BULLETIN DE L'UNION DES PHYSICIENS N° 826 1333 Aurores polaires sur la France par Laurent PALLIER Lycée Paul Lapie - 92400 Courbevoie Institut d’Astrophysique Spatiale - 91400 Orsay [email protected] RÉSUMÉ Des aurores polaires se sont manifestées dans le nord de la France dans la nuit du 6 au 7 avril dernier. Nous avons eu la chance d’observer une partie de la nuit ce phénomène exceptionnel sous nos latitudes. Nous détaillerons nos observations et nous expliquerons brièvement le mécanisme responsable de ces émissions aurorales. Cette nuit du jeudi 6 au vendredi 7 avril 2000 se présentait comme une de nos habituelles soirées d’observation, et pourtant... 1. LE PHÉNOMÈNE Nous étions partis, quelques anciens élèves et moi-même dans ce petit village à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Paris où nous avions l’habitude de venir poser notre télescope pour observer le ciel profond. Nous étions présents sur les lieux dès le crépuscule et nos observations avaient débuté avec les planètes Jupiter et Saturne ainsi que les objets remarquables des constellations du ciel d’hiver qui se couchent maintenant de plus en plus tôt. Nous attendions le passage au méridien de la constellation de la Vierge pour y observer le célèbre amas de galaxies qui s’y trouve quand notre attention fut attirée par des lueurs rouge orangées persistantes vers le nord. Pendant quelques instants, plusieurs hypothèses se sont succédées quant à leur interprétation : phares de véhicules sur l’autoroute toute proche, projecteurs d’une discothèque ou lumières du voisinage furent successivement passées en revue. Il fallut bien se rendre à l’évidence, le phénomène n’avait rien d’artificiel. En me rappelant que nous approchions du maximum d’activité solaire et que ces lumières n’étaient visibles qu’au nord, il ne pouvait s’agir que d’aurores polaires. Nous avons remarqué les lueurs aux environs de 22 h 30 et dans les quelques minutes qui ont suivi, l’intensité s’est mise à croître. L’aurore s’est alors présentée sous la forme d’un rideau large d’une dizaine de degrés de lumière rouge orangée très vive dont le bord était presque blanc. Le maximum d’intensité a duré près de vingt minutes et la luminosité s’est mise à décroître pro- Vol. 94 - Juillet - Août - Septembre 2000 L. PALLIER 1334 BULLETIN DE L'UNION DES PHYSICIENS gressivement pour laisser la place finalement à une lueur diffuse qui s’est décalée légèrement vers l’ouest. Les émissions rouges que nous avons observées sont dues à une raie de l’oxygène atomique. Elles se produisent vers cent kilomètres d’altitude environ. Nous avons continué à observer jusqu’à environ 0 h 30 mais le phénomène ne s’est pas reproduit entre temps. J’ai appris un peu plus tard dans la presse spécialisée que les aurores se sont manifestées plusieurs fois plus tard cette nuit-là. Malheureusement nous étions partis trop tôt ! Dernier regret enfin : celui de ne pas pouvoir présenter de clichés de cet événement ! Nous n’avions pas emporté d’appareil photo. A défaut de belles images, il est possible de donner une explication physique du phénomène que nous avons observé. 2. INTERPRÉTATION Les aurores polaires (pas seulement boréales car elles se produisent dans les deux hémisphères !) sont dues à la précipitation de particules chargées dans l’atmosphère le long des lignes de champ magnétique planétaire. La figure 1 montre la trajectoire en hélice d’une telle particule le long d’une ligne de champ entre deux points «miroir». L’altitude de ces points dépend entre autre de l’intensité du champ magnétique et de l’angle α entre le vecteur vitesse v de la particule et le vecteur champ magnétique à l’équateur. Lorsque l’angle α devient inférieur à une valeur critique qui dépend de la valeur du champ, l’altitude des points miroir descend jusque dans l’atmosphère. La particule heurte les constituants atmosphériques en produisant une émission. Figure 1 Aurores polaires sur la France BUP n° 826 BULLETIN DE L'UNION DES PHYSICIENS 1335 Les émissions aurorales terrestres se produisent de façon régulière, généralement à haute latitude (> 65° environ en Europe) le long de l’ovale auroral car les lignes de champ le long desquelles les particules précipitent ont leur «pied» à ces latitudes. Ce n’est pas le cas de l’événement observé cette nuit-là. La figure 2 montre une coupe «éclatée» de la magnétosphère terrestre. Le champ magnétique terrestre creuse une cavité dans le vent solaire. Ce dernier, constitué de protons et d’électrons comprime les lignes de champ magnétique côté jour et les étire côté nuit. La partie la plus interne de la magnétosphère donc la plus proche de la Terre, est formée par les ceintures de radiation de Van Allen sur lesquelles circulent des protons, des électrons et des ions provenant de l’atmosphère terrestre. La partie la plus externe de ces ceintures forme un anneau de courant équatorial situé entre quatre et cinq rayons terrestres. Ce sont les particules de cet anneau qui ont donné les émissions aurorales de la nuit du 6 au 7 avril dernier. Figure 2 Dans l’après-midi du 6 avril, des satellites en orbite autour de la Terre ont mesuré une brusque augmentation de la vitesse du vent solaire suite à une éjection de masse coronale dans la couronne solaire environ trente heures plus tôt. La vitesse des particules est alors passée de 400 km/s à environ 700 km/s. Les lignes de champ terrestre ont été comprimées fortement et l’anneau de courant équatorial est descendu entre deux et trois rayons terrestres. Il s’est donc retrouvé sur des lignes de champ connectées à nos latitudes. Les particules qui le constituent ont été soumises à un champ magnétique plus intense : elles pouvaient donc précipiter dans l’atmosphère terrestre. Ce qu’elles n’ont pas manqué de faire une grande partie de la nuit pour notre plus grand émerveillement ! Vol. 94 - Juillet - Août - Septembre 2000 L. PALLIER 1336 BULLETIN DE L'UNION DES PHYSICIENS D’autres alertes aux aurores ont été lancées dans les jours suivants sur Internet en particulier, mais à ce jour aucune autre observation n’a été relatée me semble-t-il. Le maximum d’activité solaire doit se produire au mois de juin. D’autre alertes sont encore possibles ! SUR INTERNET... http://www.ias.fr/iasnv/posters.html http://astro.geoman.net/fr/astro/dossiers/8/aurore.html http://www.exploratorium.edu/learning_studio/auroras/auroraslook.html BIBLIOGRAPHIE Pour ceux qui souhaitent en savoir un peu plus sur les aurores, je recommande la lecture des livres suivants : w Jean LILENSTEIN et Pierre-Louis BLELLY, Du soleil à la terre, Aéronomie, météorologie de l’espace, Presses Universitaires de Grenoble. w Margaret G. KIVELSON et Christopher T. RUSSELL, Introduction to space physics, Cambridge University Press. Aurores polaires sur la France BUP n° 826