bien un fondement juridique qu’une assise
véritablement objective par rapport aux motivations réelles
qui justifient la proscription des unions consanguines, car
c’est de cela qu’il est question, dans l’interdiction faite
de se marier à l’intérieur de sa tribu ou de son lignage. Le
refus
des
anciens
choses
se
heurte
de
voir
changer
régulièrement
87
au
l’ordre
besoin
séculaire
exprimé
par
des
la
jeunesse d’assouplir certaines coutumes, voire d’abroger tout
simplement celles qui leur paraissent les plus rétrogrades.
C’est, dans Trois prétendants…un mari51 de Guillaume OYONOMBIA, le point d’orgue de la querelle qui oppose la jeune
génération groupée autour de Juliette, aux anciens menés par
son
grand-père.
laisser
Pour
Juliette
mieux
choisir
expliquer
son
futur
l’impossibilité
époux,
le
vieil
de
homme
invoquera une très lointaine parenté avec le prétendant de sa
petite-fille.
Si
dans
l’ère
géographique
bantou
–
comme
chez
les
mandingues d’ailleurs - le travail de la forge est accompagné
d’un
certain
nombre
de
rituels
et
entouré
de
tabous
et
d’interdits, cela n’est pas toujours lié au fait d’appartenir
à
une
caste,
ni
même
parfois
à
une
quelconque
religiosité. Ces rituels entrent dans l’ordre des croyances,
souvent empiriques, se rapprochant de ce que l’on pourrait
comprendre
comme
une
sorte
d’observation
du
code
de
déontologie des métiers de la métallurgie. Un vieux forgeron
fang
du
expliquait
nord
du
en
accompagnaient
Gabon
effet
son
(probablement
que
métier,
les
le
dernier),
interdits
avaient
pour
qui
but
nous
jadis
principal
d’obtenir une meilleure concentration psychologique, pour un
rendement physique optimal. Et avec une certaine pudeur, il
finissait par nous avouer qu’on fabriquait les plus beaux
objets
cette
lorsqu’on
s’abstenait
« ‘’activité’’
était
de
aussi
tout
contact
épuisante
sexuel,
qu’essayer
car
de
rattraper à la course une jeune gazelle ». Et à la question
de savoir de qui tenait-il son métier, il nous dit l’avoir
appris auprès d’un forgeron venu du Cameroun voisin, et qui
avait épousé sa sœur.
Ici donc, contrairement au forgeron malinké qui reçoit
son métier en héritage (le fait de naître fils de forgeron ne
51
- OYONO-MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions
Clé, 1975.
88
propose, ou n’admet aucune autre alternative que celle de
travailler
les
métaux),
le
forgeron
bantou
choisit
son
métier ; il y accède par vocation (il y a en effet une sorte
d’appel intérieur à l’envie de créer ; une fascination devant
la transformation d’un simple lingot de fer en quelque chose
de différent, d’utile), ou par nécessité. Le contexte social
– situation de conflit ou disparition d’un vieux forgeron –
peut très bien justifier le choix, pour un jeune apprenti,
son désir de succession, la nécessité de combler le vide
laissé par son prédécesseur.
On a donc d’un côté, l’obligation due à la naissance ;
à la « race », ainsi que l’a si bien exprimé le Guinéen
Camara LAYE, dans son chef-d’œuvre autobiographique, L’Enfant
Noir ; et de l’autre côté, un besoin purement individuel,
dont l’aspect matériel constitue le véritable motif. C’est
donc la raison économique ; en d’autres termes l’attrait du
profit, qui conditionne le futur forgeron bantou, au-delà
même de la fascination que représente tout le processus de
fusion, et de transformation des métaux en objets usuels et
précieux.
A travers le théâtre de Tchicaya U TAM’SI, de NYONDA,
de MENDO-ZE, de LABOU TANSI ou d’OWONDO, nous allons explorer
les
multiples
d’Afrique
occurrences
centrale ;
mettre
des
en
sociétés
évidence
anthropologiques,
et
leur
organisation
apparaissent
la
plume
de
sous
ces
traditionnelles
leurs
structures
telles
auteurs,
et
qu’elles
de
bien
d’autres. Nous en établirons la configuration des cercles de
décisions politiques, l’agencement des microcosmes sociaux et
économiques.
89
3. 1 – Les structures politiques :
En
tenant
compte
de
la
diversité
ethnique
et
linguistique qui définit la population africaine, la question
de l’organisation politique des sociétés apparaît comme le
reflet de la multiplicité des cultures qui caractérisent le
Continent Noir. Dans ce florilège de formes et de structures,
il
est
parfois
difficile
de
déterminer
les
zones
et
les
limites d’influence de tel ou tel type de système. Dans ce
cas, il n’est pas rare en effet voir deux ou plusieurs types
d’organisations politiques se côtoyer ou se croiser dans une
même région, ou dans un même groupe ethnolinguistique.
A travers son Zulu, Tchicaya U TAM’SI donne à voir non
seulement
le
fabuleux
destin
d’un
homme,
mais
aussi
tragédie d’un peuple ; celle qui va se jouer autour
la
de
l’épique conquête du territoire sud africain, à travers la
naissance puis la chute du royaume zoulou, dont Chaka semble
incarner
aussi
bien
la
force
positive
et
exaltante,
que
l’outil pernicieux qui conduit à la défaite, à l’échec.
Aujourd’hui,
pouvoirs
en
politiques
dépit
qui
de
la
multitude
caractérisent
de
encore
formes
de
l’Afrique
traditionnelle, on peut noter que la structure dominante dans
la majorité des cas, reste la structure villageoise. A ce
propos, Catherine COQUERY-VIDROVITCH observe que « le village
n’était pas un lieu égalitaire. C’est évident pour un village
indien – casté -, mais c’est aussi vrai de la collectivité
rurale africaine. Si elle comporte plusieurs lignages, ceuxci se répartissent entre lignages forts et lignages faibles ;
si elle ne comporte qu’un seul lignage, celui-ci implique des
lignées d’ « aînés sociaux » : on ne naît pas nécessairement
« aîné », on le devient par tout un système d’échanges, de
liens matrimoniaux, etc., et par l’âge. »52 Nous pouvons lire
52
- COQUERY-VIDROVITCH Catherine : Afrique
Ruptures, Paris, L’Harmattan, 1992. p.69.
90
Noire.
Permanences
et
l’une de ces formes de structures de pouvoir dans la plupart
des
textes
de
notre
corpus.
Ainsi
la
position
dominante
exercée par le chef Atangana dans Le Train Spécial de son
Excellence de OYONO MBIA tient plus du fait de sa position
d’aîné
social
que
par
tout
autre
facteur
exogène
à
la
structure et à l’organisation clanique. On peut observer le
même phénomène chez NYONDA, à travers Le Combat de Mbombi ;
ou encore dans La Mort de Guykafi ; Le Roi Mouanga ; Deux
Albinos
à
la
Mpassa ;
et
aussi
dans
Bonjour
Bessieux.
A
travers ces différentes histoires nous pouvons observer des
chefs de communautés qui sont d’abord des chefs familles.
Leurs situations d’aînés sociaux les dispose systématiquement
à la position et au rôle de chef dans le village, ou plus
largement dans le groupement, ensemble plus élargi, constitué
par
plusieurs
communautés.
La
stabilité
(relative
aujourd’hui) de ces modes d’organisation politique ne laisse
pas de surprendre les observateurs extérieurs ; c’est que les
coutumes et les traditions ont permit depuis l’aube des temps
de fixer les choses. Et le respect du droit d’aînesse et de
la personne âgée est l’un des principes directeurs de la vie
sociale de ces peuples, où les tabous et les interdits ont
façonné les comportements et les mentalités.
En
somme,
d’organisation
la
coexistence
politique
des
laisse
différents
apparaître
une
modes
nette
prépondérance de la structure politique villageoise. Celle-ci
reste en effet très importante, et assez représentative des
sociétés traditionnelles africaines à plusieurs titres.
Dans
autour
de
société.
véritable
un
la
premier
cellule
Ensuite
parce
stabilité
temps,
parce
qu’elle
familiale,
socle
qu’elle
suppose
institutionnelle,
de
la
se
toute
construit
forme
garantie
corrélative
de
d’une
au
caractère strictement hiérarchisée de la famille africaine.
La structure politique villageoise est représentative de la
société traditionnelle africaine car elle est l’expression
91
d’un
vaste
et
complexe
réseau
de
parentés
et
d’alliances
multiples, où les individus sont liés les uns aux autres par
des attaches, des conventions dont les origines se perdent
parfois aux confins de l’histoire même des groupes. Dans cet
ordre d’idées nous pouvons parler des systèmes de filiation
et des lois qui régissent l’institution du mariage telles que
la notion de consanguinité et du système de circulation de la
dot, qui se donnent à saisir dans les textes de notre corpus.
D’abord, revenons aux différents systèmes de filiation
en présence dans les différents textes observés. Ainsi la
première scène de l’acte I de la Mort de Guykafi s’ouvre sur
un dialogue entre le jeune Mombina et l’Ancien du village :
- L’Ancien.-
La
chasse
a
été
bonne,
Mombina
mon
enfant ? Tu es le digne fils de ton défunt père ; de la
chasse tu ne reviens jamais bredouille !
- Mombina.- Oui, j’ai pris cette gazelle ; mais j’en
ai manqué une de belle taille.
- L’Ancien.- Si tu as manqué ton gibier, mon fils,
c’est que ton esprit n’était pas à la chasse. Mais je sens
dans ta voix une certaine préoccupation. Jamais un chasseur
comme toi, habitué aux grandes courses de chasse ne revient
fatigué comme tu parais l’être. As-tu des soucis ? Depuis que
ton père n’est plus, je suis le plus ancien de ce village et
tu peux te confier à moi ; j’essaierai de te conseiller comme
ton père le faisait autrefois pour nous tous.
- Mombina.- Père, donne-moi à boire53.
Ce que nous voulons mettre en exergue dans ce passage,
c’est
la
mise
en
place
d’un
des
aspects
du
système
de
filiation tel que nous allons assez souvent le rencontrer à
travers la plupart des textes de notre corpus.
Si l’on considère cette vision africaine de la
paternité
qui
veut
qu’un
enfant
53
‘’appartienne’’,
non
pas
- NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; Paris, L’harmattan,
Coll. Encres Noires, 1981, p.11.
92
toujours à son géniteur, mais à celui qui l’a élevé, la
relation qui s’établit entre Mombina et l’Ancien préfigure
déjà cet état de fait. En effet, les dénominations « père »
et « fils » que se donnent les deux personnages doivent être
vues, non pas comme de simples vocables destinés à meubler la
conversation,
mais
bien
comme
l’expression
d’une
réalité
sociale ; la manifestation d’un trait culturelle qui va audelà de la simple formule de politesse. Il s’agit ici d’une
situation réelle où, à l’intérieur de la communauté, du clan
ou
du
lignage,
les
liens
qui
unissent
les
classes
d’âge
équivalent aux relations parents/enfants. IL est à noter ici
que la notion de famille prend un caractère plus large, car
elle concerne, non plus la cellule de base, mais le groupe ;
la communauté ou le clan.
A
côté
de
ces
systèmes
de
filiation
qui
peuvent
s’établir à l’intérieur des grands groupes que constituent
les
ensembles
communautaires,
un
autre
type
de
filiation
apparaît ; celui-ci concerne la cellule plus étroite de la
famille. On peut dans ces circonstances, parler de filiation
patrilinéaire, ou de filiation matrilinéaire.
Dans les sociétés traditionnelles d’Afrique centrale,
ces deux systèmes existent, on
peut
notamment
les
observer autant chez NYONDA que chez OYONO MBIA.
D’abord chez NYONDA, nous apprenons dans la scène II de
l’acte
premier54,
que
c’est
De
Nzambi,
oncle
de
la
belle
Maroundou, qui est chargé de régler la question concernant
son
mariage.
Cet
matrilinéaires,
appartiennent
à
où
la
état
les
de
fait
enfants
tribu
de
la
est
typique
d’une
des
femme,
mère.
Dans
sociétés
même
ces
mariée,
types
de
filiations, le père géniteur n’a aucun droit sur ses enfants,
car
l’oncle
maternel
se
substitue
à
lui,
et
endosse
les
droits et les devoirs inhérents au statut du père. Une telle
situation
54
apparaît
explicitement
- Idem, p.14.
93
aux
pages
16
et
17
du
texte55,
où
Guykafi
d’un
côté,
et
Maroundou
de
l’autre,
parlent de leurs oncles respectifs. L’un, Guykafi, s’en remet
à l’autorité de son parent, afin de conclure le rite du
mariage après le rapt de la future mariée :
-
(…)
Guykafi.- … et dès que mon oncle sera là, nous
procéderons au mariage !
De l’autre côté, Maroundou nous apprend que c’est
auprès de son oncle, où elle vit, qu’elle a rencontré l’élu
de son cœur :
- Maroundou.- …j’avais déjà désiré ce bel étranger
alors de passage au domicile de mon oncle De Nzambi.
Lorsque, plus tard, à la page 19, Maroundou évoque la
mort de son père, c’est une information qu’il faut lire sur
un double niveau.
Si la mort du père constitue en effet un fait réel ;
avéré pour cette jeune femme, cette mort, ou plus encore
cette absence du père reste également un fait symbolique.
Cette situation vient conforter la place, et le rôle très
marginal
que
la
matrilinéaires.
personne
C’est
le
du
père
cas
des
joue
dans
peuples
les
sociétés
Punu,
auxquels
appartiennent les protagonistes de notre histoire. En effet,
même lorsque celui-ci est en vie, les droits du père mais
aussi ses devoirs restent assez limités par rapport à la vie
de ses enfants ; il est même tout à fait inexistant. Le rôle
du père est tenu par l’oncle maternel ; c’est donc à celuilui
qu’appartient
la
décision
de
sceller
l’union
entre
Maroundou et Guykafi. En cas d’opposition de sa part, le
mariage pourrait bien être compromis. Et dans la tradition de
nombre de peuples bantou en général, il faudrait engager des
négociations qui, dans tous les cas, mettent la personnalité
55
- NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; Paris, L’Harmattan,
Collection Encres Noires, 1981.
94
de l’oncle en avant scène, et en position de force vis-à-vis
de la famille du futur époux de sa nièce.
Au contraire des sociétés matrilinéaires que nous avons
rencontré
travers
MENDO
chez
des
ZE,
NYONDA,
auteurs
fait
le
comme
aussi
théâtre
d’Afrique
OYONO-MBIA,
état,
U
entre
centrale,
TAM’SI
ou
autres
à
encore
réalités
socioculturelles, du système de filiation patrilinéaire.
Dans les communautés traditionnelles où l’organisation
des
cellules
familiales
fonctionne
sur
le
mode
de
la
filiation au père (filiation patrilinéaire), les enfants nés
dans un couple appartiennent à la tribu du père. C’est donc
celui-ci qui est chargé de l’éducation de sa progéniture ;
c’est le père qui fixe les règles de base de la conduite
sociale et culturelle au sein de sa famille. Aussi, lorsqu’il
s’agit de décider du mariage de la jeune Juliette, c’est à
son père et aux hommes de clan que revient la charge de
choisir parmi les différents prétendants, celui qui répond le
mieux aux aspirations, non pas de la future mariée, mais aux
desiderata des hommes de la famille. Les femmes du clan pour
leur part, entièrement soumises à la coutume, mais surtout à
la volonté masculine, ne voient que le prestige lié à une
telle union. Ici tout est mis en place pour amener la jeune
fille à se soumettre, et à accepter le choix effectué par ses
parents.
Le premier acte de la pièce est presque entièrement
consacré aux questions matérielles liées à l’union éventuelle
entre Juliette et Mbia, le fonctionnaire qui vient demander
sa main :
- Bella : (fièrement)
Un vrai blanc ! Ma petite-fille Juliette va épouser
un vrai blanc !... Ah Nane Ngôk !
-
Matalina : (qui voudrait bien être à la place de
Juliette)
95
Quelle chance ! Ma cousine est vraiment née avec une
étoile sur le front ! Epouser un homme si riche ! E é é é !
la veinarde ! Elle aura bientôt des tas de robes, des jupes
en tergal, des perruques blondes elle aura tout
jamais
Ondua : (sentencieux)
de
Ah
Atangana,
te
faire
mon
frère !
accorder
un
Voila
fusil
l’occasion
sans
toutes
ou
les
complications d’usage !
- Abessolo : (très vite)
Oui, ne rate pas une telle occasion ! Tu sais qu’on te
fait
subir
de
longues
attentes
chaque
fois
que
tu
te
présentes devant les bureaux administratifs ! Maintenant que
tu auras un si grand homme pour gendre, je parie que tous les
fonctionnaires de Sangmélima s’empresseront de te servir !
-(…)
- Atangana : Vous avez raison tous les deux, mais vous
semblez oublier l’essentiel : qu’est-ce que le fonctionnaire
nous apporte comme argent ? Si c’est moins que les cent mille
francs de Ndi, comment ferai-je pour rembourser la première
dot ? Et qu’est-ce qu’il me restera en poche ?
Bella :
-
Ah
ka,
mon
fils !
Il
apportera
beaucoup
d’argent, c’est moi qui te le dis ! De mon temps…
Matalina : (parlant peut-être d’expérience)
-
Un vrai fonctionnaire ne va pas rendre visite à une
femme
sans
s’être
au
préalable
muni
d’une
forte
somme
d’argent.
- Ondua : (qui n’oublie jamais le principal)
Il faut surtout qu’il nous apporte à boire ! Des choses
fortes !56
Au-delà
de
l’intérêt
culturel
que
comportent
les
textes que nous avons choisis d’explorer, il faut rechercher
les
différents
projets
d’écriture
56
qui
sous-tendent
la
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari ; Yaoundé, éditions
Clé, 1975, p.16 et 17.
96
production
littéraire
africaine,
et
essentiellement
les
objectifs poursuivis par les auteurs dramatiques.
Une
observation
globale
permet
de
relever
que
la
presque totalité des textes de notre corpus portent sur la
critique sociale. Les questions abordées vont en effet des
avatars du mariage traditionnel, à la pratique de la dot ; et
dans une large mesure, à ce qu’il est convenu de désigner
comme une chronique politique.
Comme nous l’avons vu, des motifs souvent invoqués dans
les
familles
perception
pour
de
donner
la
leurs
dot
filles
ainsi
en
que
mariage,
les
la
alliances
intercommunautaires constituent les principales raisons qui
orientent le choix des parents.
L’usage de la dot est une pratique commune à tous les
peuples d’Afrique. Son usage, sa composition ainsi que ses
différents modes de circulation varient cependant d’un groupe
à un autre. En effet, l’ensemble des populations du bassin du
Congo a toujours eu recours à la dot pour conclure les unions
matrimoniales. D’une manière générale, il appartient au futur
marié et à sa famille de réunir les différents éléments qui
rentrent dans la composition de cette dot. Celle-ci avait à
l’origine valeur de symbole à plus d’un titre.
Dans un premier temps, la dot était le signe du sérieux
de l’engagement que l’on prenait. C’était surtout le symbole
de
la
responsabilité
du
prétendant,
mais
également
la
manifestation d’une certaine aisance sociale du futur marié,
et
en
dernier
recours
seulement,
la
preuve,
sinon
des
sentiments que l’homme portait à sa future épouse, du moins
le signe de sa volonté de s’unir à celle-ci.
D’une grande valeur symbolique, la dot était souvent
composée
d’objets
d’usage
courant,
mais
aussi
de
bien
transmissibles ; elle comprenait en général des lingots de
fer, des défenses d’éléphant, des bracelets et des colliers
de cuivre, des tissus de raphia, et de peaux de panthère.
97
Si les lingots de fer étaient parfois destinés à la
fabrication d’outils à usage domestique, ils servaient aussi
à forger des armes pour la chasse et pour la guerre.
Parmi les objets qui constituaient la dot, les lingots
de
fer
remplissaient
une
fonction
sociale
au
sein
des
communautés traditionnelles. Le mariage qui était l’occasion
de nouer des alliances entre les tribus et les clans, se
conclut encore aujourd’hui, à travers l’échange de présents
dont
la
valeur,
nous
l’avons
dit,
était
essentiellement
symbolique. Au-delà de la valeur matérielle que représentait
le fer pour des populations essentiellement rurales, donc
agraires, ce métal constituait en quelque sorte une valeur
monétaire ;
un
symbole
de
richesse
et
de
pouvoir.
Le
versement d’une dot de fer signifiait en effet qu’on occupait
une certaine place au sein de sa communauté, et qu’on était
apte à fonder une famille ; à subvenir à ses besoins, et à la
protéger.
Si
répandu
la
au
pratique
sein
des
de
la
dot
populations
reste
un
Bantou,
phénomène
ses
modes
très
de
circulation restent cependant variés. Ainsi, chez les Fang du
Gabon, du Cameroun et de Guinée Equatoriale, la dot sert
essentiellement à prendre femme. Ici, les jeunes filles sont
données en mariage afin que, en échange de la dot qu’elles
rapportent, leurs frères, leurs pères ou encore leurs oncles
paternels puissent à leur tour, se marier. On comprend donc
l’indignation de Matalina lorsque Juliette refuse d’épouser
le fonctionnaire qui vient de verser deux cent mille francs à
son père. Son frère Ondua se voyait déjà marié avec cette
dot.
Ailleurs, pour d’autres populations d’Afrique Centrale,
la perception de la dot ne signifie pas toujours cette sorte
d’échange compensatoire où l’on procède à un remplacement
numérique d’un membre du clan par une autre personne, par le
biais du mariage. Il s’agit ici de plus en plus, d’un moyen
98
pour les familles d’acquérir des biens matériels dans une
forme de troc, où le but visé est l’enrichissement. C’est
cette vision de la dot qui lui a donné l’image d’un simple
troc ; la femme, ou plutôt la jeune fille, est alors perçue
comme une marchandise que l’on échange en contrepartie de
biens matériels. Et plus tard, avec l’introduction dans le
monde traditionnel de l’argent et des marchandises venues
d’Europe, le phénomène a pris les caractères d’un véritable
échange commercial. Le mariage perdait ainsi peu à peu toute
sa signification sociologique et ethnologique. Il faut en
effet se rappeler que les unions matrimoniales constituaient
dans
les
sociétés
d’unions
entre
exclusivement
traditionnelles,
les
à
clans
tendance
et
de
les
véritables
tribus.
exogamiques
Les
traités
mariages
jouaient
un
rôle
éminemment politique même si les clans, et au-delà les tribus
et les communautés villageoises, conservaient leur autonomie.
Les structures de gestion politique sont ici constituées par
le système des classes d’âges ; ce sont en effet les anciens
qui gèrent politiquement les communautés, et avec eux, les
guerriers,
qui
sont
en
fait
des
auxiliaires
du
pouvoir
politique.
Par ailleurs, dans la zone du bassin du Congo, où le
Cameroun
(essentiellement
Congo-Brazzaville
géographique
et
et
le
dans
sa
Gabon
démographique
partie
méridionale),
forment
assez
un
homogène ;
le
ensemble
où
les
structures sociales et politiques apparaissent dès le XIXème
siècle, comme un système à double tendances, dans les formes
de l’exercice politique, un regard sur cette région montre
qu’en dépit de la présence de plusieurs types de structures
politiques, la structure la plus ancienne et la plus répandue
semble y être la « gérontocratie », elle-même fondée sur le
lien familial et matrimonial. Si l’autorité des anciens sur
les
plus
jeunes
peut
apparaître
ici
comme
une
véritable
dictature, toute forme d’abus et d’injustice y sont cependant
99
proscrite, même si les jeunes observent à l’égard des plus
âgés, un devoir de soumission presque servile, renforcée par
les nombreux tabous et interdits qui accompagnent la vie du
groupe. La gérontocratie est pour ces sociétés à tradition
orale, non pas uniquement un mode d’exercice du pouvoir, mais
aussi l’un des facteurs essentiels, sinon l’unique, dans le
processus
de
transmission
des
connaissances ;
techniques
(fabrication des outils, emploi de substances organiques et
végétales
utiles
religieux,
ou
traditionnel
à
la
encore
et
chasse
ou
médicales.
rural
dépend
la
pêche),
morales
L’enseignement
en
effet
en
et
milieu
entièrement
de
l’expérience acquise au fil des ans par les seniors, et de ce
qu’ils ont eux-mêmes appris auprès de leurs pères.
Une
constitue
politiques,
entière
le
soumission
gage
à
la
classe
de
la
pérennité
économiques
et
culturelles
des
des
anciens
institutions
(des
rites
et
croyances, des us et des coutumes) qui constituent le ferment
de l’existence des communautés. C’est que dans tout système
d’apprentissage
ou
d’éducation,
on
exige
du
novice
non
seulement de la rigueur et de la discipline, mais aussi de
l’attention et de l’application ; c’est la garantie qu’il
pourra
assimiler
les
différents
savoirs
reçus,
et
qu’il
saura, à son tour, transmettre toute la science qu’il aura
reçue des anciens, et perpétuer ainsi les savoirs, l’histoire
et la mémoire de son clan, de sa tribu, de son peuple.
A propos du pouvoir des anciens, Catherine COQUERYVIDROVITCH
observe
encore
que
« L’idée
que
le
conseil
de
village serait un organe démocratique n’est pas (…) une idée
juste : il s’agit bien plutôt d’une gérontocratie, et le chef
du village n’ (est) d’avantage qu’un coordinateur : c’(est)
le membre le plus influent du lignage dominant. »57
57
- COQUERY-VIDROVITCH Catherine : Afrique
Ruptures. Paris, L’Harmattan, 1992, p.69.
100
Noire.
Permanences
et
Si cette observation est fort judicieuse, elle demande
toutefois
à
être
recentrée,
essentiellement
dans
ce
qui
concerne la vision que l’historienne donne du lignage, et par
extension, du village lui-même, en tant qu’unité politique.
Si cette définition est globalement vraie dans les sociétés
qu’elle
présente
comme
« englobantes »,
c’est-à-dire
des
sociétés qui demeurent subordonnées à une sorte de pouvoir
central (incarné par un chef – un seigneur – une ville), cela
est moins probant dans une société où justement le village
constitue une entité politique entièrement autonome, où les
rapports avec les autres communautés se vivent sur la base
d’une absolue égalité. Ce type d’organisation se rencontre
particulièrement
centrale,
où
au sein des populations Bantou d’Afrique
les
influences
extérieures
sont
restées
un
phénomène parfois marginal (c’est le cas de l’ancien royaume
du Congo, et, plus au sud, le royaume du Monomotapa). Les
sociétés traditionnelles Fang du Gabon, du Cameroun et de
Guinée
Equatoriale,
les
peuples
Punu
du
Gabon,
ainsi
que
plusieurs groupes communautaires de cette région constituent
de parfaits exemples de ces sociétés autonomes.
Chez les Fang en effet, la structure villageoise est
avant
tout
lignage
le
unique.
fait
d’une
Ici,
la
famille
notion
et
par
d’aîné
conséquent
est
d’un
souverainement
exprimée par la naissance.
Empreinte
de
mysticisme
et
de
sacré,
le
statut
de
l’aîné va au-delà du simple rôle de chef de famille ou de
responsable d’un lignage. Il représente la suprême autorité,
mais surtout il incarne la sagesse spirituelle et morale sur
laquelle
s’appuie
la
communauté,
dans
le
règlement
des
conflits, ou dans la gestion du patrimoine économique commun.
Sur le plan culturel et religieux, l’aîné peut, toutefois ne
présenter aucune disposition particulière et cependant tenir
son rang. Son avis est fondamental, mais pas irréfutable ; il
reste conscient de la faillibilité de ses opinions ou de ses
101
jugements
et
concertation
délibératif
à
ce
avec
qui
le
titre,
en
conseil
oriente
les
appelle
des
sages,
débats
dans
toujours
sorte
le
à
la
d’organe
souci
de
la
justice et de l’équité. Son rôle se confond ici à celui de
chef de village qui est, dans le cas des peuples Fang, une
sorte de représentant du clan ou même de la tribu, lors de
certaines circonstances – exceptionnelles - où celle-ci est
engagée ; ce n’est donc pas toujours l’affaire du plus âgé,
mais une exigence liée à la valeur intrinsèque de l’individu.
Le rôle de chef est confié par le patriarche à celui de ses
fils dont le comportement et la relation à autrui sont jugés
dignes et convenables. Il n’est donc pas nécessairement le
fils aîné. Dans des sociétés – disons-le - prioritairement
phallocratiques comme les sociétés Fang, Punu, Téké, Bassa,
etc., le rôle de chef a parfois été confié à des femmes
(natives du clan), au détriment des fils défaillants ; mais
cela reste des situations assez rares, puisque d’une manière
ou
d’une
autre
le
vide
est
toujours
comblé,
par
la
désignation d’une personne extérieure, mais dont le lien de
filiation souvent au deuxième degré (un neveu par exemple),
lie celui-ci au groupe.
Dans tous les cas, l’aîné est celui-là qui, à sa mort,
est destiné à prendre place dans le cercle restreint
des
mânes des ancêtres, même si de son vivant, il ne se sera
particulièrement pas distingué ni comme guerrier, ni par la
possession
de
biens
matériels
abondants,
ni
par
une
importante progéniture qui chez les Fang, constitue la plus
grande des richesses.
Le rôle de l’aîné, qui se confond à celui de chef
peut
donc échoir, par défaut, à tout individu membre du lignage.
Les femmes en sont exclues non pas par faiblesse, mais parce
que, destinée au mariage donc à quitter la cellule familiale,
aucune responsabilité engageant la communauté ne peut lui
être confiée. Les peuples Bantou considèrent la femme non pas
102
comme une simple génitrice, dont la seule « utilité » est de
pérenniser le lignage ou la tribu, mais aussi et surtout
comme le véritable socle sur lequel repose la tribu tout
entière, au-delà même du noyau familial.
Véritable
enjeu
politique
autant
qu’économique,
la
femme est dans l’univers bantou celle pour qui on déclare la
guerre au clan ou à la tribu voisine, ou celle grâce à qui on
peut conclure un traité de paix. Vincent de Paul NYONDA le
montre fort bien dans pièce intitulée La Mort de Guykafi.58
Plus
tard,
avec
le
développement
du
commerce
triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques, une
nouvelle
classe
changeant
ainsi
d’individus
les
fait
facteurs
bientôt
déterminant
son
la
apparition,
place
et
le
statut de l’individu au sein de sa communauté. Au contact des
négriers
et
autres
marchands
occidentaux
en
effet,
des
mutations considérables apparaissent dans les mœurs et dans
les processus d’affirmation de l’homme à l’intérieur de son
groupe, mais surtout dans sa relation avec l’autre, ou avec
son
environnement.
(étoffes,
outils
et
La
possession
ustensiles
en
d’objets
métal,
manufacturés
armes
à
feu
et
toutes sortes d’objets de pacotille), la volonté de puissance
et le besoin de domination, introduisent bientôt dans ces
sociétés jadis tournées vers une économie de subsistance et
de préservation des ressources et de l’environnement, une
nouvelle manière d’être, mais surtout des critères nouveaux
sur l’échelle des valeurs morales, économiques et sociales ;
« l’homme n’est plus par ce qu’il est, mais par ce qu’il
possède. »
L’homme,
en
effet,
n’est
plus
reconnu
par
ses
qualités morales et humaines, mes à travers la quantité de
biens accumulés. L’accumulation de biens matériels semble en
effet s’être érigée en valeur essentielle, au détriment des
valeurs humaines que sont par exemple la solidarité et la
58
- NYONDA Vincent de Paul : La Mort de
L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981.
103
Guykafi ;
Paris,
Editions
justice.
Les
naissance
changements
à
une
observés
société
vont
hybride,
à
terme,
partagée
donner
entre
les
structures anciennes et la nouvelle donne issue des systèmes
d’échanges
entre
africains
et
européens.
Dès
lors,
la
position sociale de l’individu est plus que jamais tributaire
de la valeur de ses biens, alors que la tradition de l’âge
était vouée à la perdition ; à l’abrogation.
A
propos
MBOKOLO
note
inchangée ;
de
que
ces
nouvelles
« La
cependant,
élites
structure
au
cours
sociales,
socio-politique
de
la
deuxième
Elikia
restera
moitié
du
siècle, le pouvoir ne se trouvait plus entre les mains des
‘’anciens’’ mais entre celles des gens les plus respectés et
les
plus
puissants,
ayant
accumulé
les
produits
d’importation. »59
A l’aube du XIXème siècle donc, c’est cette catégorie
d’individus qui va prendre de plus en plus d’importance tant
du point de vue économique que politique. Avec ces nouveaux
potentats, l’Afrique allait-elle amorcer un nouveau retour
vers son glorieux passé (dont témoignent les anciens grands
Empires du Mali, les Royaumes du Kongo et du Monomotapa, le
grand Royaume Zoulou du sud de l’Afrique…) ? La réalité va
cependant
montrer
individualistes
la
de
difficile
l’occident
adaptabilité
aux
usages
des
valeurs
traditionnels ;
communautaires des africains, mais surtout que les nouvelles
élites politiques n’ont rien des souverains idéalistes des
temps
anciens.
Leur
culpabilité
dans
la
déportation
de
millions de leurs congénères, et plus tard dans, l’occupation
coloniale
de
l’Afrique
individus,
comme
africaine.
Autant
les
que
sont
des
véritables
les
faits
qui
moteurs
de
négriers
venus
donnent
la
ces
tragédie
d’Europe,
les
marchands africains portent la responsabilité de ce qui peut
être vu aujourd’hui comme l’un des plus grands traumatismes
59
- MBOKOLO Elikia : Afrique Noire. Histoire et Civilisations. Tome II,
XIXème – XXème Siècle. Paris, Hatier – A.U.P.E.L.F., 1992.
104
vécus par l’humanité. Les œuvres littéraires des congolais
Sony LABOU TANSI (son théâtre aussi bien que son roman) et
Tchicaya U TAM’SI traduisent avec force et émotion le drame
né
de
la
volonté
de
puissance
économique
et
d’expansion
territoriale des empires coloniaux français et anglais, ainsi
que de la soif de pouvoir qui va par la suite animer les
hommes
politiques
africains,
héritiers
eux-mêmes
d’une
idéologie basée sur le culte de la personnalité, le profit et
l’individualisme. Si les personnages du théâtre de Sony LABOU
TANSI vivent ouvertement leur volonté de puissance, dans Le
Zulu
de
Tchicaya
U
TAM’SI,
autrement,
car
Chaka
que
apparaître
une
forme
de
pathologique,
de
les
l’on
découvre
névrose
conquérir
choses
liée
Nobamba,
se
peu
à
et
à
son
de
présentent
peu
laisse
désir
soumettre
quasi
à
sa
volonté toutes les cités zoulou encore libres.
Quoique
l’Afrique
peu
connues,
précoloniale
les
ont
de
structures
toute
sociales
évidence,
de
subi
l’influence des facteurs économiques venus d’occident, créant
de
profonds
bouleversements
au
sein
des
communautés
traditionnelles.
En
somme,
l’organisation
politique
des
sociétés
traditionnelles restait peu homogène. Et dans cet état de
fait, on mesure bien la fragilité des nouveaux systèmes, qui,
loin
de
servir
de
ciment
entre
les
différentes
couches
sociales, étaient plutôt source de désaccords de convoitises,
de
frictions,
d’abus
et
de
manipulations
en
tous
genres,
ainsi que le souligne fort judicieusement John ILIFFE dans
son ouvrage Les Africains. Histoire d’un Continent : « Les
lignages segmentaires où l’ordre reposait sur la menace de
représailles, existaient principalement
parmi les peuples
pasteurs (…). Les villages autonomes de pionniers étaient
plus
répandus :
Homme »
dont
ils
les
étaient
qualités
dirigés
soit
personnelles
par
un
« Grand
s’imposaient
aux
parents et clients, comme ce fut souvent le cas dans les
105
forêts camerounaises, ou bien par le descendant direct d’un
pionnier (…). »60
Si le propos de John ILIFFE semble parfois situer une
telle
organisation
déterminées,
c’est
dans
des
zones
géographiques
que
les
limites
mêmes
des
très
aires
mal
de
colonisation territoriale des populations concernées restent
encore
à
cette
époque,
l’observe
aussi
Hélène
colonial
de
redistribuer
l’Afrique
les
assez
mobiles.
d’ALMEIDA
eut
–
pour
populations
au
D’autant
TOPOR,
« Le
conséquence
sein
de
que
comme
découpage
majeure
nouvelles
de
unités
politiques. La répartition d’un même peuple entre plusieurs
territoires impliquait une rupture de son unité culturelle et
l’évolution de chaque rameau dans des cadres différents, en
fonction des diverses métropoles dont il relevait désormais.
A l’inverse, était regroupées dans une même colonie souvent
créée de toutes pièces, des populations d’origines diverses,
sans tenir compte de leur passé et des inimitiés profondes
qui pouvaient exister entre elles. Des mesures de répression
forcèrent les récalcitrants à se soumettre. Dès lors, les
sociétés furent obligées, pour survivre, de s’adapter aux
données nouvelles. »61
Les
oppositions
du
point
de
vue
de
la
cohabitation
étaient donc notoires ; mais pour l’essentiel, les fondements
culturels restaient les mêmes, à quelques variantes près. Ils
pouvaient en effet s’exprimer différemment, selon que les
influences subies au contact d’autres populations et au gré
des échanges interculturels, étaient considérables ou non.
C’est ce que relève Georges BALANDIER dans Histoire Générale
de l’Afrique Noire : « L’Afrique est terre de contrastes et
de diversités. Les conditions géographiques et les impulsions
d’une histoire fort active ajoutent leurs effets pour faire
60
- ILIFFE John : Les Africains. Histoire d’un Continent. Paris,
Flammarion, Collection Histoire, 1997. p. 114 - 115
61
- D’ALMEIDA – TOPOR Hélène : L’Afrique au XXème Siècle. Paris, Armand
Colin, 1993, p. 27.
106
du continent africain le lieu où voisinent et s’affrontent
les entreprises humaines les plus différentes. A tel point
que l’univers négro-africain a pu apparaître comme celui des
micro-civilisations (on a recensé plus de huit cent cinquante
‘’cultures’’) et de particularismes.»62
Globalement, en ce qui concerne la distribution des
structures
politiques
traditionnelles,
s’imposent ;
dans
trois
voici
les
sociétés
types
donc
la
de
négro-africaines
formations
classification
que
sociales
propose
BALANDIER (nous n’en retiendrons que celles qui intéressent
la région du bassin du Congo, et qui définissent pour une
grande partie les populations bantou) :
1°)-
Les
lesquelles
les
structures
du
sociétés
groupes
claniques
sociaux
territoire,
lignagères :
fondamentaux,
résultent
pour
et
les
essentiellement
des
relations établies selon la filiation et la descendance.
2°)-
Les
sociétés
à
pouvoir
politique
semi-
différencié : Ce sont celles où les différenciations et les
inégalités sociales sont non seulement plus apparentes, mais
aussi « instituées ». Ces groupes présentent habituellement
une organisation sociale fondée sur une base territoriale,
une
hiérarchie
militaires,
de
classes
politiques
et
d’âge
investies
juridiques
qui
de
charges
interviennent
directement dans le gouvernement de la collectivité, tandis
que les clans et lignages sont réduits à rôle secondaire.
3°)- Les sociétés à chefferies : avec une large série
de
gradations,
montrent
davantage
de
différenciation
du
pouvoir politique ; certaines d’entre elles disposent d’une
organisation complexe qui les rend comparables à un microEtat. (…) Les chefferies Bemba du Congo constituent l’exemple
marquant de ces institutions. Dans ces communautés, quatre
facteurs fondamentaux déterminent le pouvoir de chaque chef :
62
- BALANDIER Georges, in DESCHAMPS Hubert (SS.) : Histoire Générale de
l’Afrique Noire. De Madagascar et des Archipels ; T.1 ; Des Origines à
1800 ; Paris, P.U.F, 1970. p. 91.
107
la richesse, les dépendants (femmes, enfants, fonctionnaires,
esclaves…), la compétence juridique et le rôle et le statut
spirituel,
c’est-à-dire
la
compétence
religieuse
ou
rituelle.63
Nous pouvons noter en définitive que dans tous les cas,
les systèmes politiques de l’Afrique traditionnelle restent
très variés. L’âge
structuration
communautés
de
représente un élément essentiel dans la
la
composante
traditionnelles
sociale
africaines.
et
Et
politique
avec
lui,
des
les
titres et les biens matériels fondent le système au sein
duquel
les
hommes
devaient
progresser ;
en
sagesse,
en
richesse et en influence. C’est sur cette base que devait
s’appuyer
les
structures
politiques
de
l’Afrique
traditionnelle, même si en réalité, entre un chef rituel, un
‘’Grand Homme’’ de village et le maître du territoire, la
distance politique était étroite. Un seul individu pouvait
parfois rassembler ces différentes étiquettes.
3.1.1 – Les détenteurs du pouvoir :
Dans
l’Afrique
traditionnelle
la
notion
de
pouvoir
relève de plusieurs éléments. Elle est diversement tributaire
de
contingences
selon
le
figurer
lieu,
parmi
philosophiques,
mais
les
la
donne
facteurs
religieuses
historique
les
plus
ou
humaines,
semble
également
récurrents
dans
le
processus d’accession aux instances de pouvoir.
La diversité des origines sociales de ce que l’on peut
désigner comme les figures de pouvoir, implique généralement
une approche plurielle dans la saisie de la manifestation et
l’incarnation même de ce pouvoir. Dans certaines communautés
en effet, la structure sociale peut s’organiser autour de
63
- BALANDIER Georges, in DESCHAMPS Hubert ; Histoire Générale de
l’Afrique Noire, De Madagascar et des Archipels ; T.1, Des Origines à
1800 ; Paris, P.U.F., 1970, pp.91-92-93.
108
différents axes institutionnels, qui joueront les uns par
rapport
aux
précis,
autres,
plusieurs
un
rôle
complémentaire.
individus,
avec
Dans
des
ce
cas
attributions
différentes, exercent à différents niveaux, une parcelle de
ce
qui
prendre
apparaît
les
comme
un
pouvoir
caractéristiques
du
central,
sans
fédéralisme
toujours
politique
tel
qu’il a parfois existé dans certaines régions.
Les
Mvett65,
épopées
Soundjata64,
mandingue ;
montrent
avec
une
remarquable
et
fang
pertinence,
Le
la
pluralité des formes, et les particularités de l’exercice de
la charge politique, au sens concret du terme.
Dans le Mvett, (épopée traditionnelle des peuples Fang
du Gabon, du Cameroun et Guinée Equatoriale) en effet, la
thématique des récits oppose deux peuples ; les Immortels
d’Engong, et les Mortels d’Okü. Ces derniers, nous dit le
conteur et écrivain gabonais Tsira NDONG-NDOUTOUME, sont
une
myriade de tribus dispersées dans une contré imaginaire, et
chacune de ces tribus a, à sa tête, un chef dont l’autorité
est régulièrement contestée par ses congénères. Ce sont des
peuples anarchiques, où sévissent régulièrement la famine, la
guerre la maladie, et, suprême « injustice », la mort. Du
côté
d’Engong
prédominent.
par
Ce
contre,
peuple
ne
l’ordre
connaît
et
la
aucun
des
prospérité
maux
qui
sévissent chez ses voisins ; unis le peuple d’Engong vit sous
la férule du tout-puissant chef
AKOMA-MBA, secondé dans sa
charge par un groupe de jeunes guerriers, qui remplissent
aussi, l’un la fonction de chef des armées : ENGOUANG–ONDO ;
un autre le rôle de « ministre » de la justice, l’impétueux
ANGONE–ZOCK ;
celui
par
qui
le
malheur
Mortels. La qualité de « ministre » des
64
arrive
chez
les
cultes incombe au
- TAMSIR-NIANE Djibril : Soundjata, L’Epopée Mandingue, Paris, Editions
Présence Africaine, 1967.
65
- TSIRA NDONG NDOUTOUME : Le Mvett, T1 ; Paris, Présence Africaine,
1983.
Le Mvett, Tome 2 ; Paris, Présence Africaine, 1985.
Le Mvett, Tome 3 ; Paris, L’Harmattan, 1993.
109
grand
sorcier,
maître
de
la
connaissance
ésotérique,
le
magicien ANGOUNG–BERE, et bien d’autres.
Ayant découvert le secret de l’immortalité, c’est un
peuple
qui
n’aspire
qu’à
la
paix ;
à
vivre
en
bonne
intelligence avec ses voisins. Mais les Mortels entendent
bien
s’approprier
l’origine
des
ce
secret
incessants
farouchement
conflits
gardé.
qu’ils
C’est
livrent
aux
Immortels, et où jamais ils ne sortent vainqueurs.
Au-delà de l’opposition de deux peuples mythiques, le
Mvett propose à travers ses récits, une vision dialectique de
l’homme, plus qu’une vision manichéenne du monde. Selon les
Grands Maîtres du Mvett, en effet, Okü et Engong se trouvent
dans chacun de nous ; le premier étant constitué par toutes
les
tares
et
les
vices,
les
travers
et
les
difformités
morales qui souillent la nature humaine, alors que le second,
plus noble, représente cette part de divin, de noblesse et de
spirituel profondément ancrée en l’homme, et qui ne demande
qu’à s’exprimer.
Dans
Le
Zulu
personnage
de
Chaka
de
U
TAM’SI,
témoigne
la
de
complexité
cette
même
du
qui
se
dualité,
manifeste autant dans sa profonde détermination à unir la
Nation
Zoulou,
véritablement
que
comme
dans
un
son
chef
incapacité
consensuel.
à
se
poser
Fondamentalement
idéaliste dans sa vision de la nation zoulou, mais aussi
incroyablement
aveugle
devant
l’évidente
corruptibilité
de
l’homme ; celle de ses compagnons, Chaka est lui-même habité
par le mal. Incapable de manifester d’autres sentiments que
ceux
qui
consistent
à
s’enfermer
dans
un
monde
où
la
compassion et l’amour apparaissent comme des faiblesses.
De même, le guerrier Guykafi, à l’instar d’Othello,
aveuglé par la jalousie suite à l’infidélité de sa femme, se
laisse submerger par la colère et finit par tuer sa bienaimée.
110
En fait, à travers l’excuse toute faite du respect de
la
tradition,
Guykafi
a
laissé
libre
cours
à
la
partie
animale qui se terre en chaque être humain. Le dramaturge
prend prétexte de son art pour questionner la tradition, mais
aussi pour proposer une remise en cause de certains faits et
usages
de
nos
coutumes.
On
le
voit
bien,
le
regard
de
l’écrivain est avant tout un regard inquiet ; s’il peut juger
et condamner, c’est qu’il est dans sa communauté, sans doute
plus sensible aux tribulations du quotidien. Se donnant pour
but la transformation, sinon la re-création de sa société, il
est
éveilleur
différent,
L’écrivain
Victor
des
à
consciences.
une
société
n’est-il
HUGO ?
Son
pas
un
œuvre
a
Il
aspire
nouvelle,
démiurge
donc
à
un
idéale ;
comme
vocation
le
à
monde
utopique.
préconisait
construire
le
rêve ; à le partager, mais aussi à le poser comme unique
source de salut pour la société et pour l’humanité de manière
générale.
Comme on peut le constater, l’homme est au centre de la
production littéraire africaine, autant pour ce qui tient des
aspects purement matériels de la vie, que pour ce qui a trait
aux
domaines
philosophiques,
l’existence.
L’incursion
nous
de
permet
récurrents
dans
mieux
la
métaphysiques
faite
situer
dans
la
littérature
et
l’univers
portée
de
moraux
de
l’épopée
certains
négro-africaine
de
de
faits
manière
générale, et de celle des ères géographiques sur lesquelles
se porte notre étude.
De ce fait, les régulières intrusions des dramaturges
africains dans la thématique du pouvoir portent un double
intérêt. Il s’agit dans un premier temps de témoigner d’une
certaine réalité sociale et historique, et dans un second
temps de faire la critique de cette réalité.
Le théâtre étant un fait social, et comme tel, ne peut
se concevoir hors des repères du temps et de l’espace. Il
111
existe une réelle interaction entre la création dramaturgique
et son contexte social.
« Tout
théâtralité »,
est
ainsi
qu’aimait
à
le
proclamer Vincent de Paul NYONDA, pionnier du théâtre moderne
gabonais.
l’auteur
De
de
fait,
La
c’est
mort
concevoir un théâtre
de
la
société,
de
dans
le
Guykafi
contexte
qu’il
du
est
propos
de
difficile
de
africain en dehors des instances mêmes
aussi
bien
traditionnelle
que
moderne.
La
composante spatiale des textes de théâtre en Afrique offre
presque toujours comme cadre, soit l’espace du village, soit
celui de la cour de quelque souverain, ou dignitaire. C’est
toujours pour donner la plaine mesure de la société, autant
comme objet que comme sujet de l’écriture dramatique.
Objet, en même temps que sujet du théâtre, l’étude de
la société est donc envisagée dans un premier temps, comme un
examen des conditions de sa création ; de sa production, et
dans
une
seconde
perspective,
comme
l’étude
de
sa
porté
morale, politique et philosophique ; des conditions de sa
réception. C’est une ouverture nécessaire à une approche de
l’objet, qui se veut le plus objectif possible dans l’esprit
où
l’énonce
Julia
d’entreprendre
un
PRZYBOS
à
analyse
propos
du
mélodrame : « Afin
complète,
il
faudra
déterminer
d’une part à quel besoin psychologique le mélodrame tend-il à
répondre,
et
d’autre
part,
l’envisager
d’un
point
de
vue
esthétique, déceler l’idéologie qui le sous-tend et étudier
les moyens dont dispose la propagande à son égard ».66 C’est
une
approche
à
bien
des
égards
applicable
au
théâtre
de
manière globale, car celui-ci est difficilement envisageable
en dehors de son contexte social, qui lui-même revoie à une
structure
appel
pluridisciplinaire
pour
décoder
ce
qui
à
laquelle
finalement
on
fera
apparaît
toujours
comme
un
ensemble de codes aussi bien sociaux que linguistiques. Car,
66
- PRZYBOS
1987, p. 10.
Julia :
L’Entreprise
Mélodramatique ;
112
Paris,
José
Corti,
ajoute
PRZYBOS, « Quiconque
spectacles
populaires
(…)
l’historien
et
à
psychologue,
au
sémioticien
ambitionne
doit
tour
l’anthropologue,
et
d’étudier
au
au
à
tour
les
jouer
sociologue
et
à
au
littéraire ».67
critique
C’est le double statut de théâtre ; art de la scène et genre
littéraire,
qui
fait
de
lui
un
objet
ouvert
à
plusieurs
disciplines, à plusieurs approches. L’intérêt des sciences
humaines et littéraires dans l’étude du théâtre doit en effet
permettre de faire ressortir les catégories sociales ; leur
expression et leurs manifestations, ainsi que les moyens mis
en œuvre par le théâtre pour donner à voir et à comprendre
ces catégories sociales.
Ainsi
que
nous
l’avons
dit
plus
haut,
la
société
traditionnelle africaine présente deux grandes structures qui
forment l’ossature de son organisation. Nous avons d’un côté
les
structures
politiques,
et
de
l’autre,
les
structures
sociales qui relèvent également de l’anthropologie, ce qui
nous
ramène
au
détenteur
du
pouvoir
dans
la
société
traditionnelle.
Dans
l’univers
traditionnel
d’Afrique
centrale,
la
détention et l’exercice du pouvoir, se manifestent à travers
certaines
figures,
certaines
formes
caractéristiques.
D’aspects variés, elles vont du chef de famille au roi, en
passant par les chefs de clans et les chefs de villages. La
composition de chaque entité sociale détermine en fait le
profil de l’individu qui incarne le pouvoir politique et la
nature des rapports qu’il entretient avec ses congénères ou
avec ses administrés. Ce sont globalement des rapports de
type horizontal, où le droit d’aînesse tient lieu de mode de
désignation à la charge de responsable de communauté. C’est
ce type de rapport que nous retrouvons dans les textes de
OYONO
MBIA,
où,
l’administration
67
quoique
soumis
républicaine
du
- PRZYBOS Julia : Op. Cit. p. 10..
113
à
l’autorité
Cameroun
centrale
indépendant
de
des
années 1960, les habitants de Mvoutessi (petite bourgade où
se déroule par exemple l’histoire de Trois prétendants…un
mari), sont sous l’égide de Tita Abessolo, l’Ancien de la
communauté, et accessoirement de Mbarga, chef administratif
du village, qui est lui-même, soumis à l’autorité des aînés.
Les
choses
paraissent
plus
clairement
données
chez
NYONDA car, Deux albinos à la M’Passa, Bonjour Bessieux, La
mort de Guykafi ou encore Le combat de Mbombi, donnent à lire
des systèmes fondés sur le principe du droit d’aînesse, à
l’intérieur des clans ou des tribus. Mais d’un autre côté,
NYONDA nous présente à travers le Roi Mouanga, le type de
rapport
dit
vertical,
système
monarchique.
car
Mais
il
ce
s’agit
texte
pour
ce
traduit
texte,
d’un
surtout
le
caractère d’exception du phénomène monarchique dans le cadre
de l’Histoire des systèmes politiques de la zone gabonaise.
Ici,
la
notion
de
souveraineté
monarchique
apparaît
comme un phénomène quelque peu marginal, n’ayant pas toujours
la même envergure, aussi bien territoriale que politique,
selon qu’on change de milieu. Et parfois l’histoire coloniale
moderne
a
présenté
comme
rois
ceux
qui,
dans
les
faits,
n’étaient que des chefs de clans ou de familles (environ 4).
Il en va ainsi des nombreux rois qui se sont partagés le
littoral de la future cité de Libreville sur le territoire du
Gabon,
jusqu’à
la
cession
de
celui-ci
à
la
France
aux
alentours des années 1880. En fait de royaumes, nous avons
plutôt des sortes de groupes de quelques bourgades familiales
gravitant autour d’un chef dont le mode de désignation était
souvent la cooptation.
Il faut dire que les négociants européens avaient tout
intérêt à s’accorder avec des interlocuteurs acquis à leur
cause. Pour ce faire, il était souvent utile et important de
les doter de titres qui devaient flatter les autochtones et
garantir le monopole absolu des européens sur les produits
recherchés. Nous sommes en présence de manœuvres démagogiques
114
plutôt que de réelles négociations commerciales entre deux
parties égales.
Quoi de plus cynique en effet, que de flatter l’orgueil
d’un individu en lui conférant des titres grandiloquents, ou
encore
de
lui
confier
une
charge
prestigieuse
dans
les
organes de gestion d’un pays dont en réalité il n’a aucun
pouvoir de décision. Une saison au Congo68 de Aimé CESAIRE
présente parfaitement cet esprit qui a nourri la mentalité
conquérante et spoliatrice européenne en Afrique jusqu’à la
fin de la période coloniale, et même au-delà. Si l’on parle
désormais de coopération entre Etats souverains, les élites
politiques et culturelles africaines y voient plutôt du néocolonialisme exercée par les anciennes métropoles européennes
dans
certaines
régions
du
monde,
et
particulièrement
de
l’Afrique.
Et
le
dictateurs
soutient
tacite,
africains
par
inconditionnel
les
accordé
anciennes
aux
puissances
colonisatrices n’est ni plus ni moins qu’une autre forme,
plus
vicieuse,
précurseurs
de
de
cette
cette
rouerie
dont
politique,
avaient
auteurs
du
usé
les
commerce
triangulaire. L’ambiguïté des relations entre ces deux pôles
dits de coopération a fourni aux écrivains africains, matière
à écriture. Le congolais Sony LABOU TANSI est pour, nous le
dramaturge africain qui a le mieux rendu compte de ce qui, du
« marché de dupes », est passé à l’état de « pourriture »
engendrée par des « bâtards », selon ses propres termes.
Sur une autre échelle, le littoral Ouest de l’Afrique
Equatoriale est en effet constitué, vers 1800, d’un chapelet
de
micros-Etats
parfois
réduites
documents
en
dont
à
les
la
annexe).
dimensions
taille
Ces
de
Etats
physiques
grosses
semblent
bourgades
miniatures
(voir
correspondent
généralement à des sites de traite, points de rencontre entre
68
- CESAIRE Aimé:
africaine, 1968.
Une
saison
au
115
Congo;
Paris,
Editions
Présence
les commerçants européens et leurs fournisseurs en esclaves
et produits tropicaux.
C’est donc vers 1880, ainsi qu’on peut le noter dans
l’ouvrage
de
Elikia
MBOKOLO,
« que
la
carte
politique
de
l’Afrique (…) se singularise par rapport à celle des époques
précédentes par le nombre plus élevé et par l’étendue plus
grande
des
formations
étatiques ».69
Au
plan
historique
toutefois, la densité de ces formations politiques, ainsi que
nous l’avons déjà souligné, présentait des caractéristiques
variables.
3.1.2– Les symboles du pouvoir traditionnel :
Dans les civilisations à tradition orale, l’exercice du
pouvoir,
qu’il
religieux,
soit
d’ordre
s’accompagne
politique,
d’un
certain
économique
nombre
de
ou
signes
visibles. Ils sont la traduction physique et matérielle non
seulement de la légitimité, mais aussi de l’exercice effectif
de
l’autorité.
traditionnel
Les
varient
éléments
d’un
attributifs
espace
à
l’autre,
du
pouvoir
mais
portent
partout la même charge symbolique. Au point de vue social, la
nature
des
éléments
caractéristiques
du
pouvoir
traduit
généralement les capacités physique, morale ou religieuse de
l’individu.
éléments
Partie
peuvent
intégrante
parfois
être
de
la
objet
charge
de
exercée,
culte,
et
ces
être
vénérés au même titre que leurs détenteurs.
Le bâton de pasteur sur lequel on voit s’appuyer Chaka
à l’ouverture de la pièce, n’est pas sans rappeler le rôle de
guide du troupeau ; rôle qu’il veut incarner pour la nation
zoulou. Nous lisons dans Le Zulu : p. 15 ; en didascalie : «
Une colline sur le flan de laquelle Chaka se tient sur une
jambe
69
appuyé
à
un
bâton
de
- MBOKOLO Elikia; op. cit. p. 257.
116
pasteur. »
La
référence
au
troupeau
apparaît
« coral »,
et
en
effet
dans
à
la
page
l’allusion
18,
dans
clairement
le
terme
faite
par
Malounga : « Le pire troupeau est fait de têtes sans cornes,
s’il est fait de têtes d’hommes, renonce ou soit damné ! »70
Le bâton dit de commandement est fait de bois précieux.
Sculpté, il peut également être incrusté de matières nobles
comme
l’ivoire,
l’or,
l’argent,
ou
de
gemmes
de
grande
valeur. Celui qui est remis à Chaka par les sorciers Malounga
et Ndlébé en signe d’intronisation est frappé à l’image d’un
totem comme on peut le lire dans la didascalie de la page
33 : « … Ils se prosternent ; puis tous deux déroulent les
nattes,
en
sortant
cérémonieusement
un
bâton
de
chef
à
l’image de totem. » Le propos de Chaka contemplant le bâton
vient donner toute sa signification à ce objet « Il dépasse
en force celui de Ding’Iswayo, le chef de mon père… »71 La
possession de ce symbole vient comme par enchantement effacer
les
doutes
et
les
incertitudes
qui
semblaient
l’habiter
jusque-là. L’objet parait magique car aussitôt qu’il s’en
empare, il le contemple émerveillé, puis exulte car il est
désormais
convaincu
de
pouvoir
réaliser
ses
ambitions ;
unifier les différents royaumes zoulou, rassembler en un seul
tous
les
peuples
qui
vont
constituer
la
nation
zoulou :
« Ouvert ! Ouvert ! Un ciel uni ouvert à une terre unie,
ouverte à un peuple uni, ouvert au dessein du Zulu. Les
peuples
viennent
innombrables.
Je
les
entends.
D’autres
seront à vaincre ; un ciel ouvert à une terre unie. »
En
peuvent
plus
du
bâton,
matérialiser
le
sceptre
pouvoir
royal,
d’autres
politique ;
ce
objets
sont
par
exemple les couronnes de plumes, les couvre- chef en peaux de
félin, les colliers (tel que celui que Mouanga remet avec le
bâton de commandement à Mouga son vice-roi, au cours de son
70
71
- U TAM’SI Tchicaya ; Le Zulu, Editions Nubia, Paris, 1977, p. 15, 18.
- Op. Cit. p. 34.
117
intronisation)72,
pierres
et
de
faits
de
métaux
dents
précieux,
ou
d’os
le
de
fauves ;
chasse-mouches,
ou
de
le
petits balais en fibres de raphia, etc. Recevoir certains de
ces objets c’était être investi de la légitimité du pouvoir
politique et/ou religieux, selon celui qui le transmettait ;
et de l’autorité qui en découlait.
Dans une situation de crise (ou dans des cas plus rare
de pure convoitise), s’en emparer frauduleusement équivalait
à usurper du pouvoir, quelle qu’en fut la forme. Mais l’objet
le
plus
symbolique
du
pouvoir
reste
le
siège,
ou
trône
royal ; lors du banquet offert en son honneur, le Roi Mouanga
est invité à prendre place sur le siège royal que lui désigne
Moutombi, la courtisane73.
Dans un tout autre domaine, le port du bâton est le
signe
du
grand
âge,
et
ne
représente
alors
qu’un
point
d’appui pour son propriétaire, « une troisième jambe », ainsi
qu’il est communément désigné. Le bâton est aussi un symbole
de
virilité.
Souvent
sculpté
dans
des
bois
précieux,
il
figure l’identité de son propriétaire ; on peut y lire ses
insignes personnels ou ceux de son clan. Ce sont en général
la représentation d’animaux totem, ou d’autres signes plus ou
moins ésotériques.
Chasse-mouches
et
balais,
à
l’instar
du
bâton
à
palabres, remplissent toutefois d’autres rôles sociaux, en
plus d’être des insignes du pouvoir. Ils servent en effet
d’objets modérateurs pendant les conseils et autres assemblés
communautaires. Brandis, l’un ou l’autre signifient que l’on
requiert plus d’attention de la part du public. Celui qui
tient le bâton à un moment donné, c’est celui-là seul qui a
droit à la parole.
La
présence
folklorique
aux
constante
yeux
de
de
ces
l’étranger,
72
objets ;
d’apparence
constitue,
de
façon
- NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga, Libreville, MultipressGabon ; 1988, p. 29.
73
- Op. Cit. p.43.
118
indéniable dans la mise en scène des pièces africaines à
caractère
traditionnel,
une
information
culturelle
sur
la
symbolique des objets et de leurs usages. Ils signent en
effet
l’encrage
définitive,
se
sociologique
refuse
à
d’une
faire
dramaturgie
abstraction
qui,
d’une
en
vérité
fondamentale, celle qui situe encore la société africaine à
l’intersection de deux mondes. D’une région d’Afrique à une
autre, la fonction sociologique ou culturelle de certains
produits de l’artisanat a depuis longtemps été reconnue.
3.2 – Les structures sociales :
Ainsi que nous l’avons énoncé plus haut, les sociétés
traditionnelles africaines s’organisent nécessairement autour
d’un
réseau
assez
complexe,
édifié
sur
les
composantes
basiques des communautés. Les quatre éléments fondamentaux de
ces structures se ramènent essentiellement au sexe, à l’âge,
à la parenté, et à diverses formes d’alliances entre tribus,
clans et lignages.
Au
regard
de
l’organisation
sociale
des
communautés
traditionnelles africaines, il apparaît que pour la plupart
de
celles-ci,
les
structures
politiques
répondent
presque
toujours à leurs configurations sociales.
A travers Deux albinos à la M’passa, de Vincent de Paul
NYONDA, la fonction de chef de village ne paraît pas se
distinguer
de
manière
fondamentale
au
rôle
de
chef
de
famille. Les jeunes gens qui viennent de voir débarquer ‘’les
albinos’’ – en réalité des européens – s’adressent au chef en
terme de père :
JEUNES FILLES.- Hé ! Hé ! Hé !...
OKALA.- (S’arrêtant et grondant.) Pourquoi ces cris
alarmants défendus dans un village, surtout en pleine danse ?
119
DEUX JEUNES GENS.- (Tout essoufflés.) Père, il y a
quelque
chose
au
débarcadère !
Deux
albinos
viennent
d’accoster avec beaucoup, beaucoup de monde…74
Nous
sommes
ici
en
présence
d’une
communauté
où
la
fonction politique de chef de village se vit d’abord comme
celle
à
de responsable de famille. Le nominatif « père » donné
Okala
par
biologique ;
les
c’est
jeunes
filles,
simplement
n’a
que
les
aucune
codes
connotation
de
la
morale
traditionnelle exigent que, pour marquer le respect et la
déférence vis-à-vis des aînés, les jeunes désignent ainsi les
plus âgés.
De
même,
la
relation
établie
entre
les
trois
chefs
présents au village à l’arrivée des « albinos » ne reflète
nul
rapport
de
prééminence.
Ainsi
que
nous
l’avons
déjà
soulevé, le principal critère de référence dans le domaine de
la gestion politique des sociétés traditionnelles africaines
reste sans conteste le critère de l’âge. En effet, c’est en
général aux aînés qu’il incombe d’assumer la charge politique
de la communauté.
3.2.1 – Religions et cultures :
Dans
Centrale
un
grand
nombre
traditionnelle,
de
les
communautés
structures
de
l’Afrique
religieuses
et
culturelles reposent sur deux ordres essentiels ; le profane
et le sacré.
En règle générale, la pensé religieuse et culturelle
est profondément marquée dans cette région, par deux faits
fondamentaux : les croyances en des forces surnaturelles, et
la notion d’INTERDITS.
74
- NYONDA Vincent de Paul : Deux albinos à la M’passa ;
Guykafi, l’Harmattan, coll. Encres Noires ; p. 73.
120
in
La Mort de
Souvent
renvoie
à
déclinée
un
au
système
pluriel
complexe
la
notion
d’usages
d’interdits
et
attitudes ;
prohibés, tels que la consommation de certains aliments :
vipères et sangliers, ainsi que l’évoque à la page 15, la
vieille
Bella
de
Trois
prétendants…
un
mari75
ou
encore
l’interdiction faite aux guerriers de révéler à leurs épouses
les secrets de leurs forces mystiques tel qu’on l’apprend de
la bouche de Dika dans le Roi Mouanga page 10 : « Je sais,
grâce à sa concubine, la puissance de ses fétiches. Voyezvous, comme quoi il faut se garder de révéler à une femme ses
forces
mystiques.
Si
mon
père
avait
été
atteint
par
ses
adversaires, alors qu’il disposait d’un disque solaire comme
protecteur, c’est à cause de sa femme »76. C’est aussi au
contraire
des
attitudes
obligatoires,
imposées,
auxquelles
sont soumis les individus dans la vie de tous les jours :
« Silence ! L’homme qui se laisse couvrir par sa femme perd
la face. L’homme qui procrée regarde le sol de son lit et non
les poutres de sa toiture ! »77 Chaka fait clairement ici
référence à l’acte sexuel qui dans le monde
n’autorise
aucune
fantaisie
entre
les
traditionnel
partenaires.
Acte
essentiellement procréatif, il manifeste aussi la domination
masculine dans les rapports sociaux.
Il faut encore savoir que la culture traditionnelle
accorde une importance fondamentale à la procréation. Dans ce
milieu traditionnel, l’importance de la progéniture détermine
souvent
le
statut
social
d’un
individu
au
sein
de
sa
communauté.
Mais
plus
encore,
le
fait
pour
les
sociétés
traditionnelles de fixer un code de comportements sexuels
peut
apparaître
aujourd’hui
comme
75
une
manifestation
de
- OYONO MBIA Guillaume ; Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions
Clé, 1975, p. 15
76
- NYONDA Vincent de Paul ; Le Roi Mouanga, Libreville, MultipressGabon, 1988, p.10
77
- U TAM’SI Tchicaya ; Le Zulu, suivi de Vwène le fondateur : Paris,
Editions Nubia, Paris, 1977.
121
l’instinct de survie propre à tous les êtres humains. Mais il
doit aussi être compris ici comme le refus ou la proscription
du libertinage, ou d’autres attitudes libertaires, pour ces
populations longtemps confrontées aux conflits, aux famines
et à diverses tribulations. C’était donc surtout l’expression
d’une
volonté
de
privilégier
les
comportements
utiles,
productifs. Les interdits visaient donc aussi des objectifs
politiques
et
économiques.
L’individu
semblait
donc
plus
rentable, plus utile à sa communauté lorsqu’il observait les
règles
édictées
par
le
code
morale
et
religieux
de
son
groupe.
Dans ce même ordre d’idées, les adeptes d’une religion
ou d’un culte ; et globalement les membres d’une même tribu,
d’un
même
clan,
ou
d’un
même
lignage
sont
soumis
à
des
prescriptions dont les objectifs peuvent être mal appréciées
par les profanes. Il est alors nécessaire de se référer aux
mythes fondateurs des sociétés indiquées. Et dans le cadre
des Sociétés Premières (dans le sens où l’on parle des Arts
Premiers), fondatrices, où l’opposition Bien/Mal est conçue
non pas comme un antagonisme exclusivement extérieur à l’être
humain, mais bien comme un facteur fondamentalement endogène,
dans
l’existence
l’accomplissement
répondait
très
de
de
l’individu,
celui-ci,
souvent
à
une
et
participant
l’obéissance
aux
nécessité d’ordre
de
règles
éthique,
militaire et plus généralement économique. Car l’homme est
par essence, le lieu d’affrontement des forces antinomiques
et
contradictoires,
ou
au
contraire
compatibles,
indissociables à sa nature. Les anciens considéraient par
exemple
qu’avoir
des
rapports
sexuels
pendant
la
journée
rendait les femmes stériles, qu’une femme allaitante coupable
du péché de la chair condamnait à mort son enfant, ou que
consommer certains aliments pouvait causer la perte de toute
une communauté, etc.
122
Les religions traditionnelles ont principalement pour
objet de déterminer et d’enseigner à l’homme le rôle et la
valeur de chaque entité – animé ou non animé - à la fois
sujet et objet de la création. La connaissance et la maîtrise
des forces de la nature, l’usage, bon au mauvais que l’on en
fait,
ne
sont
en
définitive
que
l’aboutissement
de
cette
qui
dans
connaissance.
Les
certains
religions
cas
ont
traditionnelles
survécu
à
la
africaines,
colonisation,
montrent
à
travers leurs pratiques, et en dépit de l’absence de textes
écrits, une certaine séparation, et parfois une continuité
entre gestes profanes et gestes sacrés. Un même acte peut en
effet revêtir plusieurs significations selon les objectifs
poursuivis
accompli.
et
d’après
Sacrifier
un
le
contexte
poulet
aux
dans
mânes
lequel
des
il
est
ancêtres
est
totalement différent de tuer un poulet pour la consommation
quotidienne.
Dans tous les cas, la profération de textes sacrés lors
de
l’accomplissement
toujours
pour
le
l’obligation
de
obéissent
des
à
infraction
à
de
cérémonies
prêtre
se
officiant
soumettre
interdits
ces
règles
à
des
religieuses,
et
rituels
strictement
est
pour
censée
présente
les
qui
adeptes,
eux-mêmes
réglementés.
entraîner
Toute
pour
le
contrevenant, et pour sa communauté, misères et malédictions
en
tous
genres.
C’est
que
la
profanation
d’un
tabou,
la
transgression d’un interdit, portent toujours à conséquence,
d’où la nécessité de s’y conformer sans restriction. Ainsi
chez les Fang, la consommation de certains gibiers identifiés
comme
animaux
considérée
totémiques
comme
tabou.
était
formellement
Outrepasser
cet
prohibée
interdit
et
c’était
risquer d’être frappé de maux divers : folie, infécondité des
humains
ainsi
que
des
bêtes,
improductivité
des
champs
cultivés et des sites où se pratique la chasse ; et les
rivières elles-mêmes paraissent désertées par les multiples
123
espèces qui y vivent habituellement. Au final, on note une
véritable déchéance du groupe, une dégénération du lignage ou
de toute la communauté. Vérifiée ou pas, la transgression des
interdits
signifiait
toujours
le
malheur,
alors
que
leur
observation était au contraire le garant non seulement de la
prospérité de la communauté, mais aussi l’assurance d’une
nature
toujours
généreuse
dont
pourraient
jouir
les
communautés, ainsi que les générations futures.
Ces
naïves
croyances
et
qui
reléguées
ont
au
longtemps
rang
de
été
perçues
comme
superstitions,
voire
d’infantilismes et de barbarismes vont être systématiquement
interdites,
au
profit
d’une
religion
révélée
à
un
peuple
inconnu des africains. Le christianisme va ainsi apparaître
et connaître une
diffusion basée souvent sur la répression
et la peur ; par des peuples dits civilisés, et dont en
réalité la sacro-sainte quête du profit justifiait en grande
partie la nécessité d’assujettir les africains en les privant
de cet aspect fondamental de leur existence culturel que sont
les croyances dans les forces et les mystères de la nature.
Ces religions d’abord jugées primitives, apparaissent à tous
aujourd’hui
monde ;
une
comme
une
véritable
philosophie
de
l’Etre
véritable
politique
de
du
patrimoine
gestion
au
écologique mondiale. C’était sans doute la voie royale vers
une
exploitation
plus
mesurée ;
plus
rationnelle
des
ressources, en vue de la conservation et de la préservation
d’une planète désormais en danger de surexploitation, et, à
long
terme,
vouée
à
l’extinction.
C’est
d’ailleurs
cette
vision des us et coutumes, des tabous et des interdits ;
cette
sacralisation
de
la
nature,
qui
amène
aujourd’hui
certains militants écologistes à appeler à un retour vers une
attitude
plus
respectueuse,
plus
humble
vis-à-vis
de
la
nature, donc à une exploitation qui tienne compte du lien
ineffable qui relie l’homme à son environnement.
124
A
l’opposé
du
Dieu
miséricordieux
des
religions
monothéistes, les dieux animistes sont des divinités dont il
faut craindre la colère et les représailles. Aucun être sensé
ne peut en l’occurrence prendre le
risque de provoquer la
colère des Etres dont la puissance reste au-delà de ce que
l’homme peut imaginer.
Loin de nous toute idée de polémique au sujet de la
véridiction ou non, du caractère opérant ou de l’efficacité
de
telle
incantation
ou
de
tel
rituel ;
qu’il
nous
soit
simplement permis d’indiquer ici les fondements, la place et
l’importance
des
croyances
dans
la
pensé
religieuse
africaine. Car si la nature est considérée dans toutes les
formes de croyances traditionnelles comme la mère des hommes,
leurs relations avec celle-ci sont empreintes à la fois de
crainte et de respect, voir de soumission, d’où parfois cette
sorte de fatalisme caractéristique des peuples animistes. La
prière du « nganga » (guérisseur, tradi-praticien, différent
du
sorcier
dont
la
nature
des
activités
se
situe
essentiellement au niveau mystique ; son rôle est plutôt à
connotation négative) est une marque à la fois de dévotion et
de respect à l’endroit de l’arbre dont il va prélever des
écorces pour la fabrication des remèdes. Ici, aucun geste,
aucune parole n’est fortuite ; pas plus la quantité d’écorces
ou
de
plantes
« opère »,
rituel
ne
récoltées
sont
souvent
le
ni
fait
complexe
le
du
ou
moment
hasard.
d’une
où
le
guérisseur
L’observation
liturgie
d’un
rigoureuse
constitue le gage pour obtenir les faveurs aussi bien de la
nature que des mânes des ancêtres, avec lesquelles il est en
communion.
Analysant les effets de l’exercice du rite J. CAZENEUVE
constate
qu’ « on
ne
voit
pas
que
son
accomplissement
produise des effets utiles (…) son efficacité est, au moins
en
partie,
d’ordre
extra-empirique. »
125
LEENARDT
vient
lui
aussi conforter ce point de vue car il observe également dans
le rite, « l’instrument d’accès au monde extra-empirique. »78
Donnant
VINSONNEAU
une
le
vision
présente
générale
comme
une
du
rite,
notion
Geneviève
issue
du
Latin
‘’Ritus’’ ; il « concerne à la fois les us et les coutumes et
les pratiques religieuses au sein d’un groupe social donné.
Qu’il s’applique au monde profane ou au monde sacré, le rite,
action individuelle ou collective, garantie par l’itération
la survivance à travers les âges d’un passé de quelque nature
qu’il fût. En répétant invariablement les règles qui le soustendent, le rite consacre l’immortalité du fait social ou
mythique
qui
l’a
indéfiniment,
fait
semblable
naître :
à
il
le
lui-même,
réactualise,
indifférent
aux
coordonnées spatio-temporelles et aux avatars de l’existence
d’ici-bas.
Il
s’érige
d’identification
donc
orientée
en
vers
un
des
puissant
sphères
pôle
« extra-
empiriques ». »79
Dans
d’être
tous
en
les
phase
constituer
le
pérennité
de
cas,
avec
moteur
le
la
nécessité
monde
essentiel
l’activité
et
de
avec
du
communiquer
le
sacré
développement
rituelle,
lien
et
et
semble
de
essentiel
la
et
incontournable entre le monde de la vie courante et le monde
mythique
des
ancêtres,
et
de
toutes
les
divinités
qui
peuplent l’univers cosmogonique africain. Il faut cependant
relever
le
caractère
aléatoire
de
l’association
souvent
établie entre rite et mythe.
Le rite est indiscutablement la mise en acte répétitive
du mythe, qui en justifie et garantit la validité sociale ;
et à l’instar de LEVI- STRAUSS, on peut s’interroger sur les
motivations
qui
sous-tendent
le
déploiement
d’activités
rituelles hors de tout contexte religieux. A ce niveau il est
possible de situer ces pratiques donnant des apparences de
78
- Jean CAZENEUVE et LEENARDT, cités par VINSONNEAU Geneviève dans
L’Identité culturelle, Paris, Armand Colin, collection U., 2002, p. 148.
79
- VINSONNEAU Geneviève : L’Identité culturelle, Op. Cit. p. 148.
126
rituels, dans l’ordre des usages et des habitudes acquises
par les peuples à travers la production de certains faits et
gestes, et dont l’accomplissement cérémoniel fini par prendre
les
formes
d’un
usage
sacré,
dépouillé
toutefois
caractéristiques qui font d’un acte rituel
des
donné, un acte
religieux. Il en va sans doute ainsi de la plupart des usages
coutumiers qui sont devenus, à travers les âges, des gestes
dont on n’a plus vraiment conscience, et qui revêtent un
caractère presque mécanique dans leur reproduction.
Souvent
profanes
confondus
obéissent
aux
parfois
rituels
à
des
religieux,
expressions
les
rites
proches
des
liturgies sacrées ; seules les raisons et les conditions de
leur réalisation confirment leur caractère extra religieux.
Dans
tous
les
cas,
les
sociétés
traditionnelles
africaines distinguent formellement les pratiques religieuses
des rituels profanes. Les deux ordres coexistent sans jamais
se confondre. Ainsi par exemple, les rituels qui entourent la
première
sortie
populations
de
Bantou,
jumeaux
nouveaux-nés,
obéissent
à
des
dans
gestes
certaines
cérémonielles
certes, mais le rattachement à une quelconque religiosité n’y
est pas toujours avéré ; il en va de même pour certaines
activités
des
confirme
guérisseurs
Geneviève
particularités
du
traditionnels.
C’est
VINSONNEAU
lorsqu’elle
chamanisme
qui,
à
ce
que
détermine
les
plusieurs
égards
s’apparentent aux méthodes et techniques de certains tradipraticiens
africains : « Le
chamanisme
n’est
pas,
à
proprement parlé, une religion. Ce terme désigne un ensemble
de méthodes, extatiques et thérapeutiques, qui vise d’abord à
établir
le
contact
avec
l’univers
des
esprits,
univers
parallèle et invisible ; ensuite à s’assurer l’appui de ces
esprits dans la gestion des affaires humaines. Bien qu’il se
manifeste
pratiquement
dans
les
religions
de
tous
les
continents et à tous les niveaux culturels, le chamanisme est
omniprésent en Asie Centrale et septentrionale. Parmi les
127
peuples
de
chasseurs
septentrionale,
le
et
chaman
de
a
pêcheurs
une
de
fonction
la
qui
Sibérie
peut
être
clanique, locale ou dépourvue de support social. Dans le sud
agricole, l’institution du chamanisme est plus complexe et le
statut
du
chaman
varie
selon
ses
pouvoirs
personnels.
Le
chaman sibérien, même doté de sa fonction par l’effet d’un
héritage
paternel,
doit
subir
une
initiation
individuelle
dont les éléments sont en partie traditionnels et en partie
surnaturels. Visité par les esprits, le chaman est d’abord en
proie à la maladie psychique, qui ne disparaît que lorsque,
traversant le territoire désertique de la mort et en revenant
à la vie, il apprend à manipuler ses visiteurs pour effectuer
des
voyages
extatiques
dont
le
but
sera
le
plus
souvent
curatif. Au cours des séances, le chaman se sert de divers
objets symbolisant ses facultés particulières et qui l’aident
à se mettre en route vers le pays des esprits (le tambour,
fabriqué du bois d’un arbre symbolisant l’arbre cosmique, la
coiffe, le costume qui à la fois associe son possesseur aux
esprits et rappelle le squelette, symbole de la mort et de la
résurrection
initiatique…).
Durant
la
séance,
le
chaman
appelle les esprits auxiliaires ; une fois en état de transe
(qui
n’est
pas
nécessairement
associé
à
la
consommation
d’hallucinogènes ou de produits toxiques), il voyage au pays
des esprits. »80
D’après
clairement
les
que
observations
les
activités
de
VINSONNEAU,
religieuses
se
il
apparaît
distinguent
nettement des actes rituels , que le rite n’est pas toujours
le fait du sacré ; du religieux, même si dans les liturgies
religieuses
le
rituel
en
préside
la
pratique
et
la
réalisation. Allant d’un ordre à l’autre ; du religieux au
profane, l’homme de la société traditionnelle propose une
vision symbiotique de l’univers , où l’invisible se combine
au visible ; un monde au sein duquel il mesure parfaitement
80
- Op. Cit. p.141
128
la place de chaque être – animé ou non - et l’importance du
rôle dévolu à chacun. En tant que seule créature douée de
raison, il se sait le gardien des équilibres cosmiques - et
dans ce cas il est l’égal des esprits supérieurs - de même
qu’il
sait
ne
représenter
qu’un
« souffle »
infiniment
fragile devant la puissance et la grandeur, la supériorité de
la nature. L’inexplicabilité de certains phénomènes naturels
(irruptions
volcaniques,
éclipses
solaires
ou
lunaires ;
phénomènes météorologiques, etc.) ne font que conforter ce
sentiment de fragilité de l’homme, mais dont la force réside
dans la capacité à s’adapter à son milieu, à soumettre la
nature, de laquelle il tire ce dont il a besoin pour vivre,
et finalement à pouvoir choisir entre le bien et le mal.
Cette philosophie est dans tous les sens, celle qui gouverne
la
pensé
de
l’homme
de
la
société
traditionnelle.
Pour
appeler vers lui les faveurs de cette nature, l’homme de la
société traditionnelle crée des cultes à travers lesquels il
entre en contact avec les forces qui animent toute créature,
et qui peuvent profiter à l’homme, dans sa quête du bienêtre.
C’est de briser l’équilibre construit autour du respect
et de la crainte inspirée par tout ce qui sort du domaine de
son entendement, et sur les bases d’une foi en l’Homme, en
l’humanité ; en son semblable, que l’individu se condamne et
met
en
péril
sa
communauté.
Guykafi
mourra
parce
qu’il
commet, aussi bien aux yeux de ses congénères que devant les
Mânes
de
ses
ancêtres,
le
péché
le
plus
vil,
le
péché
d’orgueil. Il en est de même pour N’guéba, son beau-frère,
qui trouvera la mort au cours de la bataille qui va les
opposer. Le fait d’ignorer les supplications de sa mère fait
du jeune homme un fils irrévérencieux ; or la désobéissance,
comme l’absence de respect envers les aînés constituent des
délits vis-à-vis des lois de la société traditionnelle. Ils
sont, l’un comme l’autre, victimes du désire de vengeance, et
129
leur mort n’est que la conséquence d’une action dont les
motivations
restent
fondamentalement
égotistes,
et
l’objectivité ne peut se justifier ni pour leur bien-être
individuel,
ni
pour
appartiennent.
Le
celui
péché
des
communautés
d’orgueil
auxquelles
comme
celui
de
ils
la
transgression des interdits sont généralement punis de mort
dans
les
textes
traditionnels.
Lorsque
cette
sanction
apparaît dans la littérature moderne d’Afrique, elle n’est
jamais totalement donnée au premier degré, car la littérature
africaine poursuit toujours un double objectif ; informer et
former.
Du point de vue de l’analyse du discours, Dominique
MAINGUENEAU donne une définition du rituel à travers ce qu’il
appelle « les
rites
génétiques » :
« Cette
notion
dit-il,
relève essentiellement de trois domaines : (1) L’éthologie
animale, où les rituels obéissent à une codification rigide
et
immuable.
Mauss…),
(2)
qui
L’ethno-anthropologie
s’intéresse
surtout
(E.
aux
Durkheim,
grands
M.
rituels
collectifs, aux « cérémonies », elles aussi très précisément
codées, et possédant un caractère religieux ou sacré (plus ou
moins « dégradé » : aux côtés des rituels au sens strict, M.
Mauss
admet
ceux
superstitions,
qui
voire
relèvent
du
de
la
folklore).
magie
(3)
ou
des
L‘analyse
des
interactions quotidiennes, où l’on a plutôt affaire à des
« petits rituels » se déroulant entre individus ou groupes
restreints,
C.
Javeau
(1992,
1996)
parlant
même
de
microrituels, à propos des échanges sur la pluie et le beau
temps,
ou
de
type
d’interaction »
(…)
« ça
va ?
recouvrent
–
ça
va ! ».
en
grande
Ces
partie
« rites
ce
qu’on
appelle politesse (manières de table, façons se tenir ou de
se
vêtir,
mais
aussi
manifestations
discursives :
salutations, remerciements, excuses…). Dans une perspective
proche,
F.
Formulae »)
Coulmas
les
(1981)
expressions
appelle
routines
« Routine
« préfabriquées »
apparaissant
130
dans
des
situations
speech »),
montrant
fonctionnement
nombre
« standardisées »
de
de
leur
importance
l’interaction,
critères
permettant
et
(« prepatterned
pour
proposant
le
un
bon
certain
l’identification
de
ces
séquences. »81
Dans
les
sociétés
africaines
contemporaines,
ce
qui
apparaît chez MAINGUENEAU comme des catégories de rituels est
pleinement
marqué,
communautés,
un
et
présente
caractère
parfois
répétitif,
dans
dénué
de
certaines
sens
pour
l’étranger, mais dont la valeur se situe dans la conscience
sociologique des peuples où se pratiquent ces rituels. C’est
ce que l’on peut observer dans le rituel des salutations des
peuples
islamisés
ces « salamalecs »
de
l’Afrique
demeurent
pour
les
de
« non
l’ouest ;
initiés »,
un
véritable mystère, une absurdité, mais surtout une perte de
temps ; alors que pour les intéressés ils ont une réelle
valeur
sociologique,
dans
le
rapport
à
autrui ;
c’est
la
preuve que l’on donne toute son attention à celui à qui l’on
s’adresse. C’est le signe qu’en d’autres termes, l’autre est
avant tout une partie de soi-même, et que par conséquent on
se doit de s’en préoccuper, de s’en occuper. C’est à travers
l’autre
que,
dans
un
contexte
sociologique
ritualisé,
l’individu prend conscience de sa propre existence.
Dans un autre domaine, pour ce qui est des rituels à
caractère
religieux
essentiellement
ou
d’ordre
ésotérique,
spirituel
leur
et
validité
psychologique.
reste
Les
rituels ne semblent alors que des sortes de supports à une
diversité d’activités. L’impossibilité d’apporter une preuve
rationnelle confirmant la véridiction ou non
certaines
activités
« chamaniques »
suscite
des pouvoirs de
toujours
des
débats. En effet, l’émergence d’une catégorie d’individus ;
des usurpateurs, dont le véritable objectif est de profiter
81
- SS. CHARAUDEAU Patrick - MAINGUENEAU Dominique :
d’analyse du discours. Paris, Seuil, 2002. p.509.
131
Dictionnaire
de la détresse, et souvent de la naïveté de leurs congénères
pour s’enrichir, peut expliquer la défiance observée par de
nombreux individus à l’égard de certains usages religieux et
culturels. C’est une pratique qui peut aller au-delà du seul
goût
du
lucre,
car
il
est
régulièrement
à
l’origine
de
véritables drames familiaux ou communautaires. La parole du
« nganga » étant « parole d’Evangile » donc irréfutable ; il est celui qui « peut voir
ce qui se cache derrière les
choses » - il est donc en mesure de décider du sort de tous,
sans être lui-même inquiété.
En tant que courroie de transmission entre le monde des
esprits et celui des vivants, le nganga conduit au châtiment
ou au bannissement tout individu donné par lui comme coupable
de maléfices, ou de tout autre acte de « sorcellerie » au
sein de la communauté. Le sorcier étant, dans l’essentiel des
cultures bantou, une personne maléfique et malfaisante, ses
pouvoirs
ne
peuvent
avoir
qu’un
effet
funestes
et
destructeurs autant pour son entourage immédiat ; sa famille
ou sa communauté, que pour ses ennemis.
La
littérature
africaine
dans
son
ensemble,
et
singulièrement le théâtre, a largement exploité le personnage
du « nganga » et de son pendant ; le sorcier (l’un pouvant
parfois se confondre avec l’autre). D’un côté, la littérature
africaine qui puise souvent aux sources de l’oralité, veut
mettre en relief l’importance et la nécessité de comprendre
le rôle de ces institutions dans les cultures à traditions
orales, et de l’autre, pour appeler à une inévitable prise de
conscience d’un phénomène dont la vocation de servir le bien
des populations a été travestie et détournée au profit des
intérêts égoïstes et individuels de ceux qui, généralement,
détiennent le pouvoir politique et en usent sans partage, au
mépris de toute considération humaniste ou démocratique. Ils
imposent leur loi et leur présence par la terreur qu’ils
inspirent
à
leurs
concitoyens,
132
crédules ;
naïfs
et
superstitieux eux-mêmes ; dès lors, peu à même d’éventer la
rouerie de ces individus au statut plus que controversé.
Dans Trois prétendants…un mari
82
de Guillaume OYONO-
MBIA, la forfaiture du guérisseur appelé au secours par les
villageois est mise à nue par la perspicacité des jeunes, par
leur
refus
étriqués
de
et
s’enfermer
rétrogrades,
ou
dans
de
des
se
idées
qu’ils
laisser
abuser
jugent
par
un
individu dont ils ont compris que seule la cupidité, ajoutée
à la naïveté de leurs parents,
justifient les pratiques
douteuses. Confondu grâce à l’union formée par les jeunes
villageois, le faux mage est expulsé du village, car toute la
communauté a fini par comprendre la forfaiture de l’escroc.
La pièce se déroule sous des accents comiques, car pour
le dramaturge africain, l’humour est le meilleur moyen de
montrer
les
travers
d’une
société,
d’en
fustiger
les
caractères jugés déviants et nuisibles. L’homme de théâtre
africain pense que son art peut aider à changer la société ;
à
remettre
en
question
certains
usages
qui
peuvent
habituellement passer pour convenables, mais qui représentent
en réalité un danger pour l’épanouissement des citoyens et
partant, de la société entière. L’art dramatique est vu comme
une catharsis ; et c’est en amusant le public que le théâtre
atteint le mieux les consciences.
Mais
la
consultation
des
devins
dans
le
théâtre
d’Afrique Centrale n’apparaît pas toujours sous le signe du
burlesque ainsi qu’on peut le voir chez OYONO-MBIA. C’est
parfois le présage d’une véritable tragédie, à l’instar de ce
que l’on peut lire dans Le Zulu83 de Tchicaya U TAM’SI, où
Ndlebé et Malounga, amis et conseillers de Chaka, en même
temps que sorciers au service du grand guerrier zulu, vont
user de la connaissance qu’ils ont de la psychologie profonde
82
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions
Clé, 1975.
83
- U TAM’SI Tchicaya : Le Zulu, suivi de Vwène le Fondateur, Paris, Ed.
Nubia, 1977.
133
de Chaka ; de son amour du pouvoir, mais surtout de son
attachement
aux
forces
occultes ;
aux
visions,
aux
divinations et aux oracles, pour le précipiter vers sa chute.
Il
y
a
autour
de
Chaka,
conspirations qui
un
réseau
de
connivences
et
de
conditionnent ses comportements, et qui
sans y paraître, orientent ses décisions et
ses actions.
L’objectif des conspirateurs étant de s’emparer du pouvoir à
la place de Chaka.
Habité
par
une
soif
pathologique
de
pouvoir
et
de
puissance, il est en proie à une sorte de délire prophétique,
où la vision d’une silhouette totémique vient annoncer les
événements à venir, et le dessein tragique du chef-guerrier.
L’ambition
et
le
besoin
d’unifier
la
nation
zulu
sont
cependant plus forts que tout. Chaka n’est plus capable de
discernement ;
c’est
en
vain
que
sa
mère
et
sa
fiancée
tentent de le prévenir des dangers qui le guettent, et de la
possibilité d’un complot ourdi contre sa personne, par ses
plus
proches
femmes
que
collaborateurs.
deux
pauvres
Mais
folles
d’entraver
le
glorieux
destin
s’arrêtera
pas
à
futiles
pensée
converge
leurs
vers
un
Chaka
dont
qu’il
ne
les
unique
et
dans
objectifs
s’est
commérages,
objectif
voit
fixé.
ces
sont
Il
ne
toute
sa
obsédant ;
la
car
conquête de nouveaux territoires et la guerre qu’il s’apprête
à livrer aux populations encore insoumises à son autorité.
Par-dessus
tout,
Chaka
est
comme
possédé
future « campagne dans le Sud », où la vision
par
cette
d’un homme
blanc venu de la mer le remplit de tourments. La rencontre
avec le totem vient ajouter à son déchirement. Ne reculant
point devant la funeste apparition, Chaka comprend que le
tribut à payer pour son ambition c’est de verser son propre
sang. Il s’engage entre les deux personnages un dialogue aux
accents tragiques :
«Voici, je suis le serviteur ! » dit la Voix, à qui
Chaka répond ;
134
« Quel est ton salaire ? »
La Voix : « Il est inscrit sur ce bouclier, avec la
pointe de la sagaie. »
Chaka : « Ce sang est le mien ? »
La
Voix : « Celui
de
ton
ambition.
Celui
de
ton
dessein. L’unité du ciel comme l’unité de la terre… Le seuil
84
de Nobamba est ouvert. Mais… »
La rencontre de Chaka et du totem est vécue par le
guerrier mythique comme un signe annonçant la fin de l’ordre
ancien, mais surtout comme le signe de la fatalité. Il ne
peut échapper à son destin de conquérant et d’unificateur,
dû-t-il perdre la vie. Les mises en garde de sa mère et de sa
femme ; les tentatives des uns et des autres de le ramener à
la raison, restent toutes vaines. Ces différentes manœuvres
ne peuvent que conforter une opinion troublée, déjà faussée
par des jugements de valeur peu favorables à l’image que cet
homme
égocentrique
renforcer
ses
et
projets.
fier,
se
fait
Son
rêve
se
de
la
femme ;
transformera
en
à
un
véritable cauchemar autant pour lui-même que pour son peuple,
ce qui se traduira par l’anéantissement de son empire.
Inflexible
l’extérieur
dans
l’image
ses
décisions,
typique
du
Chaka
tyran
projette
à
égocentrique,
superstitieux, manipulateur, et manipulé à son tour par son
entourage immédiat, composé comme toujours par les parents,
ou les amis de longue date. Il est le stéréotype de ces
hommes politiques dont la faiblesse réside justement dans ce
refus de la réalité (bien souvent à contre-courant de leur
vision personnelle), dans cette sorte de folie de démesure
caractéristique
de
certains
grands
esprits
tourmentés.
A
travers leurs attitudes radicales, la frontière entre le rêve
et la réalité est aisément franchie, ils se donnent pour
unique norme, accéder à ce que leur seule volonté aspire à
84
- U TAM’SI Tchicaya : Le Zulu, Paris, Editions Nubia, 1977, P.28.
135
atteindre.
Aucun
obstacle
ne
peut
dès
lors
empêcher
que
s’accomplisse le destin qu’il semble s’être fixé.
Souvent comparé au roi Macbeth de SHAKESPEAR, Chaka
s’enfonce
comme
lui
dans
l’isolement
et
l’insensibilité.
L’obsession chez le Zulu, son refus du respect des alliances
et surtout son recours systématique au crime sont des signes
d’un véritable déséquilibre mental et psychologique, tout ce
qui fait de l’individu un être funeste dont la dimension
tragique semble préfigurer la tragédie de l’Afrique actuelle.
Aucune vie, hormis la sienne, n’a pour ainsi dire de valeur
dès lors qu’elle est susceptible de l’empêcher de réaliser
ses projets.
Le sentiment qui vient à celui qui aborde le personnage
de Chaka est un sentiment d’effroi et de révolte face à cet
être à la fois noble et pathétique, sublime et grotesque,
dans
ses
desseins
fédérateurs ;
dans
son
besoin
définitivement destructeur de rester le maître incontesté et
indétournable de la nation Zulu.
Le recours à la divination, ou à la sorcellerie ; la
croyance dans la prémonition et dans toutes les pratiques
ésotériques montrent combien l’exercice du pouvoir en milieu
traditionnel
peut
connaissance
et
parfois
la
prêter
maîtrise
des
à
confusion.
forces
Mais
la
religieuses
et
spirituelles constituent très souvent une excellente base, un
solide
fondement
l’individu.
Une
dans
la
constitution
mauvaise
gestion
et
la
des
formation
de
connaissances
spirituelles, un usage contre nature de celles-ci conduisent
généralement à la déchéance ; à une mort de l’être qui n’est
pas toujours que symbolique.
136
3.2.2- Les Rapports Hommes/Femmes :
La fréquentation de la littérature africaine montre un
véritable
engouement
pour
des
thèmes
tournant
autour
des
relations qui régissent les univers masculin et féminin. Pour
comprendre cette récurrence thématique, il est nécessaire de
savoir ce qui se passe dans les faits ; dans la vie réelle
des
africains.
Car
c’est
en
partant
de
l’existence
au
quotidien que les écrivains africains fondent leurs projets
d’écriture ;
leur
réflexion.
Ce
projet
est
généralement
l’expression de leurs aspirations ; leur besoin d’une société
idéale à travers le rappel des grands événements du passé, ou
tout simplement à travers la critique de la société dans
laquelle évolue le dramaturge. Ce rêve passe inéluctablement
par la critique des institutions politiques et économiques,
et la remise en cause des us et coutumes de leurs propres
civilisations.
D’une
manière
générale,
l’observation
de
la
société
traditionnelle africaine donne à voir une sorte de bipolarité
fondamentale dans son organisation. Ceci est particulièrement
perceptible à partir de sa structure de base, la cellule
familiale.
En
effet,
masculins
d’un
côté,
toujours,
constitué
une
et
le
nette
distinction
féminins
fondement
de
des
l’autre,
social
et
a,
univers
depuis
culturel
des
peuples africains. La manifestation de cette bipolarité est
visible dans la structure même des villages : dans chaque
famille, il y a une case réservée aux hommes, et une autre,
qui sert aux travaux domestiques, appartient aux femmes ;
elle est généralement construite à l’arrière de la case des
hommes.
Cette
séparation
par
le
sexe
dans
l’organisation
matérielle et structurelle de la société traditionnelle a
pris, dans certains milieux ; au sein de certains groupes de
populations, des formes autrement plus marquées, apparaissant
137
aujourd’hui comme des sociétés sexistes ; phallocratiques, où
la domination des hommes sur les femmes apparaît comme une
situation
de
non
droit
pour
les
femmes.
Il
faut
ici
questionner les sources culturelles qui peuvent avoir généré
ce qui paraît aujourd’hui comme un déni de la personnalité
morale de la femme.
Ainsi donc, lorsque l’on aborde la question du rapport
ou de la relation interactionnelle entre l’homme et la femme
dans la société africaine ; de la perception et du vécu même
de ce rapport, il est nécessaire de reconnaître au préalable
qu’il existe en Afrique une sorte de cadre originel où la
spéciation de l’individu tant au plan social, que du point de
vue psychologique et spirituel, rend compte de la relation
d’interdépendance qui seule justifie l’existence de l’homme
comme de la femme.
De
ce
fait,
l’organisation
sociale
née
de
ces
deux
grands ensembles montre que les échanges entre ces deux blocs
sont régis par un réseau de codes et de lois que les uns et
les autres apprennent très tôt à identifier et à en retenir
les préceptes.
Concrètement
établis,
les
échanges
hommes/femmes
donnent à voir en Afrique aujourd’hui une image qui pour
d’aucuns
apparaît
comme
un
avatar
de
la
société
traditionnelle. C’est une société aux contours quelque peu
indéfinissables tant les chevauchements avec des aspects de
la culture occidentale sont nombreux rendant malaisée toute
entreprise qui cherche à établir la frontière entre ce qui
est typiquement Africain et ce qui ne l’est pas.
C’est dans ce cadre que le théâtre africain se déploie,
en essayant bien souvent de faire le lien entre la société
traditionnelle
avant
les
contacts
avec
l’occident,
et
la
société traditionnelle post-coloniale. Dans cette dernière,
il apparaît en effet que si l’on veut bien accepter les
mutations dues aux contacts des civilisations, il faut en
138
revanche que seule une partie de la société, en l’occurrence
les hommes, en soit les principaux bénéficiaires. Les femmes
devront pour leur part se soumettre à la volonté de l’homme.
C’est
à
la
vue
de
tout
cela
s’interroger
sur
la
situation
qu’il
de
la
devient
femme
légitime
africaine
de
dans
l’univers traditionnelle ; sa véritable place au sein de sa
communauté.
Puis
projeter
l’extérieur,
à
de
là,
voir
par
l’image
rapport
que
aussi
celle-ci
à
peut
l’image
de
l’homme.
C’est ainsi que dans sa trilogie sur le mariage85, OYONO
MBIA évoque trois situations qui soulèvent avec acuité la
question complexe du rapport de l’homme à la femme ; dans
leur être au sein d’une société marquée par les lois et les
codes coutumiers. Répondre à
cette question c’est d’abord
comprendre l’homme non pas seulement dans sa manifestation
biologique,
mais
c’est
surtout
de
le
connaître
dans
sa
dimension sociologique, économique, politique et religieuse.
Ainsi, l’homme va se distinguer de la femme à travers ce
qu’il convient de désigner comme ses univers de compétence et
ses attributions.
A
–
L’homme ;
ses
attributions
et
ses
domaines
de
compétence :
L’homme (le « vir » latin), que dépeint OYONO MBIA,
s’énonce
globalement
sur
deux
plans.
A
cheval
sur
deux
sociétés et donc deux époques, l’homme dans le théâtre de ce
dramaturge, se situe à la lisière entre le vieux monde et le
monde nouveau. Ces deux univers sont eux-mêmes incarnés par
« les anciens » d’un côté, et par « les jeunes » de l’autre.
85
- OYONO MBIA Guillaume ; Trois prétendants… un mari, Yaoundé, Editions
Clé, 1975.
Jusqu’à nouvel avis, Yaoundé, Editions Clé, 1975.
Notre fille ne se mariera pas, Yaoundé, Editions Clé, 1978. N’ayant pas
pu en disposer, nous avons dû renoncer à inclure dans notre corpus ces
deux derniers textes de OYONO MBIA.
139
Le vieux monde, la société traditionnelle confère au
mâle des domaines de compétence dont l’autorité familiale
constitue la pierre d’angle. C’est en effet le mâle, chef du
groupe familial, qui décide de la vie et de l’avenir même des
siens. Si le chef de famille est celui sur qui repose le
destin,
au
politique
entière
même
du
titre
lignage,
attend
une
que
il
la
est
certaine
conjoncture
aussi
tenue
celui
économique
dont
vis-à-vis
du
la
et
tribu
sexe
dit
faible (son ou ses épouses, ses filles, et toutes la parenté
féminine qui gravite autour de sa personne). Car dans la
société
traditionnelle,
il
est
de
mise
d’affirmer
non
seulement une autorité absolue sur les membres féminins de sa
Maison, mais aussi d’en prendre le plus grand soin. C’est une
attitude qui désigne le bon chef de famille à compter parmi
les voix autorisées de la tribu. En effet, seul celui qui a
prouvé
sa
maisonnée,
valeur
peut
par
une
prétendre
gestion
donner
irréprochable
un
avis
de
lorsqu’il
sa
est
question de la vie du groupe communautaire. C’est à ce niveau
que les attributions d’un chef de famille peuvent rejoindre,
sinon se confondre avec celle d’un chef de communauté. Garant
de l’harmonie entre les différentes couches de son groupe, il
est désigné pour y faire régner l’ordre et la justice. C’est
ce que l’on peut lire à la page 111 de l’œuvre de MENDO ZE,
Le
Retraité86,
trancher
le
lorsque
différend
le
chef
qui
de
oppose
village
deux
est
frères,
appelé
Ezamot
à
et
Ngassa, qui n’arrivent pas à cohabiter en paix. Suite à sa
mise à la retraite, Ezamot l’aîné des deux frères, est obligé
de partager, avec femme et enfants, la maison de son cadet,
qui
lui
aussi
est
père
d’une
nombreuse
progéniture.
Les
conflits surgissent, et il faut faire appel à la médiation du
conseil des notables du village amené par le chef. Celui-ci
86
- MENDO ZE Gervais :
Editions ABC, 1988.
Le
Retraité,
140
in
Japhet
et
Jinette ;
Paris,
devra user de diplomatie et d’autorité pour amener chacun
devant ses responsabilités :
- Le chef : calmez-vous. Ça ne sert à rien de vous dire
des méchancetés. Après tout, vous restez une famille, oui
Ngassa, tu as accueilli ton frère pour lui prouver que la
famille reste au-dessus de tout. Alors, ne revient pas sur
tes nobles pensées. Toi Ezamot, comprends que ton frère a
fait preuve d’un grand cœur. Comprends aussi qu’il ne peut
pas t’héberger tout le reste de ta vie. Essaie de suivre ton
dossier de pension. Cela te permettra d’avoir un peu d’argent
et de te construire une maison.87
Ainsi donc, à l’homme échoit la charge de consolider et
de
pacifier
le
groupe
à
travers
les
meilleurs
alliances
familiales et intercommunautaires (à forte charge stratégique
et politique). Dans le cercle familial, le statut de chef
autorise celui-ci à user de façon presque arbitraire de son
pouvoir décisionnel.
En
somme,
le
rôle
de
chef
se
présente
comme
étant
l’apanage des hommes, ce qui induit une vision sexuée, par
conséquent sexiste de la fonction de chef. Si globalement le
sexisme apparaît comme le fait d’une méprisable domination de
l’homme
sur
la
femme,
il
est
en
Afrique
Centrale
et
singulièrement au sein des communautés Bantou, d’une nature
et
d’une
sexisme
envergure
est
en
moins
effet
ici,
radicale ;
beaucoup
moins
plus
virulente.
Le
circonstancié ;
parfois moins manifeste, moins brutal.
Pour mieux appréhender la notion de sexisme en Afrique,
il est juste de s’arrêter un moment sur ce phénomène qui bien
souvent suscite des réactions où la confusion le dispute à
l’amalgame sur la situation de la femme africaine, et où les
lieux communs tiennent quelques fois lieu de vérité absolue.
87
- MENDO ZE Gervais : Le retraité in Jinette et Japhet ; Paris, Editions
ABC, 1988, p.111.
141
En effet, si le sexisme est essentiellement le fait des
hommes, ce sont cependant les femmes qui en sont les objets.
Ce
phénomène
se
manifeste
par
exemple
dans
la
prise
de
décisions concernant la vie sociale des femmes. C’est ce qui
apparaît notamment à la page 15 de Trois prétendants… un
mari, où OYONO MBIA montre comment la décision de marier la
jeune
Juliette
est
prise
de
manière
unilatérale
par
les
hommes de la famille, sur le seul critère de la richesse
matérielle
des
différents
prétendants.
Le
vieil
Abessolo,
grand-père de Juliette se fait tout naturellement le portevoix
de
cette
vision
traditionaliste
de
l’institution
du
mariage, et surtout du statut de la femme, et de ses droits
vis-à-vis de son ascendance ou de sa communauté:
- Abessolo : Toujours un « mais » ! Tu ne peux donc pas
comprendre que je te donne toujours de bons conseils ? Si je
n’avais été là, l’autre jour, tu aurais refusé de prendre les
cent mille francs que nous avait versé Ndi, le jeune homme
qui veut épouser ma petite-fille Juliette. D’après toi, il
fallait
attendre
pour
consulter
Juliette
elle-même
avant
d’accepter la dot.
(Scandalisé, au public.) Consulter une femme à propos
de son mariage !88
Ici (page 23), même les autres femmes de la famille, à
l’exception de Juliette, ne voient dans cette façon d’agir,
rien
d’inconvenant, qui
plus
est,
le
jeune
cultivateur
s’était auparavant montré fort habile et vigoureux pour les
travaux champêtres ; ce qui pour les femmes, constitue un
critère d’élection pour faire un bon époux:
- Makrita : … (A Juliette :) Ton père te donne un mari
très travailleur Juliette ! Ah, si tu avais pu le voir le
jour où Oyônô et lui me défrichaient mon champ d’arachides de
cette année !
88
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions
Clé, 1975, p.15.
142
- Bella : Un garçon très travailleur !89
Mais comme nous l’avions déjà observé à la page 15,
l’argument financier semble plus que tout, motiver le choix
des parents de Juliette ; ce que sa cousine exprime très
clairement par :
- Matalina : Surtout que ce jeune homme avait versé
cent mille francs en une fois comme vrai prétendant !90
Pendant
que
les
hommes
du
clan
« négocient »
les
avantages inhérents à la nouvelle alliance entre, non pas
Juliette et son supposé fiancé, mais entre ce dernier et la
famille (paternelle) de la jeune fille, personne n’évoque la
question des sentiments (accessoire), ni ne songe à prendre
l’avis de la « future mariée » :
Abessolo : (Se levant, à Juliette) Te consulter ?
Pour
tout
le
monde,
les
hommes
en
particulier,
l’attrait de l’argent et de quelques autres biens matériels
comme les boissons fortes ou autres, semble surpasser tout
sentiment
affectif.
Le
plus
important
pour
cette
famille
c’est avant tout une question de rentabilité. On a vite fait
de revenir sur le choix porté initialement sur Ndi, le jeune
cultivateur ; c’est désormais sur un fonctionnaire (donc d’un
niveau social plus élevé)
que se portent les attentions des
hommes de la famille :
- Abessolo : (impatienté)
Oui, mais nous ne voulons plus de lui ! Il
faut que Juliette épouse le fonctionnaire!
- (…)
- Ondua : (rayonnant)
Oui,
un
grand
fonctionnaire
qui
boissons fortes de Sangmélima !
- Atangana : Et beaucoup d’argent.
89
90
- Id. p. 23.
- Ibid.
143
nous
apporte
des
(Menaçant, à Juliette) Et que je ne t’entende plus
dire que tu veux le voir avant de consentir à l’épouser !91
A travers cet échange d’opinions, les rôles des hommes
et
des
femmes
apparaissent
comme
portés
par
une
essence
naturelle qui occulte le moindre sentiment individuel chez la
femme. Elle apparaît comme spectateur de sa propre vie, en
étant paradoxalement le point de mire de toute sa communauté.
A côté de ces aspects qui évoquent essentiellement les
rôles et les attributions de l’homme au sein de la famille
chez OYONO-MBIA, Le zulu de Tchicaya U TAMSI, ainsi que La
mort de Guykafi ou Le combat de Mbombi de Vincent de Paul
NYONDA
donnent
à
saisir
l’homme
dans
sa
dimension
plutôt
guerrière et conquérante.
Si la société traditionnelle fait de l’homme le garant
de l’équilibre et du bon fonctionnement de sa communauté, il
a
également
territoires ;
réputation
de
pour
de
mission
les
de
protéger.
puissant
conquérir
Et
guerrier
leur
doit
de
nouveaux
renommée ;
aller
leur
au-delà
des
limites de leurs territoires. C’est ce que nous pouvons lire
notamment chez NYONDA à propos de son personnage Guykafi dans
la pièce du même nom (page 16):
L’Ancien.- Béni sois-tu mon fils Guykafi ! J’ai su, les
nouvelles que m’apportaient tes compagnons, que tu allais
sans doute agir ainsi. L’avenir seul pourra nous dire si tu
as eu raison. Mais toi, as-tu bien réfléchi ?92
De même, à la page 38, Mombi, l’homme qui vient pousser
la
belle
Maroundou,
toute
jeune
épouse
de
Guykafi
à
l’adultère, évoque lui aussi la réputation du guerrier :
91
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions
Clé, 1975, p.23.
92
- NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ; Paris, L’Harmattan,
1981.
144
Mombi- Je sais qui est Guykafi. Sa vaillance et son
courage sont bien connus dans toutes les régions que j’ai
traversées (…)93
La dimension conquérante et guerrière de l’homme se
retrouve encore plus chez le Zulu. Et le besoin d’agrandir
son espace vital, la quête incessante de pouvoir sont chez
Chaka une véritable obsession :
- Chaka : (…) Des armes m’ont été données ! L’unité !
L’unité ! L’unité ! du ciel et de la terre !
C’est-à-dire un pays sans horizon. Un pays où l’horizon
recule toujours où que l’on aille. Mon ambition. Tous les
seuils ouverts, à commencer par celui de Nobamba. Ce rêve est
fou. M’y perdrai-je ? Mon corps tressaille, mes muscles se
nouent, ma bouche est suave… Je vois ce que je n’ai jamais pu
nommer. Quel vertige ? Je suis de ce vertige… Tous les seuils
que
tu
me
commanderas
de
franchir…
Je
peux
passer.
Le
maître !...94
L’obsession de Chaka trahit en réalité une ambition
démesurée ; une soif de pouvoir qui va déterminer la pensée
et les actions du chef des zulu, y compris vis-à-vis des
femmes,
pour
qui
il
ne
semble
témoigner
qu’une
relative
estime. Il apparaît en effet que pour ce prototype même du
mâle,
viril
et
dominateur,
l’affirmation
de
l’identité
masculine fasse partie d’un véritable code de conduite pour
tous les hommes de sa tribu. Cela se traduit dans ce propos
qu’il tient en guise de conseil à l’endroit de Epervier, un
de ses fidèles lieutenants, qui vient lui demander de bien
vouloir écouter Noliwé (épouse de Chaka). Mais Chaka qui ne
peut souffrir de passer pour un faible s’insurge en faisant
valoir son point de vue sur les places respectives des hommes
et des femmes, surtout lorsqu’il s’agit de questions aussi
sérieuses que la guerre, activité exclusivement masculine:
93
94
- Id.
- U TAM’SI Tchicaya : Le zulu ; Paris, éditions Nubia, 1977 ; p. 30.
145
-Chaka : Silence ! L’homme qui se laisse couvrir par
une femme perd la face. L’homme qui procrée regarde le sol de
son lit et non les poutres de sa toiture !95
Dans tous les cas, le rôle et la place de l’homme
apparaissent prépondérants au sein de la société. C’est une
situation
qui
marginale ;
met
qui
phallocratique.
beaucoup
globalement
laisse
C’est
la
voir
ici
d’observateurs,
une
une
ce
femme
en
position
société
vision
qui
sentiment
que
à
assez
tendance
justifie
les
pour
sociétés
africaines tiennent pour quantité négligeable, la personne
même
de
la
femme.
C’est
cette
vision
qui
nous
amène
à
examiner la question de la place de la femme et du rôle que
celle-ci est appelée à tenir à l’intérieur de sa communauté,
et de sa société de façon globale.
B – Place de la femme ; rôle économique et social :
Un regard panoramique sur l’organisation pratique des
sociétés africaines montre en effet, ainsi que nous l’avons
déjà
énoncé,
une
réelle
distinction
entre
les
univers
masculin et féminin. Cette distinction se justifie à travers
un fonctionnement séparé des groupes, même si, en définitive,
le bien-être de la communauté constitue l’unique objectif
recherché par les uns comme par les autres.
La femme africaine, aussi bien rurale que citadine, est
presque
toujours
donnée
excellence, c’est-à-dire
comme « la
celle
sur
bête
qui
de
somme »
repose
la
par
charge
familiale, la vie du groupe. Pour bien des raisons, la femme
reste celle qui ne représente tout au plus qu’un moyen de
production et de reproduction, une monnaie d’échange inter
clanique ; forme de garantie pour établir et renforcer les
alliances
entre
les
différentes
ethnies,
les
groupes
sociaux ou entre les communautés. La femme est aussi celle
95
- Id., p. 82.
146
qui va garantir à sa famille un certain nombre de privilèges
sociaux. C’est ce que l’on peut lire une fois de plus dans
Trois prétendants…un mari de OYONO MBIA ; page 15 :
-
Atangana :
(rayonnant,
un
peu
malgré
lui,
et
se
frappant fièrement la poitrine)
Euh… Il faut avouer que Juliette est une fille digne
d’un père comme moi. En l’envoyant au collège, j’avais bien
raison de dire à tout le monde : « Un beau jour, cela me
rapportera. »96
La même vision de la femme peut encore se noter à la
page 19 ; elle traduit une certaine interférence entre deux
modes de vie, deux sociétés ; la société traditionnelle d’un
côté, et la société moderne de l’autre.
D’un point de vue comme de l’autre, la femme semble
acquérir
plus
instruite,
de
comme
valeur
selon
l’affirme
qu’elle
encore
est
plus
Atangana,
ou
le
moins
père
de
Juliette :
-Atangana : (…) Evidemment, à cause de ton instruction
et de ta valeur, nous avons décidé de prendre les cent mille
francs qu’il (le jeune homme) a versé… »97
Cette
communautés
vision,
bien
sûr
traditionnelles
vérifiable
africaines,
dans
certaines
doit
être
reformulée ; nuancée.
Pour parler du sexisme et du statut de la femme dans la
société africaine, il convient en effet d’observer un certain
nombre de données fondamentales, susceptibles de mieux aider
à cerner et à comprendre les phénomènes de sexuation des
sociétés africaines.
Le premier fait observable autour de ce phénomène, dont
les origines se perdent dans les méandres des us et coutumes
endogènes aux communautés, est que le sexisme, dans certains
96
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions
Clé, 1975.
97
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants…un mari ; Yaoundé, Editions
Clé, 1975.
147
groupes sociaux, a fini par endosser les caractéristiques et
les spécificités d’une pratique, d’une vertu religieuse. En
effet, l’intensité du phénomène phallocratique est plus forte
selon
qu’il
constitue
le
est
observé
fondement
dans
les
essentiel
sociétés
de
la
où
l’Islam
culture
et
des
traditions. Dans ces communautés, on observe une véritable
césure entre les deux pôles de la société constitués par les
univers
féminin
et
souvent
réduite
à
vivre
aucun
droit,
pratiquement
masculin,
et
une
où
la
forme
sinon
le
femme
est
presque
d’exclusion,
n’ayant
devoir
d’être
mère
et
épouse.
A l’opposé de ces groupes souvent bien spécifiques, il
y a ces sociétés au sein desquels les récentes influences
chrétiennes,
ont
interféré
sur
des
croyances
animistes
séculaires. Ici, le rôle et la place de la femme n’ont que
peu variés ; ces sociétés entretiennent un rapport tout à
fait différent avec l’univers féminin ; avec le statut de la
femme. La place de la femme est, non pas celle d’un être
inférieure ou immature, mais celle d’un personnage adjuvant.
La femme dans les sociétés Bantou est « le bras droit de
l’homme » ; car dans la pensée traditionnelle, c’est de la
femme que vient la sagesse de l’homme. C’est donc un être de
première importance sociale, religieuse ou même politique.
Nous pouvons parler ici de complémentarité dans la relation
sociale qui s’établie entre l’univers de la femme et celui
des hommes.
Sans intension polémiste ni jugement de valeur au sujet
des pratiques sociales et religieuses des uns ou des autres,
nous voulons simplement relever ce qui apparaît comme une
réalité
observable
et
déterminante,
loin
de
tout
préjugé
discriminatoire.
Pour
établir
essayerons
développement
de
de
la
crédibilité
comprendre
ces
le
phénomènes
148
de
ce
constat,
fonctionnement
de
bipolarisation
nous
et
et
le
de
sexuation qui caractérisent aujourd’hui nombres de sociétés
africaines,
aussi
bien
traditionnelles
que
celles
dites
modernes.
D’une
certaine
manière
en
effet,
on
peut
parler
de
bipolarisation des sociétés traditionnelles africaines dans
la mesure où, l’homme et la femme évoluent dans deux univers
non pas opposés, mais complémentaires. On est en présence de
deux instances aux attributions et aux pouvoirs parallèles,
avec
pour
plusieurs
moments
de
la
vie
communautaire,
nécessité de mélange, et de fusion des deux
la
mondes ; féminin
et masculin, pour un parfait accomplissement de cette entité
supérieure qu’est la communauté. Cette complémentarité est
aisément observable au sein des communautés Bantou où l’homme
est le prolongement de la femme, et vice-versa. Les sociétés
Bantou n’envisagent l’Etre (dans le sens de l’Individu) comme
totalement
accompli
complémentarité
qu’il
qu’à
travers
entretient
la
avec
dynamique
l’autre ;
de
son
partenaire dans la vie domestique, dans la vie de famille.
C’est en effet au moment où l’un ou l’autre retrouve cette
partie de lui-même dont la pensée traditionnelle veut qu’il
ait été amputé en venant au monde, que l’individu se réalise.
En contractant une union matrimoniale, l’individu opère la
jonction impérative à son épanouissement ; à sa véritable
naissance.
Dans
la
conception
de
la
plupart
des
sociétés
initiatiques de l’Afrique traditionnelle, l’individu amorce
sa véritable naissance au moment du passage de l’adolescence
à l’âge adulte ; c’est généralement le moment où les jeunes
hommes et femmes sont amenés à intégrer les univers mysticoreligieux ; moment qui, pour les jeunes hommes s’achève par
le rite de la circoncision, et le mariage pour les jeunes
filles.
C’est
pluriel »,
à
selon
ce
une
moment
que
formule
« le
du
singulier
rituel
devient
féminin
Fang
‘’MEVUNG’’, que l’individu prend pleinement encrage dans le
149
monde et dans sa communauté. Ici, naître c’est non seulement
intégrer
la
charges,
obligations,
usages,
mais
moment
au
permettent
sexualité.
vie
communautaire à
cette
cours
au
et
nouvelle
duquel
jeune
Ce
droits
les
ses
devoirs
naissance
adulte
monde
travers
;
à
en
travers
constitue
changements
de
différentes
découvrir
effet,
aussi
ses
le
physiologiques
l’univers
lui
de
est
la
resté
inconnu et interdit, durant le temps de la croissance, de
l’enfance et de l’adolescence ; le temps de l’apprentissage.
C’est
dans
le
sens
de
cette
complémentarité
que
naturellement l’organisation matérielle de l’existence dans
la
communauté
est
rythmée
par
une
nette
répartition
des
tâches au quotidien. Aussi, dans un contexte rural où la vie
des populations tourne essentiellement autour du travail de
la terre, l’homme, contrairement à la femme, peut sembler
n’avoir que bien peu d’occupations. Et le travail de la terre
qui s’accomplit en plusieurs étapes, est toujours d’une durée
et d’une intensité inégale (les conditions climatiques ; la
pluviométrie et les périodes de sècheresse constituent un
facteur
déterminant
dans
le
cycle
des
semailles
et
des
récoltes). La préparation des terres à cultiver est dans un
premier
temps
l’affaire
des
hommes.
C’est
un
travail
essentiellement manuel, tout est fait à la seule force des
bras. Ici, aucune machine, aucune technologie moderne. Les
outils demeurent rudimentaires : machettes, haches et houes,
servent respectivement à défricher à débroussailler, abattre
les arbres (en zone forestière), à retourner la terre afin
qu’elle soit prête à recevoir les semis.
La part la plus importante et la plus périlleuse de ce
travail (l’abattage), échoit aux hommes. C’est à eux en effet
que revient la charge de préparer les champs ; et aux femmes
de semer, de désherber, d’entretenir les champs, de récolter,
et enfin d’assurer la bonne conservation des produits.
150
Lorsque commencent les semailles, les hommes n’ont pas
obligation
d’y
participer ;
ils
sont
toutefois
tenus
d’assurer la protection des cultures soit par la construction
de palissades, soit par la pose de pièges et de collets
autour des espaces cultivés.
La protection des cultures n’est évidemment pas une
entreprise
à
plein
temps,
et
les
hommes
peuvent
ainsi
s’adonner à d’autres activités telles que la chasse, la pêche
afin d’assurer les besoins alimentaires de la communauté.
L’Afrique centrale, et singulièrement la région du bassin du
Congo est, comme on le sait, essentiellement habitée par des
peuples
très
peu
portés
vers
des
activités
pastorales.
L’élevage, bien que pratiquée, ne concerne que les volailles,
ou
quelques
têtes
d’ovins
ou
de
caprins,
qui
ne
suffit
généralement pas à couvrir les besoins nutritionnelles des
familles.
Mais
la
période
des
cultures
est
surtout
pour
les
hommes, le moment idéal pour entreprendre les grands travaux
de réfection ou de construction des cases.
Depuis la fin du XIXème siècle, pour le cas de l’Afrique
Centrale,
l’introduction
des
cultures
industrielles
telles
que le café, le cacao, l’hévéa, le palmier à huile et le
coton (au Cameroun), a largement contribué à accentuer le
phénomène
de
la
répartition
des
tâches
au
sein
du
monde
agricole. Car pour assurer une production satisfaisante, ces
cultures
exigent
des
conditions
de
vie
et
de
croissance
particulièrement pointilleuses. C’est donc un travail de tous
les instants et de toutes les attentions. Les récoltes qui
sont
ici
prioritairement
le
fait
des
hommes,
mobilisent
toujours cependant l’ensemble des membres de la communauté
villageoise. La fin du cycle des récoltes donne alors souvent
l’impression
que
les
hommes
restent
oisifs ;
ce
qui
heureusement n’est qu’une impression, car comme nous l’avons
déjà dit, c’est dans ces moments-là que les hommes peuvent
151
s’occuper des habitations, des cacaoyères, des caféières, des
palmeraies et de bien d’autres choses.
Dans un tout autre contexte, l’apparente inactivité de
l’homme en Afrique, peut s’expliquer par le fait que dans un
passé encore récent, les hommes avaient principalement pour
obligation d’assurer et de veiller à la sécurité et au bienêtre de leurs communautés. Il était en effet nécessaire que
les
hommes
incursion
restassent
au
étrangère ;
village
à
afin
toute
de
parer
agression
à
venue
toute
de
l’extérieure, pendant que les femmes allaient dans les champs
ou en forêt ; où, là également sous la protection des hommes,
elles
peuvent
entretenir
les
champs,
et
récolter
de
quoi
nourrir les familles.
Les rapts de jeunes filles (en vue d’être mariées),
ainsi que les razzias sur le bétail et les produits vivriers
constituaient en effet, à une certaine époque, la hantise de
beaucoup de populations dans l’Afrique traditionnelle.
Pour
revenir
aux
différents
rôles
que
les
sociétés
traditionnelles assignaient à la femme, les textes de OYONO
MBIA et de NYONDA que nous avons sommairement visités jusquelà, donnent à saisir la position centrale de la femme dans
les milieux traditionnels. Objet de convoitise, source de
conflits interethniques et pourvoyeuse de richesses, la femme
est aussi la voie par laquelle l’homme (le mâle), accède à la
reconnaissance sociale ; à l’intégration à des cercles de
privilégiés, et finalement à son accomplissement. La société
traditionnelle voulait d’ailleurs que, lors de la prise d’une
décision importante, seuls les hommes mariés ou l’ayant été;
puissent jouir d’un droit délibératif.
Si les célibataires et les jeunes étaient placés sur le
même degré de l’échelon social, certaines femmes avaient par
contre acquis des droits inhérents aux seuls hommes. Elles
étaient souvent vieilles, veuves ou ménopausées ; elles ont
de ce fait été établies par la communauté au rang d’homme.
152
Rappelons-nous simplement le rôle de La Grande Royale, tante
du jeune Samba Diallo, héros du célèbre roman du sénégalais
Cheick
HAMIDOU
suscite
aussi
KANE ;
bien
Ambiguë98.
L’Aventure
l’admiration
que
le
Cette
respect
femme
de
ses
congénères. Elle jouit en outre d’une très haute estime de la
part de tous ; hommes, femmes et enfants, et ses paroles et
ses jugements portent une valeur quasi évangélique lors des
conseils des sages. A propos de cette figure féminine hors du
commun, voici ce que révèle le narrateur : « La grande royale
était la sœur aînée du chef des Dillobé. On racontait que,
plus que son frère, c’est elle que le pays craignait. Si elle
avait cessé ses infatigables randonnées à cheval, le souvenir
de
sa
grande
silhouette
n’en
continuait
pas
moins
de
maintenir dans l’obéissance des tribus du nord, réputées pour
leur morgue hautaine. Le chef des Diallobé était de nature
plutôt
paisible.
Là
où
il
préférait
en
appeler
à
la
compréhension, sa sœur tranchait par voie d’autorité. »99
Vu sous ces différents aspects, le rôle, mais surtout
la
place
de
la
femme
dans
la
société
traditionnelle
africaine, apparaît comme la place centrale ; l’axe majeur
autour
duquel
se
déploie
toute
la
vie
des
communautés.
L’homme existe, il s’épanouit et s’accomplit à travers la
femme. Dès lors, on ne saurait mésestimer le rôle fondateur
du sexe dit faible dans la continuité de la vie et du monde.
D’un
autre
point
de
vue,
la
société
traditionnelle
concède à la femme un pouvoir mystique qui veut que celle-ci
soit
à
l’origine
de
ce
que
l’on
pourrait
désigner
comme
l’univers occulte. Certaines communautés ethniques expliquent
en effet l’origine de la sorcellerie comme procédant de la
femme. C’est en effet elle qui, selon le mythe de l’origine
du monde et du mal dans la tradition du Bwiti fang, aurait
98
- KANE Cheikh Hamidou : L’Aventure Ambiguë ; Paris, Editions Julliard,
1961.
99
- KANE Cheick Hamidou : L’Aventure Ambiguë ; Paris, Editions Julliard,
1961, p.31.
153
introduit la connaissance et la mort chez les hommes : « Dieu
fait surgir à l’existence l’œuf primordial d’où sortent trois
êtres :
l’aîné,
la
cadette
et
le
benjamin.
En
fait,
l’enveloppe et le cordon ombilical donnent un quatrième être,
Evus. (…). L’aîné doit créer le monde et les hommes ; ceux-ci
seront
immortels
à
l’image
de
Dieu.
Mais
la
cadette
est
jalouse de l’aîné ; elle va trouver Evus qui séjourne dans la
brousse. Celui-ci lui enseigne à faire des hommes en lui
révélant sa sexualité. La cadette introduit Evus au village ;
celui-ci se repaît de viandes animales et plus tard humaines.
La cadette commet l’inceste avec son benjamin. Les hommes que
nous
connaissons
enseigne
aux
descendent
hommes
les
de
cette
techniques
union.
et
(…).
Evus
principalement
la
forge. »100.
Ange ou démon, la femme conserve pour les hommes une
part
de
mystère
qui
se
traduit
dans
les
sociétés
traditionnelles par une forme de crainte mêlée d’admiration.
Il est de l’avis de tous qu’il vaut mieux avoir les femmes
pour complices, plutôt que de s’opposer à elles. Dans un
sens, c’est la femme qui tient entre ses mains le souffle de
la vie, ne fut-ce que parce que c’est elle qui enfante et
donne aux hommes l’existence.
Pour notre part, nous pensons que l’opinion qui s’est
généralisé, et qui a donné de la femme africaine l’image de
la « bête de somme » par vocation est une vision courte et
fort peu objective.
Lorsque l’on veut rendre compte d’un fait de société,
il est toujours essentiel et nécessaire de plonger au plus
profond
de
cette
société
pour
en
saisir
les
fondements
culturels et structurels. Les jugements donnés à propos d’un
comportement culturel étranger comportent toujours une part
importante de subjectivité, intentionnelle ou pas. Mais pour
100
- BUREAU René : Anthropologie, religions africaines et christianisme ;
Paris, Edition Karthala, 2002. p. 48.
154
certaines opinions, elle constitue non moins qu’une volonté
de proposer sa propre culture comme la meilleure, la plus
grande ; et celle qui doit impérativement supplanter toutes
celles qui diffèrent d’elle.
Cette
attitude
a
largement
contribué
à
nourrir
les
opinions que nous connaissons aujourd’hui sur la question de
l’organisation du travail en Afrique. Nous allons essayer de
comprendre
ce
qui,
pour
beaucoup
d’observateurs,
apparaît
comme une aberration ; une véritable ignominie.
C – L’organisation du travail :
Ainsi que nous l’avons évoqué plus avant dans notre
réflexion,
observer
le
monde
du
travail
en
Afrique
aujourd’hui implique que l’on adopte un double point de vue.
La
première
fondements
second
historiques
point
pérennisation
toutes
position
les
de
d’un
permettra
d’une
réalité
vue
pourra
fait
qui,
sociétés,
à
sans
en
toutes
d’appréhender
encore
doute
actuelle.
Le
expliquer
définitive,
les
les
est
la
commun
civilisations,
et
à
qui
partout, porte même valeur et même signification, tant du
point de vue de la rentabilité économique, que du point de
vue de la socialisation ; de l’intégration de l’individu.
D’une manière générale, l’histoire connue de l’Afrique
montre que le développement de ses sociétés s’est effectué
comme partout ailleurs, au prix de luttes et de conflits
multiples.
En
effet,
anthropologiques,
toutes
les
sociologiques
études,
ou
qu’elles
autres,
fussent
montrent
que
l’homme a toujours cherché à s’adapter aux conditions de son
environnement.
réminiscence
L’Afrique
de
ce
que
est
peut-être
furent
aujourd’hui,
beaucoup
de
la
communautés
humaines dans un passé plus ou moins lointain.
Endogènes ou exogènes, les conditions et les modes de
vie
des
populations
ont
toujours
155
partie
liée
à
leur
environnement.
Ainsi
développées
autour
partie
la
par
les
d’un
femme.
populations
axe
Son
central
rôle,
africaines
constitué
ainsi
que
se
en
sa
sont
grande
place
à
l’intérieur de sa communauté, loin de l’exclure, en font,
paradoxalement à une certaine vision, le pivot du groupe.
L’homme pour sa part, joue un rôle non moins négligeable que
celui de la femme. Ici, la différence de sexe ou de classe
d’âge détermine toujours la place des individus, vus comme
membres à part entière de la communauté. La répartition des
charges
qui
répartition
correspond
du
travail
souvent
de
manière
assigne
à
chacun
grossière
une
à
charge
la
bien
spécifique.
Ainsi,
pour
le
cas
de
l’Afrique
Equatoriale,
objet
central de notre étude, les populations qui occupent cette
partie du continent doivent composer avec la présence de la
forêt dense primaire, milieu peu favorable à une agriculture
extensive. Celle-ci a en effet contribué au développement
d’un mode d’exploitation des espaces assez particulier : on y
pratique une agriculture saisonnière itinérante sur brûlis.
De ce point de vue, les terres cultivables demandent une
préparation
où
la
force
physique
constitue
un
élément
essentiel.
Par ailleurs, l’histoire même des populations montre
que la répartition du travail était peut-être un mal, vu
aujourd’hui, mais un mal nécessaire. C’était pour nombre de
populations, un moyen de survie. La répartition des tâches
entre
hommes
et
femmes,
entre
jeunes
et
moins
jeunes
permettait aussi dans une certaine mesure de préserver les
forces
vives
de
la
communauté,
afin
d’avoir
toujours
à
disposition un certain nombre d’individus capables de parer à
toute situation susceptible de mettre en péril la vie du
groupe.
Comme nous l’avons énoncé tantôt, la répartition du
travail en milieu rural en Afrique constitue une tradition
156
ancienne. La densité de la forêt oppose en effet une réelle
difficulté dans la conquête des espaces cultivables. Ici,
seul les hommes, du fait de leur force physique, sont à même
de s’attaquer à des arbres dont la taille impressionnante,
demande
parfois
le
travail
d’une
journée
entière
pour
un
homme seul. Et l’engagement de plusieurs hommes, parfois de
tous les hommes de la communauté est parfois nécessaire, pour
en abattre suffisamment, et libérer ce qu’il faut d’espace
pour,
quelquefois
permettre
juste
à
une
seule
femme
de
cultiver.
Le travail des champs étant l’affaire, non pas d’un
individu
mais
celle
de
toute
la
communauté
villageoise,
l’implication de tous les hommes valides à cette entreprise
qui
se
fait
l’importance
sur
de
un
la
temps
plus
communauté,
ou
peut
moins
long,
parfois
selon
courir
sur
plusieurs semaines.
Dans
une
Afrique
encore
en
proie
à
l’exploitation
instaurée par les puissances européennes, le contexte de la
mise en valeur des sites de culture est souvent tributaire du
contexte
social.
conditionnent
en
Guerres
effet
et
une
paix,
troubles
implication
plus
sociaux
ou
moins
importante des hommes, aux activités agricoles.
C’est que, après la liquidation de la traite négrière,
un
événement
fondamental
va
contribuer
à
accentuer
la
pratique de la répartition du travail ; car, la grande ruée
coloniale qui se déclanche à partir de 1880 témoigne d’un
fait nouveau : la baisse de production des îles conduit à la
réorientation
des
politiques
économiques.
En
effet,
l’arrivée, puis l’installation des politiques et des systèmes
coloniaux provoquent un bouleversement des régimes et des
modes
d’exploitation
s’installent
peu
à
agricole.
peu
en
Les
Afrique
y
occidentaux
qui
introduisent
une
agriculture d’un type nouveau, industrielle, mais dont les
157
moyens
restent
archaïques,
et
la
production
entièrement
destinée à l’exportation.
Les Africains, hommes et enfants sont embrigadés de
forces
dans
qu’autre
soit
ces
chose.
parce
exploitations
Les
que
qui
villages
les
tenaient
se
vidaient
hommes
valides
plus
du
bagne
progressivement,
étaient
tous
réquisitionnés, soit parce qu’ils avaient été obligés de fuir
le
travail
forcé
forestières,
dans
les
exploitations
l’ouverture
des
routes,
agricoles
le
portage,
et
etc.
L’absence des hommes au sein des familles demande une plus
grande implication des femmes dans les travaux domestiques et
agricoles.
Tous
ces
phénomènes
ont
pour
conséquence
d’accentuer le principe de la répartition du travail dans les
zones rurales. Mais ce principe va connaître un développement
nouveau
car
l’avidité
et
la
cupidité
des
marchands
de
produits exotiques qui exigent toujours plus, crée de facto
un
réel
déséquilibre
économiques
dans
la
communautaires,
gestion
compromettant
des
politiques
par
la
même
occasion l’harmonie des groupes.
Souvent, pour échapper au fouet, à la mort ou l’impôt
de capitation et à toutes les exactions qui avaient cours au
sein des entreprises coloniales, les hommes se cachent, à
défaut de se constituer ‘’volontaires’’ pour les plantations
et
toutes
les
autres
charges
imposées
par
les
colons, omettant ainsi d’accomplir leur part de travail au
sein de leurs familles.
On
peut
retenir
à
l’issu
de
cette
présentation
que
plusieurs facteurs ont contribué à créer, puis à pérenniser
le principe de la division du travail dans le mode de vie des
africains. Le
d’ordre
premier
pratique ;
de
aux
ces
facteurs
hommes
les
étant,
selon
nous,
grands
travaux
de
préparation et de déblaiement des espaces cultivables, la
protection
des
cultures
et
des
villages ;
aux
hommes
reviennent aussi les activités de chasse, de pêche et de
158
cueillette qui ont généralement lieu au moment où les femmes
s’occupent de semer et d’entretenir les champs.
Le second facteur, qui nous a paru important et qui est
extérieur
aux
l’introduction
populations
du
africaines,
paramètre
colonial
est
dans
sans
la
doute
vie
des
africains. Si d’une certaine manière, l’agriculture vivrière
de subsistance pratiquée au sein des groupes socio-ethniques
avait peu à peu fait place à une agriculture destinée à
l’exportation,
celle-ci
était
essentiellement
le
fait
des
hommes, dont la condition restait servile.
L’ensemble des témoignages que nous avons pu recueillir
auprès des anciens tend à confirmer ce que nous sentions
comme l’une des explications possibles d’une réalité qui fait
aujourd’hui de l’homme africain en général, un homme qui vit
aux dépends de la femme. C’est une vision que nous jugeons
pour notre part abjecte et pleine d’a priori. La situation de
l’Afrique,
depuis
la
pénétration
européenne
et
le
déclanchement de la traite négrière, équivaut pour nous, à
celle qu’a connue le ‘’vieux continent’’ depuis le Moyen-âge,
jusqu’aux époques troublées plus proches de nous. Les femmes
y ont souvent joué un rôle de premier plan pour compenser
l’absence ou les défaillances des hommes, partis ou morts à
la guerre, ou qui en sont revenus invalides. Les femmes se
sont souvent substituées dans ces cas aux hommes.
A côté des aspects économiques, la division du travail
avait aussi un caractère social. Dans la gestion interne des
familles, l’éducation des enfants incombait aussi à la femme,
du fait de la proximité quasi naturelle qui existe entre eux.
Seulement
à
l’adolescence,
la
formation
rituelle
et
initiatique se faisait de manière distincte et sexuée.
Vu aujourd’hui, le fait de la répartition du travail
prend un caractère différent, car au contact du modernisme,
avec l’avènement du travail rémunéré, les hommes abandonnent
de plus en plus la vie agraire au profit des emplois offerts
159
par
les
travail
industries
de
la
occidentales,
terre,
et
laissant
par
aux
femmes
conséquent,
le
l’entière
responsabilité des moyens de subsistance. Le phénomène s’est
accru avec l’exode rural ; les hommes et singulièrement les
jeunes, désertent les campagnes pour les villes, en quête
d’emplois.
3.2.3
–
Le
conflit
des
générations
ou
conflit
de
compétences ?
Depuis ses origines, la littérature africaine écrite a
souvent fait état du conflit des générations. Le théâtre,
qui, à l’instar de la prose africaine s’inspire des faits de
société, y voit semble-t-il, la manifestation d’un conflit
lié, semble-t-il, plus à la question des compétences acquises
par la pratique et l’expérience, que véritablement du fait de
la différence d’âge. L’âge n’apparaissant parfois que comme
un plus sur la balance des connaissances. C’est en effet le
nombre de connaissances rassemblées par un individu, jeune ou
plus âgé, qui fera de celui-ci quelqu’un à même de prendre
position dans un débat engagé autour de sa communauté. Car
entre
« pouvoir »
présenter
et
par-dessus
« devoir »,
tout
comme
les
une
choses
tendent
opposition
liée
à
se
à
la
capacité des uns et des autres à « pouvoir » faire quelque
chose, et non plus à « devoir » faire quelque chose.
Mais
générations,
il
on
est
y
clair
inclut
qu’en
aussi
parlant
bien
du
des
conflit
de
questions
de
compétence que celle de performance.
« Pouvoir » et « devoir » s’opposent ici en ce que le
premier introduit les notions de choix et de volonté ; en
somme
de
liberté,
alors
que
le
second
fait
appel
essentiellement au fait de répondre à une incitation ou à une
injonction extérieure, où l’homme est soumis à une force qui
exclut
tout
notion
d’individuation.
160
Porté
par
le
groupe,
l’individu
communauté.
est
déterminé
S’il
peut
par
ses
devoirs
physiquement
vis-à-vis
accomplir
une
de
sa
action,
c’est qu’il le doit pour sa communauté. Ici se rejoignent les
notions de compétence et de performance, qui soulignent la
nature des relations entre les individus d’un même groupe
social.
Ces conflits se vivent aussi bien au sein des cellules
familiales, qu’à l’intérieur de ce que l’on peut identifier
comme les cercles de décisions politiques.
Indépendamment
de
l’opposition
traditionnellement
établit entre les jeunes et les vieux, ou celle qui oppose
modernité et tradition ; les textes que nous avons choisis
d’analyser
présentent
aussi
différent.
Il
de
s’agit
une
cette
opposition
adversité
d’un
qui
met
type
en
confrontation des idéologies. Nous verrons souvent s’opérer à
l’intérieur
quelques
du
corpus,
sortes,
un
glissement
l’évolution
de
la
qui
manifeste
thématique
du
en
théâtre
d’Afrique Centrale. Partant de ce qui, à l’origine, pouvait
être perçu comme le conflit né de la peur de l’inconnu, la
thématique de la dramaturgie africaine s’est orientée vers ce
que nous pouvons désigner aujourd’hui comme un conflit lié à
la crise des compétences sociopolitiques.
Ainsi, le conflit des générations ne semble plus à lui
seul porter la responsabilité de la difficulté relationnelle
qui se manifeste de plus en plus aujourd’hui à l’intérieur
des groupes socio-ethniques. Manifestée par l’opposition des
idéaux traditionnels contre les valeurs nouvelles venues de
l’occident, le conflit des générations a souvent été porteur
d’un besoin pour les jeunes de s’émanciper de la tutelle
omnipotente des anciens, de se soustraire à un mode de penser
et de vie jugés rétrogrades et éculés. Mais cette volonté de
distanciation est surtout l’expression d’un besoin légitime
de
s’affirmer
comme
individu
au
milieu
d’un
monde
où
précisément le principe de l’individuation n’est possible que
161
dès lors qu’on la soumet à l’existence et aux besoins du
groupe.
C’est
en
substance
ce
qui
motive
la
révolte
de
Juliette, de son cousin et de son fiancé, qui, sans remettre
en cause leur appartenance à la communauté, cherchent à s’en
distinguer, à se singulariser.
162
CHAPITRE IV – LES CROYANCES ET LE POUVOIR SPIRITUEL
DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES.
Dans
les
traditionnelle,
groupes
les
socio-ethniques
croyances
et
le
de
l’Afrique
pouvoir
spirituel
constituent un ensemble de faits et attitudes homogènes, dans
la représentation mentale que les peuples forment autour de
l’existence humaine et de la vie.
Comme
dans
toutes
les
sociétés,
la
nécessité
et
l’exigence impérative de perpétuer la vie ; le besoin de la
préserver ainsi que la quête du bien-être, ont amené les
peuples
à
fixer
des
normes
et
règlements
à
tenir
et
à
observer au quotidien.
Le
caractère
inexplicable
de
certains
phénomènes
naturels, le fait même de l’existence ; le mystère de la vie,
a provoqué chez l’homme un besoin sinon de comprendre, du
moins de justifier les mécanismes physiques ou métaphysiques
qui
figurent
à
l’origine
de
la
dimension
matérielle
et
ontologique de l’Homme.
Dans
toutes
les
sociétés
premières
(ou
primitives),
l’inexplicable ou le mystérieux, et tout ce qui se situait
au-delà de l’entendement humain allait peu à peu revêtir un
caractère marginal, voire interdit, dont l’être humain doit
parfois en accepter la prédominance et la supériorité, pour
s’en accommoder et en faire en définitive objet de culte et
de vénération. Ainsi les religions traditionnelles affectentelles
un
caractère
sacré,
autant
aux
éléments
de
leur
environnement immédiat (montagnes, animaux, arbres, forêts,
rivières, etc.), qu’aux phénomènes naturels comme la foudre,
les tempêtes, le brouillard, les éruptions volcaniques, la
pluie
etc.
quelques
Les
sortes
croyances
le
cadre
traditionnelles
législatif
de
qui
ces
fixent
en
sociétés
attribuent généralement un statut divin et sacré à maints
163
phénomènes dont elles ne peuvent expliquer l’origine et les
fondements.
Comprendre et maîtriser – du moins en partie – certains
de
ces
phénomènes
globalement
physiques,
conféreraient
à
quelques individus aux qualités exceptionnelles, des pouvoirs
magico-mystiques, qui les distingueront de la masse de leurs
congénères. Parlant des pouvoirs magiques de son oncle, le
guerrier Mbombi, le traître Makendo affirme :
« … En effet sans mon concours, vous n’aurez jamais
l’oncle Mbombi ; il a le pouvoir de devenir instantanément
vieillard,
enfant,
femme,
animal,
végétal,
voire
même
poisson. »101.
Ce propos ne fait que confirmer ce que nous apprenions
plus tôt dans le texte, à travers le portrait que le garde
Tsoni dresse du guerrier :
« A
madicama.
côté
Mbombi
Comme
lui
yana
fait
la
fort
beaucoup ;
guerre
avec
ba
lui
plein
sotres
(les
autres), samais voir la vilace pour lui – comme vous tirez le
dusil sur leur, vous tendi n’y a qu’à haut le coq santer
cocorico ô ô ô… et samais voir dishommes. »102
L’usage de la magie et des sortilèges dénote de la
place
du
surnaturel,
peuples ;
certains
paranormaux
et
dont
et
de
individus
ils
sont
l’importance
accordent
supposés
mystiques. La croyance en ces phénomènes
à
des
comportements
très
divers,
101
à
que
ces
tirer
certains
phénomènes
des
pouvoirs
donne parfois lieu
mais
souvent
peu
- NYONDA Vincent de Paul : Le combat de Mbombi ; Paris, Editions
François Réder, 1979, p.26.
102
- Id. p. 19. Ce parler petit-nègre était généralement la manière de
s’exprimer des miliciens, des gardes et de beaucoup de commis de
l’administration coloniale. Mais certaines expressions particulières
renvoient aux origines ethniques du dramaturge. On peut ainsi traduire le
propos du garde : « Pour la guerre Mbombi est très fort, il possède
beaucoup de sortilèges (des gri-gri). Quand il fait la guerre aux autres,
jamais on ne voit son village – quand vous tirez sur lui, vous n’entendez
que les chants du coq dans les arbres cocorico ô ô ô… vous ne voyez
jamais les hommes », (sous-entendu que vous combattez).
164
rationnels ;
c’est
ce
(Mbombi
et
que
l’on
peut
lire
dans
cette
didascalie :
« Ils
tirailleurs
arrivant
ses
sur
le
guerriers)
lieu,
le
se
dissimulent
Lieutenant
en
Les
tête,
déposent leurs armes sur les guerriers transformés en arbres
par la puissance magique de Mbombi »103.
Si l’objet premier dans l’attachement à une croyance,
ou
à
l’exercice
rechercher
garantir
le
d’un
mieux
l’intégrité
quelconque
vivre
de
et
l’être
de
pouvoir
magique
préserver
humain,
la
la
est
de
vie ;
de
maîtrise
de
la
connaissance et des forces naturelles et surnaturelles n’est
pas restée sans danger. Plusieurs situations donnent en effet
à penser qu’il y a souvent eu dérive dans la pratique de
certains rituels, ce qui signifie qu’il y a véritablement
détournement
croyances ;
des
des
fondements
forces
et
premiers
du
pouvoir
des
rites
spirituel
et
qui
des
en
découlent.
Pour l’homme qui a été forgé au moule des us et des
coutumes de la tradition africaine, il n’est pas concevable
de séparer les croyances de leurs manifestations religieuses,
et de la force spirituelle qui résulte de ces pratiques dites
magiques.
Si le fait de croire en des forces et des entités
magiques ou mystiques sont propres à tous les membres d’une
communauté, la pratique ainsi que l’invocation de ces forces
surnaturelles
restent
cependant
l’apanage
de
quelques
individus, à qui le statut d’ « initié » confère une place et
un rôle prépondérant au sein du groupe.
Ainsi, à différents niveau et à des degrés divers, les
« Ngangas » et les « sorciers » ; les mânes des ancêtres ou
les esprits (bons ou mauvais) qui constellent la production
littéraire d’Afrique Centrale constituent en même temps le
103
- NYONDA Vincent de Paul : Le combat de Mbombi ; Paris Editions
François Reder, 1988, p.19.
165
symbole d’un certain attachement aux croyances et aux univers
traditionnels, mais aussi la manifestation d’une inquiétude
certaine ;
d’un
questionnement
vis-à-vis
de
la
portée
sociologique et métaphysique, et de l’impact que produisent
ces
croyances
dans
la
vie
des
hommes
et
dans
celle
des
communautés. La question prend une toute autre importance si
l’on tient compte des nombreuses perversions que l’on observe
aujourd’hui autour des univers traditionnels du sacré, et de
la spiritualité de façon générale. Nous évoquons plus tard la
problématique des cultes dévoyés.
4.1 – Les détenteurs du pouvoir :
Dans le cadre de l’exercice du pouvoir spirituel, les
sociétés
traditionnelles
ont
pris
pour
mode
de
fonctionnement, la catégorisation des domaines de compétence
et de pouvoir. Ainsi, dans l’ordre protocolaire qui régit les
rapports entre ces différents niveaux de compétence on a :
- Première catégorie, les mânes des ancêtres et les
esprits bienveillants, protecteurs du groupe, du clan ou de
la famille. Ils président à la destiné des vivants et sont
invoqués ou consultés dans les moments importants la vie des
communautés,
ou
pour
expliquer
l’origine
de
certains
événements observés au sein des groupes. C’est ce que l’on
peu notamment lire chez NYONDA, dans Le ROI Mouanga, où la
récurrence du terme « mânes » dénote de l’importance de ce
concept dans la société mise en scène : « …. Je pense que
c’est à dessein que les mânes l’ont rendu maintenant plus
étrange pour qu’enfin, je profite de la situation pour le
remplacer. »104 Ou encore : « … il me semble que les mânes
104
- NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, 1988, p. 5.
166
nous
ont
conféré
un
commun ».105
destin
De
même,
pour
se
convaincre de la nécessité de déposer le vieux roi, mais
aussi de la pertinence du régicide, le conjuré déclare : « Si
telle
est
la
volonté
des
Mânes
nous
réussirons
sans
obstacle. »106 La réplique de son complice vient toutefois
montrer que l’invocation des mânes ne concerne pas que des
causes justes et salutaires ; celui-ci doute en effet que les
mânes répondent favorablement à leur désir de destituer le
roi : « Tu parles de Mânes, mais MOUANGA ne se confie-t-il
pas aussi à eux ? Et qui sais, peut-être que ceux auxquels
nous nous adressons sont moins attentifs à nos prières que
les siens. »107
Plus loin, dans le même texte on peut lire :
-
MOUANGA – MOMA, consulte les esprits…
-
MOMA – Majesté, que les Mânes gardent à jamais les
chemins
de
KOMBI !
En
effet,
tes
cousin
et
gendre,
s’apprêtent à t’enlever la vie juste au moment du repas. Mes
esprits sont catégoriques. A toi d’agir vite !108
-
Deuxième catégorie, les devins et les sorciers qui
assurent la communication et les échanges entre le monde des
vivants et le monde des esprits. Les personnages de Moma,
Momo (qui n’apparaît qu’à la scène II de l’acte IV) et de
Soula Le Vieux dans Le Roi Mouanga de NYONDA, appartiennent à
la catégorie des devins et des sorciers. Dans Emergence d’une
nouvelle société du même auteur, le personnage de La Voyante
est
clairement
désigné
par
son
rôle
et
ses
attributions
culturels et sociaux. Elle se situe en effet à l’intersection
de deux mondes, jouant le rôle de courroie de transmission
entre
les
vivants
et
les
morts.
C’est
aussi
dans
cette
catégorie que se situe La Sorcière Dingana dans Le Zulu de
Tchicaya U TAM’SI.
105
- Id.
- Ibid., p. 7.
107
- NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, 1988, p. 8.
108
- Id. p.15.
106
167
-
Troisième niveau de compétence ; les chefs de clans
et les chefs de familles, dont le pouvoir politique repose
souvent
sur
le
pouvoir
spirituel.
C’est
le
cas
du
Roi
Mouanga, de Mbombi, de Guykafi, ou des nombreux rois (Louis
DOWE,
QWABEN,
Denis
(RAPONTCHOMBO)
et
tous
les
chefs
de
clans, de villages et de familles que l’on rencontre dans la
plupart des pièces de NYONDA.
-
Quatrième catégorie dans l’ordre protocolaire ; les
guerriers. Ils constituent la puissance militaire et la force
physique
des
communautés.
Force
de
dissuasion
et
de
persuasion, les guerriers sont un gage de respectabilité. Une
armée bien structurée et bien commandée est une assurance de
stabilité
et
de
paix.
guerriers
en
font
des
Les
exploits
personnalités
militaires
craintes
de
et
ces
enviées.
L’origine mystique de leur puissance leur confère une renommé
qui est souvent la garantie d’une certaine inviolabilité de
la communauté.
Cet ordre, qui peut varier selon les milieux et les
contextes
historiques,
peut
accorder
la
préséance
à
une
catégorie plutôt qu’à une autre. C’est cependant l’harmonie
et la coordination des activités et des charges entre les
différentes catégories qui assurent la cohésion et la bonne
marche du groupe.
4.1.1 – Les devins et les sorciers :
La
récurrence
traditionnelles
et
des
au
phénomènes
pouvoir
liés
spirituel,
aux
dans
croyances
le
théâtre
d’Afrique Centrale, donne à regarder ces univers comme un
facteur potentiel de l’expression de la dimension sociale de
ce théâtre.
Dans
effectuer,
les
il
différentes
apparaît
que
analyses
les
168
que
devins
nous
et
les
avons
pu
sorciers
marquent
une
certaine
prédominance
dans
la
sphère
des
pouvoirs spirituels. Et si, à l’instar des peuples d’Afrique
Centrale, l’on considère que la sorcellerie est à l’opposé
des
arts
stricte),
divinatoires
il
est
(vues
légitime
dans
de
leur
voir
expression
dans
la
la
plus
catégorie
des
sorciers, non pas un, mais deux types de pouvoirs ; l’un
positif, et l’autre négatif.
A- Les sorciers :
La connaissance des univers paranormaux prédispose les
individus
dits
sorciers
au
statut
de
dominant.
Ils
ont
cependant besoin de l’adhésion des autres structures sociales
et de tous les membres de la communauté pour asseoir et
conforter leur statut et la force de leurs pouvoirs ; et
marquer ainsi leur influence publique. René BUREAU en donne
la mesure à travers deux questions essentielles.
D’abord sur la notion de sorcier ; « Qu’est-ce qu’un
sorcier ?
On
le
distingue
parfaitement
du
guérisseur,
du
« féticheur », du devin. Le vrai « sorcier », ce peut être
n’importe qui, vous ou moi. Il est très rare que l’on sache
qui est réellement sorcier. Il faut que la situation soit
très
mauvaise :
accidents,
stérilité,
maladie,
mort
prématurée. On met alors en œuvre des moyens très élaborés de
dépistage,
comme
l’ordalie
par
exemple.
Par
contre,
la
suspicion de sorcellerie est possible à tout moment, vis-àvis de ceux qui ont plus que les autres : richesse, succès,
famille nombreuse et prospère, savoir et pouvoir surtout. »109
S’interrogeant
statut
de
sorcier,
ensuite
en
sur
d’autres
les
voies
termes
qui
comment
mènent
au
devient-on
sorcier ? BUREAU note : « En commettant un acte qui viole les
normes les plus fondamentales du groupe, par un inceste, ou,
109
- BUREAU René : Anthropologie, religions africaines et christianisme ;
Paris, Karthala, 2002. p.178.
169
le
plus
souvent,
en
d’envoûtement),
tuant
si
un
être
possible
humain
un
(par
parent
la
magie
proche.
La
qualification majeure des sorciers est celle de « mangeurs
d’âmes ». Moyennant quoi, le sorcier acquiert des pouvoirs
qui
le
mettent
dédoublement,
ubiquité,
au-dessus
incarnation
capacité
de
la
dans
le
d’agir
à
condition
corps
commune :
d’un
distance
et,
animal,
surtout,
connaissance des choses cachées (le mot fang, beyem, sorcier,
est
de
la
même
racine
que
« voir ».
Ces
dons
permettent
d’accumuler de manière occulte richesse et pouvoir. »110
Comme nous pouvons le constater, la personnalité du
sorcier ainsi
que
entourés
véritable
d’un
son
rôle
dans
sentiment
la
communauté,
négatif.
Souvent
restent
frappé
d’opprobre le sorcier a toujours grand intérêt à ce que son
identité reste secrète.
En tout état de cause, croyances et pouvoirs spirituels
en Afrique sont deux phénomènes qui s’imbriquent l’un dans
l’autre. Croire en des forces surnaturelles et mystiques est
le fait de tous, alors que la pratique et l’exercice de ces
pouvoirs restent le fait d’une certaine élite, ce qui se
confirme
dans
ce
propos
de
BUREAU :
« Les
sorciers
sont
censés se grouper en associations nocturnes. Ils constituent
donc
une
cautionne
sorte
et
de
garantit
contre-société
le
qui,
fonctionnement
paradoxalement,
de
la
société
publique, le « monde du jour », comme on dit dans certaines
langues. D’une part, tout le monde désire, plus ou moins
consciemment, posséder le pouvoir sorcier. D’autre part, si
quelqu’un est convaincu de sorcellerie, il est, sinon mis à
mort, du moins banni du groupe. »111
Mais alors – peut-on se demander – comment se constitue
cette élite du pouvoir ; ce cercle fermé de « connaisseurs »
(selon
la
traduction
du
terme
110
fang
pour
désigner
les
- BUREAU René : Anthropologie, religions africaines et christianisme ;
Paris, Editions Karthala, 2002, p. 178.
111
- Ibid., p. 178-179.
170
sorciers) ;
membre
de
« savants »,
d’un
groupe
alors
peut
même
que
prétendre
tout
au
individu
titre
de
« connaisseur », alors même que tout individu jouissant de
son libre arbitre serait à même de décider du bien fondé ou
non, de telle ou telle assertion, de la validité ou non de
telle ou telle pratique ?
Répondre à cette question demande que l’on aille audelà de la pensée purement matérielle, pour prendre en compte
aussi bien la perspective métaphysique, que le domaine de la
morale et des rapports humains.
Il convient de ce fait, de se rappeler au préalable,
ainsi
que
nous
l’avons
énoncé
plus
avant,
que
la
pensée
africaine distingue deux types de pouvoirs. L’un, matériel et
sensible, de l’ordre du politique et de l’économie ; tandis
que
l’autre,
plutôt
purement
idéel
dans
le
domaine
fantastique,
au
monde
pouvoir
joue
sur
du
de
les
et
spéculatif,
paranormal.
Il
l’imaginaire
et
questionnements
et
se
situerait
fait
du
appel
au
mystique.
Ce
peurs,
les
les
obsessions et les aspirations des populations.
Le
rapport
des
africains
au
paranormal
est
très
important. Il est significatif aussi bien de la résurgence
d’une
pensée
et
d’un
mode
de
vie
séculaires,
que
de
l’expression d’une forme d’impuissance ; de désespoir face
aux défis du monde moderne. C’est dans ce cas précis que l’on
peut
observer
cultuelles
sorcier,
individus
une
certaine
ancestrales.
ou
aux
Le
ordalies
indélicats
dans
déformation
recours
par
une
à
la
exemple,
des
pratiques
« science »
pour
communauté
d’un
confondre
était
des
des
faits
rares, exécutés dans des situations de trouble extrême. Mais
la littérature africaine et particulièrement le théâtre, nous
présente
aujourd’hui
ces
pratiques
comme
des
faits
au
caractère commun. Dans Trois prétendants… un mari, le vol de
l’argent de la dot est un événement si important que la
médiation d’un sorcier est, pour les villageois le seul moyen
171
de
découvrir
s’agit
ici
la
de
vérité
montrer
sur
la
l’identité
futilité
du
des
malfaiteur.
faits
qui
Il
amènent
parfois les villageois à faire appel à un sorcier. Ce qui est
important
à
noter
dans
ce
rapport
aux
choses
c’est
l’anachronisme de la situation et du choix des villageois.
Pour Trois prétendants… un mari, l’anachronisme vient de ce
que
les
viscéral
villageois
de
posséder
se
des
situent
biens
entre
et
le
des
besoin
insignes
presque
du
monde
moderne (argent, boissons vêtements à l’occidental etc.), et
le retour systématique à la pensée traditionnelle lorsqu’il
est question de trouver des réponses aux problèmes et aux
difficultés
induites
par
la
modernité.
Cet
anachronisme
s’observe également dans la vie courante, et c’est parce que
le théâtre, en Afrique, s’inspire presque toujours de la vie
quotidienne que ces faits apparaissent comme un véritable
sujet de préoccupation. Il n’est pas rare en effet que dans
les milieux les plus divers, les africains se réfèrent à la
sorcellerie pour toutes sortes de situations. Cela peut aller
de
la
quête
spirituelle
personnelle,
à
la
recherche
d’un
emploi, ou au désir de progresser au sein de son entreprise
comme
l’évoque
Mayo,
personnage
de
La
forêt
illuminée
de
MENDO ZE, qui décrie la bassesse des manœuvres orchestrées
par son collègue Lonabo, pour bénéficier d’une promotion :
-
Mayo :
Toi,
à
force
de
courbettes,
de
messes
nocturnes et de sorcellerie, tu as envoûté le patron pour
mener à bien tes magouilles.112
Dans La forêt illuminée, le fait que Lonabo s’entoure
des services d’un sorcier nous ramène bien à cette conception
qui veut que le sorcier soit en mesure de contrôler les
esprits et le destin des individus ou des groupes entiers. En
exécutant des rites magiques ou en proférant des incantations
destinées à envoûter des individus cibles, ou en prenant tout
112
- MENDO ZE Gervais : La forêt illuminée, suivie de Boule de chagrin,
Paris, Editions Présence Africaine, 1990.
172
simplement possession de leur âme, le sorcier est à mesure
d’influer
sur
le
destin
individuel
de
n’importe
quel
C’est le cas dans la pièce aux accents tragiques
de U
personne.
TAM’SI ; Le Zulu, où le rôle du sorcier se confond à celui de
devin, mais où la perspective d’action change, car dans la
réalité du texte, la sorcière est surtout annonciatrice de
présages, même si le Guerrier ne voit en elle que l’obstacle
qui tente de l’empêcher d’accomplir le destin dont il se sent
investi. Elle prédit en effet la défaite à Chaka et invite
celui-ci à renoncer à son désir de conquête de Nobamba où,
dit-elle Chaka sera confronté à la défaite.
Ainsi que nous l’avons déjà évoqué plus loin, le rôle
sociologique
du
sorcier
tel
qu’il
est
perçu
par
les
occidentaux diffère fondamentalement de la représentation que
font les peuples Bantou de la personne même du sorcier.
L’imaginaire occidental voit dans le sorcier africain
un être certes maléfique, mais il est surtout perçu comme un
meneur d’hommes, une sorte de guide moral des populations
doublé d’un pouvoir de guérisseur du fait de sa profonde
connaissance des vertus pharmacologiques des plantes.
En réalité, les Bantou considèrent le sorcier comme un
être
absolument
généralement
maléfique.
qu’il
vit
C’est
à
un
cheval
individu
sur
deux
dont
on
dit
mondes, celui
visible des vivants, un monde profane ; c’est le monde de
ceux qui ne perçoivent que le réel ; le monde concret. Et de
l’autre
côté
globalement
le
monde
voués
au
invisible,
mal.
Pour
des
la
esprits,
majorité
des
des
génies
peuples
Bantou, le sorcier est doté d’une connaissance des éléments
et des choses. Cette connaissance va au-delà des limites de
la réalité et de l’entendement humain. Aussi, chez les Fang
du
Gabon,
de
vocable /NNEM/
Guinée
que
l’on
Equatoriale
peut
et
traduire
du
Cameroun,
en
français
le
par
sorcier, signifie en réalité « savant ». Le sorcier est donc
173
celui qui est supposé voir ce qui se cache derrière les
choses, ce qui se passe dans le monde de la nuit, un monde de
maléfices et de mystères ; le monde de la mort. L’imaginaire
populaire africain veut d’ailleurs que le sorcier soit doté
de
deux
paires
justement
d’yeux ;
celle
qui
la
est
seconde
supposée
paire,
voir
invisible
au-delà
du
est
réel.
Lorsque le sorcier fait usage de ses connaissances ce n’est
jamais pour construire ; il est le messager du mal, de la
destruction et de la mort.
C’est que la singularité des pouvoirs mystiques (ou
magiques)
du
sorcier
ne
se
limitent
pas
à
percevoir
simplement le monde des esprits ; il peut s’y mouvoir et y
agir.
Globalement présenté et conçu comme un voyage astral,
les
déplacements
du
sorcier
s’effectuent
du
monde
réel
profane vers le monde des esprits. Ce voyage est possible
grâce
à
une
entité
mystique
qui
confère
à
celui
qui
le
possède les capacités propres aux /BEYEM/ (pluriel du nom
/NNEM/
que
nous
avons
vu
plus
haut).
Selon
la
croyance
traditionnelle, seuls quelques élus sont très tôt, dotés de
cette entité distinctive, sorte de fluide, de principe vital
qui
leur
permet
de
se
débarrasser
de
leur
enveloppe
corporelle pour entrer en communication avec le cosmos.
Le sorcier, semble-t-il, ne subit ni les lois ni les
limites du temps, ni celles de l’espace ; et d’après les
rares témoignages que quelques uns d’entre eux ont parfois
donnés, le sorcier peut aller n’importe où sur la surface du
globe, à la vitesse de l’éclaire. Puisqu’il n’est pas soumis
aux lois de la physique gravitationnelle, le sorcier semble
parfois perdre toute notion de prudence et de mesure. Car
sans doute emporté par l’élan de ses activités nocturnes et
par l’ivresse de ses pouvoirs surnaturels, le sorcier est
parfois rattrapé par le ‘’monde diurne’’ ; un monde auquel il
s’efforce toujours d’échapper, de se cacher.
174
C’est
que
dans
la
réalité
quotidienne
de
l’univers
traditionnel africain, le sorcier n’a aucun intérêt à être
reconnu en tant que tel en dehors du cercle des « initiés »,
car son rôle et l’impact de ses activités au sein de son
groupe socio-ethnique portent plutôt une marque négative. Le
sorcier est celui qui porte malheur, il peut rendre malade ou
rendre fou. Il peut provoquer toutes sortes de fléaux contre
n’importe qui, il peut donner la mort simplement en ingérant
les âmes (et parfois les corps) de ses congénères. Le sorcier
est aussi celui qui livre à ses ‘’compagnons’’ mystiques les
principes vitaux de ses concitoyens. Dénué de tout sentiment
affectif, il est entièrement possédé par la partie obscure et
négative de son être ; de son pouvoir.
Dans toutes les communautés bantou d’Afrique Centrale,
beaucoup de récits font état de sorciers qui n’ont pas hésité
à s’en prendre à leur propre progéniture, soit en leur ôtant
toute
possibilité
d’épanouissement
social,
soit
en
les
livrant comme victimes de leur cérémonies magiques
Ainsi que nous l’avons déjà énoncé, il y a une certaine
récurrence
de
littéraire
africaine.
toujours
sur
l’élément
les
dit
Du
contextes
mystique
fait
de
dans
qu’elle
la
la
production
s’appuie
réalité
presque
sociale,
cette
littérature et particulièrement le théâtre donnent à lire les
différents phénomènes culturels comme relevant du folklore.
Il y a en vérité derrière ce fréquent renvoi aux multiples
formes de l’expression des usages culturelles, toujours une
quête du sens originel des faits et gestes ; des pratiques
cultuelles des peuples, de leurs croyances.
175
B- Les devins :
Comme
les
sorciers,
les
devins
appartiennent
à
l’univers des croyances populaires d’Afrique.
Comme son nom l’indique, le rôle du devin consiste à
interpréter les signes du monde et du destin, à deviner la
cause
des
faits,
à
prédire
et
surtout
à
anticiper
l’accomplissement de certains faits. Il peut par sa science,
conjurer un mauvais sort, un mauvais présage, détourner un
maléfice, déterminer l’origine d’un malheur ou d’une maladie,
etc. A l’origine, son rôle dans la société est positif car
favorable à l’épanouissement de l’homme et de la communauté
entière. Le devin fait office d’oracle ; il est souvent de
bon conseil car il est doté d’une certaine expérience et
plein de sagesse. Dans son ouvrage Socio-anthropologie des
religions, Claude RIVIERE note que « La place du devin dans
la société dépend de plusieurs variables : sa spécialisation
technique, c’est-à-dire sa fonction d’interprète savant d’un
oracle décodé selon une procédure intellectuelle (divination
inductive à base de savoir) ou selon sa propre inspiration
s’il se présente comme médium et messager d’une puissance
invisible (divination intuitive à base de mysticisme) ; son
degré
de
technicité
dans
l’interprétation
des
messages :
compétence et notoriété s’acquièrent au fil du temps par des
initiations, des mémorisations, des rites, des expériences
multiples avec les clients qui jugent les réussites et les
échecs ;
fonction.
le
statut
Même
d’éventuelles
essentielles
si
social
la
menaces
au
groupe,
attribué
conjuration
et
la
au
du
l’apport
situation
détenteur
mal,
de
la
l’éloignement
certitudes
sociale
de
sont
réservée
au
devin peut demeurer modeste chez les Moundang, tandis que le
devin fon ou yoruba jouit d’un prestige à la mesure de sa
176
clientèle habituelle (devin de village, de région, de chef,
de roi) »113.
Le devin, comme le sorcier, se situe à l’intersection
du monde profane et du monde spirituel et mystique. Ces deux
entités souvent perçues comme le recto et le verso d’une même
réalité figurent en quelque sorte la dualité contradictoire
du monde ; le « bien » et le « mal ». On peut aussi les voir
comme « le yin et le yang » tels qu’ils sont décrits par les
philosophies mystiques asiatiques. Pendant que le devin œuvre
pour le bien, le sorcier lui, est au service du mal.
Dans la vie et la pratique cultuelle et religieuse des
sociétés d’Afrique Noire traditionnelle, le sorcier usurpe
souvent l’identité du devin pour commettre nombre de méfaits,
et instaurer la discorde au sein des groupes.
C’est ainsi donc que parfois dans une forme cynique et
caricaturale, les dramaturges énoncent les faits liés aux
devins et aux sorciers.
Mais l’énonciation d’un acte divinatoire ou prophétique
dans un texte, peut aussi prendre des accents plus sérieux,
plus
graves,
particulier,
Ossito
pour
ou
exprimer
général.
MIDIOHOUAN
à
la
C’est
propos
de
tragédie
d’un
ce
constate
la
malédiction
destin
notamment
Guy
prophétique
prononcée par Zwidé à l’encontre de Chaka : « Ton propre sang
t’étouffera ». Il note à ce sujet que le « mysticisme dans
lequel baigne toute la pièce rend la tragédie plus poignante
par
l’extraordinaire
puissance
de
la
fatalité. »114.
L’influence des croyances semble ici un élément fédérateur
des « grands «
et des « petits » autour d’un même symbole :
le pouvoir politique.
Mais
d’un
autre
côté,
les
raisons
qui
amènent
à
convoquer des séances divinatoires peuvent aussi apparaître
113
- RIVIERE Claude ; Socio-anthropologie des religions : Paris, Armand
Colin, 1997, p. 108.
114
- MIDIOHOUAN Guy Ossito : L’Idéologie dans la littérature négroafricaine d’expression française ; Paris, L’Harmattan, 1986, p. 159.
177
sous
les
formes
d’une
affaire
moins
sérieuse,
ce
qui
va
donner au texte des accents burlesques et comiques, comme
c’est
le
cas
représente
de
un
Trois
comique
prétendant…un
de
situations
mari,
aussi
où
le
bien
comique
que
de
paroles.
Les villageois, désemparés de ne plus pouvoir retrouver
l’argent
donné
par
les
deux
premiers
prétendants
de
leur
fille sont contraints de faire appel au sorcier Sanga-Titi,
qui se veut en réalité un devin, et dont tout dans la façon
de procéder, laisse à penser qu’il n’est qu’un vil escroc,
mais qu’au comble du désespoir, les villageois, ses victimes,
sont
prêts
voleur,
à
même
tout
les
essayer
fourberies
pour
découvrir
d’un
personnage
l’identité
aux
du
pouvoirs
douteux, dont ils sentent bien qu’il n’arrivera pas à dénouer
une situation qui se présente déjà comme une catastrophe.
Mais les malheureux villageois ont-ils d’autres moyens pour
démasquer et confondre le malfaiteur ? Car l’unique solution
qui se présente à eux est celle que leur indique l’usage
traditionnel, à savoir la divination. A cet effet, on peut
s’interroger
L’explication,
sur
ce
c’est
qui
fait
encore
d’un
RIVIERE
individu
qui
nous
un
la
devin.
fournit
lorsqu’il indique les voies qui mènent à ce qu’il appelle la
géomancie ; ainsi que ses modes opératoires: « Donc pour être
devin, il faut non seulement connaître intellectuellement les
codes
du
langage
divinatoire,
mais
encore
maîtriser
la
psychologie d’un groupe social, ses technique du corps, ses
modes sociaux de communication, ses croyances religieuses.
C’est dire que, pourtant spéculative en un sens, la
géomancie glisse au dramatique en ce qu’elle procède de la
supplique et l’imploration. Le consultant, face à un choix
cherche à légitimer des actions qui font problèmes pour lui.
Il ne le peut qu’en étudiant les rapports de forces entre les
dieux, le cosmos et son propre entourage, ce qui met en jeu à
la fois un système de valeurs et un jeu de tensions sociales,
178
au point que plus le champ des rapports humains est perturbé
par
des
catastrophes
naturelles,
mutations
technologiques,
maladies, haines cachées ou accusations de sorcellerie, plus
s’observe une recrudescence des actes divinatoires. Sous cet
angle,
la
géomancie
(…)
pourrait
être
saisie
comme
un
instrument d’analyse sociale. »115
4.1.2- Chefs de clans et chefs de familles :
Dans
la
catégorisation
que
nous
présentions
en
ouverture de ce chapitre, nous donnions les chefs de clans et
les chefs de familles comme des dépositaires incontournables
du pouvoir spirituel, à l’intérieur des communautés socioethniques. Il faut aussi rappeler que le pouvoir spirituel va
parfois
de
l’organisation
paire
avec
sociale
et
le
pouvoir
politique
politique
des
dans
communautés
de
l’Afrique traditionnelle. Aussi, lorsque l’on est appelé à
parler des croyances traditionnelles, on peut observer que la
relation des chefs de clans et des chefs de familles à ces
deux types de pouvoirs apparaît comme une relation de fait ;
celle-ci est intimement liée à un ordre d’existence dont la
manifestation
phénoménologique
constitue
l’un
des
moments
fondamentaux dans l’expression sociologique des communautés
et de leurs traditions.
Pour comprendre la situation familiale décrite par les
dramaturges africains, il faut faire appel à un élément que
nous avons déjà évoqué, à savoir le système des alliances
matrimoniales, mais aussi le système des échanges commerciaux
entre les communautés. En effet, le rôle de chef de clan et
de chef de famille est plus ou moins important en fonction de
l’importance et de la nature des alliances contractées au fil
des époques, par la famille et le clan de manière générale.
115
- Op. Cit. p. 109.
179
En
Afrique
certains
Centrale,
individus
au
le
moment
rayonnement
de
la
politique
rencontre
avec
de
les
premiers explorateurs a donné lieu à des attitudes diverses.
Si la majorité des nouveaux venus était davantage préoccupée
par
la
parmi
recherche
eux
a
a
déclinaisons
produits
cependant
fonctionnement
rencontre
des
des
de
voulu
sociétés
permis
de
la
exotiques,
un
comprendre
qu’ils
petit
les
nombre
modes
rencontraient.
mettre
en
évidence
fonction
de
chef ;
les
ses
de
Cette
multiples
modes
de
fonctionnement et les limites de son influence. Parmi les
textes de notre corpus où l’on peut lire les différentes
déclinaisons de la notion de chef, il y a sans doute les
textes de NYONDA et de OYONO MBIA. Chez le premier, la notion
de chef se confond parfois avec celle d’ancien ; le Conseil
des Anciens qui confère avec Bessieux et ses missionnaires
dans Bonjour Bessieux, ou bien celui qui va à la rencontre de
De Brazza dans Deux albinos à la M’Passa, illustrent bien la
nature de cette notion de chef dans les sociétés de type
clanique ou lignager.
Comme nous l’avons dit plus haut, le rôle de chef est
parfois
le
fruit
de
circonstances
fortuites.
Dans
les
sociétés traditionnelles, n’importe quel individu peut être
amené à assurer ce rôle. Mais souvent certains critères, liés
à la valeur intrinsèque de l’individu ; extérieurs ou pas à
la dimension matérielle et économique de celui-ci (la morale
et
la
générosité ;
le
dévouement
au
bien-être
de
sa
communauté), vont le désigner pour assumer le rôle de guide
du groupe. C’est à ce niveau que souvent la relation du
politique
au
mystique ;
au
spirituel,
apparaît.
Car
en
Afrique traditionnelle, le monde des esprits exerce une forte
influence sur le monde visible. Si par exemple un individu
donné accède au rang de chef de clan ou de tribu, c’est parce
que, croit-on, les ancêtres du clan ou de la tribu l’on voulu
ainsi. C’est un pouvoir d’essence quasi divine, même s’il
180
reste en grande partie contrôlé par l’ensemble des chefs de
familles regroupés au sein du conseil des sages.
Dans leurs communautés, les chefs de clans et les chefs
de familles sont perçus comme les dépositaires d’un certain
pouvoir spirituel, qu’ils ont acquis bien souvent au terme
d’une
initiation
plus
ou
moins
longue,
selon
les
rites.
Pourtant, tous les initiés aux cultes traditionnels ne sont
pas appelés à devenir des chefs de clans ; ils seront tout au
plus chefs de familles. Dans tous les cas, ce qui importe le
plus dans la désignation d’un responsable de clan, de tribu
ou de groupement de tribus c’est globalement sa capacité à
mener les hommes ; sa capacité à conduire les affaires ; son
expérience à gérer avec le plus d’impartialité possible, les
relations au sein du groupe d’où il vient. Sa position est
toujours confortée par sa naissance ; car le chef de famille
des
ces
sociétés
traditionnelles
est
presque
toujours
le
premier né, masculin d’un lignage. Le clan désignera souvent
à
l’intérieur
l’individu
de
qui
la
catégorie
présente
le
plus
des
chefs
de
d’aptitudes
à
familles,
assumer
la
fonction de responsable de la communauté. C’est cet individu
qui présidera à toutes les cérémonies politiques, culturelles
et religieuses du groupe. Assisté d’un conseil des anciens,
il
sera
toujours
différentes
la
courroie
couches
de
sa
de
transmission
communauté
entre
avec
le
les
monde
extérieur ; entre le monde des vivants et celui des ancêtres.
Car
l’importance
demande
parfois
des
que
décisions
l’on
prises
consulte
les
par
la
mânes
communauté
des
anciens.
Avant d’aller livrer bataille, le guerrier Mbombi116 demande
que
les
soutien,
mortelles
mânes
et
de
soient
que
ses
ces
consultés
derniers
ennemis.
Seul
afin
le
le
de
s’assurer
préservent
chef
de
leur
des
flèches
clan,
jouant
parfois le rôle de grand prêtre, est habilité à convoquer ce
116
- NYONDA Vincent
François Réder, 1981.
de
Paul ;
Le
combat
181
de
Mbombi,
Paris,
Editions
rituel au cours duquel chacun est invité à s’ouvrir à la
sagesse des aïeux.
La charge mystique investie par la fonction de chef a
souvent conféré, à certains de ces élus, un pouvoir politique
qui a parfois rayonné au-delà de son territoire ; au-delà de
sa
zone
d’influence
initiale.
L’histoire
politique
et
religieuse africaine est riche de ces personnages de légende
qui, comme Chaka, Soundjata, Lat Dior, Béatrice du Congo,
Samory Touré etc…, ont créé et fait prospérer de puissants
empires politiques et religieux. Et au Cameroun, le Sultan
NDAM N’JOYA qui s’était opposé à l’implantation d’une colonie
française sur le territoire du royaume Bamoun ; au Gabon,
WONGO le guerrier de l’ethnie Nzébi qui donna tant de soucis
au colonisateur français, et dont l’histoire nationale a fait
un héros ; etc. Ces personnalités souvent hors du commun,
continuent de fasciner encore aujourd’hui, aussi bien les
historiens que les politiques. Parfois méconnus, ces grands
africains
font
depuis
quelques
décennies,
l’objet
d’un
intérêt tout particulier, car les écrivains africains ont
entrepris à leur manière de réhabiliter la mémoire de bon
nombre de ces héros, souvent injustement présentés comme des
renégats, par une opinion parfois incapable d’assumer son
histoire, son passé.
Qu’ils furent guerriers ou princes ; simples paysans ou
riches commerçants, tous ont en commun d’avoir fait de leurs
peuples,
des
hommes
de
conviction
et
de
combat
contre
l’envahisseur européen.
Dans tous les cas, ce que nous pouvons en définitive
retenir du rapport des chefs de clans ou de familles avec le
pouvoir spirituel c’est que ce rapport situe l’exercice du
pouvoir politique à l’orée du pouvoir spirituel, auquel il
confère
un
cachet
religieux
plutôt
que
surhumain,
ou
surnaturel. Le chef, quelque soit la nature de son pouvoir,
reste avant tout un être de chair et de sang, donc faillible
182
et mortel. C’est souvent d’avoir éludé cet aspect limité de
l’homme ;
sa
finitude,
que
de
nombreux
dirigeants
de
l’Afrique traditionnelle se sont révélés au monde comme des
tyrans.
4.1.3 – Les guerriers :
Comme les chefs de clans et les chefs de familles, les
guerriers constituent l’une des catégories qui structurent la
société traditionnelle africaine, et l’une des catégories au
sein desquelles le pouvoir spirituel peut s’exercer. Certains
guerriers,
à
travers
l’importance
et
la
nature
de
leurs
exploits militaires, ont parfois tenu des rôles de prêtres au
cours de cérémonies d’initiation de jeunes « appelés ». De
fait,
leurs
charges
et
leurs
domaines
de
compétence
sont
cependant d’abord de l’ordre du militaire ; mais il arrive
très souvent que leurs fonctions surpassent le domaine des
armes, pour englober les aspects politiques, culturels et
économiques.
Si un guerrier peut donc parfois être investi du rôle
de
chef
de
clan
ou
d’officiant
au
cours
d’une
cérémonie
rituelle, il est plus généralement au service d’une autorité
suprême à laquelle il doit allégeance. De ce point de vue,
lorsque
l’on
compare
traditionnelles
les
africaines,
sociétés
les
modernes,
deux
aux
diffèrent
sociétés
fort
peu ;
l’armée est toujours inféodée au pouvoir politique.
Dans les textes de notre corpus pourtant, deux types de
structures
militaires
peuvent
être
observés.
Il
y
a
d’un
côté, celui que nous pouvons désigner comme le bon militaire,
c’est-à-dire celui qui reste entièrement soumis à l’autorité
politique ; c’est le cas de Guykafi et de ses compagnons
d’armes, tout comme Mbombi. De l’autre, il y a d’autres tels
que Chaka, Moroni, Perono etc., à qui il ne peut suffire de
183
n’être
que
militaire ;
il
leur
faut
aussi
le
pouvoir
économique, le pouvoir politique ; le pouvoir absolu.
4.2
–
Les
pratiques
cultuelles
dans
l’organisation
sociale ; formes, fondements et enjeux :
Ainsi
cultuelles
que
font
nous
l’avions
partie
déjà
intégrante
énoncé,
de
la
les
vie
pratiques
sociale
des
communautés traditionnelles africaines.
Dans
un
monde
où
l’homme
et
son
environnement
entretiennent une relation fortement symbiotique, et où les
sciences et les techniques locales sont restées à un niveau
embryonnaire ;
archaïque,
la
question
des
pratiques
cultuelles et religieuses liées à l’économie du quotidien
peut paraître sans grande importance pour une étude sortie
d’un
contexte
anthropologique.
Mais
il
est
capital
d’y
restituer le débat, car c’est en abordant la question sous
l’angle de l’évolution des sociétés humaines que l’on peut
envisager
fondements
des
et
réponses
des
sur
enjeux
la
des
question
faits
des
formes,
religieux
dans
des
le
processus de l’existence culturelle des peuples africains.
Nous pensons aussi qu’il faut s’interroger sur la nécessité
pour
la
revisiter
littérature
l’univers
africaine
de
ces
de
manière
pratiques,
dans
générale
un
milieu
de
où
l’ouverture au monde est pour l’ensemble des populations une
manière d’être, et pour d’autres, la voie royale qui mène à
la « civilisation ».
La question essentielle est donc de rechercher dans
notre corpus d’étude, les formes des pratiques cultuelles ;
d’en établir les fondements, et ensuite de mesurer les enjeux
d’un
phénomène
qui
a
été
présenté
par
chrétienté comme hérétique ; diabolique.
184
le
monde
de
la
- Fondements, formes et enjeux des pratiques cultuelles
dans les sociétés traditionnelles :
Au
moment
cultuelles
dans
d’aborder
la
vie
la
des
question
sociétés
des
pratiques
africaines
telles
qu’elles sont vues par le théâtre, nous voulons auparavant
essayer
de
définir
ce
que
l’on
entend
globalement
par
religion et, par son pendant qu’est la notion de sacré.
Dans un sens général, on peut comprendre la religion
comme un ensemble d’attitudes ritualisées qui visent à mettre
l’âme
humaine
profane,
la
en
rapport
religion
est
avec
la
avant
divinité.
tout
Différent
reconnaissance
du
d’une
entité supérieure à l’être humain, à qui ce dernier doit
respect,
obéissance
et
soumission,
car
de
lui
dépend
sa
destinée. A travers l’histoire de l’humanité, les religions
ont eu des fondements divers, et pris différentes formes.
Cette attitude morale et intellectuelle qui tend parfois à se
conformer avec un modèle social, peut se constituer en une
règle de vie. Et depuis la nuit des temps, les phénomènes
religieux ont accompagné l’histoire des communautés humaines
soit sous des formes acquises, le cas couramment donné des
croyances traditionnelles ; c’est que l’expérience de l’homme
au fil des temps, lui a permis de se forger un système de
croyances,
soit
sous
christianisme
ou
religion
peut
ne
de
la
forme
l’islam.
s’exprimer
révélée,
Phénomène
d’abord
à
l’instar
du
fédérateur,
la
qu’à
un
niveau
individuel.
A propos de religion, Claude RIVIERE, dans son ouvrage
intitulé Socio-anthropologie des religions117 observe : « Bien
avant l’époque grecque, à Sumer comme en Egypte, certains
phénomènes sont censés manifester la présence des dieux. Dans
l’antiquité
117
romaine,
- RIVIERE Claude :
Armand Colin, 1997.
le
terme
religio
Socio-anthropologie
185
des
désigne
religions,
la
sphère
Paris,
Ed.
indépendante de l’Etat qui régit les pratiques et croyances
ayant trait au sacré. »118. Ce qu’il faut retenir ici, c’est
d’abord le fait que la notion de religion remonte à la nuit
des temps. L’homme semble en effet avoir manifesté depuis
toujours, une relation particulière avec le sacré ; avec le
cosmos.
De
nombreux
sites
archéologiques
permettent
de
renforcer ce propos.
Deuxième fait à retenir de l’observation de RIVIERE,
c’est l’universalité des notions de croyance et de sacré,
donc
de
religion,
notions
auxquelles
sont
généralement
attachés des groupes humains liés par l’adhésion à l’idée
fondatrice de ce qu’ils considèrent comme participant de leur
existence. Car comme le souligne Jean- François DORTIER (qui
reprend
la
réflexion
de
chercheurs
comme
Rudolf
OTTO,
Gerardus van der LEEUW, Mircea ELIADE, Julien RIES…), « Pardelà
l’histoire
et
la
diversité
de
ses
manifestations
concrètes, il existerait une essence unique de la religion
(…).
La
croyance
en
l’existence
d’un
monde
invisible,
transcendant et sacré, peuplé d’esprits ou de dieux auxquels
les hommes vouent depuis toujours un même type de culte. Du
chamanisme
au
christianisme,
confucianisme,
toutes
les
manifestations
différentes
des
cultes
croyances
d’une
même
ne
sataniques
sont
posture
que
au
des
mentale,
s’exprimant à travers un même schéma de représentation. »119.
La croyance religieuse n’est donc pas l’apanage d’un peuple
unique. Et pour RIVIERE, « la religion a été entendue comme
l’ensemble
des
cultes
et
des
croyances,
des
attitudes
mentales et gestuelles, dévotionnelles et orientées par des
conceptions
expression
d’un
au-delà.
pratique
que
(…)
les
c’est
religions
d’abord
se
par
leur
caractérisent,
c’est-à-dire par leur culte, ensemble des conduites fortement
118
- Id., p. 12-13.
- DORTIER Jean-François ; « Dieu et les sciences humaines », in La
religion. Unité et diversité, aux Editions Sciences Humaines, Auxerre,
2005.
119
186
symboliques pour les collectivités et ensemble de relations
unissant l’homme à une réalité qu’il estime supérieure et
transcendante. »120 C’est dans cette optique communautaire ;
symbolique et conventionnelle que le fait religieux trouve
ses origines aussi bien que la multiplicité des formes qui la
caractérisent en Afrique, et dans les fondements mêmes de la
religion. Citant Clifford GEERTZ, RIVIERE définit la religion
comme « un système de symboles qui agit de manière à susciter
chez
les
hommes
puissantes,
des
motivations
profondes
et
et
durables,
des
en
dispositions
formulant
des
conceptions d’ordre général sur l’existence et en donnant à
ces
conceptions
une
telle
apparence
de
réalité
que
ces
motivations et ces dispositions semblent ne s’appuyer que sur
du réel. »121. Les rituels religieux qui semblent alimenter le
quotidien
définir
des
la
communautés
place
de
africaines
l’homme
au
sein
veulent
de
la
avant
tout
création
car
« l’homme redoute la puissance des dieux qu’il imagine être à
l’origine de l’ordre du monde. »122
Ainsi
qu’on
peut
l’observer
dans
les
différents
ouvrages qui soutiennent notre étude, un certain nombre de
faits apparaissent de manière sporadique. Prenant des formes
diverses, ils rendent compte d’un état d’esprit qui semble
être
caractéristique
à
une
manière
d’être
de
l’Homme
africain. C’est ici un mode de vie où l’homme, toujours en
quête de savoir et à la recherche du mieux-être, trouve dans
les
forces
de
l’univers
un
soutien,
mais
aussi
un
moyen
possible de trouver des réponses à ses questionnements. « La
géomancie sert à réduire les zones d’incertitude concernant
le
futur
individuel
ou
un
projet
collectif,
ainsi
qu’à
appréhender les possibles pour opérer un choix judicieux dans
les
moments
difficiles
(mort,
maladie,
sorcellerie,
infortune, rite de passage), mais elle peut aussi dévoiler ce
120
121
122
- RIVERE Claude ; Op. Cit. p. 13.
- Id., p. 16.
- Op. Cit. p. 13.
187
qui s’est produit ou est en train de se produire de manière à
ajuster la conduite en fonction de contextes favorables ou
défavorables au consultant. »123
Vécues de façon épisodique et circonstancielle, toutes
ces attitudes ; toutes ces pratiques appartiennent au domaine
plus
ou
moins
élargi
de
ce
qui
constitue
croyances traditionnelles. Il en est
évoqué,
du
occurrences,
manière,
culte
des
relèvent
des
ancêtres
pratiques
elles
du
monde
des
ainsi plus largement
dans
ordaliques
aussi
le
ses
qui,
culte
différentes
d’une
des
certaine
ancêtres.
Le
rituel du /NGUIL/124 chez les peuples Fang (Gabon, Cameroun,
Guinée Equatoriale), se situe par exemple à mi-chemin entre
le culte des ancêtres et un rituel ordalique dans la mesure
où en effet, on peut y recourir aussi bien pour appeler la
prospérité au sein du clan (rite de purification), que pour
confondre
et
punir
les
membres
du
clan
responsables
de
méfaits, ou soupçonnés d’avoir provoqué la mort d’un de leurs
congénères (fonction ordalique du NGUIL). A côté de ces deux
principales
manifestations
cultuelles,
on
peut
noter
la
présence dans les textes de scènes évoquant des recours à
d’autres types de rituels que l’on pourrait également classer
dans la catégorie des usages dits cultuels. Ce sont, chez
123
- RIVIERE Claude ; Socio-anthropologie des religions : Paris, Armand
Colin, 1997, p.108.
124
/NGUIL/ :
D’après
nos
informateurs, /NGUIL/ou
/NGUII/
(la
prononciation varie selon les régions ; dans le nord du Gabon par
exemple, la voyelle finale est allongée, alors que les Fang de la côte
ajoutent un /l/ à la fin du vocable) chez les Fang, rite ou culte lié aux
ancêtres d’une communauté donnée. A l’instar du /BIERI/, le /NGUIL/
appartient à la catégorie des rites religieux Fang. Il est donc fondé sur
la croyance en la force protectrice des ancêtres d’un clan ou d’une
tribu. Concrètement, les mânes des ancêtres sont représentés par un
reliquaire constitué au fil du temps par des ossements (crânes
essentiellement) recueillis après leur mort, de certains membres du clan
qui, de leur vivant, étaient dotés de pouvoirs surnaturels, et qui se
sont montrés braves en tant que guerriers, bon fils et bons chefs de
familles.
Leur disponibilité et leur dévouement face à la cause commune les
prédisposent en fait à devenir « ancêtre » du clan.
De même, les peuples Téké du Gabon et du Congo ; les groupes Yipunu (ou
Punu) et Fang au Gabon, pratiquent respectivement le /NDJOBI/ et le
/BWITI/. Ces deux cultes sont considérés par leurs adeptes comme des
religions.
188
Chaka par exemple, le recours à la sorcellerie dont nous
avons
plus
avant
dénoncé
le
caractère
destructeur
et
maléfique. Voici comment René BUREAU parle du sorcier, à la
fois
coupable
et
victime : « La
croyance
généralisée
aux
sorciers mangeurs d’hommes combine l’aspect actif et l’aspect
passif du meurtre rituel. Le sorcier, homme ou femme de la
nuit, clandestin, est censé accroître son pouvoir propre en
s’incorporant la substance des autres. Cette opération se
fait
par
le
truchement
des
doubles :
la
personnalité
a
plusieurs composantes. Une fois mangée, la victime n’est plus
visible que sous l’apparence de son ombre.
Mais le groupe social est à l’affût de ceux qui se sont
ainsi mis hors la loi et bénéficient de pouvoirs surhumains
au détriment du commun. Si des inégalités apparaissent dans
la communauté, si la maladie et la mort sont plus fréquentes
que la normale, les individus dominants ou marginaux sont
suspectés et, par divers procédés (dont l’ordalie est le plus
courant)
convaincus
de
sorcellerie
et
éliminés
physiquement. »125.
Ayant
établi
le
fait
religieux
comme
un
élément
constant de la littérature africaine et essentiellement du
théâtre, il s’agit maintenant d’en évaluer les enjeux. Car si
l’on peut affirmer une sorte de régularité dans l’évocation
des
pratiques
religieuses
(ou
magiques)
à
l’intérieur
de
l’écriture dramatique d’Afrique Centrale, on ne peut manquer
de s’interroger sur la portée et la signification de ces
multiples phénomènes. En d’autres termes, il s’agit de cerner
la variabilité ; le contenu des croyances selon les sociétés
et
les
individus.
Car
un
événement
de
type
religieux
ou
rituel, si infime soit-il, dans une œuvre artistique, ne peut
pas ne pas signifier quelque chose. La discrétion de ces
phénomènes dans certains textes, tient davantage lieu d’une
125
- BUREAU René ; Anthropologie, religions africaines et christianisme,
Paris, Ed. Karthala, 2002.
189
forme de « mauvaise foi » bien pensée et savamment mise en
œuvre
par
certains
auteurs,
qui
font
mine
de
ne
pas
y
toucher, mais qui pourtant ne peuvent s’empêcher de revenir
d’une façon ou d’une autre, sur ce qui parfois apparaît comme
une véritable obsession.
Le
phénomène
prend
pourtant
une
réelle
importance
lorsqu’il est observé non pas en tant qu’élément fondateur
d’une
œuvre
unique
(même
si
cela
peut
tout
à
fait
s’envisager), mais lorsque, faisant une étude comparative à
l’intérieur d’une aire littéraire par exemple, on y relève
une importante occurrence du phénomène. Chez les six auteurs
qui forment le socle de notre corpus, le fait religieux (sous
une
forme
ou
sous
une
autre),
fait
partie
des
éléments
considérés comme incontournables et fondateurs de nombreuses
fictions,
de
même
que
pour
une
partie
importante
de
la
création artistique africaine. C’est donc dans la généralité
des textes qu’il est, à notre avis plus intéressant de saisir
cette thématique, et de la questionner.
Là
où
Jinette
parle
très
brièvement
de
« messes
nocturnes » pour évoquer les faits de sorcellerie, Chaka,
sans davantage s’étendre sur le sujet, laisse entrevoir la
portée et la place des faits de croyance dans la pensée et
dans le quotidien des africains. L’importance de la pensée
religieuse chez Chaka apparaît au travers de la formulation
de
son
projet
personnages,
de
c’est
conquérir
le
même
Nobamba.
sujet
qui
Chez
se
ces
deux
déploie,
l’un
s’attarde sur le fait ; l’autre pas. Il reste cependant que
Jinette126 comme Chaka127, ne conçoivent, ni ne croient à une
existence ; à un monde sans sorcellerie ni mysticisme, comme
source de tous les malheurs pour la première ; et pour le
second, comme une médiation bienfaitrice nécessaire.
126
127
- MENDO ZE Gervais : Jinette et Japhet ; Paris, Editions ABC, 1988.
- U TAM’SI Tchicaya : Le zulu, Paris, Ed. Nubia 1977.
190
Pour Chaka en effet, la médiation d’un sorcier lorsque
l’on se lance dans une entreprise aussi importante que la
conquête
d’un
territoire
insoumis,
constitue
une
étape
vitale. Ses conseillers et amis Ndlebé et Malounga ; qui sont
aussi
des
sorciers,
sont
ainsi
mis
à
contribution
afin
d’assurer la victoire du Zulu à l’issu de la guerre à venir.
Le propos de Chaka à la scène II de l’acte Premier du texte
de
Tchicaya
U
TAM’SI
évoque
bien
le
statut
de
ces
deux
personnages ; il dit en parlant de Malounga :
Chaka
… Va me cherche Malounga. Il sait entendre en clair ce
que disent les morts et le destin !128
Plus
loin,
le
dénommé
Malounga
fait
une
auto
description et dit :
-Malounga (à Chaka)
Je suis le veilleur.
(au public).
L’œil occulte qui force l’espace. Par ma mère, j’ai
l’œil de la chauve-souris, par mon père, j’ai le museau du
chien de garde…129
Concernant Ndlebé, c’est dans la didascalie de la Scène
Première de l’Acte Premier que l’on découvre la nature de ses
activités :
Ndlebé
(Plongé dans un jeu de divination,…130
Ailleurs, c’est Vincent de Paul NYONDA, pionnier du
théâtre
moderne
gabonais,
qui
va
nous
montrer
avec
le
personnage de Guykafi, héros de son ouvrage le plus connu ;
La
mort
thématique
de
du
Guykafi131,
religieux,
une
à
autre
travers
128
manifestation
la
scène
du
de
la
guerrier
- U TAM SI Tchicaya : Le Zulu, Paris, Editions Nubia, 1977, p. 25.
- Id. p. 31.
130
- Id. p. 21.
131
- NYONDA Vincent de Paul ; La mort de Guykafi, Paris, Paris,
L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981.
129
191
implorant les mânes de ses ancêtres de le protéger au cours
du combat qu’il s’apprête à livrer contre ses beaux-frères.
Dans un autre registre ; sur un ton burlesque, Trois
prétendants…un
mari132
problème
faux
des
de
Guillaume
devins,
mais
OYONO
aussi
MBIA
la
évoque
le
question
du
détournement des rites et cultes ancestraux par des individus
motivés par le côté pécuniaire que la pratique de certains
cultes a pris avec l’introduction de l’argent en Afrique.
Si
certains
auteurs
donnent
plus
d’envergure
que
d’autres à l’évocation ou au traitement des faits religieux,
c’est que pour les uns comme pour les autres, quelles que
soient leurs opinions sur la chose, ces faits existent, et il
faut
en
parler.
Les
raisons
d’une
telle
attitude
sont
multiples, et peuvent varier d’un auteur à un autre. C’est
que derrière tout renvoi à un quelconque phénomène religieux,
nous
pouvons
lire
aussi
bien
la
peur
que
le
doute,
par
rapport à l’inconnu vers lequel les africains se sont engagés
en empruntant les voies de la modernité. Mais on peut aussi y
lire une certaine volonté de se tourner résolument vers un
avenir désormais inéluctable, vers l’assurance d’un monde où
domine
la
raison
matérialiste
et
qui
pour
beaucoup
d’africains, constitue le gage de survie des peuples.
Ainsi donc, les personnages du devin, du sorcier ou de
la sorcière ; les mânes des ancêtres et les autres esprits du
panthéon
africain
sont
des
instances
récurrentes
dans
la
création théâtrale d’Afrique Centrale. Il n’est pratiquement
aucun texte où ne sont, sinon mis en scène, du moins évoqués,
l’une ou l’autre de ces instances.
A l’instar des autres thématiques (la thématique du
pouvoir, celle de la misère physique ou morale, ou celle de
la liberté par exemple), la thématique liée aux croyances
religieuses
apparaît
comme
une
132
réelle
préoccupation
des
- OYONO MBIA Guillaume ; Trois prétendants…un mari, Yaoundé, Editions
Clé, 1975.
192
créateurs
africains.
Cette
récurrence
suggère
un
certain
nombre de questions qui nous semblent essentielles dans la
mesure
où
elles
traditionnelle
permettent
dans
un
d’envisager
contexte
où
la
société
l’Afrique,
riche
aujourd’hui d’expériences multiples en matière de croyances
religieuses,
paraît
plus
que
jamais
se
rattacher
à
ses
anciennes croyances.
Aussi, après avoir établi les différentes formes et les
fondements des pratiques cultuelles ou religieuses, on peut
se poser la question qu’est-ce donc que croire dans un tel
contexte ?
A
quoi
sert-il
de
croire ?
Le
fait
de
croire
renvoie-t-il ici à la notion de foi, dans la mesure où celleci
équivaut
à
un
contenu
de
la
pensée
aussi
bien
philosophique et morale des religions ; qu’à une dimension
purement sociale et humaine de celles-ci ? Autrement dit, il
s’agit
de
répondre
religions ?
Pour
ce
à
la
question
faire,
nous
pourquoi
y
emprunterons
a-t-il
encore
des
à
la
réflexion de Jean-François DORTIER, qui propose deux pistes
de lecture pour justifier les phénomènes religieux.
Il y a d’abord la piste psychologique qui, nous dit-il,
se réparti en deux, entre les théories affectives d’un côté,
et les théories intellectualistes de l’autre :
« 1. Les théories affectives qui partent des émotions
des hommes : le besoin de croire naît de la souffrance et
d’un besoin de consolation qui en résulte (…).
2.
Les
théories
intellectualistes
expliquent
la
religion par une formation particulière de l’esprit (…) »133.
La seconde voie d’explication des religions énoncée par
DORTIER
est
TOCQUEVILLE
la
théorie
sociologique,
notée
ou
Auguste
COMTE.
eux
Pour
par
en
Alexis
effet,
de
« la
religion contribue au « ciment moral » des sociétés. Elle
133
- DORTIER Jean François ; « Dieu et les sciences humaines », in La
religion. Unité et diversité : Auxerre, Editions Sciences Humaines, 2005,
p. 12.
193
soude les communautés. Sa raison d’être est donc à rechercher
du côté de l’ordre social. »134
Pour les africains, croire en un fait ou en une chose
souligne un aspect de foi ; c’est une attitude mentale qui se
manifeste et s’exprime de manière concordante, parallèle dans
les
actes
quotidiens,
ou
dans
des
situations
circonstancielles d’invocation ou de convocation cérémoniale.
Observé au quotidien, l’africain manifeste sa croyance, sa
religion dans les faits et gestes de tous les jours. Que ce
soit dans la manière de saluer, de boire, de manger ou tout
simplement de s’adresser à un inconnu, l’africain, imprégné
de
sa
religion
suivra
toujours
une
certaine
formulation
rituelle de ces actes. C’est que, en général, il croit et
tient pour vrai, l’objet de sa croyance sans en avoir la
preuve absolue de sa véridiction.
Plus qu’une question de formes ou de fondements, la
question des religions, est plus singulièrement liée à celle
des enjeux qui président aux phénomènes des croyances. Car
quelles qu’en soient les formes et les rituels, les religions
ont partout et de tout temps, porté comme enjeu de mettre en
relation l’homme et le sacré ; l’homme et Dieu ou les dieux,
dans un but propitiatoire.
4.2.1- Le culte des ancêtres :
Nous avons dit que l’univers culturel des africains
était
en
grande
faits
religieux,
partie
caractérisée
ou
rites
de
religieuse.
Il
apparaît
croyances,
le
culte
particulière.
bien
134
que
Car
dans
à
qu’au
des
les
les
sociétés
nombre
sociétés
- Id. p. 13.
194
une
consonance
ancêtres
dans
par
de
multitude
plus
ou
ces
rites
occupe
une
traditionnelles
nouvelles
de
de
moins
et
place
aussi
l’Afrique
contemporaine,
bien
que
les
religions
monothéistes
aient
depuis longtemps fait leur apparition, beaucoup d’africains
scolarisés ou pas ; citadins
ou ruraux, entretiennent une
relation sinon marquée, du moins très importante avec l’un ou
l’autre des cultes dits des ancêtres. Si les manifestations
et les rituels peuvent parfois varier d’une région à une
autre,
les
cependant
fondements
identiques
culturels
et
communs
et
à
sociologiques
une
grande
restent
partie
des
populations de l’Afrique Centrale. Dans les faits, « le culte
des ancêtres, soit divinisés, soit plus fréquemment promus au
rang d’intercesseurs privilégiés entre l’homme et Dieu, se
manifeste entre autres dans les rites de la mort et des
funérailles, par des invocations verbales aux défunts, par
des offrandes individuelles et familiales, par des libations
et sacrifices en des lieux déterminés, visant à les rendre
favorables
dans
l’au-delà.
Ce
culte
s’inscrit
dans
la
continuité d’un phylum social et d’un renouvellement cyclique
de la vie. »135. En effet le culte des ancêtres appartient à
la catégorie des religions traditionnelles qui se fondent sur
la croyance que l’univers de manière générale, est structuré
sur un double plan du visible et de l’invisible. Fonctionnant
sur
un
mode
d’échanges
réciproques,
ces
deux
univers
coexistent dans une logique de complémentarité. Car si les
esprits des ancêtres peuvent intercéder auprès des divinités,
il est nécessaire que les vivants satisfassent aux désirs de
leurs aïeux, qui leur assurent paix, santé, prospérité, bienêtre, et protection contre les mauvais esprits. C’est que les
ancêtres, ayant franchi le seuil de la mort, accèdent par la
même occasion au monde de la connaissance pure. Non seulement
ils connaissent les causes et les conséquences des événements
qui surviennent dans le monde visible, mais ils peuvent aussi
135
- RIVIERE Claude ; Socio-anthropologie des religions, Paris, Armand
Colin, 1997 ; p.29.
195
influer
sur
la
vie
des
hommes
ou
des
communautés,
avec
lesquels ils communiquent à travers oracles et présages.
Plusieurs raisons peuvent amener la communauté, et plus
rarement
l’individu
à
invoquer
les
ancêtres.
Ce
sont
généralement des situations de détresse personnelle ou de
crise communautaire, à l’instar de ce qui se passe dans la
Scène II de l’Acte IV du Roi Mouanga :
MOMO – « Mânes de nos pères, est-ce que vous m’écoutez,
moi qui, par l’entremise de ma tribu, ai reçu les pouvoirs de
vous invoquer, vous BASI, SIGUI, YAGA et tous ceux que je
n’ai pas nommés, à chaque fois qu’une détresse frappe notre
tribu. C’est moi, MOMO qui, humblement et pieusement, tout
pénétré de crainte, vous dis de prêter un instant, à l’objet
de ma supplication, vos oreilles toujours attentives. Je vous
parle au nom de MOUTOMBI que le clan DIKOIS en détresse,
envoie auprès de Sa Majesté, pour implorer son assistance
contre
les
menées
criminelles
de
l’impie
MOUGA,
ce
sanguinaire qui, avec une ardeur sans pareille, nous matraque
telle une bête en furie. Je vous prie donc d’écouter la
complainte que je vous adresse. De mémoire d’homme, jamais il
n’a été dit que notre clan, toujours pacifique, ait tissé une
haine quelconque contre celui de MOUGA. Pourquoi, ô Ancêtres,
ô Mânes, jetterait-il sur nous ses guerriers avides de notre
sang ?
Mânes,
vous
m’avez
tous
compris,
vous
m’avez
tous
entendu. Je reste assuré que vous assisterez tous MOUTOMBI
tout au long de sa dure mission. Enflammez ses paroles et
bénissez ses lèvres, afin que le Roi l’écoute d’une oreille
attentive. Que les choses en soient ainsi ! J’ai terminé.
(MOMO
marque
alors
un
trait
de
kaolin
sur
le
front
de
MOUTOMBI) Va, MOUTOMBI, voir le Roi ; il te recevra, mais
garde-toi de porter ta face en arrière jusqu’à ton arrivée au
Palais. »136
136
- NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, 1988, pp. 35-36.
196
Ici, les ancêtres sont invoqués pour rendre justice à
une personne, en l’occurrence Moutombi, qui a injustement été
accusé de saper l’autorité royale au sein de son clan, et de
pactiser avec l’ennemi. Afin de légitimer le plaidoyer de
l’infortuné fils des Dikois, les anciens de la communauté
s’en remettent aux mânes de leurs ancêtres. Il en est ainsi
pour la plupart des activités qui engagent la communauté.
Dans Deux albinos à la Mpassa, le conseil des sages qui
doit décider de la réponse à donner aux visiteurs ne manque
pas requérir la bienveillance et la sagesse des mânes.
De
même
dans
Bonjour
Bessieux,
les
villageois
vont
invoquent les mânes, montrant de ce fait leur attachement aux
valeurs et aux lois de leur monde et de leurs traditions,
mais aussi leur adhésion au projet du missionnaire, ce qui
signifie
aussi
un
désir
d’ouverture
vers
l’autre ;
vers
l’inconnu.
DOWE. - « Que les mânes de la rive gauche et de la rive
droite de ce pays vous bénissent vous, et ceux qui vous
suivront ; que cela soit ainsi. (Puis tous de cracher en
l’air…)137.
Ils peuvent ainsi conforter et légitimer l’installation
des
missionnaires
sur
la
parcelle
de
terrain
qu’ils
ont
sollicitée, afin de bâtir leur église.
Dans les deux cas, le rituel de la cérémonie reste
assez épuré ; on peut en fait dire qu’il prend les aspects
simplifiés d’une prière, car les textes ne montrent pas de
véritable cérémonie, dont la liturgie constitue un ensemble
très élaboré. Seule la mise en scène dans le cadre d’une
représentation peut approfondir cet aspect.
C’est dans ce sens qu’en 1988 à Libreville, la troupe
du Théâtre National du Gabon s’était fait un point d’honneur
à représenter une séquence consacrée à la cérémonie du culte
137
- NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux in Le combat de Mbombi ;
Paris, Editions François Réder, 1979, p. 82.
197
des ancêtres lors d’une création de La mort de Guykafi. Le
metteur en scène de l’époque, également acteur, Dominique
DOUMA,
s’en
était
expliqué
en
disant
qu’à
travers
cette
séquence, il avait voulu restituer certaines vérités au sujet
des
cultes
travers
traditionnels
les
églises
que
le
contact
chrétiennes,
des
avait
cultures,
contribué
à
à
diaboliser, mais qui, en fait, constituaient le creuset de la
pensée et de la sagesse traditionnelles. Au cours d’un de nos
entretiens,
gabonais
il
en
déplorait
aussi
particulier,
et
le
les
fait
que
beaucoup
africains
de
de
manière
générale, éprouvaient une véritable honte à reconnaître et à
assumer leur appartenance à une religion traditionnelle. Car,
disait-il,
« pour
exemple
c’est
sorcier,
ce
les
non
souvent
qui
initiés,
synonyme
est
tout
de
à
être
‘’bwitiste’’
‘’cannibale’’
fait
inexacte.
ou
par
de
C’est
malheureusement cela que nous ont enseigné les Bonnes Sœurs
au catéchisme ! Aujourd’hui je trouve scandaleux de devoir se
cacher pour organiser une cérémonie de Bwiti, même si, en
tant que religion, en tant que rite ésotérique, le Bwiti ne
peut s’exécuter qu’en présence d’initiés et seulement avec
des initiés !»138.
Le
débat
apparaître,
aux
lié
yeux
aux
de
croyances
non
traditionnelles
africains
comme
un
peut
débat
d’arrière-garde. Il revêt cependant une importance capitale
pour les africains, dans la mesure où il contribue plus que
jamais, à poser des problèmes de reconnaissance identitaire
et d’appropriation de sa culture et de sa personnalité. Et
dans une société comme celle du Gabon des années 80-90, où la
génération post-indépendance se trouvait plus que jamais en
bute avec les phénomènes d’acculturation et de détournement
des valeurs traditionnelles, la question était loin d’être
éculée. Elle avait en effet permis de recentrer le débat sur
138
- DOUMA Dominique ; acteur et metteur en scène de la Troupe Nationale
du théâtre gabonais. Entretien recueilli par nous en 1992, lors de la
préparation de notre Mémoire de Maîtrise.
198
la perte des valeurs et des repères socioculturels, ce qui
constituait une véritable préoccupation au sein des élites
culturelles gabonaises. Car l’omniprésence et le matraquage
orchestré par des types culturels d’importation à travers les
médias internationaux, ont fini par laisser en désuétude la
culture identitaire du pays.
Le théâtre et aussi le roman africain (et dans une
certaine
mesure
le
cinéma),
ont
largement
exploité
la
thématique de la déstructuration des sociétés africaines, à
cause, soit du déni affiché par certains vis-à-vis de leurs
cultures et leurs traditions jugées obsolètes ou arriérées,
soit
à
cause
de
la
perversion
de
certains
faits
caractéristiques de celles-ci.
4.2.2- Les autres cultes :
Dans le monde traditionnel africain, si le culte des
ancêtres
constitue
religieuse,
le
d’autres
fait
formes,
principal
d’autres
de
l’expression
types
de
cultes
participent cependant du monde des croyances traditionnelles,
et
qui
prennent
croyances
le
statut
soulignent
un
de
religion
aspect
de
dès
lors
foi,
et
que
ces
qu’elles
s’accompagnent d’une conviction intime. Il en est ainsi des
sociétés
animistes
qui,
chez
les
africains
se
confondent
généralement aux sociétés fétichistes.
A côté des cultes dits des ancêtres, certains cultes,
dont
les
exemple,
cultes
réservés
appartiennent
exclusivement
également
à
aux
l’univers
femmes
par
religieux
africain. Nous pouvons ainsi évoquer par exemple les rites
féminins /MEVOUNG/, le /NDJEMBE/, le /ILOMBO/ ; ou pour les
hommes le /MELAN/, le /SOH/, le /MOUBOUANG/, le /NDJOBI/,
l’/OKOUKWE/, etc. Si tous ces cultes présentent un caractère
exclusif et sexué, ils sont toutefois exécutés et pratiqués
199
pour le bénéfice de la communauté entière (c’est du moins ce
qui
se
faisait
à
l’origine
de
ces
cultes,
car
on
a
pu
observer depuis quelques décennies, un véritable détournement
des rites et des cultes ancestraux. Nous y reviendrons.).
La récurrence à travers la production théâtrale, des
thèmes en rapport avec les croyances constitue un signe de
cette relation particulière que l’africain entretient avec
les phénomènes de religiosité et de mysticisme. Il est clair
que si beaucoup d’africains avouent aujourd’hui ne pas croire
en Dieu (dans le sens où l’entendent le christianisme ou
l’islam), ils restent pourtant fondamentalement attachés aux
religions et aux croyances traditionnelles.
Les raisons qui justifient cette attitude quelque peu
paradoxale sont le plus souvent à rechercher dans l’histoire
personnelle
des
individus, ou
dans
le
vécu
collectif
des
communautés d’origine de ceux-ci.
4.2.3- Cultes et expression du mode de vie :
Nous
avons
observations
qu’il
établit
existait
à
travers
une
les
multitude
de
précédentes
formes
de
croyances en Afrique. Ces croyances constituent l’ensemble de
l’univers
des
religions
dites
traditionnelles
(auxquelles
l’adjectif séculier est volontiers attribué). Celles-ci ont
joué, et jouent encore un rôle fondamental dans la vie des
africains.
La
christianisation
populations
n’ont
pas
réussi
et
à
l’islamisation
faire
disparaître
des
ces
croyances qui, pour la plupart coexistent avec l’un ou avec
l’autre.
D’ailleurs, lorsque l’on interroge certaines personnes
qui se disent à la fois chrétiennes et bwitistes par exemple,
ils
affirment
incompatibilité
ne
à
trouver
pratiquer
aucun
les
200
inconvénient ;
deux.
A
ce
aucune
propos,
le
témoignage d’un prêtre et homme de lettres gabonais, l’Abbé
Noël NGOUA, est édifiant. « Enfant, nous apprend-il, j’ai été
élevé au sein d’une famille où les traditions de mon peuple
avaient force de loi. Arrivé à l’adolescence, j’ai donc été
initié comme tous les jeunes de ma tribu, aux différents
rites et cultes qui devaient nous permettre d’entrer dans
l’univers des hommes. Cependant de mon côté, vers l’âge de
dix
ans,
ayant
été
inscrit
à
l’école
élémentaire
de
mon
village tenue par la congrégation des Pères du Saint-Esprit,
j’avais ressenti au contact des missionnaires quelque chose
de profond, et que je ne pouvais expliquer.
Plus tard, c’est au moment d’entrer au collège que les
choses se précisèrent pour moi. Je réalisai avec une certaine
angoisse que mon destin allait à tout jamais prendre une voie
que les miens allaient avoir beaucoup de mal à comprendre. Je
fus moi-même effrayé à l’idée de trahir en quelque sorte le
pacte
que
j’avais
scellé
avec
les
miens
à
travers
les
initiations que j’avais subies. Contre toute attente, ce fut
mon grand-père qui dissipa en moi les doutes et les peurs qui
me retenaient. Il m’assura en effet que de son point de vue,
il n’y avait aucune incompatibilité à être chrétien et à être
fidèle aux cultes auxquels j’avais été initié. Pour lui, dès
lors que la religion des blancs nous apprenait l’amour et la
charité envers les autres, elle méritait sans doute qu’on s’y
intéresse. Entré au grand séminaire, j’allais puiser dans les
enseignements traditionnels toute la force et l’énergie dont
j’avais besoin pour renforcer ma foi catholique, et endosser
le rôle de prêtre que j’assume encore aujourd’hui depuis près
de trente ans. »139
C’est dans ce même esprit que le dévot musulman du fin
fond du Mali ou du Sénégal trouve une réelle harmonie à
139
- L’Abbé Noël NGOUA ; Ces propos que nous résumons ont été tenus lors
de la sortie en 1995, de son livre sur l’église au Gabon.
201
invoquer les dieux de ses ancêtres tout en priant le Dieu
révélé par le prophète Mahomet.
Dans les textes de Sony LABOU TANSI par exemple, ce qui
apparaît pour beaucoup comme un paradoxe, est diversement
représentatif de la situation de la majorité des africains
aujourd’hui
dans
leur
rapport
au
sacré
et
au
monde
de
l’ésotérisme ou du surnaturel. Dans Antoine m’a vendu son
destin, la didascalie de la scène I dite scène-genèse du
Tableau
I,
donne
la
mesure
de
l’atmosphère
générale
qui
prévaut dans le texte, concernant l’attitude des africains
vis-à-vis des phénomènes religieux ou ésotériques :
« Dans le bureau où Antoine traite ses affaires les
plus secrètes.
Lumière ronde qui descend du plafond.
Noir autour.
Objets de culte.
Symboles. Armoiries.
Deux hommes entrent. Etendent leurs nattes. S’asseyent.
Se taisent un long moment. Toussent à tour de rôle.
Trois fois.
Chaque fois un peu plus fort. Sans se regarder.
(…) »140
Un regard sur certains termes (par nous mis en gras) de
cette
didascalie
permet
de
saisir
l’importance
des
faits
religieux et la place de certaines pratiques cultuelles dans
l’expression des modes de vie. On note en effet, d’après ce
que l’on peut lire dans ce paratexte, que vie privée (les
questions de croyance et de religion étant du domaine privé)
et vie publique (politique) peuvent souvent se confondre au
point de ne plus représenter qu’une seule et même réalité,
pour certains individus. Aussi, les éléments dont s’entoure
Antoine (objets de culte – symboles – armoiries – nattes –
140
- LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin, Paris, Editions
Acoria, 1997 ; p.17.
202
lumière
ronde) ;
compagnon
(Deux
le
rituel
hommes
auquel
–
entrent
il
se
livre
avec
son
Etendent
leurs
nattes
–
S’asseyent – Toussent à tour de rôle – trois fois –Sans se
regarder. La mise en relief des termes lumière et noir dans
« la lumière ronde » et du « noir autour ») ; l’atmosphère
même
de
rituels
la
pièce,
ne
sont-ils
magico-mystiques
ou
pas
sans
évoquer
ésotériques
en
certains
vigueur
dans
certaines sociétés secrètes occidentales. Plus loin, dans la
déclaration que Le Prince Antoine compte offrir à son peuple
et
au
monde
(pour
entier
expliquer
sa
démarche
sacrificielle), la référence à ces sociétés logistes dites
savantes
est
clairement
caractéristiques
donnée ;
négatives
et
avec
néfastes
que
toutes
ces
les
sociétés
portent dans l’entendement des couches populaires africaines.
C’est son complice dans la forfaiture qui est chargé de
délivrer ledit message :
RIFORINI (…) « Pour haute trahison de la liberté du
salut
et
de
l’indépendance
l’inqualifiable,
le
démon
nationaux,
en
chef
l’ange
de
Babylone
tous
les
démons,
de
Antoine, traître patenté à toutes les traîtrises imaginables
commandant de tous les génies malfaisants adjoint logique de
Lucifer (…)
(…) athée grand maître de l’ordre international de la
naïveté, haut commandeur de la loge des idiocrates et de la
médiocrité internationale interne. »141
Pour beaucoup d’africains, il n’y a pas une véritable
opposition entre les différents systèmes de croyances ou de
religions ; tout au plus de la complémentarité, sinon une
forme de hiérarchie. Cette hiérarchie peut se comprendre en
partant du fait que les cosmogonies africaines établissent un
ordre
de
religions.
141
préséance
Les
au
génies
sein
et
du
les
- Op. Cit. p.17 et 18.
203
panthéon
mânes
des
des
différentes
ancêtres
forment
l’avant-garde de cette multitude, alors que des Esprits ou
des Etres supérieurs en constituent le sommet.
Qu’on le désigne par Allah ou Dieu, il est pour les
africains le plus grand des esprits ; celui qui commande à
toute la création. Il est, selon une formule incantatoire de
certains rites féminins Fang, « celui sans qui rien n’est, et
par qui tout est ».
Au regard de la vision que donnent les africains de la
chose religieuse, on peut trouver aussi bien des références
au Dieu des chrétiens ou des musulmans, que des invocations
concernant les dieux « païens ». Dans l’indication de jeu de
scène (page 17) de la scène un du premier tableau d’Antoine
m’a vendu son destin142, on peut lire « objets de culte » ; il
est
cependant
impossible
appartiennent
l’indication
ces
de
objets.
jeu
de
de
dire
De
même,
scène,
les
à
quel(s)
dans
la
culte(s)
suite
« symboles »
et
de
les
« armoiries » dont il est fait référence ne permettent pas
non
plus
religieuse
de
situer
des
de
manière
protagonistes.
rigoureuse
Cette
l’appartenance
imprécision
perdure
jusqu’au moment où l’échange de propos entre deux personnages
de
la
pièce
de
d’indissociabilité
Sony
LABOU
qui
existe
TANSI
de
montrent
plus
en
le
degré
plus
dans
l’inconscient religieux des africains, entre le Dieu unique
des religions monothéistes et la multitude de dieux proposés
par
les
autres
systèmes
religieux,
en
l’occurrence
les
systèmes de croyance traditionnelle :
YOKO-AYELE.- Madame, n’attirez pas la méchanceté et la
jalousie des éléments sur votre fils : il n’y a pas dans
l’univers plus jaloux que le soleil.
FERRUCIANI.-
Ho !
Dieu
me
pardonne.
Eloignons-nous :
Antoine a besoin de repos. Bonne nuit mes entrailles. Que
142
- LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin, Paris, Editions
Acoria, 1995.
204
tous
les
dieux
vous
accordent
miséricorde
et
amitié.
Mon
soleil bien allumé…
YOKO-AYELE.- (…) Il est sorti de l’usine de Dieu sans
la moindre défectuosité.143
Le propos de ces deux femmes illustre bien cette vision
ambivalente
que
les
« religions
venues
africains
manifestent
d’ailleurs ».
C’est
vis-à-vis
comme
si,
des
sans
réellement remettre en question la performance de ce Dieu que
leur
ont
imposé
les
occidentaux
et
la
colonisation,
les
africains préféraient d’abord s’assurer la bienveillance de
leurs dieux familiaux et personnels ; plus proches et peutêtre
parce
que
plus
au
fait
de
leurs
soucis,
avant
de
s’adresser à l’Esprit suprême ; au Dieu des temps nouveaux.
C’est dans ce même ordre d’idées que, à la page 18, Riforoni,
un autre personnage de la pièce, fait référence, sans les
nommer
directement,
aux
sociétés
secrètes
du
type
Franc-
maçonnique ou Rosicrucienne :
Riforoni.- (il continue) « … (…) athée grand maître de
l’ordre international de la naïveté, haut commandeur de la
loge
des
idiocrates
et
de
médiocrité
internationale
interne. »
On le voit bien, la profusion des systèmes et des modes
de
référence
au
sacré
ou
au
mystique
marque
l’attitude
ambivalente que nous avons suggérée plus haut. Et il semble
que,
pour
les
africains
qui
ont
choisi
cette
sorte
de
syncrétisme, l’abondance de croyances et de rites cultuels ne
risque pas de nuire aux objectifs qui fondent tout système
religieux à savoir, mettre l’homme en harmonie avec soi-même,
et avec le cosmos. Mais dans la situation actuelle d’une
Afrique livrée aux pires avanies de l’histoire, les croyances
religieuses et les autres formes de rituels magico-mystiques
prennent de plus en plus d’importance dans la vie quotidienne
143
- LABOU TANSI Sony : Antoine m’a vendu son destin ; Paris éditions
Acoria, 1997. P. 18.
205
des africains. Mais nous verrons plus tard qu’il y a lieu de
s’interroger sur la portée sociologique et culturelle de cet
intérêt grandissant pour certaines formes de rituels.
Cependant, sans entrer dans le détail, on part ici du
principe
que,
les
unes
comme
les
autres,
toutes
ces
religions, toutes ces « philosophies », enseignent avant tout
l’amour et le respect de l’autre, l’amour et le respect de la
nature ;
de
l’environnement ;
la
nécessité
de
préserver
l’équilibre entre l’homme et le cosmos. Pourtant, de leur
point
de
vue,
les
religions
traditionnelles
ont
ceci
de
particulier, c’est qu’elles proposent à l’homme avant toutes
choses, de se connaître soi-même, par une sorte de voyage
introspectif où le néophyte va à la rencontre de son être
essentiel et des esprits de ses ancêtres afin de connaître
aussi bien son passé que son avenir. C’est à cela que sert la
manducation
ébogha),
de
qui
substances
permettent
psychotropes
aux
comme
postulants
l’ibogha
d’effectuer
(ou
ledit
voyage au cours duquel ils vont entrer en contact avec les
ancêtres fondateurs du clan. C’est également au cours de ce
voyage que le nouvel initié va découvrir l’origine des maux
et des désordres qui le perturbent personnellement, ou qui
perturbent
sa
communauté.
Dans
certains
cas,
ces
séances
peuvent aussi avoir pour but de soigner des malades que la
médecine moderne n’a pas su guérir.
Nous n’avons pas voulu donner ici une taxinomie de ces
mouvements
religieux ;
notre
propos
tend
seulement
à
en
dégager quelques aspects fondamentaux, dont le but est de
nous
permettre
d’avoir
une
certaine
approche
de
la
religiosité et de la pensée sociale de l’africain.
De manière générale, l’homme africain vie une relation
assez
particulière
cependant
dire
si
avec
les
le
fait
peuples
religieux.
africains
On
sont
ne
peut
plus
que
d’autres, plus religieux ou pas. On peut juste noter une
sorte
de
résurgence
du
religieux
206
dans
la
construction
de
l’individu.
En
bien
ou
en
mal,
l’africain
se
tourne
de
manière presque instinctive vers ce qui le détermine, c’està-dire
la
croyance
ou
la
religion
reçue
de
sa
culture
traditionnelle. A cet effet, la conscience d’appartenir à un
groupe,
à
une
communauté
socioculturelle
est
toujours
synonyme d’appartenir à une forme spécifique de croyance ; à
une religion. Cela peut entre autre, se traduire par le port
d’amulettes
caractéristiques,
ou
par
des
signes
ou
des
marques visibles sur le corps des adeptes (c’est le cas au
Gabon
des
adeptes
du
Bwiti
(selon
le
rite
Tsogho),
qui
portent un double losange scarifié à l’intersection du bras
et
de
l’avant-bras
peuples
Fang
en
gauche,
général,
au
les
niveau
du
initiés
coude.
de
Chez
certains
les
rites
portent des scarifications sur les poignets, les épaules, la
base du cou ou entre les omoplates, à la base des reins et
sur la face extérieure des pieds. Les Téké du Gabon et du
Congo arborent quant à eux quatre traits scarifiés de chaque
côté du visage, au niveau des tempes. Ces signes peuvent se
retrouver dans d’autres groupes socio-ethniques car ils sont
surtout
le
symbole
d’une
initiation
accomplie
chez
les
individus qui les portent, et qui scellent leur vie à celle
de leurs coreligionnaires). Dès lors, les comportements au
quotidien
de
l’individu
vont
prendre
les
marques
de
son
appartenance religieuse ; dans son rapport à autrui ; dans sa
vie
propre,
mais
environnant.
assujettie
système
de
aussi
Ainsi,
aux
dans
la
vie
interdits
croyances
sa
et
relation
des
aux
avec
« initiés »
tabous
religieuses
à
le
milieu
est-t-elle
prescrits
travers
par
le
lesquelles
l’individu s’identifie.
Certains
usages ;
certaines
attitudes,
à
l’origine
voulues par les systèmes de croyances ont quelquefois fini
par prendre un caractère profane, commun, mais dont la portée
et les valeurs symboliques restent à rechercher dans le fond
culturel des peuples.
207
Eu égard à tout ce qui précède, on peut retenir que la
vie des populations africaines est en général tributaire des
systèmes de croyances religieuses. Celles-ci organisent et
déterminent les structures sociales, les mœurs et les modes
de
vie.
Elles
influent
sur
les
tissus
économiques
et
politiques qui eux-mêmes, définissent le cadre et les termes
des échanges avec l’extérieur.
Sur un autre plan, on sait qu’en matière de croyance,
la société traditionnelle distingue dans son fonctionnement,
des
cultes
appartenant
à
l’univers
féminin,
des
cultes
réservés exclusivement aux hommes. Du point de vue de ces
rites féminins par exemple, un ensemble de préceptes établit
pour la femme des droits et des devoirs envers sa communauté.
C’est que lors de leur initiation, les femmes sont à jamais
liées
par
un
serment
d’obéissance
et
de
soumission
au
règlement et aux lois établies par leur culte. On observe à
ce niveau un réseau complexe d’us et de coutumes qui font de
la femme la dépositaire de l’ordre social, car elle incarne
la force et la continuité du clan et de la communauté. Mais
paradoxalement, les mêmes systèmes de croyances font de la
femme un être presque entièrement défini par son rapport à
l’homme ; l’assujettissant par là même à la communauté. Ce
paradoxe se manifeste notamment par le fait que c’est l’homme
qui décide dans tous les cas de la vie et de l’avenir de la
femme, alors qu’elle est elle-même souvent enjeu d’alliances
stratégiques
en
même
temps
que
le
garant
de
la
position
sociale au sein du clan de l’homme.
Les cultes et les croyances religieuses apparaissent
ainsi
intimement
liés
à
l’expression
du
mode
de
vie
des
africains.
Car si la religion enseigne à l’homme, l’origine de son
groupe social, elle lui donne aussi un cadre de vie moral et
culturel ; car le contenu de ce qui est cru détermine aussi
bien les pratiques sociales que le fait même de croire. De
208
fait, selon Claude RIVIERE « Toute religion (…) suppose d’une
part, des relations des hommes aux dieux, associées parfois à
des techniques (mortification, yoga, méditation, jeûne) ou à
des institutions (monachisme, chamanisme), d’autre part, des
relations des dieux aux hommes dans un cadre rituel. Les
rites sont à considérer comme un ensemble de conduites et
d’actes répétitifs et codifiés, souvent solennels, d’ordre
verbal,
gestuel
et
postural,
à
forte
charge
symbolique,
fondés sur la croyance en la force agissante d’êtres ou de
puissances
sacrées,
avec
lesquelles
l’homme
tente
de
communiquer en vue d’obtenir un effet déterminé. Certaines
pratiques mystiques donnent l’impression de ce rapport entre
les forces surnaturelles et les hommes : par exemple, les
miracles, les oracles, les possessions »144
Ainsi, le personnage du théâtre africain – à l’instar
du personnage romanesque – est un personnage de traditions.
Ils obéissent tous les deux, à un ordre social fondé sur les
croyances religieuses plus ou moins validées par la réalité
économique
et
politique,
et
par-dessus
tout,
historique.
C’est ce que confirme ce propos de Georges NGAL, au sujet des
sociétés
africaines
islamisées :
« Tous
les
personnages
africains sont affectés par le passé (islamique) qui leur
donne leur marque identifiante dans le monde dans lequel ils
évoluent. »145
144
- RIVIERE Claude : Socio-anthropologie des religions ; Paris, Armand
Colin, 1997, p. 81.
145
- NGAL Georges : Création et rupture en littérature africaine ; Paris,
l’Harmattan, 1994. p. 85.
209
III° PARTIE : LA SOCIETE MODERNE
DANS LE THEATRE D’AFRIQUE CENTRALE.
210
CHAPITRE V : LE CONTACT DES CULTURES.
Une approche globale de la littérature africaine écrite
de
l’époque
coloniale
jusqu’aux
indépendances,
donne
très
souvent à voir une description de la réalité coloniale. Il
s’agit en effet de la révélation d’un passé historique où
l’on découvre les transformations qui sont apparues au moment
de la rencontre des cultures africaines et européennes.
C’est
une
expérience
commune
à
tous
les
peuples
d’Afrique Noire, face aux puissances coloniales et à leurs
efforts
pour
« civiliser et
développer »
les
territoires
occupés.
Le
travail
de
reconstitution
de
ce
passé
colonial
révèle un ensemble d’actions et de réactions dont témoignent
justement les auteurs africains. C’est en effet la perception
africaine des changements intervenus dans leurs sociétés, et
ce dès les premiers contacts, qui est prise en charge par les
écrivains. Cristallisant tout à la fois les douleurs, les
souffrances,
les
l’acceptation
de
valeurs
difficultés
plus
différentes,
en
d’adaptation
plus
consciente
l’écrivain
africain
mais
d’un
et
aussi
système
de
singulièrement
l’homme de théâtre, montre en quelque sorte le point de vue
de ses congénères. Ulrike SHUERKENS énonce à ce propos que :
« Les
écrivains
décrivent
un
univers
social
en
transformation, des choix compatibles et incompatibles avec
un autre système social, ainsi que des heurts, des ruptures
et
des
symbioses.
Ils
nous
font
voir
ce
processus
de
changement dans le temps, et, selon les fonctions occupées
par les Africains : chef, travailleur, « évolué », étudiants,
prêtre
ou
autres.
Les
fréquentation
de
situations
contact
de
auteurs
l’école
qui
étaient,
européenne,
arrivent
à
de
par
sensibilisés
relier
les
deux
à
leur
des
univers
sociaux, à montrer les rapports sociaux selon un point de vue
211
qui véhicule à la fois un savoir africain et des critères
empruntés aux univers sociaux occidentaux. Le public ressent
l’ensemble de ces transformations, car ces écrivains lui font
comprendre ces événements, et par là- même, des aspects issus
de la fusion avec une tradition différente et d’une insertion
dans
une
Histoire
autre.
(…)
(Ils)
transcendent
la
particularité d’une culture autochtone et visent à témoigner
d’une transformation qui, dans un laps de temps de quelques
décades,
a
confronté
l’Africain
à
des
différentes de celles qu’il connaissait. »
cultures
très
146
Pour appréhender la notion de contact des cultures,
telle qu’elle est perçue par l’écriture dramatique d’Afrique
Centrale,
plusieurs
possibilités
s’offrent
à
notre
perspective de lecture. Et à l’intérieur de l’échantillon de
textes qui constitue notre corpus, deux auteurs ; le gabonais
Vincent de Paul NYONDA et le congolais Tchicaya U TAMSI sont
ceux qui abordent nommément la question du premier contact
des cultures effectué entre des populations africaines, et
des occidentaux.
Si chez NYONDA, Bonjour Bessieux et Deux albinos à la
M’Passa
figurent
caractérisé
traités
l’une
des
l’acquisition
euro-africains,
des
la
trois
modalités
territoires à
conquête
qui
ont
savoir,
les
missionnaire
et
la
pénétration de l’administration coloniale ; ces modalités y
apparaissent sous des formes pacifiques.
Chez U TAM’SI avec Le Zulu, c’est l’autre versant de la
conquête
européenne
conquête
militaire
qui
qui
se
manifeste ;
dans
certains
il
cas
s’agit
avait
de
la
souvent
précédé l’administration colonialiste.
Militaire ou pacifique, ou encore les deux à la fois,
la
conquête
coloniale
qui
va
avoir
d’importantes
répercussions au sein des communautés traditionnelles s’est
146
- SHUERKENS Ulrike ; La colonisation dans la littérature africaine,
Paris, l’Harmattan, 1994 ; pp. 239-240.
212
opéré
à
partir
de
trois
formes
essentielles
de
traités.
Globalement, on a donc :
A – Les traités bilatéraux :
Passés
entre
deux
puissances
européennes
en
concurrence dans une région donnée ; l’une des deux renonce à
toute revendication sur un territoire délimité si possible
par des éléments topographiques et reconnaît ainsi les droits
de la puissance rivale. Il s’agissait plus généralement pour
les européens de se neutraliser mutuellement, afin que chaque
nation
colonisatrice
« gâteau
puisse
africain »,
jouir
ainsi
que
en
toute
l’affirmait
quiétude
Léopold
du
II :
« Nous devons agir avec prudence, car nous ne pouvons nous
risquer de nous quereller avec les anglais, mais nous ne
pouvons pas non plus « laisser échapper une bonne occasion de
nous
procurer
une
part
de
ce
magnifique
gâteau
africain ». »147
B – Les traités euro-africains :
Signés
entre
responsables
politiques
africains
et
émissaires européens, ces textes sont généralement ratifiés
ultérieurement
en
métropole.
Obtenus
dans
des
conditions
suspectes et frauduleuses, les dits traités n’ont souvent
aucune valeur légale. Ils sont la manifestation parfaite de
l’état d’esprit qui prévaut à l’époque en Europe, où l’on
n’accorde
qu’une
valeur
toute
relative
à
la
personnalité
morale et intellectuelle de l’homme noir. Ici, une simple
croix apposée au bas des documents par l’indigène donné comme
interlocuteur
suffisait
pour
faire
main
basse
sur
les
territoires convoités.
147
- WESSELING Henri : Le partage de l’Afrique : 1880-1914 ;
Editions Denoël ; Coll. Destins Croisés, 1996 ; p. 126.
213
Paris,
Au-delà de la validité des traités, on peut aussi noter
le caractère contestable de la nature des relations qui vont
se nouer entre africains et européens. Beaucoup de non-dits
du
point
de
vue
des
occidentaux
entourent
en
effet
les
différentes requêtes qui pour la plupart, se limitent à la
demande d’acquisition d’une parcelle où les nouveaux venus
allaient
Bonjour
construire
soit
Bessieux),
simplement
un
soit
relais
une
un
sur
église
(c’est
comptoir
les
de
voies
le
commerce,
de
cas
dans
ou
tout
circulation
des
explorateurs (c’est ce que propose Savorgnan de Brazza aux
villageois des bords de la M’Passa dans Deux albinos à la
M’Passa). Exploration et conquête coloniale apparaissent, à
plus d’un titre, comme des étapes d’un même processus où,
l’argumentation
témoignait
développée
davantage
de
par
les
cupidité
et
uns
et
de
la
les
autres,
recherche
du
profit, que de piété ou d’un quelconque humanisme.
C – Les guerres de conquête :
Dues
aussi
européens
qu’au
bien
à
refus
l’ambition
des
de
certains
africains
de
officiers
négocier
un
amoindrissement de leur souveraineté, les guerres de conquête
résultent aussi souvent du caractère ambigu des traités.
Ce sont là, les trois modalités principales qui ont
caractérisé
le
traditionnelle
contact
dite
des
cultures
arriérée
et
entre
barbare,
l’Afrique
et
l’occident
« civilisé ». Le contexte sociologique qui caractérise ces
trois
phases
africain
africaine,
a
de
l’expansion
diversement
dans
les
européenne
été
rendu
sur
par
la
formes
où
cette
violente,
la
conquête
le
continent
littérature
expansion
s’est
effectuée.
Pacifique
ou
coloniale
de
l’Afrique par l’occident a laissé des traces indélébiles dans
les us et coutumes des populations africaines.
214
De
ce
contact,
dans
le
cas
de
l’Afrique
Centrale
(francophone), ont en effet surgit des univers sociologiques
multiples, dont les points d’encrage sont aujourd’hui, pour
bon
nombre
d’entre
eux,
la
christianisation
et
la
scolarisation, entraînant un profond bouleversement des modes
de vie, des institutions sociales, politiques et économiques.
Sans
véritablement
porter
de
jugement,
mais
avec
parfois un parti pris à peine dissimulé, NYONDA et TCHICAYA,
ainsi
que
beaucoup
d’autres
auteurs
donnent
à
lire
d’une
part, l’accueil fait aux européens en Afrique, et d’autre
part, les situations d’incompréhension et d’incommunication
qui en découlèrent.
Chez
NYONDA,
plutôt
fraternel.
bonnes
intensions,
la
rencontre
Les
se
autochtones
mais
les
passe
dans
apparaissent
européens
semblent
un
climat
pleins
de
déjà
ce
à
niveau, fausser les véritables raisons de leur présence en
Afrique. La nature des traités signés montre en effet que
l’on est en présence d’un véritable marché de dupes car :
« leur statut est plus qu’ambigu : traités « d’alliance » ou
« d’amitié » pour les Africains, ils sont présentés en Europe
comme
des
traités
de
« protectorat »
par
lesquels
les
Africains abandonnent tout ou partie de leur souveraineté.
C’est
la
principale
limite
de
la
négociation :
souvent
obtenus dans des conditions suspectes, voire frauduleuses,
ces accords ont rarement la valeur légale souhaitable. La
remarque vaut aussi pour les traités bilatéraux européens,
puisqu’ils ne tiennent pas compte de l’avis des Africains
concernés. »148.
Du côté du zulu, la venue prochaine des européens est
vécue comme un funeste présage. Chaka, chef des guerriers
zulu,
appréhende
à
juste
titre
l’arrivée
de
« ceux
qui
viennent de la mer. »
148
- HUGON Anne : Introduction à l’histoire de l’Afrique contemporaine ;
Paris, Armand Colin, 1998 ; p. 16.
215
A travers ces trois textes (Deux albinos à la M’Passa,
Bonjour Bessieux et Le Zulu), nous voyons se poser les bases
de ce qui, des décennies durant, va engendrer cette Afrique
nouvelle tournée vers l’occident, et désormais en prise avec
ce qui est donné comme la modernité, par opposition à la
tradition
‘’absence
africaine,
de
que
culture ;
l’on
de
a
au
préalable
civilisation,
associé
archaïsme
à
et
sauvagerie’’.
Mais des problèmes sociaux spécifiques à l’Afrique sont
aussi traités, et rendent compte des rapports entre la ville
et le village ; des problèmes de dot, d’adultère, du conflit
des
générations,
du
charlatanisme,
etc.
Les
problèmes
politiques soulevés sont aussi des problèmes africains, qu’il
s’agisse de la corruption des élites politiques ou de simples
citoyens,
ou
même
de
l’absurdité
et
de
la
férocité
des
régimes dictatoriaux issus des indépendances.
5.1 – Les formes de la conquête impérialiste :
La colonisation de l’Afrique au début du XXème Siècle
(1910 de manière générale), par l’Europe intervient dans une
situation
globale
de
crise,
et
selon
l’historienne
Anne
HUGON, « L’une des explications tiendrait dans l’inégalité
des rapports de force entre les deux continents. D’un côté,
une
Europe
triomphante,
technologiquement
politiquement
dominante.
En
face,
stable
une
et
Afrique
économiquement affaiblie, politiquement éclatée ou déclinante
et technologiquement stagnante. (…) Il est vrai, par exemple,
que la traite des esclaves a porté atteinte à la vitalité
démographique et économique de certaines régions, obligées en
outre de se reconvertir après l’interdiction de la traite par
plusieurs puissances européennes (à partir de 1815). Mais si
la théorie de la crise s’applique effectivement à certains
216
secteurs ou pays, de nombreux exemples la prennent à défaut.
De
plus,
l’Europe
économique
qui
vers
188O
conduit
traverse
également
une
à
grave
récession
relativiser
l’image,
trompeuse, du « pot de terre contre le pot de fer. »149
Au cœur du processus de colonisation, les explorateurs,
les officiers militaires et les missionnaires vont jouer un
rôle
de
premier
ordre
sur
le
plan
de
l’installation
des
européens en Afrique. Les différentes nations impérialistes
européennes
ont
développé
chacune
un
mode
différent
de
conquête et d’occupation de territoires ; pondéré ici, ou
brutal
ailleurs,
selon
l’attitude
hostile
ou
non
des
populations autochtones.
Dans
le
bassin
s’était
manifestée
certain
d’après
de
du
Congo
où
le
XVIIème
depuis
nombreux
la
présence
siècle,
témoignages
que
française
il
la
apparaît
rencontre
entre les natifs et les explorateurs n’ait pas véritablement
donné lieu à des situations de conflit comme il s’en était
produit en Afrique de l’Ouest. Il semble tout au contraire
que
les
missions
d’exploration,
et
les
représentants
de
l’administration coloniale française aient souvent bénéficiés
d’une certaine considération de la part des chefs coutumiers.
L’historien
Henri
WESSELING
note
à
ce
sujet
que
« L’expédition de Brazza marqua le début d’un mode original
de
colonisation,
politique
ni
typiquement
commercial,
français,
mais
c’est-à-dire
romantique,
ni
militaire,
exotique, aventurier. »150 Nous le voyons dans ce texte de
NYONDA ; Deux albinos à la M’Passa, où, après la surprise et
l’inquiétude suscitées par ces inconnus à peau d’albinos, les
notables et les chefs des bords de l’Ogooué finissent par
signer avec De Brazza un traité d’amitié qui donne à la
France toute autorité sur la contrée. Ils concèdent également
149
- HUGON Anne : Introduction à l’histoire générale de l’Afrique ;
Paris, Armand Colin, 1998 ; p.9.
150
- WESSELING Henri : Le partage de l’Afrique. 1880-1914 ; Paris,
Editions Denoël, 1996, p. 122.
217
à l’explorateur la parcelle de terrain qu’il avait sollicitée
pour marquer cette possession. Si pour Henri WESSELING « On
ne peut pas dire que ces traités leur furent imposés par la
force »
parce
qu’ « ils
négociations »151 ;
à
donnèrent
l’évidence,
lieu
on
à
ne
de
peut
véritables
douter
de
l’ignorance des chefs africains des véritables contenus des
traités qu’ils signaient, ignorants à la fois de l’écriture,
de la lecture et de la langue dans laquelle s’exprimaient les
documents.
En
France
dès
les
années
1880,
l’impérialisme
est
ouvertement donné comme moteur de la conquête. Trois facteurs
ici justifient l’entreprise colonisatrice de la France.
-Sur le plan économique, la grande récession des années
1873-1895 amène plusieurs gouvernements européens à espérer
tirer profit de l’Afrique Noire.
-Sur le plan politique, l’équilibre des forces entre la
France (mal remise de la perte de l’Alsace-Lorraine) et la
Grande-Bretagne (soucieuse de préserver ses intérêts en Inde)
justifie l’intérêt que chacune de ces deux nations porte à
l’occupation et à la délimitation de zones d’influence ou de
protectorats en Afrique de manière générale.
-
Sur
le
plan
dit
« humanitaire »,
l’environnement
idéologique qui caractérise l’Europe à cette époque explique
à suffisance la dynamique de la conquête. En effet, d’après
Jules
FERRY,
fervent
défenseur
de
l’expansion
coloniale
française, « les races supérieures ont un devoir vis-à-vis
des
inférieures ».
races
De
fait,
comme
le
note
fort
justement Anne HUGON ; « l’Europe souffre d’un complexe de
supériorité qui, se déclinant entre racisme post-darwinien et
philanthropie paternaliste, lui donnerait, selon le cas, des
droit
ou
des
l’imaginaire
devoirs
occidental
envers
est
les
en
autres
train
peuples.
Or,
d’élaborer
une
hiérarchie des peuples dans laquelle les Africains occupent
151
- Op. Cit. p. 135.
218
la dernière place : de bonne ou (plus souvent) de mauvaise
foi, la « mission civilisatrice » y puise une inspiration au
demeurant
totalement
contredite
par
la
pratique
coloniale. »152.
Les différentes composantes que nous venons d’énumérer
au
sujet
de
la
France
concernent
aussi
bien
la
Grande-
Bretagne et l’Allemagne, que l’Espagne ou le Portugal. Car la
mainmise de l’Europe sur l’Afrique trouve son origine dans la
monté du phénomène de l’impérialisme. Nous pouvons à l’issu
de
cette
analyse,
retenir
que
trois
formes
d’actions
ont
singulièrement défini la conquête de l’Afrique.
5.1.1 – L’action des explorateurs :
L’exploration de l’Afrique continentale a longtemps été
l’affaire de quelques individus à l’esprit aventurier. Ainsi
que l’affirme Hubert DESCHAMPS, « Les causes principales des
explorations
curiosité,
avaient
goût
gouvernement
de
été
jusque-là
l’aventure
britannique
seul
y
et
surtout
de
avait
individuelles :
la
ajouté
renommée.
un
Le
souci
de
relations diplomatiques et commerciales. L’Afrique intéresse
encore
assez
peu.
Mais
les
grandes
explorations
qui
vont
suivre, surtout celle de Livingstone et de Stanley, largement
diffusées,
vont
attirer
l’attention
sur
le
continent
mystérieux et la traite des esclaves. Les Européens gardent
de ces lectures une impression de sauvagerie primitive : d’où
le désir d’introduire la civilisation et le christianisme. Et
aussi la croyance aux ressources infinies, qu’il convient de
mettre en valeur. »153 L’exploitation et la mise en valeur des
territoires
colonisés
furent
152
donc
les
objectifs
que
se
- HUGON Anne; Op. Cit. PP. 12-13.
- DESCHAMPS Hubert in Histoire Générale de l’Afrique Noire, de
Madagascar et des Archipels s.s Hubert DESCHAMPS ; Paris, P.U.F., 1971,
p.16
153
219
fixèrent les partisans de la colonisation. Voici, cité par
Henri WESSELING, ce qu’en dit en son temps le président de la
chambre de commerce de Lyon « Civiliser au sens moderne du
terme signifie apprendre aux gens à travailler pour pouvoir
acheter, échanger et dépenser »154
En Afrique Centrale équatoriale, les noms de Pierre
Savorgnan de BRAZZA, d’Henry Morton STANLEY ; les noms de
Paul
du
CHAILLU,
d’Alfred
MARCHE
et
de
son
compagnon
COMPIEGNE, ou encore ceux de David LIVINGSTON et de bien
d’autres
encore,
symboliques
constituent
de
cette
d’explorations.
Hubert
de
ce
période
DESCHAMPS
fait
de
des
figures
« découvertes »
affirme
encore
que
et
« La
grande ruée coloniale ne va se déclencher partout qu’après
1880. L’exploration se fait, de plus en plus, par équipes et
prend
une
allure
de
caravane,
puis
d’expéditions
militaires. »155.
La littérature africaine a souvent décrit cet épisode
de
son
histoire
en
montrant
le
rôle
actif
joué
par
les
explorateurs au service de leurs gouvernements. Parmi les
textes de théâtre de notre étude, Deux Albinos à la M’Passa
du gabonais NYONDA, est l’œuvre qui détaille sans doute le
mieux, le caractère particulier de ces voyages.
Pourtant, si les explorateurs ont ouvert les voies de
l’occupation coloniale de l’Afrique, c’est l’action menée par
les
missionnaires
consolider
et
continent,
à
catholiques
pérenniser
travers
la
la
et
protestants
présence
mise
en
qui
européenne
place
d’un
sur
ordre
va
le
social
nouveau.
La
quête
de
territoires
des
explorateurs
européens
était motivée avant tout, comme l’attestent les propos de
BRAZZA
s’adressant
aux
chefs
et
anciens
des
bords
de
la
M’Passa, par un besoin d’assurer l’exclusivité du contrôle de
154
- WESSELING Henri : Le partage
Editions Denoël, 1996. p. 126
155
- DESCHAMPS Hubert ; Id. p. 16.
de
220
l’Afrique.
1880-
1914 ;
Paris,
la région par les compagnies marchandes et l’administration
coloniale
rarement
françaises.
évoquée.
L’aspect
D’ailleurs
humanitaire
sur
le
n’est
terrain
et
que
très
dans
les
faits, l’accent est surtout mis sur le volet économique des
différents accords qui lient les populations africaines et
les
« représentants »
des
nations
européennes.
Ainsi
donc
comme le souligne Hubert DESCHAMPS, « en un siècle l’Afrique
avait été pénétrée et révélée. L’exploration avait ouvert la
voie au commerce et aux missions, puis à la colonisation,
avec
des
conséquences,
les
unes
passagères,
d’autres
durables, d’où devait sortir la transformation de l’Afrique.
Les explorateurs en furent les pionniers peu conscients, sauf
dans les dernières périodes où les buts politiques avaient le
pas sur la recherche de l’aventure. »156
5.1.2 – L’action missionnaire :
Le mouvement de colonisation de l’Afrique Centrale qui
accompagne les missions d’exploration a eu, entre autres,
pour principaux acteurs, ainsi que nous l’avons évoqué plus
haut, des missionnaires catholiques et protestants venus pour
la plupart de France, d’Angleterre, d’Espagne et du Portugal
et de Hollande.
Fidèles auxiliaires de leurs gouvernements et de leurs
administrations
respectives,
les
missionnaires
et
les
Eglises européennes de manière générale, ont joué un rôle
capital dans le processus d’endoctrinement et de soumission
des peuples africains au nouvel ordre politique et social
instauré par les puissances occidentales. C’est ce que nous
dit
Catherine
Africains
au
missionnaires
156
COQUERY-VIDROVITCH
XXème
siècle :
n’avaient
pas
dans
« En
peu
- Id. p. 19.
221
l’Afrique
quelques
contribué
à
et
les
années,
les
préparer
le
terrain aux expansionnistes coloniaux, les Pères Blancs de
Monseigneur LAVIGERIE en tête, qui visaient à l’origine à
concurrencer l’influence belge (tout aussi catholique) sur le
Haut-Congo. (…) leur privilège de premiers colons conduisit
rapidement
les
missionnaires
d’Afrique
Centrale
à
se
substituer à une administration inexistante et à légiférer en
toute matière comme s’ils étaient les maîtres du pays. »157
La
littérature
anglaise)
qui
africaine
décrit
cette
d’expression
réalité
française
sociale
est
(ou
pour
la
plupart, du domaine du roman. Mais le théâtre a aussi d’un
certain point de vue, abordé la question de la colonisation.
Concernant l’action missionnaire, notre corpus la situe sur
deux ordres essentiels :
-
Le
point
missionnaires
partisane,
européens
accepter
a
de
été
vue
social ;
d’instaurer
volontairement
en
Afrique.
Il
aux
africains
la
ici
une
distordue,
nécessité
la
en
de
rôle
certaine
de
s’agissait
le
vision
présence
effet
la
des
de
des
faire
présence,
mais
surtout de la domination européenne, en s’appuyant sur Les
Saintes Ecritures. Le discours évangélique tendait à montrer
que les africains avaient besoin du salut apporté par la
religion
chrétienne.
Car
comme
descendants
de
la
race
chamitique, ils portaient la malédiction des origines.
-
Sur
justifiaient
un
point
de
l’impérieuse
vue
culturel,
soumission
des
les
missionnaires
africains
par
le
fait que, jusque-là sans culture et sans Histoire, l’Europe
leur apporterait ses lumières, ce qui devait contribuer à les
humaniser, à les conduire vers un statut « d’êtres évolués »
ou
pas,
selon
qu’ils
intégraient
ou
non,
les
principes
élémentaires des canons occidentaux de la vie. L’instauration
de la scolarisation allait de ce fait constituer l’un des
157
- COQUERY-VIDROVITCH Catherine : L’Afrique et les Africains au XXème
Siècle. Mutations, révolutions, crises. Paris ; Armand Colin, 1999 ;
p.224.
222
moteurs essentiels de ce processus de création du nouvel être
africain.
Ainsi donc, c’est dans le cadre de la scolarisation que
l’action missionnaire va exercer la part la plus importante
de
son
influence.
observées
de
S’appuyant
l’oralité
sur
qui
des
méthodes
constitue
la
localement
base
de
la
transmission des connaissances, les prêtres et les pasteurs
vont utiliser comme véhicule d’enseignement des préceptes du
christianisme, la médiation du théâtre. Car le jeu de scène
est en Afrique, un des espaces de transmission des savoirs
par
excellence.
A
ce
titre,
le
rôle
des
missionnaires
s’avérera essentiel dans le processus de renouvellement et
d’amplification
francophone.
A
du
fait
travers
théâtral
la
mise
en
en
Afrique
scène
des
Noire
mystères
bibliques, un double objectif était visé : christianiser les
populations et conforter l’idée de prééminence de la race et
de
la
culture
occidentales
sur
les
‘’traditions’’
des
indigènes africains.
Du
point
restructuration
de
du
vue
du
fait
renouvellement
théâtral
africain,
et
une
de
la
mention
spéciale peut être attribuée à l’Ecole Normale William Ponty
du Sénégal qui, au cours des années 1930 et sous l’impulsion
d’un de ses administrateurs, a suscité un engouement nouveau
pour les arts de la scène.
Mais l’action missionnaire en Afrique Noire francophone
n’est
pas
circonscrite
au
seul
niveau
de
l’histoire
des
conversions des peuples africains en tant que fait social ou
culturel. Elle est aussi devenue parmi d’autres faits, un
thème de réflexion littéraire que les écrivains ont abordé, à
l’instar d’autres faits de société.
Si en Afrique Centrale, les camerounais Ferdinand OYONO
et
MONGO
BETI
ont
fait
du
missionnaire
une
des
figures
majeures de leurs écrits romanesques, les gabonais Vincent de
Paul NYONDA et NDONG Damas ont pris pour thème d’écriture
223
dramatique, le processus de l’installation de l’Eglise en
Afrique
pour
le
premier ;
et
pour
l’autre,
la
notion
de
rédemption de l’homme à travers le sacrifice du Christ. Le
procès de Dieu de NDONG Damas (texte qui est malheureusement
resté inédit à ce jour), pose en effet le problème de la
notion de l’amour de Dieu pour l’Homme, et du paradoxe de la
responsabilité de celui-ci par rapport aux maux qui accablent
l’humanité, devant lesquels Il reste insensible.
Le procès intenté contre Dieu est, à n’en pas douter,
la
remise
fondement
en
question
de
la
de
religion
la
notion
de
chrétienne
rédemption,
et
partant,
du
de
l’existence même de Dieu comme créateur du genre humain et de
l’univers
tout
entier.
On
ne
peut
en
effet
comprendre
l’attitude impassible de cet Etre, qui reste insensible face
à la détresse et à la douleur de ses « enfants ». Si Dieu est
Amour, s’Il peut tout, d’où vient que le mal règne partout en
maître absolu ? La guerre, la famine, la maladie et toutes
sortes de fléaux ruinent l’humanité, sans que rien de tout
cela ne suffise à susciter la clémence du Très Haut. S’il
existe vraiment, pour les hommes c’est entendu ; Il est donc
le véritable responsable de tous ces malheurs qui frappent le
monde. C’est en substance ce que l’on peut retenir du Procès
de Dieu de NDONG Damas.
Concrètement, le colonialisme par le biais de l’action
missionnaire, a eu un effet plutôt inattendu dans le domaine
de la création artistique. Car, « en niant ou en étouffant la
culture africaine pour imposer celle du colon (…) a enrayé
toute
évolution
artistique.
Et
il
a
dévié
l’évolution
du
théâtre africain en imposant des critères occidentaux qui lui
retiraient
toute
spontanéité,
toute
liberté. »158.
Au
demeurant, l’activité théâtrale a trouvé un nouvel intérêt
158
- HENRY LELOUP Jacqueline ; ‘’Tradition et modernité dans le théâtre
africain : résolution d’une antinomie’’ in THEATRE AFRICAIN, Théâtres
africains ? Actes du colloque sur le théâtre africain ; Ecole Normale
Supérieure Bamako, 14-18 novembre 1988, p. 40.
224
auprès des masses populaires. Les fêtes chrétiennes et les
fêtes de fin d’années scolaires étaient toujours l’occasion
pour
les
acteurs
l’interprétation
classiques
de
amateurs,
des
la
de
épisodes
littérature
rivaliser
de
la
de
Bible,
française.
talent
ou
On
dans
même
joue
en
des
effet
Molière, Labiche, Courteline etc. Les cours d’écoles, les
places
de
villages
représentation,
car
sont
dans
transformées
la
définition
en
espaces
africaine
de
de
la
création dramaturgique, la notion de scène « à l’italienne »
n’existe pas ; pas plus que celle de spectacle payant, ou de
personnels de spectacle rémunéré à ce effet ne font partie de
la conception traditionnelle de la notion de jeu.
En somme donc, comme l’observe si bien le béninois Guy
Ossito MIDIOHOUAN, les premières manifestations de ce théâtre
d’inspiration européenne et introduit par les missionnaires,
datent
de
la
fin
représentations
pas
XIXème
du
très
siècle.
élaborées,
« Il
le
s’agissait
plus
souvent
de
sans
texte écrit, données lors des fêtes de fin d’année scolaire
et surtout lors des fêtes chrétiennes (Noël, Pâques). Les
spectacles
consistaient
en
une
mise
en
scène
de
certains
passages de l’Ecriture Sainte. (…). D’une façon générale, ces
représentations faisaient toujours une certaine place à la
culture africaine en s’inspirant par exemple de certaines
coutumes et traditions locales. Placées dans le cadre des
fêtes
de
fin
d’année
scolaire,
elles
étaient
données
en
français mais comportaient des chants et quelques fois même
(cela dépendait du public) des scènes en langue africaine.
Quant aux représentations données dans le cadre des
activités
d’une
paroisse
devant
un
public
non
scolarisé,
elles se faisaient exclusivement dans les langues locales
(…).
Ces
propagande
manifestations
religieuse
et
étaient
le
225
but
un
excellent
que
moyen
poursuivaient
de
les
organisateurs était de faciliter et d’accélérer le processus
de christianisation de « la population indigène ». »159
Ici, on le remarque bien, l’intérêt semble avant tout,
donné au plaisir du jeu, mais par-dessus tout au message
transmis par l’intermédiaire du texte représenté. Il s’agit
plus souvent de sketches ou de saynètes que de véritables
pièces
au
spectacles
sens
académique
réside
plus
du
terme.
La
valeur
fondamentalement,
dans
de
la
ces
pensée
missionnaire, à traduire les contenus idéologiques de leur
action, qu’à véritablement respecter les règles classiques de
la création théâtrale.
Comme
toutes
les
activités
intellectuelles
de
cette
époque, le théâtre subissait l’influence et le contrôle de
l’idéologie coloniale. A cet effet, Jacqueline HENRY LELOUP
précise encore que « les sujets de ces pièces nombreuses et
diversifiées
peuvent
être
classés
en
deux
groupes :
les
sujets religieux et les sujets profanes. Les premiers sont
plus nombreux : dramatisation de la vie de Jésus, de ses
paraboles, de la vie des saints et martyrs. Ces pièces sont
le plus souvent une illustration du cours Histoire Sainte ou
de Catéchisme. Elles étaient en fait une participation à la
christianisation. Les sujets profanes traitaient de l’amour,
du
mariage,
des
maux
sociaux
tels
que
l’alcoolisme,
la
misère, la sorcellerie. »160. S’il était à cet effet, de bon
ton
de
fustiger
ce
qui,
dans
la
vie
et
les
traditions
africaines, était perçu comme arriéré et barbare, il était
surtout de mise de donner comme seuls acceptables, les faits
de
la
civilisation
européenne,
qui
devaient
à
terme,
supplanter les coutumes africaines.
Autour des années 50 au Congo Brazzaville par exemple,
les
missionnaires
continuent
159
de
promouvoir
l’activité
- MIDIOHOUAN Guy Ossito ; L’idéologie dans la littérature négroafricaine d’expression française ; Paris, l’Harmattan, 1986, p. 79.
160
- HENRY LELOUP Jacqueline ; ‘’Tradition et modernité dans le théâtre
africain : la résolution d’une antinomie’’ in THEATRE AFRICAIN, Théâtres
africains ? Paris, Editions Silex, p. 40.
226
dramaturgique en ouvrant l’une des premières salles destinées
à
la
création
théâtrale.
Mais
cette
activité
reste
assez
localisée aux environs de certains centres urbains.
En définitive, au Gabon ainsi qu’au Cameroun, et comme
nous
venons
de
missionnaires
l’évoquer
qui
vont
pour
le
stimuler
Congo,
la
ce
sont
popularisation
les
d’une
certaine forme de création scénique. Ils donnent à celle-ci
une
orientation
volontairement
tournée
vers
les
principes
fondateurs de la pensée colonialiste.
5.1.3 – La pénétration coloniale :
L’occupation
façon
générale,
coloniale
s’est
de
développée
l’Afrique
à
subsaharienne
partir
des
trois
de
axes
essentiels que sont les missions d’exploration, les missions
de
christianisation,
et
l’occupation
coloniale
proprement
dite.
Pourtant, si le Royaume Uni avait fini par concéder à
l’idée d’expansion coloniale comme une véritable nécessité
économique et politique, la France restait circonspecte sur
la
question.
Elle
n’avait
pas
de
vocation
coloniale,
ni
davantage une idéologie coloniale. D’autant que, comme le
souligne l’historien néerlandais Henri WESSELING, « En 1870,
elle n’avait aucune raison de nourrir une telle vocation :
l’aventure mexicaine de Napoléon III s’était soldée par un
fiasco
et,
en
Algérie,
confrontée
à
une
responsables
politiques
l’administration
rébellion
français
coloniale
massive. »161.
ont
en
effet
était
Plusieurs
une
vision
plutôt pessimiste d’un tel projet et prônaient la prudence.
Mais très vite, sous l’action de deux groupes de pression ;
la marine et les géographes, une prise de conscience des
161
- WESSELING Henri ; Le partage
Editions Denoël, 1996, p. 30.
227
de
l’Afrique.
1880-1914.
Paris,
véritables enjeux d’une politique colonialiste allait donner
une formidable impulsion à l’idée de création et d’expansion
d’un
empire
reconquête
revanche
français
de
sur
compterait
au-delà
des
l’Alsace-Lorraine
l’Allemagne
bientôt
était
près
mers.
et
Car
d’une
absurde,
de
rêver
de
la
hypothétique
quand
quatre-vingts
celle-ci
millions
d’habitants. L’avenir de la France était outre-mer.
Cette idée trouve l’assentiment de l’économiste Paul
LEROY-BAULIEU, qui pense « qu’un peuple qui veut conserver sa
vitalité doit s’étendre et essaimer ». Pour lui, il était
incontestable
que
l’avenir
de
la
France
était
en
Afrique : « L’Afrique nous est ouverte… », conclu-t-il.
En
conséquence,
la
politique
de
colonisation
de
l’Afrique Centrale par la France est la conséquence logique
d’une situation de crise qui prévaut dans le pays après 1870.
Battue par l’Allemagne qui annexa l’Alsace et la Lorraine, la
France se devait de redorer son blason en se lançant à la
conquête de nouveaux espaces d’influence outre-mer. Ce projet
que certains responsables politiques français accueillaient
avec circonspection allait pourtant prendre forme sur les
territoires où, dès le XVIIème siècle, la présence française
était marquée par l’implantation de comptoirs de commerce. La
fragilité de certaines de ces positions, et surtout le nouvel
ordre
politique
en
vigueur
en
Europe
devait
décider
les
nations européennes à multiplier les missions d’exploration,
et surtout à accroître leurs zones d’influence. C’est ainsi
que
commença
la
course
frénétique
d’exploration,
de
découverte et d’occupation, au nom de la mère patrie, de
nouveaux territoires.
Le processus de colonisation qui va connaître son essor
à partir de 1910 est à l’origine des mutations sociales,
économiques et surtout politiques qui caractérisent l’Afrique
d’aujourd’hui.
vision
du
Car
monde
dès
lors
que
aux
africains,
228
l’Europe
on
avait
allait
imposé
sa
assister
à
l’émergence d’une nouvelle civilisation, ou plutôt de ce que
Bernard
MOURALIS
culture,
dans
désigne
le
sens
comme
où
l’émergence
la
rencontre
d’une
des
sous-
cultures
européennes et africaines, sans complètement se fondre les
unes dans les autres, ont donné naissance à une forme de
sous-ensemble
africaines
syncrétique,
empruntent
et
dans
lequel
assimilent
un
les
certain
cultures
nombre
de
faits sociaux caractéristiques de l’occident.
A terme, on peut s’interroger sur ce qu’a été pour les
africains,
la
rencontre
des
conséquences
portée
ou
tout
civilisations,
l’Afrique
simplement
ou
des
tire-t-elle
l’impact
cultures ?
aujourd’hui,
de
de
la
Quelles
ce
que
d’aucuns ont désigné comme un « mariage forcé » ? En d’autres
termes, quels sont les changements notables et observables,
qui
permettent
à
ce
jour
de
retracer
l’histoire
de
la
rencontre de l’Afrique avec l’occident ?
De
notre
avis,
les
retombés,
les
conséquences
sont
nombreuses. Et elles se donnent à lire à travers la quasitotalité de la littérature africaine. Qu’il s’agisse du roman
ou de la poésie, ou plus spécialement encore de la production
dramatique,
la
littérature
africaine
traduit
« les
difficultés de compréhension entre (les différentes sociétés
en
présence
(sic))
dès
les
premiers
contacts,
et
les
changements de l’univers africain dus en grande partie à des
systèmes sociaux occidentaux qui arrivaient à manipuler des
mécanismes de transformation que l’Africain ne connaissait
pas.162 ».
162
- SHUERKENS Ulrike ; La colonisation dans la littérature africaine,
Paris, L’Harmattan, 1994 ; p.240.
229
5.2 – Les mutations sociales :
Résultat d’un processus long et souvent douloureux, le
contact
entre
occidentales
a
les
cultures
occasionné
africaines
en
Afrique,
et
ce
les
que
cultures
nous
avons
qualifié avec MOURALIS comme la mise en place d’une sousculture. Celle-ci se manifeste à travers un certain nombre de
comportements sociaux et culturels qui placent l’africain à
cheval entre tradition et modernité.
Nombreux
sont
les
textes
qui
ont
déploré
cette
situation nouvelle où, dès le départ, la position de l’homme
noir fut assez délicate, voire difficile.
Mais si les difficultés furent importantes, il reste
que
la
comporte
rencontre
des
des
cultures
aspects
dont
issue
le
de
la
caractère
colonisation
positif
est
indéniable.
En
Afrique
Centrale,
la
scolarisation
et
la
christianisation ont été les moteurs des transformations que
l’on peut observer aujourd’hui au sein des espaces aussi bien
urbains que ruraux.
5.2.1 – La scolarisation
Au nombre des faits qui ont favorisé la transformation
des
sociétés
africaines
au
terme
de
la
rencontre
avec
l’occident, on peut citer la scolarisation.
Au début de la pénétration occidentale en Afrique, la
difficulté de communication s’est avérée comme un obstacle
non négligeable pour la bonne marche des affaires. Il est
apparu nécessaire à mesure que les colons s’installaient, de
former un certain nombre d’individus qui seraient à même de
servir de courroie de transmission entre les indigènes et les
trafiquants européens. Les expériences négatives antérieures,
230
où les premiers « interprètes » indigènes arrivaient fort peu
à traduire avec exactitude, les messages ou les requêtes des
commerçants et des explorateurs avaient servi de levier pour
la mise sur pied des premières écoles. Mais c’est surtout la
concrétisation
de
secondairement
celle
exploitation
de
la
plus
mission
de
christianisation
de
civilisation ;
en
plus
et
massive
la
des
et
mise
colonies
en
qui
devaient décider, dans tous les cas, les jésuites à ouvrir
les
premières
écoles
où
de
jeunes
africains
allaient
apprendre la croyance et la soumission à un nouveau Dieu.
Les
servir
premiers
d’exemple
élèves
formés
avaient
dans
leurs
familles
pour
mission
de
respectives en
propageant la foi chrétienne, mais aussi, et ce n’est pas le
moindre des objectifs visés, de servir en toute dévotion, de
commis à l’administration coloniale qui se mettait en place
progressivement.
Les
cycles
de
formation
en
Afrique
Equatoriale
française par exemple, allaient rarement au-delà du cours
moyen deuxième année. A l’issu de ce premier cursus, les
élèves dont la fin de cycle avait été couronnée de succès
étaient appelés à devenir eux-mêmes des enseignants, quand
ils ne rejoignaient pas les rangs de l’administration où ils
occupaient
des
emplois
subalternes.
Ulrike
SCHUERKENS
qui
analyse les différentes phases qui ont caractérisé le contact
des
mondes
Mongou,
africains
roman
du
et
européens
centrafricain
à
Pierre
travers
SAMMY,
L’Odyssée
note
de
ceci
à
propos des objectifs visés à travers le projet initial de
scolarisation : « Je
ne
vous
demande
pas
de
faire
de
ces
nègres des savants. Ne nous empoisonnez pas l’existence avec
une nouvelle classe de lettrés prétentieux et vantards. (…)
Il
me
faut
des
auxiliaires,
des
gens
qui
servent
d’intermédiaires entre nous et la population. Apprenez-leur
des choses empruntées à leur milieu, à leur vie. Pas de
grandes théories, surtout pas de philosophie. Ce ne sont pas
231
des hommes de tête qu’il nous faut, mais des hommes de main.
Qu’ils
nous
servent
sans
poser
de
questions
et
qu’ils
obéissent avant de comprendre. »163
Qu’il soit le fait de missionnaire chrétiens ou, comme
ici
le
fait
africains
de
laïcs,
était
traditionnellement
caractère
le
projet
loin
de
attaché
à
utilitariste
et
de
scolarisation
cadrer
avec
des
l’esprit
l’école
en
occident.
Le
fonctionnel
de
l’enseignement
primaire adressé aux africains, tel qu’on le découvre dans ce
passage, est en porte-à-faux avec le prétexte de la « mission
civilisatrice » énoncée par Jules FERRY, fervent défenseur,
avec
Léon
GAMBETTA,
de
l’idéologie
et
de
l’entreprise
colonialiste.
Les
véritables
scolarisation
des
raisons
africains
qui
sont
conduisent
en
à
définitive
la
d’ordre
fonctionnel ; car, comme le note Ulrike SHUERKENS : « Dans la
deuxième
phase
européens,
qualifiée
la
se
des
contacts
nécessité
fit
entre
de
sentir.
les
autochtones
disposer
(…) «
d’une
J’ai
et
les
main-d’œuvre
besoin,
moi,
d’un
auxiliaire pour m’aider dans l’administration de votre pays,
pour tenir certains registres, certains papiers. » »164. C’est
ainsi que le chef des Blancs, dans L’Odyssée de Mongou du
centrafricain
Pierre
SAMMY,
justifie
auprès
du
chef
de
village, la nécessité pour les africains à adhérer au projet
de scolarisation.
La création des cycles primaires était ainsi lancée à
travers
les
centres
administratifs
coloniaux
les
plus
importants. Pour les cycles secondaires et plus tard pour les
cycles
supérieurs,
minorité,
ils
qui
restaient
s’effectuaient
l’apanage
souvent
en
d’une
Europe,
stricte
dans
les
métropoles des pays colonisateurs. Depuis lors, « jusqu’aux
années
soixante-dix,
l’école
163
apparaissait
comme
la
voie
- SHUERKENS Ulrike ; La colonisation dans la littérature africaine,
Paris, l’Harmattan, 1994, p. 42
164
- Id. p. 41-42
232
royale de la promotion sociale ; lentement en milieu rural et
plus rapide en milieu urbain, cette donnée s’est imposée à
l’ensemble de la population. L’école est un outil d’accession
au rang de l’élite sociale et politique, en prenant l’élite
au sens défini par le grand sociologue P. MERCIER « groupes
ou
quasi
groupes
susceptibles
porteurs
soit
de
directement
dynamismes
ou
particuliers
indirectement
par
des
groupes spécialisés (syndicats, partis ou associations) qui
les expriment en totalité ou en partie d’infléchir, soit de
leur propre initiative ou en réponse à l’incitation d’autres
groupes, l’orientation de la société. » »165.
C’est plus tard que, selon la vision de MERCIER, vont
naître,
au
premiers
sein
de
ces
mouvements
élites
de
formées
en
revendication
occident,
les
identitaire
et
politique, dont le mouvement de la Négritude, créé par le
sénégalais
Léopold
Sédar
SENGHOR
et
le
martiniquais
Aimé
CESAIRE.
Comme
on
le
voit,
la
scolarisation
a
été
l’un
des
processus fondateurs de la donnée impérialiste européenne en
Afrique. L’analyse des résultats à plus ou moins long terme,
a fait dire à certains - africains ou occidentaux - que le
rôle de la colonisation a été, à bien des égards, négatif,
dans
la
mesure
où
il
a
contribuer
à
perpétuer,
sinon
à
renforcer un système déjà déséquilibré, entre une minorité de
privilégiés,
et
une
majorité
toujours
croissante
de
nécessiteux.
Cependant,
mettre
en
doute
Car, aussi
bien
d’un
autre
les
aspects
du
côté
point
de
positifs
des
vue,
de
européens
la
que
on
ne
saurait
colonisation.
du
côté
des
africains, chacune des parties s’est enrichie du contact de
l’autre. Mais comme tout phénomène humain qui met en présence
diverses
structures
sociales,
165
politiques
et
culturelles ;
- COQUERY-VIDROVITCH Catherine ; Histoire Africaine du XXème siècle.
Sociétés – Villes – Cultures. Groupe « Afrique Noire » Cahier n° 14-15,
Paris, L’Harmattan, 1993 ; p. 23
233
diverses
mentalités,
la
colonisation
a
montré
certaines
limites à mettre en accord les différentes forces en jeu dans
le projet. Aussi, les disfonctionnements observés ici et là,
surtout
dans
les
milieux
autochtones,
ne
sont-ils
pas
négligeables, et peuvent servir à expliquer certains points
de décadence ou de détérioration observés aujourd’hui dans
une
Afrique
où
la
« modernité »
de
façon
générale,
s’est
imposée comme le modèle du développement.
Pour
marquent
mettre
en
l’échec
de
colonisation,
les
évidence
la
les
faits
modernité,
écrivains
africains
de
société
et
partant
ont
pris
qui
de
la
l’habitude
d’observer leurs sociétés et d’en dénoncer les travers. Ils
peuvent
ainsi
structurelles
montrer
d’une
les
répercussions
idéologie
dont
les
morales
retombées
et
sont
aujourd’hui perceptibles aussi bien en Afrique que dans le
reste du monde.
Dans bien des cas, le théâtre a servi de tribune pour
dénoncer
ce
qu’il
est
convenu
d’appeler
les
méfaits
du
modernisme. La société africaine qui s’est largement ouverte
aux mœurs occidentales a peu à peu adopté, puis transformé,
un certain nombre de valeurs, dont l’usage de l’argent ainsi
que l’accumulation de biens matériels constituent les points
fondamentaux.
Avec
importante
régulière
et
la
scolarisation
des
masses
de
plus
populaires,
en
plus
l’individu
trouve d’autres centres d’intérêt ; il acquiert également une
autre valeur au sein de la société. Dans ce contexte, la
formation
scolaire
permet
désormais
à
l’individu
de
se
démarquer de la masse et de prétendre à un niveau de vie
meilleur ; Japhet le fonctionnaire et son épouse Jinette dans
la pièce de MENDO ZE ; l’instituteur Mallot Bayenda, dans le
texte de LABOU TANSI se situent dans cette optique, même si
la réalité de leur existence tendra parfois à montrer le
contraire.
234
Mais l’instruction pour beaucoup, est une affaire de
famille. Dans certaines régions d’Afrique où, à la suite de
la période coloniale, la scolarisation passe depuis pour être
la
seule
voie
de
salut,
les
familles
et
parfois
des
communautés villageoises entières, sont mises à contribution
pour envoyer leurs enfants étudier très souvent loin de chez
eux.
Les
jeunes
diplômés
sont
ici
perçus
comme
un
investissement à terme pour la communauté, qui compte bien
jouir
des
prérogatives
de
cet
avantage.
Des
situations
dramatiques découlent parfois de cette vision des choses, où
l’inversion
des
rôles
sociaux
attribués
à
des
faits
particuliers, comme par exemple la scolarisation des jeunes
filles, qui passe du paradigme de la construction morale et
intellectuelle de la personne, à celui où, la jeune fille
instruite acquiert une valeur négociable en terme économique.
Dans la pièce
Trois prétendants…un mari,
OYONO
MBIA
montre les conséquences d’une mauvaise appréciation du fait
de
la
scolarisation
des
jeunes
filles,
dans
les
sociétés
post-coloniales du sud du Cameroun. Ici, une fille instruite
n’a
d’autres
rôles
que
celui
de
hisser
sa
famille
(très
élargie) le plus haut possible, dans l’échelle sociale. Cela
ne peut se faire que si celle-ci accepte d’être l’épouse d’un
homme riche même très âgé, et déjà polygame. L’amour n’a pas
de place ici pour la jeune fille ni même pour l’homme. Seuls
comptent le prestige de la future alliance, et les multiples
avantages matériels et sociaux potentiels que la communauté
peut tirer de la situation. C’est donc ici un travers que
l’on peut mettre sur le compte du contact des sociétés, même
si
à
l’origine
des
sociétés
traditionnelles,
la
femme
constituait déjà un capital pour sa tribu. Le système de
l’exogamie favorisait en effet l’échange et l’établissement
d’alliances matrimoniales, ce qui pouvait être vu comme une
sorte de contrat intercommunautaire en faveur de la paix et
de l’entraide.
235
Le caractère culturel et sociologique du mariage perd
ici son sens et sa valeur originels. Il est désormais soumis
à
l’influence
d’un
matérialisme
primaire
et
caricatural,
introduit dans les mœurs des populations, et exacerbé par ce
que SHUERKENS appelle « des critères empruntés aux univers
sociaux occidentaux ».
D’un autre point de vue, les mutations des sociétés
africaines que décrit la production théâtrale semblent avoir
pour origine la christianisation, qui, comme la scolarisation
avec
laquelle
elle
est
souvent
allée
de
paire,
a
donné
naissance à une nouvelle échelle de valeurs culturelles.
5.2.2 – La christianisation :
La christianisation et la scolarisation des populations
figurent parmi les moments forts de la politique coloniale
européenne en Afrique. Et comme l’affirme Sophie LE CALLENNEC
dans son article intitulé ‘’Age d’or ou crépuscule de la
colonisation,
1910-1940’’,
paru
dans
le
second
tome
de
Afrique Noire Histoire et Civilisation, consacré au XIXème et
XXème siècle (en collaboration avec ELIKIA M’BOKOLO), « le
christianisme
avait
été
depuis
longtemps
l’un
des
points
d’appui des relations de l’Afrique avec l’Europe. Même les
plus
anticléricaux
voyaient
dans
d’acculturation
ou
la
et
les
plus
laïcs
religion
de
un
civilisation
parmi
les
Européens
moyen
indispensable
des
‘’indigènes’’.
Encouragée et soutenue pendant des siècles par les Etats,
l’œuvre
missionnaire
guerres. »
166
continua
à
l’être
entre
les
deux
. De gré ou de force, le christianisme allait en
effet lentement, mais inéluctablement s’introduire et prendre
vie dans l’existence des africains. Cette situation nouvelle
166
- LE CALLENNEC Sophie, in ELIKIA M’BOKOLO : Afrique Noire Histoire et
Civilisation. Tome II ; XIXème - XXème Siècle, Paris, Hatier-AUPEL, p. 392.
236
de domination devait se traduire pour les africains, par la
mise à l’écart de leurs croyances, de leurs modes de vie et
de tous leurs savoir-faire. Sophie LE CALLENNEC cite Georges
BALLANDIER qui illustre fort justement la situation née de la
rencontre des populations africaines avec l’européocentrisme
inhérent à la situation de colonisation. Cette situation peut
être perçue selon BALLANDIER comme « la domination imposée
par une minorité étrangère, ‘’racialement’’ et culturellement
différente, au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et
culturelle dogmatiquement affirmée, à une majorité autochtone
matériellement
inférieure ;
la
mise
en
rapport
de
civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à
économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne
s’imposant à des civilisations sans techniques complexes, à
économie
retardée,
chrétienne’’ ;
à
le
rythme
lent
caractère
et
radicalement
antagoniste
des
‘’non
relations
intervenant dans les deux sociétés qui s’explique par le rôle
d’instrument auquel est condamnée la société dominée ; la
nécessité
pour
maintenir
la
domination,
de
recourir
non
seulement à la ‘’force’’ mais aussi à un ensemble de pseudojustifications et de comportements stéréotypés, etc. »167.
Dans
le
propos
de
BALANDIER,
on
peut
retrouver
les
différents points d’ancrage de l’idéologie colonialiste, et
peut-être aussi ce qui justifie la réussite, observée à long
terme, de cette entreprise. Car il est impossible aujourd’hui
de
ne
pas
l’Europe
et
reconnaître
de
le
l’Occident
fait
en
que,
du
général,
point
la
de
vue
de
colonisation
a
atteint ses objectifs en Afrique, du moins en ce qui concerne
sa
volonté
de
dominer
politiquement
ce
continent
et
d’y
répandre sa culture et ses modes de vie.
Pourtant, si comme on peut le relever dans la plupart
des ouvrages (poétiques ou romanesques) qui ont traité de la
question de la colonisation de l’Afrique, le christianisme se
167
- 0p. Cit. p. 392.
237
tient en bonne place parmi les sujets abordés. Mais celui-ci
est diversement perçu. Autant pour le roman, le regard d’un
MONGO BETI est incisif et plein de ressentiment sur le fait
colonial, autant le théâtre d’un NYONDA porte sur ce thème,
un
regard
qui
traduit
plutôt
le
côté
naïf,
qui
pouvait
parfois caractériser l’esprit des premiers contacts entre des
peuples.
Dans Bonjour Bessieux, la caractéristique majeure des
populations autochtones semble être la curiosité à l’endroit
des premiers missionnaires qui abordent les côtes gabonaises.
Cette attitude peut être définitoire de ce qui a pu se passer
ailleurs
où
se
sont
produits
les
phénomènes
de
conquêtes
impérialistes. Car comme le dit un proverbe africain, « Ne
fermez
pas
votre
porte
à
l’étranger
sans
avoir
pris
rencontre
des
connaissance de ce qui l’amène chez vous. »168.
Dans
les
textes
publiés
en
effet,
la
religions semble s’être effectuée dans un climat de totale
confiance de la part des africains, car comme le dit l’un des
Anciens habitant un village de l’une des deux rives du Komo,
« La
sagesse
l’appel
lancé
des
anciens
veut
par
l’étranger. »
qu’on
Et
réponde
croire
toujours
en
de
à
nouveaux
dieux, si cela ne nuit pas à l’homme, n’est pas incompatible
avec
leurs
traditions.
caractéristiques
de
l’empathie,
l’amène
qui
la
Ici
apparaissent
personnalité
de
systématiquement
deux
traits
l’Homme
noir :
à
s’ouvrir
à
l’autre, et le sens aigu de l’hospitalité. C’est sans doute
ces aspects de la personnalité du Noir, qui ont favorisé, à
son détriment, la réussite de l’entreprise coloniale.
Cette attitude de confiance à l’égard des européens,
mais surtout l’absence de maîtrise des véritables enjeux de
la colonisation, achève donc la mise en place des engrenages
qui
vont
par
la
suite,
broyer
168
l’existence
politique,
- NYONDA Vincent de Paul : Bonjour Bessieux in Le combat de Mbombi ;
Paris, Editions François Réder, 1979 ; p.
238
économique, morale et culturelle, des populations africaines
placées sous le joug européen. Car s’est avec la complicité
active
des
missions
chrétiennes
que
l’administration
coloniale a pu s’établir et fonctionner durablement. C’est ce
que relève Sophie LE CALLENNEC, à propos de « l’union sacrée
entre l’administration et les missions » : « Parce que les
missionnaires
étaient
engagés
dans
la
lutte
contre
le
« paganisme tribal », lutte indispensable pour mener à bien
l’œuvre
civilisatrice
de
la
colonisation,
l’administration
coloniale regardait leur travail d’un œil à tout le moins
bienveillant. Elle attendait en retour des ces missionnaires
une
étroite. »169.
collaboration
Pour
preuve
de
cette
collusion entre l’Eglise et l’Etat, l’Historienne cite encore
un recueil du Ministère belge des colonies réalisé en 1930 :
« Les
agents
l’œuvre
de
du
gouvernement
la
ne
civilisation.
travaillent
Les
œuvres
pas
seuls
religieuses
à
y
participent dans une mesure au moins égale ; (…) les agents
du gouvernement, quelles que puissent être leurs opinions,
ont
l’obligation
chrétiens. ».
stricte
d’aider
les
missionnaires
170
Si la colonisation a été perçue par la plupart des
peuples
colonisés
littérature
y
a,
comme
quant
à
une
elle,
véritable
tragédie,
la
souvent
une
de
vu
sorte
génocide politique, économique et culturel. Car pour beaucoup
d’hommes de lettres et de culture africains, il n’avait pas
suffit à l’Occident de laisser l’Afrique exsangue après trois
siècles d’esclavage ; il avait encore fallu qu’il vienne la
spolier
de
patrimoine
définitive,
ses
richesses
culturel,
ne
fut
en
naturelles,
concluant
qu’un
marché
la
avec
de
couper
elle
dupes.
ce
de
son
qui,
en
Pour
nombre
d’africains en effet, l’Afrique n’a jamais été rétribuée au
prorata
169
170
de
ce
qu’elle
avait
apporté
- LE CALLENNEC Sophie, Op. Cit. p. 393
- Id.
239
à
l’Europe,
et
à
l’Occident de manière générale. Que l’on parle d’économie, de
politique
ou
de
culture,
l’Afrique
a
toujours
été
donnée
comme une terre vierge sur laquelle l’Occident a semé les
graines de la culture, de l’économie et de la politique ; en
somme, de la civilisation.
A
jamais
bien
été
y
ce
regarder,
que
on
s’aperçoit
l’idéologie
que
colonialiste
l’Afrique
a
voulu
n’a
faire
d’elle, à savoir un continent dépourvu de toute culture, de
toute civilisation ; une terre où l’Europe apparaissait comme
le messie, comme un sauveur pour lequel les peuples colonisés
devaient
témoigner
une
infinie
gratitude.
En
prenant
le
contre-pied de cette philosophie négationniste, et c’est là
le mérite de la création littéraire depuis l’époque de la
Négritude,
les
écrivains
africains
ont
su
témoigner
non
seulement de l’existence d’une civilisation africaine, mais
aussi de sa spécificité et de sa vitalité.
La christianisation des populations africaines a ouvert
une perspective nouvelle dans le domaine de la référence, et
de l’idée de « l’au-delà ».
En corroborant la pensée africaine d’un panthéon (La
Sainte
Trinité)
qui
prédestine
à
la
vie
de
l’homme,
la
religion chrétienne a pu s’implanter et trouver des appuis
dans les systèmes de croyances traditionnelles, ceux-là mêmes
qu’elle s’était évertuée à combattre.
Dieu
monothéistes
ou
Allah
(pour
révélées) ;
les
deux
ou
ZAME,
EYOH
grandes
ou
religions
encore
NDZAMBI
(chez certains peuples bantou), toutes ces appellations pour
l’africain, renvoient à une même réalité ; l’un ou l’autre de
ces vocables ne peut désigner qu’une seule et même personne ;
une seule et même entité à laquelle l’être humain se réfère
dans ses moments de doute, ou de peine, de malheur ou de
bonheur ; pour exulter de joie comme pour crier sa détresse.
Sony LABOU TANSI fait d’ailleurs se conjuguer chez un de ses
personnages, en l’occurrence Yoko-Ayélé, cet état d’esprit
240
qui signe justement l’aspect unitaire donné aux croyances en
Afrique, malgré la volonté affiché de faire prédominer le
christianisme dans plusieurs régions d’Afrique :
Du
occupe
point
de
vue
aujourd’hui
des
une
croyances,
place
si
le
christianisme
prépondérante
parmi
les
religions pratiquées en Afrique, celui-ci a subi par endroit,
une sorte de remodelage par rapport aux rites et croyances
endogènes. Religions syncrétiques, messianismes locaux ; tout
cela
est
aujourd’hui
encore,
le
signe
que
l’Afrique
n’a
jamais été vide d’Histoire, de civilisation ; vide de vie en
somme.
En tout état de cause, si le fait chrétien apparaît
encore dans la littérature, et singulièrement dans l’écriture
théâtrale d’Afrique, c’est qu’il est avant tout le témoignage
d’un épisode de l’Histoire de ce continent et de ses peuples.
Il est aussi, dans les formes syncrétiques qu’il prend chez
les africains, la manifestation non seulement de l’évolution
de la pensée religieuse, mais aussi le symbole de la capacité
d’adaptation de l’homme de manière générale, à tout ce qui,
pour lui, participe de son ouverture au monde et à l’autre,
et par conséquent de son épanouissement.
Tour à tour acceptée puis rejetée, et finalement remise
au goût de ceux qui l’adoptaient, la christianisation a sans
aucun
doute,
subi
le
contrecoup
du
système
colonial
en
compagnie duquel elle avait fait irruption en Afrique. Elle
apparaît dans la plupart des ouvrages comme le pionnier en
matière
activités
de
scolarisation
théâtrales
des
populations ;
auxquelles
la
et
pour
christianisation
les
a
contribué à multiplier les champs d’exploration, son apport
reste indéniable, dans la mesure où elle a aidé à établir des
points de comparaison entre les univers de croyance européens
d’un côté, et africains de l’autre.
241
5.2.3 – La perte des valeurs traditionnelles :
L’observation
de
la
société
africaine
aujourd’hui
permet de dire que de profonds changements s’y sont opérés.
Le contact des cultures qui s’est effectué pendant les années
de l’occupation coloniale a donné naissance à ce que nous
avons évoqué plus haut, et que Bernard MOURALIS désigne comme
« une sous-culture ».
La notion de sous-culture ne doit pas être prise ici au
sens péjoratif du terme, où l’on parlerait par exemple de
sous race pour désigner une race inférieure par rapport à une
autre qui lui serait supérieure, et où la notion de sousculture désignerait une culture inférieure, relativement au
caractère primitif de la race qui la produirait.
Ce terme renvoie de notre point de vue, à un phénomène
de démembrement, ou plus exactement d’embranchement, résultat
d’un processus complexe d’associations et de dissociations
d’un nombre infini de traditions, de coutumes, d’habitus,
etc., issus de plusieurs groupes humains, les uns différents
des autres, et où les phénomènes d’échanges, de mélanges,
d’emprunts et d’adaptations produisent des types nouveaux de
comportements,
de
modes
de
vie,
et
finalement
de
civilisations nouvelles. Il s’agit en fait d’un phénomène de
recomposition
d’unités
civilisationnelles ;
de
re-création
d’unités de valeur autour desquelles s’organisent de nouveaux
centres d’intérêt. Et comme dans toute opération qui consiste
à
mettre
ensemble
des
identités
d’origines
et
de
natures
diverses, les cultures nouvelles, nées de la rencontre des
civilisations
portent
chacune
son
lot
de
travers
et
d’imperfections.
Pour
le
cas
des
africains,
comme
pour
les
autres
peuples auxquels ils ont été confrontés, un certain nombre de
difformités ont été exacerbés, d’autres sont apparus dans les
242
comportements au quotidien des individus, et qui sont pour
partie, imputables à la rencontre des cultures.
Ces travers et ces difformités ont souvent été pris
comme sujets de comédies au théâtre. Dans la majorité des
cas,
ces
comédies
qui
traitent
des
mœurs
des
sociétés
africaines, traditionnelles ou modernes, ou dont les sujets
sont en référence avec les différents systèmes de croyance
(christianisme,
islam
ou
religions
traditionnelles),
appartiennent au répertoire du théâtre dit populaire. C’est
un théâtre populaire à double titre. En effet, les comédies
de mœurs ou les mystères tirés de la Bible sont globalement
rangées dans la catégorie du théâtre populaire, à la fois par
rapport aux thèmes qu’elles abordent, mais aussi par rapport
au
public
visé
qui,
populaire,
composé
populaires
et
en
en
Afrique,
majorité
modestes,
de
auxquels
est
toujours
gens
le
issus
niveau
un
de
public
milieux
d’instruction
souvent peu élevé, ne permet pas d’accéder à une certaine
grille de lecture de textes dits sérieux, auxquels seul un
public élitiste peut accéder.
D’autres aspects de la société jugés graves ou moins
légers font en effet, quant à eux, l’objet de pièces plus
sérieuses. Il en est ainsi de textes dont le but avoué est la
critique des régimes totalitaires, ou encore des textes dont
les sujets abordent des questions plus philosophiques. Il est
cependant vrai que le théâtre africain, de façon général,
écarte toute idée de discrimination au sein de son public.
C’est pourquoi la majorité des textes va jouer sur plusieurs
registres,
ce
qui
leur
permet
d’atteindre
un
plus
large
public. Ici, le mélange des genres est un fait courant et
permet d’associer des sensibilités diverses au processus de
création des spectacles, mais aussi à la mise en œuvre de la
problématique d’une idéologie fondamentalement sociale.
Pour revenir à la question de la perte des valeurs
traditionnelles tel que le phénomène se traduit dans l’espace
243
théâtral d’Afrique Centrale, nous observons que l’évocation
du sujet va au-delà de la simple critique sociale. La perte
des valeurs traditionnelles fait également référence à des
domaines
domaine
touchant
de
la
différentes
personne
aussi
pensée
formes
les
le
domaine
métaphysique.
d’oppression
humaine,
africaine,
bien
décelables
dramaturges
politique
Car
en
évoquant
et
de
déchéance
dans
la
nouvelle
posent
en
fait
que
la
de
le
les
la
société
question
du
devenir de l’homme et de l’humanité.
Du
plus
léger
au
plus
grave,
chaque
texte
traduit
l’inquiétude et le désarroi de ceux qui, mieux que tous les
autres,
peuvent
ressentir
le
déséquilibre
dans
lequel
l’Afrique, mais aussi le reste du monde, vacille aujourd’hui.
Un
déséquilibre
qui
pourrait
présager
de
l’effondrement
potentiel de la race humaine.
Les dramaturges, comme les maîtres de la parole, vont
utiliser
les
tribulations
mots
de
la
pour
dire
société
leurs
sentiments
moderne
africaine.
face
aux
Ainsi,
la
haine, l’injustice, l’alcoolisme, la paresse, la traîtrise,
la corruption, l’amour, la jalousie, la passion du pouvoir,
la difficulté de communiquer et de se comprendre (situation
que l’on retrouve plus souvent exprimée à travers le conflit
des
générations),
la
révolte
devant
la
mort,
ou
encore
l’absurdité de certaines situations de l’existence, vont être
les
principaux
sujets
sur
lesquels
les
hommes
de
théâtre
africains vont se pencher.
Si
ces
différents
sujets
constituent
des
thèmes
de
réflexion abondamment mis en rapport avec la société moderne,
ce n’est certes pas un prétexte détourné, pour idéaliser la
société traditionnelle ; mais il est clair que l’évocation de
cette thématique pose la question légitime de l’impact de la
rencontre
des
extérieure ;
de
cultures sur
la
capacité
des
de
sociétés
ces
situation d’interpolation culturelle.
244
sous
sociétés
à
influence
gérer
une
Le
fait
longtemps
est
fonctionné
que
cette
avec
des
société
règles
traditionnelle
et
des
usages
a
assez
strictes, qui faisaient que tout contrevenant, selon le degré
de la faute commise, était frappé d’une sanction plus ou
moins grave. La sanction suprême étant pour la plupart du
temps, le bannissement (ou la peine de mort pour les cas
extrêmes). De ce point de vue, nul n’avait le désir de se
voir marginalisé, coupé de son univers, car on était ainsi
condamné à errer le reste de son existence, sans plus de
repères. Ce n’est un sort enviable pour personne, dans un
contexte où l’homme se réfère toujours à son groupe, à ses
traditions, pour s’épanouir et trouver son équilibre.
Tout ce qui, aujourd’hui fait figure de travers ou de
vice dans la société moderne d’Afrique Centrale, est le signe
marquant de la perte des valeurs traditionnelles. Que l’on se
réfère aux textes de NYONDA, à ceux de Sony LABOU TANSI, aux
textes de Gervais MENDO ZE, à ceux de Tchicaya U TAM’SI, que
l’on s’appuie sur la production de Laurent OWONDO ou sur
celle
de
Guillaume
OYONO
MBIA,
la
perte
des
valeurs
traditionnelle est partout une préoccupation, une sorte de
questionnement sur l’instant qui marque la rupture dans le
cours des événements. Car il est plus que probable que les
situations décrites aujourd’hui, connues depuis toujours ont
été amplifiées à partir du moment où les africains ont été
confrontés à de nouveaux critères de détermination sociale ;
à
une
nouvelle
l’argent,
de
échelle
l’usage
de
valeurs.
de
biens
L’introduction
de
manufacturés ;
la
requalification du statut de l’homme à travers de nouveaux
critères
sociaux,
l’existence
des
ont
produit
communautés.
Ce
un
sont
effet
ces
pervers
effets
dans
pervers
induits par la modernité que les hommes de théâtre dénoncent
à travers la critique sociale, dont l’objectif primordial est
de rechercher les voies possibles de la normalisation des
rapports de l’individu à autrui ; de l’homme à son milieu.
245
CHAPITRE VI : LA CRITIQUE SOCIALE.
L’on
a
souvent
considéré
que
le
théâtre,
comme
la
plupart des productions de l’art africain, avait une fonction
sociale.
Instruire
et
informer,
sont
les
rôles,
ou
les
missions habituellement dévolus aux arts comme à la plupart
des productions de l’esprit africains. Pour les arts de la
scène,
et
le
théâtre
en
particulier,
la
fonction
ludique
constitue un aspect définitoire déterminant.
De
fait,
dramatique
si
au
niveau
africaine
(à
des
exégèses
l’instar
de
des
la
création
autres
genres
littéraires) l’on a accordé plus d’attention aux contenus
sociologiques
politique
-
et
politiques,
au-delà
des
c’est
aspects
que
le
social
philosophiques
ou
et
le
encore
poétiques de la littérature - constituent les fondements même
de la production africaine ; la raison essentielle autour de
laquelle l’écrivain construit sa réflexion. Les changements
engagés
grandes
par
la
société
découvertes
postcoloniales
ont
africaine
jusqu’aux
été
pour
les
depuis
la
époques
écrivains
sujets de profonde préoccupation. La
période
des
coloniales
et
africains
des
littérature, ou plus
généralement l’écriture a servi de tribune à travers laquelle
nombre d’africains ont pu exprimer leurs sentiments ; leurs
visions de la société et des transformations en train de
prendre corps dans leurs milieux.
L’orientation
volontairement
critique
de
cette
production littéraire trouve sa raison d’être, en partie dans
ce que l’on peut attribuer à la situation du contexte social
et culturel. C’est à ce propos que Michaël WALZER affirme que
« Dans la mesure où on admet que la société est directement
constituée par les actions et les idées de ses membres, sans
la médiation des idéologies, des pratiques et des mises en
246
institutionnelles. »171
ordre
majorité,
la
création
Cette
théâtrale
orientation
d’Afrique
fonde
Centrale.
en
C’est
que, au-delà de tout a priori idéologique, les fondements
premiers de toute société humaine se trouvent dans les usages
quotidiens et dans le rapport que l’individu institue avec sa
société.
Rapports
d’échanges
moraux
ou
culturels ;
philosophiques ou économiques.
Mais il est aussi, dans le même temps, peu commode de
séparer
le
regard
du
critique
de
quelque
contexte
idéologique, dans ce sens que l’on peut admettre que toute
prise
de
position
basée
sur
le
constat
de
faits
sociaux
renvoie plus ou moins à une prise de position idéologique, si
l’on considère que l’idéologie c’est ce que l’homme, et pardelà les institutions, établit comme norme possible et idéale
dans la perspective de l’organisation et le fonctionnement de
la société.
L’univers critique de la littérature africaine offre
dans ce sens, plusieurs perspectives dans son approche de la
société. Car en multipliant les terrains d’intervention, la
critique sociale se déploie à l’intérieur d’un système où la
taxinomie des référents reste très diversifiée, ainsi que
peut le suggérer cette observation de Michaël WALZER « La
censure
politique,
l’accusation
morale,
l’interrogation
sceptique, le commentaire satirique, la prophétie coléreuse,
la spéculation utopique : la critique sociale se présente
sous
toutes
formes. »172
ces
C’est
donc
que
la
critique
sociale ne se donne aucune limite dès lors que toutes les
dimensions ;
susceptibles
tous
de
les
domaines
l’interpeller,
de
d’être
la
société
l’objet
d’un
sont
regard
particulier.
Mais on peut se demander, au vu de la diversité des
objets de la critique, dans quelle mesure le critique peut-il
171
- WALZER Michaël : La critique sociale au XXème siècle ; Paris,
Editions Métailié, 1995. P. 17.
172
- WALZER Michel; Op. Cit. p. 21.
247
être solidaire ou non, avec les hommes et les femmes de la
société qu’il critique.
Pour répondre à cette interrogation, on peut s’appuyer
sur ce propos de WALZER qui dit que « le rôle spécifique du
critique, c’est de faire la description de ce qui ne va pas
de manière à suggérer un remède. Mais il est toujours tenté
d’élever
sa
description
de
telle
sorte
qu’elle
ne
s’additionne pas seulement à la perception première de l’état
de putréfaction mais s’y substitue. »173
Le regard du critique sur la société se veut avant tout
scrutateur, interrogatif, sans complaisance, donc c’est un
regard qui se veut le plus objectif possible. Car son but est
d’en
relever
les
moindres
défaillances,
les
plus
petits
déséquilibres, et tout ce qui, à ses yeux, peut apparaître
comme un travers par rapport à la « norme » ; à la morale,
(même si la définition de cette norme reste quelque chose de
tout
à
fait
aléatoire)
et
donc
susceptible
de
troubler
l’équilibre des forces en action dans sa société. Le travail
du critique se résume alors à faire l’autopsie de la société
dans laquelle il vit, mais surtout à propose des remèdes aux
disfonctionnements qu’il aura relevés. Dans le cas spécifique
des écrivains africains, la critique sociale a souvent été
doublement orientée par le fait même de la double orientation
de la société africaine ; engendrant par la même occasion une
double vision des questions abordées.
Cette vision dualiste est en rapport d’une part avec
les
sociétés
traditionnelles,
et
de
l’autre,
avec
les
sociétés dites modernes. Dans tous les cas, les motivations
de l’écrivain restent les mêmes, à savoir la mise en relief
des travers de la société. Mais l’écrivain, et singulièrement
l’homme de théâtre s’attachera aussi implicitement à suggérer
des solutions aux maux qu’il a décrits. Car c’est en leur
173
- WALZER Michaël : La critique sociale au XXème Siècle ; Paris,
Editions Métailié, 1995, p. 22.
248
faisant prendre conscience de leurs manquements et de leurs
déficiences, que l’on peut amener les sociétés à s’ouvrir au
changement et à l’amélioration autant des mentalités, des
structures
que
des
institutions
sociales.
Et
l’on
peut
reconnaître avec Michel WALZER que « La critique, au fond, a
toujours
un
caractère
moral,
qu’elle
se
fixe
sur
les
individus ou sur les structures politiques et sociales. Les
termes décisifs sont pour elle la corruption et la vertu,
l’oppression et la justice, l’égoïsme et le bien commun. La
pourriture, quand « quelque chose est pourri dans le royaume
du Danemark », c’est une mesure politique ou une pratique ou
un
nœud
de
relations
condamnables. »174
moralement
Ainsi,
s’appuyant sur la médiation du théâtre, les auteurs africains
peuvent-ils
leurs
être
sociétés,
aspects
de
perçus
dans
la
comme
mesure
déperdition
« décomposition »
des
des
des
structures
critiques
où
ce
sont
valeurs
vis-à-vis
justement
morales
économiques
et
ou
de
ces
de
politiques
qui interpellent la conscience de l’écrivain, qui se pose
lui-même en objecteur des consciences.
Et pour accomplir sa mission ; pour dialoguer avec son
public et être accessible à la compréhension des populations
et
surtout
afin
de
légitimer
son
propos,
l’écrivain
et
l’homme de théâtre en particulier va inscrire son discours
dans un cadre où les codes de représentation des choses et
des événements sont de l’ordre du commun. C’est que, nous dit
encore Michael WALZER, « Le choix d’un langage critique a
pour condition (…), l’autorité dont veut ou croit se réclamer
le critique pour être entendu. Et cela, à son tour, a pour
condition sa relation à son auditoire. » WALZER met ici en
relief ce qui peut être vu comme une donnée fondamentale dans
le choix globalement opéré par les écrivains et les élites
intellectuelles
africaines,
pour
évoquer
les
problèmes
de
l’Afrique. La médiation théâtrale en l’occurrence, est posée
174
- Op. Cit. p. 22.
249
comme cadre formel de l’échange qu’ils entendaient nouer avec
leur public.
C’est ici que la tradition orale retrouve ses lettres
de
noblesse.
On
note
partout
que
les
sociétés
africaines
affectent une valeur particulière aux jeux et aux spectacles
à
caractère
prennent
parodique
parfois
ou
des
mimétique.
Ces
manifestations
caractéristiques
institutions.
S’inspirant
communautaire,
ces
des
spectacles
de
événements
ont
une
véritables
de
double
la
vie
vocation
de
montrer et de fustiger ; puis de corriger les défauts et les
travers
de
la
société,
et
des
hommes
en
particulier,
à
travers le rire. C’est le « castigare ridendo mores » dont
parle l’universitaire camerounais Clément MBOM, pour montrer
la
dimension
Afrique,
et
D’ailleurs,
didactique
du
jeu,
particulièrement
dans
les
de
celle
sociétés
où
manière
des
générale
jeux
subsistent
de
les
en
scène.
rites
de
passage marquant le passage de l’adolescence à l’âge adulte,
il y a
théâtralisation du rituel initiatique.
Mais
dans
la
production
dramatique
littéraire,
les
sujets mis en scène concernent aussi bien des thèmes d’ordre
personnel que des questions d’ordre général, mais toujours en
relation avec la vie des populations.
La
seconde
perspective
envisagée
par
la
dramaturgie
africaine est celle de la société moderne dans ses multiples
développements.
Les textes que l’on considère à juste titre aujourd’hui
comme des classiques de la production théâtrale africaine,
notamment la trilogie sur le mariage du camerounais OYONO
MBIA ; Trois prétendants…un mari, Notre fille ne se mariera
pas,
Jusqu’à
intéressants
nouvel
comme
avis ;
les
et
pièces
d’autres
de
son
textes
non
compatriote
moins
Gervais
MENDO ZE ; La Forêt illuminée, Boule de Chagrin, Le Retraité,
ou
encore
Jinette
et
Japhet ;
les
textes
des
gabonais
NYONDA dont Le combat de Mbombi, La mort de Guykafi, Le Roi
250
Mouanga ; et Laurent OWONDO : la Folle du gouverneur, et de
bien
d’autres
vision
auteurs,
qui,
au
offrent
demeurant,
à
suffisance
insert
dans
cette
une
double
certaine
progression thématique axée sur la société africaine, les
problèmes liés à son implication dans ce que les Pères de la
Négritude avaient posé comme « le rendez-vous du donner et du
recevoir ».
Ces auteurs ont comme d’autres, évoqué ces sujets qui
touchent
au
plus
près
les
populations
dans
leur
vécu
quotidien. Car que l’on parle du monde rural, ou que l’on
examine la société urbaine, les préoccupations demeurent les
mêmes.
Et
affectent
l’on
de
verra
manière
que
ces
identique,
sujets
les
de
deux
préoccupation
univers
de
la
société contemporaine africaine.
En
se
penchant
sur
la
critique
sociale,
le
théâtre
d’Afrique Centrale s’est attelé à dépeindre la société et ses
multiples avatars. Il valide ainsi, comme nous l’avons déjà
énoncé, un objectif culturel dans la mesure où il peut aussi,
pour Georges NGAL, « être exécuté sous la forme d’un principe
didactique, avec pour finalité la pédagogie morale considérée
comme une relecture des mythes cosmiques, anthropologiques ou
autres.»175.
En
se
donnant
comme
objet
la
critique
de
la
société africaine dans sa globalité, ce théâtre se veut avant
tout fonctionnel, en puisant son essence au cœur même de la
vie sociale et culturelle.
C’est
que,
d’une
manière
essentielle,
la
critique
sociale qui se développe au sein de la production théâtrale
africaine se déploie, à notre avis, autour de quatre grands
axes principaux. Ce sont en effet : le poids des traditions,
les nouvelles classes sociales, les formes de la déchéance
humaine,
et
enfin
l’usage
des
cultes
anciens.
Il
existe
d’autres pistes possibles d’exploration de la satire sociale,
175
- NGAL Georges : Création et rupture en littérature africaine ; Paris,
L’Harmattan, 1994, p. 32.
251
mais celles-ci nous ont semblé rendre au mieux, les avatars
de la société africaine actuelle.
Qu’il s’agisse du mariage (dont les aspects les plus
mis
en
cause
sont
la
pratique
de
la
dot,
la
polygamie,
l’adultère, et, dans une certaine mesure le mariage forcé),
des conflits de générations, de l’alcoolisme, de la cupidité
ou du charlatanisme des féticheurs, la critique sociale dans
le théâtre d’Afrique Centrale, a toujours voulu mettre en
point
de
publiques
entraver
mire,
et
des
aux
situations
mentalités
l’évolution
des
qui
touchent
individuelles,
mentalités
et
aux
et
mœurs
peuvent
partant,
le
développement de la société africaine toute entière. Car il
semble évident que le poids de la tradition sur la société
nouvelle
africaine
apparaît
pour
beaucoup,
comme
une
véritable force d’inertie, un frein empêchant un réel ancrage
dans un monde où les choses vont de plus en plus vite.
Mais
on
verra
aussi
que
pour
beaucoup
de
critiques
africains, la culture traditionnelle africaine ne présente
pas que des aspects négatifs. La culture traditionnelle est
alors pour les africains cette force identitaire qui leur
permettrait de ne pas se perdre dans le moule d’un monde
uniforme,
mais
de
‘’individualité’’
pouvoir
particulière,
s’affirmer
dotée
d’une
comme
une
richesse
toute
aussi particulière.
6.1 – Le poids de la tradition
Ainsi que nous venons de l’énoncer, un certain nombre
de faits, à l’instar du mariage, de la naissance et de la
mort,
constituent,
intercommunautaires,
traditionnelle
avec
les
sociale
les
différentes
principaux
et
formes
événements
culturelle
des
d’échanges
de
la
vie
populations
d’Afrique Centrale. Ces situations diverses sont le résultat
252
d’une
expérience
patrimoine
Aucune
commune,
commun
à
structure
et
constituent
différents
sociale,
groupes
ni
aucun
également
un
sociolinguistiques.
comportement
culturel
n’étant ni cloisonné ni complètement refermé sur lui-même,
cela implique une transformation due aux apports extérieurs,
et ces multiples influences affectent à la société d’autres
types de comportements.
Un regard sur ces sociétés en mutation montre que la
rencontre entre une dynamique traditionnelle d’un côté, et
les
exigences
d’un
monde
en
pleine
évolution
de
l’autre,
relèguent l’individu dans une délicate posture où il peut
véritablement éprouver des difficultés à trouver ses marques.
Car, pris entre la curiosité et la crainte de l’inconnu d’un
côté, et le désir de dépasser l’assurance de ce qui est
habituel
et
dont
on
connaît
les
limites
de
l’autre,
l’individu tente de résoudre le dilemme en puisant dans l’une
et
l’autre
des
situations ;
dans
l’une
et
l’autre
des
cultures. Mais cet exercice, comme pour toute entreprise qui
vise à mettre ensemble des idées d’origines diverses, produit
un effet complexe, qui suggère une forme d’indétermination où
la
méconnaissance
et
l’ignorance
mêlent
les
contenus
culturels et civilisationnels, et où l’on fini par perdre de
vue
la
nécessité
de
compatibilité
entre
les
faits,
les
concepts ou les notions endogènes que l’on tente de relier ou
de fusionner avec des usages extérieurs. C’est notamment ce
qui
explique
les
nombreux
paradoxes
comportementaux
qui
émaillent les sociétés africaines actuelles.
Voulant intégrer à un mode d’existence traditionnelle
des idées d’une réalité culturelle empruntée à l’Occident,
les
africains
semblent
naviguer
entre
deux
eaux.
Ici,
le
poids de la tradition se fait parfois sentir de manière si
violente que l’individu finit par perdre pied. La véritable
nécessité
de
conjuguer
dans
la
réalité
quotidienne,
les
ressources de sa culture traditionnelle et les apports du
253
monde
moderne
l’empreinte
se
de
mue
en
un
l’éducation
sentiment
et
de
la
de
frustration.
tradition
est
Et
alors
sentie comme un poids dont il est souvent difficile de se
départir.
6.1.1 – La survivance des coutumes anciennes
Vivant
longtemps
dans
pris
un
corps
milieu
dans
où
les
la
modernité
comportements
a
depuis
sociaux,
les
peuples d’Afrique Centrale semblent restés, d’une certaine
manière, fortement attachés à une foule d’habitus appartenant
à
des
coutumes
très
anciennes,
et
dont
beaucoup
sont
incapables d’en déterminer les origines. De fait, face à la
conjoncture de l’Histoire ; à l’urgence et à la nécessité
d’aller de l’avant, l’Africain semble parfois marquer le pas,
hésitant vraisemblablement à se détacher de certains aspects
de sa culture jugés rétrogrades ou archaïques, se mettant par
là même, en porte-à-faux avec sa situation d’Etre, dans une
société en devenir.
En
héritage
effet,
de
la
pour
les
africains,
colonisation
les
s’ils
progrès
ont
reçu
en
scientifiques
et
technologiques, ils ont aussi, profondément ancrées en eux,
les traditions millénaires auxquelles ils se sont toujours
identifiés, et à travers lesquelles ils se reconnaissent en
tant que Fang, ou bien Zoulou ; Kongo, Vili, Bamoun ou Téké,
etc., à l’intérieure de ce grand ensemble que constitue La
Population africaine, et à laquelle chacune de ces entités
apporte sa spécificité. Car chaque peuple, chaque communauté
est régit par un ensemble déterminant de traits distinctifs,
associés aux données de la situation de peuples ouverts au
monde extérieur.
Mais
individu,
la
les
situation
de
contingences
chaque
qui
254
groupe
environnent
ou
de
chaque
chaque
entité
sociologique
retour
à
ou
un
traduisent
culturelle
ordre
une
occasionnent
ancien.
sorte
de
des
Attitudes
conflit
qui
interne
attitudes
de
elles-mêmes,
pour
certaines
personnes, et où la difficulté d’opérer des choix devient au
fil du temps, le prétexte à des comportements de plus en plus
étrangers aux fondements sociologiques et culturels qui ont
été instaurés par une pratique et une expérience séculaires.
Les plus décriés de ces comportements, jugés vils et
inadaptés au monde d’aujourd’hui, concernent tous les faits
de société où la marque des usages anciens se fait sentir
comme
un
véritable
boulet
au
pied
de
l’évolution
des
communautés. C’est par exemple le cas communément admis de
certains événements protocolaires qui entourent le mariage
traditionnel, à l’instar du phénomène de la dot, et à travers
lesquels
ce
concept
substance.
C’est
social
dans
a
fini
cette
par
perdre
optique
que
toute
sa
l’écrivain
camerounais OYONO MBIA essaye de démontrer comment la survie
de certains usages traditionnels peut entrer en contradiction
avec la notion de modernité. Juliette, la jeune héroïne de
Trois prétendants… un mari, se trouve prise en otage, par la
tradition qui l’oblige à épouser l’homme que lui ont choisi
ses parents, alors que la modernité que ces mêmes parents ont
adoptée en envoyant l’adolescente à l’école, fait de celle-ci
une jeune fille libre de choisir son destin.
Mais pour Juliette, les choses ne se limitent pas à
choisir entre tradition et modernité. Elle doit également
faire face à un sujet tout aussi important ; la question des
interdits
et
quotidienne.
notions
de
des
Il
tabous
s’agit
parenté
ici
(qui
qui
des
jalonnent
problèmes
englobent
les
l’existence
posés
par
différents
les
types
d’alliance intertribales) ; celle de tribu, et plus largement
des questions relatives à la consanguinité. Si ces questions
ont une réelle importance du point de vue de la morale et de
la
biologie,
ils
restent
davantage
255
un
moyen
de
pression
utilisé
par
les
familles
pour
se
préserver
des
alliances
indésirables, ou pour se débarrasser d’individus dont ils
n’auraient rien à en tirer.
Juliette se trouve ainsi face au refus des siens, et
singulièrement
l’ascendance
de
de
Tita
Mbia,
le
Abessolo
second
qui
a
trouvé
« fiancé »
de
sa
dans
petite-
fille, une parenté si éloignée qu’elle se perd très loin dans
la
nébuleuse
justifie
généalogie
pour
du
l’aïeul,
vieil
homme,
et
l’impossibilité
de
qui
pourtant
l’union
du
fonctionnaire avec sa petite-fille :
Abessolo : «Hi yé é é ! Quel malheur, mon fils ! La
grand-mère de l’arrière grand-père paternel de Juliette était
Yembông ! Mariage impossible ! » Clame le vieil homme. Audelà
du
comique,
et
surtout
de
l’absurdité
créée
par
la
situation évoquée par Abessolo, on peut lire une intension de
l’auteur
à
questionner
la
tradition ;
à
rechercher
les
fondements de certains codes ; de certaines pratiques. Ces
comportements, loin de rester des faits isolés, traduisent
une conception encore vivace de la parenté dans les mœurs et
les habitudes de beaucoup de groupes de populations d’Afrique
Centrale. Dans ces milieux, les questions de tribus et de
lignages
apparaissent
autant
comme
des
points
forts,
que
comme des handicaps. A l’intérieur des systèmes d’échanges,
d’alliances et de relations intercommunautaires, les notions
de tribu, de clan ou d’ethnie constituent une force, dans la
mesure où elles vont permettre de rendre plus intenses ; plus
vivantes, les liens tissés par la mise en exergue de ces
facteurs-là.
Pour
parenté
de
nombreux
sous-tend
ce
peuples
principe
d’Afrique,
fondamental
la
de
notion
de
vie
des
populations qu’est la solidarité. C’est d’elle que dépendent
aussi bien la vie et la prospérité des systèmes économiques
que la vie politique.
256
Les notions de lignage et de parenté constituent le
ferment des sociétés traditionnelles en Afrique de manière
générale. Elles prennent une importance plus ou mois grande
selon les groupes ethnolinguistiques. Et d’un milieu à un
autre, ils constituent un point fort dès lors qu’ils servent
à
établir
et
à
renforcer
la
cohésion
entre
différentes
tribus, ou entre les branches issues d’un même clan. Socle de
stabilité politique et de solidarité entre les communautés,
les notions de parenté portent une valeur de tabou et de
sacré ;
elles
apparaissent
dans
la
plupart
des
sociétés
traditionnelles comme une force. Et ce lien est donné comme
inviolable par les codes des alliances traditionnelles, d’où
la
détresse
d’Abessolo,
grand-père
de
Juliette,
lorsqu’il
découvre que l’ascendance de Mbia rejoint la sienne propre,
même très loin dans les méandres de sa généalogie. C’est
précisément à ce niveau que se situe le handicap. Supposons
un instant que Juliette ait désiré (par amour) épouser le
fonctionnaire, le fait aurait été en soi problématique, tant
du point de vue de la jeune fille que du côté de Mbia. Car
plus que tout autre usage social, la notion de parenté reste
aujourd’hui encore, une notion déterminante dans la vie et le
fonctionnement
des
sociétés,
et
dans
la
structuration
de
l’identité et de la personnalité des africains au sud du
Sahara.
Mais la question de la validité des liens de parenté ne
constitue pas le seul indice du poids de la tradition sur la
vie des populations africaines d’aujourd’hui, même si, au
demeurant, la véritable question ici posée par l’auteur de
Trois prétendants…un mari est de savoir jusqu’à quel niveau ;
jusqu’à quel degré, les liens de parenté restent-ils valides,
et
à
partir
de
quel
moment
les
risques
de
consanguinité
peuvent-ils proscrire le rapport sexuel et a fortiori, le
mariage entre deux individus donnés comme issus d’un ancêtre
commun?
257
Sortant du domaine de la génétique vue du point de vue
de la société, OYONO MBIA va s’attaquer à un autre phénomène
tout
aussi
essentiel
dans
l’existence
des
populations
africaines. Il va en effet s’interroger sur la survivance et
la récurrence de certains types de pratiques et de croyances
traditionnelles, en posant le problème lié à la compétence de
leurs praticiens, et surtout à la validité de leurs actions
comme éléments tangibles, pouvant expliquer ou établir la
pertinence ou la véridiction d’un fait donné. En effet, le
dramaturge
camerounais
pose
notamment
le
problème
de
la
pertinence du recours à la divination, mais surtout sur la
compétence des devins dans une société qui offre désormais
d’autres
moyens,
performants,
d’autres
pour
établir
méthodes
aussi
plus
bien
fiables
et
l’innocence
plus
que
la
culpabilité d’un individu soupçonné de forfaiture.
Autre interrogation soulevée par la pièce de l’homme de
théâtre camerounais, le problème de la dot ; ses formes, sa
persistance, et au-delà, sa symbolique.
En
effet,
les
sociétés
traditionnelles
d’Afrique
Centrale et singulièrement les populations Bantou du Bassin
du Congo, ont de tous temps, connu l’usage de la dot, en tant
que symbole matérialisant l’union d’une femme et d’un homme.
Mais celle-ci reste surtout donnée comme un acte légal qui
fait de la femme un membre à part entière de la tribu qu’elle
vient d’intégrer. A côté de cela, la dot est le signe de
l’alliance
conclue
entre
deux
familles
et
au-delà,
deux
tribus.
Essentiellement constituée à l’origine de lingots de
fer ou de cuivre (accessoirement d’or, dans les régions où ce
métal avait cours), de pointes d’éléphant, de peaux de bêtes
(lions, panthères, genettes, etc.), de pièces de poterie et,
suivant les régions, d’une enclume (chez les Téké du Gabon et
du Congo), de cauris ou de tissus d’écorces ou de raphia, de
quelques têtes de petit bétail (chèvres, moutons, poulets
258
canards essentiellement destinés au repas de la noce), la dot
portait avant tout une charge symbolique. Elle constituait en
effet une forme de symbole compensatoire dans la perte que
subissaient la tribu et la famille qui donnait sa fille en
mariage. C’est donc toujours la famille du fiancé, et, dans
une
large
mesure,
sa
tribu,
qui
devait
payer
cette
compensation, afin qu’en retour, un membre masculin de la
famille
proche
de
la
fille
qui
a
été
donnée
en
mariage
(frère, oncle paternel ou maternel, cousin ou dans certains
cas, père), puisse à son tour prendre (ou reprendre) femme,
et ainsi remplacer numériquement la personne « perdue » par
le clan. La valeur compensatoire de la dot est donc, du point
de vue de ses origines, établie comme un symbole culturel
fort
dans
l’usage
que
lui
confèrent
les
traditions
culturelles des peuples qui en font usage.
Vu
sous
leurs
formes
originelles,
les
usages
et
la
pratique de la dot ne pouvaient constituer en eux-mêmes, un
problème (on passe sur les questions relatives aujourd’hui, à
la sauvegarde et à la protection des espèces animales telles
que les éléphants, les grands fauves, et toutes les espèces
en voie d’extinction). Mais ce phénomène, largement amplifié
par la société moderne de consommation, a produit des effets
contradictoires tant dans sa véritable signification au sein
des communautés rurales et les milieux urbains, que dans ses
usages.
Du point de vue de celui qui la verse pour prendre
femme,
la
dot
est
donnée
comme
le
signe
d’une
certaine
aisance sociale, car plus elle est élevée, plus elle est
indicatrice de la position sociale de l’homme.
Du point de vue la femme à marier et de sa famille,
elle peut revêtir une double valeur. C’est d’abord le signe
de la maturité du prétendant, mais surtout la preuve de la
valeur que celui-ci accorde à sa future épouse. Dans les
sociétés Fang du Gabon, du Cameroun ou de Guinée Equatoriale,
259
la valeur monétaire de la dot a trouvé un nouveau fondement.
Selon que la fille à marier est plus ou moins instruite, la
dot réclamée par ses parents sera plus ou moins élevée ;
l’instruction des filles étant considérée dans ces cas comme
un
investissement
compensatoire
à
qui
perte.
était
Ceci
déjà
renforce
affectée
à
alors
la
la
dot
valeur
dans
les
sociétés précoloniales.
La dot a aussi considérablement changé du point de vue
de
sa
composition.
numéraire,
divers,
Elle
accompagné
censés
porte
selon
restituer
de
les
à
plus
milieux,
cette
en
plus
par
sur
des
le
objets
« institution »
son
caractère originel. Avec l’argent dont les montants sont de
plus en plus élevés, on y retrouve en effet toujours des
objets en fer (machettes, haches, houes, marmites, etc.),
qu’accompagnent
liqueurs
et
toutes
sortes
de
boissons
alcoolisées ou non ; des bandes de tissus, du bétail ainsi
que de la volaille, etc., et tout ce qui peut contribuer à
donner un cachet particulier à l’événement que représente la
remise de la dot par le futur marié et sa famille.
Si
constitue
dans
la
loi
le
payement
statutairement
le
signe
toujours
coutumière,
de
la
manifeste
dot
de
l’engagement matrimonial entre les époux et, par extension,
l’alliance entre les familles, les clans et les tribus des
jeunes mariés, il est surtout devenu la manifestation de la
valeur et du rang social de l’homme ; car on l’aura compris,
c’est
à
l’homme,
et
exclusivement
à
lui,
que
revient
la
charge de verser une dot à sa future belle-famille. On se
rappellera ici le fonctionnaire à qui Juliette est promise
par ses parents, et qui doit s’acquitter de cette tradition,
mais qui doit surtout montrer, à travers les présents offerts
à ses futurs beaux-parents ; par sa disponibilité à répondre
à leurs moindres désirs, qu’il est le gendre idéal. Car plus
que de devoir rassurer sa belle-famille sur l’avenir de leur
fille, Mbia le fonctionnaire, doit au préalable prouver sa
260
valeur au clan, en posant des actes relatifs à son statut
social : faire étalage de sa richesse en offrant des cadeaux
à tous.
La dot, la valeur et le statut social de l’homme sont
pour la majorité des populations Bantou du Bassin du Congo
plus
qu’un
survivance
signe ;
d’un
ils
usage
sont
ici
ancien,
la
qui
manifestation
voulait
que
de
seuls
la
les
hommes qui avaient accompli des actes de bravoure, et ceux
qui pouvaient réunir une dot importante, étaient en mesure de
fonder une famille. Ici la variété des objets constituant la
dot ; son importance matérielle était donc un signe rassurant
pour la famille de la future mariée. C’était le signe que non
seulement celle-ci ne mourrait pas de faim, mais surtout le
gage que sa sécurité était assurée. La force physique de
l’homme était par conséquent aussi un élément important dans
le choix de l’époux. Ainsi que nous l’avons dit, la société
moderne a malheureusement travesti les fondements originels
et les enjeux tant du mariage, que de la dot.
Si
OYONO
traditionnel,
MBIA
ce
énonce
n’est
pas
une
tant
critique
dans
sa
du
mariage
validité
comme
institution sociale, mais dans ce que l’institution a pris
comme éléments de référence et de faisabilité. Le mariage
oui, mais dans quelles conditions ? Telle est en gros, la
question
que
se
pose
le
dramaturge.
Il
affirme
à
ce
propos : « En 1959, quand j’avais décidé d’aller raconter les
aventures
de
ma
cousine
« Juliette »
à
mes
camarades
de
Libamba, je me proposais surtout de les divertir le soir,
après l’étude surveillée,(…). Bien entendu, le problème de la
dot
me
encore,
préoccupait,
tous
les
tout
jeunes
comme
gens
il
sans
préoccupe,
argent. »
176
maintenant
.
En
effet,
comme le dit l’auteur, la question soulevée par l’impératif
de
la
dot
au
sein
de
l’institution
176
du
mariage
dans
- OYONO MBIA Guillaume : Préface à la deuxième édition de Trois
prétendants… un mari ; Yaoundé, Editions Clé, 1975, p. 6.
261
de
nombreuses communautés traditionnelles constitue un obstacle
majeur dans la concrétisation de l’acte. C’est un problème
toujours d’actualité.
Ce
qui,
dans
le
cadre
traditionnel,
avait
surtout
valeur de symbole de socialisation, s’est transformé en un
facteur d’élitisme et par-dessus tout d’exclusion, pour une
catégorie d’individu, notamment les jeunes gens désargentés,
à l’instar du jeune Oko, dont le statut de lycéen ne permet
pas de s’acquitter de cette charge. Mais la question de la
dot semble mettre en évidence une autre préoccupation ; si le
choix
porté
sur
Mbia
le
fonctionnaire
semble
d’avantage
mettre l’accent sur les aspects matériels du mariage, il pose
aussi surtout la question de la liberté de l’individu, et
plus singulièrement celle de l’émancipation de la femme en
Afrique.
Bien qu’il s’en défende177, OYONO MBIA a posé assurément
le doigt sur un point sensible de l’univers socioculturel
africain actuel ; celui du rôle et de la place de la femme
dans la société africaine. Son opinion peut implicitement se
lire dans la dernière réplique de la pièce, à travers le
personnage d’Atangana : « (…) Tu sais, ma petite, j’aurais
autant
gagné
à
te
donner
pour
rien…
(…)
A
ton
écolier
Leclerc, par exemple ! »178
Sans remettre en cause l’institution du mariage, le
dramaturge pose néanmoins le problème de la liberté de choix,
mais surtout celle de la notion d’individu dans un univers
177
- OYONO MBIA Guillaume : Trois prétendants …un mari ; Yaoundé,
Editions Clé, 1975, p. 5 à 6. En 1967, lors d’un voyage en autocar dans
son village natal, le dramaturge assiste à une discussion entre une jeune
femme et l’assistant du chauffeur. Le sujet de la discussion portait sur
l’émancipation de la femme africaine, pour laquelle OYONO MBIA
apparaissait comme un ardent défenseur. Car beaucoup de gens avaient vu
dans le théâtre du camerounais, un plaidoyer en faveur de la liberté et
de l’émancipation de la femme africaine. Mais, dit-il, « Il est toujours
inquiétant
de
s’entendre
proclamer
champion
d’une
grande
cause.
L’émancipation de la femme africaine ne saurait, à mon avis, faire
exception à cette règle. » p. 6.
178
- Id. p. 117.
262
qui semble instrumentaliser et chosifier une catégorie de ses
membres, en l’occurrence les femmes.
Ailleurs,
à
travers
la
thématique
du
mariage
et
de
l’ensemble des lois traditionnelles qui le définissent, le
gabonais NYONDA soulève un autre aspect de la survivance des
traditions anciennes. Il s’agit de la question du rapport de
l’homme à la femme, au sein du couple ; de leurs devoirs et
de leurs droits respectifs à travers le contrat qui les lie
l’un à l’autre.
En rappelant cette triste coutume qui voulait que dans
certains
groupes
socio-ethniques,
une
femme
coupable
d’adultère subisse le châtiment suprême ; la mort, Vincent de
Paul
NYONDA
veut
surtout
amener
ses
compatriotes
à
s’interroger sur la place et le statut de la femme dans sa
société,
à
prendre
position
contre
certaines
aberrations,
tout en insistant sur la question de l’égalité des sexes, qui
aujourd’hui plus que jamais, se trouve au centre des débats
aussi bien sociaux que politiques.
Si de nos jours, les sociétés traditionnelles, et/ou
modernes d’Afrique Centrale n’appliquent plus ce châtiment à
la femme, celle-ci reste néanmoins l’objet d’un grand nombre
d’injustices, et singulièrement au sein même du couple, où
elle mène une existence terne et privative.
On peut ainsi invoquer la question toujours actuelle de
la polygamie, qui comme chacun le sait, constitue l’un des
problèmes majeurs rencontrés par les femmes dans leurs choix
de vie.
A ce propos, c’est encore le texte de OYONO MBIA qui va
nous servir de point de repère. On réalise par la diversité
des sujets abordés par le dramaturge que rien de ce qu’il
évoque n’est fortuit. La question sociale du mariage englobe
en effet en lui-même une multitude de sujets de société. Audelà du désir de liberté manifesté par les jeunes gens, c’est
toute la question liée à l’iniquité des ménages polygamiques
263
qui est ici énoncée. Cette question touche aussi bien les
jeunes femmes que les femmes plus âgées. L’on peut en effet
se dire que si, à une époque lointaine de l’histoire des
sociétés africaines, le système polygamique constituait l’un
des
fondements
culturels
majeurs
des
dites
sociétés,
les
contextes sociologique, économique et culturel exigent que
l’on s’interroge sur le sens, la valeur et la nécessité de
pérenniser une telle pratique. Mieux, doit-on sacrifier le
bonheur
d’une
personne
au
profit
d’intérêts
bassement
matériels d’une communauté ?
C’est
en
posant
ces
différentes
questions
que
le
dramaturge espère amener son public à réfléchir sur le poids
que les traditions impriment sur leur existence aujourd’hui.
Mais il essaye par-dessus tout, ainsi que nous le verrons
dans la suite de ce travail, d’amener les africains à prendre
conscience
des
nombreux
africaine
contemporaine,
travers
et
qui
qui
affectent
mettent
la
société
l’individu
en
contradiction avec la marche du monde. L’ambivalence observée
dans les comportements sociaux des personnages de notre étude
nous amène à parler de l’écartèlement de l’individu.
6.1.2 – L’écartèlement de l’individu :
De manière générale, la situation et le vécu de l’homme
dans la société africaine actuelle, sont le résultat d’un
processus
qui
a
pris
rencontre
des
cultures
naissance
et
des
avec
le
phénomène
civilisations.
de
la
Jusqu’à
la
période des conquêtes coloniales l’Afrique traditionnelle a
vécu
dans
économiques
d’alliances
un
contexte
reposaient
où
en
communautaires
les
systèmes
majorité
et
sur
sociales.
politiques
des
et
stratégies
L’oralité
y
constituait le principal mode de transmission des savoirs,
les populations vont passer graduellement du mercantilisme
264
commercial
au
capitalisme
industriel.
Mais
ils
vont
être
surtout brusquement introduits dans un système où les codes
de
communication,
contradiction
avec
les
modes
d’existence
ce
qu’ils
avaient
sont
souvent
toujours
connu.
en
Les
européens mettent en effet en œuvre un ensemble de procédures
pour réaliser l’implantation d’un système social différent
des valeurs africaines, érigeant ainsi leur mode de vie en un
système de référence universel et indubitable.
Imposées par la présence des occidentaux et sous la
pression des puissances colonisatrices, les nouvelles normes
de vie n’accordent de ce fait que peu de valeurs aux coutumes
et aux traditions endogènes. Car en posant la civilisation
européenne comme la seule valable, et unique voie de salut,
l’occupant colonial n’a laissé à l’africain aucune véritable
alternative ;
se
potentiellement
fondre
universel
dans
ou
un
système
disparaître.
donné
Ni
les
comme
langues
africaines, ni les usages coutumiers, n’avaient pu trouver
grâce
aux
yeux
des
occidentaux.
Il
a
ainsi
fallu
aux
africains, beaucoup plus que la seule volonté qu’exige une
opération de survie, mais surtout un concours de circonstance
où
la
providence
préserver
et
est
pérenniser
restée
leur
favorable
patrimoine
pour
et
conserver,
leur
identité
culturels. La vigueur de l’entreprise coloniale a cependant
été plus importante, et peu à peu, un tournant nouveau s’est
ouvert dans la dynamique socioculturelle africaine.
C’est donc dans le cadre de la rencontre des cultures
que va se former peu à peu une nouvelle identité culturelle
africaine.
Mais
dans
ce
processus
de
reconstruction
identitaire, la cohabitation entre les traditions africaines
et les modèles de vie à l’occidental est faite de choix
compatibles et incompatibles ; de ruptures, de symbioses et
de
heurts,
et
pose
le
problème
de
l’indétermination
de
l’individu, partagé entre sa culture propre, et l’ensemble
des critères empruntés aux univers sociaux occidentaux. Il en
265
résulte un être écartelé, produit d’une sous-culture, dont
les
manifestations
peuvent
être
autant
les
signes
de
la
déstructuration de l’individu, ou de la déliquescence de la
société
elle-même,
que
ceux
d’un
processus
d’évolution
caractéristique de toute société humaine, où les changements
et
les
mutations
doivent
être
perçus
non
pas
comme
une
aberration, mais comme un phénomène naturel dans la logique
fondatrice des civilisations humaines. Dans tous les cas, ces
bouleversements ne vont pas sans entamer les fondations d’une
existence séculaire. L’image sensible de cette situation nous
est
offerte
grosso
à
modo,
travers
les
conflits
de
générations mais aussi à travers la difficulté de certains
personnages à concilier identité culturelle traditionnelle et
exigences de la vie moderne.
Dans les conflits de générations, on peut aussi lire
l’écartèlement de l’individu qui se traduit, ainsi que nous
l’avons déjà évoqué, par l’inadéquation entre ce que veut la
tradition et ce que propose la modernité. La situation qui
prévaut au sein de la famille de Juliette, héroïne de Trois
prétendants…un mari, et qui est un paradoxe entre le fait
d’avoir
scolarisé
d’enlever
à
la
jeune
celle-ci,
fille
tout
(modernité)
espoir
et
celui
d’indépendance,
d’affirmation, d’émancipation et d’épanouissement de soi, en
l’obligeant
à
se
marier
avec
un
homme
pour
lequel
elle
n’éprouve aucun sentiment (tradition), tout cela figure bien
la situation d’écartèlement dans laquelle nombre d’africains
se situent.
Atangana, le père de la jeune fille est sans doute le
personnage qui manifeste le plus ce paradoxe. C’est lui qui,
en
tant
que
scolariser
sa
chef
de
fille,
famille,
ce
qui
avait
par
en
effet
conséquent
décidé
dénote
de
d’une
volonté de se tourner vers le monde moderne, lui offrant
ainsi la possibilité de vivre une vie différente de la leur.
Dans le contexte historique de ce choix, l’événement était
266
déjà
inhabituel,
surtout
concernant
les
filles.
Mais
cet
homme, dont le choix initial laissait entrevoir une ouverture
définitive
vers
le
modernisme
opère
un
revirement
de
situation en n’allant pas jusqu’au bout de sa démarche, et en
ne laissant pas à sa fille la liberté de décider de son
avenir. C’est que le poids de la tradition ne lui permet pas
de se déterminer, et de choisir en définitive, le mode de vie
qui convient à sa situation d’africain entre deux rives. Ce
qui est manifeste par-dessus tout ici, et qui est définitoire
de bon nombre d’africains en situation de dualité culturelle,
c’est le fait que notre chef de famille tente, comme le dit
un adage populaire africain, de « construire une case neuve
avec des matériaux anciens » ; en d’autres termes, « faire du
neuf avec de l’ancien ». Il essaye en effet de vivre la
modernité
avec
des
usages
traditionnels
anciens,
parfois
éculés, car n’ayant plus aucune pertinence dans le contexte
des sociétés nouvelles en marche.
L’attitude d’Atangana, à l’instar de celle de sa nièce
Matalina,
est
d’africains
caractéristique
aujourd’hui,
qui,
de
ayant
celle
reçu
de
dans
beaucoup
le
cadre
traditionnel, une éducation fondée sur la connaissance et
l’observation des lois et des préceptes de leurs communautés
traditionnelles,
choses.
Car
perdent
s’ils
parfois
côtoient
et
le
sens
adoptent
véritable
volontiers
des
un
environnement moderne souvent mal compris, ils en subissent
aussi les influences néfastes et les méfaits.
Mais
l’écartèlement
de
l’individu
peut
aussi
se
traduire par cette sorte de dégénérescence de la personnalité
que l’on note à travers le personnage de Japhet, dans Jinette
et Japhet de MENDO ZE.
Après avoir exercé des décennies durant, la profession
d’infirmier, Japhet, époux de Jinette est admis, comme le
stipule la loi, à faire valoir ses droits à la retraite.
Mais,
à
son
retour
dans
son
267
village
natal,
le
nouveau
retraité et sa femme sont bientôt confrontés à une situation
des plus gênantes. En effet, Japhet qui a longtemps été un
personnage envié des hommes de son village, connaîtra bientôt
l’opprobre et d’autres déconvenues, lorsque sa belle-sœur va
l’obliger, avec son épouse, à quitter la chambre qui leur
avait été cédée dans la maison de son frère, en rappelant
avec cynisme et cruauté la situation de sans toit de l’ancien
fonctionnaire, mais en montrant surtout l’absence de bon sens
dont
avait
fait
preuve
l’infortuné
retraité.
« Tu
aurais
mieux fait de penser à te construire une maison avec l’argent
que
tu
as
d’entretenir
gagné
tes
en
tant
que
maîtresses ! »,
fonctionnaire
lui
assène
au
lieu
furieuse
sa
belle-sœur au cours d’un échange de propos particulièrement
virulent. Ici apparaît non seulement la notion de déchéance,
mais
aussi
figure
celle
bien
la
d’écartèlement
de
situation
beaucoup
de
l’individu
car
Japhet
d’africains
qui
oscillent sans cesse entre des comportements propres à la
société traditionnelle et d’autres, typiques au monde dit
moderne.
En
effet,
d’appartenir
à
la
société
moderne
en
travaillant et en ayant un salaire qui le mettait à l’abris
du besoin semblent avoir déconnecté cet homme de la réalité
d’un monde qui n’est plus tout à fait régi par les codes de
l’hospitalité traditionnelle, mais en même temps pas encore
complètement investi par l’individualisme effréné voulu par
la nouvelle société de consommation. Il a, semble-t-il, voulu
compenser son inconséquence par le fait que dans son milieu
d’origine, les notions d’entraide et de solidarité ne sont
pas
de
vains
concepts.
Les
codes
sociaux,
la
morale
communautaire veulent que l’africain trouve toujours un toit
pour l’abriter et une main pour le nourrir en cas de besoin.
La
situation
d’écartèlement
est
marquée
ici
par
l’inaptitude de Japhet à s’accomplir, ni comme appartenant au
monde moderne en adoptant les codes et les symboles de la
268
modernité :
richesses
matérielle
et
autonomie ;
ni
comme
appartenant au monde traditionnel, en restant au village et
en vivant de la terre comme tous ceux qui n’avaient pas
choisi « le travail du blanc » comme le dit une expression
fang.
D’un autre point de vue, l’écartèlement de l’individu
peut
encore
se
manifester
dans
cette
forme
de
choix
douloureux que certains individus peuvent parfois être amenés
à opérer entre deux pôles d’existence, sachant que ce choix
peut être le présage d’une destiné funeste.
En trahissant son roi, Mouga n’ignore pas qu’il signe
par
la
même
occasion
son
propre
arrêt
de
mort.
Mais
la
trahison de Mouga n’est pas un simple régicide ; il commet en
effet le plus infâme des crimes que l’on puisse commettre
vis-à-vis de sa communauté ; de sa famille il est coupable du
péché
de
convoitise,
ce
qui
dans
le
code
des
lois
traditionnelles est considéré comme la pire des avanies. Le
conjuré
se
laisse
pourtant
tenter
par
la
perspective
de
devenir roi, et de bénéficier des honneurs dus à ce rang ; à
ce titre. Pourtant, on se rend compte aux soins qu’il met à
ne
pas
laisser
éventer
son
projet,
que
Mouga
mesure
parfaitement la portée de ses actes, il est cependant comme
aveuglé par la perspective de posséder enfin le pouvoir. Et
le processus dans lequel s’engageait l’irrévérencieux prince
africain n’offre aucune autre issue possible que celle de la
mort. Sa trahison apparaît encore plus abjecte à le voir
demander, à ses nouveaux amis français un sac (une gibecière)
telle
qu’en
français.
On
portent
les
pourrait
officiers
opérer
ici
et
un
les
sous-officiers
rapprochement
de
personnalités et de destins, entre Mouga qui trahit les siens
pour une vulgaire besace en toile de jute, et le personnage
biblique de Judas, qui trahit le Christ pour la modique somme
de trente deniers.
269
La question à laquelle semble appeler le dramaturge
gabonais ; au-delà de la légende biblique, est sans doute
celle
de
savoir
si
une
vie,
fut-elle
celle
d’un
« malfaiteur » (Mouga justifie ses actes par le fait que le
Roi, à ses yeux est devenu arrogant et injuste vis-à-vis de
ses concitoyens), mérite d’être prise pour satisfaire des
intérêts personnels et égoïstes. Car que l’on ne s’y trompe
pas, les véritables desseins de Mouga ne sont pas d’agir pour
le bien du peuple, mais pour satisfaire son propre désir de
gloire et de puissance (matériel et politique).
D’un
autre
point
de
vue,
la
mort
(physique
et
métaphysique) de Mouga, mais par-dessus tout celle du roi,
manifestent
toutes
deux,
un
processus
nécessaire
de
changement dans lequel de manière générale, l’Afrique entrait
à
l’orée
d’une
ère
nouvelle.
La
fin
de
la
période
des
indépendances devait correspondre inévitablement à la remise
en question des institutions héritées de la colonisation en
même
temps
qu’elle
devait
s’interroger
sur
l’opportunité,
d’un tel changement qui envisageait une coupure nette avec
l’ordre ancien ; avec la sagesse de l’expérience. Il fallait
‘’tuer’’
l’ordre
Mouanga,
mais
ancien
à
l’exécution
travers
du
la
traître
mort
du
Mouga
vieux
était
roi
aussi
nécessaire pour que renaisse l’espérance d’un ordre nouveau,
symbolisé par la descendance du roi défunt.
Pourtant, une vision prophétique du futur ; un futur
incertain, amène le couple royal à prodiguer leurs dernières
recommandations à la nouvelle génération incarnée par leurs
enfants Sasi et Sabi.
C’est
Gouverneur
179
chez
,
que
Laurent
se
OWONDO,
traduit
encore
avec
La
mieux
l’allégorie
folle
du
de
l’écartèlement. En effet, le personnage de la Folle, (veuve
d’un époux dont la mort n’a pas suffi à effacer le souvenir,
179
- OWONDO Laurent : La folle du gouverneur ; Paris, Editions Promotion
Théâtre Emile Lansman, 1990.
270
et un nouveau soupirant bien déterminé à tenir un rôle de
premier
plan
auprès
d’elle
et
à
abattre
toutes
les
résistances), incarne d’une manière symbolique une Afrique
tiraillée entre deux forces, entre deux « amants » dont le
souvenir de l’un et les attentes de l’autre, ont produits
chez
l’être
convoité,
une
névrose
qui
met
celle-ci
en
difficulté quant au choix qu’elle doit d’une manière ou d’une
autre, opérer.
Si la difficulté des autres personnages à se situer
dans
un
espace
donné
est
plus
globalement
du
domaine
du
culturel, l’écartèlement de la Veuve Desenclos dépasse les
seuls domaines de l’identité ou de l’histoire, pour atteindre
des problématiques d’ordre social et
politique. Ce choix,
dont les enjeux déterminants pour l’avenir constituent un
véritable défi, sonne pour la Veuve, la fin d’une époque. En
dépit de sa névrose, la Veuve apparaît au milieu de tous
comme seule véritable conscience de ce monde où chaque entité
se pose en élément de contradiction. Ici se manifeste au
niveau individuel, cette incompatibilité entre le passé et
l’avenir qui fait du personnage du fou dans la littérature
africaine en général, la figure allégorique de la déchirure ;
de l’écartèlement entre le passé et l’avenir de l’individu et
de son histoire.
Dans
bien
des
domaines
l’écartèlement
de
l’individu
manifeste les processus de déculturation et d’acculturation
qui
mettent
la
société
africaine
tout
entière
dans
une
situation d’aliénation par rapport aux différentes réalités
auxquelles celle-ci est confrontée. Si la problématique de
l’aliénation culturelle a constitué la pierre d’angle des
romanciers ou des dramaturges africains des années 60 à 50,
elle a également fait l’objet des textes de théâtre chez les
dramaturges d’Afrique.
On
ne
peut
dire
aujourd’hui,
que
la
question
soit
éculée, car les années 90 à 2000 ont vu resurgir, à travers
271
des textes comme La Folle du Gouverneur du gabonais Laurent
OWONDO,
le
société
problème
partagée
de
l’orientation
entre
une
idéologique
véritable
d’une
autonomie
des
institutions politiques et économiques, et une situation de
pseudo
indépendance,
prépondérance
à
qui
donne
l’ancien
toujours
colonisateur
une
tant
véritable
à
travers
l’arrivée au pouvoir et la confiscation de celui-ci par des
élites
politiques
acquises
verrouillage
des
systèmes
institutions
monétaires
à
leur
d’échanges
cause,
que
économiques
internationales,
de
plus
dans
le
par
des
en
plus
hostiles aux véritables politiques économiques consensuelles
et égalitaires pouvant favoriser le décollage ou l’émergence
des pays les plus faibles.
La
perversité
de
ces
institutions
est
incarnée
notamment par des personnages comme le Colonel Perono de La
parenthèse de sang, pour qui le Lébango ne sera jamais qu’une
source
d’approvisionnement
et
d’enrichissement
des
plus
forts ; des gens comme lui, qui détiennent les capitaux et
confisquent la totalité des moyens de production :
« Ici,
voyez-vous, monsieur l’instituteur, je suis tout ; Absolument
tout. », ou encore : « Je suis le drapeau, la loi, la liberté
le droit, la prison, le diable et le bon Dieu, enfin. Vous
voyez bien – tout. (…) Si bien que toute la région m’écoute
et m’obéit, disons aveuglément. (…) Je crois qu’on vous a
parlé de moi » ;
déclare-t-il, à l’adresse de l’instituteur,
ce qui vient confirmer la description faite par l’écolier que
Mallot avait entrepris de questionner pour avoir une idée de
la vie dans ce village, où il venait d’être muté : Monsieur
Perono, dit l’enfant, «c’est le bon Dieu du coin »180, « si
vous voulez vivre en paix, faut pas déranger monsieur Perono.
Parce
que
vous
avez
tout
le
180
pays
dans
le
dos
en
cinq
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de
sang ; Paris Hatier, 1981, p. 80.
272
minutes. »181
commercer
Il
peut
avec
les
en
effet
décider
habitants
du
qui
peut,
Lébango ;
ou
doit
« Monsieur
Ottellini a fermé. (…) Les mauvaises langues boutiquent que
c’est monsieur Perono qui l’a chassé »182 ; annonçait déjà
l’enfant.
Partagé
entre
le
refus
d’aliéner
sa
liberté
et
son
individualité à un système qu’il estimait corrompu, et la
nécessité
de
s’en
accommoder ;
il
est
responsable
d’une
famille, au sens large de la famille africaine, car en plus
de sa femme et de ses deux filles (ses deux diables), Mallot
doit aussi subvenir aux besoin de son père, de sa mère et de
sa sœur :
MANISSA.- A part tes diables et ta femme, qui as-tu ?
MALLOT.- Mon père. Un mort qui vit de moi (…). Ma mère,
ma sœur et moi (…).183
L’instituteur
Mallot
Bayenda
est
donc
confronté
au
dilemme de son humanité ; de son impuissance vis-à-vis de ce
qui apparaît de plus en plus comme une fatalité, confronté à
la difficulté de sa condition d’individu social, qu’il vit
comme une trahison par rapport à ses convictions profondes.
Obligé
de
transgresser
en
quelque
sorte
son
éthique
personnelle. Et face à l’arrogance de Perono qui a retourné à
sa convenance la loi du Marché en celle de la jungle : « les
plus
forts
ont
toujours
raison,
et
ils
mangent
les
plus
faibles » l’instituteur se refuse à plier l’échine comme tous
ses compatriotes. Car pour ce chantre de la justice et de la
liberté, il faut refuser « d’exister sur commande ». Face aux
« guignols », aux « chiffes », au « vide », à « l’élite des
charognards »,
Mallot
dresse
sa
181
plénitude ;
son
existence
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de
sang ; Paris, Hatier, 1981, p. 81.
182
- Id. p.82.
183
- Id. p. 119.
273
humaine et métaphysique : « Ils ont fini par faire de moi un
Dieu. Malheureux, mais Dieu quand même. »184
D’une
observation
l’écartèlement
de
générale,
l’individu
il
obéit
apparaît
toujours
au
que
contexte
idéologique et historique de son inscription au sein de la
communauté ; au contexte interrelationnel posé par une vision
affective
et
singulière
du
monde
et
des
énergies
qui
le
définissent et le structurent.
6.2 – Les nouvelles classes sociales :
L’histoire
sociale
de
l’Afrique
contemporaine
est
marquée par trois grandes périodes qui signent d’une certaine
manière, la typographie des structures sociales observables
aujourd’hui sur le continent.
Fruit des époques précoloniales, coloniales et postcoloniales, les différentes classes sociales sont marquées de
façon significative dans le paysage démographique africain.
Elles tiennent une place déterminante dans la vie publique.
Leur
évolution ;
leur
développement,
croissant
ou
décroissant, leur influence, sont souvent la conséquence d’un
contexte social, culturel, économique ou politique qui peut
favoriser
ou
pas,
l’éclosion
d’une
classe
dominante
au
détriment d’un ensemble moins privilégié.
Qu’il soit d’inspiration lointaine ou contemporaine, le
théâtre
d’Afrique
composantes
déterminant
l’Afrique.
de
le
Ces
la
Centrale
société
visage
sociétés,
présente
comme
politique
de
type
un
les
ensemble
et
social
traditionnel
différentes
de
facteurs
actuel
de
(rural)
ou
moderne (urbain), ont en commun une histoire qui reste marqué
par le processus de confrontation et de mutation auxquels les
populations
184
ont
été
amenées
à
- Op. Cit. p.90.
274
faire
face
à
travers
les
multiples tribulations imposées par l’Histoire. Guy Ossito
MIDIOHOUAN pense à ce effet que « Dans la mémoire collective
des africains, la période coloniale est le « temps de la
chicote » marqué par la lourdeur des impôts et le travail
forcé.
Les
relatifs
solidarités
équilibres
qui
avaient
individuels
réussi
et
à
forger
collectifs
les
furent
détruites par les nouvelles structures économiques, l’exode
rural, la croissance urbaine et l’introduction de nouvelles
religions. La domination étrangère a également suscité de
nouvelles classes sociales : le prolétariat ouvrier et la
bourgeoisie locale. »185
D’un
point
de
vue
général,
la
typologie
sociale
de
l’Afrique se caractérise, ainsi que nous l’avons déjà énoncé,
par deux grands ensembles distinctifs ; nous avons en effet,
d’un côté :
-
les
instruction,
pratiquant
communautés
rurales,
qui
des
une
l’échelle
la
vivent
agriculture
plus
de
basse
de
pauvres,
produits
souvent
sans
de
la
forêt
et
subsistance,
se
situent
à
cette
classification.
Leurs
revenus ; très limités, dépendant généralement de la vente du
fruit de leurs petites exploitations, ne peuvent suffire à
couvrir
leurs
nécessité
besoins
tel
l’éclairage,
d’autres
que
les
en
matière
les
produits
produits
produits
de
produits
pétroliers
d’hygiène
manufacturés.
de
comme
Cette
le
première
servant
savon,
catégorie
de
à
ou
la
population a toujours besoin du secours des citadins pour
combler les nombreux déficits auxquels ils doivent souvent
faire face.
-
et
urbanisées,
de
dont
l’autre
le
côté,
niveau
de
il
vie
y
a
varie
les
entre
populations
riches
et
pauvres, avec au milieu, une catégorie moyenne. La population
urbaine
a
aussi
comme
caractéristique,
185
d’être
un
mélange
- MIDIOHOUAN Guy Ossito : « La réalité africaine dans la nouvelle »,
in Fiction africaine et postcolonialisme ; SS DIOP Samba. Paris,
L’Harmattan, 2002 ; p. 203.
275
d’individus
instruits,
certaine
ruraux.
de
toutes
et/ou
pas
manière,
Mais
origines
la
leur
et
de
instruits ;
classe
des
situation,
tous
ils
les
constituent
privilégiés,
très
niveaux ;
d’une
vus
par
les
ne
peut
se
disparate,
définir qu’en prenant en compte des situations particulières
aux
individus ;
historique.
à
Mais
d’instruction
leur
parcours
d’une
façon
scolaire
sociologique,
générale,
conditionne
voire
le
niveau
fortement
la
classification sociale des individus.
Pour expliquer les fondements de la répartition des
types sociaux, entre villes et campagnes, Elikia MBOKOLO note
que
« les
populations
rurales,
notamment
agricoles,
qui
vivent du travail de la terre sont encore majoritaires, même
si l’espace urbain rassemble une population de plus en plus
considérable (environ 40%). »186.A l’intérieur de cet espace
urbain,
une
résultat
du
partie
importante
phénomène
de
de
la
l’exode
population
rural,
qui
est
le
touche
en
majorité les adolescents et les jeunes adultes. Fuyant la
pauvreté des campagnes, cette catégorie de la population,
souvent
sans
qualification,
vient
grossir
les
rangs
des
chômeurs et des mal lotis. Il est certain que la physionomie
de la ville africaine traduit d’une manière fondamentale, la
distribution spatiale des différentes classes sociales qui
forment le tissu urbain. On peut notamment relever que les
zones
urbaines
d’infrastructures
les
mieux
publiques
équipées
(routes,
en
écoles,
matière
équipement
et
fourniture d’eau et d’électricité, hôpitaux ou dispensaires,
systèmes
de
collecte
et
d’évacuation
de
déchets
ménagers
etc.), sont occupées par les cadres appartenant aux régimes
politiques. Les cadres et personnels de l’administration et
des services publics quant à eux vont occuper les espaces
mitoyens à ceux des « élites » politiques. Le reste de la
186
- MBOKOLO Elikia, Afrique Noire, Histoire et Civilisations. Tome II,
XIXème - XXème Siècle; Paris, Hatier-Aupelf, 1992, p. 517.
276
population urbaine, la plus importante fraction, formée par
les
cadres
subalternes,
les
ouvriers,
ou
les
agents
du
secteur informel, et en grande partie aussi les chômeurs,
vont occuper les régions ou zones périphériques des grandes
agglomérations,
formant
des
bidons
villes.
Ici
sont
rassemblés tous les types de problèmes liés, non seulement au
déficit
de
relatives
l’emploi,
à
une
mais
aussi
véritable
et
politique
surtout
aux
sociale
questions
qui
mettrait
l’accent sur la formation des jeunes et la valorisation du
monde rural.
Symbolique
scolaire
constitue
déterminant
dans
de
dans
l’Afrique
pour
contemporaine,
tous
l’occupation
l’ascension
au
sein
les
des
de
l’instruction
africains,
catégories
celles-ci.
un
facteur
sociales,
Cependant
et
pour
certains, il peut représenter une forme d’entrave par rapport
à l’identité culturelle, et à l’affirmation de soi. Car dans
plusieurs domaines, l’instruction scolaire qui ouvre et donne
accès à des perspectives différentes dans la conception et
l’appréciation du monde, entre souvent en contradiction avec
l’univers des traditions ancestrales, en remettant en cause
bien
des
acquis
culturels
donnés
comme
immuables
par
les
codes de la cosmologie et du vécu quotidien des peuples.
Dans tous les cas, les nouvelles classes sociales en
Afrique
reflètent
aussi
bien
le
passé
culturel
des
communautés, que l’appartenance à un ordre nouveau issu de la
rencontre des cultures occidentales et africaines. Car s’il
est
impossible
populations
aujourd’hui
vierges
l’existence
occidentalisées
de
de
d’affirmer
toute
communautés
n’est
pas
qu’il
influence
africaines
non
plus
quelque
existe
des
extérieure,
entièrement
chose
de
vérifiable. Du plus profond des forêts équatoriales, où les
Pygmées chassent désormais au fusil, jusqu’aux grands centres
métropolitains
comme
Douala,
Libreville,
Brazzaville
ou
Yaoundé, on mêle depuis, sans distinction, coutumes anciennes
277
et
comportements
l’émergence
modernes.
d’un
monde
Ce
qui,
nouveau ;
du
même
coup,
l’existence
de
signe
classes
sociales nouvelles, et la véracité d’une sous-culture, que
pour
notre
point
de
vue
nous
voyons
comme
une
nouvelle
civilisation, celle qui tend vers l’universalité.
On retrouve diverses manifestations de ces strates de
la société dans les textes de notre corpus. C’est encore
Trois prétendants…un mari de OYONO MBIA qui va nous permettre
de
lire
la
représentation
concrète
de
ces
strates
de
la
société africaine actuelle.
D’abord du point de vue des usages, les grands-parents
et
les
parents
l’intérieur
cependant
de
le
de
Juliette
cette
premier
représentent
catégorie,
maillon
les
de
la
la
tradition.
parents
chaîne
A
constituent
qui
relie
la
tradition ancienne et la génération moderne que représentent
Juliette et son fiancé Ndi, groupe auquel il faut ajouter
Mbia le fonctionnaire.
Toujours
chez
OYONO
MBIA,
Le
Train
spécial
de
son
excellence nous donne un autre visage de ceux qui constituent
les nouvelles sociales africaines ; ce sont tous ceux qui,
comme le chef de gare, occupe des emplois subalternes au sein
de la hiérarchie des cadres d’entreprise, et qui usent et
abusent de leur position pour avoir une emprise sur leur
concitoyens. Ce sont aussi des individus qui, à l’instar du
personnage
limites
des
de
Son
outrepassent
Excellence,
prérogatives
que
leur
confère
souvent
une
les
autorité
supérieure, pour se poser en maître omnipotent vis-à-vis des
populations
les
plus
humbles,
les
moins
cultivées
et
par
conséquent ignorantes des véritables attributions aussi bien
d’un modeste employé des chemins de fer, que de celles d’un
cadre subalterne de l’administration publique.
Chez Gervais MENDO ZE, les nouvelles classes sociales
apparaissent
sous
les
traits
de
Jinette.
278
Japhet
et
de
son
épouse
Anciens
citadins
lorsque
Japhet
exerçait
le
métier
d’infirmier, ils étaient enviés et admirés par les villageois
qui voyaient en eux des exemples de réussite sociale. Pour
les populations rurales en effet, la vie en ville est facile
et agréable, comparée à celle de la campagne où le rude
travail de la terre reste la seule opportunité.
Admis à faire valoir ses droits à la retraite, Japhet
et son épouse doivent regagner le village natal. Ils devront
s’y
réinsérer,
et
se
faire
accepter
par
la
communauté,
notamment en apportant les fruits de leur labeur passé.
A
leur
retour
au
village,
Jinette
et
Japhet
sont
hébergés par le frère de ce dernier, n’ayant pas assuré comme
il se doit, la fin de la vie active, en se construisant une
maison
pour
leurs
vieux
jours.
Dans
la
société
traditionnelle, un homme qui ne peut se bâtir une maison est
considéré par les siens comme un vaurien ; un irresponsable.
C’est donc quelqu’un qui n’a droit ni au respect des siens,
ni à leur bienveillance. Japhet et son épouse doivent donc
subir les critiques et les railleries des villageois, ce qui
finit
par
déclancher
une
violente
dispute
entre
les
deux
belles-sœurs, jetant la honte et l’opprobre sur les anciens
citadins.
Comme chez NYONDA et OYONO MBIA les pièces de MENDO ZE
mettent en scène des situations de la vie commune ; rurale ou
citadine,
avec
pour
intention
première
de
fustiger
les
comportements déviants ; de moraliser la société.
A travers le personnage de Japhet, MENDO ZE veut amener
à une prise de conscience des cadres et des élites sociales
africaines
en
situations.
Car
l’avenir
et
éventuelles,
matière
pour
la
prévoir
de
changement
plupart
en
de
de
ces
conséquence
statuts
élites,
des
et
de
anticiper
difficultés
semble une notion quelque peu dérisoire. C’est
en étant confronté à la réalité du terrain que nombre de ces
élites
sociales
mesure
la
portée
279
de
leur
inconscience.
Certains (très rares) parviennent à se rattraper en trouvant
d’autres
moyens
de
nombreux,
ne
erreurs.
Ils
déchéance
physique
peuvent
survie.
que
sombrent
et
D’autres
subir
les
contre,
contrecoups
généralement
morale,
par
dans
pouvant
une
parfois
de
plus
leurs
véritable
aboutir
au
suicide, pour les cas les plus graves.
Lorsque
récurrent,
le
les
problème
devient
dramaturges,
aussi
conscience
important
que
collective
des
sociétés humaines, ne peuvent rester insensibles. Et toujours
sur le mode du castigare ridendo mores, ils vont essayer
d’amener le public à prendre en compte ce fait, afin de le
corriger.
6.2.1 - Les nouvelles bourgeoisies politiques :
Toujours pour mieux cerner le phénomène des nouvelles
classes sociales africaines (dont font partie intégrante les
nouvelles bourgeoisies politiques) et telles qu’elles sont
décrites par les auteurs dramatiques d’Afrique Centrale, nous
pouvons
nous intéresser à une situation de plus en plus
récurrente en Afrique. Elle pose comme base de la répartition
des couches sociales, une forme d’élitisme fondé, non pas sur
le mérite intellectuel, ou sur la capacité des uns ou des
autres à proposer un projet politique dans le domaine de la
gestion des affaires publiques. Nous avons plus régulièrement
affaire à des systèmes fondés sur des alliances ethniques,
des parrainages en tous genres, dont celui des fraternités
maçonniques,
rosicruciennes
constitue
aujourd’hui
systèmes
plus
formation
des
ou
un
moins
catégories
ou
autres,
véritable
et
vivier.
dont
A
côté
souterrains,
un
sociales
politiques
et
l’Afrique
autre
de
type
ces
de
concerne
celui de la prise en otage des institutions républicaines par
un, ou des groupes d’individus civiles ou militaires, et qui
280
se constituent en de véritables castes de privilégiés et de
passe-droit face au peuple, en faisant régner un climat de
terreur et de suspicion tous azimut. C’est notamment le cas
dans la quasi-totalité des textes de Sony LABOU TANSI, qu’il
s’agisse de Je soussigné cardiaque ou de La parenthèse de
sang ;
qu’il
s’agisse
de
Qui
a
mangé
Madame
d’Avoine
Bergotha, d’Antoine m’a vendu son destin etc., nous avons
face
à
nous,
non
plus
une
élite
politique
au
sens
traditionnel du terme, mais des sortes de clubs d’amis, de
clans
« de
malfaiteurs »,
des
groupes
et
associations
tournant autour de la parenté ou des fratries de loges, et
qui s’octroient tous les droits, tous les pouvoirs et tous
les privilèges inhérents à leurs qualités de responsables
politiques,
sans
toujours
consentir
à
en
assumer
les
obligations. Cette représentation des nouvelles bourgeoisies
politiques africaines peut aussi se lire chez les gabonais
Vincent de Paul NYONDA dans Le Roi Mouanga.
Laurent OWONDO, dans la pièce intitulée La folle du
Gouverneur, et où le phénomène de la confiscation du pouvoir
politique
régimes
est
aggravé
politiques
par
celui
africains
par
de
la
les
vassalisation
anciennes
des
puissances
coloniales, et de l’impact de ce néo-colonialisme occidental
sur le Continent Noir.
Ces
phénomènes
qui
tendent
aujourd’hui
à
se
généraliser, opposent en effet ceux qui appartiennent aux
cercles du pouvoir politique dominant, à ceux qui en sont
marginalisés. C’est dire qu’en Afrique, une certaine forme
d’exercice
curieuse
exergue
du
pouvoir
manière
politique
d’appréhender
l’émergence
d’une
a
le
nouvelle
donné
naissance
monde,
en
à
mettant
bourgeoisie
liée
une
en
au
pouvoir
Ainsi que nous venons de l’annoncer, la répartition des
classes sociales telle qu’elle est donnée par la production
dramatique
d’Afrique
Centrale
281
tend
de
plus
en
plus
à
privilégier une opposition entre la classe politique et le
reste de la population. Ce clivage qui est le fait de ce que
nous
désignerons
politiques »,
comme
se
étant
construit
« les
autour
nouvelles
d’un
bourgeoisies
certain
nombre
de
paramètres, rarement en rapport avec l’intérêt public.
Les classes politiques que décrivent par exemple LABOU
TANSI,
OWONDO,
NYONDA,
U
TAM’SI
ou
OYONO
MBIA,
sont
constituées, ainsi que nous l’avons déjà dit ; d’un côté, de
ceux qui partagent l’opinion d’un pouvoir aux fondements et à
la légitimité souvent discutables ; et de l’autre, ceux qui,
ouvertement prennent position contre ce pouvoir, et qui pour
cette raison sont marginalisés, ou subissent une répression
brutale et féroce. Entre ces deux extrêmes, il y a la masse
du peuple ; les sans-voix, au nom desquels tout se fait, et
tout se dit.
Les nouvelles bourgeoisies politiques, en effet, sont
constituées
pouvoirs
par
et
des
individus
jouissent
de
qui
tous
disposent
les
de
privilèges,
tous
ils
les
sont
affiliés au parti politique dominant. Souvent décrits comme
« les fossoyeurs de la République », ils ont souvent instauré
la loi du plus fort au détriment des règles de la démocratie.
Car leur unique motivation concerne l’accumulation de biens
et la défense des intérêts personnels, au détriment de la
cause publique.
Livrant
une
contradictoire,
perçues
par
guerre
les
sans
nouvelles
beaucoup
de
merci
contre
bourgeoisies
dramaturges
toute
opinion
politiques
africains,
sont
comme
de
véritables fléaux auxquels il faut sans cesse lutter.
En opposant d’un côté le peuple, et de l’autre les
classes politiques, les dramaturges essayent de montrer le
paradoxe
qui
caractérise
de
manière
générale
le
discours
politique africain, tenu par des dirigeants peu soucieux du
destin
public,
mais
qui
282
toujours
proclament
leur
« attachement
au
peuple »,
sans
que
rien
dans
leurs
agissements ne vienne démontrer ce postulat.
D’abord chez Sony LABOU TANSI. Parler du clivage entre
le peuple et la classe politique ; évoquer les inégalités
sociales
comme
ou
la
faire
marquantes
nouvelles
répression
l’autopsie
de
cette
bourgeoisies
pour
de
délit
la
d’opinion,
société.
société ;
celles
politiques
Et
qui
apparaît
les
figures
composent
africaines,
sont
les
souvent
rassemblées autour d’un président autocrate, comme celui dont
il est question dans La Parenthèse de sang, et que ses sbires
désignent sous l’appellation de la capitale. Les personnages
de
ces
nouvelles
bourgeoisies
politiques
africaines
apparaissent aussi sous les traits d’un Antoine, d’un Moroni,
général et ami d’Antoine ; d’un Riforini, autre ami et bras
droit du même Antoine dans Antoine m’a vendu son destin187. Ce
sont aussi des personnages tels que Mamab, monarque déchu de
son trône, et visiblement en route vers un exil incertain ;
avec lui, il y a Nohami sa femme et Zooam son beau-frère.
D’autres personnages viennent compléter ce tableau, ce sont
le
Docteur
comparse,
Ghost,
Elvire,
auteur
de
épouse
la
de
conjuration,
Zooam,
dont
Léonard,
le
rôle,
son
à
l’intérieur de l’intrigue qui se joue est central (le rôle et
la personnalité de Zakaya le tiennent un peu à l’écart de ce
groupe ; son importance est autre). D’une manière générale,
les bourgeoisies politiques africaines sont aussi constituées
par des juntes militaires qui, comme partout où elles se sont
emparées du pouvoir, constituent l’une des formes les plus
féroces
de
individus,
l’exécutif.
les
Pour
notions
ces
de
groupes
ou
pour
ces
« Démocratie »
ou
de
« Constitution » ne sont rien de plus que des vocables tout
juste
utiles
à
donner
le
change
187
dans
des
rencontres
- LABOU TANSI Sony ; Antoine m’a vendu son destin : Paris, Editions
Acoria, 1997.
283
internationales, où ils tenteront souvent de légitimer leur
imposture.
Clarisse NICOÏDSKI, dans sa postface à
Antoine
m’a
vendu son destin, opère une analogie entre le destin de ce
personnage
et
tristement
celui
d’autres,
l’Histoire
dont
le
souvenir
contemporaine,
il
marque
s’agit
en
l’occurrence du Duce Mussolini, de Staline et du Führer Adolf
Hitler : « Que signifie Démocratie ? Constitution ? Seul le
destin des mots sépare son Altesse Antoine, d’un petit père
du peuple, ou d’un Duce, ou d’un Führer. Ce sont eux qui
disent la farcesque de l’histoire, de l’Histoire. »188
En cherchant à déterminer les différents processus
conduisent
à
la
constitution
des
nouvelles
qui
bourgeoisies
politiques africaines, en recherchant l’instant précis de la
rupture entre le civil et le politique, le poète cherche
avant tout à saisir les motivations profondes d’un clivage
dont
la
nécessité
rentre
en
opposition
avec
la
véritable
vocation de toute action destinée à la gestion de la chose
publique. Mais il veut aussi se convaincre de la possibilité
d’une
réconciliation
entre
deux
composantes
sociales
pour
lesquelles l’existence de l’une semble toujours en passe de
neutraliser l’autre.
Dans le fond, l’histoire d’Antoine paraît se rapprocher
de celle de la Reine Béatrice du Congo. Ce texte est en effet
une cynique parodie de l’histoire de l’héroïque CHIMPA VITA ;
prénommée Béatrice par les explorateurs portugais, et qui
comme Saint Antoine, offrit sa vie à ses compatriotes, afin
de
restaurer
la
splendeur
du
royaume
du
Congo
en
déliquescence depuis 1662.
Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’Antonio Ier
du
Congo qui, succédant à son père, entra en hostilité contre
les portugais, à qui il refusait l’exploitation des mines
188
- Op. Cit., Postface, p.61.
284
d’or et d’argent du pays. Vaincu par les portugais et leurs
alliers, Antoine périra décapité.
Dans
tous
politiques
sont
les
cas,
souvent
les
nouvelles
visibles
au
cœur
de
bourgeoisies
la
tradition
littéraire africaine. Tragiques ou comiques, elles donnent à
lire une société où les choses semblent ne jamais être à la
bonne place.
En
effet
le
discours
social
ou
politique
se
situe
toujours en total décalage avec la réalité vécue par les
populations. C’est notamment ce que l’on peut observer dans
Le train spécial de son Excellence189, où la surexcitation du
chef de gare tranche avec la nonchalance des villageois. Dans
un cas comme dans l’autre, l’arrivée de ‘’Son Excellence’’
suscite un sentiment de fierté pour le chef de gare, à la
perspective de s’élever dans la société s’il arrivait à faire
bonne impression auprès de l’homme politique. Du côté des
villageois, les choses sont vues sous un angle différent.
Pour ces gens déjà accablés par des taxes et des impôts de
toutes
sortes,
la
visite
d’un
« officiel »
ne
peut
représenter qu’une source nouvelle d’inquiétude. On comprend
dès lors l’absence d’enthousiasme dont ils font montre quand
il s’agit de se tenir prêt pour l’arrivée du train.
Le
chef
prototype
Presque
des
de
gare
nouvelles
toujours
est
à
classes
préoccupés
par
une
certaine
dirigeantes
leur
propre
échelle,
de
le
l’Afrique.
sort,
leurs
congénères ne constituant très souvent que des simples fairevaloir, n’ayant aucun pouvoir, et que les classes dominantes
assujettissent et réduisent au silence.
189
- OYONO MBIA Guillaume : Le train spécial de son excellence ; Yaoundé,
Editions Clé, 1972.
285
6.2.2 – Le peuple exploité :
La
stratification
de
la
société
africaine
actuelle,
ainsi que l’avons énoncé plus haut, est le fait de plusieurs
facteurs.
Le
l’accumulation
plus
ou
marquant
non,
de
des
ces
facteurs
richesses
et
est
des
celui
de
biens
de
consommation, ce qui conduit globalement à la marginalisation
des couches les plus importantes des populations. Ce facteur
économique d’exclusion et plus globalement accentué par des
systèmes
ou
des
régimes
politiques
inégalitaires
et
autocratiques.
Majoritairement
bâtis
sur
le
modèle
des
anciennes
puissances colonisatrices, les Etats modernes africains ont
adopté des régimes politiques et économiques divers, allant
de systèmes dits « à économie de marché », jusqu’aux régimes
« socialistes », en passant par des sociétés « marxistes ».
Mais
modèle
il
apparaît
économique
ou
généralement
politique
que
pour
quel
lequel
que
ces
soit
Etats
le
ont
opté, on n’y rencontre que des dictatures. Les notions de
peuple ou de bien public n’étant ici que de vagues concepts
dont se gargarisent les responsables politiques.
Sur le plan politique donc, les jeunes Etats africains
ont généralement accédé aux indépendances à partir des années
1960.
Le
modèle
politique
de
ces
premières
années
est
globalement de type multipartite. Mais très tôt, des coups
d’Etat
militaires
viennent
encore
fragile,
charriant
remettre
derrière
en
cause
eux,
une
liberté
toutes
sortes
d’avanies, de crimes et génocides, dont les conséquences sont
des catastrophes humanitaires et économiques, réduisant à la
misère la plus sombre, des millions d’individus.
Ailleurs, là où la situation n’avait pas dégénéré en
conflit armé, les relations entre les classes dirigeantes et
les couches populaires étaient tout aussi conflictuelles et
dramatiques.
Mais
on
peut
aussi
286
voir
que
les
sociétés
traditionnelles n’ont pas toujours échappé aux méfaits liés à
l’exercice abusif du pouvoir. Ainsi, lorsqu’il est question
de destituer le Roi Mouanga, c’est pour cause de grossièreté,
de
gourmandise
et
d’égoïsme,
comportements
qui,
dans
le
contexte des sociétés traditionnelles, restent répréhensibles
et
déshonorants
communauté
évoquant
aussi
bien
pour
l’individu
à
laquelle
il
appartient.
ces
travers,
il
emportera
que
Mouga
pour
sait
l’adhésion
la
qu’en
de
ses
compatriotes à son projet de destitution du Roi.
BALA – Avant les moyens d’exécution, réunissons d’abord
les mobiles capables d’entraîner le peuple. Pour ce faire, il
s’agit de considérer tous ses actes des plus petits aux plus
grands.
MOUGA – Il n’y a là aucun problème. Le peuple ne se
plaint-il pas de sa grossièreté ? Sa gourmandise n’est-elle
pas
légendaire
compris
toutes
Et
son
les
égocentrisme :
belles
filles
du
tout
est
pays ;
à
ses
lui,
y
droits
s’étendent jusqu’à nos forêts et rivières que les ancêtres
nous ont léguées en partage.
BALA – Il opprime les humbles et leur arrache leurs
biens190
Ailleurs, avec l’instauration des systèmes de partis
uniques
totalitaires
« iniques » »,
pour
(Sony
LABOU
évoquer
TANSI
parle
l’absurdité
de
de
« partis
ces
régimes
tyranniques africains), le bâillonnement des opinions et de
toutes
formes
de
contestations ;
l’oppression
systématiquement exercée sur les opposants politiques, les
exécutions sommaires et les emprisonnements arbitraires sont
érigés en règles absolues.
Ces pratiques répressives et inégalitaires vont très
souvent interpeller la conscience des hommes de culture et
d’une certaine manière, une part importante de la production
190
- NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga ; Libreville, MultipressGabon, p. 9.
287
littéraire africaine des années postindépendance a focalisé
son discours sur la critique et la remise en cause de ces
régimes tortionnaires.
Plusieurs
l’oppression
personnages
et
de
sont
représentatifs
l’exploitation
exercées
sur
de
les
populations africaines, soit par des élites politiques dont
la légitimité est souvent relative, soit par les membres des
classes moyennes de l’administration publique, qui elle-même
est confrontée quotidiennement aux phénomènes de passe-droit,
de clientélisme, de trafic d’influence, de corruption, etc.
En elle-même, l’exploitation des couches populaires par
des
élites
corrompues,
oppressives
et
égoïstes,
apparaît
comme la résultante logique d’un état de fait qui vient,
ainsi que nous venons de le dire, soit des origines souvent
controversée des membres des classes dirigeantes ; soit d’un
état généralisé de dégradation du secteur administratif.
Si l’on considère que l’exploitation d’un individu par
un autre revient à dire que l’un soumet l’autre à sa volonté,
il y a un facteur non négligeable dans ce processus ; il est
de l’ordre du psychologique, mais il est aussi d’un ordre
matériel. En effet, le rapport qui lie l’individu opprimé à
son oppresseur va parfois au-delà du rapport de possédant à
celui qui ne possède pas. L’exploitation de l’individu est
plus souvent le fait d’une attente. Attente de liberté et
d’autonomie ;
attente
de
vie,
pour
laquelle
l’individu
opprimé se trouve en situation de dépendance ; subordonné à
la
volonté
situations
de
que
l’oppresseur.
l’on
peut
Ce
sont
découvrir
en
dans
substance,
La
folle
des
du
Gouverneur191 de Laurent OWONDO, ou dans la plupart des textes
de Sony LABOU TANSI, ou encore dans Le train spécial de son
Excellence de Guillaume OYONO MBIA.
191
- OWONDO Laurent : La folle du Gouverneur ; Paris, Editions Promotion
Théâtre chez Emile Lansman, 1990.
288
Dans La Folle du Gouverneur, le personnage central ; la
Veuve
Desenclos/Tchémoyo,
premier
mari,
aspire
de
à
la
tout
suite
son
de
être
la
à
mort
la
de
paix
son
et
la
liberté. Débarrassée du poids de la présence oppressive de
son premier mari, Tchémoyo réalise qu’elle est encore bien
loin des ses rêves. Elle va en effet très vite déchanter en
comprenant que son désir le plus cher ne peut se réaliser.
Face à elle, le nouvel époux paraît plus sombre, plus cynique
que l’ancien :
Veuve
Desenclos :(comme
sortant
d’un
long
sommeil) :
Quarante jours après, et le vent n’a pas balayé l’empreinte
des pas sur le sol de la cour. Quarante jours et quarante
nuits, et c’est tout comme si le temps ne s’était pas écoulé.
Le soleil est pourtant tombé derrière le rideau d’arbres.
L’herbe a repris le dessus. La mousse a envahi le talus.192
Ici, oppression et exploitation appartiennent à un même
processus
d’avilissement
et
de
destruction
de
l’individu.
Pour Tchémoyo ou Veuve Desenclos, le destin semble se jouer
de ses rêves, et de ses aspirations les plus nobles et les
profondes. Et c’est de la bouche de Bomongo, son nouveau
soupirant, que l’on saisi mieux la portée de la détresse de
Tchémoyo :
Bomongo :
(…).
Je
sais
ce
qu’il
en
coûte
de
vous
contraindre à ne plus être vous-même.193
Tchémoyo, Veuve Desenclos porte, comme l’indique son
nom double ; africain et français, un double héritage. Saurat-elle faire face à sa nouvelle destinée sans que le spectre
de la terreur, de l’injustice et de la misère resurgisse des
plaies qui avaient marquées son corps et dont elle aspire
désormais s’en défaire ?
Mais les trois femmes aux propos sibyllins viennent
conforter le funeste pressentiment de la Veuve Desenclos, qui
192
- OWONDO Laurent : La folle du Gouverneur ; Paris Editions Promotion
Théâtre chez Emile Lansman, 1990, p.35.
193
- Id., p. 37.
289
passe bientôt pour folle aux yeux de ceux qui l’entourent, et
qui ne peuvent saisir la portée des changements en cours dans
son pays. Qu’est-ce qui a changé ; qu’est-ce qui va changer
pour la Nation, pour le peuple ? Tchémoyo doit-elle accepter
cette nouvelle alliance ? Dans quelle mesure le nouvel époux
peut-il garantir à la Veuve cette liberté tant voulue ? Va-telle plutôt au devant d’une illusion de changement ?
6. 3 – Les formes de la déchéance humaine :
Pour évoquer la question relative à la déchéance de
l’homme telle qu’elle est vue par les auteurs de théâtre
d’Afrique, il convient de mettre en rapport les différentes
situations qui caractérisent l’état de déchéance et l’état de
normalité telle qu’elle peut être conçue par les codes de la
morale sociale africaine.
Dans
cette
optique,
il
ne
serait
pas
inopportun
d’aborder la question sous l’aspect d’un modèle comparatif.
Car on le sait bien, la société africaine dans son ensemble,
navigue continuellement entre tradition et modernité. Ce sont
donc ces deux univers qui déterminent les comportements et
même le devenir des individus. Et c’est souvent de chercher à
concilier deux réalités qui sont par trop divergentes que
parfois l’homme perd ses repères et sombre dans une forme de
marginalité.
On
parle
alors
de
déchéance
de
l’individu
lorsque celui-ci, sortant des normes établies par la société,
transgressant les lois de la morale publique, tombe dans un
engrenage de comportements qui vont l’éloigner toujours plus
des standards sociaux.
Nombreux sont ces comportements décadents décrits par
la
littérature
particulier,
et
africaine
qui
sont
en
général,
loin
de
et
le
constituer
théâtre
de
en
simples
anecdotes meublant l’intrigue dramatique, mais de véritables
290
sujets de préoccupation des écrivains et de nombreuses élites
culturelles et intellectuelles africaines. Parmi ces sujets
relatifs à la décadence des sociétés et à la déchéance de
l’homme, on note principalement : l’alcoolisme, la cupidité,
la corruption et qui, conjointement à l’ignorance, engendrent
la misère, elle-même à l’origine des explosions sociales qui
parsèment aujourd’hui le paysage politique et économique de
tout un continent.
Mais la déchéance de l’homme dans le théâtre d’Afrique
Centrale peut aussi se lire à travers la symbolique du vide,
ou celle de la mort.
6.3.1 – L’alcoolisme :
Source d’aliénation morale, psychologique et sociale,
l’alcoolisme
est
considéré
par
les
hommes
de
théâtre
d’Afrique Centrale comme un véritable fléau qui brise les
hommes, déstructures les familles et met en péril la société
entière.
Si l’alcoolisme n’apparaît pas comme thème majeur dans
les écrits théâtraux africains, il n’en constitue pas moins
une
problématique
à
laquelle
sont
confrontés
certains
personnages de cette littérature.
Le théâtre moderne en a souvent fait état, mais ce sont
surtout
les
formes
dramatiques
nouvelles,
notamment
le
téléthéâtre et le théâtre forum qui ont le plus exploité ce
travers social.
Dans l’écrit, Le saoulard de Vincent de Paul NYONDA est
quasiment le seul texte de notre corpus à avoir focaliser
l’histoire sur ce fléau social qu’est l’alcoolisme. Mais les
autres textes ; Antoine m’a vendu son destin, La parenthèse
de sang de LABOU TANSI, ou chez MENDO ZE, Jinette et Japhet,
énoncent eux aussi la question de l’alcoolisme, parfois au
291
détour d’une phrase ou d’une scène, sans qu’elle paraisse
avoir plus d’importance qu’un autre fait secondaire évoqué
dans
le
texte.
Toutefois,
le
contexte
d’énonciation,
et
surtout les conséquences produits sur les personnages, et les
méfaits qui lui sont attribués, vont affecter une valeur plus
forte à la question, appelant ainsi un regard plus attentif
du lecteur.
Ainsi
Soûlard194,
donc,
va
Mabourou,
nous
personnage
permettre
d’aborder
central
la
de
Le
question
de
l’alcoolisme et de ses conséquences sur la vie familiale et
sociale de ceux qui en souffrent, et des répercutions que ce
fléau produit dans toute la société.
Mabourou
Eduqué
et
est
formé
un
à
individu
l’école
bien
intégré
occidentale,
il
socialement.
est
doté
de
certains atouts à même de faire de lui un citoyen modèle. Il
occupe un emploi dans une société d’exploitation de bois.
Salarié, il peut subvenir à ses besoins fondamentaux et vivre
la
vie
de
citadin ;
d’homme
moderne.
De
la
modernité,
Mabourou a choisi la consommation régulière et abusive de
l’alcool,
et
spécialement
le
vin
rouge.
Se
surnommant
De
Bourgogne, il est connu de son entourage pour son addiction à
l’alcool, ce qui lui vaut un autre surnom : le saoulard.
Mabourou
qui
traditionnelle
sait
qu’à
la
condition
est
qu’il
aussi
ne
imprégné
peut
d’assumer
de
s’accomplir
certaines
la
culture
pleinement,
responsabilités
sociales ; la principale étant celle de chef de famille. Et
comme le veut la coutume, Mabourou épouse donc Guiniépa, que
les parents refusent de livrer aux mains d’un ivrogne, qui
risquerait un jour de mettre en péril sa vie. Envers et
contre toute sa famille, la jeune femme épouse le saoulard, à
qui elle apportera soutien et affection. Mais son penchant
194
- NYONDA Vincent de Paul Le soûlard in La mort de Guykafi ; Paris,
L’Harmattan,
1981.
292
pour l’alcool va se révéler comme une véritable menace pour
l’épanouissement et la vie du couple.
Le
« saoulard »,
à
qui
tous
reprochent
ses
excès,
s’enivre une fois de plus et sombre dans un coma éthylique.
Inquiétée
par
cette
situation,
Guiniépa
fait
appel
à
un
médecin. Celui-ci pose un diagnostic alarmant, interdisant de
facto à Mabourou toute consommation d’alcool en dehors des
repas. Devenu dépendant, Mabourou est incapable de se tenir à
la prescription du médecin. Il cédera ainsi régulièrement à
son
vice,
en
prenant
tous
les
prétextes
possibles
pour
consommer du vin : un bol d’eau sucré le matin en lieu et
place du petit déjeuné, une poignée de cacahuètes équivalent
pour le saoulard à des repas.
Ne supportant plus l’addiction de son époux Guiniépa
décide de le quitter, laissant ce dernier entre désespoir et
indifférence. Mais on comprend bien vite que l’indifférence
de Mabourou n’est que de façade.
S’il
essaye
en
effet
de
montrer
une
certaine
indifférence par rapport au départ de Guiniépa, il en souffre
pourtant car il est désormais incapable de vivre sans l’aide
et le soutien de celle-ci.
Pour ramener sa femme à leur domicile, Mabourou usera
de
ruse
et
de
mensonge,
affirmant,
dans
la
lettre
qu’il
envoie à Guiniépa, ne plus consommer de l’alcool.
Arrêté par les gendarmes pour fait de brutalité envers
son
épouse,
conduit
au
il
vivra
poste
de
une
véritable
gendarmerie,
les
humiliation
agents
lui
lorsque,
intiment
l’ordre de danser sans musique, faute de quoi, il serait
incarcéré à la prison de la ville.
En épousant Guiniépa, Mabourou savait, comme beaucoup
de
salariés
africains,
qu’il
allait
devoir
assumer
les
besoins de deux familles ; la sienne propre, et celle de son
épouse, auprès de laquelle il passe pour un homme riche.
293
Incapable
de
répondre
aux
nombreuses
requêtes
des
siens, Mabourou sombrera toujours plus dans sa dépendance à
l’alcool, pensant y trouver, sinon des solutions, du moins
une forme de réconfort ; de répit, face à un environnement
familial de plus en plus oppressante.
Au-delà des comportements anecdotiques de Mabourou, le
dramaturge gabonais a voulu mettre l’accent sur un des maux
qui
frappent
l’Afrique
depuis
la
rencontre
des
cultures
occidentales et africaines.
Bien
que
caricaturé
à
l’extrême,
le
personnage
de
Mabourou n’en est pas moins une figure symbolique ; un aspect
marquant de la déchéance humaine. La dépendance à l’alcool
constitue en effet un des facteurs les plus importants du
processus de dégradation de la personnalité sociale, physique
et psychologique de l’individu.
De prime abord, rien ne justifie l’addiction à l’alcool
de
Mabourou.
Il
jouit
en
effet
d’une
situation
sociale
convenable ; jeune marié, Mabourou a tout pour être heureux.
Malgré
ce
moderne,
qui
peut
notre
apparaître
homme
tombe
comme
pourtant
l’idéal
dans
les
de
la
vie
travers
de
l’alcoolisme. Incapable d’y renoncer, il courra le risque de
mettre en péril sa vie de couple et son emploi.
Dans
ce
texte,
c’est
la
voix
de
l’auteur
que
l’on
perçoit, et qui attire l’attention de ses concitoyens ; de
son
public
sur
les
méfaits
de
l’alcool,
et
des
périls
encourus par ceux qui en consomment de manière excessive.
L’addiction
de
Mabourou
n’a
aucune
cause
connue,
contrairement à celle des personnages tels qu’on peut les
rencontrer dans d’autres textes. Ces personnages apparaissent
en totale rupture avec la réalité, incapables d’affronter les
difficultés imposées par la vie ; de rechercher des solutions
aux problèmes posés par le contexte culturel et sociologique
dans
lequel
ils
se
trouvent
projetés.
comportements déviants, allant jusqu’à
294
Adoptant
des
mettre en péril leur
propre existence. L’alcoolisme est alors synonyme de fuite,
révélant en fait un sentiment de déception, de désillusion,
en somme d’échec social. Mais l’addiction à l’alcool peut
aussi
apparaître
africain
comme
chez
un
certains
élément
personnages
catalyseur ;
du
un
théâtre
stimulateur
d’émotions, utile à l’individu pour oser, entreprendre des
actions,
dire
des
choses
qui,
sans
l’aide
de
l’alcool,
seraient restées enfouies dans les méandres d’une conscience
tourmentée. C’est notamment ce que montre la pièce Le coup de
vieux, coécrite par CAYA MAKHELE et Sony LABOU TANSI.
Le
personnage
désenchantement
des
central,
élites
Shaba,
est
le
intellectuelles
symbole
du
africaines.
Brillant étudiant, il a accumulé des diplômes universitaires,
mais doit faire face à la cruauté, à l’indifférence et à
l’incompétence des autorités de son pays. Ici l’université,
symbole de la connaissance et des lumières, creuset de la
liberté et de l’épanouissement social et culturel, ne suscite
que haine et violence de la part des autorités et de l’armée.
Car si l’université est le creuset de la connaissance et de
l’évolution d’une nation, elle est perçue par des pouvoirs
totalitaires comme un foyer de subversion et de contestation.
L’université et les intellectuels qu’elle forme seront les
cibles prioritaires de la répression exercée par les tyrans
sur leurs peuples.
Pour faire face à ces systèmes d’oppression, plusieurs
attitudes
assiste
à
sont
une
observables
forme
de
du
côté
passive
des
élites ;
soumission,
dès
soit
lors
on
les
élites choisissent de jouer le jeu du pouvoir ; soit les
intellectuels optent pour une résistance et une opposition
franche et active. Ils sont alors, pour certains, poussés à
l’exil, et pour d’autres, la solution se trouve parfois dans
l’utilisation des moyens plus ou moins conventionnels comme
les arts militants (on parle de chanteurs, de romanciers, de
poètes, de cinéastes, de dramaturges ou de peintres engagés),
295
aux
plus
extrêmes
comme
de
procéder
à
une
forme
d’auto
flagellation ; d’autodestruction, par le refus de s’alimenter
(grève de la faim), ou par d’autres formes de marginalisation
comme de s’adonner à ce qui, de prime abord peut apparaître
comme un vice, mais qui est en réalité, un subterfuge pour
mieux affirmer ses opinions et son individualité.
Boire apparaît en effet pour Shaba, comme pour beaucoup
d’intellectuels
africains
désabusés,
comme
un
moyen
de
marquer sa différence et son opposition à l’ordre établi ;
son
refus
de
se
soumettre
à
la
médiocrité
d’un
pouvoir
corrompu et lâche :
« Si nous acceptons de garder la terre dans l’ordre où
elle est aujourd’hui, alors rien n’y aura plus de sens que
l’anis et la mescaline.
Rien n’aura plus de sens que la belle manière dont le
cognac et le porto se cognent dans les boyaux.
Je hais mon oncle pour son argent qui pue le pillage et
la lâcheté. Cette haine est viscérale. »195
Shaba justifie son addiction comme un moyen de résister
face
à
l’ordre
établi ;
un
moyen
d’échapper
au
spectacle
cruel de la réalité où la société tombe en déliquescence, et
où seuls la corruption et l’accumulation des richesses, le
recours aux pratiques occultes semblent prévaloir.
Shaba qui a sombré dans une forme de crise psychotique
exprime son opposition au système en détruisant tout ce qui,
dans
la
maison
de
Dofano
abhorré, mais dans lequel
son
oncle,
rappel
cet
univers
celui-ci trouve bien des qualités:
DOFANO : (…) quand il revient après une crise comme
celle de tout à l’heure, c’est pour crier et casser. Pas plus
tard qu’avant-hier il m’a bousillé un fétiche Yaka. Un vrai
chef-d’œuvre.
195
- CAYA-MAKHELE et LABOU TANSI
Présence Africaine, 1988, p. 41.
Sony :
296
Le
coup
de
vieux ;
Paris,
SHABA : (qui s’en prend à une peinture) : Voilà des
signes extérieurs de richesse et de paix. Mais moi je dis que
c’est un foutu foutoir.
DOFANO : (le cœur serré) : Pas celui-là, je t’en prie.
Il ferme les yeux
Quatre-vingts millions.
Il ferme les yeux pendant que l’autre
déchire le tableau
Quatre-vingts millions.
SHABA : Ce n’est pas de l’art pour l’art.
(…)
SHABA : Des signes extérieurs de richesse et de paix.
Il s’en prend à un fétiche en argile.
Des mensonges. Des simulacres.196
Cet
échange
entre
Shaba
et
Dofano
montre
bien
la
différence de point de vue en ce qui concerne les valeurs que
chacun des personnages donne à la vie et aux biens matériels.
Pour Shaba, la vie ne peut se réduire en l’accumulation de
richesses ; la richesse matérielle n’a pour lui de valeur que
si elle peut contribuer à l’épanouissement intellectuel et
moral de l’individu. Il n’est donc favorable qu’à la fonction
morale et formatrice de l’art, à sa valeur esthétique. La
valeur
marchande
ne
peut,
à
elle
seule,
justifier
son
importance :
SHABA : L’art devrait nous rendre meilleurs ; c’est à
cette seule condition qu’il aurait un sens ; il devrait nous
faire aimer la paix.197
Ainsi que nous l’avons dit plus haut l’alcoolisme est
l’un des fléaux qui frappent aujourd’hui l’Afrique. Même si
son étiologie apparaît diverse ; soit comme le fait d’une
addiction par suite d’une absence de contrôle de soi ; soit
comme refuge face à une réalité mortifiante, et où l’individu
196
- CAYA MAKHELE – LABOU TANSI Sony : Le coup de vieux ; Paris, Présence
Africaine, 1988, p.37-38.
197
- Id. p. 38.
297
est confronté à sa propre impuissance. Dans tous les cas, le
théâtre
d’Afrique
Centrale
a
toujours
donné
l’alcoolisme
comme un véritable fléau à même de compromettre l’équilibre
de la société.
6.3.2 – La cupidité :
Parmi
les
nombreux
vices
qui
gangrènent
la
société
africaine contemporaine figure la cupidité. Celle-ci se situe
au premier rang des maux dont souffre l’Afrique, et constitue
l’un des fléaux contre lesquels de nombreux hommes de culture
se sont élevés, notamment des écrivains.
Elle n’est ni le fait exclusif des milieux urbains, ni
l’apanage des sociétés rurales. La cupidité comme les autres
maux qui frappent l’Afrique, est un problème général, plus ou
moins accentué selon des particularismes liés à l’espace et
au contexte dans lequel ce phénomène se manifeste.
Ostensiblement
affichée
cependant
par
certains
individus, le fait de vouloir posséder à tout prix et par
tous
les
moyens,
certains
biens
matériels ;
le
besoin
toujours croissant d’une catégorie de personnes à accéder à
quelques
abject
privilèges
en
un
type
sociaux,
de
transforment
caractère
qui
ce
comportement
peut
revêtir
les
apparences d’une véritable lutte pour la vie, mais ce combat
tout juste apparent cache une réalité dont les voies et les
moyens restent en majorité contestables.
Ce besoin effréné de posséder ; cette avidité notoire
pour
le
matériel
est
caractéristique
d’une
classe
d’arrivistes issus aussi bien des villes que des campagnes.
C’est
lorsque
cette
attitude
change
d’objet
et
de
centre
d’intérêt, passant d’un rapport à autrui basé sur des aspects
purement
matérialistes,
pour
prendre
d’autres
caractéristiques où les objectifs se rapportent plus à un
298
besoin
d’ascendance
sur
un
groupe
ou
une
communauté
plus
grande que la quête initiale se mue en vice, en défaut ;
c’est la cupidité à laquelle s’attaque le théâtre de OYONO
MBIA, de NYONDA, de LABOU TANSI, de OWONDO, etc.
La
dessus
cupidité
tout,
personnalité
des
siens,
augurer
d’une
profonde
de
qui
paraît
véritable
ses
à
Juliette,
déchéance
semblables,
trouve
de
ici
par
la
son
fondement. Mais ce fait est aussi, par-dessus tout, la preuve
de la perte des véritables valeurs morales de sa communauté.
« C’est donc tout ce que je représente pour vous ? », s’écrie
la jeune fille au bord des larmes, lorsqu’elle réalise que
pour sa famille, elle ne représente qu’un moyen de gravir les
marches de l’échelle sociale ; une simple marchandise que
l’on cède contre de l’argent, ou que l’on échange au profit
d’autres biens de consommation que sont « les alcools forts
de Sangmélima, un costume en tergal, un poste de radio à
transistor,
un
vélo,
et
surtout
des
médailles »,
suprême
récompense pour ces villageois qui appréhendent visiblement
mal la valeur de ce symbole honorifique.
Autour du mariage de Juliette, OYONO MBIA semble en
fait vouloir amener le public à réagir sur des questions
importantes
telles
que
la
véritable
signification
sociologique et culturelle de la dot, chez les peuples Fang
d’Afrique
Centrale
(et
de
bien
d’autres
peuples),
l’importance sociologique de l’institution du mariage. Mais
il veut aussi tirer la sonnette d’alarme sur les dérapages de
plus
en
plus
fréquents
et
dangereux,
qui
entourent
aujourd’hui l’institution.
Pour NYONDA, l’évocation du thème du mariage dans La
mort de Guykafi, est aussi un prétexte pour poser la question
du
statut
de
la
femme,
et
des
attitudes
liées
à
cette
institution, aussi bien dans les milieux traditionnels que
dans les milieux urbains, où d’un côté comme de l’autre, de
nombreux abus sont encore faits à la femme sous le couvert
299
des
lois
coutumières,
règlements
relégué
la
nombreuses
de
la
même
vie
femme
si
en
réalité,
traditionnelle
au
simple
rang
situations
tendent
à
le
les
n’ont
codes
pas
d’objet,
montrer.
et
toujours
tel
que
Comme
de
nous
l’avons déjà évoqué dans cette étude, le statut et la place
de la femme en Afrique Centrale sont plus complexes à saisir
qu’il
n’y
paraît.
Car
dans
la
conception
traditionnelle,
c’est la femme qui confère à l’homme sont statut social ; ce
n’est
qu’à
travers
épanouissement.
Les
la
femme
sociétés
que
l’homme
traditionnelles
atteint
ont
son
toujours
attribué à la femme un rôle capital au sein des communautés.
Mais la position de chef de famille a conduit l’homme ; le
mâle a usé et abusé de son rôle ; de cette position. Et comme
dans toutes les sociétés humaines, la femme a dû se plier au
diktat de l’homme. L’abus d’autorité a, de tous temps été le
fait propre de celui à qui les lois du groupe et de la
communauté en avaient fait le garant.
Mais NYONDA donne à la figure de la femme un autre
sens, celui de pilier de la communauté. C’est autour de sa
personne que se construit l’honneur de son époux. Ne pas
respecter le serment de fidélité (par cupidité) c’est amener
le déshonneur et la honte sur son conjoint ; sur sa famille.
Céder à la cupidité représente de ce fait une source de
danger pour le groupe, si elle se laisse séduire par les
tentations extérieures.
MAROUNDOU.- Tu me tentes, Mombi… Tu es beau garçon… Et
puis toutes ces parures sont si jolies…
MOMBI.- Alors… que décides-tu ? Si tu les veux, elles
sont à toi… (…) Maroundou, je t’aime…
MAROUNDOU.-
Mais
Mombi…
Sache
que
Maroundou
ne
se
partage pas pour des parures… ! (Elle regarde son collier,
puis caresse son bracelet.) Elles sont belles… (…).198
198
- NYONDA Vincent de Paul : La mort de Guykafi ;
L’Harmattan, Collection Encres Noires, 1981, p.40.
300
Paris,
Editions
Maroundou déclanche ainsi un conflit entre son clan
d’origine et celui de son mari, obligé par la coutume de la
tuer, afin de laver son honneur terni par l’infidélité de
cette dernière.
Chez
LABOU
corruption,
TANSI,
la
apparaissent
cupidité
comme
un
et
son
pendant ;
véritable
la
caractère
définitoire des sociétés dépeintes. D’Antoine m’a vendu son
destin à La parenthèse de sang, en passant par Je soussigné
cardiaque et bien d’autres pièces, le thème de la cupidité
est omniprésent. Il est par effet de miroir, la résultante de
ce phénomène terriblement destructeur qu’est la corruption.
Le dramaturge semble penser que la cupidité des uns favorise
le besoin des autres de corrompre.
Si
une
grande
partie
de
la
production
théâtrale
d’Afrique Centrale s’attarde encore de nos jours, sur des
questions
de
comportements
génération
actuelle
couper
ses
de
entravent
son
sociaux,
éprouve
racines,
de
réelles
celles-là
évolution,
et
c’est
lui
mêmes
que
souvent
la
difficultés
à
qui,
fois,
permettent,
à
en
la
tant
se
que
dépositaire du patrimoine culturel de son groupe, d’apporter
sa pierre à l’édifice des Nations.
L’écrivain
choix ;
propose
écarter
ce
alors
qui,
d’opérer
dans
le
le
meilleur
contexte
de
des
l’Afrique
nouvelle, semble peu propice à l’évolution à l’intégration de
l’Afrique dans le concert des Nations et qui, pour la survie
et l’épanouissement de l’individu ne peut, ou ne doit avoir
aucune
gabonais
incidence
donc,
il
dommageable.
paraît
Pour
plus
l’homme
indiqué
et
de
plus
théâtre
sage
de
préserver et de promouvoir des valeurs nobles pour lesquelles
il est méritoire de se battre. Ce sont ces valeurs qui,
plutôt
que
de
déprécier
l’être
humain,
lui
rendent
au
contraire toute sa dignité. Dans presque toute la Scène I de
l’Acte VI, le personnage de Mouanga, dans Le Roi Mouanga, se
fait
ainsi
le
porte-parole
de
301
la
pensée
de
l’auteur,
en
déclarant :
famille
«
doit
(…)
Les
anciens
avant
de
quitter
ont
sa
estimé
maison,
qu’un
(…),
père
faire
de
des
recommandations à héritier. Prête tes oreilles à ce que je
vais te dire. Avant tout, je veux que tu te connaisses bien
toi-même. Sache, mon enfant, que dans la vie d’un homme,
l’honneur constitue l’élément primordial. Tu veilleras donc
sur lui comme sur la prunelle de ton œil. Ainsi le reste te
viendra de surcroît. Tu chercheras à devenir le flambeau de
la famille. Si, un jour, tu me succédais au trône, aime ton
peuple
évite
de
le
tromper,
car
son
œil
remarquablement
perçant se laisse tromper une fois, mais pas deux. Sache, mon
fils
sache
qu’il
peut
t’ovationner
aujourd’hui,
et,
sans
pitié te déposer demain. Tu géreras les biens du royaume avec
parcimonie, c’est là une vertu qui fait l’apanage de tous les
Rois. Il y a dans notre existence quatre catégories d’êtres
qui
exigent
notre
obéissance :
ce
sont
les
parents,
les
Anciens, les supérieurs et les Ancêtres. Il t’arrivera peutêtre un jour, d’entendre qu’un fils a outragé son père, sa
mère, un vieux. Mon enfant, plains son sort car les Ancêtres
se réservent la vengeance, et tôt ou tard l’anathème sera son
partage. La rectitude à tous égards t’ouvrira la porte de
l’estime et de la confiance. La bonté et le respect d’un
côté, la générosité et la clémence de l’autre, t’apporteront
la renommée. Evite la duplicité dans ton langage. Le monde la
hait. La correction ? voilà ce qui doit être ton ambition. En
compagnie,
épargne-toi
d’être
bruyant,
afin
de
ne
gêner
personne. Prends toujours l’avis de toute personne âgée, ne
méprise aucun conseil. (…). Si le destin te conduit vers
d’autres occupations, cherche le mérite et abstiens-toi de la
facilité.
Si
la
nature
te
sourit,
garde-toi
d’écraser
l’homme : l’homme hait l’écrasement. Ton intelligence et ton
habileté t’ouvriraient-elles le mode de la richesse ? aie une
main ouverte. (…) Dans la vie, pense d’abord aux autres avant
tes parents ; sache bien mon enfant, que les vampires ne
302
peuvent t’atteindre que si quelqu’un des tiens en est de
concert ; sache aussi que c’est de ta tribu ou de ton clan
que
surgiront,
avant
d’autres,
des
jaloux,
des
envieux ;
c’est d’eux, dis-je, que pourra sortir un jour ta ruine. Ne
force
pas
heureux.
ton
Evite
destin
de
si
tu
désires
t’engager
dans
vivre
des
longtemps
intrigues
et
et
des
mouvements désordonnés, car tu pourrais y laisser ta vie,
tandis
que
les
autres
en
sortiront
sains
et
saufs ;
sur
terre, chacun a sa chance. Aime la modestie, hais la gloire.
Quand
tu
auras
des
enfants,
inculque-leur
les
sentiments
d’honneur, de dignité et de grandeur d’âme. C’est à son pied,
que la canne à sucre reçoit sa douceur, dit notre dicton. En
d’autres termes, c’est dès l’enfance que l’on acquiert les
vertus qui font l’homme. Tu reconnaîtras à chacun sa valeur,
ne
détruis
créature
laisser
la
parle
quelque
mémoire
de
de
créateur.
son
chose
personne
après
toi :
à
Tu
ton
profit :
feras
tout,
afin
de
laisse
rien
de
qui
ne
chaque
positif, après son passage terrestre, est un mort qui a vécu
parmi les vivants. (…) ‘’Ne recherche jamais les louanges car
elles ne sont qu’hypocrisie’’. (…) Chercher la sagesse, c’est
le plus sur moyen pour te guider, mais la vraie sagesse
c’est,
ne
lesquels
l’oublie
tu
devras
jamais,
la
crainte
avoir
un
commerce
des
Ancêtres
avec
continuel ;
leur
assistance est souvent lente mais sûre. Limite tes amis à
trois, car les autres ne sont que de circonstance et qui
t’abandonneront dans les jours néfastes. A ce propos, tu dois
savoir qu’il n’y a point d’amitié sincère dans l’inégalité de
condition. Enfin, mon fils, devenu homme, si tu t’efforçais
de mettre en pratique quelques une de ces recommandations,
alors tu pourras dire, lorsqu’arrivera le jour de ton rendezvous fatal : ‘’Oui, je pars, mais je pars heureux d’avoir
vécu en Homme’’ (…) »199
199
- NYONDA Vincent de Paul : Le Roi Mouanga, Libreville, Editions
Multipress-Gabon, 1988, pp. 58 à 60.
303
6.3.3- La corruption :
Sans doute l’une des plus grandes plaies de la société
africaine
d’aujourd’hui,
nombreux
écrivains
la
corruption
africains
comme
est
un
vue
signe
par
des
de
temps
modernes.
L’émergence
consommation
a
de
l’Afrique
donné
avilissants
les
uns
corruption
figure
en
lieu
dans
à
que
les
tête
de
des
société
comportements
autres.
liste.
la
Parmi
de
plus
ceux-ci,
Présente
au
sein
la
de
toutes les couches sociales, elle semble être surtout le fait
des
élites
politiques
et
des
cadres
de
l’administration
publique. Généralisée dans tous les domaines de la vie, la
corruption
s’est
véritable
règle
parallèle,
qui
élevée
de
va
dans
vie ;
jusqu’à
certains
en
mettre
milieux
structure
en
en
une
administrative
déroute
les
systèmes
officiels de gestion des Etats.
Ce
phénomène
est
dû
à
la
combinaison
de
plusieurs
facteurs, les plus importants étant l’impunité généralisée
issue
du
gabegie,
tribalisme
phénomènes
et
qui
du
népotisme,
ont
souvent
mais
laissée
aussi
de
exsangue
la
les
systèmes économiques des pays où ce fléau va sévir. La notion
de service ou de bien public y tombe en désuétude, au profit
des intérêts particuliers, ce qui donne lieu à des abus en
tout genre. Dans La parenthèse de sang, les causes et les
personnages de l’instituteur et du médecin montrent comment
le phénomène de la corruption vient à gangrener la société,
et
à
amener
même
le
plus
intègre
des
citoyens
à
se
compromettre :
MANISSA.- Sortez !
MALLOT.- J’attends le papier.
MANISSA.- Est-ce que vous avez regardé ce que vous me
demandez ? Vous me priez d’être ce petit imbécile corrompu
qui passe son temps à défoncer les lois. C’est facile n’est-
304
ce pas ? C’est le pays. Mais moi, le pays je le mets à mes
dimensions. J’ai ma pointure du Lebango. Le pays, je l’oblige
à passer par moi. Après il va où il veut, faire la putain.
Mais seulement après.
MALLOT.-
Figurez-vous
que
moi
j’ai
été
déviergé,
transgressé avec des lois. Ils m’ont saccagé. (…)
J’ai une femme et deux diables. Pourquoi est-ce que je
ne penserais pas tranquillement à eux ? (…)
Je me bats. Je ne me suis pas trompé de lutte. J’ai été
vendu à dix millions de cailloux. Et qui a encaissé ? Judas ?
Non, même pas. Une punaise qui se cache là-bas au large du
pouvoir et qui parle à mon nom. Qui me tue à mon nom. Je ne
suis pas le Christ, moi. Je ne sais pas pardonner. Là-haut,
dans les bureaux du ministère, quelqu’un a acheté ma vie. Il
faut que je la récupère. On me mettra là-bas même planton.
Même portier. Mais au moins qu’on me mette là-bas, à deux pas
de mon home. Détaché, vous comprenez ? Je veux être détaché
de l’enseignement actif pour savoir qui a bu l’argent de
Perono.
Evidemment,
fonctionnez
comme
vous
les
ne
pouvez
pas
Vous
êtes
autres.
comprendre.
Vous
tous
Vous
faux.
trichez. Moi, je suis là, vrai. Je suis l’élite du Lebango.
Des fois que vous auriez pitié de moi. Je n’accepte pas la
pitié
des
chiens.
Je
fonctionne
avec
de
l’orgueil.
Vous
docteur, vous fonctionnez avec de la lâcheté, comme tout le
Lebango. Vous fonctionnez avec de l’opprobre.200
Dans ce passage, la corruption est donnée en premier
lieu comme un fait propre à l’individu. Il apparaît en effet
comme un désir personnel, toujours motivé par des intensions
matérielles,
ou
dans
un
but
d’obtenir
quelque
faveur
administrative. C’est dans ce sens que Mallot tente d’amener
le docteur Manissa à adopter une pratique, qui semble devenir
commune à tout le pays : « C’est le pays ! », ne cesse-t-il
200
- LABOU TANSI Sony : La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981,
p.124-125.
305
de
répéter
à
l’endroit
« l’institutionnalisation »
du
de
médecin,
la
pour
corruption,
signifier
et
comme
si
l’on pouvait désormais identifier le pays sous une forme de
« label » dont la corruption serait le trait distinctif.
Mais le médecin oppose sa vision du phénomène et de la
situation
malgré
qu’elle
les
produit
apparences,
il
dans
le
reste
pays,
dans
en
montrant
que
cette
société,
des
individus attachés au respect d’une certaine éthique ; d’une
certaine probité. Si le médecin finit par capituler devant
l’insistance de Mallot, il n’est pour autant pas en phase
avec ce qui apparaît comme une nouvelle règle de vie. Seules
les
raisons
évoquées
par
l’instituteur
finissent
par
le
convaincre de répondre à sa requête.
Une chose essentielle distingue par ailleurs ces deux
personnages ; il n’y a pas de cession d’objets entre les
deux, ou de deal en tant que tel, pour confirmer le statut de
corrupteur et de corrompu. L’un et l’autre se refusant à
entrer dans ce moule désormais établit comme modèle. Ce n’est
pas non plus la compassion qui fait réagir le médecin, mais
c’est de trouver en Mallot quelqu’un qui lui ressemble, par
le
refus
de
ces
conventions
absurdes
et
dégradantes
qui
réduisent à néant la dignité des hommes et du pays tout
entier :
MANISSA.- Et vous êtes digne ?
MALLOT.- De moi, de ma viande, du bruit de mon cul. Je
me soustrais à Perono et aux siens. Je me rembourse à moi, à
mon odeur, à ma propre intensité.
MANISSA. – Je vous fais le papier.
(…)
MANISSA.- Tout de suite. Parce que vous me ressemblez
un peu. (…).201
Mais d’un autre côté, et à plus grande échelle, la
corruption
201
apparaît
comme
un
- Op. Cit. p. 127-128.
306
phénomène
extérieur
aux
communautés où elle a cours. Elle est souvent alors le fait
d’entités
gouvernementales
ou
de
personnalités
étrangères,
comme on le voit dans ce texte de Sony LABOU TANSI, où le
personnage de Perono, un colonel espagnol exerce une emprise
totale sur le destin du Lébango.
Fort de son pouvoir financier et économique, il est à
même de décide du destin des habitants du pays. Il ne peut
souffrir d’aucune forme de résistance, pas plus qu’il ne peut
supporter la concurrence de quelque autre européen. Perono se
servira souvent de son pouvoir financier pour enrayer toute
velléité de contestation et soumettre tous ceux qui tentent
de se dresser contre lui. Son influence est telle, qu’il a
droit de vie et de mort sur les habitants du Lebango. Son
mode
d’action
n’est
ni
plus
ni
moins
d’acheter
les
consciences des agents du gouvernement et de l’administration
du pays pour arriver à ses fins ; le contrôle des activités
et de la vie de tous.
Dans tous les cas, corruption et cupidité sont pour les
dramaturges
africains,
humain,
déstructuration
de
source
de
des
dépréciation
institutions
de
l’être
sociales
et
politiques, de faillite de la notion même société.
Cette situation de décomposition des valeurs morales et
éthiques
de
produits
sur
la
société
l’individu.
est
saisissable
Ici,
folie
et
dans
mort
les
en
effets
sont
les
signes fondamentaux. Car en manifestant son désaccord face à
un système généralisé, l’individu est souvent perçu comme
dénué
de
logique ;
comme
fou,
car
souvent
pour
lui,
les
conséquences de son refus d’aliénation sont une répression
exercée au-delà de toute normalité.
307
6.3.4- La folie et la mort comme ultime étape de la
déchéance humaine :
Le
contexte
sociologique
de
l’Afrique
contemporaine
donne à voir un monde en proie à diverses tribulations qui,
malgré
vaste
de
fabuleuses
continent
au
potentialités
dernier
rang
minières,
du
relèguent
développement
ce
social,
économique et industriel.
Pour
bon
nombre
d’observateurs,
les
nombreux
drames
vécus par l’Afrique aujourd’hui découlent directement de cet
état de sous-développement.
Le
contexte
bouleversement
historique
paradigmes
sociaux
des
nouveau
ont
traditions,
et
ici,
le
l’entrée
changement
favorisés
de
dans
un
certains
l’émergence
des
comportements où la morale et le bon sens paraissent chaque
jour se réduire en une sorte de propos sans aucune valeur
réelle. L’être humain semble avoir perdu toute son essence au
détriment de valeurs plus matérielles.
Pour comprendre ces phénomènes de déshumanisation et de
déstructuration de la société, et pour amener le débat sur le
devant
de
la
scène,
les
écrivains
vont
procéder
à
un
décorticage de la société et de ses diverses composantes.
Cette réflexion ; cette observation qui est menée sur
le mode de la fiction littéraire proposera, autour de thèmes
majeurs, une vision souvent horrifiante, chaotique du monde,
et de l’Afrique en particulier. Car au vu de cette thématique
régulièrement tournée vers la folie et/ou la mort, nul doute
que
le
sentiment
dramatiques
qui
africains
prévaut
est
chez
celui
du
nombre
d’auteurs
pessimisme ;
du
désenchantement et de la désillusion.
Mais
si
la
mort
et
la
folie
symbolisent
tous
deux
l’échec, il peuvent aussi figurer, dans une certaine mesure,
le projet fondateur d’une certaine espérance.
308
D’abord de la vision naturelle du thème de la mort.
Comme nous l’avons souvent énoncé dans ce travail, certains
thèmes ;
certaines
figures
actantielles
apparaissent
comme
une constante de la production dramatique africaine ; c’est
notamment ce que l’on peut observer en parlant de la mort,
omniprésente dans l’œuvre d’un LABOU TANSI ou chez U TAM’SI,
et souvent récurrente chez NYONDA ou chez OWONDO.
Dans la conception générale, la mort signifie la fin
d’un cycle naturel qui commence avec la naissance ; la mort
exprime
la
finitude
de
l’être
humain,
son
humanité.
Dans
cette optique, elle suppose chez l’être humain, d’être la
conclusion d’un processus normal. L’organisme humain arrive à
un stade où cessent toutes les fonctions biologiques, par
l’effet du vieillissement cellulaire. Le processus naturel
d’extinction d’un organisme signifie alors que celui-ci a
rempli son rôle dans la chaîne de la création ; dans la vie.
La mort d’un individu laisse place dans la société à
l’expression
doivent
d’autres
poursuivre
individus ;
le
à
processus
d’autres
de
énergies
génération
et
qui
de
structuration du monde. On ne peut, en effet, imaginer un
monde où la mort n’existerait pas. Ne dit-on pas que de la
mort jaillit la vie ?
Principe biblique fondamental liant la vie à la mort,
celle-ci ne doit pas être considérée comme la fin de tout,
mais comme le début d’une nouvelle vie ; celle qui s’élève
sur les cendres de la précédente, et qui est la destiné de
toute existence humaine. Toutes les lois de l’évolution (ou
de
la
création)
établissent
la
mort
comme
une
nécessité
absolue. Mais elle répond à la règle de la nature. La mort
est donc un mal « positif », dans la mesure où elle permet
l’éclosion de vies nouvelles, entendons par là qu’elle permet
à d’autres vies ; à d’autres individus d’occuper des places
laissées vacantes dans la société par les disparus, et de
309
poursuivre
le
cycle
établit,
en
préservant
l’équilibre
cosmique.
Dans un contexte religieux ; et singulièrement dans les
sociétés où un culte est donné aux morts, ceux qui sont morts
vont
veiller
au
bien-être
des
vivants.
Dans
la
religion
chrétienne, le Christ lui-même annonce à ses disciples qu’il
monte
auprès
du
Père,
où
il
va
préparer
une
place
pour
chacun. Le sacrifice christique est un mal nécessaire en vue
du salut de l’humanité entière.
Or
dans
géographique
jamais,
la
production
d’étude,
comme
le
la
fait
théâtrale
mort
de
la
apparaît
nature.
de
notre
rarement,
Chaque
zone
sinon
fois
que
l’individu est confronté à la mort dans le théâtre d’Afrique
Centrale, elle lui est toujours donnée ; c’est-à-dire que le
processus de fin de vie est toujours anticipé par une volonté
de contrôle, ou de nuisance d’une personne tiers vers autrui.
Le caractère particulièrement absurde, l’arbitraire absolu de
certaines situations où l’individu est confronté à la mort
exclut toute idée de sacrifice ; celui-ci étant de l’ordre du
voulu. Car la mort, telle qu’elle se donne à lire dans la
création dramatique d’Afrique Centrale apparaît plutôt comme
un acte d’anéantissement, du point de vue de celui qui la
donne ; du tortionnaire. C’est parce que l’intension primaire
de
ce
dernier
est
de
supprimer
toutes
traces
de
son
adversaire ; de taire toutes formes de contestation que la
mort apparaît comme la solution absolue.
Mais
cet
acte,
dont
la
volonté
d’anéantissement
constitue le fondement, aboutit à des résultats inattendus.
Non seulement la mort de l’autre ; de l’opposant dans le
contexte politique ne constitue en rien la garantie de la fin
des
oppositions
idéologiques,
mais
au
contraire,
elle
contribue à nourrir la contestation populaire ; à affirmer ou
à
conforter
populations.
les
De
opinions
plus,
contradictoires
elle
310
est
la
au
sein
manifestation
des
d’un
véritable état d’échec ; d’un aveu d’impuissance, lorsqu’on
la considère du point de vue des tyrans. Les soldats de La
parenthèse
donnée
de
par
sang
la
avouent
leur
capitale
ignorance
devant
capturer
Martial.
pour
l’ordre
Mais
l’impuissance de la capitale apparaît plus fortement dans son
obstination à trouver un coupable ; un Libertashio définitif,
devant se contenter de « coupables provisoires ». Malgré la
certitude de la mort de l’opposant (la présence effective
d’une tombe dans la cours de son habitation), le pouvoir ne
se satisfait, ni ne veut y croire en la réalité de celle-ci,
d’où cette atmosphère empreinte de paranoïa que l’on devine
aisément au sein de la classe dirigeante. La mort est ici un
élément
forces
fédérateur ;
qui
très
elle
souvent
sert
à
la
conduisent
cristallisation
des
l’effritement
des
à
pouvoirs dictatoriaux ; à leur propre mort.
Dans un contexte sociopolitique, les luttes de pouvoir
et autres machinations « idéologiques » restent à la base de
ce phénomène qui présente une certaine récurrence dans la
production théâtrale d’Afrique de manière générale.
L’état
de
désordre
ou
de
déséquilibre
psychologique
apparent des personnages comme Mallot Bayenda, l’instituteur
de Je, soussigné cardiaque, ou d’autres comme Le Fou de La
parenthèse de sang, de Tchémoyo/Veuve Desenclos dans La folle
du gouverneur, etc., témoigne de la force destructrice des
systèmes
d’organisation
sociale
en
vigueur
milieux. Confrontés à la perversité ou à
dans
leurs
l’extrême férocité
des systèmes politiques de leurs milieux, ces individus qui
se
refusent
à
toute
compromission
manifestent
une
réelle
aversion pour toute attitude défaitiste. Obstinément en quête
de
justice
et
de
vérité,
ils
finissent
par
donner
l’impression d’avoir perdu la raison. Ces individus sont en
effet incapables de trouver un juste équilibre au sein d’une
société où l’être humain a perdu tout sens et toute valeur.
La folie apparaît alors, tout comme la mort, comme un moyen,
311
aussi
bien
de
faire
face
à
la
réalité,
que
comme
un
exutoire ; un instant de vie où l’on peut déverser l’excédent
d’émotions, de rancœur et de frustration. La question de la
véracité ou non de cet état de folie est rarement posée, car
il apparaît que la société entière est une vaste scène de
folie.
De
fait,
l’état
suffit
à
tempérer,
même
ni
la
de
rupture
brutalité
psychologique
de
la
ne
répression
politique, ni la perversité des systèmes.
Mais au-delà de ce qui se manifeste comme une perte du
contrôle de soi ; une hallucination pathologique vraie, une
forme plus vicieuse de la folie, celle qui s’apparenterait à
cette
acuité
certains
sensorielle
artistes,
se
exceptionnelle
donne
à
lire
à
dont
sont
travers
dotés
d’autres
personnages de la création théâtrale africaine. Ce sont en
effet tous les potentats décrits au fil des textes ; des
personnages comme Chaka, Antoine, etc., qui présentent des
signes patents ou diffus, d’un désordre psychologique, mais
qui
dans
la
majorité
des
situations,
manifestent
un
comportement mégalomaniaque, dans une forme d’incarnation et
de personnification du monde environnant, de ses institutions
et de son fonctionnement. La perte des repères entre un idéal
subjectif
personnel
universel,
née
de
et
cette
un
ordre
appropriation
logique
collectif ;
identificatoire
des
aspirations collectives, a pour effet de créer une véritable
rupture pathologique dans l’intellect de ceux-là qui ont fini
par paraître aux yeux du plus grand nombre comme des déments.
Dès lors que folie et pouvoir se trouvent en association, il
en découle toujours des personnages en décalage total de la
réalité ; des personnages pour lesquels le monde ne connaît
plus aucune limite. Ils ont, de leur rôle dans la société et
du
monde,
messianique
une
vision
qu’ils
tronquée,
nourrissent
déformée
vis-à-vis
par
de
le
leur
propre, par rapport au milieu social et politique.
312
sentiment
personne
CHAPITRE VII : LA SATIRE POLITIQUE.
Lorsque nous avons envisagé d’aborder la thématique de
la
critique
sociale,
il
nous
est
apparu
nécessaire
de
distinguer les questions d’ordre purement sociologiques des
préoccupations politiques. Pour cela, nous avons pour raison
de commodité, proposé que deux chapitres soient affectés,
l’un, le 6ème, aux questions socioculturelles ; et le 7ème
préoccupations
politiques.
C’est
que,
en
observant
aux
la
distribution thématique de notre corpus, il s’en dégage deux
grands
axes
de
développement
qui
correspondent
à
l’orientation ci-dessus mentionnée.
D’une
manière
générale,
parler
de
critique
sociale,
c’est parler d’une action qui a pour objet de, selon le mot
de
Sony
LABOU
TANSI,
« faire
l’autopsie
de
la
société ». Faire l’autopsie de la société c’est en d’autres
termes, observer attentivement la société ; les hommes ainsi
que les institutions qui la sous-tendent, la matérialisent et
l’animent, pour en donner lecture et en dénoncer les vices et
les travers qui la corrompent.
Faire la critique d’une société, c’est donc descendre
dans
les
méandres
de
cette
société ;
interroger
ses
composantes caractéristiques, afin de mettre en évidence ses
forces et ses faiblesses, et pouvoir proposer en définitive
des voies possibles de re-création ou de refondation de cette
société.
Concernant
la
satire
politique,
nous
postulons
que
celle-ci, à l’instar de la critique sociale, procède d’une
lecture du fait politique à travers la création littéraire,
et
spécifiquement
à
travers
la
production
théâtrale
pour
notre étude.
Sans être contradictoires, critique sociale et satire
politique sont plutôt deux acceptions qui renvoient à une
313
même réalité et de notre point de vue, proposent deux niveaux
équivalents
d’observation
des
faits
de
société
dans
leur
généralité. Mieux, les notions de critique et de satire sont
d’un point de vue sémantique, des termes assez proches, dans
la mesure où ils rendent compte de situations observables
sinon dans le vécu réel, du moins dans l’imaginaire créatif
de l’écrivain, mais toujours dans une perspective de remise
en question des systèmes établis, vécus comme peu favorables
à l’épanouissement de l’homme. Car si comme nous venons de
l’énoncer, critique et satire comme modalité d’approche du
fait
social
essentiel
l’autre
visent
de
de
toutes
déterminer
ces
deux
la
modalités
les
mêmes
prédominance
dans
buts ;
de
l’écriture
l’une
il
ou
dramatique
est
de
des
auteurs de notre corpus.
Ainsi,
littérature
dans
le
africaine,
déploiement
on
peut
chronologique
observer
que
la
de
la
satire
politique apparaît comme le passage obligé de la production
postcoloniale. Car lorsqu’on pense à l’Afrique des années 60
à
nos
jours,
il
est
quasi
impossible
de
ne
pas
penser
corruption, génocide, dictature, délinquance de l’Etat, etc.,
toutes ces plaies qui gangrènent l’Afrique indépendante, et
dont elle semble jamais ne pouvoir se guérir.
Dans le cadre du théâtre d’Afrique Centrale, la satire
politique consiste en une peinture des systèmes de gestion et
d’exercice de la chose politique. Cette peinture montre que
la grande majorité des systèmes issus de la colonisation se
caractérisent
par
autocratiques
et
une
forte
sanguinaires.
prédominance
Incarnés
par
des
des
régimes
tyrans
pervers à la limite de la déshumanité, les univers politiques
exprimés par le théâtre africain donnent à saisir le fait que
pour les nouvelles élites politiques africaines, l’idée de
force prime sur celle de l’être. Car dans les modes de pensée
traditionnelle, le pouvoir et la force se justifient comme
conditions nécessaires de l’être. Cette idée, sortie du cadre
314
de
la
pensée
nouveau
religieuse
dans
la
traditionnelle
constitution
des
trouve
régimes
un
usage
politiques
totalitaires.
7.1 – L’homme politique :
L’exploration
pièces
de
concept
notre
de
de
l’univers
corpus
permet
l’homme
particulièrement
politique
de
politique.
mettre
Deux
représentatifs
de
à
en
auteurs
cette
travers
les
évidence
nous
le
semblent
problématique.
Il
s’agit en l’occurrence de Sony LABOU TANSI et de Laurent
OWONDO
dont
l’univers
des
les
textes
pouvoirs
sont
ouvertement
politiques
africains
orientés
vers
contemporains.
Mais dans une certaine mesure toutefois, Le Zulu de Tchicaya
U TAM’SI et Le Roi Mouanga de Vincent de Paul NYONDA nous
semblent eux aussi, à bien des égards, porter une charge
politique indéniable. Rappelons cependant que si la pièce de
Tchicaya peut se saisir comme une chronique historique (son
objet était de restituer dans un certain contexte social,
politique
et
historique,
l’épopée
de
Chaka,
guerrier
unificateur de la nation Zoulou, mais avant tout opposant à
l’occupation
coloniale
de
son
pays),
celle
de
NYONDA
constitue au mieux une fable, dont la finalité est, sinon de
garder vivante la tradition culturelle gabonaise, du moins de
relayer un discours politique volontiers alarmiste du pouvoir
en place au Gabon depuis le milieu des années 60, et qui
tendait
à
violence
montrer
des
coups
certes
les
dangers
d’Etat
(« évite
de
de
recourir
t’engager
à
dans
la
des
intrigues et des mouvements désordonnés »), mais aussi de
rappeler,
ainsi
qu’il
aimait
à
le
dire,
aux
hommes
de
pouvoirs que leur souci premier doit être la quête absolue de
la sagesse (« chercher la sagesse, c’est le plus sûr moyen
315
pour te guider ») et de la justice (« si la nature te sourit,
garde-toi d’écraser l’homme, (il) hait (l’oppression) ».202
Pour plusieurs raisons, Le Roi Mouanga publié en 1988,
fut considéré par beaucoup de gabonais comme la réponse aux
« Evénements de la Gare Routière » de 1981, événements au
cours desquels des opposants (ou des personnes suspectées
comme tel) au régime du Président BONGO avaient été arrêtés
en
masse,
pour
avoir
réclamé,
dans
des
tracts
déposés
nuitamment dans ce lieu de forte fréquentation, le retour au
multipartisme, à la liberté de réunion et d’expression ; le
retour
à
la
démocratie.
Car
depuis
son
accession
à
la
magistrature suprême en 1967, suite au décès du Père de la
Nation gabonaise ; Feu le Président Léon MBA, le Président
BONGO avait mis en place un régime autocratique, basé sur une
maîtrise totale de l’appareil étatique par un verrouillage
absolu des institutions et une véritable main mise sur les
ressources du pays, fort nombreuses, par une infime partie de
la
classe
politique,
créant
des
frustrations
au
niveau
populaire.
En bon observateur de la vie politique et sociale de
son
milieu,
le
dramaturge
peut
prendre
prétexte
de
cette
situation pour créer son œuvre et interpeller son public sur
la situation du pays, et les solutions à apporter dans le
sens d’une amélioration des relations sociales.
L’étude des textes de théâtre des auteurs d’Afrique
Centrale
est,
à
partir
offre
notre
des
plusieurs
avis,
possibilités
souvent
personnages.
d’approche,
intéressant
Ceux-ci
donnent
de
les
une
mais
aborder
image
il
à
assez
fidèle de la réalité, aussi bien historique qu’actuelle.
Ici, l’homme politique se caractérise par un certain
nombre
de
traits
déterminants,
et
qui
donnent
la
pleine
mesure de la nature même de sa relation à autrui, et à la
202
- NYONDA Vincent de Paul :
Mltipress-Gabon, 1988, p. 59.
Le
316
Roi
Mouanga,
Libreville,
Editions
notion même d’institution, de bien ou de pouvoir public. Il y
a dès lors confrontation de plusieurs réalités ; celle des
origines et de la position sociale de l’homme politique, et
celle de ses compétences en terme de ce que peut l’homme
politique, et de ce qu’il fait dans le concret.
7.1.1 – Origine, Situation sociale et familiale :
Que
dire
des
origines
sociales
et
culturelles
des
hommes politiques africains ?
La
questions
des
origines
en
elle-même,
est–elle
pertinente et justifiée dans le cadre d’une prise en charge
du fait social par la littérature ? La création littéraire et
singulièrement
le
lumière
situation
de
la
théâtre,
peut-il
politique
permettre
de
la
mise
l’Afrique ;
en
passée,
présente ou future, à travers l’étude des origines, de la
position
sociale
et
familiale
des
hommes
politiques
africains ? Voilà des questions auxquelles nous allons nous
intéresser
pour
cerner,
et
pour
découvrir
certaines
caractéristiques des différents acteurs de la vie sociale et
politique
africaine
tels
qu’ils
apparaissent
dans
la
production dramatique des auteurs qui constituent l’ossature
de notre corpus.
Si la question des origines et de la position sociales
et
culturelles
a
souvent
été
donnée
comme
un
facteur
déterminant dans la saisie de la psychologie des personnages
de fiction littéraire, et singulièrement en ce qui est du
personnage romanesque, elle l’est aussi, en ce qui concerne
le personnage de la création théâtrale.
Ainsi, selon que ses origines sont nobles ; légitimes,
le personnage de l’homme politique dans le théâtre (d’Afrique
Centrale) sera très souvent un personnage marginal, hors des
canaux de la norme universelle ; hors des normes en vigueur
317
dans son milieu. C’est un individu généralement confronté à
une véritable difficulté à manifester et à exprimer son idéal
politique ; sa vision d’une société idéale. Il est d’autant
plus entravé dans sa quête de liberté, de justice et de
mieux-être,
que
parce
que
précisément
ses
origines,
sa
position sociale ou son potentiel culturel, plutôt que d’être
un
atout,
vont
bien
souvent
lui
être
préjudiciables.
Ses
adversaires peuvent se servir de ces différents paramètres ;
de sa famille ou de sa position sociale ; de son emploi, pour
exercer sur lui des pressions et l’amener ainsi à renoncer à
ses idéaux, et « à rentrer dans les rangs », comme on dit
communément ; en fait à se soumettre aux édits du pouvoir en
place. Dans ce cas de figure, c’est l’instituteur Mallot qui
va le mieux exprimer la détresse de nombreux anonymes, de
cadres
moyens,
de
petits
commis
d’administration,
de
responsables de familles africains etc., qui doivent souvent
entraîner dans le sillage de leurs déboires, des innocents,
coupables seulement de les connaître, de les côtoyer, ou plus
gravement d’appartenir à leurs familles. Dans une forme de
délire
cynique,
le
jeune
instituteur
fait
le
constat
de
l’absurdité d’une situation qui a fini par passer dans les
usages communs :
MALLOT.-
…
Tu
es
coupable,
coupable
de
toi.
Oui,
Mallot, de toi. Et les coupables que veux-tu qu’on en fasse ?
Il faut qu’ils crèvent. Tu pouvais dire : « Je ne veux pas
crever maintenant. A cause de Nelly et sa mère. » Mais Nelly
et
sa
mère
sont
coupable
sur
rendez-vous.
Coupables
sur
commande. Aah ! Je suis acculé contre moi – jusqu’à moi. Je
crève de ma tête, de mon odeur, de ma façon de pisser.203
L’instituteur
exprime
d’Afrique,
attachés
à
pleinement
conscients
la
de
ici
la
liberté
leur
203
et
tragédie
à
incapacité
la
à
des
peuples
justice,
mais
amener
leurs
- LABOU TANSI Sony ; Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang,
Paris, Hatier, 1981, p. 79.
318
concitoyens,
saisir
encore
moins
l’importance
recherche
d’un
et
leurs
dirigeants
l’opportunité
véritable
équilibre
à
politiques
tendre
social.
à
vers
Optant
la
souvent
pour la voix de la raison contre celle de la passion, ces
personnages vivent des choix toujours plus contradictoires.
MALLOT. J’ai une femmes et deux diables. Pourquoi estce que je ne penserais pas tranquillement à eux ?
(…) Je me
bats. Je ne me suis pas trompé de lutte.204
Quoique
tout
entier
déterminé
à
ne
pas
se
laisser
déposséder de sa liberté ; de sa personnalité intrinsèque,
l’instituteur ne peut se résoudre à sacrifier l’existence des
siens.
D’un autre point de vue, le Docteur Manissa est une
autre figure de cette tragédie dans laquelle sont pris les
peuples d’Afrique de manière générale. Tenus hors des cercles
de
décisions
parfois
corps
ou
paradoxalement
défendant,
actes
d’actions
qui
vont
politique.
obtenir
ils
éminemment
prennent
souvent
Réagissant
du
politiques,
jeune
à
la
décisions ;
une
requête
médecin
un
actions
politiques.
des
avoir
leurs
réelle
de
Mallot
certificat
Car
sont
à
leur
posent
des
implication
(qui
veux
médical
de
complaisance, afin de ne pas se voir reléguer aux confins du
Lébango,
loin
de
toute
structure
basique
nécessaire
à
la
pratique de son métier ; loin du confort le plus élémentaire,
de toute civilisation, à la merci d’un colonel omnipotent,
brutal
et
tentation
sans
de
scrupule),
faire
comme
Manissa
tout
le
refuse
monde ;
de
de
céder
se
à
la
laisser
corrompre, de se détourner des voies de la justice, et de ce
que, selon lui, veut le pays :
MALLOT. Tu vas me le faire ce papier ?
…
MANISSA. Non.
MALLOT. Mais pourquoi ?
204
- Id. p. 124.
319
MANISSA.
Parce
que
je
ne
peux
pas
uriner
sur
mon
boulot.205
D’une
certaine
manière,
les
personnages
de
l’instituteur Mallot et du docteur Manissa figurent l’un et
l’autre, le type même du personnage social épris de justice
et militant pour une certaine orthodoxie dans la conduite et
les mœurs publiques. Ils sont victimes de leur sensibilité,
et d’une profondeur certaine d’âme, souvent de leur statut
social, ce qui en fait des suspects tout désignés aux yeux
des autorités publiques. Leur destin est comme soumis à une
forme
d’immobilisme ;
une
sorte
de
fatum
qui,
quoiqu’ils
fassent, les conduit inexorablement vers l’échec, vers la
mort.
Dans
un
échange
assez
donnent
la
mesure
de
leur
traduit
un
profond
désarroi,
vif,
les
deux
impuissance,
et
une
protagonistes
impuissance
sorte
de
doute,
qui
de
pessimisme, quant à la pertinence et la portée réelle de
leurs actes, de leurs prises de position :
MALLOT.- … Ah ! Que ma viande est simple au bord de ma
solitude. Non docteur, vous ne pouvez pas me voir parce que
vous avez les yeux fragiles. (…)
Vous vous contentez de m’estimer scénique. Mais qui
n’est pas scénique dans ce pays ? Qui ? Pérono ? Vous ? Les
autres ? Vous êtes une pauvre chambre à merde. Et de tous ces
hommes qui sillonnent votre cabinet, en avez-vous seulement
rencontré un seul ? Non. Vous leur fulminez des anti-ceci et
des anti-cela. Mais après ? Vous les renvoyez. Ils crèvent ou
bien
ils
vivent.
Au
fond
vous
êtes
une
sorte
de
cancre
calibre douze. Vous…
…
MANISSA-. Est-ce que vous avez regardé ce que vous me
demandez ? Vous me prier d’être ce petit imbécile corrompu
205
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La Parenthèse de
sang ; Paris, Hatier, Collection Monde Noir Poche, 1981. P. 117.
320
qui passe son temps à défoncer les lois. C’est facile n’estce pas ? C’est le pays. Mais moi, le pays je le mets à mes
dimensions. J’ai ma pointure du Lébango. Le pays, je l’oblige
à passer par moi. Après il va où il veut, faire la putain.
Mais seulement après.206
Cet
échange
entre
l’instituteur
et
le
médecin
est
révélateur de cette sorte de tragique fatalité à laquelle
nous faisions état plus haut. Soupçonné de lâcheté par son
interlocuteur (« vous ne pouvez pas me voir. Vous avez des
yeux
fragiles »),
le
Docteur
Manissa,
donné
comme
lâche,
fuyant devant la cruauté de la vérité, se révèle en fait
comme
un
véritable
véritable
pourfendeur
personnalité
de
explose
à
‘’l’ordre’’
travers
la
établi.
vision
Sa
qu’il
donne aussi bien de son rôle social, que de la manière par
laquelle
il
procède
pour
essayer
de
redresser
le
pays,
d’amener celui-ci à plus d’intégrité, à plus de vertu (le
pays je le mets à mes dimensions. (…) Je l’oblige à passer
par moi.). Mais pour le médecin, la notion de liberté est
encore plus importante pour le pays que l’image qu’on peut se
faire de sa façon de réagir face à certaines situations, même
si cela signifie que celui-ci perde toute dignité, et tout
sens
morale.
Il
aura
néanmoins
donné
son
opinion
sur
la
marche des choses.
A
évoquent
l’inverse
une
de
forme
ces
individus
d’engagement,
dont
les
seuls
les
personnages
actes
ou
les
hommes qui occupent véritablement une charge politique et qui
apparaissent aux premiers rangs de la vie publique dans la
création
théâtrale
africaine,
sont
presque
souvent
comme
surgis ex nihilo, sans véritables attaches familiales. Ainsi,
dans
La
Folle
du
Gouverneur,
aucune
indication
sur
les
origines familiales de Bomongo ; celui-là même qui incarne la
nouvelle destinée politique du pays. Dans ce même contexte,
La
206
parenthèse
de
sang,
décrit
- Op. Cit. p. 123 et 124.
321
un
univers
où
la
notion
d’identité ne se justifie que pour introduire dans la société
une forme de catégorisation entre les hommes du pouvoir, et
le reste de la communauté.
Cette
catégorisation
est
observable
dans
la
personnification opérée par les maîtres du régime, à travers
l’appropriation des vocables « pouvoir » et « capitale ». Ici
encore,
rien
apparaît
ne
même
signale
que
le
l’origine
fait
de
ces
d’appartenir
à
individus.
une
Il
famille ;
d’avoir un socle familial bien établi et identifié désigne ce
type
d’individus
comme
des
ennemis
virtuels
du
pouvoir,
constituant ainsi une sorte de casus belli.
7.1.2- Compétence et psychologie de l’homme politique :
Si du point de vue des origines et de la situation
sociale
des
production
responsables
dramatique
politiques
d’Afrique
dépeints
Centrale
on
par
note
la
une
véritable situation d’indétermination, au point de vue des
compétences et de la psychologie de ces derniers, les choses
sont
plus
nettes,
plus
marquées.
Positivement
ou
négativement, les personnages se donnent à lire à travers un
fascinant faisceau de comportements sociaux et moraux, qui
permet de les déterminer et de les classifier par rapport à
une
norme,
vue
comme
universelle.
Ce
sont
des
individus
atypiques, quel que soit le prisme à travers lequel on les
observe. Echappant parfois à toute logique, l’homme politique
dans ce théâtre est comme broyé par une force invisible qui
le met en décalage du sens commun des choses.
Ces personnages apparaissent caricaturés à l’extrême,
et leurs compétences, dans les attributions des uns et des
autres tiennent plus de l’anarchie que d’une logique liée à
la performance.
322
Chacun
de
ces
personnages
va
déployer
une
somme
d’énergies ou d’affects pour asseoir une image, une vision
souvent
trop
décalée
de
la
réalité.
Ce
décalage
est
généralement, annonciateur d’une caractéristique qui permet à
terme, de saisir la logique dans laquelle se meuvent les
personnages.
Des
indices
tels
que
des
noms
permettent
d’entrer dans l’univers de ces différents personnages.
Il y a en effet ceux qui, comme Antoine dans Antoine
m’a vendu son destin de Sony LABOU TANSI ; Mouanga du Roi
Mouanga chez NYONDA ; Bomongo de La Folle du Gouverneur chez
Laurent OWONDO (et bien d’autres que nous verrons), portent
un nom, et peuvent se distinguer des autres personnages de
l’histoire dans laquelle ils évoluent. Mais il y a aussi
d’autres,
que
l’on
ne
peut
identifier
qu’à
travers
leurs
titres, ou leurs grades ; civils ou militaires, et qui d’une
certaine façon, incarnent l’autorité ; la force ou le pouvoir
politique dans son absolu.
Ces individus aux mœurs étranges, complètement hors des
normes de la morale et de l’éthique sociales, incarnent ce
que l’Afrique a de plus terrifiant. Ce sont, chez Sony LABOU
TANSI, des personnages sombres et effrayants, à l’instar des
sergents
et
des
soldats
de
La
parenthèse
de
sang,
représentants d’un pouvoir politique brutal et tortionnaire,
ignorant
les
missions
véritables
qui
échoient
aux
responsables d’une nation. Ils sont aux ordres d’un régime
suspicieux
à
l’extrême,
fondé
sur
la
confiscation
et
la
personnification des institutions de l’Etat, le culte de la
personnalité, et la répression systématique des oppositions
idéologiques : les soldats sont à la recherche de Martial,
mais ils sont incapables de donner les raisons d’une quête
aussi frénétique.
Du
point
de
vue
du
respect
de
l’intégrité
de
la
personne humaine, ces régimes manifestent souvent une vision
singulière de la notion d’individu. Peu importe que Martial
323
Makaya
ne
surtout,
soit
il
pas
lui
Libertashio ;
ressemble
et
c’est
cela
son
suffit
neveu,
à
mais
faire
de
l’infortuné citoyen, un coupable tout désigné.
Dans La parenthèse de sang, on note que le rôle des
forces
de
l’ordre
est
en
totale
inadéquation
avec
les
missions fondamentales qui leur sont habituellement assignées
par la loi. Mais la loi, taillée à la mesure du dictateur et
incarnée par lui, n’a plus le sens commun, sinon celui que
lui
affecte
un
système
finalement
autocrate.
La
force
publique est alors entièrement au service du Prince, dont
elle assure protection et impunité. Son rôle se résume dès
lors à poursuivre et à persécuter les opposants du régime en
place, ou ceux qui sont seulement soupçonnés de l’être. C’est
notamment
ce
que
l’on
découvre
dans
ce
propos
du
soldat
Marc :
MARC. – (…) Moi je fais ce que la loi me demande. (…)
Je suis soldat et ma conscience de soldat commence par la
conscience des lois. (…)
Est-ce ma faute si les lois n’ont plus de conscience ?
Je suis soldat. Bon soldat. Et je fais à la manière du bon
soldat. (…).
Ce régime que l’on désigne parfois sous des vocables
incertains
tels
obscure
et
suggère
bien
semble
ne
que
« La
inquiétante,
capitale »
dont
l’imprécision
laisser
l’imprécision
des
aucune
(sorte
domaines
alternative
de
nébuleuse
des
contours
de
compétence),
à
la
volonté
individuelle, ni même au principe de la différence de point
de vue. Et son existence ne paraît se justifier qu’à travers
la répression et les torts causés à tous ceux qui résistent à
son diktat, ou qui sont suspectés comme tel. C’est ce que
l’on peut lire dans ce passage de La parenthèse de sang, où
l’on recherche un certain Libertashio:
RAMANA.- Qui vous envoie ?
…
324
MARC.- La capitale
LE SERGENT.- (…).- La capitale.
…
RAMANA.- Pourquoi cherche-t-elle, la capitale ?
…
MARC.- Pour faire chier !
LE SERGENT, à Ramana.- Pour faire chier. (Un temps.) Et
pour en finir aussi.207
Dans ce passage, l’importance de l’onomastique permet
de saisir à certains points, l’orientation psychologique des
personnages,
ainsi
que
leur
rôle
social.
Les
noms
de
« Libertashio », des « sergents » et de « la capitale » sont
révélateurs d’une certaine atmosphère de confusion, où chacun
est unique, en même temps qu’il se confond dans l’autre.
LE FOU. – (…) Nous sommes douze dans mon corps. On y
est serré comme des rats.
Aussi,
comme
un
peut-on
individu
voir
le
personnage
identifiable,
car
de
son
Libertashio,
existence
est
attestée par la famille qui lui a survécue après sa mort (il
a en effet laissé une veuve ; Kalahashio, et trois filles :
Ramana, Aléyo et Yavila, ainsi qu’un neveu ; Martial Makaya,
que
les
soldats
veulent
arrêter
sous
le
prétexte
qu’il
ressemble à son oncle défunt). Et comme chacun de ces autres
personnages dont l’identité est, pour le pouvoir un motif de
défiance et de condamnation, le Fou en quête de vérité ;
aspirant
manifeste
à
la
de
ce
justice,
qui
et
à
apparaît
la
déjà
liberté,
comme
est
un
la
combat
figure
perdu
d’avance.
Au-delà de la proximité thématique du Fou de Sony LABOU
TANSI avec celui du fou de La Bible (dans le verset 9
du
chapitre 5 de l’Evangile selon ST MARC, Jésus guérit un homme
possédé par des esprits mauvais. A la question de savoir quel
207
- LABOU TANSI Sony : La Parenthèse de sang ; Paris, Hatier Monde
International, 2002, pp.13 et 14.
325
était le nom de l’esprit qui tourmentait l’homme, la réponse
est : « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux »208.) On
peut lire dans le propos du Fou de La parenthèse de sang, la
manifestation
du
phénomène
de
l’indifférenciation
de
la
personnalité sociale et morale, vu à travers le prisme d’un
système politique totalitaire.
Ici,
apparaît
la
notion
de
transitivité
dans
la
présomption de culpabilité et responsabilité des individus
vis-à-vis des régimes répressifs. Dans le cas des régimes
politiques totalitaires, la contestation idéologique ou le
refus
des
spécifiques
conformismes
entraîne
en
vigueur
généralement
la
par
des
individus
condamnation
de
son
entourage. L’individu est vécu ici non plus comme une entité
unique, physiquement, socialement et moralement identifiable
et
distincte
de
ses
congénères,
mais
comme
une
sorte
de
double de l’autre ; un amalgame de personnalités, un puzzle
humain,
auquel
il
devient
commode
de
faire
supporter
la
charge des fautes avérées, ou seulement supposées. Martial,
son oncle, ou tout autre individu ne constituent dès lors
plus
qu’une
seule
et
même
personne,
coupable
devant
la
capitale :
MARC. – (…) Ce type a le menton de Libertashio, les
yeux de Libertashio.
Ce type a les cheveux de Libertashio.
RAMANA. – Il n’est pas Libertashio.
MARC. – Nous cherchons un Libertashio. Il nous en faut
un. Provisoire ou définitif, ça n’a plus d’importance. Nous
finirons par en trouver un provisoirement définitif.209
La
notion
d’individu,
comme
celle
de
responsabilité
individuelle, ont une valeur très relative dans la mentalité
des régimes politiques totalitaires.
208
- Nouveau Testament. Traduction Œcuménique de la Bible, Paris, Les
Editions du Cerf, 1972, p. 144.
209
- LABOU TANSI Sony ; Je, soussigné cardiaque, in La parenthèse de
sang, Paris, Hatier, 1981, p.85.
326
D’un autre point de vue, La capitale symbolise la force
et le pouvoir ; celui qui a droit de vie et de mort sur les
populations, et qui exige une obéissance sans réserve de ses
auxiliaires.
D’autres
individus
comme
le
fruste
colonel
Perono,
donnent à voir un autre visage de l’homme politique. C’est un
politique d’un ordre différent ; il est le symbole résiduel
d’une époque que l’Afrique dit avoir laissée derrière elle.
Perono est en effet un vestige de la colonisation européenne,
qui a officiellement pris fin avec les indépendances, mais
qui
poursuit
gestion
officieusement
économique,
anciennes
et
possessions
son
œuvre
par-dessus
de
l’empire
d’occupation
tout
et
politique,
colonial.
C’est
de
des
un
personnage cynique, brutal, inculte et raciste. Condescendant
devant le refus d’aliénation de l’instituteur Mallot Bayenda,
Perono proclame sa toute-puissance ; celle de l’occident sur
l’Afrique, celle du blanc sur le noir :
PERONO.- Mon bel ami… (…) Je t’ai toujours dit que… (…)
« Qu’il soit l’esclave de l’esclave de ses frères. »
Peut-être crois-tu que ça sort de moi seulement. Eh ben, non.
C’est depuis la Genèse. Ca vient tout droit de Dieu. Vous
descendez de Cham. Maudits pour de bon.
(…)
PERONO.- Et tant que vous n’aurez pas compris cette
petite chose…210
Perono est le chef d’une armée d’occupation d’un pays
imaginaire d’Afrique, le Lébango, où règne la corruption, la
gabegie
et
la
misère,
mais
dont
les
correspondances
avec
l’Angola luttant contre le Portugal (puissance colonisatrice
figurée ici par l’Espagne à travers le colonel) pour son
indépendance, sont à peine voilées dans la pièce Je soussigné
210
- LABOU TANSI Sony ; Je, soussigné cardiaque, in La parenthèse de
sang, p. 85.
327
cardiaque.211
Il
perpétuelle
de
néocolonialisme
est
surtout
l’Europe
qui
le
en
semble
symbole
de
Afrique.
plus
fort,
la
Une
plus
présence
forme
de
vicieux
que
l’ancien système, car il n’a aucun caractère officiel. Sous
le
couvert
de
la
(on
recherche
parle
communément
de
coopération), les anciennes puissances coloniales perpétuent
l’exploitation et le pillage des ressources économiques et
culturelles de leurs anciennes possessions, au mépris des
populations. Le politologue et chansonnier gabonais PierreClaver
AKENDENGUE
décrit
cette
situation
en
disant
des
occidentaux qu’ « ils aiment l’Afrique, sans les africains »,
pour
caractériser
l’Afrique
et
les
le
type
de
différentes
relations
instituées
puissances
entre
industrielles
qui
gouvernent le monde.
D’un autre point de vue, le personnage de Bomongo dans
La Folle du Gouverneur de Laurent OWONDO, incarne ces hommes
politiques dont les actes sont commandés orientés par une
ambition démesurée. Fourbes et calculateur, Bomongo louvoie
entre vérité et mensonge ; entre fidélité et traîtrise. IL
mettra en marche tout son génie dans le seul but de conquérir
Tchémoyo ; de la soumettre. Jamais il ne pensera au bonheur
de celle-ci.
Comme Perono, Libertashio, Tchémoyo, Bomongo et bien
d’autres, ces personnages sont des personnages allégoriques.
Ils
manifestent
prise
et
globalement
d’exercice
du
les
pouvoir
modes
par
et
les
les
élites
systèmes
de
politiques
africaines actuelles. On peut dire que dans la majorité des
cas,
ce
sont
des
hommes
qui
affichent
des
traits
psychologiques très sombres, d’où semble filtrer, une sorte
de symptôme de la rupture, une forme de traumatisme primaire,
qui
les
mènerait
presque
inexorablement
à
la
cruauté,
au
despotisme, à l’insensibilité et finalement à la déchéance.
211
- LABOU TANSI Sony ; La parenthèse de sang, suivi de Je Soussigné
cardiaque, Paris, HATIER, Collection « Monde Noir » Poche.
328
7.2- Le pouvoir dans tous ses états :
Dans
la
création
littéraire
africaine,
le
thème
du
pouvoir a toujours figuré parmi les thèmes les plus abordés.
Du
pouvoir
colonial
jusqu’aux
indépendances
africaines ; même les plus récentes, il ressort une forme de
continuité dans la pratique politique, et le rapport à la
société ;
au
peuple,
des
classes
dirigeantes.
C’est
un
rapport de domination des uns sur les autres, où les plus
forts chercheront toujours à écraser les plus faibles, et où
pour
asseoir
leur
autorité
et
leur
pouvoir,
les
classes
dirigeantes usent de toutes sortes d’artifices, depuis la
corruption
des
élites
susceptibles
de
contrecarrer
leurs
exactions, jusqu’à l’instauration de régimes de terreur et de
répression.
Dans tous les cas, on assiste à un véritable divorce
des
politiques
et
des
populations ;
des
politiques
et
du
social.
La
confiscation
des
institutions
publiques
et
des
libertés individuelles par des régimes de partis uniques, les
abus de pouvoir, le culte de la personnalité voué « aux chefs
suprêmes, aux présidents à vie, aux grands guides éclairés,
aux
pères
de
la
Nation,
aux
présidents
« dictateurs
généraux » et autres « grands camarades, fondateurs de … » ;
la théorie généralisée du complot, etc., caractérisent grosso
modo, le fonctionnement de la totalité des régimes politiques
décrits par la littérature africaine de manière générale, et
par
certaines
conséquence
œuvres
logique
d’un
théâtrales
tel
état
en
de
particulier.
décrépitude
de
La
la
société est la généralisation de la misère humaine, de la
désillusion affichée vis-à-vis des institutions et des hommes
qui les représentent :
MALLOT.- Mon père. Un mort qui vit de moi. Une ancienne
carcasse de planteur d’ignames. (…) Il se mettait à genoux
329
pour supplier les gros messieurs d’Hozana de lui acheter ses
queues de persil. Parce qu’il fallait bien qu’on mange, nous.
Ma mère, ma sœur et moi. J’avais deux frères : Léon et Stani.
Les aînés. Ils ont été mangés par un coup d’Etat. Mes parents
ont organisé une veillée à la maison malgré les prohibitions.
L’armée est passée. Rixes. Coups de feu. Oh ! Tout s’est tu
maintenant. La honte. Les bruits. La méchanceté. Je suis le
seul salaud de la famille qui aura pu gravir la société
jusqu’au degré d’instituteur. Hélas, un soir, Perono a dit :
à genoux. Moi qui ai trop vu mon père à genoux. J’ai craché.
Il m’a vendu au système.212
Dans
un
contexte
aussi
sombre
et
absurde,
on
saisi
mieux le cynisme de Mallot Bayenda lorsqu’il sollicite un
certificat médical de complaisance au Docteur Manissa. Face à
l’absurde, l’instituteur réagit par
le cynisme.
La conscience même de son impuissance face à la machine
corrompue et répressive de l’Etat l’oblige à penser et à agir
en suivant le raisonnement tortueux qui singularise désormais
la vie sociale du pays. Mallot ne perd ni sa dignité, ni son
intégrité morale. Son but est simplement de comprendre ses
déboires, et d’y remédier : « Je respire pour annuler Perono.
Ordure, bien sûr. Mais ordure spéciale. Imprenable. Je suis
la vraie taille, la vraie dimension de l’homme. Et je boxe,
je me bats pour conserver mon titre de mammifère spécial. Je
suis là-bas au large de la dignité.213
Et comme pour résumer la situation de l’individu réduit
à l’inexistence dans cette société, Mallot, répondant à la
secrétaire qui lui demande de se calmer (il venait de perdre
patience
à
attendre
l’enseignement)
dit :
d’être
« Oui,
reçu
oui
je
par
vais
le
me
directeur
calmer.
de
Vous
n’avez qu’à attendre un peu. Ça vient de très profondément
212
- LABOU TANSI Sony : Je soussigné cardiaque, in La parenthèse de
sang ; Paris, Hatier, 1981, p.119.
213
- LABOU TANSI Sony ; Op. Cit. p. 119.
330
là-dedans. Ça se réveille. Ça ébranle mon vieux corps de
planteur d’ignames. (Un temps.)
Si j’étais grand-chose, hein, mademoiselle. Vous croyez
vraiment
qu’il
m’aurait
laissé
poireauter
pendant
trois
mois ? Non, mais je suis leur chose. Leur objet. Ils me
marchent
dedans
sans
tenir
compte
de
rien.
Un
peu
de
poussière au fond du système. Personne ne m’a compté moi.
Personne. Tout le monde me saute. Je suis seul. Seul dans cet
océan de merde et de lâcheté. Seul pour seul. Noyé. Perdu.
Fini. Raturé. Mâché.214
Il y a dans le propos de l’instituteur autant de colère
et de révolte que de constat d’échec, mais en même temps un
refus de céder à la résignation. Son refus de la fatalité le
fait
apparaître
aux
yeux
des
autres
comme
fou,
ce
que
confirme la question posée par le directeur :
BELA EBARA, à MALLOT.- C’est vous qui beuglez comme un
fou ?
MALLOT.- Je ne suis pas fou, monsieur le directeur. Je
suis le seul Lebangolais qui reste dans ce pays.215
Peut-être Mallot choisit-il des comportements excessifs
pour mieux affirmer son individualité ? Peut-être n’a-t-il
pas d’autre choix que d’être lui-même ; vrai et entier ? Dans
un monde où tout n’est que lâcheté, cruauté et faux-semblant,
vide et illusion ; un monde perverti par la mégalomanie des
uns, l’infatuation des autres, Mallot Bayenda est le symbole
d’une société martyrisée, foulée au pied par des pouvoirs qui
ont fini par perdre le sens de la mesure et de l’objectivité.
214
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de sang,
Paris, Hatier, p.123.
215
- Id. p. 125.
331
7.2.1- La prise de pouvoir :
Au sein de notre corpus, il est souvent fait état de
systèmes et de pouvoirs politiques ; de leur émergence, et de
leur exercice. Ces problématiques ont ainsi diversement été
abordées
par
la
littérature
africaine
pour,
d’un
côté
en
situer les origines, mais toujours aussi pour en dénoncer les
méfaits et les défaillances.
Comme nous l’avons souvent relevé au cours de cette
étude,
l’histoire
relation
avec
littéraire
son
histoire
de
l’Afrique
politique,
est
dans
en
ce
étroite
sens
que
l’histoire politique, celle des sociétés africaines constitue
la
base
de
référence
de
la
majorité
des
productions
littéraires africaines d’hier et d’aujourd’hui.
Rapports de culpabilité ou de défiance, la littérature
africaine donne la mesure de la responsabilité de chacun des
acteurs de cette histoire.
Après avoir dénoncé les méfaits de la colonisation, les
hommes
de
lettres
africains
allaient
à
juste
titre,
se
tourner vers l’observation des sociétés nouvelles issues des
indépendances,
et
faire
le
constat
d’une
situation
de
paradoxes, de contradictions et de chaos.
D’une
manière
générale,
il
apparaît
qu’en
Afrique,
l’accession au pouvoir des élites politiques s’est opérée de
deux manières différentes. Il y a, d’un côté, ceux qui ont
« hérité » des anciennes puissances coloniales, et qui, du
point
de
vue
économique,
ont
pérennisé
d’exploitation
favorables
aux
anciens
« héritiers »,
bénéficiant
inconditionnelle
de
maîtres
de
absolus
leurs
leurs
généralement
mentors
pays,
dictatures féroces.
332
de
des
systèmes
maîtres.
la
s’érigeaient
transformant
Ces
protection
souvent
en
ceux-ci
en
Les
tensions
essentiellement
suscitées
par
autocratiques,
ces
régimes
aboutissaient
de
type
globalement
à
leur renversement, par des forces militaires.
Pour illustrer ces modes d’accession au pouvoir,
Le
coup de vieux216 de Sony LABOU TANSI et CAYA-MAKHELE, ainsi
que La folle du gouverneur de Laurent OWONDO nous paraissent
donner une assez bonne chronologie de ces situations. Le coup
de vieux remonte à la découverte des Amériques (le rappel de
l’année
1492
le
confirme),
pour
situer
l’origine
de
la
tragédie vécue par les trois personnages principaux de la
pièces ;
Dofano,
Shaba
et
Esperancio,
et
ainsi
expliquer
l’origine du pouvoir politique en vigueur dans leur pays.
De son côté, la pièce de Laurent OWONDO, La folle du
gouverneur, situe l’origine du pouvoir de Bomongo à la fin de
la colonisation. L’Afrique, métaphorisée sous les traits de
Tchémoyo, se voit remettre (ou confisquer) son destin entre
les
mains
ambigus.
d’un
pouvoir
Tchémoyo
(personnage
reste
sceptique
de
quant
Bomongo)
aux
des
plus
promesses
de
changement faites par son nouvel « époux » ; celui-ci peut-il
en
effet
s’écarter
des
chemins
tracés
par
ses
anciens
maîtres, lorsque l’on sait à quels compromis il s’est laissé
aller ?
7.2.2- L’exercice du pouvoir :
Ainsi
que
nous
l’avons
déjà
observé,
le
théâtre
d’Afrique Centrale a fait du thème du pouvoir politique un de
ses
sujets
l’Afrique,
de
prédilection.
traversée
de
La
drames
situation
humains
et
politique
de
de
tragédies
individuelles n’a pas laissé indifférents les écrivains du
continent.
216
- CAYA-MAKHELE, LABOU TANSI Sony : Le coup de vieux ; Paris, Présence
Africaine, 1988.
333
D’un
texte
à
l’autre,
on
est
en
présence
du
règne
absolu de la violence, gratuite et aveugle ; de la suspicion,
d’un climat de délation et de trahison. C’est un monde où la
cruauté s’est érigée en une véritable performance, et où la
souffrance
et
la
mort
deviennent
des
détails
sans
grade
implication. Dans Je Soussigné cardiaque, le spectacle de la
mort devient aussi banal que le fait même d’être malade.
L’indication de régie « On pousse un mort » apparaît trois
fois, de même qu’une autre indication qui, sans parler de
mort,
suggère
néanmoins
celle-ci :
« Pleurs
dans
le
couloir ». La mort est partout présente dans le théâtre de
Sony LABOU TANSI.
Tout
est
prétexte
à
l’oppression
et
à
l’injustice,
depuis le fait d’être instruit (à l’instar de Mallot, le
jeune instituteur de Je soussigné cardiaque qui fait lui-même
le constat de sa « culpabilité »: « Tu l’as multiplié par
toi. La petite opération, la mathématique des âmes savantes.
Tu
deviens
aussi »217),
le
sommet
jusqu’au
des
fait
mondes,
d’avoir
le
des
sommet
liens
des
du
hommes
sang
avec
quelqu’un que la force politique condamne au préalable comme
coupable du délit de non conformisme. Son épouse Mwanda et sa
fille Nelly « sont coupables sur rendez-vous. Coupables sur
commande »218. C’est aussi pour cause de parenté que Martial,
neveu de Libertashio est recherché
Capitale »
dans
l’existence
en
La
Parenthèse
elle-même,
comme
par « le pouvoir de La
de
de
sang.
s’opposer
Plus
encore,
au
pouvoir,
semble désigner l’individu comme un indubitable coupable ;
c’est comme si, pour certains, le fait de vivre constituait
en
soi
Interdit
un
délit
d’être
d’opinion :
vivant.
« Ici,
Nous
c’est
sommes
en
interdit.
(…)
interdiction
d’existence », observe la jeune Aleyo, condamnée comme toute
sa famille à être exécutée, pour avoir hébergé Martial. Elle
217
- LABOU TANSI Sony : La parenthèse de sang ; Paris, Hatier, 1981, p.
79.
218
- Id.
334
réalise en effet que la raison avancée par les soldats pour
les juger coupables est loin d’en être le seul motif ; ils
ont, les uns et les autres, eu le tort d’exister, d’aspirer à
vivre, et même à survivre, comme on peut le découvrir dans
cet échange entre Martial et Aleyo :
ALEYO. – (…) Tu aimais ça, toi, Martial ? Tu aimais ça
la vie ?
MARTIAL.-
Oui.
C’était,
comment
dirais-je ?
C’était
moche mais ça me suffisait.
Tragique univers où « peut-être la mort revient-elle
exactement à la vie », comme le souligne Martial.
Ici en effet, il n’y a pas de présomption d’innocence ;
on est coupable de naissance, de père en fils comme on naît
avec un titre de noblesse. Car dans le cas de Martial et
Libertashio, le système de filiation matrilinéaire fait d’un
neveu « un fils », donc héritier en ligne directe de son
oncle. LABOU TANSI puise ici dans les sources de la tradition
du peuple Kikongo auquel il appartient. La culpabilité de
Martial n’est pas un simple procédé d’écriture ; à travers le
monde, les régimes politiques autocratiques ont usé de la
répression et du chantage au sein des familles pour avoir un
contrôle absolu sur les oppositions potentielles ou avérées.
Les
modes
maintenir
opératoires
de
ces
une
de
pression
populations
abusives,
forme
en
opérant
des
des
systèmes
répressifs
psychologique
perquisitions
arrestations
sont
sur
les
systématiques
arbitraires,
des
de
et
exécutions
sommaires, etc.
Pour
d’autres
individus,
détenir
le
pouvoir,
c’est
avoir un droit de vie et de mort sur leurs concitoyens. Nous
y reviendrons lorsque nous aborderons les phases de l’éthos
dans l’étude des personnages.
A
côté
de
ces
hommes
politiques
qui
possèdent
le
pouvoir et l’incarnent, il y a ceux qui veulent y accéder, et
qui
pensent
qu’ils
ont
le
devoir
335
de
proposer
une
vision
différente de la gestion de la chose publique ; contraire à
celle
qui
est
en
vigueur,
et
qu’ils
estiment
peu
satisfaisante ou même dangereuse. Dans cette catégorie, on
dénombre
beaucoup
vocables
comme
femme »,
« un
etc.,
sang ;
mais
d’anonymes,
« la
Mallot,
foule »,
homme »,
certains
dans
souvent
« un
comme
Je
« les
désignés
villageois »,
passant »,
Martial
soussigné
par
dans
des
« une
« l’assistance »,
La
cardiaque
Parenthèse
de
Sony
de
LABOU
TANSI, etc., jouent également un rôle politique même s’ils
n’en ont pas toujours officiellement les attributions. Leur
implication dans le combat pour les droits élémentaires des
citoyens ; pour les libertés individuels et pour la justice
sociale,
s’il
se
situe
souvent
en
marge
des
cercles
de
pouvoir et de décisions, n’en est pas moins retentissant car
il est mené au plus près des populations ; au cœur des masses
dont il fait partie intégrante.
336
QUATRIEME
CRITIQUE
PARTIE :
SOCIALE
ET
THEATRE.
337
ROLE
DE
LA
ENONCIATION
AU
CHAPITRE VIII : LE ROLE DE LA CRITIQUE SOCIALE DANS LE
THEATRE. LE CONTEXTE SOCIOLOGIQUE DE LA CREATION.
De tous temps, le critique a été considéré comme un
héros. Héros à double titre car, tel l’individu du Mythe de
la caverne de PLATON, le critique est un être singulier ; son
activité, son rôle dans la société est de s’en élever ; de
transcender le monde pour mieux le saisir, le sentir ; afin
de mieux l’appréhender. Puis, illuminé de la conscience du
monde, il peut interroger et orienter ses concitoyens.
Son regard se veut objectif car la société est, elle,
étrangère à la vérité qu’il a éprouvée. L’homme de théâtre,
comme l’homme de lettres en général, est un homme héroïque,
ou du moins son activité l’est-elle. Car dans la plupart des
textes de la littérature africaine (écrite ou pas), il y a
une réelle volonté de centrer le discours sur l’homme, sur
les problèmes de la société.
Détaché de tout a priori, le regard du critique sur la
société
est,
sans
relâche,
en
quête
de
vérité.
Et
selon
Michaël WALZER, « la poursuite de la vérité au prix de ses
propres liens familiaux et civiques distinguent le critique,
et la vérité qu’il découvre par le détachement et le départ
donnent à sa critique une autorité spéciale. »219
Qu’il
s’agisse
de
La
forêt
illuminée,
de
Boule
de
chagrin, ou de Jinette et Japhet de Gervais MENDO ZE, de la
trilogie sur le mariage de Guillaume OYONO MBIA, ou du Train
spécial de son excellence du même auteur ; qu’il s’agisse du
Soûlard, de La mort de Guykafi, du Combat de Mbombi ou du Roi
Mouanga de Vincent de Paul NYONDA, la marque de la société y
est indéniable ; la critique fondamentalement présente.
219
- WALZER Michaël : La critique sociale au XXème siècle. Paris, Editions
Métailé, 1995, p.26.
338
En
somme,
la
critique
sociale
consiste
pour
le
critique, à se plaindre, car « la plainte est une des formes
élémentaires
de
l’affirmation
de
soi,
et
répondre
à
la
plainte, l’une des formes élémentaires de la reconnaissance
mutuelle. Lorsque la question, ne concerne pas l’existence
elle-même mais l’existence sociale – l’être–pour-autrui - la
plainte devient une preuve suffisante : je me plains donc je
suis.
Nous
nous
entretenons
de
la
plainte,
donc
nous
sommes. »220 Ainsi donc, les auteurs dramatiques africains, à
travers la critique sociale, expriment et affirment leur être
au monde. C’est une prise de position, un engagement constant
où la satire, la polémique, l’exhortation, la prophétie ou
l’accusation, etc., sont posées comme les marques de cette
critique.
La critique sociale a besoin d’un langage, et le choix
du
langage
« l’autorité
dramatique
dont
justifie
veut
ou
pour
croit
l’homme
devoir
se
de
théâtre,
réclamer
le
critique pour être entendu. Et cela, à son tour, a pour
condition sa relation à son auditoire. »221
Et dans la mesure où le discours littéraire africain
est centré sur les problèmes de société, on peut y voir une
plainte.
C’est
qu’il
y
a
nécessité
de
rencontre
et
de
dialogue avec son public, la plainte des écrivains africains
transcende la plainte ordinaire ; celle des hommes et des
femmes ordinaires, qui, selon Michaël WALZER, « se réduit
souvent au marmonnement », car « l’oppression et la crainte
la rende inarticulée »222.
Comme
critique
de
la
société,
l’écrivain,
et
singulièrement l’homme de théâtre africain est attentif aux
mœurs communes, aux fautes individuelles ou collectives, ou
aux défaillances institutionnelles, qui selon le principe de
220
- WALZER Michel : La critique sociale au XXème siècle ; Paris, Editions
Métailié ; 1995 p. 15.
221
- Id. p. 23.
222
- Op. Cit. p. 24.
339
la
responsabilité
collective,
sont
le
fait
de
tous,
car,
c’est une faute individuelle ; une défaillance des personnes
particulières de tolérer des institutions non adaptées aux
besoins et aux aspirations de la communauté.
8.1- Le rôle pédagogique :
La critique et la satire sociale sont des phénomènes
connus dans toutes les sociétés humaines.
Selon qu’elle prend pour cible les traditions ou les
institutions sociales, son discours portera sur les systèmes
et les traditions culturels, ou sur les systèmes politiques.
Alliant parfois le comique et le sérieux, le théâtre
d’Afrique
Centrale
construit
un
monde
parallèle
au
monde
réel, engendrant ainsi une double perception de l’existence.
En
mettant
l’accent
sur
le
ridicule
et
les
déviances
individuelles ou collectives, le théâtre comique tend vers
une correction matérielle du public car, « Le sentiment de
honte
que
fait
naître
le
ridicule
peut
seul
réformer
le
public et lui apprendre, par le spectacle grotesque qui lui
est offert, à éviter de sombrer dans les mêmes travers que
ceux
des
théâtrale
personnages
et
les
représentés. »223
normes
morales
se
Ici,
la
déplacent
métaphore
de
manière
conjointe sur l’univers social, avec pour objet de montrer la
voie en démasquant ce qui est contraire à la vérité, à la
justice. Le personnage du chef de gare de la pièce de OYONO
MBIA ; Le train spécial de Son Excellence, figure tous les
aspects du ridicule, dans ses manières empruntées, son besoin
absolu
de
paraître,
symbolisant
de
ce
fait
les
attitudes
observées dans les classes moyennes de la société, et qui
souvent conduisent au travestissement et à la transgression
223
- DUVAL Sophie et MARTINEZ Marc : La satire ; Paris, Armand Colin,
2000, p. 48.
340
des règles publiques au profit des intérêts individuels et
personnels.
Les
œuvres
théâtrales
se
transforment
en
miroir,
reflétant les travers risibles de la société. C’est de cette
attitude
que
le
théâtre
peut
édifier
la
société
tout
en
corrigeant les mœurs.
8.1.1- L’éveil de la conscience et la recherche d’une
nouvelle société :
La critique sociale dans le théâtre d’Afrique Centrale
a aussi pour objet d’éveiller la conscience de son public sur
les différentes menaces qui pèsent sur la société africaine
d’aujourd’hui. En mettant en scène des hommes politiques, des
chefs
de
écoliers
directeurs
famille,
et
des
collégiens,
hommes
des
d’administrations,
ordinaires,
des
employés,
des
etc.,
théâtre
le
jeunes ;
médecins
des
d’Afrique
Centrale appelle à la conscience de tous, de son public, en
vue de poser un regard plus juste sur la société et les
institutions ;
par-dessus
engendrés
les
par
tout
fléaux
sur
que
les
disfonctionnements
constituent
la
corruption,
l’alcoolisme, la gabegie, le tribalisme, la cupidité, et tous
les autres maux qui freinent le développement économique,
politique et culturel de l’Afrique.
La
mise
en
évidence
des
disfonctionnements
des
appareils sociaux et des travers comportementaux à travers la
création
dramatique
énonce
la
possibilité
d’une
société
transformée, débarrassée des carcans des coutumes anciennes
qui sont souvent en inadéquation avec la situation temporelle
et spatiale des peuples. La pérennité des systèmes coloniaux
ou
néocoloniaux
soussigné
en
Afrique
cardiaque),
les
(La
Folle
dictatures
du
Gouverneur,
instituées
après
Je,
les
indépendances (Le zulu, La parenthèse de sang, Antoine m’a
341
vendu son destin, etc.) décrits par les hommes de théâtres
visent aussi bien à montrer la perversité des comportements
totalitaires de ces régimes. Mais ces textes invitent surtout
les hommes publics et les populations africaines à œuvrer
pour
la
renaissance
meilleure
prise
en
de
l’Afrique,
compte
de
la
et
au-delà,
dignité
de
pour
la
une
personne
humaine ; pour le respect des institutions et du bien public.
Dans
le
fond,
les
hommes
de
théâtre
africains
qui
développent presque toujours une vision pessimiste du monde
visent dans le même temps à restituer à la littérature son
rôle
de
gardien
menaçantes.
La
culturelles
ou
des
mise
mœurs,
en
à
cause
la
des
politiques ;
la
fois
répressive
défaillances
critique
et
sociales,
des
déviances
sociales, l’exposition publique des travers risibles de la
société sont les moyens mis en œuvre pour dire le malaise des
écrivains.
d’une
Leur
société
l’importance
objectif
nouvelle,
du
socle
est
qui
de
tendre
tienne
culturel
des
vers
compte
la
naissance
aussi
populations ;
bien
de
de
leur
histoire, des différences de point de vue individuelles ou
collectives, de la nécessité de se tourner vers un remodelage
de la pensée commune dans le contexte du temps, et de la
participation de chaque entité sociale.
C’est dans cette optique que, s’inspirant d’une légende
gabonaise sur les origines des sociétés mixtes, Vincent de
Paul
NYONDA
a
écrit
une
pièce
Emergence d’une nouvelle société.
342
qui
porte
bien
son
nom :
8.2- Productions culturelles et catharsis :
Les productions culturelles ; chant, danse, peinture,
dessin, sculpture, cinéma, théâtre, etc., ont dans la société
africaine, une double valeur symbolique et esthétique.
Si
la
valeur
esthétique
de
la
création
artistique
africaine n’a été confirmée par l’Occident que depuis le XXème
siècle seulement, sa valeur symbolique et fonctionnelle elle,
n’a jamais été remise en cause.
Suivant
l’africain
les
situations
produira
des
auxquelles
objets,
de
il
est
culte
confronté,
ou
profanes,
toujours pour rendre témoignage d’une pensée et d’une vie
intérieure, manifester ses aspirations, ou faire face à ses
angoisses,
à
ses
craintes,
et
tenter
de
les
conjurer
à
travers des procédés ritualisés ou autres.
Il y a donc dans la production théâtrale un besoin
d’éloigner les maux décrits dans les textes. En nommant les
dictatures ; en mettant en scène la mort ou l’échec d’un
Chaka, le dramaturge se réapproprie son histoire, l’Histoire
de l’Afrique, il peut ainsi panser les plaies ouvertes par
des décennies de colonisation, et, depuis les indépendances,
expurger la colère née de la violence de la confiscation des
libertés
publiques
totalitaires
sociale
et
née
et
individuelles
sanguinaires,
de
la
cruauté
regarder
des
par
en
des
face
institutions
pouvoirs
la
misère
monétaires
internationales, en somme démystifier la misère humaine, afin
que toujours plus, l’homme tente de transcender sa souffrance
et sa déchéance quotidiennes, pour s’investir dans la quête
de la société idéale, même si, pour les hommes de théâtre
cette société reste du domaine de l’utopie. Il y a en effet
dans
la
production
théâtrale
africaine,
beaucoup
de
évoquer
les
pessimisme.
Pour
ce
théâtre,
c’est
de
ne
point
turbulences de l’histoire politique et sociale de l’Afrique
343
aujourd’hui
qui
constitue
un
manquement
notoire
face
à
l’opinion, face à la conscience du monde. La catharsis est
alors
synonyme
politiques,
public
la
de
de
compassion
crimes
crainte
de
pour
les
économiques,
souffrir,
et
qui
victimes
de
suscitent
l’amènent
à
crimes
chez
le
l’action
militante qui doit changer la société.
Le théâtre se doit de repenser la question de la crise
et des soubresauts de la société, pour reprendre le rôle qui
lui est dévolu depuis l’antiquité, et ainsi redevenir luimême, ce que pense aussi ARTAUD qui confirme la fonction
cathartique du théâtre : « Le théâtre ne pourra redevenir
lui-même, c'est-à-dire constituer un moyen d’illusion vraie,
qu’en fournissant au spectateur des précipités véridiques de
rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa
sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des
choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non
pas supposé et illusoire, mais intérieur »224.
8.2.1- Rôle cathartique de la critique sociale :
De manière générale, le théâtre africain figure les
traits caractéristiques de la littérature orale. En passant
de l’individualité de l’auteur à la collectivité du public,
le théâtre peut s’adresser directement à la société. Et comme
l’observe
Jean-Michel
DEVESA
à
propos
du
théâtre
de
Sony
LABOU TANSI, « sa dramaturgie, sollicitant ô combien le corps
et le geste, supposait un théâtre de la conjuration et de la
guérison du corps social. »225 Ici apparaît la vocation de
l’écrivain, aussi bien que celle de son œuvre. Le théâtre est
pour beaucoup de dramaturges africains, un instrument, un
224
- ARTAUD Antonin ; Le théâtre et son double, cité par DAVID Martine in
Le théâtre, Paris, Editions Belin, Collection Sujets, 1995, p.324.
225
- DEVESA Jean-Michel : Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte et des
rives du Kongo ; Paris, L’Harmattan, 1996, p. 52.
344
média
d’intervention
et
d’ingérence
à
l’échelle
de
la
société. Ecrire, c’est avant tout chercher à communiquer ; à
nouer un dialogue avec l’autre, avec l’universel, dans le but
sacré, de nourrir la conscience et la morale des peuples.
C’est que l’homme se situe au cœur de la création dramatique,
ce que relève encore DEVESA à propos des textes de LABOU
TANSI :
« Les
révolte
humaine.
textes
Ils
de
Sony
Labou
traduisent
la
Tansi
sont
conscience
pleins
de
douloureuse
d’un écrivain qui avait la passion de dire le monde alors que
celui-ci domine de son énigmatique silence l’individu. »226
A
des
échelles
différentes,
cette
approche
de
l’écriture de Sony LABOU TANSI peut justifier, d’une certaine
manière, le projet d’écriture de la plupart des écrivains
d’Afrique
Noire
réalités :
de
façon
générale.
déculturation,
Confrontés
acculturation,
aux
misère
mêmes
sociale,
oppression et répression politique, corruption, incompétence
et
démission
littéraire
des
pouvoirs
africaine
se
publics,
nourrit
de
etc.,
tout
la
cela,
production
en
prenant
ancrage dans une culture ; dans une communauté, ce que relève
encore DEVESA à propos de LABOU TANSI, dont « les ouvrages se
nourrissaient de sa chair et de son appartenance hautement
revendiquée
à
une
communauté.
Ils
étaient
profondément,
totalement marqués par sa sensibilité. Mais ils avaient dans
le même temps l’ambition d’exprimer, de façon inspirée, les
mouvements
de
fond
qui
soulèvent,
périodiquement,
la
conscience collective du peuple Kongo, des congolais et de
toute l’Afrique.
La
conséquent
production
de
Sony
l’affleurement
du
Labou
Tansi
désir
conjugue
individuel
par
avec
l’affirmation d’une perception magique de l’univers considéré
comme un ensemble cohérent où tout se tient. Participant d’un
226
- DEVESA Jean Michel : Sony Labou Tansi. Ecrivain de la honte et des
rives du Kongo ; Paris, L’Harmattan, 1996, p. 54.
345
surréalisme à l’état sauvage, elle met en œuvre une approche
sensible des relations des hommes avec le monde. »227
De
ce
point
de
vue,
on
peut
dire
que
la
création
littéraire africaine pose dans une large mesure, le problème
de la vision du monde telle que Marisa FERRARINI a pu le
noter chez Lucien GOLDMANN qui note que « La structuration
interne des grandes œuvres de la littérature et de l’art est
déterminée par le fait qu’elles expriment au niveau d’une
cohérence
très
poussée
les
attitudes
globales
de
l’homme
devant les problèmes fondamentaux que posent les relations
interhumaines
et
les
relations
entre
l’homme
et
la
nature. »228
Dire la société, écrire sa culture, c’est avoir pied
dans l’Histoire. L’écrivain dont le rôle est ainsi établi
doit en somme orienter le destin ; le créer, et forcer les
hommes à faire face à leur destin. C’est un démiurge, et
« par
son
seul
pouvoir
d’énonciation
(doit
viser)
à
précipiter la « force sacrée » capable de faire redresser ses
frères et les aider à retrouver l’harmonie avec la nature et
la société. Cette quête essentielle entre l’univers et les
hommes
exige(ait)
une
participation
active
à
l’Histoire
humaine. »229
C’est que pour les écrivains africains, la littérature
ne peut être séparée de la vie. Elle est un instrument de
cohésion communautaire, une tribune pour la lutte pour le
rétablissement
de
la
dignité
de
l’homme ;
c’est
donc
la
littérature qui pourra permettre aux africains de se remettre
debout ;
Sony
LABOU
TANSI
ne
dit-il
pas,
ainsi
que
le
rappelle Bernard MAGNIER dans sa Préface aux Poèmes et vents
227
- DEVESA Jean Michel, Op. Cit. p. 54.
- FERRARINI Marisa : Antoine Bloyé de Paul Nizan. Analyse sociocritique, Milan, Cooperativa Libraria I.U.L.M, 1988 ; p.24. Elle cite
Recherches Dialectiques de Lucien GOLDMANN, p.108 ; paru aux Editions
Gallimard en 1959.
229
- DEVESA Jean-Michel, Op. Cit. p. 54. Nous assumons les passages entre
parenthèse.
228
346
lisses : « J’écris pour qu’il fasse peur en moi » ; « J’écris
ou je crie pour forcer le monde à venir au monde. »
L’écriture de Sony LABOU TANSI est donc un cri d’auto
affirmation, et bien plus qu’un cri de révolte. C’est un
appel
à
la
raison ;
une
invitation
à
l’action
et
au
dépassement de soi. Pour lui, les africains doivent aller au
fond d’eux-mêmes ; de leur malheur, au fond de leur être
martyrisé pour trouver l’étincelle qui les ramènerait à la
vie,
afin
d’aller
aussi
à
la
reconquête
de
leur
dignité
d’homme libre.
Mais cette écriture criée ; ce cri écrit, n’est-ce pas
aussi le signe de la vitalité et de la présence au monde des
africains, le signe que malgré tout, il reste de l’espoir et
la vie qui continue ?
Toute
la
force
de
l’œuvre
de
cet
auteur
trop
tôt
disparu réside dans cette formidable espérance en un avenir
meilleur ;
dans
transformer
ses
réagir
contre
sa
foi
en
faiblesses
des
l’homme
en
une
situations
de
pour
force
sa
capacité
agissante,
rupture
à
ou
collective
à
ou
individuelle ; de fracture sociale.
L’œuvre
finalement
de
Sony
optimiste
LABOU
de
TANSI
l’homme,
brille
de
par
cette
sa
vision
capacité
à
rechercher l’équilibre au milieu du chaos. Mallot Bayenda,
héros
de
Je,
soussigné
cardiaque,
est
à
l’image
de
son
créateur, qui, tel le moucheron de la fable de MOLIERE, ose
se dresser contre la toute puissance du lion, en disant son
refus
de
la
médiocrité
et
de
la
lâcheté.
Il
clame
sa
différence et revendique son humanité devant la puissante
machine de la répression politique et économique ; il affirme
sa singularité face à un pouvoir et à une élite dévoyés et
corrompus à l’extrême, et dont il peut sans crainte prédire
la fin, avec la venue au monde de l’homme ; de l’homme vrai
et libre.
347
Activité culturelle, la littérature est donc ainsi pour
les écrivains d’Afrique, une tribune de revendication ; un
exutoire, un moyen par lequel ils peuvent conjurer les peurs
et les angoisses engendrées par l’incertitude des lendemains
« d’élections », de coups d’Etat ; par l’échec des régimes
politiques à parti unique, la
mondialisation des échanges
économiques et ses « redressements structurels » imposés par
les organismes financiers internationaux, etc.
Si l’on opère une lecture chronologique de l’écriture
théâtrale africaine, on notera que la production qui part des
années 1980 à nos jours est parcourue par le thème de la
violence. Ceci est rendu dans l’écriture ; chez LABOU TANSI,
par la métaphorisation du mal et par la violence verbale qui,
d’une certaine manière spécifie la déconstruction même de la
société.
Analysant
les
caractères
de
la
violence
chez
l’auteur de La parenthèse de sang, MAMBENGA-YLAGHOU note :
« La violence est d’abord, chez Labou Tansi, une parole qui
s’enracine dans le concept « génésial » (forgerie à partir du
mot genèse) du mal. Pour s’en guérir, certains personnages
chercheraient à briser la coque du mal et à faire exploser
les forces de la discorde »230. L’appropriation de la violence
dans la construction du langage par les écrivains mène ainsi
ces derniers à « restituer la force du mal libéré. »231
L’écriture de l’autodérision dans la comédie, de la
violence et de la folie dans la tragédie et le drame sont
autant d’actes de posés par les dramaturges africains pour
affronter un quotidien où l’espoir n’apparaît plus que comme
vaste utopie, mais où cette espérance continue malgré tout de
nourrir l’essence de toutes ces tentatives individuelles ou
collective d’enfantement de l’être : « Je veux me mettre au
monde… », dit Mallot Bayenda, dans La parenthèse de sang.
230
- MAMBENGA-YLAGHOU Frédéric, in SONY LABOU TANSI. Le sens du désordre.
Textes recueilli par Jean-Claude BLACHERE ; Centre d’Etude du XXème
siècle, Axe francophone et méditerranéen ; Université Paul-Valéry
Montpellier III. Montpellier, 2001, p. 123.
231
- Id.
348
Réinventer la société, mettre au monde l’homme nouveau, tel
semble le but de cette écriture de la catharsis.
8.2.2-
Contexte
sociologique
et
perspectives
de
création :
La création dramatique africaine est, comme pour les
autres productions artistiques, très marquée par l’influence
de son contexte sociologique.
Ne pouvant ni justifier, ni se satisfaire du principe
de
l’art
pour
l’art,
les
écrivains
d’Afrique
se
sentent
investis d’une mission fondamentale, celle, non seulement de
poursuivre
l’œuvre
de
conservation
et
de
préservation
du
patrimoine communautaire, mais aussi celle d’être les témoins
d’une époque, d’un monde.
Du positionnement au cœur de la question des genres,
jusqu’à la problématique de la sémiologie du texte dramatique
en passant par les questions d’énonciation ou de thématique,
le contexte de la création de l’œuvre théâtrale embrasse des
domaines aussi vastes que variés. Mais tous ambitionnent,
sinon de rechercher les différentes structures possibles de
signification, du moins de proposer quelques outils, quelques
orientations
susceptibles
de
soutenir
l’exercice
d’exploration, de compréhension et de saisie du texte. Les
particularités
peuvent
en
sociologiques
effet
constituer
et
un
culturelles
obstacle
de
certain
création
pour
la
diffusion et l’accès à la signification des œuvres d’art de
manière générale, et des œuvres littéraires en particulier.
Le travail de l’écrivain africain est donc très souvent un
travail de pédagogie et d’information.
Ainsi donc, pour parler de l’œuvre théâtrale d’Afrique
Centrale, plusieurs situations contextuelles sont à prendre
en compte ; elles sont déterminantes aussi bien des contenus
349
thématiques que des structures formelles de création et de
développement. L’histoire politique et culturelle des groupes
sociaux ou des Etats ; leur situation économique constituent
le socle sur lequel les écrivains bâtissent leurs œuvres.
A
partir
de
cet
éventail
historique,
culturel,
idéologique ou structurel, l’écrivain construira un discours
dont le contenu s’efforcera souvent de refléter au moins un
de ces aspects.
La
création
Centrale,
à
la
débarrassée
des
certains
aspects
contexte
de
théâtrale
renaissance
carcans
dans
Frédéric
littérature
négro-africaine
la
partout
en
Afrique
société,
une
société
certains
rétrogrades
crise
et
de
de
africaine,
historique
aspire
des
lequel
usages
éculés,
de
coutumes.
Parlant
du
émerge
MAMBENGA-YLAGHOU
socioculturel
(…)
la
littérature
note
naît
dans
particulièrement
que
un
« La
contexte
oppressif,
la
colonisation. Il n’est point étonnant qu’elle ait porté ce
fardeau
comme
une
caractéristique
poignante
de
son
originalité et comme une tentative de libération culturelle
et morale. »232
Mais le théâtre d’Afrique Centrale œuvre aussi dans la
perspective
d’amener
au
monde
une
société
africaine
plus
juste, plus humaine, pour que l’homme dans son intégralité,
retrouve dignité et intégrité. Il y a ainsi une relation
particulière d’identification de l’écrivain à sa société, et
à son environnement idéologique. Car,
ainsi que l’observe
encore MAMBENGA-YLAGHOU en parlant de l’œuvre de LABOU TANSI
qui,
dit-il,
« reflète
cette
constante
thématique
de
la
littérature des peuples opprimés ou des sociétés en crise » ;
l’œuvre littéraire est en effet solidaire du contexte des
sociétés qui la produisent.
232
- MAMBENGA-YLAGHOU Frédéric, in SONY LABOU TANSI, le sens du désordre.
Textes réunis par Jean-Claude BLACHERE ; Centre d’Etude du XX°siècle, Axe
francophone et méditerranéen. Université Paul-Valéry, Montpellier III ;
Montpellier, 2001, p.114.
350
CAPITRE IX : ENONCIATION THEATRALE ET SEMIOTIQUE. POUR
UNE LINGUISTIQUE DE L’ENONCIATION THEATRALE.
Pour
aborder
les
questions
de
l’écriture
dans
le
théâtre africain, nous allons partir de l’étude réalisée par
Josette REY-DEBOVE sur la linguistique du signe. En effet,
cette étude qui porte sur une approche sémiotique du langage
(le titre de l’ouvrage est en soi un condensé du contenu : La
linguistique du signe. Une approche sémiotique du langage),
offre
plusieurs
possibilités
d’aborder
la
question
des
systèmes d’énonciation au théâtre. A partir de ce postulat,
nous allons essayer de rechercher la formulation d’un objet
linguistique à travers les textes de théâtre de notre corpus.
Compte
souvent
tenu
amené
d’autres,
à
pour
de
l’étendu
de
privilégier
des
raisons
ce
corpus,
certains
pratique
nous
titres
de
serons
plutôt
lisibilité
et
que
de
cohérence.
Pour REY-DEBOVE, « La parole ne se présente guère à
l’état
pur,
imbriquée
fiction
dans
nécessaire
l’ensemble
paralangages,
comme
calligraphie,
la
des
au
linguiste ;
systèmes
la
mimique,
rature,
les
et
la
signes
elle
est
accompagnée
de
gestuelle,
la
mathématiques,
l’intertextualité et bien d’autres. »233 De ce point de vue,
il apparaît que la parole seule ne suffise pas à exprimer le
monde (ou la relation de l’Etre au monde). Elle nécessite le
concours
de
paralangages
qui
vont
la
soutenir
dans
son
intention de communication ; de signification.
Dans le cadre de notre étude, il s’agit de répondre à
la question de savoir comment le choix du langage permet-il
de saisir le référentiel vu comme « réel » ou « imaginaire »
dans
son
intension
de
communiquer
233
ou
de
signifier.
En
- REY-DEBOVE Josette : La linguistique du signe. Une approche
sémiotique du langage, Paris, Editions Armand Colin, 1998 ; p. 5.
351
d’autres termes, l’écriture théâtrale africaine permet-elle
de postuler le monde, ou de le voir tel qu’il est ?
Aux questions liées à la problématique de l’écriture,
nous
voudrions
aussi,
accessoirement,
évoquer
la
question
trop souvent formulée, et qui concerne la littérarité ou non,
de
certains
textes
africains.
C’est
que
pour
les
élites
culturelles africaines, essentiellement dans le monde de la
critique
universitaire,
certains
ouvrages,
s’ils
peuvent
témoigner d’une volonté certaine de créer, ou de communiquer
quelque
chose,
n’ont
que
fort
peu,
caractère
littéraire.
Car
condition
nécessaire
d’éligibilité
« l’usage
esthétique
du
d’après
langage »
ou
lointainement,
un
ces
observateurs,
la
à
la
de
ces
littérarité :
œuvres
reste
problématique. Souvent désignées comme une des « lacunes »
premières de ces ouvrages, les registres de langages, jugés
peu académiques.
Cependant, REY-DEBOVE affirme que « tous les registres
sont possibles dans chaque type d’expression. »234 C’est donc
que la littérarité d’une œuvre ne saurait être une affaire de
niveau
de
langage,
ce
que
relève
bien
la
linguiste
lorsqu’elle aborde la question des contextes de validité de
l’opposition oral/écrit. Elle suggère à ce propos que cette
opposition « très caricaturale (…) doit se déployer selon
quatre types d’expression : l’oral spontané, l’oralisation de
l’écrit, l’écrit spontané, la transcription de l’oral. »235
Nous pensons que c’est dans cette perspective de la
pluralité
de
types
question,
moins
littéraire
africaine
d’intention
-,
de
mais
d’expression
la
–
de
que
peut
« littérarité »
qui
pour
celle
de
nous
la
être
de
n’est
abordée
la
création
qu’un
validité
la
et
procès
de
la
pertinence de son discours ; donc de son contenu, quel que
soit son mode d’écriture. C’est donc de l’expressivité du
234
- REY-DEBOVE Josette : La linguistique du signe. Une
sémiotique du langage. Paris, Editions Armand Colin, 1998, p. 6
235
- Id.
352
approche
théâtre d’Afrique qu’il est intéressant de parler. Car c’est
finalement de ce choix que surgit le sens, finalité somme
toute définitive du projet d’écriture de chaque auteur.
Que
se
passe-t-il
donc
au
niveau
de
l’écriture
dramatique africaine ?
Pour répondre à cette interrogation, il nous faut au
préalable
nous
arrêter
sur
la
question
des
genres
littéraires ; voir si l’on peut spécifier un genre littéraire
par
le
biais
de
la
typologie
de
ses
langages,
ou
de
l’énonciation qui la structure et la manifeste. Car comme
l’affirme
Pierre
LARTHOMAS :
« « Parole
en
action » (…) ;
« vertus de toute chose écrite » (…). Le langage dramatique
nous
parait
(…)
défini
comme
il
doit
l’être,
comme
un
compromis entre deux « langages » ».236 Langage scénique et
langage littéraire, le théâtre cristallise une pluralité de
codes
qui
le
situent
à
l’intersection
d’une
diversité
d’expressions artistiques.
9.1
–
L’énonciation
et
la
question
des
genres
littéraires : le langage dramatique :
Comme
il
est
de
coutume
dans
la
littérature,
la
nécessité de grouper à partir de structures typologiques des
formes variées de discours nous amène à nous intéresser à la
notion de genre, rapportée au discours théâtral. Cette notion
est,
ainsi
que
l’observe
Yves
STALLONI,
un
« élément
essentiel de la description littéraire. »237 Et pour désigner
des typologies particulières, la littérature « s’efforce de
classer les œuvres et les sujets en fonction de critères
particuliers,
236
237
8.
qu’ils
soient
stylistiques,
rhétoriques,
- LARTHOMAS Pierre : Le langage dramatique ; Paris, PUF, 1980, p.25.
- STALLONI Yves : Les genres littéraires ; Paris, Nathan/HER, 2000, p.
353
thématiques ou autres. »238 La notion de genre présuppose ici
une
mise
à
l’intérieur
la
de
norme
des
catégories
objets
en
les
déterminées.
répartissant
Ainsi,
« on
à
peut
remédier au désordre d’une production laissée en vrac » car,
« le
genre,
en
tant
qu’étiquette
de
classement,
s’impose
comme un outil opératoire dans la démarche rationnelle qui
consiste à passer de l’imprécis au précis, de l’indéterminé
au déterminé, du général au particulier. »239
Dans
la
mesure
où
les
typologies
de
discours
s’organisent à partir de foyers classificatoires tels que le
mode
énonciatif,
l’intention
de
communication
ou
les
conditions de production, l’énonciation et la question des
genres
littéraires,
concrètement
à
ce
comme
piste
niveau,
la
de
réflexion,
problématique
du
posent
langage
dramatique ; des différentes typologies qui la sous-tendent
et la manifestent.
En
abordant
la
spécificité
des
formes
dramatiques
africaines, nous avons essayé de répondre à la question de la
définition
de
la
notion
de
théâtre.
Et
selon
Jean-Pierre
RYNGAERT « Le théâtre se définit parfois comme un genre où
« ça parle » beaucoup. Le texte de théâtre est même parfois
identifié au dialogue, comme si l’on ne retenait comme texte
que
la
somme
des
interactions
entre
des
personnages
par
l’intermédiaire de la parole, avec l’effet de réel qui en
découle. »240
Mais nous voulons également saisir les interactions qui
s’établissent
entre
le
genre
dramatique ;
ses
modes
d’énonciation, et les instances énonciatives en action dans
les différents systèmes qui organisent ce langage dramatique
particulier, celui de l’Afrique Centrale.
238
- STALLONI Yves, Op. Cit., p. 9.
- Id. p. 9.
240
- RYNGAERT Jean-Pierre : Introduction à l’analyse du théâtre ; Paris,
Editions Dunod, 1991, p.88.
239
354
En fait, il s’agira souvent de répondre à la question
fondamentale de savoir :
« Qui
est-ce
qui
parle
dans
la
création
dramatique
d’Afrique Centrale ; à qui s’adresse-t-il, à travers quelles
modalités, quels systèmes ? »
Car pour Käte HAMBURGER, dans le genre fictionnel ou
mimétique
qui
« se
subdivise
en
deux
sous-catégories,
l’épique (ou narratif) et le dramatique, (…) selon le mode
d’énonciation rencontré »241, le mode énonciatif suggère le
« « je » de l’auteur ou du narrateur (qui) s’efface au profit
d’un
« je »
fictif
incarné
par
le
ou
les
personnages
et
appelé (…) « je-origine » »242
Pour Käte HAMBURGER, la question des genres littéraires
renvoie
à
la
conséquence,
question
à
la
des
question
modes
des
d’énonciation,
instances
et
assumant
en
les
procédés énonciatifs.
Dans le théâtre africain en général, et celui d’Afrique
Centrale en particulier, nous avons reconnu et déterminé une
fonction sociale. Car, à la question préalablement posée, à
savoir « qui parle dans la production dramatique africaine ;
à qui s’adresse ce locuteur, mais surtout quels sont les
objectifs poursuivis par le discours théâtral africain ? »,
nous pouvons déduire que ce discours dramatique s’adresse à
la
société
africaine,
car
au
vu
de
nombreux
indices
identifiés dans les chapitres concernant les univers sociaux
et
les
faits
de
société,
il
est
indéniable
que
le
mode
dramatique, pris en charge par les personnages, à travers les
paramètres
de
la
contextualité
marqueurs
idéologiques,
des
donnent
écrits
ce
en
tant
discours
que
comme
l’expression « réaliste » d’hommes (ou de femmes), dont les
préoccupations
sont
une
volonté
de
prise
en
compte
des
phénomènes sociaux, en tant que facteurs de développement et
241
- HAMBURGER Käte, citée par Yves STALLONI ; Les genres littéraires ;
Paris, Nathan/HER, 2000, p. 18.
242
- Id., p. 18.
355
d’épanouissement de l’individu ou des communautés, dans leurs
milieux d’origine.
La critique des mœurs ; la satire politique et sociale
dans le théâtre d’Afrique Centrale portent à ce propos la
marque des auteurs comme Laurent OWONDO qui, à travers son
unique pièce publiée à ce jour ; La folle du Gouverneur, n’a
pas seulement satisfait au besoin d’écrire, mais à celui de
s’exprimer
sur
sensibilité
un
sujet
d’homme
de
qui
touche
culture,
fondamentalement
à
savoir
le
à
sa
devenir
de
l’Afrique indépendante, à l’orée de l’universalisme.
Le théâtre d’Afrique Centrale est aussi l’œuvre de Sony
LABOU
TANSI,
un
des
auteurs
les
plus
marquants
de
sa
génération, et qui comme OWONDO, s’est attaché à peindre les
sociétés africaines dans leurs diversités ; livrées aux mains
de
pouvoirs
perspectives
dictatoriaux
d’avenir
et
sanguinaires,
apparaissent
et
réellement
dont
les
incertaines,
voire compromises.
Il y a aussi Tchicaya U TAM’SI, qui, à travers
Le
Zulu ; Vwène le Fondateur, ou encore La tragédie du Maréchal
Nnikon
aborde,
Nniku,
pour
le
premier
texte,
l’épopée
dramatique de Chaka le guerrier, unificateur de la nation
Zoulou et farouche opposant à la conquête de son pays par les
armées
posent
anglaises.
des
A
côté
questions
essentiellement
aux
de
ces
auteurs
douloureuses
questions
plus
dont
car
les
se
œuvres
rapportant
ontologiques,
il
y
a
Vincent de Paul NYONDA, Gervais MENDO ZE et Guillaume OYONO
MBIA, qui ont pris des sujets d’un caractère plus léger mais
non moins important, pour s’attaquer aux mœurs de la société
africaine, en y dénonçant les vices et les travers.
Dans
d’étudier,
l’espace
il
géographique
existe
une
que
pléthore
nous
avons
d’auteurs
choisi
dont
la
similitude d’écriture avec ceux de notre corpus est évidente.
C’est en partie ce qui justifie l’échantillonnage auquel nous
avons procédé.
356
Ainsi que nous pouvons l’observer dans sa composition
thématique,
la
dramaturgie
africaine,
à
travers
un
déploiement de formes et de langages, poursuit des objectifs
fondamentalement sociaux. Conscientiser, informer et former
sont les maîtres mots de ce théâtre.
Pour
atteindre
ces
objectifs,
le
théâtre
d’Afrique
Centrale va en effet se développer en une pluralité de formes
et
d’expression,
celles-là
même
qui
contribuent
à
sa
vivacité, à sa spécificité et à sa richesse. Il mêle souvent
le texte au chant ; à la musique et à la danse. Mais il
arrive très souvent que le conte ou la fable participent
aussi de la mise en scène du théâtre africain. Ce mélange de
genre
participe
de
la
dimension
plurielle
du
théâtre
africain, le rendant, par rapport au public ; plus proche
d’une scène de vie quotidienne. C’est sans doute le reflet
d’une volonté affichée des auteurs de coller au plus près des
réalités sociales des populations. Car dans cette Afrique
actuelle où se croisent traditions et modernité, les codes
nouveaux
de
la
création
artistique
puisent
eux
aussi
aux
sources de ces deux univers. Le chant, la danse, ainsi que la
musique, peuvent dès lors intégrer le monde de la dramaturgie
au même titre qu’ils font partie intégrante des instruments
de la communication sociale. Ils sont porteurs de messages,
ils traduisent et manifestent des émotions ; ils traduisent
des affects à travers lesquels l’individu se construit.
Parler
des
langages
dramatiques
dans
le
théâtre
africain, c’est faire référence à la double identité de cet
art en tant qu’il est texte, et effets de régie. En effet, si
la dramaturgie africaine s’est longtemps tenue en marge des
phénomènes de composition classiques, elle s’est cependant
toujours
tenue
à
un
facteur
non
négligeable
qui
fait
du
langage dramatique, une structure englobant l’ensemble des
paralangages liés à la pratique de la scène à travers les
357
échanges
scéniques,
les
indications
de
régie,
les
didascalies, les mimiques, la gestuelle, les décors, etc.
L’existence ou non des deux aspects du théâtre ; écrit
et non écrit en Afrique tend à démontrer que le théâtre, art
de l’instant et de l’éphémère, peut se passer de l’écrit,
mais non de la scène.
En terme de langages dramatiques, n’est-il pas plus
adapté d’en parler en terme de modalités, lorsque de nos
jours, on note, comme le souligne Yves STALLONI que : « Avec
l’apparition du théâtre moderne, le discours théâtral se voit
concurrencé par les marques de la représentation : occupation
de l’espace, décors, accessoires, mimiques, etc. La « mise en
scène » (et l’expression doit être entendue au sens fort)
devient importante jusqu’à, parfois, éclipser le texte. »243 ?
Car les langages dramatiques ne se limitent ni au texte, ni
même aux seuls échanges entre les comédiens (les acteurs) ; à
leurs mouvements et à leur occupation de l’espace scénique.
Les langages dramatiques ce sont aussi, ainsi que le souligne
le béninois Sénouvo Agbota ZINSOU dans son intervention au
colloque sur le théâtre africain tenu en 1988 à Bamako : « le
chant, la musique, la danse, etc. »244, qui font de ce type de
représentation
un
spectacle
total.
Celui-ci
s’exprime
également par le biais des costumes, des maquillages, ainsi
que par l’entremise des types de personnages qui constituent
en eux-mêmes un langage, car, dans le cas d’un personnage
comme le « boy » (homme à tout faire au service de bourgeois
aux mœurs douteuses), « s’il porte généralement une culotte
déchirée, sale, par-dessus un pantalon propre, bien repassé…
(…) cela signifie que malgré son apparence de saleté, il est
243
- STALLONI Yves : Les genres littéraires ; Paris, Nathan/HER, 2000,
p.28.
244
- ZINSOU Sénouvo Agbota : Commentaire fait après la projection d’un
Concert-Party ; THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Actes du colloque
sur le théâtre africain. Ecole Normale Supérieure Bamako, 14-18 novembre
1988. P. 70.
358
propre
au-dedans… »245.
Comme
on
le
voit,
le
langage
dramatique n’est donc pas exclusivement le fait de la parole,
mais
aussi
de
tout
ce
qui
contribue
à
l’expression
des
contenus et des signifiants.
Ces
types
culturelles
de
de
bon
spectacles
nombre
sont
de
passés
communautés
dans
les
mœurs
d’Afrique,
ces
phénomènes de pièces télévisées (appelé aussi téléthéâtre) et
du théâtre audiophonique dont le principal représentant reste
à ce jour, malgré son décès prématuré il y a quelques années,
le
camerounais
Jean
Miché
KANKAN,
et
dans
une
certaine
mesure, son compatriote Daniel NDO dit OTSAMA MBORE BIKIE,
ont dépassé le cadre exclusif des grandes villes africaines
pour se déporter au plus profond des campagnes.
Au Gabon, dans le domaine du théâtre audiovisuel, ce
sont les jeunes DIBAKOU et MAROKOU qui, à la suite de la
disparition tragique du précurseur en la matière que fut le
talentueux KOMBILA DEKONBEL (de son vrai nom OBAME Marcel),
tiennent le haut du pavé. Ces phénomènes nouveaux sont à
rapprocher
des
actuellement
spectacles
en
Europe.
de
« One
En
man
Afrique
show »
à
Centrale,
la
ce
mode
mode
d’expression dramatique a peu à peu pris la place de la
représentation théâtrale au sens classique du terme. Pour
plusieurs raisons en effet, on a vu fleurir d’abord par le
canal de la télévision, cette nouvelle expression théâtrale.
Sortant
des
représentations
studios
des
nouvelles
télévisions
investissent
nationales,
peu
à
peu
ces
des
structures plus ou moins équipées pour accueillir ces types
de spectacles. C’est ainsi qu’on peut les retrouver dans des
soirées privées, dans des fêtes de baptême, de mariage, de
naissance
ou
même
à
l’occasion
des
cérémonies
très
particulières comme les fêtes officielles ou les retraits de
deuil, qui sont en Afrique, certains des moments les plus
solennels de la vie des familles ou des communautés.
245
- ZINSOU Sénouvo Agbota, Op. Cit. P. 70-71.
359
9.1.1
–
Le
théâtre :
genre
littéraire
ou
mode
d’énonciation ?
Comme nous l’avons observé en préambule à ce travail,
donner
une
définition
de
la
notion
de
théâtre
n’a
pas
toujours été chose aisée. Relevant à la fois de l’écrit et de
la scène, le théâtre se constitue à travers l’un et l’autre
de
ces
modes
d’expression
et
de
figuration.
Ils
sont
résolument indissociables à cet art, ce que suggère MarieClaude HUBERT dans Le théâtre, où elle se propose dans le
chapitre premier de l’ouvrage, de « montrer (…) qu’en fait le
jeu qui se réalise dans la représentation est inscrit au cœur
même de l’écriture et la préforme. »246 C’est donc que le
théâtre
ressort
est
en
même
dans
cette
d’interdépendance
temps
vision
entre
Pourtant
cette
relation
univoque
dans
ce
immédiatement
la
fonctionnement
de
écriture
du
et
théâtre,
l’écriture
et
présente
un
sens
que
la
et
troupes
une
Il
relation
représentation.
caractère
l’écriture
représentation,
certaines
représentation.
parfois
n’induit
pas
vice-versa.
Le
populaires
africaines
corrobore cet état de fait, ainsi que nous l’avons montré
plus avant.
Dans une perspective d’analyse de l’objet théâtre, il
est
nécessaire
d’expression
de
de
distinguer
celui-ci.
les
C’est
deux
que
systèmes
la
scène,
ou
ou
modes
plus
précisément la mise en scène, et l’écriture rendent compte de
deux univers bien spécifiques.
Si la mise en scène rend visible et vivante ce que
l’écrit suggère et garde à l’état latent, c’est que dans une
relation d’implication, l’existence de l’une de ces formes
246
- HUBERT Marie-Claude : Le théâtre ; Paris, Editions Armand Colin,
1988, p. 7.
360
constitutives,
présuppose
l’existence
de
l’autre,
sans
en
être une condition absolue.
Vu sous son aspect matériel ; livresque c'est-à-dire
écrit,
le
théâtre
appartient
à
la
catégorie
des
genres
littéraires. Il entre en effet dans cette catégorie par le
fait qu’il a été pensé et conçu à travers des normes et des
canevas
répondant
aux
critères
de
la
littérature,
de
l’édition et de la distribution (la question de l’oral et de
l’écrit n’entrant pas en ligne de compte ici, car comme nous
l’avons vu avec Josette REY-DEBOVE, cette opposition n’a que
peu d’incidence dans la perspective où l’objectif fondamental
du langage est l’expression et la communication.).
Mais le théâtre c’est aussi la représentation ; la mise
en mouvement d’un processus suspendu, en attente de prendre
forme, avec ce qu’elle implique de modes opératoires, qui
rendent tangibles et manifestes les contenus graphiques.
Du strict point de vue de l’écrit, le théâtre se donne
comme
un
genre
littéraire
qui
s’exprime
selon
le
mode
d’énonciation que nous désignons comme relevant aussi bien de
la fiction que de la mimétique. Car selon Yves STALLONI,
« Les
moyens
mis
en
œuvre
au
théâtre
« imitent
tous
les
genres en train d’agir et de réaliser quelque chose », et
l’art dramatique exprime cette mimésis par une énonciation à
la
première
personne ».
En
donnant
l’énonciation
à
la
première personne comme critère de détermination du genre
dramatique, elle parait, selon notre observation, se définir
plus comme mode d’énonciation que comme genre littéraire,
d’autant que comme l’affirme Anne UBERSFELD, « le théâtre
n’est
pas
scénique. »
un
247
genre
littéraire.
Il
est
une
pratique
C’est que malgré tout, le théâtre est obligé de
passer par le support de l’écriture, donc de la littérature
et
de
ses
codes,
pour
envisager
247
son
existence,
et
se
- UBERSFELD Anne : Lire le théâtre II, L’Ecole du spectateur. Paris,
Belin 1996, p. 9.
361
manifester ensuite au travers de la représentation qui est
son véritable objet ; son but en définitive.
De
même,
structurent
nouveaux
la
que
au
sein
de
dramaturgie
sont
le
la
diversité
africaine
théâtre
de
formes
actuelle,
télévisuel
ou
les
le
qui
genres
théâtre
audiophonique, échappent encore, eux aussi, aux principes de
l’écriture ;
l’improvisation
y
tient
une
part
importante,
comme il a souvent été d’usage dans les formes les plus
anciennes et les plus classiques du théâtre. Toutefois, le
respect d’un canevas précis des rôles oriente plus ou moins
les acteurs dans l’interprétation de leurs personnages.
9.1.2- Les formes de la dramaturgie africaine :
A
l’instar
l’écriture
de
théâtrale
la
poésie
africaine
dramatique
se
manifeste
occidentale,
sous
diverses
formes, dont la comédie (sous ses différentes catégories) et
la tragédie, constituent les plus représentatives. Ces formes
répondent chacune à un projet d’écriture spécifique, mais
surtout à la nature du sujet abordé.
Comme
pour
le
théâtre
occidental,
la
question
des
formes de la dramaturgie africaine représente depuis quelques
décennies, une des préoccupations majeures au sein des unités
de recherches universitaires. En effet, avec l’avènement de
la
nouvelle
génération
de
dramaturges
comme
Tchicaya
U
TAM’SI, Sony LABOU TANSI, Laurent OWONDO, etc., les questions
ayant trait à l’écriture du théâtre en Afrique ont peu à peu,
revêtu une importance certaine. Car si le roman reste le
genre
le
plus
étudié,
donc
le
mieux
connu,
le
théâtre,
quoique très répandu, n’a que fort peu fait l’objet d’un
examen théorique. Dès lors, le point de vue de la poétique
est essentiel pour ancrer le théâtre africain, tant au sein
de la sphère critique universitaire, que dans le domaine des
362
études secondaire. Il s’agit ici d’amener un autre regard sur
les formes théâtrales.
En effet, selon Gérard GENETTE, la poétique, « théorie
générale des formes littéraires » et « exploration des divers
possibles du discours », permet d’interroger la littérature
dans
ses
choix,
ses
constantes,
et
dans
sa
combinatoire.
C’est de cette poétique que surgit le sens.
Ayant établi le théâtre comme art appartenant moins au
genre littéraire (dont toutefois il participe sans en être la
finalité),
et
spécifique
par
plus
comme
un
mode
les
codes
qui
le
d’expression
régentent,
artistique
nous
pouvons
aborder la question des formes de la dramaturgie africaine,
en tant qu’elle obéit à deux ordres structurels fondamentaux.
Dans
plusieurs
le
cas
types
de
de
l’Afrique
en
dramaturgies
effet,
rappelons
coexistent.
Il
que
s’agit
notamment des formes dites traditionnelles, et des formes
dites modernes dont l’inspiration est, comme nous l’avons vu
dans les chapitres précédents, d’origine occidentale.
Le théâtre traditionnel ; celui qui se pratique encore
aujourd’hui en majorité dans ses formes majeures, au sein des
communautés
l’écrit,
rurales,
donc
aux
échappe
exigences
souvent
des
à
codes
la
de
contrainte
la
de
littérature.
L’Ozila chez les peuples Fang du Gabon, du Cameroun ou de
Guinée Equatoriale ; le Kotéba chez les Bambara du Mali et de
Côte-D’Ivoire, ou l’Engungun chez les Yorouba du Nigéria et
du
Bénin
illustrent
à
la
perfection
ces
formes
de
dramaturgies traditionnelles où la présence du texte écrit
reste un phénomène marginal, voire inconnu. Toutefois, sans
être un média obligatoire ; une condition sine qua non, les
processus
l’œuvre
d’écriture
théâtrale
ont
cependant
traditionnelle
investi
africaine.
le
champ
Celle-ci
a
de
dû
parfois en effet, se soumettre aux contraintes de l’écriture
(ainsi
qu’à
des
procédés
d’enregistrements
télévisuels
ou
radiophoniques). On note à cet effet que ces adaptations, qui
363
sont plus souvent des transcriptions, ont pour but d’assurer
la
pérennisation,
mais
surtout
la
conservation
et
la
diffusion de ces textes particuliers au sein d’un public plus
large et plus varié.
Parler des formes de la dramaturgie africaine, c’est
donner un aperçu de ce que Gérard GENETTE désigne comme des
« catégories littéraires », désignation qui, pour le théâtre
englobe à la fois une écriture ; celle du théâtre, obéissant
à des codes particuliers ; et celle du genre, c’est-à-dire
une désignation qui donne un texte spécifique comme étant une
tragédie, une comédie, un drame, etc.
Il s’agit pour nous de voir si la notion de type, ou
celle de forme répond à un objectif quelconque, ou si les
formes
donné
de
la
comme
établir
dramaturgie
universel.
une
africaine
En
potentielle
d’autres
motivation
procèdent
termes,
des
d’un
nous
choix
modèle
voulons
génériques
adoptés par les auteurs d’Afrique Centrale en particulier, en
observant aussi bien l’orientation formelle, que celle des
contenus (signifiés) et des contextes de création.
D’une
façon
générale,
on
peut
dire
dans
un
premier
temps, que la dramaturgie africaine s’inscrit dans la droite
ligne
des
formes
dramatique.
On
y
canoniques
qui
définissent
rencontre
les
trois
le
grandes
genre
formes
génériques que sont : la tragédie, le drame et la comédie (et
des différentes formes qui en dérivent).
Si
cette
dernière
a
rencontré
plus
d’engouement
du
point de vue des créateurs comme du côté du public, c’est
qu’elle constitue sans nul doute, le genre le mieux adapté à
la tradition du jeu africain. Ici, le jeu a vocation tant à
divertir,
à
instruire
qu’à
stigmatiser.
C’est
le
rôle
principalement joué par les textes de NYONDA, de OYONO MBIA
et de MENDO ZE, dont la tonalité, légère, n’en pose pas moins
des
questions
essentielles,
relatives
africains au monde nouveau.
364
à
la
relation
des
Et comme le veut la tradition moderne du théâtre, les
autres
formes
traitent
aussi
de
été
que
sont
sujets
abordés
le
plus
par
drame
et
sérieux ;
les
la
plus
auteurs
tragédie,
graves,
africains.
et
ont
La
qui
elles
mort
de
Guykafi, Le combat de MBOMBI de NYONDA ; Le Zulu de Tchicaya
U TAM’SI, mais aussi l’essentiel des pièces de Sony LABOU
TANSI, sont à classer dans ces deux catégories.
A
côté
de
ces
grandes
formes
génériques,
existent
d’autres, plus ou moins spontanées, qui se caractérisent par
leurs
modes
de
création
et
de
représentation.
Ce
sont
essentiellement les formes que nous avons déterminées comme
nouvelles, et qui utilisent la radio, la télévision ou des
supports
comme
la
vidéo,
ou
les
systèmes
audiophoniques
(cassettes à bande magnétique) et depuis quelques années, les
réseaux Internet pour se diffuser et s’exprimer. Les sujets
représentés ici sont plus souvent de l’ordre de la parodie,
la comédie de mœurs, ou de caractères, ou encore de la farce.
Ces formes dramatiques, proches des « One man show »
télévisés du paysage audiovisuel occidental, s’en distinguent
pourtant par le fait qu’elles sont plus brèves et peuvent
faire
se
plusieurs
succéder
pièces
au
cours
traitant
d’une
de
thèmes
même
représentation,
différents.
Souvent
conçues comme de véritables pièces de théâtre, avec plusieurs
personnages, ces représentions sont parfois entrecoupées par
des intermèdes de chants, de musique et de danses. Elles sont
généralement
interprétées
par
plusieurs
acteurs,
et
l’influence du public y est notable. Ces créations sont en
Afrique Centrale, ce que sont les Concert-Parties en Afrique
de l’Ouest. Au niveau thématique ; ils partent du vaudeville
à
la
farce
bouffonne
des
siècles
passés
en
Occident.
Le
modèle français a sans doute contribué à donner une nouvelle
impulsion à une thématique qui avait déjà cours dans les
traditions populaires africaines.
365
Si
les
lieux
de
« représentation »
sont
quasi
identiques avec le One man show ; studio de radio ou de
télévision, les nouvelles dramaturgies africaines vont s’en
distinguer
car
représentation
elles
le
peuvent
décor
avoir
naturel
d’un
comme
cadre
village,
celui
de
d’un
quartier d’une ville, ou même des espaces aussi populaires et
ouverts comme des débits de boissons. Une pièce comme La
fille du bar de Jean Miché KANKAN se déroule effectivement,
dans
une
de
ses
versions,
dans
un
bar
africain,
où
les
spectateurs sont aussi bien des consommateurs, des gens de
passage,
que
des
représentation.
personnes
Le
thème
préalablement
mis
en
scène
informées
servant
de
la
souvent
de
prétexte dans le choix du lieu de la représentation. Ces
nouvelles
quelque
formes
sorte
dramaturgiques
l’espace
de
vie
africaines
dans
sa
postulent
totalité
comme
en
un
espace scénique.
Par ailleurs, pour parler des modes de figuration et de
représentation de ces dramaturgies africaines nouvelles, on
note qu’elles peuvent avoir comme support, non pas toujours
l’écrit ;
en
terme
de
production
littéraire
(édition,
publication, distribution etc.), mais les moyens techniques
de la télévision et des ondes hertziennes de la radio, où ces
formes nouvelles peuvent simplement s’écouter à travers des
bandes
magnétiques
audio
(cassettes
audio),
ou
bien
se
visualiser à travers les systèmes de vidéo cassettes ou de
compacts
disques.
dramaturgiques
Il
faut
africaines
dire
que
ces
ont
largement
nouvelles
formes
bénéficié
des
nouvelles technologies de communication pour s’épanouir et
pour se diffuser.
Dans ce sens, les langages dramatiques sont, en somme,
de
notre
point
de
vue,
constitués
de
l’ensemble
des
différents modes de figuration à partir desquels l’activité
théâtrale se matérialise. Ils tiennent autant des formes que
des structures qui construisent la création dramatique. On
366
peut parler ici du caractère interartistique du théâtre et de
son
intermédialité
qui,
selon
PAVIS,
résident,
pour
l’interartistique, « dans l’art d’utiliser au mieux ce que
chaque art apporte d’unique tout en lui opposant une autre
manière de signifier ou de représenter. L’incompatibilité ou
la différence produit un effet de perspective qui oblige à
reconsidérer chaque art et à le penser dans son rapport à
l’autre. »248
C’est
dans
cette
optique
que
les
pratiques
culturelles relevant d’une certaine esthétique et participant
de
la
mise
en
scène
peuvent
enrichir
la
mise
en
scène
théâtrale.
Ainsi que l’on peut aujourd’hui l’observé, le théâtre
africain
est
un
art
pluridisciplinaire,
car
il
peut
quelquefois combiner des méthodes et techniques propres à
d’autres formes artistiques, pour rendre lisible une scène ou
une
séquence
définitoire
représentation.
l’action
en
La
des
focalisation
elle-même
sur
des
situations
des
de
éclairages,
séquences
qui
vie
en
celle
de
donnent
par
exemple une femme décortiquant des arachides, une autre qui
pile des feuilles de manioc ; dans les pièces de OYONO MBIA,
une femme entonnant un chant et esquissant des pas de danse,
un homme en train de construire un panier, etc., seront, dans
la mise en scène, autant de signes de la relation du théâtre
et de la séquence filmique (les didascalies peuvent témoigner
de
cette
relation).
artistiques
théâtre ;
et
Tous
ces
témoignent
de
son
faits
de
relèvent
de
pratiques
l’interdisciplinarité
intermédialité.
Car
pour
du
PAVIS,
l’intermédialité impose « sa volonté de ne pas limiter les
échanges
aux
l’évolution
arts
des
et
médias
aux
spectacles,
apparus
à
mais
différents
d’observer
moments
de
l’Histoire ainsi que leur impact les uns sur les autres, et,
248
- PAVIS Patrice : Vers une théorie de la pratique théâtrale. Voix et
images de la scène ; Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000,
p.13.
367
par ricochet, sur l’œuvre d’art. »249 C’est que, de nos jours,
d’un côté, le théâtre a évolué en empruntant des techniques
développées pour d’autres médias et favorisé en même temps la
diffusion du théâtre. Mais d’un autre côté, les médias ont
favorisé
l’éclosion
de
formes
théâtrales
nouvelles.
Le
théâtre télévisuel ou le théâtre radiophonique ont en effet
pris leur essor par l’intermédiaire de ces dits médias.
C’est dans cette même perspective que l’on peut saisir
la notion d’interartistique telle qu’elle est suggérée par
Patrice PAVIS.
Tout
l’acteur,
entière
médiatisée
l’écriture
subjectivité ;
« le
par
dramatique
texte
la
se
dramatique
voix
et
le
défend
ne
jeu
de
de
toute
s’exprime
qu’à
travers le discours de ses personnages. »250
Cette vision de l’écriture dramatique nous amène à nous
intéresser au discours théâtral en tant qu’il est constitué
d’un ensemble de structures formelles pouvant permettre de
construire une typologie du discours théâtral, en particulier
celui
de
l’Afrique,
et
singulièrement
à
partir
de
notre
corpus.
9.2- Typologie du discours théâtral ; actes de langage/
actes de parole :
Le
théâtre,
comme
tout
phénomène
artistique
et
culturel, se manifeste à travers un ensemble de structures
discursives qui lui permettent de s’exprimer ; de signifier
une réalité ; un monde, et en même temps de se spécifier par
rapport aux autres formes de création et de représentation
culturelles.
249
- PAVIS Patrice ; Op. Cit. p. 13.
- HUBERT Marie-Claude : Le théâtre ; Paris, Editions Armand Colin,
1988, p.7.
250
368
De ce point de vue, pour le texte africain (dont ;
rappelons-le, l’objet premier est de provoquer une réaction),
on
peut
postuler
une
typologie
du
discours
théâtral,
en
établissant notamment une taxinomie des échanges scéniques,
et en recherchant la valeur performative de ce discours. Pour
ce
faire
il
nous
fonctionnement
du
faut
avant
système
tout
comprendre
d’énonciation
le
en
mode
œuvre
de
dans
l’écriture dramatique. C’est en étudiant les propriétés de la
communication verbale que nous pouvons dire en quoi consiste
le système d’énonciation dans l’œuvre dramatique. Et pour
KERBRAT-ORECCHIONI,
certaines
autres
le
discours
formes
théâtral,
de
messages
au
contraire
verbaux,
de
est
difficilement concevable comme un message verbal symétrique,
en dépit du fait que le public pouvait « ‘’répondre’’ par
certains comportements verbaux ou mimo-gestuels »251.
Cependant,
dans
cet
espace
linguistique
et
culturel
formé par le Gabon, le Cameroun et le Congo, le langage
théâtral revêt des propriétés symétriques par le fait même de
postuler la parole comme élément déclencheur de la réaction
potentiellement
observable
du
côté
des
populations.
C’est
alors l’instant initiant l’action, donc d’une certaine forme
de
réponse,
même
si
cette
réponse
utilise
des
codes
différents du code oral. Il y effectivement action dans le
cas
des
mises
en
scène
destinées
à
promouvoir
certaines
attitudes, certains comportements sociaux, aptes à infléchir
les dérives ou les immobilismes observés dans la société, et
qui constituent les thèmes servant de prétexte à ces mises en
scène.
Bien
que
d’expression
francophone,
le
langage
du
personnage dramatique de cet espace présente les marques de
son
ancrage
géographique,
social,
251
historique,
culturel
et
- KERBRAT-ORECCHIONI Catherine: L’Enonciation; Paris, Armand Colin,
2002, p. 24.
369
par-dessus
tout
idéologique,
dès
lors
que
le
théâtre
a
vocation dans ces milieux à transformer la société.
D’un point de vue formel, on peut dire, pour les textes
qui structurent notre corpus, qu’ils obéissent globalement à
une composition libre, dégagée de toute entrave normative
telle qu’elle a pu exister en d’autres lieux et en d’autres
temps,
et
où
la
versification,
ou
d’autres
exigences
et
règles formelles liées soit à la métrique ou à la prosodie,
soit à d’autres phénomènes stylistiques ou rhétoriques, ont
pu constitué un frein au développement et à l’épanouissement
de la création artistique comme cela fut le cas en France par
exemple, où l’on s’est battu pour libérer la littérature du
carcan des règles du classicisme.
Nous pouvons dire, pour revenir à notre propos, que le
théâtre africain s’est fort peu préoccupé des questions liées
à l’académisme qui a pu, à une certaine époque, encadrer, à
certains
points,
la
création
littéraire
et
artistique
en
occident, et singulièrement en Europe.
Sans toutefois déroger aux structures et aux conditions
de profération spécifiques du genre - Jean MILLY note à ce
sujet
que
ces
particulières :
textes
absence
ou
sont
« régis
rareté
de
par conventions
l’élément
narratif,
découpage du texte en répliques, tableaux, scènes, actes,
importance
des
didascalies
(ou
instructions
de
l’auteur
portant sur le décor, les costumes, les gestes, la façon de
se
proférer
le
texte),
contraintes
imposées
par
une
représentation en direct, par le fait que le texte doit être
parlé et joué. Ils sont construits sur un double système de
communication : la communication entre les personnages qui se
parlent sur la scène et la communication, extérieure à la
fiction, entre la scène et la salle. »252 - la dramaturgie
africaine
éclate
en
effet
son
252
discours
à
travers
de
- MILLY Jean : Poétique des textes ; Paris, Nathan Editions, 2001,
p.32-33.
370
régulières
incursions
dans
des
domaines
littéraires
aussi
variés que spécifiques, à l’exemple du conte, du proverbe, de
la devinette, ou toute autre forme narrative plus ou moins
brève, et dont le rôle est d’amplifier, d’expliciter ; de
donner plus de corps à l’action ou à l’histoire.
Dans sa forme ordinaire, une pièce de théâtre peut se
définir comme une succession de dialogues. Avec le dialogue,
le monologue est une des structures discursives majeures du
texte de théâtre. Et « Quand on observe la spécificité du
discours théâtral, il (…) semble que ce qui saute aux yeux,
c’est
une
géométrie
dramaturgie
réside
de
présences
d’ailleurs
apparitions/disparitions,
des
et
dans
d’absences.
le
croisements,
des
dosage
La
des
évitements,
des confrontations. »253 C’est donc que le discours théâtral
est fortement tributaire du personnage, mais plus encore de
l’action, car c’est à travers ces deux éléments fondamentaux
que le discours théâtral se mue en actes de langage. Il est
action en même temps que production de sens.
Mallot Bayenda, dans Je, soussigné cardiaque de Sony
LABOU
TANSI
d’exister
jamais
sur
eu
métaphysique.
déclare : « Je
commande.
lieu,
Je
je
suis,
casse
J’ai
voulu,
l’invente.
je
reste,
le
je
néant ;
veux.
J’exige
je
meurs
je
refuse
L’homme
une
n’a
viande
debout.
(…)
J’annule le mal et le bien d’un petit geste du pouce. Là ! Je
renverse le ciel à coups de pied. Là ! » Ou encore plus
loin : « J’écrase la merde. (…) J’écrase Perono, Ebara et les
autres hommes à haute tension (…). Là ! J’arrive jusqu’à moi
(…) J’accouche présent, j’ai accouché de ce moi métaphysique
qui bouscule ma viande et mes os. (…) Je meurs aller et
retour (…) Je piétine la cour et la loi. J’électrise ma chair
de cette fougue de respirer. J’aggrave tous les bruits de ma
253
- ADAM Jean-Michel : Langue et littérature ; Paris, Editions Hachette,
1991, p. 193.
371
viande indocile, j’élargis mon sang, j’élargis mes os. »254
Nous avons ici un discours qui transcende le seul domaine de
l’énoncé
perlocutoire ;
il
prend
en
effet
une
valeur
illocutoire en ce sens que Mallot pose véritablement un acte
performatif (en plus du fait que la parole théâtrale est, en
elle-même un acte de langage performatif : elle est action);
il agit en s’opposant à la rigidité du système politique qui
semble
le
condamner
l’inexistence,
forme
au
silence
et
à
de
non-vie
dans
la
résignation ;
laquelle
le
à
système
semble avoir condamné la population du Lébango. Les énoncés
ici produits prennent la valeur d’actes de langage.
A travers un relevé des verbes tels que « annuler »,
« casser »,
« renverser »,
« écraser »,
« élargir »255,
« électriser », « aggraver »,
« piétiner »,
nous
pouvons
envisager la valeur performative des énoncés produits par le
personnage de Mallot. Ils sont autant d’actes de paroles que
de moment d’action dans le déroulement de l’intrigue ; de
l’histoire. C’est en proférant ces énoncés ; ces actes de
langage, que le personnage accompli les actions contenus dans
le
fait
de
dire.
C’est
par
la
production
et
l’usage
conventionnel des énoncés performatifs que le personnage agit
et influe véritablement sur le monde. De ces actes de langage
vont
généralement
dépendre
les
différentes
clôtures
séquentielles internes du texte, car les énoncés performatifs
sont en eux-mêmes l’accomplissement d’un acte qui appelle,
selon la situation, une réaction du co-énonciateur.
254
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de
sang ; Paris, Hatier, 1981, pp. 80 et 81.
255
- LABOU TANSI Sony, Id.
372
9.2.1-
Les
formes
de
ce
discours :
typologie
des
échanges scéniques :
La problématique de l’énonciation dans la dramaturgie
d’Afrique Centrale s’intéresse à des questions spécifiques à
la matière et à la musicalité des textes. La question des
types de paroles dans ce théâtre concerne aussi, de façon
plus générale, les points de transition de l’oralité vers
l’écriture, mais elle s’intéresse aussi à des faits et à des
contenus
d’expressions
Au-delà
des
formelles
questions
des
cultures
classiques
d’écritures.
d’énonciation
telles
qu’elles peuvent être abordées par des spécialistes de la
linguistique du texte (ou de la phrase), la problématique de
l’écriture dans le texte de théâtre d’Afrique se pose, dans
un premier temps en terme de spécificité, ou en terme de
singularisation
effet
lieu
à
des
des
formes
codes
verbales.
Celles-ci
spécifiques
donnent
d’utilisation
et
en
de
répartition des paroles entre les locuteurs, mais on devra
aussi
déterminer
s’il
s’agit
de
vers
ou
de
prose ;
d’un
langage formalisé ou d’une langue naturelle, afin de répondre
à la question des formes.
D’un autre point de vue, la problématique des formes du
discours
théâtral
africain
aborde
aussi
des
phénomènes
propres de la communication, en ce sens que le théâtre est
vécu
pour
vecteur
beaucoup
favorisant
communautés.
ramenant
à
elle-même
Denis
la
vue
d’africains
des
comme
échanges
BERTRAND
un
dynamiques
décrit
ces
au
sein
phénomènes
problématique
de
comme
sédimentation
« la
instrument ;
l’énonciation,
des
en
qui
un
des
les
serait
structures
signifiantes, résultant de l’histoire, (qui) détermine tout
acte de langage ». Citant Sémiotique et communication sociale
de
A.
J.
GREIMAS,
l’énonciation
régit
BERTRAND
note
l’énonciation
que
« L’impersonnel
individuelle
et
de
celle-ci
parfois s’érige contre lui. La parole, « idéalement libre,
373
(…) se fige et se gèle à l’usage, donnant naissance par des
redondances et des amalgames successifs, à des configurations
discursives et des stéréotypies lexicales qui peuvent être
interprétées comme autant de formes de « socialisation » du
langage. »256 En partant de ce point de vue, on observe que la
création théâtrale africaine intègre certaines configurations
discursives qui constituent au fil des textes, et selon la
thématique,
des
personnages
et
types
rendus
d’autres
lisibles
systèmes
en
à
travers
relation
les
avec
la
situation d’énonciation ; avec ce qu’il serait commode de
désigner comme l’élément déclanchant le processus d’échange ;
de communication. C’est une communication en situation, et
profondément marquée par l’époque, le milieu, et surtout par
un certain patrimoine culturel avec lequel il peut toujours,
soit se démarquer, soit s’identifier.
C’est que, en observant la transition qui s’effectue de
la
conception
(imagination ;
pensée)
vers
l’écriture
(concrétisation), on peut mettre en évidence des structures
sous-jacentes, où certaines constantes formelles construisant
l’ossature d’une dramaturgie riche de la diversité et de la
variabilité
de
ses
types
de
paroles ;
de
ses
échanges
scéniques et de ses discours. Ici, « la répétition et la
redondance,
assonances,
les
jeux
refrains,
phoniques,
rimes
et
l’allitération,
autres
échos
les
phoniques
et
sémantiques, parallélismes lexicaux et grammaticaux, couples
de sens, la rythmisation par le geste et par le mouvement de
la bouche et le culte de la métaphore »257, qualifient un
système
d’énonciation
qui
donne
au
langage
du
corps,
à
l’action une intensité, une force et une valeur énonciatives.
Le théâtre de MENDO ZE est remarquable à ce propos par un
usage récurrent de la construction en abyme. Le théâtre chez
256
- BERTRAND Denis : Précis de sémiotique littéraire ; Paris, Nathan
Université, Collection fac. Linguistique, 2000, p.56.
257
- NGAL Georges : Création et rupture en littérature africaine ; Paris,
L’Harmattan, 1994, p. 23.
374
cet universitaire camerounais porte bel et bien l’empreinte
du discours de type conversationnel. En effet, le personnage
du conteur Ndondoo, que l’on rencontre dans au moins deux de
ses pièces, est celui qui donne à lire la marque de l’oralité
propre
aux
espaces
traditionnels
des
peuples
Fang.
L’abondance de proverbes, d’énigmes, de chants ou de contes
dans un texte de théâtre signe l’imprégnation par des usages
conversationnels, de cet espace artistique.
On
remarquera
dans
un
premier
temps
que
la
forme
dominante dans le théâtre africain est la prose, forme qui
semble le mieux restituer l’esthétique africaine des arts de
la scène. Au niveau des langages, langue naturelle et langage
formalisé cohabitent souvent dans la production, au gré des
projets de chaque auteur.
Mais d’un autre côté, lorsque l’on a pu noter l’absence
d’un
langage
verbal,
cela
n’a
pas
été
synonyme
d’absence
d’expression ou de non-langage. L’expérience de la troupe du
Théâtre
du
Silence
créée
à
Libreville
au
Gabon
dans
les
années 70 à 80, a fort justement exploité les procédés du
langage
corporel
en
lui
affectant
une
valeur
expressive
déterminante. Comme l’indique son nom, le Théâtre du Silence
avait voulu montrer la force suggestive de la gestuelle dans
la construction de l’image signifiante.
D’un autre point de vue, le discours théâtral semble,
comme
le
décrit
Michel
ISSACHAROFF,
investit
d’un
double
statut. D’un côté il est le fait de l’auteur ; celui-ci prête
aux
comédiens
des
propos
qu’il
a
lui-même
rédigés ;
les
comédiens en sont les porte-parole, car l’auteur « emprunte
une
voie
de
transmission
différée,
puisqu’il
ne
saurait
communiquer en direct, mais ce canal est à la fois instable
et
imprévisible :
les
porte-parole
ne
resteront
pas
les
mêmes, rien ne garantit leur énonciation, leur élocution. »258
258
- ISSACHAROFF Michael : Le spectacle du discours ; Paris, José Corti,
1985, p. 17.
375
C’est
donc
que
d’un
côté,
les
textes
de
théâtre
reflètent la pensée de leurs auteurs à un moment donné de
leur
existence
autre
point
intellectuelle,
de
vue,
mais
ils
sont
indépendamment
aussi,
de
d’un
l’auteur,
l’expression ; la manifestation d’un « ailleurs » qui prend
forme dans l’écriture, mais surtout dans la représentation.
Plus concrètement, le discours théâtral qui se présente
sous la forme d’un échange de répliques entre des personnages
peut aussi se réduire à un monologue. C’est que dialogues et
monologues constituent les formes essentielles du discours
théâtral. Dans tous les cas, dit Michel PRUNER, le discours
théâtral
« est
travers
les
discours
de
sous-tendu
propos
des
l’auteur,
par
une
double
personnages
qui
se
s’adresse
énonciation :
fait
au
entendre
public
par
à
le
leur
intermédiaire. »259 C’est donc que, à travers les échanges
entre les personnages, c’est l’auteur qui s’exprime.
Une approche pragmatique du discours théâtral permettra
alors
de
d’échanges
saisir
en
le
fonctionnement
présence
dans
le
des
texte,
de
différents
types
déterminer
quel
usage spécifique tel auteur fait de telle ou telle forme de
discours.
Ici,
les
mots,
les
tournures
langagières ;
la
création et la construction de syntagmes s’associent dans une
intension ludique ou poétique.
D’abord concernant le dialogue, on peut dire de façon
globale, que le théâtre africain concède à celui-ci sa valeur
universelle. L’écriture dramatique africaine ne s’écarte pas
de l’usage conventionnel des formes dialogiques. Fondement de
la pratique théâtrale, c’est à l’intérieur des séquences de
dialogue que les tournures langagières spécifiques et les
constructions personnelles de l’auteur inscrivent le texte
dans son espace culturel et social ; c’est là que le texte
acquière une valeur ludique ou esthétique.
259
- PRUNER Michel : L’analyse du texte
Dunod, 1998, Collection Les Topos, p. 91.
376
de
théâtre ;
Paris,
Edition
Le dialogue reste donc dans son acception générale, un
échange de paroles entre deux interlocuteurs ; au théâtre,
entre deux personnages. Comme forme privilégiée, le dialogue
est
motivé
par
relationnelle
la
qui
position
régit
sociale
les
et
la
structure
personnages.
Il
existe
à
l’intérieur de cette forme, des sous catégories, elles aussi
constitutives de la catégorie dialogue ; il s’agit notamment
du faux dialogue, très présent dans la dramaturgie classique,
où « le héros parle à un confident qui n’est là que pour
l’écouter et relancer le discours sans apporter le moindre
point
de
personnel. »260
vue
Avec
le
faux
dialogue,
la
typologie des échanges scéniques comprend également le duo,
sous-tendu
par
personnages.
Pour
reconnaissable
dialogues
le
à
lyrisme
sa
la
croisés
part,
des
le
complexité
ou
sentiments
type
de
dit
sa
d’interventions
du
entre
deux
polylogue
est
structure,
faite
collectives.
de
L’autre
sous-catégorie déterminante du dialogue est le type dit de la
conversation,
« Dans
le
que
Michel
dialogue
PRUNER
présente
théâtral,
comme
l’échange
il
des
suit :
répliques
constitue la plupart du temps un ensemble équilibré, chaque
personnage intervenant tour à tour selon un enchaînement qui
tente de reproduire la vivacité et parfois la familiarité
d’une
conversation
devient
(…)
Lorsque
particulièrement
se
rapide.
fait
On
plus
parle
agressif,
alors
il
de
stichomythie, pour désigner un dialogue composé de répliques
très brèves (vers à vers, ou même hémistiche à hémistiche),
qui prend souvent la forme d’un affrontement verbal (…) Quand
un
déséquilibre
s’installe
dans
l’échange,
parce
qu’un
personnage se lance dans de longues répliques, on a affaire à
une tirade »261. Ces types d’échanges scéniques sont souvent
déterminés par le genre ou par la tonalité du texte.
260
- PRUNER Michel : L’Analyse du texte de théâtre ; Paris, Dunod, 1998,
p. 94.
261
- PRUNER Michel ; Op. Cit. p. 95.
377
De ce qui est du dialogue, on peut dire qu’il est le
type
le
plus
répandu
et
le
plus
usité
dans
l’écriture
dramatique de notre étude. On retiendra que dans le théâtre
d’Afrique Centrale, il apparaît généralement dans sa forme
basique.
Le
théâtral.
dialogue
Il
définition
est
la
constitue
un
cette
forme
de
forme
privilégiée
paramètre
déterminant
d’expression
du
genre
dans
littéraire
la
et
artistique.
D’un
certain
point
de
vue,
le
dialogue
théâtral
structure la nature des relations sociales en présence dans
les textes. Chez OYONO MBIA, dans les textes de NYONDA, les
conditions
d’énonciation
entre
différents
les
révèlent
la
protagonistes.
nature
On
a
des
aussi
relations
bien
des
relations de type vertical entre les anciens et les jeunes,
que des rapports de type horizontal, entre les personnages se
situant sur un même niveau de filiation.
La relation qui unit Juliette, Ndi, Oko, Matalina et
tous ceux de la jeune génération, et les autres individus de
la
génération
des
parents
et
des
grands-parents
est
une
relation de type vertical. Les échanges verbaux sont marqués
par
une
forme
de
soumission
respectueuse,
une
sorte
de
déférence des jeunes envers les anciens.
Si
dans
l’autre
sens,
la
nature
des
échanges
porte
souvent l’empreint des codes des usages traditionnels (les
signes verbaux de l’autorité, du droit d’aînesse, ou d’une
forme
de
suffisance
due
à
l’expérience),
ces
échanges
traduisent également une forme de suspicion plus ou moins
ouverte des uns vis-à-vis des autres, essentiellement des
anciens
envers
les
jeunes.
La
remarque
outragée
du
vieil
Abessolo à l’encontre de sa petite-fille, se justifie dans ce
sens. C’est que pour lui, la décision de la marier revient
aux hommes, mais plus encore aux anciens. Du fait de son
jeune âge, mais surtout parce que c’est une femme, Juliette
ne peut décider de son avenir ; de sa vie :
378
ABESSOLO : Te consulter ?
(…)
Depuis
quand
est-ce
que
les
femmes
parlent
à
Mvoutessi ?
La tonalité du propos d’Abessolo ; le choix même des
termes énoncés, indique sa position au sein de la société,
mais aussi la nature du lien qui le lie à Juliette. Abessolo
peut
interrompre
contester
la
la
décision
jeune
fille
parentale,
dans
la
sa
tentative
réciproque
n’est
de
pas
permise, ni même possible ; quoiqu’il lui en coûte, Juliette
est tenu de garder le silence devant son aïeul, devant les
hommes, devant ses aînés. C’est la stichomythie qui donne à
voir la manifestation de ce rapport de type vertical.
D’un autre côté, paradoxalement à une relation de type
horizontal qui régit les rapports des individus au sein d’une
même classe d’âge (relations au sein d’une fratrie, ou celle
qui prévaut entre la génération des pères et des fils devenus
chefs de familles), celle qui prévaut entre les hommes et les
femmes
de
la
même
génération
sera
une
relation
de
type
vertical. C’est ainsi que malgré son âge avancé, la grandmère de Juliette occupera toujours une position basse vis-àvis des hommes du clan, y compris ses propres fils, Atangana
et Ondoua.
Dans ce type de relation, le facteur de l’âge n’est pas
le seul à justifier la position de Juliette ; c’est surtout
le fait que dans la société traditionnelle, la femme se situe
en décalage de la position de l’homme, qui occupe le sommet
de la pyramide. Si cette relation verticale impose à la femme
une
totale
soumission
à
l’homme
dans
les
sociétés
traditionnelles d’Afrique Centrale, elle fait aussi de la
femme la personne la plus importante du groupe. Son rôle en
tant que pilier de la vie économique, social et politique au
sein
des
communautés
est
fondamental :
elle
nourrit
la
famille, pérennise la lignée, mais elle permet surtout de
379
nouer
des
alliances
souvent
stratégiques
avec
d’autres
groupes sociaux, ce qui a souvent permis de mettre fin à des
conflits ouverts ou potentiels. C’est en somme aussi la femme
qui permet à l’homme d’accéder au rang de dignitaire, de
conquérir
finalement
un
espace
social
dans
lequel
il
va
pleinement s’épanouir.
La
aussi
création
le
dramatique
dialogue
de
d’Afrique
théâtre
dans
Centrale
ses
manifeste
autres
formes
structurelles, il en est ainsi du duo.
Le
duo
est
une
des
formes
privilégiées
d’échanges,
notamment dans les séquences où le sentiment tragique soustend l’action. Dans La Folle du Gouverneur, la Veuve Tchémoyo
et Bomongo énoncent dans un duo le rapprochement qui s’est
effectué entre eux, en vue de conclure l’union tant désirée
par Bomongo, mais que la Veuve Desenclos redoute tant, face
au caractère roué de son prétendant :
Tchémoyo : Regarde-moi marcher dans les chaussures que
tu as commandées pour ta reine du bal.
Bomongo : Marie ! Ma douce.
Tchémoyo :
Qui
a
dit
qu’elles
n’étaient
pas
à
mon
pied ? Regarde comme j’arrive. Dis-moi, est-ce que je trahis
la cadence ?
Bomongo : Mon infinie caresse au seuil de l’exode…
Tchémoyo : Je te plais ainsi ?
Bomongo : Tu me délivres du cri.
Tchémoyo : Serai-je à la hauteur au milieu des invités
d’honneur ?
Bomongo : Tu es resplendissante.
Tchémoyo : C’est vrai ?
Bomongo : Tu es mon arbre flamboyant. Mon somptueux
refuge. Mon ombre bienfaisante sous un soleil de plomb.
Tchémoyo : Qui a dit que je lui faisais du tort ?
Bomongo : Tu as fini par entendre raison.
Tchémoyo : Me suis-je jamais refusée à toi ?
380
Bomongo :
Non
mon
amour.
Tu
m’as
toujours
comblé.
Pardonne-moi d’avoir osé douter de toi.
Tchémoyo : Te souviens-tu ?
Bomongo : Où serais-je aujourd’hui sans ton baiser, ma
Dieudonné ?262
L’échange entre les deux protagonistes laisse entendre
un chant harmonieux, mais l’ambiguïté de la situation, les
faux-semblants
trahissent
ce
sentiment
tragique
que
l’on
percevait déjà dans la séquence précédente :
Le veilleur de nuit : Tout doux, j’ai dit… doucement.
Tchémoyo (en proie à la nervosité) : Oh mon oiseau.
Jure-moi que tu l’empêcheras de m’enterrer vivante. Jure-le.
Du
faux
dialogue,
notre
corpus
de
référence
n’en
présente que fort peu de cas de cette forme « d’échange ».
Toutefois la première scène de l’acte premier du Zulu de
Tchicaya U TAM’SI donne à lire un faux dialogue qui porte une
réelle
intensité
dramatique,
car
il
constitue
en
quelque
sorte le présage du drame qui va se jouer dans la suite du
texte. Cette scène se passe entre deux personnages, Chaka, et
Ndlebé. Si dans le début de la scène les deux personnages
prennent la parole l’un à la suite de l’autre, il n’y a pas
véritablement échange, car même s’ils donnent l’impression de
se répondre, il semble que l’un n’ait pas entendu les paroles
de l’autre. Ils semblent avoir une conscience assez éthérée
de la présence de l’un et de l’autre :
NDLEBE
Ce sont les armes d’un nain ou d’un homme pas comme les
autres.
(Il ricane).
CHAKA, qui n’a pas entendu.
Eh
Ndlebé !
Qu’est-ce
que
c’est ?
Pourquoi
cet
air
ahuri ? D’où viennent ces armes ?
262
- OWONDO Laurent : La Folle du Gouverneur ; Paris, Editions Promotion
Théâtre, 1990 ; p.38- 39.
381
NDLEBE
(Plongé dans un jeu de divination, se parle à luimême.)
Peut-être que ce sont les armes d’un nain ! ou d’un
homme pas comme les autres.263
Sans
personnages
d’un
vraiment
se
échange
se
font
répondre,
cependant
suivit,
tant
les
échos,
ils
sont
propos
donnant
des
deux
l’impression
remarquables
par
la
logique de leur contenu. Les didascalies montrent cependant
une
forme
de
distance
dans
l’échange,
ce
qui
permet
de
relever une certaine rupture dans l’espace discursif, situant
l’un
et
l’autre
protagoniste
sur
un
plan
distinct
d’énonciation. Il n’y a pas d’échange interlocutif ; chaque
protagoniste reste en effet dans un espace de dialogue clos,
alors même que la présence de l’autre devrait signifier la
fusion
des
espaces
discursifs
est
d’intérêt
et
d’échange.
marquée
des
ici
La
par
programmes
disjonction
des
espaces
différence
des
centres
la
narratifs
entre
les
deux
personnages. Alors que Chaka songe à son projet d’unification
des Zoulou, Ndlebé de son côté met au point le piège dans
lequel il va le précipiter.
Concernant le monologue, on peut dire qu’il est une des
formes récurrentes de la typologie des échanges scéniques
dans
le
certaines
théâtre
d’Afrique
valeurs,
Centrale.
notamment
Le
dans
monologue
le
prend
processus
de
construction identitaire de certains personnages tel que le
personnage
du
fou,
ou
encore
dans
la
détermination
des
positionnements idéologiques d’autres entités actantielles.
C’est ainsi que Sony LABOU TANSI va lui donner les contours
d’un symptôme, d’un signe clinique, évoquant un dérèglement
pathologique. Chez NYONDA, le monologue exprime d’avantage le
besoin
du
personnage
d’agir
sur
son
auditeur ;
un
besoin
d’établir une communication dont l’enjeu est plus près de la
263
- U TAM’SI Tchicaya : Le Zulu, Editions Nubia, 1977, p. 21.
382
fonction conative telle qu’elle est décrite par JAKOBSON.
L’enjeu essentiel de cette fonction dans le texte de NYONDA a
valeur d’exhortation, le personnage visant essentiellement à
convaincre son auditoire de la véracité et de la justesse de
ses propos ou de sa vision des choses, véracité elle-même
établie par l’expérience de celui qui parle.
Chez l’un et l’autre de ces dramaturges, le monologue
prend souvent les formes de la tirade. Il signe les instants
dramatiques ou tragiques dans le déroulement de l’action,
moments
aux
cours
desquels
le
personnage
se
découvre
et
laisse surgir des tréfonds de son être, la somme des affectes
qui le constituent.
En ouvrant la pièce sur le monologue de Mallot, LABOU
TANSI
introduit
d’emblée
le
lecteur
dans
l’univers
psychologique du personnage, un univers que l’on découvre
obscure et tourmenté : l’atmosphère de la cellule en ellemême présage déjà de ce tourment. Le lecteur y sera comme
enfermé
dans
un
processus
irréversible,
partageant
le
sentiment de fatalité qui semble entraîner le personnage vers
son funeste destin.
Le monologue de Mallot traduit le trouble ressenti par
ce
dernier
devant
l’absurdité
des
événements
qui
l’ont
conduit au fond de cette cellule (la particularité de cette
pièce est d’être construite en prolepse ; c’est-à-dire que
l’ouverture de la pièce se fait sur la clôture des événements
qui constituent le récit ; après avoir été condamné à mort
par le pouvoir du Lebango, Mallot vit ses dernières heures
dans une cellule de prison). Mais ce monologue est surtout
l’expression et la manifestation d’une vie brisée ; le signe
apparent de la déchirure psychologique qui place l’homme en
porte-à-faux avec son milieu social. L’instituteur y apparaît
comme un obstacle au fonctionnement délictueux ambiant. Sa
quête incessante de la vérité et de la justice se cristallise
dans cette forme de délire maniaque, où en définitive, Mallot
383
manifeste une conscience dialectique de soi, par rapport au
monde qui l’entoure.
Il
se
paradigmes
perçoit
sociaux
à
l’intérieur
sont
en
d’un
univers
opposition
avec
sa
où
les
vision
personnelle des choses ; il cherche alors à établir ce qui,
jusqu’à un certain niveau constitue une vérité simplement
postulée, au détriment d’une vérité-adéquation ; une vérité
qui serait en mesure de rendre compte de la société telle
qu’elle
pourrait
être.
Ceci
l’amènera
à
transcender
la
réalité du monde commun, pour s’inscrire dans une réalité où
la charge émotionnelle de ses actions le désolidarise de son
milieu. Pour son entourage, ses propos apparaissent alors
souvent dénués de sens, et hors du contexte dans l’instant où
s’inscrit le propos. Ses actions, en inadéquation avec le
contexte de l’énonciation le situent en décalage par rapport
à la société. Du fait de cette marginalité Mallot présente
les caractéristiques de la folie telle qu’elle est donnée
dans la communauté.
Mais on constate que la folie de Mallot n’est que la
réaction à un état de chose, à une conjonction d’événements
qui auront perturbés un psychisme trop conscient de soi-même,
et de la perversité du système.
Comme
le
poète,
Mallot
se
distingue
du
commun
des
mortels qui s’est accommodé d’une situation qui, de son point
de
vue,
a
servi
de
catalyseur,
produisant
chez
lui
une
attitude de rejet d’une certaine conformité et du défaitisme
ambiant,
pour
affirmer
son
individualité,
reconquérir
en
somme son humanité .
Alors se pose parfois la question de savoir du fou ou
du non fou, lequel des deux est normal, lucide, ou simplement
le plus
courageux, le plus impliqué dans l’histoire de la
société ?
C’est
parenthèse
notamment
de
sang,
ce
où
le
que
l’on
personnage
384
peut
du
lire
fou
dans
La
(personnage
allégorique),
rationnelle
incarne
et
l’incommunicabilité ;
idéologique
qui
consacre
la
la
rupture
relation
(ou
l’absence de relation) entre le vécu et l’idéal, entre le
politique
et
le
social ;
entre
l’homme
politique
et
le
peuple.
Par
certains
contextes
de
production,
le
monologue
apparaît comme un délire onirique ; Chaka du Zulu, Martial et
Le
Fou
de
La
parenthèse
de
sang,
Mallot
Bayenda
de
Je,
soussigné cardiaque, semblent transportés dans un monde hors
du temps, où, à travers un état de semi léthargie (Chaka,
Martial), la vision et les sensations sont de l’ordre de
l’irréel ou du cauchemar (Le Fou). Les événements paraissent
se reproduire à l’infini, d’où la répétition des gestes (tic
de la tête) ou de paroles pour marquer sa révolte contre les
injustices, et son dépit contre l’indifférence ou l’arrogance
de ses congénères. Mallot use à cet effet du crachat qui,
dit-il, est le milliard du pauvre, la force du simple. Il est
aussi
amené
à
user
de
la
violence
physique
car
à
deux
reprises, il giflera Bela Ebare, et finira par le battre à
coups de ceinture, au comble de la rage qui s’était emparé de
lui. La profération de mots injurieux et obscènes traduit une
forme de transgression de la norme que franchit malgré lui
Mallot, mais dont le caractère inévitable lui apparaît comme
un échec aussi bien personnel que collectif. Car il réalise
son incapacité à amener à soi une certaine logique dans la
vision commune du fonctionnement de la société, en même temps
qu’il prend conscience du caractère dévoyé des institutions,
de l’immobilisme destructeur, des comportements sclérosés des
agents de l’Etat ; de la déliquescence de tout ce qui fonde
un pays, une nation. Mallot se vit comme un être brisé par
toute cette forfaiture, cela se manifeste à travers
des
comportements obsessionnels : Je, soussigné cardiaque s’ouvre
d’ailleurs sur Mallot, dont le premier mouvement est un tic
de la tête, ainsi que le souligne l’indication : MALLOT (tic
385
de la tête)264. Mais la fracture psychologique de Mallot se
lit aussi, dans son monologue à travers la forme de ses
énoncés ;
ils
son
brefs,
ponctués
d’exclamations
et
de
silences, de formules rappelant les rituels de bénédiction ou
de désenvoûtement : « je casse le néant », « j’annule le bien
et le mal d’un geste du pouce », etc. Un autre trait de sa
rupture
psychologique,
Afrique
est
souvent
en
plus
perçu
de
comme
soliloquer,
le
signe
ce
qui
visible
en
d’une
névrose, est la présence dans son discours d’effets sonores
produits
par
les
allitérations :
« Oh,
l’éblouissant
sol
soleil des mondes fondants au fond de ma fougue », ce qui
n’est pas sans rappeler ce vers célèbre de Racine « Pour qui
sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes »265, et qui sont
l’expression de la folie d’Oreste.
Les
monologues
délirants
des
personnages
ci-dessus
cités apparaissent comme la volonté de conjurer les malheurs
et
les
déboires
auxquels
ils
sont
confrontés,
mais
aussi
comme un besoin d’affirmer leur existence dans une société
qui
a
mis
en
déshumanisation
œuvre
et
de
toutes
sortes
de
déstructuration
de
stratégies
l’individu
de
mais
aussi du tissu social. C’est dans l’optique de ramener la
pensée politique sur le social et l’humain en général, que
les
hommes
de
théâtre
focalisent
leurs
discours
sur
l’interaction entre le politique et le peuple.
Le
manière
discours
générale,
théâtral
se
en
Afrique
caractériser
Centrale
comme
une
peut
de
production
culturelle, dont le modèle social fixe les formes et les
orientations thématiques et idéologiques. Il est donc porteur
d’un
certain
nombre
d’enjeux,
au
double
sens
de
la
réceptivité et de la perspective d’action et d’avenir.
264
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque in La parenthèse de
sang ; Paris Editions Hatier, 1981, p. 77. L’occurrence de ce tic est de
six, de la page 77 à 81, puis p. 83. De la page 106 à 112, à nouveau 5
occurrences.
265
- RACINE Jean : Andromaque, Acte V, Scène 5.
386
9.2.2- Les enjeux de ce discours :
Les enjeux du discours théâtral africain résident dans
une
quête
de
la
vérité
en
tant
qu’elle
est
la
mise
en
évidence de la nécessité de substituer à la vérité-adéquation
(historiquement
et
sociologiquement
présente
et
en
situation), une vérité construite (donc postulée) et garantie
par la culture. Car comme le suggère Patrice PAVIS, « la
rhétorique du discours social et inconscient s’amarre à notre
propre monde, notamment à travers la croyance, l’évidence,
l’identification, l’effet produit, l’effet cathartique sur le
lecteur ou le lectateur. »266
Le discours théâtral africain suggère une interaction
entre l’homme et le monde, en ce sens que notre relation au
monde est en même temps théorique et pratique au double sens
de
la
réceptivité
et
de
l’activité.
C’est
que
nous
interagissons sans cesse avec les êtres qui nous entourent ;
nous
représentons
symboliquement
le
monde,
et
nous
intervenons dans le réel à travers une participation active.
L’étude
des
littérature
formes
symboliques
permettent
que
d’élaborer
sont
cette
l’art
et
la
problématique
interactionnelle, de saisir les enjeux du discours théâtral
africain ; sa valeur heuristique.
Les
faits
humains
étant
d’ordre
psychologique,
les
sciences morales, au cœur desquelles s’inscrit le théâtre,
ont dès lors pour fondement la psychologie. Le théâtre est
pleinement lié à la psychologie, car dans la peinture des
personnages et des sociétés, c’est bien de leur psychologie,
de leur conscience et de leur inconscient qu’il est souvent
fait référence. Soumettre de ce fait, l’art dramatique au
principe universel selon lequel tout fait a une cause, qui
doit
suffire
à
la
reproduire,
266
c’est
rechercher
dans
les
- PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse des textes, de
Sarraute à Vinaver. Paris, Nathan/VUEF, 2002. p.26.
387
histoires
mises
en
œuvre
par
le
théâtre,
les
événements
fondateurs de ces histoires. Et l’analyse des faits humains
remontant des causes secondaires aux causes dominantes, amène
à
rétablir
les
moments
de
cohésion
ou
de
divorce
des
équilibres du monde et des sociétés. Les causes dominantes
dans l’analyse des faits humains sont données au nombre de
trois selon Hyppolite TAINE :
- La race
- Le milieu
- Le moment
L’étude de ces causes dominantes permet en général de
saisir le texte dans la complexité de ses enracinements, de
ses
fonctionnements
et
de
ses
séductions,
de
saisir
le
contexte et les enjeux qui portent le projet de l’écrivain.
En tant que forme sémiologique, le discours théâtral
rend compte de préoccupations éthiques et esthétiques.
Le
discours
théâtral
africain
rend
compte
de
préoccupations éthiques dans la mesure où il a vocation à
restituer le propos dans son milieu de création. Il vise
ainsi à rendre lisible un contenu culturel dont la saisie
peut parfois donner lieu à des méprises ou à de mauvaises
interprétations. Le discours théâtral peut ainsi être perçu
comme le niveau communicationnel, « lieu où se trouvent les
données
externes
lesquelles
qui
jouent
« déterminent
le
rôle
l’enjeu
de
de
contraintes,
l’échange,
ces
contraintes provenant à la fois de l’identité des partenaires
et de la place qu’ils occupent dans l’échange, de la finalité
qui les relie en terme de visée, du propos qui peut être
convoqué et des circonstances matérielles dans lesquelles il
se réalise. »267 Le discours théâtral a donc pour fonction de
représenter
et
d’exprimer
des
idées
dans
le
cadre
de
plusieurs types de compétence, celle de la situation, celle
267
- CHARAUDEAU Patrick, in CHARAUDEAU et MAINGUENEAU :
d’analyse du discours ; Paris Le Seuil, 2002, p. 536.
388
Dictionnaire
du code (manière de dire), et celle qui ordonne les formes,
les règles combinatoires des signes et leur sens. C’est que
« pour le texte dramatique, le monde de référence du lecteur
est constitué par la mise en jeu des locuteurs, de leurs
forces psychiques et sociales à travers l’acte de lecture.
S’approprier
la
fiction
par
l’interpellation
et
la
légitimation du lecteur, c’est ramener celui-ci à nous, c’est
le replacer pragmatiquement dans le contexte concret d’une
situation d’énonciation. »268
Le
discours
théâtral
porte
aussi
sur
des
valeurs
esthétiques. Du point de vue de sa structuration, le discours
théâtral rend compte de la manifestation du signe en tant que
vecteur
possible
de
la
communication.
Il
veut
également
rendre compte de son importance au point de vue de l’impact
du signe sur public. Les enjeux du discours théâtral africain
s’appliquent
donc
théâtre ;
situer
à
à
légitimer
le
une
théâtre
fonction
comme
un
sociale
langage
et
du
une
esthétique particulière. La société africaine se donne à lire
à travers un discours qui a souvent misé sur des formes plus
ou moins réalistes ; ce qui est le cas en général de la
production des premières années, ou sur une écriture de la
démesure et du symbolique, telle qu’elle est suggérée par
l’écriture de Sony LABOU TANSI.
En s’appuyant sur le fond culturel, historique, social
et politique et civilisationnel des communautés dont ils sont
généralement issus, les dramaturges africains espèrent amener
leur
public
à
la
saisie
des
situations
caractérisent ces sociétés, œuvrant
contingentes
qui
encore, à cet effet, à
la construction et à l’édification des esprits.
Mais
discours
d’autres
théâtral
enjeux
d’Afrique
sont
identifiables
Centrale.
A
côté
au
des
cœur
du
aspects
historiques de civilisation et de formation ou d’information,
268
- PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain. Analyse
Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan/VUEF, 2002, p. 26.
389
des
textes
de
de la recherche de la catharsis (en ce sens justement qu’il
vise à la réforme des mœurs), le théâtre africain poursuit
d’autres
objectifs
qui
le
situent
dans
le
moule
de
la
création et de l’existence purement de la vie artistique et
culturelle
du
monde.
Le
théâtre
africain
essaye
donc
de
garder en vie un univers social et culturel, dont le sens de
l’esthétique
bien
de
apparaît
la
aujourd’hui
conservation
d’un
comme
l’instrument
patrimoine
en
aussi
danger
de
dissolution dans des cultures hybrides et artificielles, que
comme la réponse à une problématique toujours d’actualité, et
qui
escamote
millénaire
l’existence
en
Afrique.
et
Il
la
est
spécificité
en
effet
d’un
art
regrettable
de
constater que le monde occidental continue de passer sous
silence la réalité du théâtre africain, alors même que le No
japonais et le théâtre d’ombre chinois, occupent une place de
choix dans la taxinomie des cultures de la scène.
Il y a un enjeu fondamental lié la création dramatique
africaine
de
spectateur,
manière
un
générale,
jugement
c’est
critique
par
de
susciter
rapport
à
chez
la
le
trame
dramatique représentée.
9.3- La situation d’énonciation :
La particularité de l’œuvre littéraire est de rendre
lisible
un
certain
nombre
de
paramètres
relatifs
aux
circonstances événementielles, de temps et de lieux de sa
production.
permettent
l’œuvre
Ces
de
paramètres,
déterminer
littéraire
qui
la
concernent
d’une
situation
aussi
certaine
manière
d’énonciation
les
individus
de
qui
produisent l’œuvre littéraire, et par conséquent ceux vers
qui elle est dirigée. D’une certaine manière, la situation
d’énonciation
de
l’œuvre
théâtrale
implique
de
facto
les
conditions de réception de celle-ci. Car chez le spectateur,
390
différents
mécanismes
–
sociologiques,
psychologiques,
psychanalytiques et anthropologiques – sont sollicités.
Au-delà
créateurs
de
des
l’espace,
œuvres,
la
du
temps
question
et
de
des
la
individus
communication
littéraire est à la base de la problématique de la situation
d’énonciation.
Pour
rendre
compte
de
cette
situation
d’énonciation, Patrice PAVIS propose une lecture des contenus
du texte qui renvoient à différents types de structures, dont
les plus importantes sont : l’intrigue, la dramaturgie et le
sens. Ces « structures sont l’armature formelle qui à la fois
sous-tend l’organisation des différents niveaux textuels et
permet
d’observer
surface
visible
ces
du
quatre
texte.
étages
Au
ou
premier
couches
depuis
niveau,
celui
la
des
structures du discours, c’est-à-dire de la perception assez
immédiate de l’intrigue et des thèmes, le lecteur perçoit
deux axes simultanément : l’axe horizontal, le syntagme (les
événements racontés) et l’axe vertical, le paradigme (les
thèmes abordés) ». Quelle résonance ces structures trouventelles dans le théâtre d’Afrique Centrale ?
9.3.1- Structures discursives : l’intrigue :
L’analyse des structures discursives dans le texte de
théâtre permet de saisir les différents niveaux structurels
de
l’intrigue ;
des
événements
racontés,
et
des
thèmes
abordés. Il s’agit en l’occurrence de reconstituer la trame
de l’histoire ; de définir « l’organisation de l’intrigue,
ses
nœuds,
physiques
ses
qui
la
méandres,
ses
construisent »
résolutions,
269
,
en
les
d’autres
actions
termes
de
répondre à des questions d’ordre herméneutique où le point de
269
- PAVIS Patrice : L’analyse des spectacles ; Paris, Armand Colin,
2005, p. 234.
391
vue
du
lecteur ;
sa
position
par
rapport
au
texte,
constituent le socle de la réflexion.
Mais l’observation de l’intrigue peut aussi partir du
point de vue de l’acteur, appelé à répondre à la question
« comment jouer ceci », ou, de la perspective du metteur en
scène
dont
les
préoccupations
sont
de
l’ordre
de
l’interprétation de l’ensemble constitué des thèmes, motifs,
topoï et leitmotive. L’intrigue met l’accent sur la causalité
des événements. Elle donne à lire les aspects manifestes de
la conduite de l’histoire ; de la progression dramatique : et
pour PAVIS, « l’intrigue, c’est le sujet de la pièce, le jeu
des circonstances, le nœud des événements. »270
Pour
avoir
une
vision
plus
claire
de
ce
que
PAVIS
désigne comme « intrigue », nous nous sommes penché sur deux
textes à l’intérieur de notre corpus ; Trois prétendants…un
mari de Guillaume OYONO MBIA et Le Zulu de Tchicaya U TAM’SI.
Le
choix
de
ces
deux
textes
est
motivé
par
le
facteur
chronologique de leur parution, mais la différence générique
entre
comédie
déterminant
structures
comment
et
en
tragédie
vue
de
l’étude
d’énonciation.
le
universelle
théâtre
de
nous
Car
africain
construction
a
de
il
paru
la
est
s’inscrit
ou
de
un
autre
progression
intéressant
dans
la
constitution
facteur
et
de
des
voir
dynamique
du
schéma
dramatique.
Ainsi donc, pour le texte de OYONO MBIA, nous pouvons
établir la notion d’intrigue comme il suit : dans un premier
temps,
nous
avons
relevé
que
la
notion
de
thème,
qui
constitue l’un des axes majeurs de l’intrigue, porte sur la
question de la condition sociale de la femme dans une Afrique
nouvellement indépendante. En second lieu, pour faire état de
cette condition, le dramaturge prend comme motif le mariage
270
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002,
p.179.
392
d’une jeune femme à mi-chemin entre tradition et modernité.
En définitive, nous obtenons la configuration suivante :
Thème de la pièce : La condition sociale de la femme
africaine entre modernisme et tradition.
Motif : Le mariage.
La dispositio, ou mouvement de la pièce :
a)- Exposition :
Juliette est accueillie en triomphe au village ;
son année scolaire à la ville est couronnée de succès.
Elle est donc promise à un bel avenir. Ses parents lui
annoncent
son
futur
mariage :
ils
ont
perçu
une
première dot.
b)- Nœud :
Juliette veut bien se marier, mais avec celui
qu’elle a choisi. Opposition des parents ; arguments,
puis perception d’une seconde dot.
c)- Péripétie :
Juliette
parents.
Avec
veut
le
faire
soutient
échouer
de
son
le
projet
cousin
et
de
ses
de
son
véritable fiancé, elle subtilise l’argent versé en dot
par les deux premiers prétendants. Découverte de la
disparition de l’argent ; désespoir des villageois.
d)- Dénouement :
Le troisième prétendant arrive et « rembourse »
l’argent disparu ; joie et soulagement des villageois.
Juliette peut épouser celui qu’elle aime et qu’elle a
choisi.
Ainsi décrite, il ressort que la pièce de OYONO MBIA
observe l’orientation esthétique déterminante de la comédie
de mœurs. Ici, c’est l’étude des travers du groupe social qui
prime sur celle des caractères particuliers des individus.
L’intrigue
se
donne
à
lire
à
travers
le
schéma
de
la
progression ; à travers les étapes majeurs autour desquels se
393
tisse la trame de l’histoire de la pièce ; celle de Juliette
voulant disposer librement de sa personne.
L’intrigue
se
perçoit
ici
comme
l’ensemble
des
structures formelles, de surface formant l’armature de la
pièce. Elles permettent de ce fait de saisir, à travers la
multiplicité
d’événements,
le
fondement
de
la
pensée
du
dramaturge ; ses idées et son opinion par rapport au vécu et
à la perspective d’avenir donnés à la femme dans un milieu où
les
traditions
et
le
modernisme
se
croisent
et
essayent
mutuellement de se neutraliser.
Le second texte que nous avons choisi pour étudier le
déploiement de la situation est Le Zulu de U TAM’SI. Voici
comment se donne à lire la construction de l’intrigue :
Thème de la pièce : Le destin des peuples Zoulou à
travers l’Histoire de Chaka.
Motif : Unifier la Nation Zoulou, et protéger le seuil
de Nobamba de toute intrusion extérieure.
Mouvement de la pièce :
La pièce s’ouvre sur un prologue, et s’achève avec un
épilogue. Ceci constitue, d’après les codes génériques de
classification des textes, dans le théâtre grec antique par
exemple, un indice majeur sur la détermination du contenu. Le
Zulu
est
une
tragédie ;
le
prologue
annonce
en
effet
la
nature des événements à suivre ; leur portée dramatique.
Ce
prologue
qui
s’intègre
à
la
pièce
permet
au
spectateur de vivre « l’action dramatique à deux niveaux : en
suivant le fil de la fable, en « survolant » et en anticipant
l’action : il est à la fois dans et au-dessus de la pièce, et
grâce à ce changement de perspective, il s’identifie et prend
le recul nécessaire. »271 Le prologue de la pièce de U TAM’SI
cadre
bien
avec
cette
vision ;
il
est
donc
de
nature
analytique. Il annonce non seulement la conspiration et la
271
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002,
p. 273.
394
trahison ourdie par les amis de Chaka, mais aussi la fatalité
qui semble présider au destin de Chaka.
a)- Exposition : Chaka rêve de rassembler en un seul
peuple, toutes les tribus zoulou. Pour cela, doit rallier à
lui tous les chefs de tribus, vassaux de Ding’Isswayo. Mais
le destin et la fatalité veillent ; une conspiration se trame
dans les rangs de Chaka.
b)- Nœud : Au sein de son propre camp, une conspiration
est ourdie contre Chaka.
c)-
Péripétie :
Rébellion
de
Zwidé.
Ding’Isswayo,
suzerain de Chaka est assassiné par les conspirateurs. Avant
d’être exécuté par les hommes de Chaka, Zwidé prononce contre
lui une malédiction. Pour conjurer ce sort, Chaka pris d’un
excès de folie, tue sa femme afin qu’elle ne mette pas au
monde
leur
enfant,
celui
par
qui
la
malédiction
devait
s’accomplir.
d)- Dénouement : Chaka n’a pas réussi à rassembler les
peuples Zoulou en une terre, sous son égide. Son cauchemar se
fait réalité ; le seuil de Nobamba est franchi par quelque
chose « de blanc » venue avec « l’écume de la mer. »
Avec la complicité de certains conjurés, le pays zoulou
est livré aux mains des « hommes blancs ».
9.3.2- Structures narratives : la dramaturgie :
Dégager les structures narratives du texte dramatique
consiste à mettre en lumière les conventions de jeu utilisées
par le texte, à observer le type de codification utilisées
par ces conventions.
Ces conventions sont décelables à tous les niveaux de
déploiement
du
texte ;
elles
sont
narratif, actantiel et idéologique.
395
d’ordre
stylistique,
Pour
ce
qui
est
de
la
dramaturgie,
il
s’agit
de
déterminer les points d’ancrage des structures narratives au
cœur de la situation d’énonciation.
Du point de vue stylistique, les conventions de jeu
concernent essentiellement la situation d’énonciation en tant
qu’elle
permet
au
texte
d’exister
physiquement
dans
l’imaginaire du lecteur. C’est la situation d’énonciation qui
figure la circulation de parole ; les échanges scéniques.
La structure externe de cette pièce ; sa narrativité
donne
à
voir
l’histoire
telle
qu’elle
est
construite
à
travers la fable, c’est-à-dire dans ce cas précis, l’histoire
du destin tragique de Chaka, dans sa tentative d’unifier les
peuples zoulou, et d’en faire une nation forte et prospère,
rayonnant
sur
l’ensemble
du
sud
du
continent
africain.
L’histoire de Chaka, son rêve d’expansion coïncide avec les
débuts
des
invasions
et
de
la
colonisation
du
sud
de
l’Afrique par les troupes anglaises.
Faits historiques et indices spatiaux valident ici le
chronotope ; alliance d’un temps et d’un espace, tel qu’il
est définit par Mikhaïl BAKHTINE, en tant que « fusion des
indices
spatiaux
et
temporels
en
un
tout
intelligible
et
concret. »272 Dans le texte de U TAM’SI, on peut parler du
chronotope de la colonisation du sud de l’Afrique, alors que
dans
d’une
Trois
prétendants…
communauté
un
mari,
traditionnelle
il
s’agit
africaine
du
chronotope
entre
deux
cultures.
Dans un cas comme dans l’autre, la dramaturgie donne la
nature des conflits ; elle permet de dégager « l’enjeu de
l’action, ses conditions, sa finalité ; elle établit (…) la
272
- BAKHTINE Mikhaïl : Esthétique et théorie du roman ; Paris, Editions
Gallimard, 1978, p. 137 ; cité par Patrice PAVIS in Le théâtre
contemporain. Analyse des textes de Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan,
Collection Lettres Sup., 2002, p. 17.
396
tâche principale ou le superobjectif de la pièce et la ligne
continue de l’action permettant d’y accéder. »273
Les
couples
contradictoires
constitués
par :
intrigue/éclaircissement ; imbroglio/reconnaissance ;
énigme/révélation ;
nœud/dénouement ;
sont
caractéristiques
d’une dramaturgie fermée classique. Cette dramaturgie donne
corps à « des figures textuelles qui vont du conflit ouvert,
violent, rapide (les stichomythies) à l’absence de conflit
(succession
de
remarques,
de
notations
lyriques,
de
constatations absurdes) »
D’une manière plus générale, la connaissance des genres
et des discours ; des règles génériques, la connaissance des
registres, des tons de l’œuvre ; la connaissance des registre
de parole, le niveau de style et les implications de ce type
de parole sur l’action et l’univers de la fiction aident à la
saisie de l’histoire ; à cerner son mode d’énonciation.
9.3.3- Structures actantielles : l’action :
Si l’intrigue et la dramaturgie permettent d’aborder le
texte à partir de sa surface, les structures actantielles
permettront
de
mettant
lumière
en
dégager
des
les
structures
différentes
plus
forces
abstraites
qui
en
régissent
l’action et les motivations des personnages.
Thème,
motif
et
mouvement
de
la
pièce
constituent
l’armature à partir de laquelle se structure l’action de la
pièce. Le schéma qui s’en dégage permet de visualiser les
principales forces du drame et de leur rôle dans l’action ;
l’avantage
du
schéma
actantiel
est
« de
ne
plus
séparer
artificiellement les caractères et l’action, mais de révéler
la
dialectique
et
le
passage
273
progressif
- PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain.
Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan, 2002, p.18.
397
Analyse
de
l’un
à
des
textes
de
l’autre. »274 Les problèmes de la situation dramatique, de la
dynamique des situations et des personnages, de l’apparition
des
conflits
et
leur
résolution
peuvent
se
clarifier
notamment par le concours du modèle actantiel. En procédant à
la mise en séquence de l’histoire, on obtient la progression
interne de l’intrigue. A ce propos, le modèle de GREIMAS,
qui se déploie autour de six fonctions subdivisées en trois
paires de fonctions, est de notre avis, celui qui donne une
meilleure approche de la structure actantielle d’un texte
théâtral.
Voici données les six fonctions constitutives du schéma
actantiel de GREIMAS :
Destinateur Æ Objet Æ Destinataire
↑
Adjuvant Æ Sujet Å Opposant
Nous
faisons
converger
les
flèches
des
axes
Adjuvant/Opposant vers le sujet car cet axe est l’axe des
influences
(aide
et
empêchement),
Destinateur/Destinataire
est
l’axe
de
alors
que
l’axe
transmission.
Les
flèches dans ce cas expriment la transmission du désir.
Voici comment grâce au schéma actantiel, nous pouvons
donner lecture de l’action et des caractères de :
1)- Trois prétendants… un mari :
Dans
continuité
ce
texte,
l’action
d’événements.
Sa
se
donne
progression
à
voir
est
dans
régulière
une
et
continue, mais elle offre cependant une double perspective de
détermination, selon qu’elle est vue du point de vue des
anciens,
donc
de
la
tradition,
ou
du
point
de
vue
des
jeunes ; de la modernité. Dans tous les cas, on note que
l’action
s’appuie
sur
une
274
opposition
jeunes/vieux ;
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2006,
p. 2.
398
tradition/modernité.
A
partir
de
deux
super
programmes
actantiels qui donneraient lecture de l’action à partir de la
double
perspective
jeunes/vieux,
nous
pouvons
obtenir
un
super programme unique qui résumerait en quelque sorte, la
trame de la pièce.
Dans la perspective des vieux et de la tradition :
Destinateur
(Tradition)
→
Objet
→
(Marier Juliette)
Destinataire
(Père de Juliette)
↑
Adjuvant
→
(Mbia+Ndi+Famille
Sujet
←
Opposant
(Père de Juliette)
(Juliette)
de Juliette)
A partir de ce point de vue, on note que la quête, donc
l’objet du désir ; le fait de marier sa fille, est suscitée
par la tradition. Ce désir est transmis à un destinataire ;
Atangana,
père
de
Juliette,
qui
devient
par
cette
même
occasion, le sujet de la quête.
Les actions entreprises par le sujet seront soutenues
par les adjuvants ; par les deux premiers prétendants ainsi
que par toue la famille de la jeune fille, alors que dans la
classe des opposants, se trouve Juliette, qui refuse de se
plier à la décision de son père.
Dans la perspective des jeunes, donc de la modernité,
l’action prend une autre configuration actantielle. Ici, le
destinateur de la quête est l’amour, Juliette et Oko en sont
les destinataires en même temps qu’ils en sont les sujets.
Pour faire aboutir leur quête, ils seront soutenus par leur
amour ainsi que par Kouma le cousin de la jeune fille, mais
aussi par la ruse qui leur permettra de s’acquitter de la
somme exigée pour le remboursement des deux premières dots.
Dans l’axe opposant/objet, on retrouve la famille de
Juliette, car celle ne consent à donner sa fille en mariage
399
qu’à la seule condition que le futur époux soit un homme
riche et influent, ce qui est loin d’être le cas du collégien
Oko.
La configuration actantielle est donc la suivante :
Destinateur
→
Objet
(Amour)
→
Destinataire
(Mariage)
(Juliette +Oko)
↑
Adjuvant
→
(Amour+Ruse+Juliette
Sujet
←
(Juliette+Oko)
Opposant
(Famille de Juliette)
+Oko+Kouma)
A partir de ces deux approches, nous pouvons obtenir un
super programme qui résume la pièce, et donne une idée de la
configuration des forces en action dans le texte. En effet,
si l’on prend en compte le fait du non accomplissement du
projet initial qui est pour Atangana de marier sa fille, on
note qu’il y a échec, donc disjonction de l’action entre le
programme initial et la sanction finale.
Mais en partant du point de vue des jeunes, on constate
qu’il y a conjonction de l’action entre le programme et la
sanction.
Dans
cette
optique,
on
peut
considérer
que
les
véritables maîtres de l’action sont Juliette et ses amis, car
ce sont eux qui mènent le jeu et finissent par faire aboutir
leur
projet.
C’est
donc
cette
perspective
qui
mène
et
contrôle toute l’action ; toute la dramaturgie de la pièce.
Voici le schéma actantiel global que nous pouvons en tirer :
Destinateur
→
(Amour)
Objet
→
(Se marier)
Destinataire
(Juliette+Oko)
↑
Adjuvant
(Amour+Ruse+Kouma)
→
Sujet
(Juliette+Oko)
400
←
Opposant
(Néant)
Pour
la
pièce
de
Tchicaya
U
TAM’SI ;
Le
Zulu,
la
détermination d’un super schéma actantiel qui résume toute la
dramaturgie de la pièce est possible. Car l’histoire de la
pièce s’articule autour du rêve ou de l’ambition de Chaka. Le
schéma qui rend compte de cette dramaturgie est le suivant :
Destinateur
(Ambition)
→
Objet
→
Destinataire
(Unifier le peuple Zoulou)
(Chaka)
↑
Adjuvant
→
(Ambition)
Sujet
(Chaka)
←
Opposant
(Ambition+Folie de Chaka
+Ndlebé+Malounga)
Cette figure actantielle montre les différentes forces
en action dans l’histoire du Zulu. On remarque que l’ambition
est l’actant qui tient le plus de positions dans le schéma.
Celle-ci constitue une force majeure dans la sanction finale
de l’histoire. Toute la dramaturgie de la pièce porte donc
sur la conjonction et la disjonction de l’action par rapport
à l’ambition ; à la folie de Chaka.
L’ambition constitue dans un premier temps une force
dans la mesure où elle fait naître chez Chaka le rêve d’un
peuple zoulou uni, fort, indépendant et prospère. Celle-ci
devient folie, et donc handicap lorsque Chaka, aveuglé par
elle n’est plus capable ni de discernement par rapport aux
événements
troublants
qui
surviennent
autour
de
lui,
ni
capable de compassion vis-à-vis des siens, par rapport à la
détresse suscitée par la rigidité de son caractère et son
intransigeance.
L’analyse actantielle permet de constater que la notion
d’actant est applicable aussi bien à des personnages humains
qu’à
des
personnages
non
humains,
mais
anthropomorphisés.
C’est dans ce cadre que des concepts abstraits comme l’Amour
et la Tradition (dans Trois prétendants… un mari), ou encore
401
l’Ambition dans Le Zulu, peuvent apparaître comme actant, car
leur rôle dans la dramaturgie est essentiel. Ils sont l’un et
l’autre à la source de la quête de chacun des destinataires.
9.3.4-
Structures
idéologiques
et
inconscient :
le
sens :
L’approche initiale du texte de théâtre permet de mettre
en évidence « les thèmes, leur mise en forme dramatique (…),
leur
déploiement
dans
l’action
d’un
temps »275.
espace
L’ensemble de ces éléments ouvre la perspective de la question
de
l’historicité,
et
du
contexte
social,
culturel
et
politique ; donc de la question de l’idéologie posée par le
texte.
Avec
les
structures
idéologiques,
les
structures
de
l’inconscient sont celles qui vont amener le lecteur à la
découverte du sens, car « il sera attentif à l’historicité de
la
réalité
représentée,
celle
de
la
fiction
telle
qu’envisagée autrefois autant que celle de notre point de vue
actuelle ; à l’historicité de la mise en jeu, celle de notre
point
de
vue
sur
l’œuvre
qui
n’est
pas
fixé
pour
l’éternité. »276
C’est que le sens est variable selon les paradigmes à
partir
desquels
structures
on
dites
le
recherche.
de
Il
est
l’inconscient ;
tributaire
« les
des
contenus
idéologiques (…) les pensées inconscientes de l’auteur et du
lecteur
qui,
chacun
à
sa
manière,
tentent
d’accéder
aux
différents sens possibles. (…), ce contenu implicite, latent,
passe souvent par le sous-texte où se réfugie l’essentiel du
message,
tandis
que
l’on
ne
275
perçoit
- PAVIS Patrice : Le théâtre contemporain.
Sarraute à Vinaver ; Paris, Nathan, 2002, p.22.
276
- Id. p. 22.
402
que
la
Analyse
surface
des
textes
du
de
texte. »277 Le sens du texte se situe donc pour l’essentiel,
dans ce qu’il est juste d’appeler « le hors-texte » ; ce sont
les
sous-entendus,
idéologèmes ;
en
l’implicite,
somme
tout
les
ce
présupposés,
qui
peut
les
permettre
de
répondre, outre aux questions de forme ou de contexte, mais
aussi aux questions que l’on se pose sur les attentes du
lecteur ;
les
lieux
d’indétermination
du
texte ;
son
atmosphère. Les structures inconscientes et idéologiques du
texte invitent finalement le lecteur « à légitimer, c'est-àdire
à
comprendre
et
à
admettre,
une
certaine
vision
du
monde. »278
Le sens est donc repérable dans le texte à partir de
multiples
faisceaux
d’éléments
disposés
d’une
manière
aléatoire ; « une disposition des niveaux comme des cercles
concentriques
serait
plus
proche
de
l’enchâssement
des
instances et de la réalité des échanges. Chaque niveau est en
effet contenu et englobé par le suivant, le passage de l’un à
l’autre s’effectue comme une suite d’ondes de choc qui nous
éloigne de plus en plus de l’identité et de la matérialité
textuelle. »279
9.4- Les codes de la dramaturgie africaine :
Comme
nous
l’avons
souvent
relevé
au
cours
de
ce
travail, la dramaturgie ; l’écriture, la structure narrative
et
la
mise
en
scène
des
textes
de
théâtre
en
Afrique,
obéissent à un certain nombre de codes et de conventions qui
permettent de le spécifier. Mais comme pour tous les espaces
et milieux de création, il est peu aisé d’établir ici, de
manière
figée,
pouvons-nous
277
278
279
une
typologie
des
retenir
qu’il
existe
- Op. Cit. p. 23.
- Id. p. 24.
- Id. p .28.
403
codes.
des
Tout
codes
au
ou
plus,
des
conventions observables à travers les choix de la mise en
scène ; à travers également les contenus et les signifiés
discursifs,
que
ces
codes
et
conventions,
peuvent
être
explicites lorsqu’elles sont d’ordre générique et esthétique
par
exemple ;
ou
implicites,
lorsqu’elles
concernent
l’idéologie ou les affectes. Certaines données invariantes,
décelables
dans
chaque
texte
peuvent
à
cet
effet,
être
perçues comme conventionnelles dès lors qu’elles permettent
de distinguer la comédie du drame ; le drame de la tragédie,
distinction qui tient autant de la forme et de la structure
narrative que de la forme et de la structure de mise en
scène.
En
dramaturgie
africaine
comme
partout
ailleurs,
il
serait plus juste, comme l’observe fort justement PAVIS, « de
parler de processus d’instauration de code par l’interprète,
car
c’est
bien
le
récepteur
qui,
en
tant
qu’herméneute,
décide de lire tel aspect de la représentation selon tel code
librement choisi. Le code ainsi conçu, est plus une méthode
d’analyse qu’une propriété figée de l’objet analysé. »280
La dramaturgie africaine obéit ainsi à la conception de
TAINE qui veut que, le théâtre, à l’instar des autres faits
humains, repose sur les facteurs de constructions historiques
et contextuels figurés par la race, le milieu et le moment ;
données fondamentales, nécessaire à toute approche, à toute
analyse du texte de théâtre. Ainsi, les problèmes relatifs à
la dot, au statut social de la femme ; les questions de
respect de l’éthique sociale et de la dignité humaine ; les
questions
de
affirmation,
liberté,
etc.,
posés
de
justice
par
les
sociale
textes
de
et
d’auto-
OYONO
MBIA,
d’OWONDO, de NYONDA, ou encore par les textes de Tchicaya U
TAM’SI, de MENDO ZE, ou bien par les textes de LABOU TANSI,
peuvent-ils
être
considérés
comme
280
de
l’ordre
du
contexte
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre Paris, Armand Colin, 2006,
p. 320.
404
sociologique, politique et historique. Mais ils sont aussi
d’une
certaine
manière,
définitoires
conventionnalisme,
du
vocation
inscription
et
cultuelle
d’une
affectée
à
fait
la
qu’ils
d’un
rendent
compte
fondamentalement
création
certain
théâtrale
d’une
sociale
en
et
milieux
africains. Le théâtre apparaît alors comme la conscience de
la vie.
9.4.1-
La
représentation
comme
contrat
de
communication ; de la narrativité dans le texte dramatique :
La situation d’énonciation et l’inscription sociale du
théâtre africain projettent d’emblé celui-ci dans la position
de système communicant.
En effet, ainsi que nous l’avons déjà énoncé, les arts
de la scène ont vocation à s’exprimer pour faire part d’une
certaine
vision
du
monde,
et
pour
amener
leur
public
à
prendre partie pour, ou contre cette vision du monde.
L’échange,
s’il
n’est
pas
toujours
immédiat ;
en
situation et conventionnel, entre l’auteur ; émetteur, et le
public récepteur, est pourtant ce qui motive le dramaturge.
La communication au théâtre se différencierait de toutes les
autres formes de discours par le fait qu’elle est considérée
à ce niveau comme indirecte, du fait qu’elle passe par la
médiation de la scène et des acteurs.
Si
les
protagonistes
de
la
pièce
occupent
le
même
plan d’énonciation ; le premier plan, l’auteur et le public
se situent quant à eux sur le second niveau de communication.
Car en réalité, c’est au public que le « message » de la
pièce
est
destiné.
C’est
le
public
qui
est
avant
tout
sollicité, autant par l’attention qu’il porte à la pièce, que
par les incidences éventuelles ; l’accueil (favorable ou non)
que celle-ci pourrait rencontrer.
405
En prenant en charge la mise en représentation d’une
histoire de la société ; en délégant en quelque sorte le rôle
d’ « émetteur » tant au personnage qu’au dramaturge, ou au
metteur
en
scène,
à
travers
la
présence
du
paratexte
(présence des didascalies essentiellement) ; en délégant à
ces
différentes
incluant
au
instances
système
référentiel
lié
à
la
de
fonction
la
la
énonciative
signification
compétence
un
et
en
système
encyclopédique
de
l’auditoire, l’univers dramatique africain s’organise et se
structure
de
ce
fait
en
un
univers
d’échange,
donc
de
communication. La représentation est alors un langage où les
personnages, et tous les autres éléments participant de la
dramaturgie
d’échange
concourent
à
la
communicationnel.
mise
en
Son
but
œuvre
d’une
réside
action
dans
la
signification du texte ; dans la structuration d’un système
appelé
à
rendre
lisible
un
contenu
implicite
doté
de
signification. Et si, comme l’observe Patrice PAVIS, « la
communication
est
conçue
comme
un
moyen
utilisé
pour
influencer autrui et reconnu comme tel par celui qu’on veut
influencer,
la
nécessaire »281
on
réciprocité
peut
dire
de
dès
l’échange
lors,
sans
n’est
risque
plus
de
se
tromper, que le théâtre africain s’inscrit dans une logique
de transmission d’idées ; d’échange et de communication, car
son objectif est aussi d’influencer son auditoire. Le Roi
Mouanga de Vincent de Paul NYONDA présente fort à propos ce
désir de communiquer, à travers l’usage qu’il fait de la
sentence, dans une optique clairement déterminée, qui est
celle d’édifier le public, à travers le personnage de son
fils.282 La visée éducative du texte dramatique africain est
sans doute ce qui fonde le plus cette activité ; on va au
théâtre d’abord pour apprendre quelque chose, mais on espère
281
- PAVIS
Colin, 2002,
282
- NYONDA
Gabon, 1988,
Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Editions Armand
p. 61.
Vincent de Paul : Le roi Mouanga ; Libreville, Multipressp.58 à 60.
406
aussi que le théâtre, reconnu comme une école de la vie, soit
aussi
une
forme
de
chant
galvanisant
qui
va
conduire
le
public à l’action. Le changement de certaines habitudes, de
certains usages a pu être observé chez certaines populations
après une représentation. Et dans le cadre de la médiation
social,
le
théâtre
s’avère
donc
un
moyen
efficace
de
communication.
En faisant voir la fable à partir de la successivité
des actions, des images et des événements, le théâtre en
général procède à cette occasion, à un acte narratif.
Par
la
présence,
la
valeur,
et
l’importance
du
paratexte et des didascalies d’un côté, et par cet horizon
d’attente qui sous-tend toute création artistique d’un autre,
nous
pensons,
dramatique
pour
est
non
notre
part
seulement
qu’en
Afrique,
narratif,
mais
le
il
langage
est
aussi
communication, dans la mesure où il participe de l’échange
entre l’auteur et le public ; à la construction des idées de
l’auditoire, et, au sens où il postule, dans la majorité des
cas une société renouvelée, à replacer l’Homme au centre de
ses
préoccupations,
à
en
faire
non
plus
l’objet
de
l’Histoire, mais son sujet.
Mais plus explicitement, le théâtre africain se pose en
espace
de
dialogue
entre
le
public
et
la
scène,
par
un
système direct d’interpellation des acteurs vers la salle, où
le public est parfois sollicité, soit pour donner la réplique
à un acteur, soit pour donner son avis sur une situation, sur
un acte précis.
D’une manière générale, la réception faite à la pièce ;
son accueil (heureux ou négatif); l’interprétation donnée à
la
pièce
au
vu
des
codes
esthétiques,
psychologiques
et
idéologiques de la réception, et plus accessoirement, à la
perception de la thèse de l’auteur, fondent ce qui, à un
certain niveau, peut hisser la pièce de théâtre au niveau
d’un système de communication.
407
Ayant énoncé ce qui, de notre point de vue, peut être
perçu
comme
une
forme
de
communication
dans
le
discours
théâtral, que pouvons-nous dire de la narrativité du texte
dramatique ; ou plus précisément qu’est-ce qui, dans le texte
de théâtre, constitue l’élément narratif ; à quel moment y at-il récit dans le texte dramatique ? Mais avant de répondre
à la question concernant ce que Matthijs ENGELBERTS désigne
comme le « récit scénique »283, nous voulons d’abord définir
ce que c’est que le récit.
Le
récit
peut
fondamentales ayant
se
trait
définir
aux
à
partir
significations
de
notions
thématique
et
technique, auxquelles il faut ajouter la signification de
l’adjectif
« narratif »,
où
les
caractéristiques
modales
constituent l’élément clé de cette définition. Il s’agit en
effet
de
déterminer
racontées
dans
un
comme
temps
récit,
donné,
l’ensemble
par
un
des
actions
personnage ;
un
narrateur. Le récit peut être long ou bref, mais ce qui le
détermine se situe au-delà de sa longueur ; de son intensité.
Pour définir le récit, Gérard GENETTE note que celui-ci
recouvre trois notions distinctes.
Dans
un
premier
temps,
« le
récit
désigne
l’énoncé
narratif, le discours oral ou écrit qui assume la relation
d’un événement ou d’une série d’événements »284. Dans cette
première acception du terme récit, c’est l’aspect formel ; le
contenant,
qui
semble
présider
à
la
détermination
de
la
signification de la notion de récit.
En
second
lieu,
le
terme
récit
renvoie
encore
pour
GENETTE, à « la succession d’événements, réels ou fictifs,
qui font l’objet de ce discours, et leurs diverses relations
d’enchaînement,
d’opposition,
de
283
répétition,
etc. »285
Dans
- ENGELBERTS Matthijs : Défis du récit scénique. Formes et enjeux du
mode narratif dans le théâtre de Beckett et Duras, Genève, Librairie
Droz, 2001.
284
- GENETTE Gérard : Figure III ; Paris, Editions du Seuil, 1972, p.71.
285
- Id.
408
cette définition la notion de récit se rapporte à la notion
de contenu ; de signifié énonciatif.
Le troisième sens enfin donné à la notion de récit par
GENETTE est celui d’événement, « non plus toutefois celui que
l’on raconte, mais celui qui consiste en ce que quelqu’un
raconte quelque chose : l’acte de narrer en lui-même. »286 Le
récit peut être perçu comme le processus de relation des
événements ; de description des actions et des lieux dans
lesquels se sont déroulés ces événements.
Tel que l’on peut l’observer et le décrire dans notre
corpus, la notion de récit se restreint à celle d’événement ;
de processus d’énonciation, et à celle d’événements relatés.
Il est en effet moins évident de retrouver dans la production
dramatique
d’Afrique
Centrale,
cette
forme
particulière
expérimentée par BECKETT et DURAS, qui consiste en un texte
dramatique intégralement donné sous le mode narratif.
Il y a cependant dans certains textes de notre corpus,
des
passages
plus
ou
moins
importants,
où
des
séquences
narratives sont prises en charge par quelque personnage ; il
en est ainsi du récit de Shaba, dans Le coup de vieux, qui
raconte le massacre de ses camarades lors d’une manifestation
d’étudiants : « Ce grand soudanais qui ouvrit le ventre de
mon copain Bayene Kene, sortit le foie et les flanqua au
tableau noir. Et les camarades morts et vivants criaient :
« Viva youniversita ! Viva youniversita ! » Je me souviens ;
nous
sortions
donnait
une
de
l’amphithéâtre
conférence
sur
où
le
mon
collègue
visage
indien
culturel
des
Caraïbes. »287 Tous les indices sont réunis pour confirmer le
caractère narratif de ce passage. Nous avons en effet un
narrateur en la personne de Shaba, qui prend en charge le
récit ;
grand
la
narration
soudanais »,
d’événements :
d’étudiants,
286
le
alors
massacre
que
ces
par
« un
derniers
- GENETTE Gérard: Figure III, Paris, Editions du Seuil, 1972, p. 71.
- KAYA-MAKELE et LABOU TANSI Sony: Le coup de vieux ; Paris, Présence
Africaine, 1988, p. 32.
287
409
suivaient un cours sur « le visage culturel des caraïbes ».
La fonction de narrateur dans un récit appelle un corollaire
immédiat ; le narrataire ; celui qui reçoit le récit fait par
le narrateur. Dans le cas présent, le récit est destiné à
Esperancio, nouvellement arrivée dans une famille minée par
la violence et le désespoir.
Le deuxième indice faisant de cet extrait un récit, est
qu’il est donné au passé simple ; les prétérites « ouvrit »,
« sortit »
et
« flanqua » ;
l’imparfait
de
« criaient »
atteste du caractère achevé de ces actions. L’autre indice
fondamental qui définit ce passage en tant que récit est
qu’il est donné à la troisième personne du singulier. En
effet, le déictique « ce », en début de récit signale la
distance marquée entre le narrateur et les événements qu’il
rapporte, et dont il n’est pas acteur, mais juste un témoin ;
un
observateur.
Au
contraire,
à
travers
la
position
syntaxique des autres déictiques, tels que « je », dans le
segment
de
phrase
me
« Je
« nous » ; dans « nous sortions »
narrateur
comme
personnage
à
souviens » ;
c’est
la
présence
l’intérieur
du
récit.
de
du
Il
participe aux événements qu’il rapporte ; il peut en attester
la véracité car il en a été un témoin oculaire.
D’autres paramètres permettent de déterminer la nature
narrative d’un texte ; ceci ne constituant pas le fond de
notre propos, nous nous sommes bornée à signaler les traits
les plus pertinents de définition de la notion de récit.
D’autres
textes
de
notre
corpus
présentent
des
situations de narrativité ; c’est le cas des textes de MENDO
ZE, où le personnage de Ndondoo, dans Le retraité288, ou dans
La
forêt
illuminée,
ou
encore
dans
Boule
de
chagrin289,
illustre et étoffe son histoire par des récits enchâssés au
288
- MENDO ZE Gervais : Le retraité in Jinette et Japhet ; Paris,
Editions ABC, 1991.
289
- MENDO ZE Gervais : La forêt illuminée suivie de Boule de chagrin ;
Paris, Editions ABC, 1988.
410
cœur
des
intrigues
dramatique
des
Ce
narrateur
structures
appartient
énonciatives
dans
à
l’univers
lesquelles
il
apparaît comme personnage protagoniste. Il prend en charge
des récits d’événements, en l’occurrence des contes où des
légendes dans le but d’illustrer la situation en énonciation
dans la pièce. Nous avons, à ce moment précis où Ndondoo
déploie son récit, une situation construite en abyme, dans
une structure énonciative première : l’action dramatique. Les
récits de Ndondoo sont des récits secondaires au cœur de la
relation dramatique des événements du Retraité d’une part, et
celle de La forêt illuminée, ou dans la trame dramatique de
Boule de chagrin d’autre part.
Dans la majorité des cas, la séquence narrative que
Jean-Michel ADAM identifie comme monologue narratif théâtral
dans le texte théâtral est régit, selon lui, par trois lois :
-
Loi
fréquence
d’économie :
et
la
durée
elle
des
contrôle
récits.
essentiellement
Dans
la
mesure
où
la
il
postule une distanciation du temps narré et du temps de la
narration,
le
récit
monologue
narratif
perturbe
de
Shaba
l’homogénéité
crée
textuelle.
ainsi
une
Le
rupture
stylistique par son insertion dans la structure externe de la
pièce. L’hétérogénéité de celle-ci est cependant maintenue
car
le
peuvent
monologue
narratif
être
en
mis
rapporte
action
des
(conformité
événements
avec
la
qui
ne
règle
de
bienséance)290.
-
Loi
exigences
limites
d’information :
référentielles ;
imposées
par
elle
« le
les
290
est
récit
déterminée
doit
« unités »,
par
des
raison
des
apporter
de
en
- La contrainte de bienséance ne peut cependant être retenue ici, car
le jeune théâtre africain, comme le théâtre de la cruauté d’un ARTAUD,
opte pour la mise en acte de toute scène, même les plus cruelles. Pour
ARTAUD en effet, « le théâtre comme la peste est une crise qui se guérit
par la mort ou par la guérison ». Il mettra « en jeu aussi bien l’acteur,
qui ne participe pas à un simulacre, mais à un véritable sacrifice, que
le spectateur, dont il faut ébranler les nerfs et la sensibilité jusqu’à
le jeter « dans des transes magiques.» » Cf. DAVID Martine, Le théâtre,
Paris, Belin, 1995, p.293.
411
l’information
sur
des
faits
inconnus ;
il
doit
aussi
(…)
fournir des informations sur les caractères des personnages
eux-mêmes. L’information porte soit sur les absents dont il
est
question
dans
le
narrateur-récitant
récit,
lui-même
soit
et/ou
sur
son
les
présents :
auditeur. »291
le
Aussi
bref soit-il, le récit de Shaba permet de saisir la situation
antérieure à l’action en cours.
-
La
loi
de
motivation : la
loi
de
la
motivation
« souligne surtout la nécessité pour le récit de susciter,
au-delà
d’un
simple
apport
d’information,
une
véritable
émotion. »292
D’une manière générale, le monologue narratif théâtral
permet de mettre en évidence les motivations psychologiques
et affectives du récit vis-à-vis du récepteur. La réaction
d’Esperancio, qui manifeste envers Shaba autant compassion
qu’indulgence traduit bien la compétence de narrateur de ce
dernier, ainsi que la performance attendue de toute narration
théâtrale.
En
pragmatiques,
plus
les
d’être
lois
définissable
d’économie,
celle
comme
des
lois
d’information
et
celle de motivation peuvent se définir également comme des
objectifs visés par le récit, ou monologue narratif théâtral.
9.4.2- Actes de paroles et performance ; réalisme ou
transparence du discours dramatique africain :
La particularité de l’écriture dramatique est de donner
le langage comme un moment de l’action ; l’action théâtrale
est une action parlée. L’action théâtrale dépasse le cadre
limité
du
mouvement « ou
d’agitation
scénique
perceptible.
Elle se situe aussi, et pour la tragédie classique surtout, à
l’intérieur du personnage dans son évolution, ses décisions,
291
- ADAM Jean-Michel : Les textes : types et prototypes ; Paris, Armand
Colin, 2002, p.177.
292
- Ibid.
412
donc dans ses discours. D’où le terme d’action parlée. »293 La
parole théâtrale est un acte ; elle est « agissante et là,
plus qu’ailleurs, « dire c’est faire ». »294
En tant qu’action, la parole théâtrale symbolise et
représente le comportement humain. Citant SARTRES, PAVIS note
« que le langage humain est action, qu’il y a un langage
particulier au théâtre et que ce langage ne doit jamais être
descriptif (…) que le langage est un moment de l’action,
comme dans la vie et qu’il est fait uniquement pour donner
des ordres, défendre les choses, exposer sous la forme de
plaidoiries
les
sentiments
(donc
un
but
actif),
pour
convaincre ou pour défendre ou pour accuser, pour manifester
des décisions, pour des duels de paroles, des refus, des
aveux, etc., bref, toujours en acte ».295 La parole théâtrale
postule de ce fait une certaine pragmatique.
Cette perspective pragmatique rejoint en somme le point
de vue du réalisme affecté à l’écriture et à la création
dramatique
dialogue
africaine ;
et
l’événement
performatives
l’implicite
car « la
de
et
la
comme
un
pragmatique
scénique
jeu
conversation,
comme
sur
bref,
les
envisage
des
actions
présupposés
comme
une
le
et
manière
d’agir sur le monde par la parole. »296 C’est parce que le
discours théâtral africain cherche avant tout, à produire de
l’action auprès du public qu’il est acte de communication ;
acte performatif appelant « à dégager un champ d’énergies et
d’intensité, une vibration et un ébranlement physique »297, à
recréer « une culture en action (…) un nouvel organe, une
sorte de souffle second »298.
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002,
p.11.
294
- Id.
295
- SARTRES Jean Paul : Un théâtre de situations, Paris, Gallimard,
1973, p. 133-134 ; cité par PAVIS Patrice in Dictionnaire du théâtre,
Paris Armand Colin, 2006, p.11.
296
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2006,
p. 11.
297
- Id.
298
- Id., p.11-12.
293
413
De
ce
fait,
la
parole
de
Mallot
Bayenda
de
Je,
soussigné cardiaque est-elle force agissante par le refus de
s’aliéner à la médiocrité et à la dictature du Lébango. Toute
la pragmaticalité de son discours ; la performabilité de son
langage se résume dans le choix des verbes, et dans leur
contextualité,
mais
‘’je’’ :
casse
« Je
surtout
le
dans
néant ;
le
je
choix
refuse
du
déictique
d’exister
sur
commande. J’ai voulu, je veux. L’homme n’a jamais eu lieu, je
l’invente.
J’exige
une
viande
métaphysique.
Je
suis,
je
reste, je meurs debout. J’ai escaladé toute chose jusqu’à
moi. (…) J’annule le mal et le bien d’un petit geste du
pouce. Là ! Je renverse le ciel à coup de pied. (…) J’écrase
la merde (…). »299 Le discours de Mallot se traduit comme un
langage en action, mais il est surtout donné par le contexte
sociologique comme un appel à l’action. Même si le discours
de Mallot, comme tout discours théâtral, est dirigé vers un
protagoniste immédiat, il y a cependant dans son contenu, un
destinataire autre que les autres personnages. Le discours de
Mallot
est
destiné
surtout
au
public,
car
c’est
de
leur
condition aussi qu’il est question. Le personnage agit ici
comme harangueur ; celui qui veut amener le peuple à agir.
Réaliste
à
plus
d’un
titre,
l’écriture
dramatique
d’Afrique Centrale essaye de donner à voir une tranche de
vie, car en postulant une écriture réaliste, ce théâtre porte
un message essentiel ; « celui de l’authentification de tout
le reste », car comme l’affirme Roland BARTHES, « Le réalisme
(…)
n’est
pas
seulement
un
discours
aussi
particulier
et
aussi réglé que les autres ; l’une des règles a un statut
bien singulier : elle a pour effet de dissimuler toute règle
et de nous donner l’impression que le discours est en luimême parfaitement transparent, autant dire inexistant, et que
nous avons affaire à du vécu brut, à une « tranche de vie ».
299
- LABOU TANSI Sony : Je, soussigné cardiaque, in La parenthèse de
sang ; Paris, Hatier, 1981, p.80, puis p. 81.
414
Le réalisme est un type de discours qui voudrait se faire
passer pour un autre ; un discours dont l’être et le paraître
pas.
D’où,
toujours
littérature
explicite
deux
réaliste,
(un
transmettre
selon
discours
le
réel),
séries
qu’on
sans
ou
de
décrit
règle
son
définitions
qui
son
se
fonctionnement
de
la
intention
contente
de
effectif
(un
discours fondé sur la particularisation et la cohérence, qui
n’a donc de réaliste que le nom). »300 Dans ce contexte, la
production
dramatique
d’Afrique
Centrale
semble
bien
se
développer comme une écriture de la réalité ; celle qui dit à
son public : « Voici ce que tu es », tout en l’invitant à se
prendre en charge ; à opérer cette nécessaire mutation qui
doit conduire la société tout entière vers un mieux-être. Le
réalisme
s’applique
donc,
autant
à
l’histoire
qu’au
personnage représenté.
Parlant du réalisme du personnage de roman, Léo BERSANI
observe que « Dans la littérature réaliste, les comportements
sont
l’expression
personnages.
continuelle
Des
transmettent,
incidents,
avec
personnalité ;
sorte
la
psychologie
apparemment
économie,
de
de
des
images
que
le
des
fortuits,
nous
concernant
leur
monde
s’accorde,
structuralement au moins, avec le personnage de roman, en ce
qu’il propose constamment à notre intelligence des objets et
des événements qui contiennent des désirs humains et leur
confèrent une forme intelligible. »301
Selon
les
différentes
positions
prises
par
les
analystes de la littérature, le discours réaliste développe
soit
une
position
intention
prise
par
explicite,
une
ce
large
qui
est
majorité
généralement
des
la
écrivains
dramatiques africains ; soit une intention affective, fondée
sur la particularisation et la cohérence du mouvement plutôt
300
- BARTHES Roland et alii : Littérature et réalité Paris, Editions du
Seuil ; p. 9.
301
- BERSANI Léo in BARTHES et alii : Littérature et réalité ; Paris,
Seuil, Collection Points Essais, 1982, p.49.
415
observé
chez
les
dramaturges
de
la
génération
de
OWONDO, de Sony LABOU TANSI ou de Tchicaya U TAM’SI.
416
Laurent
CHAPITRE X : POUR UNE SEMIOLOGIE DU THEATRE AFRICAIN.
Ce chapitre, bien que constituant l’ultime étape de
notre réflexion sur les interactions entre le théâtre et la
société
en
Afrique
signification
du
sociale,
peut
ne
Centrale ;
discours
de
la
théâtrale
signifier
portée
dans
et
de
la
son
inscription
ou
la
l’épuisement
clôture
définitive du sujet. Maints aspects de ce thème demeurent
certainement,
qui
peuvent
à
leur
tour
donner
lieu
à
des
approches diverses et variées. Nous avons donc voulu, avant
d’arrêter notre propos, explorer l’art dramatique de quelques
auteurs d’Afrique Centrale à travers une sémiologie du texte.
Dans un travail où le maître mot est la recherche de la
signification
à
travers
les
formes
et
les
contenus
discursifs, la médiation des réseaux d’analyse sémiologiques
(ou sémiotiques) nous a semblée dotée de véritables atouts,
car
la
pertinence
souligne
Denis
les
discursive ;
ces
BERTRAND
littéraire, dans
envisagent
de
ce
que
approches
dans
Précis
« Sémiologie
et
signifiants
dans
phénomènes
mais
son
réside,
surtout,
au-delà
de
ainsi
de
que
sémiotique
sémiotique
la
leur
le
(…)
globalité
seule
langue
naturelle, elles considèrent la signification comme un objet
propre, transversal aux différents langages qui lui donnent
forme et en assurent l’efficience. »302 C’est que le théâtre,
comme art pluridisciplinaire, se manifeste et s’exprime à
travers une diversité de langages aussi bien verbalisés que
non verbalisés.
La question de la validité d’une lecture sémiologique
ou sémiotique se trouve pour nous ainsi justifiée, car on
peut
considérer
que
l’une
et
l’autre
de
ces
approches,
envisagent la signification dans sa globalité ; au-delà des
302
- BERTRAND Denis : Précis de sémiotique littéraire ; Paris, Nathan
Université, 2000. P. 7.
417
langages
à
travers
lesquelles
elle
se
manifeste.
La
signification au théâtre vient de la co-implication au cœur
de
son
système,
de
plusieurs
autres
systèmes
de
signification.
Ainsi données, il revient à répondre à la question de
savoir dans quelle mesure les interactions entre les formes
et
les
compte
contenus
de
discursifs
leurs
contenus
peuvent-ils
sociaux.
En
signifier ;
d’autres
rendre
termes,
il
s’agit de savoir dans quelle mesure la typologie du langage
dramatique africain peut-elle être définitoire du milieu de
production de celui-ci ; ou encore en quoi les formes et les
contenus du discours théâtral d’Afrique Centrale peuvent-ils
donner à lire, à voir sa cette société ?
Pour
sémiotique
mieux
appréhender
qui
sous-tend
préalable
rappeler
approches
qui,
bien
les
que
la
démarche
notre
étude,
domaines
de
distinctes
sémiologique
nous
voulons
compétence
n’en
sont
de
pas
et
au
ces
moins
proches, par le fait qu’elles s’intéressent toutes deux à la
question globale de la signification.
De la sémiologie ; Denis BERTRAND la donne, telle que
définie d’un côté par Ferdinand de SAUSSURE comme « science
qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale », et
de l’autre par Le Petit Robert comme la « science étudiant
les
systèmes
de
signes
(langues,
codes,
signalisations,
etc.) » BERTRAND souligne encore que « le signe-objet de la
sémiologie
comprend
donc
les
différents
langages
qui
lui
donnent forme d’expression : langages verbaux (oral, écrit)
non verbaux (visuel, plastique, gestuel, musical, etc.) ou
« syncrétiques »
(combinant
plusieurs
langages
comme
le
théâtre par exemple). La sémiologie (ou sémiotique) postule
l’unicité du phénomène de la signification, quels que soient
les langages qui l’expriment et la manifestent. »303
303
- BERTRAND Denis : Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan HER,
2000, p. 7 et 8.
418
Après
avoir
américaine ;
énoncé
basée
sur
la
particularité
l’œuvre
du
des
approches
et
philosophe
logicien
Charles Sanders PEIRCE (qui est une sémiotique logique et
cognitive,
détachée
de
tout
ancrage
dans
les
formes
langagières), et européenne (enracinée dans la théorie du
langage et (qui) affiche par là sa filiation avec SAUSSURE,
ses postulats structuraux et sa conception de la langue comme
institution
sociale »304,
Denis
BERTRAND
se
détermine
pour
cette seconde approche de la sémiotique. C’est de notre point
de vue, cette seconde vision de la sémiotique, donnant le
langage comme valeur sociale et institutionnelle qui paraît
mieux s’accorder avec la conception africaine de la notion de
langage.
langage
Dans
est
les
en
sociétés
effet
performatif, valeurs
traditionnelles
institution
déterminées
par
africaines,
mais
aussi
son
usage
le
instrument
codifié
et
contextuel ; la parole a force d’acte, elle noue et dénoue
des faits ou des destins ; elle illustre et explique des
situations, la parole sert à édifier la société. Ce sont ces
valeurs que nous retrouvons notamment à travers les formules
incantatoires de bénédiction ou de malédiction ; dans les
proverbes, les dictons, les contes, les fables, etc. C’est
pour cet esprit fonctionnel que nous avons voulu questionner
le
(ou
les
langages)
dramatique(s)
africain(s)
afin
d’y
cerner le phénomène de la signification.
10.1 – De la sémiologie du texte dramatique africain :
Envisager une sémiologie ou une sémiotique du texte de
théâtre de façon générale (les deux termes, ainsi que nous le
voyons notamment chez Denis BERTRAND, renvoyant de manière
guère différenciée, à la définition greimassienne de cette
méthodologie,
304
dans
« un
programme
- BERTRAND Denis ; Op. Cit. p. 8.
419
qui
associe
étroitement
(les)
deux
dimensions :
celle
du
système
et
celle
du
procès »), c’est essayer de saisir la valeur des systèmes de
signes ; des langages de la création dramatique, mais aussi
la nature des formes de discours et leur inscription dans
l’œuvre dramatique, et plus largement dans l’œuvre dramatique
vue
comme
média
dans
le
cadre
de
l’échange
ou
de
la
communication sociale.
D’un
autre
point
de
vue,
on
note
que
le
langage
dramatique s’appuie aussi sur la valeur des symboles et des
signes
dans
leur
capacité
à
reproduire
le
sens.
Leur
caractère motivé ou arbitraire sera toujours définit par le
cadre
de
la
conventionalité,
elle-même
définie
par
le
contexte sociologique de la naissance du texte.
Dans le théâtre d’Afrique Centrale, plusieurs éléments
sont
constitutifs
des
contenus
que
nous
désignons
comme
sémiologiques. Ces éléments vont des catégories plus ou moins
concrètes
comme
stéréotypés),
musique
ou
la
les
dans
notion
de
sonorités
le
rôle
(cas
(hauteur
chant ;
les
des
personnages
mélodique)
expressions
dans
la
corporelles,
l’intensité de la voix ; ses inflexions, et son débit, la
symbolique des masques ou de la statuaire, etc. ; ou encore à
des choses plus abstraites comme le code des couleurs.
Pour une meilleure approche de la sémiologie du texte
de
théâtre
pencher
d’Afrique
d’abord
sur
Centrale,
les
il
formes
théâtre.
420
est
nécessaire
caractéristiques
de
se
de
ce
10.1.1 – Des formes:
De manière générale, le théâtre africain se caractérise
par
une
diversité
de
formes,
elles-mêmes
définies
par
la
diversité des contenus dont elles rendent compte.
Ainsi, en parlant des formes du théâtre africain, nous
voyons essentiellement deux sphères de classifications qui
donnent un aperçu des contextes et des modes de création de
ces
différentes
premier
temps,
formes
le
théâtrales.
théâtre
dit
On
rituel,
a
ainsi,
qui
dans
dramatise
un
les
différents rites d’insertion social. En second lieu, on peut
parler
des
formes
modernes
d’inspiration
occidentale,
à
l’intérieur desquelles l’on peut distinguer des sous-groupes,
dont
le
théâtre
forum
et
le
télé-théâtre
constituent
les
formes les plus marquantes.
A- Le théâtre traditionnel :
Dans
le
premier
groupe,
on
peut
parler
du
théâtre
traditionnel, d’inspiration religieuse ou cultuelle ; celui
qui
fonde
son
coutumiers.
discours
C’est
globalement
au
sein
un
sur
les
théâtre
des
usages
et
rituel,
sociétés
les
qui
rites
s’élabore
initiatiques.
Dans
son
essence première, le théâtre rituel est le fait de quelques
individus
dont
les
rôles
sont
plus
de
l’ordre
de
l’anthropologie. Il s’agit pour ces rituels théâtralisés, de
procéder à la transmission d’un enseignement ; d’un savoir
sacré,
dont
seuls
quelques
membres
du
groupe
sont
dépositaires. Ils sont les seuls à pouvoir en assumer la
transmission au cours des rites de passage.
Si certains aspects de ce théâtre peuvent être réalisés
devant un public de profanes, d’autres, par contre, du fait
de certains contenus à cause du caractère ésotérique qu’ils
421
peuvent véhiculer, restent le fait uniquement des initiés et
des impétrants.
B - Le théâtre forum et les formes audiophoniques et
télévisuelles (télé-théâtre) :
Le théâtre forum est sans doute la forme d’expression
théâtrale
Ainsi
la
que
plus
le
répandue
décrit
en
Prosper
Afrique
KOMPAORE
Noire
de
francophone.
l’université
de
Ouagadougou au BURKINA FASO, il est d’intervention social :
« Le théâtre forum repose sur un principe fondamental qui est
la non-dichotomie entre acteur/spectateur. En outre il part
du postulat que le spectateur peut jouer au théâtre et que,
ce faisant, il peut rendre compte des états de son cœur et de
sa raison et qu’enfin ce jeu met en branle une volonté de
libération et de rupture de l’oppression manifestée. »305
A
côté
du
théâtre
forum,
il
existe
une
autre
dramaturgie qui a su exploiter le contexte et les moyens
modernes
de
la
radiodiffusion
et
de
la
télévision.
C’est
cette dramaturgie qui consiste en une caricature prononcée
des mœurs ou des types de caractères. Sa particularité est
d’emprunter les canaux de la télévision, de la radio ou de la
vidéo
pour
investir
aussi
bien
les
foyers,
les
espaces
publics de spectacles, que des espaces aussi singuliers et
particulièrement réduits tel que l’habitacle d’une voiture,
etc., par le biais de lecteurs de cassettes audio. Point
n’est plus besoin se rendre dans une salle communautaire pour
apprécier les prestations d’un Jean Miché KANKAN, ou d’un
DIBAKOU, pour ne citer que ceux-là.
305
- KOMPAORE Prosper : Le théâtre d’intervention sociale en Afrique.
Expérience de la Troupe « Atelier-Théâtre Burkinabè » au Burkina Faso ;
in THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Paris, Editions Silex, 1990, p.
151.
422
C - Techniques d’énonciation :
Dans
le
domaine
de
l’énonciation,
la
dramaturgie
africaine tend souvent à faire correspondre l’écriture à la
réalité sociologique. C’est ainsi que plusieurs niveaux ou
registres de langue se rencontrent au sein de la production.
On y trouve en effet des textes dont la recherche en matière
de poétique de la langue constitue un élément fondamental ;
c’est le cas notamment chez Sony LABOU TANSI, Tchicaya U
TAM’SI ou chez Laurent OWONDO. Chez ces auteurs, il y a un
véritable rapport entre la notion de théâtre au sens moderne,
et la valeur accordée aux questions formelles du texte par le
respect des codes graphologiques, notamment le découpage de
celui-ci en actes, scènes ou tableaux.
Il est à noter cependant que chez LABOU TANSI, les
codes
graphologiques
« délires
forme,
constituent
créatifs » ;
où
le
poète
des
laisse
parfois
espaces
libre
des
lieux
d’appropriation
cours
à
une
de
de
la
imagination
débordante de fantaisie, caractérisée par exemple par le non
respect des conventions de dénomination des scènes. Dans Qui
a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? , les scènes portent des
numéros d’ordre, mais elles portent également des titres dont
la relation avec le contenu n’est pas toujours clairement
établie
(exception
faite
des
scènes :
2,
titrée
« paysanne » ; et 24, dite « scène de marbre », qui, en 2,
mettent en scène des paysans, et en 24, se passent « au pays
des mort », car la symbolique du marbre évoque ici le marbre
des
tombes
et
monuments
funèbres ;
la
froideur
du
marbre
rappelant la froideur de la mort.)306. C’est ainsi que l’on a,
comme titres de scènes : 1. Scène porte cassée ; 2. Scène
paysanne ; 3. Scène parenthèse ; 4. Scène punique, etc. Il en
306
- LABOU TANSI Sony : Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ? , in
Théâtre I ; Paris, Editions Lansman, 1995, p.38 et 102.
423
est ainsi dans tous les textes qui constituent les volumes
Théâtre I et Théâtre II.
Concernant les personnages, soit ils sont classés par
groupes, et ces groupes portent des titres génériques comme
on peut le lire dans Qu’ils le disent, qu’elles le beuglent :
Les
personnages-clefs,
personnages
au
pain
les
personnages
et
perdu,
le
au
beurre,
personnage
à
les
l’eau
de
menthe, qui occupe seul cette classe. Le même procédé de
classification des personnages apparaît aussi dans Une vie en
arbre et chars… bonds, où les deux groupes de personnages
sont
désignés
comme :
Les
personnages
et
initiaux,
Personnages à clefs.
Sur le plan de l’expression et de la langue, on peut
observer une forme de transposition de la langue orale à
l’écrit. On peut dire que les choix du type, ou de la nature
(niveau) de la langue constituent un choix motivé par les
besoins
de
l’auteur
vraisemblable,
production,
le
la
à
rendre
contenu
thématique,
de
plus
sa
et
réaliste ;
pièce.
d’une
Le
plus
contexte
certaine
de
manière
l’idéologie de la pièce obéissent de façon essentielle à des
codes
sociologiques
et
culturelles.
C’est
que
le
théâtre
africain ancrera toujours son discours dans le système de
l’oralité,
elle-même
régit
par
un
ensemble
de
lois
et
contraintes éthiques et esthétiques. Tant que le personnage
demeure dans le contexte identitaire de sa culture, les codes
correspondront globalement à ce milieu. C’est le croisement
des
identités
et
des
systèmes
qui
produira
l’effet
de
décalage que l’on peut observer chez certains personnages,
notamment dans les pièces de NYONDA, où le croisement des
cultures donne naissance à un type particulier de langage.
Ainsi, les villageois de Trois prétendants, …un mari ;
les miliciens du Combat de Mbombi, ou encore les Anciens qui
se réunissent en conseil dans Deux albinos à la M’passa,
peuvent-il de ce fait s’exprimer dans une forme de langue
424
fort peu conventionnelle. Cet écart par rapport aux codes
normatifs n’est que le reflet, soit le fait, volontairement
mis en évidence par l’auteur, de l’ignorance par les paysans,
des règles de la syntaxe française, soit le fait de cette
transposition
de
l’oral
à
l’écrit,
caractéristique
de
l’esprit et du contexte du mode conversationnel dans lequel
se déroulent les échanges de paroles. Le choix de l’auteur
réside donc dans sa volonté à coller au plus près de ses
sources d’inspiration. Car, dans le contexte de la rencontre
des cultures par exemple, la maîtrise de la langue française
dans les milieux ruraux reste (encore aujourd’hui) le fait
d’une certaine minorité.
Parler de l’énonciation au théâtre, c’est donc aborder
des questions d’ordre esthétique, mais aussi des question de
l’ordre
de
l’organisation
formelle
de
la
pièce.
Dans
cet
ordre d’idées, les didascalies et l’ensemble du paratexte
peuvent constituer d’autres termes de l’analyse. A ce propos,
l’organisation formelle des textes semble n’avoir obéit à
aucune
règle
tragique,
précise,
drame,
la
etc.)
a
tonalité
parfois,
des
chez
pièces
(comique,
certains
auteurs,
orienté la division interne du texte. Ainsi chez Sony LABOU
TANSI, la division conventionnelle en actes et scènes ou en
tableaux
ne
constitue
pas
un
élément
régulier
et
conventionnel ordinairement admis dans la structure formelle
du texte. Cette division intègre l’esthétique particulière de
cet auteur. Il peut briser les codes et façonner celle-ci
selon son ressenti.
Au sein de notre corpus, les formes de l’énonciation
sont donc de plusieurs ordres. Il y a des formes que l’on
peut
désigner
comme
académiques,
et
que
la
critique
africaine, en matière de théâtre désigne comme appartenant au
théâtre universitaire, qui semble plus ou moins cadrer avec
les standards formels de l’écriture théâtral. C’est notamment
le
théâtre
d’OWONDO,
de
U
TAM’SI
425
ou
de
MENDO
ZE,
où
la
répartition scènes et tableaux rend compte d’une certaine
adhésion
au
conventionnalisme
scriptural,
formel
et
structurel lié au formes théâtrales « classiques ».
A côté de ce théâtre universitaire, il y a le théâtre
de Sony LABOU TANSI qui joue volontiers sur une énonciation
de la rupture ; rupture de construction entre l’énonciation
et
le
contenu
énonciatif ;
entre
le
signifié
et
le
signifiant.
Mais l’aspect le plus remarquable dans ce phénomène de
déconstruction, de rupture vis-à-vis de la norme et des codes
littéraires
reste
la
liberté
prise
par
l’auteur
dans
la
dénomination des séquences textuelles.
10.1.2
–
Des
contenus :
un
théâtre
d’intervention
sociale :
En terme de contenus, le théâtre d’Afrique Centrale se
donne
à
voire
à
partir
d’un
certain
nombre
de
facteurs
définitoires à travers lesquels il tire sa spécificité. Ce
sont des facteurs d’ordre thématique d’un côté ; et matériel
de l’autre.
Concernant les contenus thématiques, nous retiendrons
qu’ils
tournent
sociale,
alors
essentiellement
que
du
point
autour
de
vue
d’une
problématique
matériel,
le
théâtre
d’Afrique Centrale offre une diversité d’objets fonctionnels
qui, d’une certaine manière, participent à la caractérisation
de cet art.
A la question de savoir quel lien unit le théâtre et la
société,
nous
pouvons
essayer
d’y
répondre
en
partant
de
l’association fréquemment établie entre les arts de la scène
en
général,
formation
et
l’idée
communément
de
message,
affectée
à
d’information
l’œuvre
et
de
théâtrale
en
Afrique. Le théâtre étant presque toujours conçu comme un art
426
d’intervention sociale. Il y a, paradoxalement à ce que peut
penser PAVIS sur le message comme thèse307 au théâtre, en
Afrique, toujours un besoin de concevoir le théâtre comme un
média pour la transmission de certaines idées, de certains
messages.
Nous
en
voulons
pour
preuve,
les
multiples
créations qui portent autant sur la lutte contre les grandes
pandémies
de
nécessité
ces
de
derniers
la
temps ;
scolarisation
la
des
valorisation
jeunes
et
filles
la
dans
certaines sociétés, ce qui n’a pu parfois se faire que par la
médiation du théâtre.
En
effet,
le
théâtre
d’intervention
sociale
a
pour
objet de mettre en relief les phénomènes de société tels que
vécus
par
l’individu
ou
la
communauté.
Du
fait
de
son
caractère événementiel, ce théâtre va favoriser une forme de
cristallisation des énergies en vue de faire émerger sinon
des solutions, du moins des questions auxquelles le théâtre
social veut amener le public à répondre, en prenant le jeu
comme prétexte. A ce propos, KOMPAORE note le rôle catalyseur
du théâtre d’action sociale : « La représentation théâtrale,
du fait de son caractère d’événement de masse, favorise la
catalyse sociale.
Cette catalyse sociale est tributaire de la puissance
évocatrice des images théâtrales, et de la mise en œuvre des
phénomènes de dynamique de groupe. Il en résulte une sorte
d’emphase des émotions collectives : la joie, la douleur ou
la révolte individuelle sont surmultipliées par le nombre de
307
- PAVIS in Dictionnaire du théâtre ; aux Editions Armand Colin, 2002,
p.202, trouve « suspecte » la conception selon laquelle « le message de
l’œuvre ou de sa représentation serait ce que les créateurs sont censés
vouloir dire », et que « cette conception (…) implique que les créateurs
possèdent d’abord, avant leur travail dramaturgique et scénique, une
leçon à transmettre, et que le théâtre n’est qu’un moyen subalterne et
occasionnel pour cette transmission ». Il se trouve qu’en Afrique, c’est
justement l’un des rôles prioritairement assignés à l’activité théâtral.
Ceci fort clairement dans l’analyse faite par Prosper KOMPAORE au sujet
du théâtre burkinabè.
427
participants
et
se
transmuent
en
euphorie,
délire
ou
émeute. »308
Collectivement ou individuellement donc, le public est
appelé à prendre conscience des situations ou des phénomènes
qui peuvent entraver le bon fonctionnement de l’organisme
social
ou
communautaire,
et
ainsi
tenter
de
remédier
aux
défaillances observées. Car en Afrique, on ne peut dissocier
l’art de sa fonction sociale. Prosper KOMPAORE observe encore
fort justement à ce propos que : « Les véritables praticiens
du
théâtre
africain
savent
d’expérience
que
les
cultures
africaines ignorent la dichotomie artificielle entre l’art et
la fonction sociale.
Le
conteur,
non
seulement
dit
une
fable
de
manière
vivante, mais en même temps pointe du doigt les défauts de la
société
et
indique
les
voies
préconisées
par
l’éthique
sociale ou délivre des fragments de la connaissance de la
collectivité.
Le danseur, dans la majorité des cas non seulement se
livre à une exhibition artistique valorisant la force, la
grâce ou l’endurance, mais traduit dans bien des cas et de
manière imagée ou mimétique les actes essentiels de la vie du
groupe ou de son esthétique sur la vie : une prise de parole
médiatisée parle corps.
Certaines
représentations
sociales,
rituelles
ou
ludiques, sont de toute évidence des formes d’intervention
sociales théâtrales ou théâtralisées (…) ».309
Le conte, l’épopée, le chant la danse, la devinette
etc., toutes ces formes d’expression artistique participent ;
en
Afrique,
événements
et
de
l’intervention
les
vicissitudes
sociale.
de
la
En
énonçant
les
vie
sociale,
ces
différentes manifestations culturelles visent à sensibiliser
308
- KOMPAORE Prosper : Le théâtre d’intervention sociale en Afrique.
Expérience de la Troupe « Atelier-Théâtre Burkinabè » au Burkina Faso, in
THEATRE AFRICAIN, Théâtres africains ? Paris Editions Silex, 1990 ;
p.153.
309
- KOMPAORE Prosper ; Op. Cit. p. 150.
428
l’auditoire, à l’amener à rechercher des solutions salutaires
en vue du mieux-être de l’homme.
10.2 – Contenus sémiologiques :
Avec ce que nous avons identifié comme appartenant à
l’ensemble des contenus thématiques, des contenus d’une autre
nature sont repérables à l’intérieur du discours et de la
pratique théâtrale africaine. Car le théâtre se sert aussi
bien
de
la
parole
que
des
systèmes
de
signes
non
linguistiques, mais qui tous ont une valeur signifiante. L’on
peut classer ces derniers dans une catégorie qui aurait pour
propriété,
à
représenter
l’intérieur
ou
culturelles.
de
Tous
des
signifier
les
systèmes
des
signes,
énonciatifs,
réalités
tous
les
de
sociales
ou
systèmes
de
signification sont utilisables dans le spectacle théâtral.
C’est
que,
terrain
signes
affirme
Tadeusz
particulièrement
les
plus
fonctionnement
d’autres,
le
favorable
divers,
des
KOWZAN,
signes
personnage ;
à
la
« Le
à
théâtre
la
confrontation
sémiose,
dans
la
vie
son
rôle
offre
dans
des
c’est-à-dire
sociale. »310
le
un
du
Comme
discours
et
l’action théâtrale, peut à cet effet être envisagé comme un
signe
C’est dans ce sens que nous nous proposons d’aborder
les notions de rôle et de personnage, ainsi que des questions
relatives
aux
espaces
scéniques,
aux
décors
et
à
bien
d’autres phénomènes scénographiques tels qu’ils peuvent se
manifester dans le théâtre d’Afrique Centrale, ou dans le
théâtre
de
manière
générale.
Ici
le
phénomène
et
les
processus de la sémiotisation confèrent une valeur de signe à
toute chose apparaissant sur la scène, avec pour dessein de
310
- KOWZAN Tadeusz : Sémiologie du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2005,
Collection Fac. Littérature, p. 9.
429
participer à la formalisation d’une signification. C’est ce
qu’exprime
fort
sémiotisation
justement
d’un
le
élément
propos
de
la
de
PAVIS :
« Il
représentation
y
a
lorsque
celui-ci apparaît clairement comme le signe de quelque chose.
Dans le cadre de la scène ou de l’événement théâtral, tout ce
qui
est
présenté
au
public
devient
un
signe
« voulant »
communiquer un signifié »311. En effet, en intégrant un signe
à
système
esthétique
signifiant,
et
par
on
confère
conséquent
ce
à
ce
signe
signe
est
une
valeur
caractérisable
comme élément sémiologique : « Tout ce qui est sur scène est
un
signe »,
Cette
confirme
encore
sémiotisation
des
VELTRUSKY,
éléments
de
PAVIS312.
que
cite
la
représentation
constitue un fait majeur dans le système de représentation et
de signification dans le théâtre africain. Les objets de la
représentation dans leur ensemble prennent quasiment à chaque
fois, une valeur connotative.
10.2.1 – La notion de rôle :
Ainsi que nous venons de l’énoncer, la notion de rôle,
comme celle de personnage, dans l’univers du théâtre, sont,
de
notre
point
de
vue,
constitutifs
des
contenus
sémiologiques dans la mesure où leur inscription dans une
sémantique
du
discours
théâtral
permet
l’élaboration
d’un
système signifiant, lui-même élaboré à partir de contenus
culturels
producteur
et
de
civilisationnels
sens.
Le
rôle
donnés
comme
rejoint
ici
potentiellement
par
endroit
une
certaine image de stéréotypie, car il désigne des caractères
sociaux généraux, ou spécifiques des groupes ou des personnes
individuelles.
311
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002,
p. 323.
312
- VELTRUSKY J. A Prague School Reader on Esthetics. Literary Structure
and Style, Georgetown University Press, Washington, 1964, p. 84, in PAVIS
Patrice, Op. Cit. p. 323.
430
Telle qu’on la retrouve dans ses multiples usages, la
notion de rôle est une notion pluridisciplinaire. De notre
point
de
vue,
un
certain
nombre
de
domaines
essentiels
d’intervention expliquent ce caractère pluridisciplinaire et
transitif de la notion de rôle. Ce sont notamment, comme les
présente
Catherine
psychologie
KERBRAT-ORECCHIONI,
sociale,
de
la
sémiotique
théâtral
associera
les
et
domaines
de
de
la
l’analyse
du
discours.
Le
discours
souvent
ces
trois
domaines de manifestation de la notion de rôle pour rendre
compte et exprimer la subjectivité du personnage, en même
temps que sa fonction et ses comportements langagiers.
Rôle et personnage sont donc deux notions littéraires,
sociales, artistiques, etc., qui restent indéfectiblement et
intimement liées. Car du personnage dépend le rôle à travers
lequel celui-là peut être identifié.
Et selon les nombreuses acceptions données à la notion
de
rôle
par
sociologie
KERBRAT-ORECCHIONI,
et
en
psychologie
le
rôle
sociale
désigne,
« une
en
position
déterminée dans un ensemble ordonné de comportements de la
vie en société. (…) Le rôle se rattache au statut et en
constitue
en
quelque
sorte
les
différentes
fonctions. »313
C’est dans ce sens que les personnages de l’univers théâtral
et des univers de fiction en général, peuvent entrer dans la
catégorie des rôles sociaux ; leur univers étant donné comme
potentiellement réel.
En sémiotique narrative, le rôle désigne « la fonction
que joue un personnage dans un récit, mais cette fonction
n’est qu’un pur comportement syntaxique qui est tenu par des
actants (agent, patient, bénéficiaire), ce pourquoi on parle
de rôles actantiels. »314 Cette définition de la notion de
313
- KERBRAT-ORECCHIONI Catherine in Dictionnaire d’analyse du discours,
sous la direction de Patrick CHARAUDEAU et Dominique MAINGUENEAU ; Paris,
Editions du Seuil, 2002, p. 513.
314
- Id.
431
rôle
présentée
ici
dans
l’univers
de
la
narration
est
applicable à l’univers de la dramaturgie, vu comme processus
par lequel l’histoire prend corps.
Au point de vue de l’analyse du discours, la notion de
rôle
est
utilisée
« pour
déterminer
des
comportements
langagiers. (Car) de même qu’il existe des comportements qui
révèlent le statut et les fonctions des acteurs sociaux, des
comportements qui révèlent un type d’action des personnages
d’un récit, il existe des comportements qui révèlent le mode
d’énonciation
dans
lequel
sont
engagés
les
sujets
parlants. »315
Dans la mesure où la fiction littéraire a pour ambition
de rendre crédible son discours, le déploiement de la notion
de
rôle,
à
travers
psychosociologiques ;
narratives
ou
légitimité.
en
Car
ses
à
travers
analyse
elle
acceptions
du
permet
les
sociologiques
situations
discours,
de
trouve
spécifier
les
et
sémio-
toute
sa
différentes
positions de cette notion à l’intérieur du texte.
Les
tel ;
personnages
ils
psychologique,
sont
ne
sont
aussi
plus
la
sémiologique,
vécus
seulement
représentation
etc.,
de
comme
sociale,
certaines
réalités
identifiables à partir de traits caractéristiques. La notion
de rôle se rapproche alors de celle de personnage, au sens ou
elle traduit un état sociologique ou psychologique.
10.2.2 – Le personnage : les phases de l’éthos :
Pour rendre compte de la société et des interactions
qui
régissent
les
arts
dramatiques
et
leurs
milieux
de
production, nous nous sommes notamment penchée sur la notion
de
personnage.
Le
personnage
est
de
fait
l’instance
qui
incarne le mieux la réalité du théâtre. C’est en effet le
315
- Id. p. 513 à 514.
432
personnage qui porte l’action, les idées et les différents
univers sociaux et politiques, culturels et philosophiques en
mouvement dans le texte. A ce propos, il est intéressant de
voir comment se comporte cette instance dans les processus de
mise en œuvre du discours, et dans ceux de génération du
sens.
La
notion
de
personnage
est
ici
fondamentalement
constitutive des univers de la fiction littéraire. Et si dans
le texte romanesque le personnage du narrateur est l’instance
qui
assume
la
principale
fonction
du
récit,
à
savoir
la
fonction narrative, c’est en effet à travers le narrateur que
les
actions
théâtre
la
singulière,
des
autres
notion
car
de
elle
personnages
personnage
manifeste
sont
est
les
connues.
en
Dans
le
elle-même
assez
caractéristiques
d’une
instance totalement autonome, libre des interférences liées à
la
nature
profonde
du
genre
romanesque
où
le
propos
du
personnage est toujours de l’ordre du discours rapporté, en
dépit de l’usage des artifices mis en place par le narrateur
pour
faire
passer
les
répliques
des
personnages
comme
appartenant au registre du discours direct.
Pour comprendre la notion de personnage au théâtre, il
convient de répondre à une double interrogation :
1 – qu’est-ce qu’un personnage ?
2 – qu’est-ce qu’un personnage de théâtre ?
Pour
entretient
Georges
une
ZARAGOZA316,
corrélation
chacune
avec
de
deux
ces
questions
autres
termes
différents, où la notion de personnage s’oppose à celle de
personne ; la seconde corrélation étant rendue par l’autre
postulat où la notion de personnage de théâtre diffère de
celle de personnage d’un autre genre artistique, par exemple
la
peinture.
pertinente
Mais
réside
selon
entre
ZARAGOZA,
deux
316
l’opposition
personnages
de
la
plus
statut
- ZARAGOZA Georges : Le personnage de théâtre ; Paris, Armand Colin,
2006 ; p. 1.
433
littéraire. Pour lui donc, le personnage le plus proche du
personnage de théâtre au sein de la sphère littéraire est le
personnage de récit.
Il observe notamment qu’en considérant que « personne »
et « personnage » ont la même étymologie latine c’est-à-dire
« persona »
qui
signifie
« masque
tragique »,
il
souligne
qu’il y a ici un certain risque de confusion entre les deux
notions. Mais pour ZARAGOZA il apparaît plus vraisemblable de
dire que « la personne » appartient au réel, alors que « le
personnage » appartient au fictif.
Homme ou femme, le personnage (la personne fictive) est
plus
proche
de
ce
que
le
latin
traduit
par
« masque
tragique ». Le terme latin « persona » renvoie par conséquent
à
la
notion
de
rôle,
au
sens
le
plus
large
de
« composition ». C’est que ces êtres fictifs ne sont appelés
à vivre que dans le temps et l’espace d’une représentation,
car
le
personnage
ne
renvoie
pas
nécessairement
à
une
personne dans le réel.
Dans
la
majorité
des
cas,
le
personnage
du
théâtre
d’Afrique Centrale, comme en d’autres lieux, tend vers un
statut
de
personnage-allégorie,
en
ce
sens
qu’il
incarne
souvent une notion, une entité qui peut aller au-delà des
limites
de
la
notion
d’individu
social,
pour
prendre
des
formes plus générales d’un caractère humain, d’un courant de
pensée, d’habitus sociaux, d’espaces chronologiques, etc. Il
serait juste dans ces cas précis, de parler de symboles,
d’archétypes, car ils rendent compte de la vision que les
peuples
et
les
individus
se
font
des
personnes,
des
institutions, des usages et des comportements sociaux, des
pratiques sociales ; des traditions, etc. La désignation des
personnages selon leur appartenance à une catégorie sociale
tend à les caractériser par rapport à des traits spécifiques,
reconnaissables à un groupe. Les vieux sont ainsi classés
selon
la
conception
qui
en
fait
434
des
dépositaires
de
la
tradition et des coutumes anciennes. Et dans le théâtre de
NYONDA ou de OYONO MBIA, les termes « Vieux » et « Ancien »
s’apparentent
souvent
à
« sagesse »,
« expérience »,
« tradition » et « coutumes ».
C’est
personnage
dans
de
ce
sens
théâtre
que
que
ZARAGOZA
celui-ci
note
est
à
propos
du
comme
un
« conçu
type : le roi ou le tyran (au sens grec du terme) renvoient à
tous les vrais rois de l’histoire et les représentent, car il
correspond à une vraisemblance du personnage de roi. Chaque
personnage de théâtre antique et classique (jusqu’au XVIIIème
siècle) est un ensemble de signes et de repères donnés par
son
langage
chaque
et
ses
actions
représentation
(leur
précise
conduite
en
en
scène)
l’incarnant,
mais
que
sans
épuiser l’exemplarité qui lui est propre : chaque personnage
reste le représentant d’un type plus ou moins complexe. »317
La pratique du théâtre en Afrique s’appuie généralement
sur des usages conventionnels dans sa manière de déterminer
les rôles et les éléments de la scène. C’est ainsi que les
rôles et les personnages vont souvent apparaître comme des
caractères, construits ainsi que nous l’avons déjà relevé,
sur un modèle bien déterminé, et qui est reconnaissable à
certains éléments définitoires et caractéristiques de leur
manifestation et de leur existence.
Le
théâtre
populaire,
dont
la
thématique
s’appuie
essentiellement sur la satire et la dérision des travers et
des
vices
personnages
de
ou
la
société,
de
ces
fait
rôles
un
usage
caractérisés.
massif
On
a
de
ces
ainsi
le
personnage de l’homme politique, riche, suffisant et borné,
reconnaissable à son embonpoint, et à la richesse de son
accoutrement,
mais
aux
manières
détonantes.
L’autre
personnage caractérisé par la scène africaine est celui de la
commère, véritable mégère se mêlant de tout, et capable de
317
- ZARAGOZA Georges : Le personnage du théâtre ; Paris, Armand Colin,
2006, p. 9-10.
435
commettre
les
plus
viles
actions
pour
nuire
aux
autres
membres de la communauté. Personnage très mobile, elle est
reconnaissable à ses formes généreuses : callipyge et forte
poitrine
(cette
comédiennes
par
caractéristique
des
artifices
est
de
souvent
apportée
rembourrage
dans
aux
les
costumes), est souvent à l’origine de conflits. Elle est le
contraire de la femme sage et réservée, ou de la jeune fille
innocente.
Le
personnage
du
fonctionnaire
est
quant
à
lui
reconnaissable à son allure stricte et fonctionnel ; vêtu
souvent d’un complet avec cravate, il incite au respect et à
l’envie. Le bandit ou l’escroc pour leur part apparaissent
souvent avec des attributs divers. Suivant l’objectif visé,
ils emprunteront un déguisement qui leur permettra de mieux
abuser de leurs victimes. Ce sont en somme de véritables
personnages caméléons.
L’ivrogne,
moderne,
est
le
souvent
présent
contraire
de
dans
tous
le
théâtre
africain
les
autres.
Vêtu
de
haillons, mal chaussé, il va toujours avec une bouteille à la
main. C’est un personnage ambigu, souvent abhorré car il est
le
signe
d’une
certaine
forme
de
déchéance
physique
et
morale, mais il peut parfois susciter un élan de sympathie
chez le public lorsqu’il devient l’instrument de la vérité et
de la morale. L’ivrogne est souvent celui qui fait éclater au
grand jour les secrets de la femme adultère, les exactions ou
les délits des responsables politiques ou d’administration.
Et comme l’ivrogne, les femmes de mauvaise vie sont
reconnaissables à leur habillement ostentatoire et à leur
maquillage extravagant.
Si l’ivrogne est quelques fois donné comme la victime
des bouleversements de sa société, les femmes de petite vertu
elles caractérisent le vice et la débauche, tout ce que la
morale condamne.
436
Le théâtre inspiré des faits historiques ou tirés de la
culture
traditionnelle
types ;
ses
présente
caractères.
Le
lui
aussi
vieillard
à
ses
la
personnages
barbe
et
aux
cheveux blanchis symbolise la sagesse et l’expérience ; le
guerrier harnaché de ses armes et de ses amulettes est le
symbole de la force, de la vaillance et de la loyauté, tandis
que les jeunes gens sont souvent le signe de l’ignorance, de
la
légèreté,
de
l’inconscience
et
de
l’opposition
au
traditions. Ils ont besoin de la sagesse des anciens pour
acquérir la connaissance et la sagesse.
Il
faut
dire
caractéristiques
servent
à
le
que
et
chaque
personnage
d’attributs
distinguer
des
qui
le
autres
est
doté
de
déterminent,
et
protagonistes.
Cette
caractérisation des rôles dans le théâtre d’Afrique Centrale
est
un
héritage
de
la
pratique
traditionnelle
du
jeu
de
scène, ou le personnage était avant tout traité comme un
caractère social.
Comme nous l’avons dit plus haut, certains personnages
de
la
dramaturgie
allégorique,
car
ils
africaine
présentent
incarnent
souvent
une
un
caractère
abstraction ;
c’est notamment le cas chez Sony LABOU TANSI, dans Qui a
mangé
Madame
d’Avoine
Bergtha ?,
où
l’on
rencontre
des
personnages tels que : L’homme à la voix de diable et de
toutes les diableries, Les espions de l’homme à la voix de
diable, La crieuse qui pleure, Des inséminateurs, etc., ou
dans Une vie en arbre et chars … bonds : L’homme- monstre,
L’homme
montre,
Le
géniteur
d’emplois,
Le
préposé,
Les
taureaux-chicoteurs, Les foules etc., dont on peut imaginer
les fonctions à partir de leurs dénominations.
Le personnage allégorique peut aussi se saisir à partir
de
ce
Georges
NGAL
désigne
comme
des
repères
identificatoires : « Entendons par repères identificatoires
les traits distinctifs qui singularisent un individu, comme
son
nom,
son
sexe,
son
comportement,
437
son
statut
social.
D’autres
parleront
« l’ensemble
des
réidentifier
un
de
traits
marques
individu
de
caractère,
distinctives
comme
étant
qui
le
c'est-à-dire
permettent
même.
Par
de
traits
descriptifs, il cumule l’identité numérique et qualitative,
la
continuité
temps »318
ou
reconnaît
une
dispositions
ininterrompue
et
« l’ensemble
personne »
acquises
des
(…).
qui
la
permanence
dans
le
à
quoi
on
peuvent
être
des
dispositions
Celles-ci
viennent
s’ajouter
aux
traits
distinctifs du caractère. Pour une part, l’identité d’une
personne ou d’une communauté est faite à des identifications
à
des
valeurs,
des
normes,
des
idéaux,
des
modèles,
des
héros, des figures héroïques, légendaires dans lesquels la
personne, la communauté se reconnaissent. Ces dispositions
d’une
personne
ou
d’une
communauté
ont
une
histoire,
une
stabilité une continuité ininterrompue »319. C’est que dans la
construction de l’éthos, donc du caractère, l’influence du
milieu
social
et
culturel ;
la
personnalité
profonde
de
l’individu ; du personnage, sont définitoires de l’image que
ce dernier se construit, et qu’il projette à l’extérieur afin
de se singulariser ; elle est en quelque sorte sa marque de
fabrique, ce par quoi il est reconnu.
La construction de l’éthos d’un personnage est aussi en
relation
étroite
avec
son
univers
affectif.
La
création
littéraire donne souvent à lire des caractères qui surgissent
des contenus et des situations souterraines ; du vécu sousjacent
des
enfouis
au
détresse
de
personnages,
plus
profond
pouvoir
des
de
sentiments
leur
s’accorder
être
autant
contradictoires
tourmenté,
avec
le
et
en
monde
environnant qu’avec leur propre conscience. Il en résulte,
pour certains comme Hamlet, une forme de « lâcheté » ; de
« défaitisme », par opposition à la férocité des autres, qui
318
- RICOEUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p.146 ;
cité par NGAL Georges in Création et rupture en littérature africaine,
Paris, L’Harmattan, 1994, p. 79.
319
- Ibid., NGAL Georges.
438
ne peuvent s’accomplir qu’à travers la perversion idéologique
et l’absence de toute valeur morale.
10.2.3- La scène et le décor :
En terme de contenus sémiologiques, la scène, et les
décors
qui
la
structurent
constituent
en
eux-mêmes,
des
systèmes signifiants, dont au théâtre, le caractère est donné
comme motivé. Car, « le fait même de leur utilisation dans le
cadre d’un spectacle leur accorde, habituellement, un degré
de motivation supérieur à celui qu’ils avaient à l’origine,
dans la nature ou dans la vie sociale. Dans l’échelle dont le
bas est constitué par l’arbitraire pur, le signe théâtral
occupe le plus souvent, un ou plusieurs degrés plus haut que
son équivalent non théâtral. »320
La
spécificité
du
fait
théâtral
est
d’être
un
art
multiforme et multidimensionnel. Son caractère essentiel est
de se manifester à travers la mimèsis, en donnant l’illusion
d’être
ce
qui
se
passe,
en
situation,
au
cours
de
la
représentation. La mise en scène choisira donc toujours de
mettre l’accent sur les éléments déterminants de l’histoire,
et sur les aspects événementiels du décor. Celui-ci offre au
sein
de
la
dramaturgie,
une
économie
de
la
signification
nécessaire au caractère mimétique de l’acte théâtral.
L’importance
et
la
spécificité
du
traitement
de
la
scène et du décor dans la pratique théâtrale africaine sont,
à notre avis, à rechercher dans le traitement de l’espace et
du temps comme éléments de structuration scénographique, mais
surtout
comme
marqueurs
idéologiques
et
culturels,
objectivement liés, et sous-tendus par l’histoire et le vécu
quotidien des populations mis en représentation.
320
- KOWZAN Tadeusz : Sémiologie du
Collection Fac. Littérature, 2005, p.
439
théâtre ;
Paris,
Armand
Colin,
Afin
de
rendre
lisibles
les
cadres
historiques
et
sociologiques des structures dramatiques, la construction de
la scène, où, dans le cas des représentations de plein air,
le metteur en scène utilisera le cadre naturel du milieu ; ou
au
contraire,
espaces
il
s’appliquera
souvent
à
reproduire
les
évoqués, tout en les mettant en relation avec des
facteurs plus ou moins explicites d’époques, ou de moments
historiques.
Les
didascalies
donnent
souvent
le
cadre
de
référence sur lequel s’appuiera la construction du décor. Les
décors et l’occupation de l’espace scénique constituent donc
aussi
un
élément
nécessaire
à
la
construction
de
la
signification portée par les contenus discursifs du théâtre
en Afrique Centrale de manière particulière. La parenthèse de
sang de LABOU TANSI qui s’ouvre dans un décor où la vie et la
mort se côtoient (les trois tombes sous les kambalas : signe
de la mort ; dans la cours d’une villa sur la terrasse de
laquelle
est
dressée
une
table :
signe
de
vie),
montre
comment le décor peut participer à l’élaboration du sens de
la pièce. En introduisant ce symbole de mort qu’est la tombe,
le dramaturge propose une des pistes à travers lesquelles le
public va se mouvoir pour aboutir au sens. La tombe étant le
signe de l’enfermement et de la finitude, le sens tragique de
la pièce est ressentit dès le levé de rideau.
10.2.4- Autres contenus sémiologiques : les costumes,
la musique et le maquillage :
A L’instar de la scène et des décors, les costumes, la
musique,
et
dans
une
certaine
mesure
le
maquillage,
constituent d’autres éléments porteurs de sens dans la mise
en scène du théâtre africain. On peut en effet observer une
forme de distribution socio-culturelle dans l’utilisation de
ces éléments, car comme le relève Tadeusz KOWZAN à propos de
440
l’utilisation des couleurs au théâtre, « la motivation et
l’arbitraire
dans
l’utilisation
des
couleurs
se
côtoient,
avec une tendance générale à renforcer le caractère motivé
(…)
Les
couleurs
dans
le
maquillage
et
les
masques
de
certaines traditions théâtrales sont le plus souvent (…) des
signes arbitraires ; (…) ils sont conventionnels parce que
leur valeur significative est fondée sur des règles connues
du public ou au moins par une partie du public »321.
La mise en scène des textes comme Le Zulu de U TAM’SI,
La mort de Guykafi, Le combat de Mbombi, Deux albinos à la
M’Passa, Bonjour Besieux de NYONDA, demanderont toujours que
les
costumes
et
les
maquillages
reflètent
une
certaine
fidélité à l’esprit et aux usages culturels des sociétés et
des époques au cours desquelles ces histoires sont censées
avoir eu lieu.
Mais les costumes sont aussi révélateurs des moments et
de l’importance des situations au cours desquelles ils vont
être arborés. Ainsi, les costumes et les peintures de guerres
que
porte
Chaka
traduisent
les
moments
de
tension
qui
structurent la pièce. Il arbore en effet dès l’ouverture de
la
pièce,
perturbation
un
costume
d’apparat,
signe
de
troubles
et
du quotidien de la communauté du guerrier.
De même, lorsque les guerriers Guykafi et Mbombi chez
NYONDA se montrent en costumes de guerre, on peut comprendre
que les événements à venir et l’action en cours, se situent
dans un contexte de conflit ; de guerre. Le costume est pour
le personnage, la transposition d’une idée ou d’un sentiment
en lien avec son vécu intérieur, ou avec sa position sociale
à laquelle la situation dramaturgique tend à donner corps. Le
costume peut alors se lire comme l’affirmation d’une certaine
identité morale ou sociale ; ou d’un contexte événementiel
particulier.
321
- KOWZAN Tadeusz : Sémiologie du
Collection « Fac. Littérature », 2005.
441
théâtre ;
Paris,
Armand
Colin,
Nous pouvons faire une lecture similaire par rapport
aux instruments de musique, ou plus précisément à la musique
qui, dans les cultures africaines, est porteuse d’une réelle
charge
symbolique.
classification
Celle-ci
des
est
instruments.
déjà
contenue
Ceux-ci
dans
la
constituent
non
seulement des instruments de musique au sens strict du mot,
mais ils sont aussi utilisés comme mode de communication. Les
systèmes de communication traditionnels affectent en effet un
rôle spécifique à divers instruments, et essentiellement aux
tam-tams, qui sont des instruments majeurs dans ce domaine.
Au
cours
d’une
séquence
de
danse,
il
s’instaure
un
véritable dialogue entre les danseurs et les joueurs de tamtam. Si le joueur orchestre la chorégraphie, c’est à l’aide
de son instrument qu’il peut se faire comprendre. Les sons et
les modulations rythmées de l’instrument sont interprétés par
le
groupe
de
danseurs
de
la
même
manière
que
l’on
peut
interpréter les séquences verbales de la voix humaine.
Produites de manière distincte, les sonorités graves du
grand
tam-tam
évoquent
immanquablement
la
tragédie,
le
malheur ; alors que celles plus gaies et légères du petit
tam-tam
Ensemble
sont
le
les
signe
deux
de
la
tam-tams
joie
et
expriment
des
ces
réjouissances.
deux
côtés
de
l’existence humaine. Là où l’on se réjouit, ne jamais oublier
que le malheur n’est pas loin. A la fougue donc du petit tamtam, répond la tempérance du grand.
Concernant le maquillage, son utilisation est plus ou
moins fréquente dans la mise en scène africaine. L’usage du
maquillage dépend de la nature de la pièce. Et en fait de
maquillage,
il
faut
signaler
que
celui-ci
reste
assez
sommaire ; on parlera plus nettement de couleurs, car la mise
en scène africaine a rarement recours aux grands artifices de
transformation
matière,
physique
l’ocre
essentielles
de
et
la
le
des
acteurs.
caolin
palette
des
442
Toutefois,
constituent
couleurs
qui
les
en
la
bases
servent
à
transformer les traits des personnages dans la mise en scène
africaine.
Les textes comiques du téléthéâtre, les pièces où l’on
veut amener le spectateur à distinguer les classes d’âge des
différents
personnages
auront
généralement
recours
à
un
maquillage spécifique, dont le rôle sera de donner les traits
marquants de la vieillesse : les cheveux et la barbe blanchis
suffisent
à
créer
cette
illusion
de
vieillesse
chez
les
hommes, tandis que chez les femmes, le recours au maquillage
reste assez limité ; la représentation d’une femme d’âge mûre
se
fait
généralement
vestimentaire :
grande
par
le
robe
biais
tombant
de
sur
son
les
apparence
chevilles,
cheveux cachés par un fichu ; et pour un meilleur effet, on
peut ajouter un trait de caolin sur chaque sourcil.
D’autres éléments comme les couronnes de plumes ou de
feuilles, des parures de bras ou de jambes ; des anneaux ou
des
bracelets
de
cuivre,
dans
les
pièces
à
caractère
historique ; des perruques ou des fausses barbes dans les
pièces modernes, peuvent être utilisés pour accentuer l’effet
recherché.
En général, la mise en scène des textes africains fait
un usage très modéré du maquillage ; et pour certains effets
spéciaux, leurs apparitions dans la mise en scène africaine
restent des moments marginaux, car les coûts de la mise en
scène sont souvent supportés par les membres de la troupe,
composée pour une grande majorité par des amateurs (cadres
moyens
d’entreprises,
élèves
et
étudiants)
et
par
des
personnes sans ressource, seulement animées par l’amour du
jeu.
443
CONCLUSION.
Si le théâtre reste une réalité sociale peu aisée à
définir du fait de sa double orientation, spectaculaire et
littéraire, son analyse comme objet littéraire croise elle
aussi
une
réelle
complexité
quant
au
choix
de
modalités
potentiellement opératoires, susceptibles d’offrir à ceux qui
s’y intéressent comme objet de recherche, des méthodologies
propres,
applicables
à
cette
réalité.
Dans
une
réflexion
donnée au sujet de la notion de récit au théâtre, Patrice
PAVIS souligne la complexité inhérente à toute recherche axée
sur le théâtre en tant que produit littéraire : « Le théâtre
n’a
pas
vraiment
encore
fait
l’objet
d’une
analyse
systématique, sans doute du fait de son extrême complexité
(multitude et variété des systèmes signifiants), mais aussi
parce
qu’il
reste
surtout
associé,
dans
la
conscience
critique, à la mimésis (imitation de l’action) plus qu’à la
diégésis
(le
récit
du
narrateur).»322
C’est
donc
que
la
spécificité du système d’énonciation théâtrale oblige à une
certaine
prudence
applicables
à
quant
cet
aux
objet.
possibles
Car
dans
grilles
le
de
domaine
lecture
de
la
littérature, la recherche universitaire aime à préciser les
outils et les méthodes d’approche, les écoles et les courants
de pensée qui soutiennent l’esprit de la recherche.
L’étude
n’échappe
que
donc
nous
pas
à
venons
la
de
règle
mener
des
sur
méthodes
le
et
théâtre
outils
susceptibles de les rendre saisissables. Car, si à travers la
lecture que nous avons donnée de ce qui ne constitue qu’un
bref échantillon de la production dramatique du Congo, du
Gabon et du Cameroun, nous avons voulu rechercher les marques
et les influences de la société, de son histoire, de son
322
- PAVIS Patrice : Dictionnaire du théâtre ; Paris, Armand Colin, 2002,
p.14.
444
évolution ;
relation
nous
de
avons
cette
aussi
production
voulu
et
établir
du
projet
la
mise
en
littéraire
de
chacun des acteurs de cette entreprise.
A travers les nombreux réseaux d’influence que nous
avons pu observer entre création artistique et vie sociale et
communautaire, il apparaît fréquemment que la société et le
théâtre africain jouent d’une influence réciproque, et que le
théâtre qui s’inspire de la société pour exister, agit en
même temps sur celle-ci pour en recadrer les fondements et
les préceptes, en même temps qu’il joue un rôle d’observateur
de l’évolution globale des microcosmes humains.
Ainsi, la création littéraire et artistique africaine
répond
presque
toujours
à
des
attentes
fonctionnelles,
pratiques dans l’intérêt marqué de communiquer, de former et
d’informer. C’est donc que toute analyse, toute étude opérée
autour
d’une
œuvre
d’art
africaine
cherchera
d’abord
à
s’interroger, ou à répondre à la question des contenus, de
leur validité en tant que message et véhicule d’une certaine
vision du monde.
De ce fait, ce qui apparaît de prime abord comme une
activité ludique (pour le théâtre, le chant, la danse, les
contes, les proverbes, les légendes, etc.), une création dont
l’objet
premier
exclusivement
se
limiterait
esthétiques
à
des
(statuaire,
considérations
masques
dessins,
peinture, etc.), revêtira dans la pensée et la vision du
monde des Africains, une charge aussi bien émotive, liée à la
matérialité
métaphysique,
esthétique
de
sociologique
l’objet,
et
que
culturelle
philosophique,
du
groupe
dans
lequel il né. Le contexte de naissance et de création de
l’œuvre artistique oriente donc pour l’essentiel, le prisme à
partir
duquel
cette
œuvre
doit
être
observée.
C’est
sans
doute cette exigence qui a longtemps tenu le théâtre et tous
les
autres
occidentale,
arts
qui
africain
a
essayé
loin
de
445
de
la
porter
sur
compréhension
les
réalités
culturelles africaines un regard formaté par des standards et
des canons différents.
L’objet fondamental de la recherche sur les activités
artistiques
et
culturelles
africaines
sera
donc
pour
l’essentiel, de donner du sens ; de suggérer des lectures
possibles
de
celles-ci.
éclairage
différent
Il
s’agit
ce
qui
sur
en
somme
apparaît
de
donner
souvent
un
obscure,
difficilement catégorisable ; et en littérature, de partager
la
vision
du
simplement
monde
d’aller
de
à
peuples
la
et
de
découverte
civilisations,
d’une
identité ;
ou
de
comprendre leurs angoisses et leurs aspirations, dont les
artistes
et
les
écrivains
ne
sont
finalement
que
les
interprètes. C’est souvent ce rôle que les chercheurs, par
tâtonnement,
essai,
ajustement,
construction
et
déconstruction, essayent de démontrer.
Partant
de
la
lecture
des
thèmes
à
la
critique
textuelle et sociale, nous avons tenté, par ces différentes
approches,
d’énoncer
influence
entre
la
situation
théâtre
et
ou
la
société ;
relation
de
de
co-
postuler
la
signification plurielle des œuvres de notre corpus. Cette
diversité de sens est déjà sous-jacente dans la diversité des
méthodes
d’investigation
mise
en
œuvre.
Nous
aurions
pu
privilégier une approche unique pour ce travail, ce qui lui
aurait sans doute conféré un caractère assez restrictif, nous
privant par la même occasion de la satisfaction de saisir la
réalité du théâtre dans sa multiplicité.
Objet artistique et culturel certes, mais aussi œuvre
poétique,
le
spécifique
théâtre
déterminée,
se
déploie
avec
un
à
travers
langage
une
structure
particulier
et
pluridisciplinaire : le langage de la vie. Le théâtre soumet
en effet celui qui l’aborde à une perspective multiple. Et
comme le relève Daniel BERGEZ, « L’art n’est pas d’abord une
construction formelle, il vaut en tant qu’il est fédérateur
d’expérience
et
production
d’un
446
sens
qui
retentit
sur
la
vie. »323 C’est donc la conjugaison de plusieurs facteurs qui
donne
un
sens
théâtrale
en
à
l’œuvre
d’art
particulier,
en
car
général,
« l’œuvre
et
à
l’œuvre
d’art
est
l’épanouissement simultané d’une structure et d’une pensée
(…) amalgame d’une forme et d’une expérience dont la genèse
et la naissance sont solidaires. »324
Ainsi chez l’écrivain, il y a interaction entre l’œuvre
littéraire
et
le
monde
tel
qu’il
est
pensé
et
vécu
par
l’écrivain ou l’artiste, car l’œuvre littéraire ou artistique
raconte d’abord son créateur, son contexte, sa place et son
implication
à
l’intérieur
l’aventure
d’un
destin
mouvement
même
de
de
ce
spirituel,
son
contexte :
qui
se
élaboration. »325
« L’œuvre
réalise
La
est
dans
question
le
du
contexte de l’œuvre littéraire est donc fondamentalement liée
à la recherche de la signification. Le contexte de l’œuvre
permet alors de saisir l’esprit de la genèse du texte et de
fixer les bases de son éclosion, de sa naissance. L’œuvre
littéraire porte en effet la marque de la pensée de l’auteur,
son vécu ; il y imprime l’expérience de son être au monde, ce
que confirme le propos de ROUSSET : « Avant d’être production
ou expression, l’œuvre est pour le sujet créateur un moyen de
se révéler à lui-même. »326 C’est que l’œuvre littéraire, tout
en
excluant
la
personne
sociale
de
l’écrivain
pour
se
manifester en tant que création, imaginaire, associe en même
tant ce « moi » social au « moi » créateur pour, non pas
donner des réponses aux questionnements de celui-ci, mais
permettre la prise de conscience de lui-même ; de sa propre
situation, de son groupe, au moment de son acte d’écriture.
Les formes et les langages de la littérature, plutôt
que le style, donnent à l’écrivain dramatique africain sa
323
- BERGEZ Daniel et alii : Méthodes critiques pour l’analyse
littéraire ; Paris, Nathan, 2002, p.117.
324
- ROUSSET Jean : Forme et signification, cité par BERGEZ Daniel, Op.
Cit. p.117-118.
325
- ROUSSEAU Jean-Jacques, cité par BERGEZ, Op. Cit. p.118.
326
- ROUSSET Jean, Op. Cit., in BERGEZ Daniel, p. 119.
447
vision de la société, objet autant que sujet de sa réflexion.
Et l’un des moments majeurs de cette réflexion orientée par
la thématique, est celui de la relation ; relation à soi,
mais aussi relation au monde, celle qui permet à l’individu
créateur de se définir, d’ancrer les enjeux des questions
d’écriture dans des lieux d’interrogation existentielle.
Et
pour
l’orientation
thématique
de
son
œuvre,
il
s’agit pour le dramaturge africain d’atteindre son public à
travers son propre vécu ; un vécu donné sans complaisance,
car il faut que le public dans sa globalité, opère un retour
vers soi même, vers son histoire, pour se réapproprier cette
humanité qui replace l’individu au cœur de son rapport à
l’autre,
ce
qui
lui
permet
de
s’assumer
dans
la
reconnaissance d’autrui, même dans sa différence. N’est-ce
pas la crainte suscitée par cette différence qui a de tout
temps été à l’origine des plus atroces entreprises que le
monde a jamais connu ? Par le seul fait de la différence,
guerres,
génocides,
esclavages,
colonisations
et
autres
conquêtes impérialistes jalonnent et obscurcissent l’histoire
de l’humanité.
Les peuples africains, toujours victimes (ou objets) de
toutes ces forfaitures, ont besoin comme d’autres victimes à
travers le monde, que soit évoquée cette fracture. Et le
théâtre constitue pour ces peuples, un média privilégié. A
travers son ancrage dans l’oralité, fondement des cultures et
des traditions africaines, la double relation d’implication
réciproque
conscience,
entre
le
le
sujet
créateur
et
et
son
l’objet,
œuvre,
le
est
monde
non
et
la
seulement
accomplie, mais constitue la garantie d’une prise en main du
destin des peuples par eux-mêmes.
Quel intérêt pour une approche du théâtre africain, qui
allie aussi bien la lecture des thèmes abordés, que ce qu’il
est juste dans ce travail, de considérer comme une démarche
sociocritique ?
448
Cette démarche nous a paru plus indiquée en ce qu’elle
vise, selon le constat de Claude DUCHET, « le texte lui-même
comme
lieu
où
se
joue
et
s’effectue
une
certaine
socialité. »327 Car si la sociologie du littéraire concerne
les conditions de production de l’écrit, et la sociologie de
la réception et de la consommation celles de lectures, de
diffusion,
d’interprétation
culturel,
etc.),
la
(et
démarche
du
destin
scolaire
et
intègre
un
sociocritique
ensemble de disciplines qui évoluent vers une vision marxiste
de la littérature, tout en prenant en compte son historicité.
Cette vision parfois honnie de la littérature est celle qui
motive encore la majorité des écrivains africains, car ils
sont
confrontés,
depuis
les
origines
de
la
littérature
écrite, à une partition de la société entre les dirigeants et
les masses populaires ; les possédants et la grande majorité
des misérables. C’est la recherche de l’équilibre entre ces
différentes
fractions
de
orientation
marxiste
de
la
société
la
qui
création
suggère
cette
littéraire.
La
sociocritique effectuera donc une « lecture de l’historique,
du
social,
de
l’idéologique,
du
culturel
dans
cette
configuration étrange qu’est le texte : il n’existerait pas
sans le réel. »328
Les
sociétés
africaines,
urbaines
ou
rurales,
traditionnelles ou modernes, voient dans le théâtre une école
de la vie, une conscience de la vie, car si le théâtre peut
imiter ce qui est, il peut surtout dénoncer et condamner ce
qui ne devrait pas être. Comme le note fort justement Martine
DAVID,
« Un
des
corollaires
de
la
mimèsis
théâtrale
est
l’identification aux personnages : mieux on imite la réalité,
mieux
on
spectateur
crée
de
l’illusion
« croire »
théâtrale,
au
mieux
personnage,
de
on
permet
partager
au
ses
désirs, ses doutes, ses passions, ses angoisses. Or c’est sur
327
- DUCHET Claude, cité par BERBERIS Pierre in Méthodes critiques pour
l’analyse littéraire ; BERGEZ et alii, Paris, Nathan, 2002, p. 153.
328
- Op. Cit., p. 153.
449
la notion d’identification que se fonde principalement la
réflexion concernant les effets du théâtre sur le public :
purgation, réforme des mœurs, exorcisme, révolte »329. Il y a
dans
le
phénomène
d’identification
liée
à
l’illusion
théâtrale, un effet résolument positif revendiqué, que la
société africaine, à travers ses écrivains dramatiques, peut
rechercher. Le théâtre porte en effet, des valeurs ludique,
didactique
totalité
et
morale
continue
que
de
la
société
privilégier
à
africaine
travers
dans
une
sa
véritable
interaction entre la société et ses codes, et la production
de manière générale.
L’influence de l’oralité dans la tradition culturelle
africaine favorise une certaine identification de la société
africaine
à
l’objet
théâtral.
Pourtant,
au
regard
des
mouvements de fluctuation observé au sein de la production
dramatique, il serait légitime de s’interroger sur ce qui
peut parfois apparaître comme des moments d’essoufflement,
tant en ce qui concerne les œuvres éditées, que pour ce qui
est
de
la
mise
en
scène,
même
des
textes
considérés
aujourd’hui comme des classiques.
Les
raisons,
ou
plutôt
les
causes
de
ces
moments
d’apathie se situent essentiellement dans le manque ou la
rareté des moyens de production et d’édition.
Toutefois,
les
milieux
scolaires
et
universitaires
poursuivent une activité non négligeable dans la réalisation
de spectacles, souvent avec des moyens limités.
Mais la principale cause de la léthargie observée au
niveau de la production dramatique africaine vient surtout de
la suspicion affichée des pouvoirs publics vis-à-vis des arts
de la scène, plus proches des masses populaires, et dont
l’influence est tenue pour subversive, tant le pouvoir du
théâtre
a,
de
tout
temps,
été
reconnu
par
les
sociétés
africaines.
329
- DAVID Martine : Le théâtre ; Paris, Editions Belin, 1995, p. 322.
450
Le théâtre est le lieu où les masses populaires : les
plus faibles, les sans-voix, peuvent critiquer, condamner et
ridiculiser les puissants. Le temps de la représentation,
c’est
le
moment
où
les
auteurs
et
le
public
peuvent
se
pencher sur leur existence, sur leur devenir.
Le
théâtre
sera
toujours
pour
les
populations
africaines, la tribune à partir de laquelle ils pourront se
poser des questions liées à leur être au monde. Et plus que
le roman ou la poésie, le théâtre restera en Afrique le média
par excellence de l’implication et de la participation des
peuples aux questions de l’évolution et de la transformation
des sociétés africaines.
451
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AWONA Stanislas, 79
BAKHTINE Mikhaïl, 396
BALANDIER Georges, 106, 107, 236
BARTHES Roland, 13, 14, 414
BECKETT Samuel, 409
BENYE Prosper, 78
BERGEZ Daniel, 446
BERSANI Léo, 415
BERTRAND Denis, 373, 417, 418, 419, 420
BONGO Albert Bernard, 84
BUREAU René, 168, 169, 188
CAYA-MAKHELE, 295, 333
CESAIRE Aimé, 115, 232
CAZENEUVE Jean, 125
CHEVRIER Jacques, 7, 17, 19
COMTE Auguste, 193
COQUERY-VIDROVITCH Catherine, 90, 100, 220
CORNEILLE Pierre, 63
COURTELINE, 63
DAVID Martine, 449
DE ROPP (Révérend Père), 38
DESCHAMPS Hubert, 218, 219, 220
DEVESA Jean-Michel, 344, 345
DIBAKOU, 359, 422
DORTIER Jean-François, 185, 192
480
DUCHET Claude, 449
DURAS Marguerite, 409
ELIADE Mircea, 185
ENGELBERTS Matthijs, 408
FATOU Anastasie, 83
FERRARINI Marisa, 346
GENETTE Gérard, 363, 364, 408, 409
GEERTZ Clifford, 186
GOLDMANN Lucien, 30, 346
GOUHIER Henri, 10, 11
GREIMAS Algirdas-Julien, 373, 398
GRÜND Françoise, 16
HAMBURGER Käte, 355
HAMIDOU KANE Cheick, 152
HAMPÂTHE-BA Amadou, 24
HUBERT Marie Claude, 360
HUGO Victor, 111
HUGON Anne, 215, 217
ILIFFE John, 105, 106
ISSACHAROFF Michel, 375
JAKOBSON Roman, 383
JOMO KENYATTA, 24
JOUVET Louis, 9
KAMA-BONGO Josephine, 84
KANKAN Jean Miché, 359, 366, 422
KASSA-MIHINDOU Bonaventure, 84
KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, 369, 431
KOMBILA DEKOMBEL, 359
KOMPAORE Prosper, 422, 427, 428
KOWZAN Tadeusz, 429, 440
LABICHE Eugène, 63
LABOU TANSI Sony, 22, 46, 89, 105, 115, 201, 203, 233,
239, 244, 281, 282, 283, 287, 288, 291, 295, 299, 301, 307,
309, 313, 315, 323 333, 334, 335, 336, 344, 345, 346, 347,
481
348, 350, 356, 362, 365, 371, 382, 383, 389, 404, 416, 423,
426, 437, 440
LARTHOMAS Pierre, 8, 15, 353
LAYE Camara, 89
LE CALLENNEC Sophie, 235, 236, 238
LEFEBVRE René (Révérend Père), 83
LEVI-STRAUSS Claude, 126
LEEUW Gerardus van der, 185
LELOUP Jacqueline (HENRI), 82, 225
LOW Charles, 78
MACOUBA Auguste, 76
MAGNIER Bernard, 346
MAÏMO Sankié, 78
MAINGUENEAU Dominique, 130, 131
MAMBENGA-YLAGHOU Frédéric, 348, 350
MAROKOU, 359
MBA-EVINA Jean, 81
MBOM Clément, 77, 79, 80, 81, 250
MBOKOLO Elikia, 104, 116, 235, 276
MBOUMBA-KOMBILA Jean, 84
MENDO ZE Gervais, 22, 82, 89, 95, 140, 171, 233, 244,
250, 267, 278, 279, 291, 338, 356, 364, 374, 404, 410, 425
MERCIER P., 232
MEZUI-NDONG Brice, 84
MIDIOHOUAN Guy Ossito, 176, 224, 275
MILLY Jean, 370
MOLIERE, 63, 347
MOKTOÏ Dave K., 80
MONGO BETI, 222, 237
MOURALIS Bernard, 228, 229, 241
NDAM-NJOYA Adamou, 81, 181
NDENDI-PENDA Patrice, 79
NDO Daniel dit OTSAMA MORE BIKIE, 80, 359
NDONG Damas, 21, 83, 222, 223
482
NDONG NDOUTOUME Tsira, 109
NGAL Georges, 208, 251, 437
NGOUA Noël (L’Abbé), 200
NICOÏDSKY Clarisse, 284
NYONDA Vincent de Paul, 17, 21, 22, 53, 56, 70, 83, 89,
91, 93, 95, 103, 111, 114, 119, 144, 152, 165, 166, 167, 179,
190, 211, 214, 216, 219, 222, 237, 244, 250, 263, 279, 281,
282, 291, 298, 299, 300, 309, 315, 323, 338, 342, 356, 364,
365, 378, 382, 383, 404, 406, 424, 435, 441
OBAMA Jean-Baptiste, 78
OTTO Rudolf, 185
OWONA Albert, 78
OWONDO Laurent, 22, 89, 244, 251, 270, 272, 281, 282,
288, 299, 309, 315, 328, 333, 356, 362, 404, 416, 423, 425
OYONO Ferdinand, 62, 222
OYONO MBIA Guillaume, 22, 72, 79, 88, 91, 93, 95, 113,
133, 139, 142, 144, 146, 152, 179, 191, 234, 244, 250, 255,
258, 261, 262, 263, 278, 279, 282, 288, 299, 338, 340, 356,
364, 367, 378, 392, 393, 404, 435
PAVIS Patrice, 28, 31, 32, 367, 368, 387, 391, 392,
404, 406, 413, 427, 430, 444
PHILOMBE René, 81
PIERCE Charles Sanders, 419
PLATON, 338
PROPP Vladimir, 31
PROUTEAUX, 7, 15, 16
PRUNER Michel, 376, 377
PRZYBOS Julia, 112
RABEARIVELO Jean Joseph, 24
RACINE Jean, 63
RICARD Alain, 23
RIES Julien, 185
RIVIERE Claude, 175, 177, 184, 185, 186, 208
REY-DEBOVE Josette, 351,352, 361
483
ROUSSET Jean, 447
RYNGAERT Jean-Pierre, 354
SAMMY Pierre, 230, 231
SARRAZAC Jean-Pierre, 30
SARTRES Jean-Paul, 413
SAUSSURE Ferdinand (de), 418, 419
SCHERER Jacques, 16, 43, 44, 64, 69
SENGHOR Léopold Sédar, 232
SHAKESPEARE William, 68, 136
SHUERKENS Ulrike, 210, 230, 231, 235
STALLONI Yves, 353, 358, 361
TAINE Hyppolite, 388, 404
TOQUEVILLE Alexis (de), 192
TURE Matondo Kubu, 65, 76
UBERSFELD Anne, 9, 10, 361
U TAM’SI Tchicaya, 22, 62, 89, 90, 95, 105, 133, 144,
166, 172, 211, 214, 244, 282, 309, 315, 356, 362, 365, 381,
392, 394, 396, 401, 404, 416, 423, 425, 441
VELTRUSKY, 430
VINSONNEAU Geneviève, 126, 127, 128
WALZER Michaël, 246, 247, 248, 249, 338, 339
WESSELING Henri, 216, 217, 219, 226
ZARAGOZA Georges, 433, 434, 435
ZINSOU Sénou Agbota, 358
ZOMO BEM Abel, 80
484
TABLE DES MATIERES :
PLAN ……………………………………………………………………………………………………………………………………………… 2
INTRODUCTION ………………………………………………………………………………………………………………………… 7
PROBLEMATIQUE …………………………………………………………………………………………………………………… 23
PREMIERE
PARTIE :
UNE
TERRE,
DES
HOMMES :
UNE
EXPERIENCE CULTURELLE
CHAPITRE I.- Un espace, une culture : Situation géographique
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 35
1.1- L’espace et les peuples d’Afrique Centrale………………… 35
1.2- Aspects de la culture traditionnelle ……………………………… 36
A- Les danses traditionnelles et les jeux de scène…… 37
B- Jeux de scène et représentation …………………………………………… 38
C- Conteurs traditionnels et expression corporelle…… 39
CHAPITRE II.- Naissance d’un théâtre moderne ……………………………… 41
2.1- L’arrivée des missionnaires et les premières tentatives
de mise en scène : le rôle de l’Eglise dans la politique
coloniale …………………………………………………………………………………………………………………………… 45
2.1.1- L’installation des missionnaires …………………………………………… 48
2.1.2- Premières tentatives de mise en scène ……………………………… 64
485
A- Chez les missionnaires ……………………………………………………………………… 67
B- Le rôle des Scouts ………………………………………………………………………………… 67
C- Dans les milieux scolaires …………………………………………………………… 68
2.2- Premières créations théâtrales ……………………………………………………… 70
2.2.1- Les pionniers du théâtre en Afrique Centrale …………… 74
A- Au Congo …………………………………………………………………………………………………………… 75
B- Au Cameroun …………………………………………………………………………………………………… 77
C- Au Gabon …………………………………………………………………………………………………………… 82
DEUXIEME PARTIE : LA SOCIETE TRADITIONNELLE DANS LE THEATRE
D’AFRIQUE CENTRALE
CHAPITRE III.- Organisation de la société traditionnelle :
les structures sociales et politiques …………………………………………………… 86
3.1- Les structures politiques ……………………………………………………………………… 90
3.1.1- Les détenteurs du pouvoir ……………………………………………………………… 108
3.1.2- Les symboles du pouvoir traditionnel ………………………………… 116
3.2- Les structures sociales ………………………………………………………………………… 119
3.2.1- Religions et cultures ………………………………………………………………………… 120
3.2.2- Les rapports hommes/femmes …………………………………………………………… 137
A-
L’homme ;
ses
attributions
et
ses
domaines
de
compétence ………………………………………………………………………………………………………………………… 139
B- Place de la femme ; rôle économique et social …………… 146
C- L’organisation du travail ………………………………………………………………… 155
3.2.3- Le conflit de génération ou conflits de compétence ?
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 160
486
CHAPITRE IV.- Les croyances et le pouvoir spirituel dans les
sociétés traditionnelles …………………………………………………………………………………… 163
4.1- Les détenteurs du pouvoir …………………………………………………………………… 166
4.1.1- Les devins et les sorciers …………………………………………………………… 168
A- Les sorciers …………………………………………………………………………………………………… 169
B- Les devins ………………………………………………………………………………………………………… 176
4.1.2- Chefs de clans et chefs de familles …………………………………… 179
4.1.3- Les guerriers ……………………………………………………………………………………………… 183
4.2– Les pratiques cultuelles dans l’organisation sociale ;
formes, fondements et enjeux ………………………………………………………………………… 184
-Fondements, formes et enjeux ……………………………………………………………………… 185
4.2.1- Le culte des ancêtres ………………………………………………………………………… 194
4.2.2- Les autres cultes …………………………………………………………………………………… 199
4.2.3- Cultes et expression du mode de vie …………………………………… 199
TROISIEME
PARTIE :
LA
SOCIETE
MODERNE
DANS
LE
THEATRE
D’AFRIQUE CENTRALE
CHAPITRE V.- Le contact des cultures ………………………………………………… 211
A- Les traités bilatéraux ………………………………………………… 213
B- Les Traités euro-africains ……………………………………… 213
C- Les guerres de conquête ……………………………………………… 214
5.1- Les formes de la conquête impérialiste ……………………………… 216
5.1.1- L’action des explorateurs …………………………………………………………… 219
5.1.2- L’action missionnaire ……………………………………………………………………… 221
5.1.3- La pénétration coloniale ……………………………………………………………… 227
5.2- Les mutations sociales ………………………………………………………………………… 230
5.2.1- La scolarisation …………………………………………………………………………………… 230
5.2.2- La christianisation …………………………………………………………………………… 236
487
5.2.3- La perte des valeurs traditionnelles ……………………………… 242
CHAPITRE VI.- La critique sociale ………………………………………………………… 246
6.1- Le poids de la tradition …………………………………………………………………… 252
6.1.1- La survivance des coutumes anciennes ……………………………… 254
6.1.2- L’écartèlement de l’individu …………………………………………………… 264
6.2- Les nouvelles classes sociales …………………………………………………… 274
6.2.1- Les nouvelles bourgeoisies politiques …………………………… 280
6.2.2- Le peuple exploité ……………………………………………………………………………… 286
6.3- Les formes de la déchéance humaine ………………………………………… 290
6.3.1- L’alcoolisme ……………………………………………………………………………………………… 291
6.3.2- La cupidité ………………………………………………………………………………………………… 298
6.3.3- La corruption …………………………………………………………………………………………… 304
6.3.4- La folie et la mort comme ultime étape de la déchéance
humaine ……………………………………………………………………………………………………………………………… 308
CHAPITRE VII.- La satire politique ……………………………………………………… 313
7.1- L’homme politique ……………………………………………………………………………………… 315
7.1.1- Origine, situation sociale et familiale ……………………… 317
7.1.2- Compétence et psychologie de l’homme politique …… 322
7.2- Le pouvoir dans tous ses états …………………………………………………… 329
7.2.1- La prise de pouvoir …………………………………………………………………………… 332
7.2.2- L’exercice du pouvoir ……………………………………………………………………… 333
QUATRIEME PARTIE : RÔLE DE LA CRITIQUE SOCIALE ET ENONCIATION
AU THEATRE
CHAPITRE
VIII.-
Le
rôle
de
la
critique
sociale
dans
le
théâtre d’Afrique Centrale. Le contexte sociologique de la
création ……………………………………………………………………………………………………………………………… 338
8.1- Le rôle pédagogique …………………………………………………………………………………… 340
488
8.1.1-
L’éveil
de
la
conscience
et
la
recherche
d’une
nouvelle société ………………………………………………………………………………………………………… 341
8.2- Productions sociales et catharsis ……………………………………………… 343
8.2.1- Rôle cathartique de la critique sociale ………………………… 344
8.2.2- Contexte sociologique et perspectives de création… 349
CHAPITRE IX.- Enonciation théâtrale et sémiotique. Pour une
linguistique de l’énonciation théâtrale …………………………………………… 351
9.1- L’énonciation et la question des genres littéraires …353
9.1.1- Le théâtre : genre littéraire ou mode d’énonciation ?
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 360
9.1.2- Les formes de la dramaturgie africaine …………………………… 362
9.2- Typologie du discours théâtral ; actes de langage/actes
de parole …………………………………………………………………………………………………………………………… 368
9.2.1- Les formes de ce discours : typologie des échanges
scéniques …………………………………………………………………………………………………………………………… 373
9.2.3- Les enjeux de ce discours ……………………………………………………………… 387
9.3- La situation d’énonciation ………………………………………………………………… 390
9.3.1- Structures discursives : l’intrigue …………………………………… 391
9.3.2- Structures narrative : la dramaturgie ……………………………… 395
9.3.3- Structures actantielles : l’action ……………………………………… 397
9.3.4- Structures idéologiques et inconscient : le sens … 402
9.4- Les codes de la dramaturgie africaine …………………………………… 403
9.4.1- La représentation comme contrat de communication ; de
la narrativité dans le texte dramatique …………………………………………… 405
9.4.2-
Actes
de
parole
et
performance ;
réalisme
ou
transparence du discours dramatique africain ……………………………… 412
CHAPITRE X.- Pour une sémiologie du théâtre africain ………… 417
10.1- De la sémiologie du texte dramatique africain …………… 419
10.1.1- Des formes …………………………………………………………………………………………………… 421
A- Le théâtre traditionnel …………………………………………………………………… 421
B- Le théâtre forum et les formes audio-phoniques et le
télévisuelles (téléthéâtre) …………………………………………………………………………… 422
489
C- Techniques d’énonciation ………………………………………………………………… 423
10.1.2- Des contenus : un théâtre d’intervention social … 426
10.2- Contenus sémiologiques ………………………………………………………………………… 429
10.2.1- La notion de rôle ………………………………………………………………………………… 430
10.2.2- Le personnage et les phases de l’éthos ………………………… 432
10.2.3- La scène et le décor ………………………………………………………………………… 439
10.2.4-
Autres
contenus
sémiologiques :
les
costumes,
la
musique et le maquillage …………………………………………………………………………………… 440
CONCLUSION ………………………………………………………………………………………………………………………… 444
BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………………………………………………… 452
INDEX DES AUTEURS ……………………………………………………………………………………………………… 480
ANNEXE ……………………………………………………………………………………………………………………………………
490
ANNEXES
Document photo
Action missionnaire et jeux de scène
Les mouvements d’action catholique au GABON :
« Cœurs Vaillants », « Ames Vaillantes », Scouts et « Jécistes » de la Paroisse des RoisMages d’Akébé à Libreville célèbrent la Fête de l’Amitié.
Au menu, saynètes, sketches et ballets traditionnels.
Sources : Archives personnelles du Révérend Père Gérard WARENGHEM (1985).
CARTE POLITIQUE D’AFRIQUE
http://www.frenchimmersionusa.org/activites/documents/carte.AFRIQUE.gif
EN RELIEF, LES TROIS PAYS QUI CONSTITUENT NOTRE ZONE DE REFERENCE.
http://www.educol.net/fr-images-coloriages-colorier-photo-carte-dafrique-vierge-i7462.html
Carte Politique du Cameroun
http://www.quid.fr/monde.html?mode=detail&iso=cm&style=carte&zoom=1&id=50215&docid=385
Carte Politique du Congo Brazzaville
http://www.quid.fr/monde.html?mode=detail&iso=cg&style=carte
Carte Politique du Gabon
http://www.quid.fr/monde.html?mode=detail&iso=ga&style=carte&zoom=2&id=50248&docid=418
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