Revue des Questions Scientifiques, 2012, 183 (2-3) : 127-144 Les prix Nobel de Physiologie – Médecine 2011 La mouche, la souris et la cellule dendritique Matthieu Terwagne, Jean-Jacques Letesson [email protected] | [email protected] 1. Avant propos « So, Naturalists observe, a flea Hath smaller fleas that on him prey; And these have smaller still to bite ’em; And so proceed ad infinitum » Jonathan Swift On POETRY : A RHAPSODY (1733) 1.1 De Jonathan Swift… Jonathan Swift avait raison quand il écrivait ces vers. La vie est relation trophique et symbiose et ce, depuis la nuit des temps. Le terme symbiose est assez vaguement défini1 et, pour cette raison, il a été appliqué à un large éventail de taxons végétaux, fungiques, animaux et bactériens. On peut même affirmer, sans crainte de se tromper, que tous les êtres vivants servent d’hôtes 1. Le terme symbiose vient du Grec συμβʹiωσις, (“vivre ensemble”) et, au sens large, fait référence à la relation entretenue par un organisme d’une espèce donnée avec un organisme d’une espèce différente, appelée “hôte”. Cette relation peut être bénéfique (on parle alors de mutualisme), neutre (commensalisme) ou détrimentale (parasitisme) pour l’hôte. 128 revue des questions scientifiques à au moins un symbionte2. Cette perception du vivant comme “avant tout symbiotique” est en plein essor et risque bien de bouleverser complètement la perception que les biologistes ont du monde ainsi que l’interprétation qu’ils font du vivant3. Une des implications sous-jacentes à toute relation symbiotique est qu’elle nécessite une “communication structurée”, un échange bilatéral d’informations réglant l’établissement et le maintien de cet équilibre relationnel entre espèces vivantes. Que l’échelle soit moléculaire ou macroscopique, que le signal soit physique ou chimique, la communication nécessite émission, réception et réaction adaptée au stimulus. 1.2 …à nos jours Comme il semble bien que ce type de relation symbiotique soit ancestral, alors, évolutivement parlant, tout être vivant doit contenir les informations génétiques nécessaires à la mise en place des mécanismes de perception et de réaction aux signaux de “communication” qu’implique cette symbiose4. Si l’on se focalise sur les relations (parasitaires ou non) qu’entretiennent les êtres vivants multicellulaires avec les microorganismes (bactéries, virus ou protozoaires), alors les plantes et les animaux doivent posséder des récepteurs capables de percevoir la présence de ces microorganismes afin d’élaborer une réponse que l’on qualifie d’immune. Cette réaction vise à préserver l’intégrité de l’hôte, non seulement en éliminant les pathogènes5, mais également en maintenant l’homéostasie entre l’hôte et sa microflore commensale, également appelée microbiote6. 2. 3. 4. 5. 6. (a) Price, P.W. 1980. Evolutionary Biology of Parasites. Princeton University Press, Princeton. (b) Windsor, D. A. 1998. Most of the species on Earth are parasites. International Journal for Parasitology 28 (12): 1939–1941. (c) Poulin, R. 2006. Evolutionary Ecology of Parasites : second edition. Princeton University Press, Princeton. (a) McFall-Ngai, M. 2008. Are biologists in “future shock ?” Symbiosis integrates biology across domains. Nat. Rev. Microbiol. 6:789–792. (b) Rohwer, F., and M. Youle. 2011. Consider something viral in your research. Nat. Rev. Microbiol. 9:308–309. Cette idée se retrouve dans la formule prémonitoire de Max Delbrück, en 1944 : “Any living cell carries with it the experience of a billion years of experimentation by its ancestors”. Medzhitov, R. 2007. Recognition of microorganisms and activation of the immune response. Nature 449: 819-826. Littman, D.R. and Pamer, E.G. 2011. Role of the commensal microbiota in normal and pathogenic host immune responses. Cell Host Microbe 10: 311-323. nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 129 C’est de cela dont il est question dans l’attribution du prix Nobel de Physiologie ou Médecine de 2011: la découverte de récepteurs et de mécanismes susceptibles de détecter la présence (et la nature) de microorganismes au sein de l’hôte, d’initier et d’orienter la réponse immune de celui-ci. 1.3 L’intenable prépondérance de l’immunité spécifique Le système immunitaire des vertébrés a depuis longtemps été décrit, de manière un peu dogmatique, comme étant composé de deux branches : l’immunité innée, évolutivement ancienne et procurant une défense immédiate, et l’immunité adaptative, également qualifiée de hautement spécifique, qui procure une réponse plus tardive mais aussi une mémoire immunologique. Il y a encore quelques années seulement, les manuels d’immunologie ne consacraient que quelques pages à l’immunité innée, et ce dans des termes génériques tels que “non spécifique” ou “naturelle” en décrivant brièvement les barrières physico-chimiques, le système du complément et les phagocytes. Venaient ensuite plusieurs chapitres décrivant en détail les lymphocytes T et B de l’immunité adaptative, leur sélection clonale, tout en insistant fortement sur la spécificité de leur réponse ainsi que sur le développement de lymphocytes mémoires qui permettront une réaction plus rapide, plus vigoureuse et plus spécifique lors d’un deuxième contact avec le même agent infectieux. Notons qu’en plus de ce déséquilibre entre l’importance accordée par les manuels d’immunologie à l’immunité innée et l’immunité adaptative, les deux sujets étaient traités indépendamment l’un de l’autre. Force est de constater que le nombre de chapitres consacrés à chacune des deux parties du système immunitaire était inversement proportionnel à leur importance relative dans la survie des organismes. Au cours de l’évolution, l’immunité adaptative n’est apparue qu’à partir des vertébrés à mâchoires (gnathostomes)7. Elle ne concerne dès lors que quelques dizaines de milliers d’espèces. À l’inverse, les invertébrés (dont certains fossiles vivants comme le crabe fer à cheval Limulus polyphemus) et les plantes, qui constituent la majorité des espèces vivantes sur Terre, comptent exclusivement sur leur système 7. Il faut toutefois noter qu’une forme « non-classique » d’immunité adaptative a récemment été décrite chez les agnathes dont les lamproies et les myxines sont les seuls représentants actuels (Herrin, B. R., and Cooper, M. D. (2010). Alternative adaptive immunity in jawless vertebrates. J. Immunol. 185, 1367-1374). 130 revue des questions scientifiques immunitaire inné pour assurer leur défense contre les agents pathogènes8. De plus, alors qu’il n’y a pas d’immunité adaptative sans immunité innée, l’inverse s’avère vrai. Ce seul fait trahi l’importance vitale des mécanismes innés du système immunitaire. 1.4 Le juste retour de l’immunité innée sur le devant de la scène Malgré son succès à l’échelle de l’évolution, l’immunité innée a donc longtemps été traitée avec condescendance par les immunologistes9, étant considérée comme une simple mesure provisoire de défense en attendant que l’immunité adaptative prenne le relais. Cette hégémonie du système immunitaire adaptatif a plus que probablement retardé, voire empêché la reconnaissance de l’importance de l’immunité innée10. Et ce déséquilibre dans la perception du système immunitaire s’est également traduit dans la répartition des prix Nobel de Physiologie ou Médecine décernés antérieurement à des immunologistes (Table 1). En effet, à l’exception des deux premiers Nobel attribués à Ilya Metchnikov (1908) et à Jules Bordet (1919) pour leurs travaux respectifs sur la phagocytose et sur le système du complément, les onze autres immunologistes lauréats du prix se sont vus récompenser pour leurs travaux sur les composants spécifiques du système immunitaire. 8. Hoffmann, J.A., Kafatos, F.C., Janeway, C.A. and Ezekowitz, R.A. 1999. Phylogenetic perspectives in innate immunity. Science 284, 1313-1318. 9. Dans un article écrit en 1993 pour un numéro de Scientific American dédié au système immunitaire, Avrion Mitchison décrivait brièvement le système immunitaire inné comme “primitive and dumb”, ce qui peut se traduire par primitif et bête! (Mitchison, A. 1993. Will we survive ? Scientific American 269 : 73-79) 10. En 1964, au plus fort des recherches sur le système immunitaire adaptatif, une période baptisée « nouvelle ère immunologique » par le lauréat du prix Nobel de Physiologie ou Médecine 1960, Sir Franck Macfarlane Burnet (Table 1), celui-ci prédit que l’immunologie se retrouverait rapidement à court de problèmes à résoudre. Plus tard, en 1969, Niels Jerne, prix Nobel de Physiologie ou Médecine en 1984 pour ses travaux sur l’immunité adaptative (Table 1), annonça que l’immunologie serait complètement résolue dans les 50 ans à venir. Notez que l’histoire voudrait que ce dernier ait refusé que des séminaires sur les macrophages, cellules clés de l’immunité innée, soient organisés à l’Institut d’Immunologie de Bâle! (Anderson, W., Jackson, M. and Rosenkrantz, B.G. (1994). Toward an unnatural history of immunology. J. Hist. Biol. 27(3) :575-594). nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 131 Table 1. Prix Nobel de Physiologie ou Médecine couronnant des recherches en immunologie. Date Nom du(des lauréat(s) Intitulé du prix* 1908 Ilya I. Metchnikov et En reconnaissance de leurs Paul Ehrlich travaux sur l’immunité 1919 Jules Bordet Pour ses découvertes relatives à l’immunité Commentaires Découverte de la phagocytose Découverte du complément (alors appelé Alexine) Pour leur découverte de la La non réponse tolérance immunologique acquise immune spécifique 1960 Sir F. Macfarlane Burnet et Peter B. Medawar 1980 Baruj Benacerraf, Jean Pour leurs découvertes concernant Dausset et George Snell les structures génétiquement déterminées à la surface des cellules qui régulent les réactions immunologiques 1984 Niels Jerne, Georges J.F. Köhler et Cesar Milstein 1987 Susumu Tonegawa 1996 Peter Doherty et Rolf M. Zinkernagel 2011 Jules Hoffmann et Bruce Beutler Ralph Steinman † Le Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH appelé HLA chez l’homme pour Human Leucocyte Antigen) Pour les théories concernant la spécificité dans le développement et le contrôle du système immunitaire et la découverte du principe de production des anticorps monoclonaux Pour sa découverte des principes génétiques à l’origine de la diversité des anticorps Pour leur découverte concernant Rôle du CMH dans la la spécificité de la défense présentation de immunitaire cellulaire peptides aux lymphocytes T Pour leurs travaux sur le système Découverte des immunitaire inné Toll-Like Receptors (TLRs) Pour ses travaux sur le système immunitaire adaptatif Découverte des cellules dendritiques (DC) * source : http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates En dépit de cette dichotomie dogmatique qui séparait l’immunité innée et adaptative, il a été démontré que ces deux parties du système immunitaire sont intimement liées et qu’elles fonctionnent en synergie pour cibler efficacement l’infection tout en épargnant les tissus de l’hôte. L’idée d’un système immunitaire inné rudimentaire comparé à une réponse adaptative «plus complexe» n’est ainsi plus en vigueur. Le système immunitaire des vertébrés est 132 revue des questions scientifiques maintenant considéré comme un système indivisible fait d’une imbrication des composants innés et adaptatifs, les premiers étant cruciaux pour le fonctionnement des seconds. C’est en partie aux lauréats du prix Nobel de Physiologie ou Médecine 2011 que l’on doit le retour de l’immunité innée à sa juste place, c’est-à-dire au cœur du système immunitaire (Figure 1). Le prix couronne en effet Jules Hoffmann, Bruce Beutler et Ralph Steinman, trois chercheurs qui ont grandement contribué à déchiffrer la nature et l’importance des connexions entre immunités innée et adaptative. 2. Courte biographie des lauréats du prix Nobel de Physiologie ou Médecine 2011 2.1 Jules A. Hoffmann Né au Luxembourg dans la petite ville d’Echternach, le 2 août 1941, il a obtenu la nationalité française en 1970. Il étudie à l’Université de Strasbourg (France), entre au CNRS en 1964 et reçoit son PhD en 1969. Après un séjour post-doctoral à l’Université de Marburg (Allemagne), il revient à Strasbourg où il crée le laboratoire «Réponse immunitaire et développement chez les insectes» installé à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS. Il dirige ensuite cet Institut de 1994 à 2006. Il a également présidé l’Académie Française des sciences de 2006 à 2008. En plus du Prix Nobel, il a reçu cette année la médaille d’or du CNRS, et le prix Shaw en sciences du vivant et médecine conjointement avec Bruce Beutler et Ruslan Medzhitov. nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 133 2.2 Bruce A. Beutler Né en 1957 à Chicago aux États-Unis. Passionné de biologie moléculaire, il travailla dans le laboratoire de son père dès l’âge de 14 ans. Il est devenu Docteur en Médecine à l’université de Chicago en 1981. Entre 1983 et 1985 il fait son post-doctorat à l’Université Rockfeller de NewYork (États-Unis) où il devient professeur en 1985. En 1990 et 1996 il devient professeur associé et professeur à l’Université du Texas, à Dallas (États-Unis). En 2000, il est nommé professeur de génétique et d’immunologie à l’institut de Recherche Scripps de La Jolla aux États-Unis. Il est actuellement directeur du « Center for Genetics of Host Defense » à l’Université du Texas. Il est, avec Jules Hoffmann et Ruslan Medzhitov, lauréat du prix Shaw 2011 en sciences du vivant et médecine. 2.3 Ralph M. Steinman Né en 1943 à Montréal au Canada, il étudie la biologie et la chimie à l’Université McGill de Montréal. Il étudie ensuite la Médecine à la Harvard Medical School de Boston (États-Unis) et devient Docteur en médecine en 1968. Il est affilié à l’Université Rockefeller de New York (États-Unis) comme professeur assistant (1972), professeur associé (1976) et enfin professeur en 1988. En 1998 il devient directeur du Christopher H. Browne Center for Immunology and Immune Diseases. Lauréat de nombreux prix d’Immunologie et de Médecine moléculaire, il décède malheureusement trois jours avant de recevoir le prix Nobel, devenant ainsi le premier scientifique à recevoir cet honneur à titre posthume. 134 revue des questions scientifiques 3. « Redde Caesari quae sunt Caesaris… » (Matthieu, XXII,21) Il serait impossible de parler des trois lauréats du prix Nobel 2011 de Physiologie ou Médecine sans faire écho à la contribution décisive de Charles A. Janeway, Jr. (1943–2003), ainsi qu’aux travaux pionniers qu’il a menés avec son compère Ruslan Medzhitov (voir point 4). En effet, Charles A. Janeway, Jr. a été le premier, il y a plus de vingt ans, à proposer l’idée que le système immunitaire inné, jusque-là peu étudié, soit responsable des tâches cruciales consistant à initier et à contrôler la réponse immunitaire adaptative11. Avec sa théorie de «Pattern Recognition», Janeway prédit les mécanismes de la reconnaissance immunitaire innée et suggéra les principes d’une instruction de l’immunité adaptative par l’immunité innée11. Une telle complémentarité d’action entre les deux systèmes permettrait en fait de concilier leurs points forts et de compenser leurs faiblesses, assurant ainsi la reconnaissance et l’élimination des agents pathogènes avec une efficacité maximale et un minimum de dommages aux tissus de l’hôte. Les prédictions de Janeway se sont révélées correctes dans les années qui suivirent, notamment grâce aux travaux de Jules Hoffmann, Bruce Beutler et Ralph Steinman, et elles forment aujourd’hui le cadre conceptuel de notre compréhension du fonctionnement du système immunitaire des mammifères (Figure 1)12. La force principale du système immunitaire adaptatif repose sur les récepteurs d’antigènes des lymphocytes T et des lymphocytes B. Ces récepteurs hautement spécifiques sont générés aléatoirement par recombinaison somatique, et sont ainsi d’une diversité apparemment illimitée. Cependant, bien qu’ils permettent de focaliser spécifiquement les défenses immunitaires vers l’antigène inducteur, ces récepteurs sont incapables de déterminer l’origine de l’antigène dont ils sont spécifiques : par exemple, sont-ils dirigés contre des molécules du soi, des molécules infectieuses du non-soi ou des molécules anodines du non-soi ? Aussi, au contraire de ce qui fût initialement supposé13, la décision du système immunitaire de réagir ou non n’est le fait ni des lympho11. Janeway, C.A., Jr. 1989. Approaching the asymptote ? Evolution and revolution in immunology. Cold Spring Harb Symp Quant Biol 54 Pt 1, 1-13. 12. Medzhitov, R. 2009. Approaching the asymptote: 20 years later. Immunity 30 : 766775. 13. Bretscher, P., and Cohn, M. 1970. A theory of self-nonself discrimination. Science 169 :1042-1049. nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 135 cytes B ni des lymphocytes T. Les informations manquantes concernant l’origine et la nature des antigènes est en fait relayée aux cellules immunitaires adaptatives par les cellules présentatrices de l’antigène (APC pour AntigenPresenting Cells) préalablement activées par leurs récepteurs immunitaires innés. Ce n’est que lorsque ces APCs détectent une infection qu’elles convoieront le signal antigénique et que les lymphocytes développeront une réponse adéquate11 (Figure 1). C’est la découverte d’un type particulièrement important d’APC, la cellule dendritique, qui a valu cette année le prix Nobel de Physiologie ou Médecine à Ralph Steinman (voir point 4). Jules Hoffmann et Bruce Beutler ont découvert les premiers récepteurs protéiques prédits par Charles Janeway Jr., capables de reconnaître des microorganismes et d’activer l’immunité innée (voir point 4). Ces récepteurs de l’immunité innée sont connus sous le nom de «Pattern Recognition Receptors» (PRRs). Contrairement aux récepteurs de l’immunité adaptative, leur nombre est limité, mais ils sont très fiables pour distinguer le soi non-infectieux du non-soi infectieux. En effet, les PRRs reconnaissent des structures moléculaires essentielles et relativement invariantes qui sont communes à une large classe de microorganismes mais qui sont absentes des cellules eucaryotes. Ces structures sont souvent appelées PAMPs pour «Pathogen-Associated Molecular Patterns». Ainsi, d’après Charles Janeway Jr., un PAMP peut être considéré comme une signature moléculaire de l’infection, et le PRR comme un outil fiable de discrimination entre le soi et le non-soi. La reconnaissance des microbes envahisseurs par les PRRs déclenche une réponse de défense rapide en activant les acteurs de plusieurs modules du système immunitaire inné (Figure 1). De plus, elle induit et oriente les parties «adaptatives» de l’immunité grâce à la signalisation déclenchée par les PRRs principalement dans les APCs14 (Figure 1). Le lien entre l’immunité innée et adaptative est bidirectionnel, puisque la réponse immunitaire adaptative est connue pour agir en retour sur les effecteurs de l’immunité innée en renforçant leurs actions (Figure 1). Ain- 14. Des études récentes démontrent que cette signalisation par les PRR contrôle aussi la différentiation des lymphocytes de l’immunité adaptative, la génération des anticorps ainsi que la production des cellules mémoire (Palm, N.W., and Medzhitov, R. 2009. Pattern recognition receptors and control of adaptive immunity. Immunol Rev 227 : 221-233). 136 revue des questions scientifiques si, les deux parties du système immunitaire fonctionnent ensemble depuis la détection initiale des agents pathogènes jusqu’à leur élimination. Figure 1. Les différentes étapes de l’activation du système immunitaire. La réponse immune d’un hôte à l’infection par un agent pathogène est induite par l’engagement de récepteurs de l’immunité innée, les « Pattern Recognition Receptors » (PRRs) qui sont exprimés par des cellules immunitaires professionnelles comme les macrophages (Ma) et par des cellules non immunes de l’hôte, et qui reconnaissent des signatures moléculaires caractéristiques des microorganismes intrus (1). Le signal transmis aux cellules hôtes par les PRRs conduit en quelques heures à l’activation des modules de l’immunité innée et à une réponse antimicrobienne (2). Les modules de l’immunité innée sont également impliqués dans l’initiation de la réponse du système immunitaire adaptatif (3) par le biais de cellules présentatrices d’antigènes, les cellules dendritiques (DC). Ces cellules vont aider à orienter la réponse spécifique vers les classes de mécanismes effecteurs les plus appropriés au type de pathogène en présence. Ces réponses, médiées par les lymphocytes T et B, conduisent en quelques jours à une activation antigéno-spécifique des modules de l’immunité innée (4) qui voient ainsi leurs activités antimicrobiennes renforcées (5). Par exemple, les macrophages (Ma) peuvent être directement activés par les PRRs au début de l’infection (1), internaliser et détruire les microbes envahisseurs par phagocytose (2). Cependant, ils servent aussi de relais d’information vers le système immunitaire adaptatif (3) dont les lymphocytes TH1 effecteurs qui, grâce à la sécrétion d’interféron gamma (4), stimulent les activités microbicides des macrophages (5). 4. La mouche, la souris et la cellule dendritique 4.1 Confirmation expérimentale de la théorie du « Pattern recognition » de Charles Janeway, Jr. : mise en évidence des senseurs de l’immunité innée. nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 137 C’est à Jules Hoffmann et à Bruce Beutler que l’on doit la concrétisation moléculaire du concept de PRR, respectivement chez la mouche du vinaigre et chez la souris. Au milieu des années nonante, plusieurs récepteurs de l’immunité innée étaient déjà connus, avec notamment la Mannan-binding lectin (MBL) activant le système complément, et le Macrophage mannose receptor, qui déclenche la phagocytose. Bien que capables de lier des PAMPs, ces protéines ne remplissaient néanmoins pas complètement les fonctions des récepteurs prédits par Charles Janeway, Jr. lorsqu’il énonça sa théorie du « pattern recognition ». En effet, en prédisant l’existence des PRRs, celui-ci faisait référence à des protéines qui, une fois activées par la liaison à un PAMP, pourrait non seulement initier une réponse immune innée (comme l’activation du système du complément ou la phagocytose), mais assurerait également l’expression par les APCs de l’ensemble des signaux nécessaires à l’activation des lymphocytes de l’immunité adaptative. Plus particulièrement, Janeway et ses collègues ont cherché à identifier des récepteurs de surface portés par les macrophages et les cellules dendritiques qui seraient capables d’induire l’expression par ces cellules de ce qu’on appelle des signaux costimulateurs. En effet, il avait été démontré, notamment par Ralph Steinman (voir point 4.2) que l’expression de ces signaux par les APCs lors de la présentation d’antigènes aux lymphocytes T de l’immunité adaptative, est nécessaire à l’activation de ces derniers, et donc à la mise en place d’une réponse immune spécifique. En accord avec le succès évolutif du système immunitaire inné, c’est d’un invertébré qu’est venue une des clés de la confirmation expérimentale de la théorie de Charles Janeway, Jr. Et plus particulièrement des études de la réponse immunitaire de la mouche du vinaigre Drosophila melanogaster par Jules Hoffmann. En 1996, avec Bruno Lemaître, il découvre que le récepteur Toll, identifié par Christiane Nüsslein-Volhard (Prix Nobel de Physiologie ou Médecine 1995) pour son implication dans la différenciation dorsoventrale des embryons de la drosophile, joue un rôle majeur dans la réponse immune de celle-ci15. Par une approche génétique, ils montrent en effet que la voie de signalisation déclenchée par le récepteur Toll, qui présente des similarités structurales et fonctionnelles avec la voie de réponse à l’interleukine-1 (IL-1) 15. Lemaitre, B., Nicolas, E., Michaut, L., Reichhart, J. M. and Hoffmann, J.A. 1996 The dorsoventral regulatory gene cassette spatzle/Toll/cactus controls the potent antifungal response in Drosophila adults. Cell 86 :973-83. 138 revue des questions scientifiques alors récemment identifiée et connue pour son rôle dans la réponse immunitaire16, contrôle la production de drosomycine, un peptide antifongique, chez la drosophile adulte. Et ils démontrent surtout qu’en absence d’une voie de signalisation Toll-dépendante fonctionnelle, la survie de la drosophile à une infection fongique est dramatiquement réduite. À la lumière de leur découverte, Hoffmann et Lemaître soulignent les similarités de séquence entre le récepteur Toll, le récepteur à l’IL-1 (IL-1R), mais aussi une protéine de résistance du tabac (la protéine N) à l’infection causée par le virus de la mosaïque du tabac. En effet, ces protéines partagent un domaine cytoplasmique baptisé domaine TIR pour Toll, IL-1 receptor and Resistance protein. Ils renforcent ainsi l’idée que les défenses de l’hôte chez les eucaryotes supérieurs pourraient impliquer une voie de signalisation commune déclenchée par une protéine évolutivement ancienne et possédant un domaine TIR. Notamment sur base de la publication stupéfiante de Bruno Lemaître et Jules Hoffmann, Charles Janeway, Jr. et Ruslan Medzhitov ont mis en place une approche qui s’avèrera par la suite largement applicable : rechercher dans le génome des vertébrés, des gènes codant des protéines du système immunitaire d’invertébrés ou de plantes. C’est ainsi qu’ils ont identifié un an plus tard l’homologue humain de la protéine Toll, hToll (human Toll, maintenant connue sous le nom de Toll-like receptor 4 ou TLR4), et démontré sa fonction dans le développement de la réponse immune17. En effet, hToll s’est révélé comme la première protéine transmembranaire capable de déclencher une réponse inflammatoire (qui est une réponse typiquement innée) mais également d’induire l’expression des signaux costimulateurs B7.1 et B7.2, maintenant appelés respectivement CD80 et CD86. Le travail de Janeway et Medzhitov suggérait donc que hToll, en plus de contrôler une réponse de défense directe, puisse coupler la reconnaissance d’un pathogène par l’immunité innée avec l’activation de l’immunité adaptative. Cependant l’identité du PAMP supposé reconnu par ce récepteur resta inconnue une année de plus. Dans le même temps, plusieurs homologues de hToll furent identifiés, formant ensemble la famille des Toll-like receptors 16. Gay, N.J., Keith, F.J. 1991. Drosophila Toll and IL-1 receptor. Nature 351: 355–356. 17. Medzhitov, R., Preston-Hurlburt, P. & Janeway, C. A., Jr. 1997. A human homologue of the Drosophila Toll protein signals activation of adaptive immunity. Nature 388 : 394-7. nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 139 (TLRs). La première étude indiquant que les TLRs pouvaient directement répondre à des produits microbiens fut conduite par Paul Godowski et ses collègues qui rapportèrent l’activation du TLR2 par des préparations de membranes de bactéries Gram-négatives18. De plus, commentant la publication de Godowski, Craig Gerard19 attira l’attention sur le fait que le gène encodant le TLR4 humain (hToll) est en fait localisé dans une région chromosomique synténique avec le chromosome 4 de la souris, par ailleurs identifié comme responsable de l’absence de réponse d’une souche de souris (C3H/HeJ) au lipopolysaccharide (LPS). Le LPS est un composant majeur de la paroi des bactéries Gram-négatives connu pour causer le choc septique, une forte réponse inflammatoire qui peut s’avérer fatale. L’observation de Craig Gerard suggérait donc que le TLR4 puisse être impliqué dans la reconnaissance du LPS. C’est ainsi qu’en 1998, Bruce Beutler et ses collègues mirent en évidence que les souris C3H/HeJ résistantes au LPS (absence de choc septique) portent une mutation du gène encodant le TLR4, offrant la première évidence génétique de l’implication de ce récepteur dans la reconnaissance de microorganismes20. Les mammifères et la mouche du vinaigre utilisent donc bien des protéines similaires pour activer l’immunité innée en cas d’infection, mais également pour transmettre les informations cruciales à l’activation des lymphocytes de l’immunité adaptative (via les cellules dendritiques, voir point 4.2.). Avec le recul, on peut considérer que les découvertes de Hoffmann, de Janeway (qui aurait très probablement reçu le Nobel si celui-ci pouvait être remis à titre posthume) et de Beutler furent à l’origine de la renaissance de l’immunité innée. Depuis lors, dix et treize TLRs ont été identifiés respectivement chez l’Homme et la souris, et plus de 18 000 publications sont parues sur ces récepteurs. Il fut aussi démontré que les TLRs ne sont en fait qu’une branche des récepteurs de l’immunité innée. De nombreux autres PRRs (dont les NOD-like receptors NLRs, les C-type lectin receptors CLRs, ou les RIG-Ilike receptors RLRs) furent ensuite mis en évidence et leurs rôles dans le dé18. Yang, R.B., Mark, M.R., Gray, A., Huang, A., Xie, M.H., Zhang, M., Goddard, A., Wood, W.I., Gurney, A.L., and Godowski, P.J. 1998. Toll-like receptor-2 mediates lipopolysaccharide-induced cellular signalling. Nature 395: 284–288. 19. Gerard, C. 1998. Bacterial infection. For whom the bell tolls. Nature 395: 217–219. 20. Poltorak, A., He, X., Smirnova, I., Liu, M. Y., Van Huffel, C., Du, X., Birdwell, D., Alejos, E., Silva, M., Galanos, C., Freudenberg, M., Ricciardi-Castagnoli, P., Layton, B. & Beutler, B. 1998. Defective LPS signaling in C3H/HeJ and C57BL/10ScCr mice: mutations in Tlr4 gene. Science 282: 2085-8. 140 revue des questions scientifiques clenchement des réponses immunes innée et adaptative au moins en partie élucidés21. 4.2 Un nouveau type cellulaire qui contrôle l’immunité adaptative. Si Jules Hoffmann et Bruce Beutler ont découvert les récepteurs de l’immunité innée qui reconnaissent les microorganismes et activent le système immunitaire, Ralph Steinman a quant à lui découvert un nouveau type de cellules immunitaires qui jouent un rôle dans une étape ultérieure de la réponse immune (Figure 1) : les cellules dendritiques (DCs pour dendritic cells). Il a ensuite mis en évidence leur capacité à activer et réguler l’immunité adaptative. Travaillant alors dans le groupe de Zanvil Cohn à l’Université Rockefeller de New-York (États-Unis), Ralph Steinman propose le terme « dendritique » en 1973, afin de décrire des cellules « étoilées » (stellate cells) mises en évidence dans les organes lymphoïdes périphériques de souris, et clairement distinctes des phagocytes mononucléés, des granulocytes et des lymphocytes22. Ce papier était le premier d’une série de cinq publiés dans le Journal of Experimental Medecine de 1973 à 1979. À cette époque, un grand intérêt était porté à la découverte des mécanismes de présentation des antigènes aux lymphocytes T, et les macrophages, grâce à leur capacité à internaliser les pathogènes et les antigènes et à exprimer les Complexes Majeurs d’Histocompatibilité (CMH) de classe I et II, étaient pressentis comme les principales, sinon les seules, cellules présentatrices d’antigènes (APCs). En 1978-1980, par des expériences de culture cellulaires, Ralph Steinman et ses collaborateurs montrèrent néanmoins pour la première fois le haut potentiel des DCs à stimuler la réponse des lymphocytes T aux antigènes23. Leurs travaux ultérieurs confirmèrent complètement le rôle des DCs en tant qu’APCs en démontrant l’efficacité de leurs mécanismes d’inter21. Kawai, T., and Akira, S. 2011. Toll-like Receptors and Their Crosstalk with Other Innate Receptors in Infection and Immunity. Immunity 34: 637-650. 22. Steinman, R. M., and Z. A. Cohn. 1973. Identification of a novel cell type in peripheral lymphoid organs of mice. I. Morphology, quantitation, tissue distribution. J. Exp. Med. 137: 1142–1162. 23. (a) Steinman R.M., Witmer M. D. Lymphoid dendritic cells are potent stimulators of the primary mixed leukocyte reaction in mice. Proc Natl Acad Sci USA 1978; 75:51325136. (b) Nussenzweig, M. C., R. M. Steinman, B. Gutchinov, and Z. A. Cohn. 1980. nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 141 nalisation, d’apprêtement (processing) et de présentation à leur surface, via les CMH de classe I et II, d’antigènes aux lymphocytes T. Ces caractéristiques, associées à l’extraordinaire capacité migratoire des DCs in vivo, et à leur production de cytokines qui contribuent à orienter correctement la réponse immunitaire adaptative en fonction du type de pathogène rencontré24, rendent compte de leur appellation actuelle d’APCs professionnelles et de sentinelles du système immunitaire. Aujourd’hui, le rôle majeur des DCs découvertes par Ralph Steinman dans le développement de la réponse immune adaptative, est largement reconnu. Les récentes études de Steinman, Janeway, Hoffmann, Beutler, et d’autres ont démontré le rôle important des PRRs dans l’acquisition par les DCs de l’ensemble des signaux nécessaires à l’activation des lymphocytes T, et dès lors dans la décision du système immunitaire à développer ou non une réponse adaptative. Les DCs constituent ainsi un pont essentiel dans la transmission à l’immunité adaptative de l’information décelée, via les PRRs, par l’immunité innée. Nous savons aussi que les DCs sont très hétérogènes et qu’ils en existent différents sous-types (subsets). Aussi, en fonction du sous-type et de leur état de maturation ou d’activation, on sait maintenant que les DCs peuvent remplir différentes fonctions immunitaires, allant de la tolérance à l’activation complète de l’immunité innée et adaptative. Ralph Steinman n’a pas seulement été le pionnier de la recherche sur les DCs, puisqu’il a poursuivi jusqu’à sa mort ses études sur la fonction de ces cellules dans la réponse immunitaire. Il est ainsi difficile de trouver une avancée majeure concernant les DCs dans laquelle il ne fût directement impliqué. Sa découverte a été suivie d’une augmentation exponentielle des publications relatives à différents aspects de la biologie des DCs, avec plus de 6000 papiers par an depuis 2005. Dendritic cells are accessory cells for the development of anti-trinitrophenyl cytotoxic T lymphocytes. J. Exp. Med. 152: 1070 –1084. 24. La réponse immune à l’infection par un virus est par exemple très différente de la réponse à un ver parasitaire. 142 revue des questions scientifiques 5. De l’autre côté du miroir Quelques courtes mises en perspective permettent d’illustrer l’impact crucial que les découvertes couronnées par le prix Nobel de Physiologie ou Médecine 2011 continueront à avoir sur la biologie et la médecine dans le futur. 5.1 L’influence grandissante des PRRs Bien qu’initialement décrit comme dérivant de microorganismes pathogènes, le concept de PAMP doit être étendu. Il est question à l’heure actuelle de « Microbe-Associated Molecular Patterns » (MAMPs). En effet un microorganisme non-pathogène exprime les mêmes signatures moléculaires que les pathogènes microbiens. Ainsi les bactéries Gram-négatives pathogènes, mais également celles de la microflore commensale possèdent un LPS qui peut être reconnu par le TLR4. En conséquence, lorsqu’un microorganisme non-pathogène est introduit accidentellement ou expérimentalement dans l’organisme, il est reconnu par le système immunitaire inné et induit une réponse immune adaptée. Il est aussi question de « Danger Associated Molecular Patterns » (DAMP). En fait, actuellement on admet que des infections microbiennes déclenchent la modification de molécules endogènes qui sont reconnues par des PRRs. Ces DAMPs serviraient d’adjuvant pour la réponse innée. Un dysfonctionnement des réponses déclenchées par l’activation des PRRs pourrait ainsi conduire à des situations inflammatoires cliniquement importantes (choc septique, arthrite rhumatoïde, asthme, diabète, lupus érythémateux, etc). S’il a été récemment établi que les PRRs n’ignorent pas les microorganismes commensaux de l’hôte et qu’ils sentent des signaux endogènes, les réponses qu’ils déclenchent dans ces cas semblent différentes de la réponse immunitaire visant à contrôler les infections causées par des pathogènes. Cela démontre la nécessité pour les immunologistes de reconsidérer l’hypothèse originale de Charles Janeway, Jr. L’hypothèse qui prévaut actuellement est qu’il existerait des mécanismes additionnels de reconnaissance par le système immunitaire inné, basés sur d’autres principes que celui du « pattern recognition », qui se superposeraient à la reconnaissance des MAMPs. Par exemple, en plus de détecter directement la présence de structures dérivées de microor- nobel de physiologie ou médecine : la mouche, … 143 ganismes pathogènes, l’hôte pourrait sentir les effets de leurs facteurs de virulence sur ses cellules25. L’identification de tels mécanismes fait partie des enjeux des recherches actuelles en immunologie26. 5.2 La reine rouge à l’œuvre La coévolution d’un microorganisme parasitaire avec son hôte est, selon la théorie de la reine rouge27, une conséquence inéluctable de la réussite de leur relation réciproque. De nombreuses données indiquent que le succès d’un microorganisme pathogène passe par des modifications permanentes ou transitoires de ses PAMPs et/ou par la perturbation des voies de signalisation déclenchées par les PRRs des cellules de l’immunité�. En soi, le constat de cette coévolution est une des preuves les plus convaincantes de l’importance de la reconnaissance des pathogènes par les PRRs dans le déroulement efficace d’une réponse immunitaire. 5.3 Les TLRs pour combattre les pathogènes ou pour construire l’holobionte ? Le système immunitaire a toujours été perçu comme un moyen de défense pour l’hôte contre les microorganismes pathogènes. Cependant, cette vision perd de vue le fait, maintenant expérimentalement établi, que les organismes multicellulaires sont complétement dépendants de leur microflore associée, le microbiote. Cette interdépendance est manifeste non seulement au niveau métabolique, mais aussi de l’organogenèse, de la physiologie, du comportement et ce, que l’on parle de la drosophile, de la souris ou de l’Homme. Considérant que tous les animaux et les plantes sont associés à des symbiontes, 25. Vance, R.E., Isberg, R.R., and Portnoy, D.A. 2009. Patterns of pathogenesis: discrimination of pathogenic and nonpathogenic microbes by the innate immune system. Cell Host Microbe 6 : 10-21. 26. Medzhitov, R. 2010. Innate immunity : quo vadis ?. Nat Immunol. 11 : 551-553. 27. La théorie de la reine rouge est une hypothèse de la biologie évolutive qui décrit la nécessaire évolution permanente d’une espèce pour qu’elle maintienne son « fitness » suite aux évolutions des espèces avec lesquelles elle co-évolue. (van Valen, L. 1973. New Evolutionary Law. Evolutionary Theory 1 : 1-30). 144 revue des questions scientifiques Zilber-Rosenberg et Rosenberg ont proposé que l’hôte et son microbiote forment l’holobionte et que son hologénome soit l’unité évolutive28. Le réseau de « communication » entre les partenaires de cette association doit être d’un niveau de complexité sans commune mesure et, à n’en pas douter, les PRRs et les mécanismes qu’ils sous-tendent, de par leur caractère primordial et ancestral, ont du jouer un rôle dans l’établissement et l’acceptation spécifique de cette relation par le système immunitaire. 6. Conclusion L’identification des TLRs et des cellules dendritiques, en concrétisant la théorie du « Pattern Recognition » de Charles Janeway, Jr. ont clairement révolutionné notre perception du système immunitaire en mettant en évidence les mécanismes et les cellules qui régulent et connectent les composants immuns innés et adaptatifs. Ces découvertes fondamentales ont déjà et auront des retombées médicales cruciales dans des domaines aussi variés que la vaccinologie, le cancer et les maladies inflammatoires. À l’heure où les politiques régionales, nationales et européennes mettent l’accent sur la recherche orientée (entendez en connexion avec un partenariat industriel) et sur les retombées économiques à court et moyen terme de la recherche scientifique, à l’époque où, malgré le credo de Louis Pasteur29, on fonde des Instituts de sciences appliquées, on est en droit de se demander comment serait reçu par les instances de financement un programme de recherche visant à étudier l’immunité de la drosophile ou la fonction d’une cellule ayant des prolongements en forme de dendrites. À n’en pas douter, la réponse serait d’un risible absolu. 28. Zilber-Rosenberg, I. and Rosenberg, E. 2008. Role of microorganisms in the evolution of animals and plants : the hologenome theory of evolution. FEMS Microbiol Rev. 32: 723-735. 29. Dans une note adressée au ministre Duruy en Novembre 1863, Louis Pasteur écrit « Une idée essentiellement fausse (…) est qu’il existe des sciences appliquées. L’union même des mots est choquante. Mais il y a des applications de la science, ce qui est bien différent. »