LES FONDAMENTAUX

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LES
FONDAMENTAUX
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
Qu'est-ce que l'axe
« cerveau-intestin » ?
Le concept d'axe « cerveau-intestin » est né progressivement de la
connaissance des voies nerveuses qui contrôlent les fonctions
digestives et de la description de la très riche innervation de la
paroi digestive. L'ensemble de ces voies nerveuses constitue un
réseau intégré en deux contingents principaux : les voies nerveuses provenant du tractus digestif et celles, issues du SNC, qui
contrôlent les fonctions sécrétoires et motrices. L'axe cerveauintestin est organisé en deux niveaux périphériques : le système
nerveux entérique ou plexus myentérique qui est aussi appelé
« innervation intrinsèque », localisé dans la paroi digestive, et les
« nerfs extrinsèques » qui relient le plexus myentérique à la moelle
épinière et au SNC. Ces voies périphériques comprennent des
ganglions sympathiques et des voies parasympathiques, notamment les nerfs vagues et les voies parasympathiques lombosacrées (Fig. 1). Au niveau de la paroi du tractus digestif, le plexus
myentérique est organisé comme un réseau qui constitue le « cerveau intestinal » ; il contient autant de neurones que la moelle
épinière, dont la plupart sont des neurones afférents, donc sensitifs. Dans ce réseau, des interneurones établissent des connexions
entre neurones afférents et efférents, ainsi qu'entre neurones de
différents étages. Le plexus myentérique est donc le premier
niveau d'intégration des sensations digestives, reconnaissant la
taille, la vitesse et la direction des mouvements des particules
alimentaires.
En fonction des segments digestifs, ces fibres nerveuses
sympathiques et parasympathiques se croisent et combinent leurs
effets, permettant une régulation fine des fonctions digestives et
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
Fig. 1 – Anatomie de l'axe cerveau-intestin
Distribution anatomique des afférences d'origine digestive, en fonction des
territoires innervés et du cheminement des neurones au sein des voies
parasympathiques et sympathiques.
leur adaptation aux différentes situations physiologiques ou
pathologiques. Contrairement à la conception classique d'un système stimulateur et d'un système inhibiteur, les études les plus
récentes ont montré que le contrôle de l'axe cerveau-intestin intégrait différents niveaux de contrôle, qui organisent les fonctions
digestives depuis les réflexes locaux les plus élémentaires jusqu'à
l'intégration de processus complexes comme la faim, la défécation
et surtout la perception douloureuse au niveau des hémisphères
cérébraux, donc de la conscience. Les afférences digestives se distribuent en deux contingents principaux : les afférences vagales qui
proviennent de l'œsophage, de l'estomac, du duodénum, de l'intestin grêle et du côlon ascendant ; et au niveau de l'intestin, les
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
afférences digestives sympathiques qui sont situées dans les nerfs
splanchniques (tractus digestif supérieur) et dans les nerfs hypogastriques (tractus bas), projetant respectivement sur les ganglions
mésentérique et hypogastrique et sur les ganglions prévertébraux.
De là, ils projettent dans la moelle épinière où des neurones afférents secondaires atteignent le noyau du tractus solitaire (Fig. 1).
Enfin, les sensations proprioceptives provenant de la sphère anorectale sont véhiculées par les nerfs parasympathiques des plexus
honteux vers les ganglions prévertébraux, la moelle épinière et le
thalamus. Ces voies afférentes participent au contrôle de la défécation et de la continence et reconnaissent la nature du contenu
du rectum.
Les voies nerveuses efférentes qui contrôlent les fonctions
digestives empruntent les mêmes structures anatomiques que les
voies afférentes. Au niveau de l'intestin, elles se distribuent aux
cellules effectrices, les couches musculaires, les vaisseaux et les
glandes, à partir des plexus d'Auerbach et de Meissner (plexus
myentérique). Comme les voies afférentes, elles se divisent en
deux contingents, les fibres sympathiques, originaires de la moelle
thoraco-lombaire et les fibres parasympathiques, procédant par les
nerfs vagues jusqu'au tractus digestif haut (œsophage, estomac,
duodénum, intestin grêle) et par les nerfs honteux et les plexus pelviens, vers la partie distale du côlon, le rectum et l'anus.
Chaque niveau de contrôle de l'axe cerveau-intestin régule
certaines fonctions digestives de manière autonome et, par
ailleurs, étant en relation avec les étages sus- et sous-jacents, participe à l'intégration de ces fonctions. Ainsi, le réflexe péristaltique est-il largement organisé de manière autonome par le plexus
myentérique à travers des réflexes d'axones ne mettant en jeu
que quelques neurones intra-muraux (Fig. 2). Lorsqu'un segment
intestinal est isolé, un réflexe péristaltique est engendré par l'activité du plexus myentérique. En revanche, lorsque ce même seg15
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
Fig. 2 – Organisation du réflexe péristaltique
Schéma des neurones du plexus myentérique intervenant dans le contrôle du
réflexe péristaltique, mettant en jeu un neurone sensitif, relié par des interneurones
à un neurone stimulateur en amont du bol alimentaire et un neurone inhibiteur en
aval. Il faut noter la présence de plusieurs neurotransmetteurs dans les terminaisons
de ces neurones, tant stimulateurs qu'inhibiteurs.
ment intestinal est anastomosé en sens inverse à l'endroit où il
avait été prélevé, un réflexe péristaltique coordonné y réapparaît
après une courte période d'adaptation. Le plexus myentérique
agit donc de manière autonome, mais lorsque l'organe ou le segment est inclus dans la continuité du tractus digestif, il subit l'influence des segments adjacents et se place donc sous le contrôle
de niveaux de régulations extrinsèques, parce que situés en dehors
de la paroi digestive : les ganglions vagaux ou les ganglions sympathiques mésentériques, par exemple.
En situation physiologique, la plupart des informations
issues du tractus digestif ne sont pas intégrées par les centres corticaux et les réponses adaptatives sont engendrées par des réflexes,
inconscients, tels les réflexes vago-vagaux. L'axe cerveau-intestin
coordonne également les fonctions digestives entre différents seg16
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
ments. Les exemples les plus marquants de cette régulation se
retrouvent au niveau de la motricité, avec les réflexes d'organe.
Ces réflexes mettent en jeu les interconnexions qui existent à différents niveaux entre les neurones des voies afférentes et des
voies efférentes. On peut résumer schématiquement l'organisation
des réflexes viscéro-viscéraux en deux catégories : les réflexes
descendants qui ont un effet stimulant sur l'organe-cible et les
réflexes ascendants ou rétrogrades qui ont un effet inhibiteur sur
l'organe-cible. Lorsque le bol alimentaire arrive dans l'estomac, le
réflexe gastro-colique stimule la motricité colique. À l'inverse,
lorsque l'on impose à des volontaires sains de se constiper, on
observe un ralentissement de la vidange gastrique, qui s'explique
par un réflexe inhibiteur entre le côlon et l'estomac.
Certaines zones du tractus digestif ont des fonctions de
régulation très particulières et combinent une innervation inconsciente de type viscéral avec une innervation consciente, donc sous
le contrôle de la volonté. L'exemple le plus typique de cette organisation est le réflexe de défécation qui met en jeu le sphincter anal
interne, fait de muscle lisse, et le sphincter anal externe, fait de
muscle strié, donc sous le contrôle de la volonté.
Enfin, l'axe cerveau-intestin comprend des voies nerveuses
dites antinociceptives descendantes qui cheminent en même
temps que les voies efférentes, à partir des noyaux hypothalamiques. Elles se distribuent au plexus myentérique et modulent
l'activité des voies afférentes et plus particulièrement des neurones nocicepteurs qui sont à l'origine des sensations douloureuses. L'activation des voies antinoceptives descendantes pourrait
diminuer l'intensité de réponse des neurones afférents et donc la
quantité d'influx qui atteint le SNC. Cependant, leur rôle chez
l'homme est peu connu.
Sur le plan fonctionnel, il est donc logique de diviser les
voies nerveuses complexes qui relient le cerveau et le tractus
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
digestif en voies efférentes véhiculant les informations du SNC
vers la périphérie, et voies afférentes remontant les informations
captées au niveau périphérique vers les centres d'intégration supérieurs. Certaines de ces informations, en fait une très petite quantité, atteignent ensuite le niveau de la perception consciente au
niveau des hémisphères cérébraux. Longtemps méconnues, ces
voies afférentes constituent en fait près de 80 % de l'ensemble des
neurones de l'axe cerveau-intestin, mais leur fonctionnement n’est
étudié que depuis quelques décennies.
Quels sont les neuromédiateurs
impliqués ?
Les neuromédiateurs impliqués dans le fonctionnement des neurones du plexus myentérique et des relais ganglionnaires extrinsèques sont nombreux et exercent des effets multiples. Ces
neuromédiateurs sont présents tant au niveau des afférences nerveuses d'origine digestive que des neurones efférents qui contrôlent les fonctions secrétoires et motrices. On peut les classer en
fonction de leur structure biochimique : amines (acétylcholine et
noradrénaline), sérotonine, peptides (substance P, cholécystokinine, vasoactive intestinal peptide, enképhalines…), purines (adénosine triphosphate, adénosine diphosphate, adénosine) et
monoxyde d'azote (NO). Les récepteurs de ces neuromédiateurs
ont été caractérisés par des études pharmacologiques et ont été
décrits ailleurs. Ces neurotransmetteurs sont impliqués à différents
niveaux dans la transmission des informations entre le tractus
digestif et le SNC (Tableau I). En outre, la plupart d'entre eux
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
participent également au contrôle des fonctions digestives par les
neurones efférents du plexus myentérique ou des voies extrinsèques et sont donc également responsables d'effets moteurs. On
retrouve cette dualité d'action dans les effets des médicaments
développés récemment pour le traitement du syndrome de l'intestin irritable, qui non seulement agissent sur la sensibilité visTableau I – Neurotransmetteurs impliqués dans la sensibilité et sous-types de
récepteurs.
Substances pharmacologiques agissant sur ces récepteurs, dont l’effet est démontré sur la
sensibilité viscérale.
Récepteurs
Antagonistes NK1
Antagonistes NK3
Somatostatine
Neurotransmetteurs
Substance P
Neurokinine A
Substance P
Neurokinine A
Neurokinine B
Somatostatine
Antagoniste BK2
Agoniste α2
adrénergique
Agonistes 5HT1A
Antagonistes 5HT1A
Bradykinine
Adrénaline
Nor-adrénaline
Sérotonine
Sérotonine
Antagonistes 5HT3
Sérotonine
Agonistes opioïdes µ
Enképhalines,
morphine
Antagonistes NK2
Agonistes opioïdes κ
Agoniste opioïde
mixte
Antagoniste CGRP 1
Inhibiteurs de la NO
synthase
Enképhalines
Calcitonin generelated peptide
Substances testées
Animal
N CP 96345,
RP 67580
N saredutant,
népadutant
N SR 142801
N Octréotide,
SII/H
lanréotide
I
HOE 140
Clonidine
H
Homme
Octréotide
Somatostatine
Clonidine
N
N
Dyspepsie Sumatriptan
DU 1255,
SV 15931
Citrate d’alvérine
N, I Ondansétron,
SII
Granisétron
granisétron
N Alosétron
SII
Alosétron
Cilansetron
N Damgo
N, I U 50488,
Fedotozine
N, I Trimébutine
N
h-CGRP8-37
I
Amino-guanidine
N : Normal ; I : Au cours de l’inflammation
SII : syndrome de l’intestin irritable ; H : volontaire sain
19
SII
Fedotozine
SII
Trimébutine
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
cérale, mais ont également des effets moteurs limitant leur prescription à certains sous-groupes de patients.
Un exemple de cette dualité d'action des neuromédiateurs
du plexus myentérique est fourni par la figure 2 qui décrit l'organisation du réflexe préristaltique.
Comment un signal douloureux
est-il émis au niveau
périphérique ?
Les informations utilisées par le SNC pour modifier et contrôler
les fonctions digestives sont produites par des récepteurs situés
dans les différentes couches de la paroi digestive et connectés aux
terminaisons nerveuses sensitives. L'activation de ces récepteurs
déclenche des salves de potentiels d'action au niveau des nerfs
sensitifs. La paroi digestive contient aussi des récepteurs polymodaux qui peuvent être activés par des stimuli de différentes
natures (mécaniques, chimiques, osmotiques), toujours très
intenses et qui sont considérés comme une agression de l'organe.
Certains auteurs ont donc proposé de les appeler des « nocicepteurs ». Ces nocicepteurs sont reliés à des fibres nerveuses sensitives qui partagent les mêmes fonctions et empruntent les mêmes
voies nerveuses que les voies afférentes d'origine somatique. Leur
rôle est particulièrement important dans la genèse de la réaction
douloureuse. Comme le montre la figure 3, les voies afférentes qui
trouvent leur origine au niveau de ces récepteurs polymodaux
empruntent des trajets nerveux qui leur permettent d'établir des
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
Fig. 3 – Organisation fonctionnelle de l'axe cerveau-intestin
Schéma de l'organisation fonctionnelle de l'axe cerveau-intestin, montrant les
différents contingents nerveux qui relient le plexus myentérique ou cerveau
intestinal et le SNC et les connexions du plexus myentériques avec les effecteurs
périphériques, que sont les glandes sécrétoires intestinales, les muscles de la
couche longitudinale et de la couche circulaire. À côté des voies nerveuses
afférentes et efférentes se trouvent les voies antinociceptives descendantes qui
modulent la perception des sensations douloureuses.
connexions avec les voies nerveuses d'origine somatique, expliquant ainsi des phénomènes bien connus en clinique, tels que la
réaction péritonéale lors d'une agression des viscères abdominaux et du péritoine ou l'extinction de réflexes cutanés par des stimuli digestifs (voir infra).
Le SNC reçoit donc en permanence des informations provenant des afférences digestives et joue un rôle important pour les
intégrer avec celles provenant d'autres organes ou de l'extérieur
et, par là, déclencher des réponses adaptatives adéquates. En situation physiologique, la plupart des informations d'origine digestive
n'atteignent pas le cortex cérébral et ne dépassent pas le niveau
de l'hypothalamus. En revanche, d'autres sensations devant
déclencher un comportement particulier s’exprimant par la faim,
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
la satiété ou le besoin de déféquer et donc leurs corollaires physiologiques, la réplétion gastrique et la distension rectale, atteignent le cortex.
En situation pathologique, les signaux émis par les nocicepteurs décrits plus haut atteignent le cortex et déclenchent des
sensations d'inconfort ou de douleur. Au niveau de la paroi digestive, la sensation de douleur repose essentiellement sur le recrutement de neurones afférents à haut seuil d'activation qui traduit
une augmentation d'intensité du signal adressé au SNC. Lorsque
les conditions locales sont modifiées par un processus pathologique, comme l'inflammation, un signal d'intensité modérée peut
en plus déclencher la transmission d'influx par des neurones, dits
silencieux car absolument inactifs en situation physiologique, et
conduire à une réaction d'hyperalgésie (Fig. 4). L'origine de la
Fig. 4 – Modulation du message douloureux d'origine viscérale
Représentation schématique des trois grandes classes de neurones sensitifs
constituant les afférences nerveuses d'origine digestive et dont le recrutement
progressif en fonction de l'intensité du stimulus détermine la nature de la sensation
transmise au niveau du SNC. Certains neurones ne répondent qu'à des stimuli
douloureux intenses et sont dits « silencieux » parce qu'ils ne répondent pas à des
simuli d'intensité physiologique.
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
sensation douloureuse en périphérie repose donc sur la perception
de signaux intenses, de nature variée car les récepteurs pariétaux
qui recueillent ces sensations sont polymodaux et donc sensibles
à des stimuli de nature différente comme la chaleur, l'acidité, la
pression, etc.
L'influx nerveux engendré par les neurones afférents primaires est ensuite véhiculé vers le SNC et son intensité peut être
modifiée à plusieurs niveaux. La sensibilisation des afférences
lombaires par un processus pathologique, par exemple un traumatisme, peut augmenter l'intensité de ce signal. À l'inverse, les
voies antinociceptives descendantes peuvent atténuer celui-ci,
lorsqu'elles sont stimulées, notamment par des états inflammatoires chroniques. Enfin, à l'arrivée des voies nerveuses afférentes
dans les noyaux thalamiques, le relais vers le cortex n'intervient
que pour certaines sensations qui deviennent conscientes. Ce
filtre des informations d'origine digestive sélectionne les informations en fonction de critères physiologiques (faim, satiété,
besoin de déféquer…) ou pathologiques, comme la douleur qui
devient alors un signal d'alarme.
Quelles anomalies
de la sensibilité rencontre-t-on
au cours des maladies digestives ?
Nous avons vu que le message douloureux pouvait naître en périphérie, au niveau de la paroi du tractus digestif, du recrutement
de neurones afférents jusque-là silencieux par des stimuli d'in23
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
tensité anormale. En fait, la sensibilisation des neurones résulte,
soit d'un stimulus d'intensité anormale, soit du déclenchement
précoce de certains neurones afférents qui sont sensibilisés, c'està-dire rendus plus réactifs, même pour des stimuli d'intensité normale. Cette sensibilisation est le résultat d'une hyperstimulation
par la libération de plusieurs neurotransmetteurs qui abaissent le
seuil de dépolarisation de ces neurones. Ainsi, la réalisation d'une
première distension rectale par un ballonnet de barostat chez
l'homme entraîne-t-elle une sensibilisation qui se traduit par un
abaissement du seuil de douleur lors d'une deuxième distension
réalisée dix à vingt minutes après la première.
Il existe donc de nombreuses situations pathologiques qui
peuvent déclencher des sensations anormales au niveau du tractus digestif lorsque les afférences d'origine viscérale sont sensibilisées. D'autre part, la frontière entre sensibilité normale et
anormale est imprécise et le rôle exact des anomalies de la sensibilité dans la physiopathologie des maladies digestives est difficile à caractériser. Les anomalies de la sensibilité viscérale sont
donc le résultat d'un déséquilibre des voies nerveuses afférentes
qui modifie, soit l'intensité du message émanant des récepteurs
périphériques, soit la perception d'un message d'intensité normale au niveau du SNC. On peut donc expliquer les anomalies de
la sensibilité par différents mécanismes (Fig. 5) :
– l'hyperalgésie se définit par l'expérience d'une douleur plus
intense que celle que devrait normalement engendrer un stimulus, certes considéré comme douloureux par un sujet normal, mais
à une intensité moindre ;
– l'hypersesthésie est la perception exagérée d'un stimulus d'intensité normale ou le défaut d'appréciation de l'intensité d'un stimulus par un individu, le plus souvent du fait d'une pathologie du
système nerveux. L'hyperesthésie est difficile à démontrer au
niveau viscéral dans la mesure où l'intensité des sensations vis24
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
Fig. 5 – Anomalies de la sensibilité douloureuse
Représentation schématique des différentes anomalies de la perception viscérale.
L'hypersensibilité viscérale décrite chez les patients présentant un syndrome de
l'intestin irritable est en fait la somme de plusieurs mécanismes qui sont mis en
lumière par les différents tests utilisés pour étudier la sensibilité viscérale. Le
phénomène le plus remarquable est celui de l'allodynie qui se caractérise par la
perception douloureuse d'une sensation qui, dans l'expérience du sujet, ne devrait
pas provoquer de douleur.
cérales varie selon une progression continue et que la plupart des
sensations restent inconscientes à l'état physiologique ;
– l'allodynie est un phénomène complexe qui se définit par la
perception d'une sensation douloureuse en réponse à un stimulus
qui, en situation normale, n'aurait pas été perçu comme douloureux par le sujet. Toutefois, cette définition ne s'applique qu’à
l'hypersensibilité des troubles fonctionnels intestinaux puisqu'on
utilise l'expérience personnelle antérieure du sujet comme référence pour définir l'état normal.
Chez les patients atteints de troubles fonctionnels intestinaux, une hypersensibilité viscérale mise en évidence par les
tests de distension luminale a été décrite. Les troubles fonction25
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
nels intestinaux sont certainement la pathologie où les anomalies
de la sensibilité viscérale ont été le mieux démontrées. Les patients
avec syndrome de l'intestin irritable perçoivent la distension du
côlon par un ballonnet, pour des pressions ou des volumes de
distension plus faibles que les sujets contrôles, et le seuil de déclenchement d'une sensation douloureuse intervient également pour
une pression ou un volume de distension plus bas (Fig. 6). On ne
peut à proprement parler d'une hyperalgésie. Il faut toutefois
noter que certaines études ont montré une intensité de la perception douloureuse plus élevée chez les patients que chez les
contrôles. Lorsque la sensibilité est étudiée par la méthode des
seuils de pression ou de volume qui déclenchent une sensation ou
Fig. 6 – Le barostat et l'étude de la sensibilité viscérale
À gauche, photo du barostat utilisé pour l'étude de la sensibilité viscérale par les
tests de distension des différents segments du tractus digestif. Le barostat est
constitué d'une pompe contrôlée par un ordinateur qui permet la mesure
simultanée de la pression et du volume du ballonnet au cours des distensions. Au
milieu, diagramme montrant la réponse des patients avec syndrome de l'intestin
irritable à des distensions coliques de volume progressivement croissant. Les
patients perçoivent la distension et ensuite la douleur pour des volumes de
distension plus faibles que les contrôles. À droite, courbes pression-volume
représentant la réponse de la paroi colique à la distension. On note l'absence de
modification des propriétés élastiques du côlon chez les patients avec un syndrome
de l'intestin irritable.
26
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
une douleur, on approche un phénomène qui peut être assimilé
à l'allodynie.
L'inflammation est certainement la cause la plus fréquente
de sensibilisation des afférences digestives. La réaction inflammatoire, quelle que soit son origine, stimule la production de messagers biochimiques, les cytokines, qui vont à leur tour activer des
cellules, les mastocytes, capables de synthétiser de grandes quantités de neuromédiateurs, et d'autres cytokines, qui vont, d'une
part, amplifier la réaction inflammatoire elle-même et, d'autre
part, stimuler les neurones afférents primaires à l'extrémité desquels se développent les récepteurs sensitifs. De nombreuses
études ont montré que les mastocytes se trouvent en contact
étroit avec ces terminaisons nerveuses. Il existe donc une hypersensibilité viscérale liée aux maladies inflammatoires intestinales,
comme l'ont démontré les études de distension réalisées chez des
patients atteints de rectocolite hémorragique ayant des seuils
abaissés de perception des distensions rectales.
Quels sont
les facteurs étiologiques
de l'hypersensibilité viscérale ?
La cause première de l'hypersensibilité viscérale chez les patients
avec syndrome de l'intestin irritable n'est pas connue. Les causes
de l'hypersensibilité viscérale qui caractérise les troubles fonctionnels intestinaux ont été rattachées à des anomalies observées
27
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
au niveau des différents segments nerveux qui constituent l'axe
cerveau-intestin (Tableau II).
Tableau II – Mécanismes physiopathologiques de l’hypersensibilité viscérale
Structure anatomique
Récepteurs pariétaux
Tensiorécepteurs
Anomalie fonctionnelle
Recrutement de récepteurs
silencieux
Modification du seuil
de dépolarisation
Abaissement du seuil
de sensibilité
Afférences primaires
Hyperesthésie
Amygdale
Augmentation du caractère
déplaisant des sensations
Allodynie
Cortex
Hypervigilance
Facteurs étiologiques
Inflammation
Facteurs luminaux :
nutriments, bactéries,
toxiques
Stimulation mécanique :
élongation
augmentation de la tension
pariétale
Sensibilisation
Effet de convergence ?
Stress, anxiété
Vécu personnel
Phénomènes d’anticipation
Anxiété, stress
Vécu personnel
Des anomalies ont été rapportées au niveau des voies afférentes périphériques où la sensibilisation peut intervenir à différents niveaux. Une étude comparant les effets de la distension
jéjunale à ceux d'une stimulation électrique trans-pariétale a suggéré que l'anomalie primitive pourrait se trouver au niveau des
mécanorécepteurs de la paroi intestinale. Les récepteurs pariétaux de la muqueuse digestive peuvent être sensibilisés par la
réaction inflammatoire provoquée par l'agression de la muqueuse.
L'origine de l'hypersensibilité viscérale pourrait également se
situer au niveau des voies nerveuses afférentes périphériques, audelà de la paroi intestinale. En comparant la réponse de patients
avec syndrome de l'intestin irritable, de sujets contrôles et de
patients présentant un traumatisme de la moelle lombaire à des
tests de distension progressive ou phasique, une sensibilisation
des afférences splanchniques au niveau lombaire a été mise
28
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
en évidence chez les patients avec syndrome de l'intestin irritable. L'étude de la compliance, c'est-à-dire des propriétés
élastiques de la paroi colique et de sa capacité à s'adapter à la
distension qui lui est imposée, ne montre pas de différence entre
les patients avec syndrome de l'intestin irritable et les contrôles.
De même qu’aucune modification du tonus de l'organe n'a
été mise en évidence entre les patients et les contrôles (Fig. 6). Les
anomalies de la sensibilité viscérale ne sont donc pas dues à des
modifications des propriétés élastiques de la paroi du tractus
digestif.
Le rôle du SNC est important dans l'intégration des informations provenant du tractus digestif. La transmission de ces
informations aux structures corticales est indispensable pour
déclencher une sensation douloureuse. L'influence des fonctions
corticales sur la perception viscérale avait été suggérée jusqu'à
présent par des études indirectes mettant en évidence des phénomènes d'hypervigilance ou de sensibilisation par le stress. Plus
récemment, les nouvelles méthodes d'exploration fonctionnelle du
SNC (tomographie à émission de positons, résonance magnétique fonctionnelle) ont montré des différences dans l'activation
des zones corticales par la distension rectale, chez les patients
avec syndrome de l'intestin irritable par rapport aux contrôles.
Cette étude avait également montré un effet d'anticipation de la
réponse douloureuse chez les patients avec syndrome de l'intestin irritable, par rapport aux contrôles. Dans une étude plus
récente, les mêmes auteurs ont montré des différences d'activation corticale chez les hommes et les femmes avec syndrome de
l'intestin irritable. Dans cette étude, la stimulation de l'insula correspondait plutôt à une perception objective du stimulus rectal,
alors que la partie antérieure de la circonvolution du corps calleux
était activée lors de la perception douloureuse. Une autre étude
récente n'a, en revanche, pas mis en évidence de différence entre
29
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
patients avec syndrome de l'intestin irritable et contrôles, seule
l'intensité de l'activation de la circonvolution du corps calleux
était plus importante chez les patients avec syndrome de l'intestin irritable.
De nombreux facteurs influencent la perception des sensations digestives et peuvent contribuer à l'apparition d'une
hypersensibilité viscérale. Ces facteurs agissent, soit au niveau
périphérique, soit au niveau central. Au niveau périphérique, l'inflammation est certainement le facteur qui a été le plus étudié
grâce aux modèles animaux. Ces études ont mis en évidence une
relation entre les cellules du système immunitaire et les neurones
du plexus myentérique au niveau de la paroi intestinale. Différents
facteurs intra-luminaux, aliments, bactéries, peuvent donc sensibiliser les terminaisons nerveuses. En outre, plusieurs études ont
mis en évidence une origine infectieuse des troubles fonctionnels
chez un sous-groupe de patients présentant un syndrome de l'intestin irritable dont le début peut être rattaché à un épisode de gastro-entérite. La sensibilisation mécanique est également possible
puisque la réalisation d'une première distension conditionne l'intestin et abaisse les seuils de sensibilité mesurés lors d'une
deuxième distension du même segment intestinal.
Au niveau du SNC, l'importance des facteurs psychologiques, d'ailleurs fréquemment présents chez les patients présentant des troubles fonctionnels intestinaux, a été démontrée
par de nombreuses études. L'anxiété et la dépression sont fréquentes chez les patients fonctionnels. Une relation a été démontrée entre le niveau d'anxiété et l'abaissement des seuils de
sensibilité à la distension rectale. Le stress joue également un rôle.
Divers stress expérimentaux entraînent un abaissement des seuils
de perception de la distension rectale tant chez les volontaires
sains que chez les patients. De plus, il a été montré que des médiateurs impliqués dans les phénomènes de stress comme le CGRP
30
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
(calcitonin-gene related peptide) étaient présents au niveau des
voies nerveuses afférentes d'origine digestive et participent à la
transmission des influx afférents.
En pratique clinique, il est cependant difficile de séparer la
responsabilité de ces facteurs dans la mesure où ils coexistent fréquemment chez un même patient et contribuent ensemble à
induire une hypersensibilité viscérale.
Pourquoi la sérotonine
joue-t-elle un rôle important
dans le contrôle de
la sensibilité viscérale ?
Nous avons vu plus haut que l'inflammation était un des facteurs
périphériques sensibilisant les afférences digestives. Les modèles
animaux d'hypersensibilité viscérale, qui sont essentiellement
fondés sur la création d'une inflammation par des agents infectieux ou chimiques, ont permis de démontrer les relations entre
les neurones du plexus myentérique et les cellules impliquées
dans le déclenchement de la réaction inflammatoire.
Par sa face luminale, la muqueuse intestinale entre en
contact avec les nombreuses substances présentes dans la lumière
du tractus digestif. À partir de l'iléon terminal, on trouve également une grande quantité de bactéries dont les produits du métabolisme peuvent influencer les fonctions digestives : les acides
gras volatils stimulent la motricité au niveau du cæcum ; certaines
31
LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
bactéries produisent des gaz par fermentation des sucres et des
fibres à leur contact, et peuvent contribuer au ballonnement abdominal. La muqueuse intestinale est donc un organe immunitaire
important, au contact de nombreux antigènes présents dans la
lumière intestinale. Au sein de l'épithélium, certaines cellules sont
plus particulièrement équipées pour détecter ces facteurs intraluminaux et transmettre ces informations aux terminaisons nerveuses du plexus myentérique : il s'agit des cellules entérochromaffines (Fig. 7). Ces cellules entérochromaffines, situées
entre les cellules muqueuses, sont caractérisées par des villosités
à leur pôle apical qui augmentent la surface disponible pour
l'interaction avec le contenu luminal. Leur pôle basal est occupé
par de nombreux granules contenant des neurotransmetteurs tels
que la sérotonine, qui vont stimuler les dendrites des neurones du
Photo reproduite avec permission du Prof. RC Spiller, Nottingham
Fig. 7 – Cellules entérochromaffines
Aspect d'une cellule entérochromaffine en microscopie électronique. La cellule
entérochromaffine est située au niveau de la muqueuse intestinale, entre les
entérocytes. Elle est caractérisée par la présence de microvillosités à son pôle
apical, qui agissent comme de véritables organes sensoriels, détectant les
caractéristiques du contenu luminal. Au pôle basal, les granules sécrétoires
contiennent des neurotransmetteurs, dont la sérotonine, qui sont libérés lorsque la
cellule est stimulée au contact des éléments qui rencontrent les microvillosités du
pôle apical.
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
plexus myentérique dans la sous-muqueuse. La sérotonine se lie
à ce niveau-là avec les récepteurs 5-HT3, présents sur les terminaisons des neurones afférents primaires (Fig. 8).
Fig. 8 – Rôle de la sérotonine au niveau du plexus myentérique
Schéma de l'organisation des neurones du plexus myentérique, leur relation avec
les cellules entérochromaffines au niveau de la muqueuse et la localisation des
récepteurs 5-HT3 et 5-HT4 de la sérotonine.
Chez les patients qui développent un syndrome de l'intestin irritable après un épisode de gastro-entérite (syndrome de
l'intestin irritable post-infectieux), il a été montré, d'une part, que
certaines cellules entérochromaffines contenaient davantage de
sérotonine et, d'autre part, qu'en période post-prandiale, les
patients qui présentent des douleurs post-prandiales associées au
syndrome de l'intestin irritable libèrent plus de sérotonine que
les contrôles, alors que les patients avec des diarrhées prédominantes libèrent plus de sérotonine en période de jeûne. En outre,
chez les patients présentant un syndrome de l'intestin irritable,
comme chez ceux atteints de rectocolite hémorragique, le nombre
de mastocytes est augmenté au niveau de la muqueuse caecale,
témoignant du rôle de l'inflammation dans la genèse des symptômes, tout au moins chez une partie des patients. Chez l'animal,
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LES DOULEURS ABDOMINALES EN QUESTIONS
il a été montré que des substances qui provoquent une dégranulation des mastocytes, et donc la libération des médiateurs qu'ils
contiennent, sont capables de sensibiliser les afférences digestives
et de provoquer un état d'hyperalgésie chez l'animal.
L'importance de la libération post-prandiale de sérotonine
tient à son rôle dans le contrôle du réflexe péristaltique et des
sécrétions intestinales. La sérotonine et l'agoniste des récepteurs
5-HT3, le MKC-733, accélèrent le transit intestinal et augmentent
la fréquence des complexes moteurs migrants. À l'inverse, les
antagonistes de la sérotonine, tels que le granisétron, inhibent la
réponse colique au repas et ralentissent le transit colique, laissant
supposer que la sérotonine intervient dans la stimulation du transit colique par l'alimentation. Dans une étude du réflexe gastrocolique, il a été montré que le fait de gonfler un ballon dans
l'estomac provoquait une réponse tonique au niveau du côlon
gauche et que cette réponse était médiée par les récepteurs 5-HT3
de la sérotonine.
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