Place de l`inhibition dans le trouble obsessionnel

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L’Encéphale (2013) 39, 44—50
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
NEUROPSYCHOLOGIE
Place de l’inhibition dans le trouble
obsessionnel-compulsif
The role of inhibition in obsessional-compulsive disorders
M. Dupuy a,b,∗, F. Rouillon b, C. Bungener a
a
LPPS EA 4057, IUPDP, université Paris Descartes, 75014 Paris, France
Clinique des maladies mentales et de l’encéphale, centre hospitalier Sainte-Anne, université Paris 5 René-Descartes,
1, rue Cabanis, 75014 Paris, France
b
Reçu le 3 août 2011 ; accepté le 6 mars 2012
Disponible sur Internet le 23 septembre 2012
MOTS CLÉS
Trouble obsessionnelcompulsif ;
Inhibition ;
Modèles
neurocognitifs
KEYWORDS
Obsessive-compulsive
disorders;
Inhibition;
Neurocognitive
models
∗
Résumé La nature des mécanismes neuropsychologiques sous-jacents à l’expression symptomatique du trouble obsessionnel-compulsif reste encore à déterminer. Nombreuses sont
les études qui mettent en évidence des déficits cognitifs mais la diversité des méthodologies
et la mixité des sous-types cliniques empêchent de dégager des constantes en termes de
profil neurocognitif. Les études qui se sont attachées à l’examen des fonctions exécutives
accordent toutefois une importance au rôle exercé par l’inhibition et la flexibilité cognitive
dans l’expression symptomatique du trouble obsessionnel et compulsif (TOC). La plupart
d’entre elles mettent en évidence un défaut d’inhibition et une altération de la flexibilité
cognitive qui pourraient rendre compte du caractère inflexible et répétitif des pensées et des
actes commun à toutes les formes du TOC. L’objectif de cet article est de réunir des arguments
de la littérature qui plaident en faveur de l’hypothèse d’un déficit d’inhibition et de flexibilité
cognitive. La première partie est consacrée à l’approche théorique neuropsychologique
plaçant l’inhibition et la flexibilité comme médiateur prometteur pour la compréhension du
TOC. En seconde partie, nous passerons en revue des études utilisant différentes mesures de
l’inhibition et la flexibilité, dont les résultats vont dans le sens de cette hypothèse.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Summary
Introduction. — The nature of neuropsychological mechanisms underlying the clinical picture of
obsessions and compulsions has not been clearly determined. A number of studies has emphasized the role of cognitive deficits, but diversity of methodology and overlapping of clinical
sub-groups have not established a specific cognitive functioning of these patients. The studies
carried out on executive functions have, however, helped to identify the important role that
both inhibition and cognitive flexibility play in obsessive-compulsive (OC) symptoms. Most of
them have found that a deficit of inhibition and alteration of cognitive flexibility could explain
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Dupuy).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.06.016
Place de l’inhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif
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inflexibility and repetitive thoughts and actions typical of all types of OC disorders. The aim of
the paper is to present the published data supporting the hypothesis of a specific role played
by a deficit of inhibition and cognitive inflexibility. In the first, theoretical part, we present
the neuropsychological approach emphasizing inhibition and lack of flexibility as a promising
explanation of the functioning of OC disorders. In the second part, we will present studies using
various measurements of inhibition and the results of which, therefore, support this hypothesis.
Arguments and discussion. — On the theoretical level, it is the model of attention that was
used in explaining the OCD hypothesis. In the model of attention control of action, described by
Norman, Shallice and Burgess, three systems were emphasized: one that takes care of routine
actions, and the second that takes over the first in situations where automatic activities must
stop in order to establish an attention control and therefore inhibit automatic responses.
When selection of everyday and automatic activities is not sufficient to accomplish a task, it
is the third system, that of cognitive control, which takes over. This supervisory attentional
system operates in non-routine and ambiguous activities. The cognitive control is charged
with detecting potential or emitted cognitive errors and resolving ambiguous situations.
Neurocognitive studies show that cingular anterior cortex and prefrontal lateral cortex are
engaged in ambiguous and conflicting situations. These two regions are considered essential for
inhibition of routine actions, adjustment to change and, more generally, for an efficient and
flexible behaviour. Repetitive nature of verification rituals in OCD could be explained in terms
of lack of relationship between two systems, leaving in action the one that regulates automatic
activities. Therefore, the rituals are considered to be under particular influence of the system
which, being in charge of automatic actions, has a deficit in disengagement. Another model
of attention, described by Posner, gives a further explanation of OCD. Mental inhibition has
the capacity to treat information, either by applying strategies to control it (i.e. trying not to
remember an unpleasant event) or leaving it to automatic control (i.e. incapacity to experience
an emotion in relation to a particular event). In this way, the effort to suppress an intrusive
thought is considered as controlled and deliberate cognitive treatment of emotionally charged
information. In OCD, in the context of heightened anxiety, the assumed negative valence of
information would influence habitual suppression of thought during controlled treatment. As
a result, controlled efforts to suppress obsessions in emotionally stressful situations, would
lead to the production of repetitive thoughts, as controlled treatment of information has
failed in this action. On a clinical and experimental level, these studies have led to a better
understanding and conceptualization of OCD. In spite of some conflicting results, there are
concordant data in favour of hypotheses of the role of sub-cortical and frontal regions and their
function in inhibition/desinhibition implied in the onset and maintenance of OCD. Functional
neuroimagery anomalies are also in favour of the role of sub-cortical-frontal region in clinical
manifestations of OCD. They are often associated with low performance in cognitive tasks,
especially those implying frontal functions, which are, in turn, dependent on a necessary level
of attention in order to guide or inhibit motor and cognitive programs.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Introduction
Le trouble obsessionnel et compulsif (TOC) est une maladie
psychiatrique qui touche 2 à 3 % de la population générale
[1—3]. En termes de prévalence, elle se situe au quatrième
rang des maladies mentales [4]. Elle est responsable d’une
souffrance psychique et peut être invalidante en pesant
fortement sur la vie quotidienne du sujet. Dans un cas
sur deux, les symptômes débutent lors de l’enfance ou de
l’adolescence [5,6]. Le sex-ratio est proche de 1 bien que
l’âge de début soit souvent plus précoce chez le garçon [7]. À
l’âge adulte, le tableau peut évoluer sous des formes symptomatiques diverses [8]. La maladie s’installe de manière
insidieuse. La guérison est aléatoire et l’évolution est le plus
souvent chronique.
Le TOC se caractérise par des obsessions telles que des
idées, représentations ou des impulsions émotionnellement
pénibles faisant irruption dans la pensée de façon
incontrôlée et contre la volonté de la personne. Elles
sont persistantes, récurrentes et porteuses d’une charge
anxieuse. Les compulsions ou rituels sont des actes que le
patient se sent forcé de répéter incessamment afin de soulager l’anxiété présente [1]. L’éventail des rituels et des
obsessions est large. En pratique, pour faciliter le dépistage,
on les regroupe par thème [9].
Il n’existe pas de modèle unique qui explique la cause
et la complexité des troubles. Des facteurs psychologiques,
neurophysiologiques, neurocognitifs (implication de régions
cérébrales) et une susceptibilité génétique joueraient un
rôle dans le développement et/ou le maintien des symptômes [10—13].
Grâce aux techniques d’imagerie, l’un des courants de
recherche le plus prometteur actuellement à l’intersection
des sciences cognitives et de la neurobiologie s’intéresse
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aux processus neurocognitifs sous-jacents à l’expression du
trouble. Les études dans ce domaine cherchent à faire
évoluer notre compréhension des symptômes dans la perspective d’améliorer la démarche de soin et d’optimiser
les stratégies thérapeutiques futures [14,15]. Les investigations en neurosciences fournissent des éléments essentiels
à la compréhension des symptômes TOC, notamment
de la complexité des circuits neuronaux impliqués dans
l’expression de ceux-ci [16].
L’approche cognitivo-comportementale et ses outils thérapeutiques ont contribué à faire progresser la connaissance
des mécanismes émotionnels et cognitifs sous-jacents au
trouble [17—20]. De même, la convergence entre les données cognitives et les techniques d’imagerie fonctionnelle
a apporté des éléments de compréhension selon un angle
neurocognitif. Parmi les hypothèses neurocognitives avancées, certains auteurs privilégient le rôle possible exercé
par l’inhibition et la flexibilité mentale dans l’expression
symptomatique du trouble obsessionnel compulsif.
Des éléments de compréhension du TOC ont été proposés
à partir des modèles cognitifs de l’attention. Ils mettent en
avant le rôle de l’inhibition et de la flexibilité qui régulent
et contrôlent nos conduites. L’attention en tant que superviseur cognitif prend dans ce contexte clinique et théorique un
intérêt tout particulier, notamment si le TOC est considéré
comme une perte de l’aptitude à inhiber des programmes
cognitifs et moteurs. C’est ce que nous allons illustrer dans
cet article.
Rôle de l’inhibition et de la flexibilité dans le
contrôle cognitif et comportemental
Quand une situation exige d’aller au-delà des habiletés cognitives sur-apprises, divers processus exécutifs sont
impliqués dans le contrôle du comportement. Les fonctions
d’inhibition et de flexibilité mentale y jouent un rôle essentiel. Ainsi, l’inhibition interrompt ou réprime les pensées ou
les actions inutiles pour l’exécution d’une tâche. Sa fonction est de bloquer les conduites préalablement activées et
devenues superflues [21]. C’est un processus actif qui rend
possible le traitement sélectif des informations cognitives.
L’inhibition sert aussi de filtre en triant les informations
inutiles et en éliminant les « bruits de fond » ou les éléments perturbateurs. Elle sert à supprimer les informations
non pertinentes provenant de la mémoire de travail afin de
ne pas entraver une tâche en cours. Une défaillance de ce
mécanisme peut se traduire par l’impulsivité comportementale ou cognitive. Des erreurs du quotidien illustrent bien les
défaillances transitoires du contrôle inhibiteur (par exemple
réaliser tardivement, sur un trajet habituel, qu’il fallait
poster son courrier, appuyer sur l’interrupteur en entrant
dans une pièce déjà éclairée). Une autre fonction exécutive,
dissociable de la fonction d’inhibition est la flexibilité cognitive. Elle se caractérise par l’aptitude à changer de stratégie
et à modifier un schéma d’action afin de s’adapter aux nouvelles situations. Elle sert aussi à passer d’une activité à
l’autre ou à alterner l’attention entre plusieurs tâches. Elle
permet ainsi de configurer et d’ajuster notre système cognitif de façon à émettre la réponse comportementale la
mieux adaptée à un environnement changeant. Les troubles
de la flexibilité affectent les tâches qui requièrent des
M. Dupuy et al.
changements de stratégie. Ces troubles se manifestent par
des comportements répétitifs, inflexibles, mal adaptés à la
situation.
Quand on est amené à changer une décision, cela
implique d’être capable d’inhiber le premier choix et de
déplacer son attention vers un nouveau choix (flexibilité).
Ces fonctions d’inhibition et de flexibilité cognitive sont
associées à un mécanisme de contrôle cognitif composé d’un
ensemble de processus qui guide la sélection et la coordination des actions en fonction d’un but et des événements.
Le défaut d’inhibition mentale peut-il
caractériser l’incapacité des patients TOC à
stopper leurs pensées et comportements ?
Approche théorique : les modèles de l’attention
Les modèles cognitifs de la régulation de l’action des systèmes attentionnels et de la mémoire de travail fournissent
des éléments de compréhension [22—25].
Le modèle du contrôle attentionnel de l’action de Norman et Shallice [23] décrit des caractéristiques cognitives
du comportement normal dans un contexte de traitement
de l’information. Selon les auteurs, que les actions soient
routinières ou nouvelles, elles s’engagent au travers d’un
système d’inhibition et d’activation de schémas d’actions.
L’action est réalisée sous la dépendance de schémas
comprenant trois niveaux d’intégration de programmation
et de planification de l’action. Le premier est un répertoire
de schémas d’actions qui gère les séquences d’actions surpratiquées et automatiques. Il est actif pour les situations
bien connues qui n’engagent pas un niveau d’attention
élevé. Le second système « gestionnaire de priorité » agit en
cas de conflit, quand deux schémas d’habitudes moteurs ou
cognitifs sont activés en même temps. Il priorise une action
en sélectionnant le schéma le mieux adapté au contexte.
Quand la sélection des activités routinières et automatiques
ne suffit plus pour mener une tâche, c’est un troisième
système de contrôle cognitif qui prend le relais. Ce système
de supervision attentionnelle intervient en situation non
routinière ou ambiguë. Shallice et Burgess [27] ont proposé
de le fractionner en sous-systèmes rattachés à des fonctions
spécialisées : activation de « marqueurs » ou messages indiquant que le comportement ne doit pas être exercé comme
une routine, choix et application d’une stratégie, évaluation après vérification du résultat. Le contrôle cognitif est
chargé de détecter les erreurs potentielles ou émises et
de résoudre les situations conflictuelles. Le test de Stroop
illustre une situation où il y a compétition entre deux plans
d’action. La tâche consiste à dénommer la couleur d’un mot
qui n’est pas compatible avec son nom de couleur (VERT
écrit en rouge). Il y a interférence dans le traitement de la
couleur par automaticité de la lecture. Cette tâche implique
la mise en œuvre de divers processus exécutifs comme
l’attention sélective qui détecte le conflit couleur/mot et
le risque d’erreur, ainsi que l’inhibition de l’automaticité
de lecture. Elle fait également appel à la sélection d’une
réponse et à son ajustement, à l’anticipation des réponses
en tenant compte des effets des réponses antérieures.
Ces opérations exécutives sont gouvernées par le contrôle
cognitif qui engage au cours de ces situations conflictuelles
Place de l’inhibition dans le trouble obsessionnel-compulsif
47
deux régions frontales (cortex cingulaire et région préfrontale). Le premier détecte les situations ambiguës et les
erreurs. Il est sensible quand des erreurs se produisent aux
épreuves d’inhibition. En situation incongrue (VERT écrit en
rouge) il est plus sollicité que dans la condition où couleur
et mot sont congruents [28]. Quand un risque d’erreur apparaît (essai incongru) à un moment inattendu (essais à faible
risque d’erreur qui se suivent) il est davantage mobilisé. La
répétition d’essais au test entraîne des temps de réponses
plus rapides par ajustement du contrôle cognitif [28]. Une
fois la situation conflictuelle repérée, son rôle est d’évaluer
le besoin de contrôle cognitif qu’il transmet à la région
préfrontale ; celle-ci ajustera alors son contrôle cognitif
selon les besoins [29]. Ces auteurs montrent que ces deux
régions ont des rôles complémentaires dans l’ajustement
des comportements. Elles sont essentielles à l’inhibition
des comportements routiniers, à l’anticipation des réponses
pour s’adapter aux changements et plus globalement, à
l’efficacité et à la flexibilité des comportements [30].
En cas d’atteinte exécutive d’origine organique
(patients cérébro-lésés ou présentant une maladie neurodégénérative) la dissociation entre ces deux systèmes peut
se révéler par l’atteinte du système superviseur. Celle-ci se
traduit alors par des actions anormalement répétées d’un
même schéma d’actions (persévérations) dans une situation
non familière et par un déficit des conduites d’inhibition,
alors que dans un contexte de « routine », les activités
restent correctement menées. Les aires préfrontales jouent
un rôle majeur dans le contrôle cognitif. Les troubles du
contrôle cognitif perturbent la planification et se révèlent
souvent dans des tâches complexes qui comportent des
interférences ou la mise en jeu de processus compétitifs.
Les déficits du contrôle cognitif touchent la régulation
des processus cognitifs qui ont un but et l’adaptation aux
nouvelles situations. Ces déficits se traduisent par des
erreurs comme la sélection incorrecte d’une réponse ou des
erreurs de substitution, comme par exemple, jeter l’œuf
et conserver la coquille.
Le modèle du contrôle attentionnel de l’action de Norman et Shallice peut constituer selon Tallis un cadre
éclairant pour appréhender les mécanismes qui soustendent le comportement répétitif et qui empêchent son
arrêt. Selon Tallis, plusieurs hypothèses peuvent être formulées à partir de ce modèle [31,32]. Dans le comportement
normal, le fait de vérifier peut s’entendre comme une
action adaptée, nécessaire au contrôle et à l’ajustement
d’une activité en cours. Chaque vérification est déclenchée
par l’activation d’un marqueur dit « temporel » (système
superviseur) qui implique une situation de mémorisation
au moment du contrôle. Un besoin excessif de répéter les
conduites pourrait résulter d’un défaut de mise à jour (réactualisation) de ce marqueur temporel qui resterait alors
anormalement activé. Plusieurs facteurs de maintien des
rituels peuvent être envisagés en regard du gestionnaire des
priorités. Avec l’évolution de la maladie, les rituels comportementaux, particulièrement les plus anciens, tendent
à évoluer sous une forme plus automatisée. Ainsi, des
séquences d’actions peuvent s’abréger, se produire même
en l’absence d’obsessions et d’une prise de conscience
au moment de l’acte. Ces conduites devenues plus
automatisées et requérant peu de contrôle attentionnel
comme les comportements routiniers seraient alors davantage soumises au contrôle du gestionnaire de priorité, que
le système superviseur ne parviendrait pas à interrompre en
dirigeant l’activité vers une autre conduite.
La pensée intrusive est considérée comme un phénomène
normal. Elle prend une forme exagérée dans l’obsession où
elle subit une évaluation émotionnelle et cognitive excessivement négative. Cette évaluation à charge émotionnelle
négative conduirait le système de supervision attentionnelle
à interrompre un comportement en cours et dirigerait le gestionnaire de priorité vers un comportement « réparateur » ou
« préventif » sous la forme de schémas d’actions automatisés. Ce comportement « réparateur », comme par exemple
le « lavage », serait sélectionné en priorité par le système
gestionnaire devant le caractère logique du contenu de
pensée comme la crainte d’être contaminé. Un déficit de
désengagement de ce système de l’attention participerait à
la production répétée de ce schéma d’actions de comportements réparateurs.
Le modèle attentionnel développé par Posner peut se
prêter à un cadre interprétatif susceptible d’apporter des
éléments de compréhension complémentaires au comportement compulsif [24,32]. Ce modèle distingue trois systèmes
attentionnels, chacun présentant des fonctions différentes. Le premier système est spécifique à l’orientation
attentionnelle engagée dans les activités de localisation
visuo-spatiale. Les deux autres systèmes dits de maintien
attentionnel et de contrôle attentionnel sont impliqués dans
l’orientation endogène de l’attention et sont particulièrement adaptés à la détection de cibles et à l’inhibition des
réponses automatisées.
En neuropsychologie, la mise en jeu du système de
maintien attentionnel [24], fonction proche de celle du
système superviseur [23] est appréciée à partir de tests
dits de « double tâche » et d’épreuves de « situations
conflictuelles ». Ces dernières sont basées sur un principe de compétition des réponses comme les épreuves de
réponses contrariées (Go/No-Go) pour évaluer l’inhibition
motrice et le paradigme d’interférence (Stroop) pour évaluer l’inhibition cognitive [33]. Dans la pratique, les mesures
de sensibilité à l’interférence et d’effet d’amorçage négatif
à partir de tests cognitifs sont des indicateurs d’efficacité
de l’inhibition. Classiquement, en situation expérimentale, la procédure d’amorçage consiste à fournir un
indice sur les propriétés physiques (couleur, forme, taille)
ou conceptuelles (catégorie, lien associatif) d’une information avant sa présentation. Cette procédure facilite
habituellement le traitement de l’information. En condition d’amorçage négatif, après la détection répétée d’une
cible, le distracteur devient cible à l’essai suivant. L’effet
d’amorçage négatif se traduit normalement par un ralentissement lors de la détection de la cible lié à l’inhibition
initialement associée. L’absence d’un effet d’amorçage
négatif est considérée comme la conséquence d’un défaut
d’inhibition.
La notion d’interférence se réfère à la capacité chez
le sujet de résister à l’intervention d’une réponse distractrice (ayant un traitement automatique, donc rapide) en
l’ignorant. Le test de Stroop est habituellement utilisé pour
évaluer l’impact interférant des habitudes fortement installées (le traitement automatique de la lecture de mots) à
48
l’égard d’une consigne requérant un traitement inhabituel
des mots.
Il existe une classification de l’inhibition sur la base
d’opérations essentiellement cognitives mais aussi dans le
domaine des relations entre les émotions et les cognitions [34]. Ainsi, l’inhibition est présentée comme ayant
une action sur l’information liée à une émotion (c’est
par exemple ne pas se souvenir d’un événement émotionnel) ou sur l’émotion elle-même (se souvenir de
l’événement émotionnel en inhibant le ressenti émotionnel lié à l’événement). L’inhibition possède une forme de
traitement, soit contrôlée (tenter de ne pas se rappeler
d’un événement désagréable), soit automatique (incapacité
à ressentir une émotion relative à un événement émotionnel). Ainsi, l’action d’effort pour supprimer une pensée
intrusive est considérée comme un traitement contrôlé et
délibéré d’une information émotionnelle. Selon Tallis, la
charge anxieuse liée au contenu négatif de l’information
tendrait à bloquer la fonction de suppression de la pensée
au cours du traitement contrôlé. En conséquence, ce sont
les efforts contrôlés pour supprimer les obsessions en situation de stress émotionnel qui favoriseraient la production
répétitive des pensées, le traitement contrôlé assurant mal
sa fonction de suppression [31].
Les techniques utilisées en thérapie cognitive ne permettent pas de contrer le caractère intrusif et involontaire
des pensées obsédantes. Certains auteurs ont suggéré la
technique du « stop signal » qui consiste à s’inventer un
panneau « stop » quand une obsession fait irruption. Cette
technique est discutée car elle semble provoquer un effet
rebond de la pensée, autrement dit s’empêcher de penser
provoque davantage l’apparition de la pensée.
Approche clinique et expérimentale : études
neuropsychologiques
Les études ont permis des progrès dans la compréhension
et la conception du TOC. Même si les travaux mettent en
évidence des résultats contrastés, un consensus se dégage
pour soutenir l’hypothèse du rôle des régions sous corticales, frontales et leurs liens avec les processus engagés
dans l’activité d’inhibition/désinhibition impliquées dans la
production et le maintien du TOC.
Ces anomalies sont souvent associées à de faibles performances dans des tâches cognitives impliquant les fonctions
frontales, elles-mêmes dépendantes des capacités attentionnelles pour diriger ou inhiber des programmes moteurs
et cognitifs. Des liens entre symptômes TOC et certaines
maladies neurologiques sont étudiés. Des patients TOC
développent des troubles neurologiques dominés par des
troubles du mouvement et inversement des patients atteints
de certaines affections neurologiques ont aussi des symptômes TOC [35]. Baxter et al. [36] suggèrent un modèle
explicatif du TOC. Il souligne le rôle des boucles frontosous-corticales engagées dans le contrôle et le refus de
stimuli ou de distracteurs. Des anomalies de ces structures, (notamment du striatum) point de convergence et
d’intégration des informations provenant du cortex, pourraient être une piste explicative du trouble notamment par
le rôle inhibiteur sur les pensées et les images mentales.
Saxena et al. font l’hypothèse qu’un déséquilibre du circuit
M. Dupuy et al.
cortico-striato-thalamo-corticale serait à l’origine des
rituels moteurs [37]. L’idée prévalente serait qu’un rituel
moteur volontaire dans un contexte d’anxiété, subirait un
déficit d’inhibition ou, à l’inverse, une suractivation liée à
ce déséquilibre. Une série d’études met en évidence chez
des patients TOC exposés à faire une erreur des perturbations du fonctionnement des régions cérébrales engagées
dans la détection des erreurs [38,39]. Cela entraînerait la
perception qu’a le patient d’être constamment en situation
d’erreur ce qui favoriserait le doute et les comportements compulsifs répétitifs [40]. L’étude de Roth et al.
montre un déficit d’inhibition motrice chez les patients TOC
allant de pair avec des perturbations des régions cérébrales
impliquées dans l’inhibition et le degré de sévérité des
symptômes [41]. L’étude de Gu et al. montre un déficit de
flexibilité mentale chez des patients TOC associé à des perturbations de l’activité de régions cérébrales impliquées à
cette fonction cognitive [42]. Chamberlain et al. mettent en
évidence que des parents sains de premier degré de patients
TOC ont des perturbations de la flexibilité cognitive et de
l’inhibition motrice [43].
Les études neuropsychologiques qui évaluent l’inhibition
fournissent des résultats très contrastés probablement pour
des raisons de variabilité méthodologique des mesures et
des groupes de TOC mixtes. Le plus souvent, elles utilisent l’un des trois paradigmes expérimentaux de mesure
de l’inhibition :
• la procédure d’effet d’amorçage négatif où le distracteur
lors d’un premier essai devient une cible à l’essai suivant
avec comme effet une augmentation du temps de réponse
pour surpasser le résidu d’inhibition lié à l’essai précédent
[44]. McNally et al. montrent un déficit d’inhibition chez
les patients TOC (moindre effet d’amorçage négatif) [26] ;
• le paradigme de Stroop utilisé dans certaines études
plaide en faveur d’un déficit d’inhibition avec un effet
plus fort d’interférence chez les patients TOC comparés
à des patients présentant un trouble panique [45—47] ;
• la tâche de Go/No-Go qui requiert l’inhibition d’une
réponse motrice a aussi été largement proposée chez
ces patients. Certains résultats montrent un déficit
d’inhibition [48].
Les investigations neuropsychologiques sont un apport
substantiel à la compréhension des mécanismes qui soustendent l’expression clinique du TOC. Le fait que l’inhibition
renvoie à des mécanismes différents et qu’il n’existe pas
de tâche pure d’inhibition pourrait expliquer les patterns
de résultats de la littérature. Pour les études à venir, les
efforts devraient porter d’une part, sur une sélection plus
homogène des TOC, d’autre part, sur le choix des outils de
mesure de l’inhibition.
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