Les prix Nobel
de Physiologie – Médecine 2011
La mouche, la souris et la cellule dendritique
M T, J-J L
matthieu.terwagne@fundp.ac.be | jean-jacques.letesson@fundp.ac.be
1. Avant propos
«So, Naturalists observe, a ea
Hath smaller eas that on him prey;
And these have smaller still to bite ’em;
And so proceed ad innitum»
J S
On POETRY: A RHAPSODY ()
1.1  De Jonathan Swift…
Jonathan Swift avait raison quand il écrivait ces vers. La vie est relation
trophique et symbiose et ce, depuis la nuit des temps. Le terme symbiose est
assez vaguement déni et, pour cette raison, il a été appliqué à un large éven-
tail de taxons végétaux, fungiques, animaux et bactériens. On peut même
armer, sans crainte de se tromper, que tous les êtres vivants servent dhôtes
. Le terme symbiose vient du Grec συμβʹiωσ, (“vivre ensemble”) et, au sens large, fait
référence à la relation entretenue par un organisme dune espèce donnée avec un orga-
nisme dune espèce diérente, appelée hôte”. Cette relation peut être néque (on
parle alors de mutualisme), neutre (commensalisme) ou détrimentale (parasitisme) pour
lhôte.
Revue des Questions Scientiques, ,  (-) : -

   
à au moins un symbionte. Cette perception du vivantcomme avant tout
symbiotique”est en plein essor et risque bien de bouleverser complètement la
perception que les biologistes ont du monde ainsi que linterprétation quils
font du vivant.
Une des implications sous-jacentes à toute relation symbiotique est quelle
nécessite une communication structurée”, un échange bilatéral dinforma-
tions réglant l’établissement et le maintien de cet équilibre relationnel entre
espèces vivantes. Que léchelle soit moléculaire ou macroscopique, que le si-
gnal soit physique ou chimique, la communication nécessite émission, récep-
tionet réaction adaptée au stimulus.
1.2  …à nos jours
Comme il semble bien que ce type de relation symbiotique soit ancestral,
alors, évolutivement parlant, tout être vivant doit contenir les informations
génétiques nécessaires à la mise en place des mécanismes de perception et de
réaction aux signaux de communicationqu’implique cette symbiose. Si
lon se focalise sur les relations (parasitaires ou non) quentretiennent les êtres
vivants multicellulaires avec les microorganismes (bactéries, virus ou proto-
zoaires), alors les plantes et les animaux doivent posséder des récepteurs ca-
pables de percevoir la présence de ces microorganismes an délaborer une
réponse que lon qualie d’immune. Cette réaction vise à préserver l’intégrité
de lhôte, non seulement en éliminant les pathogènes, mais également en
maintenant lhoméostasie entre lte et sa microore commensale, égale-
ment appelée microbiote.
. (a) Price, P.W. . Evolutionary Biology of Parasites. Princeton University Press, Prin-
ceton. (b) Windsor, D. A. . Most of the species on Earth are parasites. Interna-
tional Journal for Parasitology  (): –. (c) Poulin, R. . Evolutionary
Ecology of Parasites: second edition. Princeton University Press, Princeton.
. (a) McFall-Ngai, M. . Are biologists in future shock?” Symbiosis integrates biol-
ogy across domains. Nat. Rev. Microbiol. :. (b) Rohwer, F., and M. Youle.
. Consider something viral in your research. Nat. Rev. Microbiol. :–.
. Cette idée se retrouve dans la formule prémonitoire de Max Delbrück, en : Any
living cell carries with it the experience of a billion years of experimentation by its ancestors.
. Medzhitov, R. . Recognition of microorganisms and activation of the immune
response. Nature: -.
. Littman, D.R. and Pamer, E.G. . Role of the commensal microbiota in normal and
pathogenic host immune responses. Cell Host Microbe: -.
     :  , …

C’est de cela dont il est question dans lattribution du prix Nobel de
Physiologie ou Médecine de : la découverte de récepteurs et de méca-
nismes susceptibles de détecter la présence (et la nature) de microorganismes
au sein de lhôte, d’initier et dorienter la réponse immune de celui-ci.
1.3  Lintenable prépondérance de limmunité spécique
Le système immunitaire des vertébrés a depuis longtemps été décrit, de
manière un peu dogmatique, comme étant composé de deux branches: lim-
munité innée, évolutivement ancienne et procurant une défense immédiate,
et limmunité adaptative, également qualiée de hautement spécique, qui
procure une réponse plus tardive mais aussi une mémoire immunologique.
Il y a encore quelques années seulement, les manuels dimmunologie ne
consacraient que quelques pages à limmunité innée, et ce dans des termes
génériques tels que non spécique” ou naturelle” en décrivant brièvement
les barrières physico-chimiques, le système du complément et les phagocytes.
Venaient ensuite plusieurs chapitres décrivant en détail les lymphocytes T et
B de l’immunité adaptative, leur sélection clonale, tout en insistant fortement
sur la spécicité de leur réponse ainsi que sur le développement de lympho-
cytes mémoires qui permettront une réaction plus rapide, plus vigoureuse et
plus spécique lors dun deuxième contact avec le même agent infectieux.
Notons quen plus de ce déséquilibre entre limportance accordée par les ma-
nuels dimmunologie à l’immuniinnée et limmunité adaptative, les deux
sujets étaient traités indépendamment lun de lautre.
Force est de constater que le nombre de chapitres consacrés à chacune des
deux parties du système immunitaire était inversement proportionnel à leur
importance relative dans la survie des organismes. Au cours de lévolution,
limmunité adaptative n’est apparue quà partir des vertébrés à mâchoires
(gnathostomes). Elle ne concerne s lors que quelques dizaines de milliers
despèces. À l’inverse, les invertébrés (dont certains fossiles vivants comme le
crabe fer à cheval Limulus polyphemus) et les plantes, qui constituent la majo-
rité des espèces vivantes sur Terre, comptent exclusivement sur leur système
. Il faut toutefois noter qu’une forme «non-classique» dimmunité adaptative a récem-
ment été décrite chez les agnathes dont les lamproies et les myxines sont les seuls repré-
sentants actuels (Herrin, B. R., and Cooper, M. D. (). Alternative adaptive immu-
nity in jawless vertebrates. J. Immunol. , -).

   
immunitaire inné pour assurer leur défense contre les agents pathogènes. De
plus, alors quil ny a pas dimmunité adaptative sans immunité innée, lin-
verse s’avère vrai. Ce seul fait trahi limportance vitale des mécanismes innés
du système immunitaire.
1.4  Le juste retour de limmunité innée sur le devant de la scène 
Malgson succès à léchelle de l’évolution, limmunité innée a donc
longtemps été traitée avec condescendance par les immunologistes, étant
considérée comme une simple mesure provisoire de défense en attendant que
limmunité adaptative prenne le relais. Cette hégémonie du système immuni-
taire adaptatif a plus que probablement retardé, voire empêché la reconnais-
sance de l’importance de l’immunité innée. Et ce déséquilibre dans la
perception du système immunitaire sest également traduit dans la répartition
des prix Nobel de Physiologie ou Médecine décernés antérieurement à des
immunologistes (Table ). En eet, à lexception des deux premiers Nobel
attribués à Ilya Metchnikov () et à Jules Bordet () pour leurs travaux
respectifs sur la phagocytose et sur le système du complément, les onze autres
immunologistes lauréats du prix se sont vus récompenser pour leurs travaux
sur les composants spéciques du système immunitaire.
. Homann, J.A., Kafatos, F.C., Janeway, C.A. and Ezekowitz, R.A. . Phylogenetic
perspectives in innate immunity. Science , -.
. Dans un article écrit en  pour un numéro de Scientic American dédau système
immunitaire, Avrion Mitchison décrivait brièvement le système immunitaire in
comme primitive and dumb, ce qui peut se traduire par primitif et te! (Mitchison,
A. . Will we survive? Scientic American : -)
. En , au plus fort des recherches sur le système immunitaire adaptatif, une période
baptisée «nouvelle ère immunologique» par le lauat du prix Nobel de Physiologie ou
Médecine , Sir Franck Macfarlane Burnet (Table ), celui-ci prédit que l’immuno-
logie se retrouverait rapidement à court de problèmes à soudre. Plus tard, en ,
Niels Jerne, prix Nobel de Physiologie ou Médecine en  pour ses travaux sur lim-
munité adaptative (Table ), annonça que l’immunologie serait complètement solue
dans les  ans à venir. Notez que lhistoire voudrait que ce dernier ait refusé que des
séminaires sur les macrophages, cellules clés de limmunité innée, soient organis à
l’Institut dImmunologie de le! (Anderson, W., Jackson, M. and Rosenkrantz, B.G.
(). Toward an unnatural history of immunology. J. Hist. Biol. ():-).
     :  , …

Table 1. Prix Nobel de Physiologie ou Médecine couronnant
des recherches en immunologie.
Date Nom du(des lauréat(s) Intitulé du prix* Commentaires
 Ilya I. Metchnikov et
Paul Ehrlich
En reconnaissance de leurs
travaux sur limmunité
Découverte de la
phagocytose
Jules Bordet Pour ses découvertes relatives à
limmunité
Découverte du
complément (alors
appelé Alexine)
 Sir F. Macfarlane
Burnet et Peter B.
Medawar
Pour leur découverte de la
tolérance immunologique acquise
La non réponse
immune spécique
 Baruj Benacerraf, Jean
Dausset et George Snell
Pour leurs découvertes concernant
les structures génétiquement
déterminées à la surface des
cellules qui régulent les réactions
immunologiques
Le Complexe Majeur
d’Histocompatibilité
(CMH appelé HLA
chez lhomme pour
Human Leucocyte
Antigen)
 Niels Jerne,
Georges J.F. Köhler et
Cesar Milstein
Pour les théories concernant la
spécicité dans le développement
et le contrôle du système
immunitaire et la découverte du
principe de production des
anticorps monoclonaux
 Susumu Tonegawa Pour sa découverte des principes
génétiques à lorigine de la
diversité des anticorps
 Peter Doherty et Rolf
M. Zinkernagel
Pour leur découverte concernant
la spécicité de la défense
immunitaire cellulaire
Rôle du CMH dans la
présentation de
peptides aux lympho-
cytes T
 Jules Homann et
Bruce Beutler
Ralph Steinman †
Pour leurs travaux sur le système
immunitaire in
Pour ses travaux sur le système
immunitaire adaptatif
Découverte des
Toll-Like Receptors
(TLRs)
Découverte des cellules
dendritiques (DC)
* source: http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/medicine/laureates
En dépit de cette dichotomie dogmatique qui séparait limmunité innée
et adaptative, il a été démontré que ces deux parties du système immunitaire
sont intimement liées et qu’elles fonctionnent en synergie pour cibler ecace-
ment linfection tout en épargnant les tissus de lhôte. Lidée dun système
immunitaire inné rudimentaire comparé à une réponse adaptative «plus com-
plexe» nest ainsi plus en vigueur. Le système immunitaire des vertébrés est
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