Le point sur les traitements de l’alcoolisme 1/ Quelques définitions : L’alcoolisation est le fait de boire une boisson alcoolisée. Celle-ci peut être importante ou modérée. L’alcoolodépendance est à distinguer de « l’usage à risque » et de « l’usage nocif » : - - - Alcoolodépendance : « toute conduite d’alcoolisation caractérisée par la perte de la maîtrise de la consommation. L’usage avec dépendance ne se définit donc ni par rapport à un seuil ou une fréquence de consommation, ni par l’existence de dommages induits qui néanmoins sont souvent associés » 1. Usage à risque : conduite d’alcoolisation où la consommation est réputée dangereuse mais sans encore avoir de répercussion médicale, psychique ou sociale. Il existe un seuil De manière approximative, fixé par l’OMS : pour les hommes, 210g d’alcool pur on considère qu’un verre de boisson alcoolisée contient par semaine (21 verres standard par semaine, 3 10 g d’éthanol pur. verres standard par jour) et pour les femmes, 140g d’alcool pur par semaine (14 verres standard par semaine, 2 verres standard par jour), ou, quel que soit le sexe, à 40g d’alcool pur (4 verres standard) en usage ponctuel. Usage nocif : conduite d’alcoolisation caractérisée par l’existence d’au moins un dommage d’ordre médical, psychique ou social induit par l’alcool, quels que soient la fréquence et le niveau de consommation, en l’absence de caractéristiques d’une dépendance à l’alcool. 2/ Quels sont les risques du mésusage de l’alcool ? Une alcoolisation importante et régulière entraine de nombreux psychologiques, sociaux et familiaux, mais également corporels : - - dommages Atteinte du foie et des organes digestifs : stéatose2, hépatite, cirrhose, pancréatite, cancer du foie, du pharynx, de l’œsophage, du pancréas, … Maladies nerveuses et cérébrales : lésion directe du système nerveux, lésion indirecte par carence en vitamine B1 entrainant neuropathies, baisse de l’acuité visuelle, syndrome de Korsakoff (perte de la mémoire récente, encéphalopathie) Système cardio-vasculaire : hypertension, troubles du rythme cardiaque, … Déminéralisation osseuse … 1 Selon la Société française d’addictologie et d’alcoologie Stéatose : accumulation de triglycérides à l’intérieur du foie entrainant une augmentation du volume du foie sensible au toucher. 2 1 Conduite officinale octobre 2013 3/Comment reconnaitre les signes d’une alcoolodépendance ? En tant que soignants de 1ère ligne ayant des contacts fréquents avec les patients, pharmaciens et assistants sont bien placés pour repérer les signes d’une alcoolodépendance. Néanmoins, la reconnaissance précoce des patients alcoolodépendants est difficile. Repérer les signes de sevrage est une aide (tremblements fin des extrémités, moiteur des paumes, sueur,…). Des signaux de mésusage de l’alcool sont des occasions propices pour entamer le dialogue : ivresse (plainte de nausées, vomissements, maux de têtes,…), accidents, crises familiales, etc. Il existe de nombreux questionnaires qui évaluent la consommation et le rapport à l’alcool des patients, ce sont des aides utiles au diagnostic médical. Ex. : le questionnaire DSM-IV de l’American Psychiatric Association, le questionnaire DETA, le questionnaire AUDIT de l’OMS (http://www.automesure.com/Pages/formulaire_alcool.html). 4/ Comment motiver les patients alcoolodépendants à se soigner ? L’entretien motivationnel est un ensemble de pratiques proposées aux professionnels de la santé pour aider les patients à modifier leur comportement3. Le soignant s’efforce à ce que le patient participe activement aux changements de son comportement. Cet entretien repose sur 4 principes : - exprimer l’empathie : acceptation, écoute réflective par le soignant développer la divergence : c’est-à-dire la prise de conscience de l’écart entre le comportement actuel du patient et ses valeurs, ses objectifs ; accepter la résistance : ne pas s’opposer à la résistance de front par des argumentations, inviter à de nouveaux points de vue renforcer le sentiment d’efficacité personnelle : accorder du crédit au patient à ses possibilités de changement. Il faut reconnaitre qu’il est difficile d’amener ces patients à se soigner et que de nombreux freins existent au changement comportemental en santé 4: Absence de désir de changements période de réflexion période de préparation au changement changement persistance du changement Rechute 3 L’entretien motivationnel est utilisé dans de nombreuses situations, tantôt pour aider à modifier un comportement néfaste (dépendances diverses), tantôt pour induire un comportement thérapeutique favorable (observance d’un traitement, assiduité auprès des soignants, régime alimentaire, etc.) 4 Cycle de Di Clemente et Prochaska 2 Conduite officinale octobre 2013 4/Quels sont les médicaments utilisés ? Pour les patients alcoolodépendants, l’objectif thérapeutique est l’arrêt de la consommation d’alcool, puis une abstinence prolongée, voire une consommation contrôlée. Les traitements ont pour objectifs d’une part de diminuer les manifestations de sevrage, et, d’autre part, de diminuer l’envie impérieuse de boire de l’alcool. Le syndrome de sevrage alcoolique est la traduction clinique d’une dépendance physique à l’alcool. Il s’observe lors de l’arrêt de la consommation d’alcool (6 à 12h après la dernière prise) et évolue en général spontanément vers la guérison en une semaine. Les manifestations du sevrage se manifestent par une hyperactivité sympathique (tremblements, tachycardie, hypertension artérielle, sueurs, fièvre, hyperglycémie, hypokaliémie) et des symptômes anxieux et dépressifs. Il existe des formes sévères : crises convulsives généralisées, hallucinations, délirium tremens5 parfois mortel. Médicaments utilisés dans le sevrage alcoolique Divers médicaments peuvent être utilisés pour soulager les patients pendant la période de sevrage et diminuer le risque de complications (convulsion, hallucination, délirium tremens). Voit tableau page 5 - - - - Les benzodiazépines sont les médicaments de premier choix pour prévenir les formes sévères des manifestations de sevrage. Elles sont utilisées sur une brève période (7 jours en général), les effets indésirables sont alors bénins6. Celles qui ont été le plus étudiée sont le diazépam et l’alprazolam. Les posologies doivent être adaptées individuellement. Le diazépam est généralement préconisé étant donné sa plus grande demi-vie. La voie orale est en général privilégiée. Les antiépileptiques (phénytoïne, carbamazépine, …) sont moins efficaces que les benzodiazépines et leur ajout à une benzodiazépine n’apporte pas de bénéfice tangible. Les bêtabloquants (propranolol, aténolol,…) augmentent le risque d’hallucinations, la clonidine le risque de cauchemar, alors que leur efficacité est mal établie. Les neuroleptiques (chlorpromazine,…), parfois utilisés, augmentent le risque de convulsions. Les médicaments utilisés pour le maintien de l’abstinence (acamprosate, naltrexone, disulfiram) n’ont pas d’efficacité dans le syndrome de sevrage. Une supplémentation en vitamine B1 per os et à forte dose (300mg/j) est largement recommandée, étant donné le risque de carence possible chez les patients alcoolodépendants. Le sevrage peut se faire en milieu hospitalier ou en ambulatoire. L’équipe officinale a alors un rôle important à jouer dans la délivrance des médicaments et la surveillance des 5 Délirium tremens : syndrome d’hyperactivité sympathique avec fièvre élevée et tremblements généralisés, des hallucinations et une confusion. En l’absence de traitement, la mortalité peut atteindre 15% (La Revue Prescrire, septembre 2006, tome 26, n°275) 6 Le syndrome de sevrage alcoolique, La Revue Prescrire, septembre 2006, tome 26 n°275, page 594. 3 Conduite officinale octobre 2013 signaux d’alarme nécessitant une consultation médicale, mais aussi dans l’écoute et le dialogue avec le patient et son entourage. Médicaments utilisés dans le maintien de l’abstinence Si le sevrage physique se résout en quelques jours, la prise en charge de la dépendance psychologique est un projet thérapeutique sur le long terme. Le but principal du traitement de ces patients est d’améliorer leur qualité de vie globale, c’està-dire leur santé physique et psychique, ainsi que leur vie sociale. Il vise à permettre l’abstinence et à la maintenir. La prise en charge comporte des psychothérapies (psychothérapies de soutien, cognitivo-comportementales, groupes de parole). Les traitements pharmacologiques font intervenir des médicaments spécifiques (acamprosate, naltrexone, baclofène, disulfiram). Le soutien psychologique et social fait donc partie intégrante des soins à fournir au patient et les médicaments n’ont qu’une place limitée7. Voir tableau page 5 - - L’acamprosate (Campral®) : c’est le médicament de 1er choix. Son efficacité (bien que modérée) a été largement démontrée. La naltrexone (Nalorex®), un antagoniste des récepteurs morphiniques centraux et périphériques, est enregistré comme traitement de substitution aux opioïdes mais est également efficace pour maintenir l’abstinence alcoolique (bien que cette indication ne soit pas reprise dans les RCP).8 Le baclofène (Lioresal®) a été testé pour agir sur l’envie impérieuse ou obsessionnelle de boire de l’alcool. Les études préliminaires laissent envisager une éventuelle efficacité du baclofène mais les résultats ne sont pas univoques ; ceci justifie que soient menés des essais cliniques complémentaires. Ce médicament n’a pas reçu d’autorisation de mise sur le marché pour cette indication. Le baclofène est utilisé dans le traitement de certaines spasticités musculaires (de 30 à 75mg/jour en 2 à 4 prises). A ces doses, les effets indésirables sont surtout des somnolences en début de traitement, divers troubles neuropsychiques tels qu’étourdissements, vertiges, états euphoriques, dépressions, céphalée, paresthésies, troubles de l’élocution, ataxie, insomnie. Dans le cadre de l’abstinence alcoolique, les quelques études publiées à ce jour ont utilisé des doses croissantes, en moyenne environ 150mg/jour, et jusqu’à 400mg/jour. Les effets indésirables à de telles doses sont encore mal cernés. Des syndromes confusionnels et des états maniaques ont été rapportés au centre de pharmacovigilance. Quelques données font aussi envisager un risque accru de suicides. Un nombre important des patients ont quitté l’étude en raison des effets indésirables. 9 Le baclofène est actuellement utilisé en dernier recours, chez les patients en alcoolodépendance sévère, bien informés des nombreuses incertitudes quant à l’efficacité et aux effets indésirables de ce traitement. 7 Répertoire commenté des médicaments, Médicaments utilisés dans l’alcoolisme, CBIP, 2013 Alcool et médecine générale, D Huas et B. Rueff, MSsanté, 2010 9 Baclofène et patient en alcoolodépendance sévère, mai 2013 ; La revue Prescrire, Tome 33 n°355 8 4 Conduite officinale octobre 2013 - Le disulfirame (Antabuse®) est utilisé comme traitement de dissuasion, induisant un effet antabuse10 en cas de consommation d’alcool. Il n’est donc pas indiqué en première intention. DCI Diazépam Sevrage Maintien de l’abstinence Posologie 5-20mg/j en 3 prises 0.75-1,5mg/j en 3 prises 300 mg/j E.I. troubles de la vigilance, somnolence, confusion,… troubles de la vigilance, somnolence, confusion,… par voie orale, pas d’E.I. notable Conseils Acamprosate Spécialité Valium® et génériques Xanax® et génériques Benerva®, Betamine® , Vitamine B1 Sterop® Campral® 333mg 2x/j si <60kg, 3x/j si >60kg Encourager une prise régulière, traitement de longue durée Naltrexone Nalorex® 50mg/j troubles digestifs, cutanés, dépressions, rares réactions d’hypersensibilité. Il augmente peut-être le risque de décompensation cirrhotique. troubles digestifs, troubles neurologiques (dont dépressions, idées suicidaires, hallucinations), réactions d’hypersensibilité, rhabdomyolyses, troubles urinaires et sexuels. Baclofène Liorésal® et génériques 30-75mg/j en 2-4 prises augmentation progressive jusqu’à en moyenne 150mg/j Disulfiram Antabuse® 400mg 2x/j pendant 2-3 jours puis diminuer Alprazolam Vit B1 (Thiamine) somnolences en début de traitement, divers troubles neuropsychiques tels qu’étourdissements, vertiges, états euphoriques, dépressions, céphalée, paresthésies, troubles de l’élocution, ataxie, insomnie éruptions cutanées, céphalées, somnolence, hépatotoxicité, collapsus cardio-vasculaire pouvant être fatal en cas de consommation d’alcool Durée du traitement 2 à 3 semaines Formellement C.I. chez toxicomane : risque de syndrome de sevrage. Indication non reprise dans le RCP. Indication non reprise dans le RCP. Encourager la pharmacovigilance CI en cas de neuropathie 10 Effet antabuse : accumulation d’acétaldéhyde dans l’organisme, par inhibition de l’acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH).Symptômes : nausées, vomissements, flush (visage, tronc, membres), transpiration, tachycardie, palpitations, tachypnée, souffle court, dyspnée, céphalées, malaise de type hypotension artérielle. D’autres effets plus graves peuvent apparaître : dépression respiratoire, confusion, ataxie, insuffisance cardiaque congestive, crise d’épilepsie, ces effets pouvant conduire au décès. 5 Conduite officinale octobre 2013 5/ Après le sevrage : écoute, soutien et médicaments à éviter Il est important d’encourager le patient à bien suivre la posologie prescrite et d’insister sur le fait que l’effet du traitement n’est pas immédiat (à l’exception du disulfiram) mais se fera sentir après quelques semaines. Durant cette période de « l’après sevrage », il faut également se méfier des sources d’alcool masquées comme certains sirops pour la toux, gouttes, teintures mères, friandises alcoolisées, … En cas de bon résultat, il est conseillé de continuer le traitement un an pour l’acamprosate, 4 mois pour la naltrexone, même si de nombreux patients souhaitent l’arrêter au plus vite comme s’ils voulaient tourner la page de leur dépendance. Les reprises de consommation d’alcool émaillent l’histoire d’un malade alcoolodépendant. Elles ne doivent pas désespérer les patients ni les soignants. Il faut considérer ces épisodes comme des signaux d’alarme nécessitant au plus vite une consultation médicale. Fréquemment, hélas, il s’agit d’une rechute, soit parce que le malade est vu trop tard, soit parce qu’il est submergé par l’intensité de la compulsion qui le pousse à boire. Dans tous les cas, pharmaciens et assistants se doivent d’assurer au patient une confidentialité absolue. De manière générale, il est essentiel que le patient entretienne une relation de confiance avec les soignants, et dans ce cadre, il faudra veiller à ne pas altérer la confiance du patient envers son médecin. Il faudra toujours s’efforcer de rester dans une relation dénuée d’attitude moralisatrice. Tous droits de traduction, d’adaptation, de reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photographie et le microfilm, sont réservés pour tous pays, sauf autorisation écrite de la SSPF. 6 Conduite officinale octobre 2013