Légalité et légitimité (d`)après Max Weber

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Légalité et légitimité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
Dans les pages de Wirtschaft und Gesellschaft, Max Weber
savance une compréhension singulière du rapport entre légalité
et légitimité qui déchirera profondément sa postérité. Le présent
article se propose de faire retour sur les principales
articulations du texte de Weber. Une telle entreprise permet
d’abord de préciser l’inscription du concept de légitimité légale
dans l’effort réflexif qui anime la sociologie wébérienne du
droit. Mais elle permet aussi de retracer le travail des concepts
wébériens chez ses « fils naturels » - et notamment au sein du
débat qui a opposé, au crépuscule de la république de Weimar,
Carl Schmitt et Otto Kirchheimer.
***
Dans un article déjà ancien, Fred Dallmayr (1994 : 49) écrivait que
nous sommes tous les « héritiers récalcitrants » (the reluctant heirs) de
Max Weber. Le terme est sans doute un peu fort. Il est vrai que nous
sommes tous, que nous le voulions ou non, plus ou moins débiteurs de
Max Weber. Au-delà du cercle bien délimité des appropriations
explicites, il existe en effet une efficace souterraine de l’œuvre de Weber
qui parcourt l’ensemble des sciences humaines lato sensu. Voudrait-on
s’affranchir d’un « moment Weber » jugé aporétique, que la dette se fera
à nouveau sentir dès qu’il s’agira de manier avec quelque rigueur des
concepts aussi fondamentaux que « rationalité », « capitalisme »,
« contrat-fonction » ou « bureaucratie ». Et nul besoin pour cela d’avoir
dû affronter au corps à corps la prose aride de Wirtschaft und
Gesellschaft : le vocabulaire de Weber, comme celui de Machiavel, de
Aspects sociologiques, volume 12, no 1, avril 2005
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ASPECTS SOCIOLOGIQUES
Montesquieu ou de Tocqueville, a acquis, par un jeu très complexe de
médiations et de transferts culturels1, une vie autonome.
Voilà qui ne veut pas dire, loin s’en faut, que les concepts wébériens
nous soient devenus transparents. À vrai dire, familiarité et opacité vont
souvent de pair dans les choses de l’esprit. C’est pourquoi un objectif
apparemment modeste – faire retour sur la notion de légitimité tel qu’elle
apparaît chez Weber – peut engager, en sous-main, une démarche assez
ambitieuse de relecture (voire de retraduction) des textes wébériens et, de
façon incidente, une contestation des entreprises de connaissance visant
aujourd’hui une sociologie de la domination « à la Weber »2. Le présent
exposé ne revendique bien sûr pas pour lui un dessein aussi prométhéen.
Cherchant à préciser la signification et la portée du concept de légitimité,
il aspire seulement à éclairer quelques enjeux théoriques sous-jacents aux
propositions de Max Weber. Dans un premier temps, je voudrais rappeler
l’inscription du problème de la légitimité dans la typologie des formes de
domination élaborée par Weber de même que dans le « projet »
d’ensemble d’Économie et société. Ensuite, je m’attacherai à l’aspect de
ce problème qui a le plus déchiré les « héritiers » - à savoir : le statut
incertain du mode de légitimité légale-rationnelle - en précisant sa
relation avec le mouvement réflexif de la sociologie du droit wébérienne,
et avec la forme très singulière de « positivisme » qu’elle exprime. Enfin,
j’aimerais montrer que la teneur exacte de ce rapport entre domination
légitime et positivité du droit moderne peut être éclairée par le débat qui
a opposé à la fin de l’année 1932, au crépuscule de la république de
Weimar, un « fils légitime » de Weber - le constitutionnaliste Carl
Schmitt - et son jeune élève Otto Kirchheimer.
1
Le parcours pour le moins sinueux de l’œuvre de Max Weber dans les sciences sociales
fait l’objet d’un ouvrage collectif intitulé The Objectivist Ethic and the Spirit of Science.
One Hundred Years of Max Weber’s “Objectivity” of Knowledge, à paraître en 2005
(University of Toronto Press) sous la direction de Laurence McFalls, Barbara Thériault et
Augustin Simard.
2
Les travaux de Catherine Colliot-Thélène représentent sans doute le plus bel exemple de
cette imbrication étroite entre le mouvement de « retour au texte » et l’effort pour ébranler
des réceptions « traditionnelles » de la pensée wébérienne. Cf. l’introduction à ColliotThélène (2001).
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
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1. Domination et légitimité selon Max Weber
Bien qu’elle fasse aujourd’hui partie d’un fond de commerce
commun à la sociologie et à la théorie politique, la notion de légitimité
développée par Max Weber possède, à l’origine, un sens très restreint,
marqué de façon indélébile par la singularité du projet wébérien. Les
polémiques nombreuses entourant l’usage fait par Weber de la notion de
légitimité ont contribué à occulter un fait essentiel : Weber ne s’est
jamais intéressé au problème de la légitimité comme tel. N’apparaît en
effet jamais, dans les milliers de pages d’Économie et société, que la
domination légitime. Et s’il s’agit là d’un point sur lequel il faut insister,
c’est parce qu’il est révélateur de l’abandon délibéré, de la part de
Weber, du vocabulaire – trop synthétique, à ses yeux – des théories
classiques du droit de gouverner. Le concept de légitimité apparaît
toujours, chez Weber, dans le cadre étroit d’une sociologie de la
domination (Herrschaftssoziologie), elle-même conçue comme la
description d’une sphère de pratiques spécifiques.
La première apparition de la notion de domination légitime survient à
la toute fin de l’Introduction à l’éthique économique des religions
universelles, lorsque Weber tente de décrire la relation complexe qui
s’établit entre les formes de socialisation religieuse et les différents
« groupements de domination » (Weber, 1996: 268-378). D’entrée de
jeu, si l’on peut dire, les trois types purs de domination légitime prennent
place dans une vaste démarche historico-comparative visant à rendre
compte des interactions multiples entre la rationalisation des conduites
religieuses et le développement des autres sphères d’activité sociale
(économique, juridique, politique, esthétique). En vain chercherait-on,
dans cette démarche, l’embryon d’une « théorie de la légitimité », d’un
modèle explicatif qui poserait la légitimité comme une variable
indépendante à l’intérieur d’une série causale. Premier indice, donc, du
fossé considérable qui sépare les préoccupations théoriques actuelles3 du
sens du projet wébérien. La légitimité n’est jamais envisagée comme un
élément fonctionnel susceptible de résoudre « l’énigme de l’obéissance »
ou encore de révéler les mécanismes souterrains qui assurent
l’intégration de la « Société » : elle désigne au contraire un phénomène
3
Par exemple, celles de Habermas (1978) ou celles de Luhmann (2001) qui bien
qu’opposées au projet habermassien partagent les mêmes prémisses quant au statut
fonctionnel de la légitimité.
162
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
autonome, dont les effets sont d’ailleurs, pour l’essentiel, internes au
groupe dirigeant lui-même4.
Le terme de « domination » - Herrschaft - s’oppose d’abord
directement à celui de Macht, entendu d’une façon très générale comme
« la chance de faire triompher, au sein d’une relation, sa propre volonté,
[...] peu importe sur quoi repose cette chance ». Il s’agit là, ajoute
aussitôt Weber, d’un terme « sociologiquement amorphe » (Weber,
1992 : 8 ; Weber, 1995 : 95)5 car il ne suffit pas à caractériser une
formation sociale distincte, mais tend plutôt à se dissoudre dans une
multitude de relations interpersonnelles (d’ordres économique, familial,
sportif, mondain, etc.). Une telle approche conduirait certes à une
impressionnante « casuistique » des formes de pouvoir, mais elle ne
permettrait guère de rendre compte de la structure asymétrique qui
constitue le fondement du rapport de domination. Pour Weber, en effet,
ce qui définit en propre la domination, c’est « la chance, pour des
commandements (Befehl) spécifiques, de trouver obéissance (Gehorsam)
de la part d’un groupe déterminé d’individus » (Weber, 1992 : 122;
Weber, 1995 : 285). En introduisant ainsi le couple conceptuel pouvoir
de
commandement/devoir
d’obéissance
(Befehlsgewalt /
Gehorsamspflicht), la sociologie de la domination tente de cerner un
objet autonome, une « probabilité concrète de conformité du
comportement d’un individu à celui d’un autre » (Bouretz, 1996 : 252),
irréductible aux conséquences d’avantages structurels ou à des « effets de
champ ». De fait, dans un passage particulièrement dense du chapitre X
de la seconde partie d’Économie et société, Weber s’efforce de ressaisir
les développements esquissés précédemment en précisant davantage les
rapports entre le mode de régulation des pratiques économiques et la
domination. Certes, admet Weber, il existe bien des formes
d’ « étaiement mutuel » et de « recouvrement partiel » (Colliot-Thélène,
4
Cf. Rodney Barker (1990 : 122). Pour une approche qui s’inspire de Weber et en retire des
intuitions tout à fait fécondes, on se reportera aux travaux récents de Barker (2001). À
l’inverse, pour une approche aux antipodes de celle de Weber, cf. Jean-Marc Coicaud,
(1997 : 23-24) qui écrit que « la légitimité a pour fonction de répondre au besoin
d’intégration sociale propre à l’identité d’une société. […] La réalité concrète de la vie au
sein de la communauté doit correspondre, dans des proportions crédibles, aux principes
fondateurs énoncés ».
5
Toutes nos références vont à cette édition d’Économie et société. Nous donnons aussi la
localisation des passages dans la traduction française lorsque ceux-ci ont fait l’objet d’une
traduction.
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
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1992 : 207), et il est parfois approprié de parler d’une « domination par
constellation d’intérêts, en particulier dans une situation de monopole »
(Herrschaft
kraft
Interessenkonstellation,
inbesondere
kraft
monopolitischen Lage) (Weber, 1922 : 605). Mais décisif est ici le fait
que le sens concret visé par chacun des individus participant à la relation
est rigoureusement symétrique : la maximisation de l’intérêt individuel.
La rupture de l’équilibre, à la faveur de laquelle survient l’inégalité,
intervient à une étape postérieure et demeure parfaitement intelligible
dans le modèle idéal-typique du libre marché. La « domination par
autorité » (Herrschaft kraft Autorität) suppose au contraire une
différenciation irréversible du sens visé par les agents : d’une part, la
revendication d’un devoir inconditionnel d’obéissance ; de l’autre,
l’acceptation du contenu de l’ordre comme maxime de sa propre conduite
(Weber, 1922 : 604). Le pouvoir du père de famille ou celui du
monarque, « qui en appellent au pur et simple devoir d’obéir » (Weber,
1922 : 604), sont à ranger, selon Weber, à l’enseigne de cette
« domination par autorité ».
Weber fait intervenir le concept de légitimité afin d’appréhender cette
composante asymétrique jusqu’alors désignée par le nom énigmatique
d’Autorität. « Envisagée comme revendication de la part de ceux qui
prétendent à l’autorité, la légitimité est donc partiellement détachée des
motifs sur lesquels [l’activité sociale] peut habituellement s’appuyer. Elle
apparaît alors comme une sorte de supplément, une disposition qui
s’ajoute à celles qui orientent la conduite des acteurs » (Bouretz, 1996:
253). Cette caractérisation entraîne deux corollaires. Premièrement, si la
légitimité est bel et bien de l’ordre de la « croyance », il faut pourtant se
garder de la réduire à un étalon abstrait ou idéel, à une représentation
(Vorstellung). Il s’agit plutôt, pour Weber, d’un dispositif concret qui
simultanément stabilise les attentes des participants et accroît leur
indétermination.
A) Stabilisation, d’une part, puisqu’une forme donnée de légitimité
délimite un spectre de commandements possibles et des modes
d’obéissance stéréotypés. Cela permet à Weber d’exclure définitivement
de son analyse une notion aussi conditionnelle que « consentement »,
6
pour lui préférer celle plus univoque de « docilité » .
6
Il est d’ailleurs tout à fait significatif que Winckelmann ait choisi d’accoler le sous-titre
énigmatique de « Die nichtlegitime Herrschaft » au chapitre d’Économie et société portant
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ASPECTS SOCIOLOGIQUES
B) Indétermination, d’autre part, puisque le concept de légitimité, en
attirant l’attention sur la forme générale de la relation
commandement/obéissance plutôt que sur les ressorts précis d’un
éventuel « consentement », tente de saisir le caractère diffus, presque
sans motif ni raison, de l’acceptation comme telle. Celle-ci reposerait sur
un « climat social qui institutionnalise la reconnaissance de décisions
contraignantes comme une évidence et qui ne la considère pas comme
l’effet d’une décision personnelle » (Luhmann, 2001: 26). En d’autres
termes, il importe guère que l’acceptation découle, dans tel ou tel cas
particulier, d’une conviction profonde ou encore, écrit Weber, qu’elle
soit « feinte pour des raisons d’opportunité, imposée par des intérêts
matériels particuliers, acceptée comme inévitable par des individus ou
des groupes entiers du fait de leur faiblesse et de leur impuissance »
(Weber, 1922 : 123; Weber, 1995 : 288) ; l’important est que la
revendication de légitimité oriente de facto les attentes des participants,
structure le rapport de domination et, surtout, le singularise face à des
prétentions concurrentes. On ne peut donc pas ramener simplement la
légitimité d’une domination à sa conformité avec certaines exigences
culturelles, religieuses ou philosophiques qui la « fonderaient ». En ce
sens, elle relève moins de la croyance que de la performance.
Cela nous conduit à un second corollaire, qui est tout aussi
fondamental pour comprendre le concept de légitimité avancé par Max
Weber. Qu’il fasse de la revendication de légitimité une opération
inhérente au rapport de domination comme tel, cela ne doit pas nous
amener à conclure que Weber tente d’expliquer la domination par la
légitimité. Plutôt que d’être élevée au statut de cause d’une obéissance
énigmatique, la légitimité apparaît comme un indicateur ou, à mieux dire,
comme un principe de discrimination et de classification des formes de
domination. « Il faut, écrit donc Weber, distinguer les formes de
domination suivant la revendication de légitimité qui leur est propre ».
Car, poursuit-il, « selon le genre de légitimité revendiquée, le type
sur la « ville ». Ce chapitre tente en effet d’établir la spécificité de la commune occidentale
en regard des cités antiques et des villes asiatiques, en envisageant surtout le lien civique
constitué par la conjuratio des villes d’Italie du Nord ou par les formes hanséatiques de
confraternité comme un rapport symétrique et, par le fait même, en rupture avec la
structuration hiérarchique de la société médiévale. Envisagée dans cette perspective, la ville
occidentale n’est pas une domination « illégitime » ; Weber veut plutôt signaler qu’elle
représente un cas limite du rapport de domination, son point de basculement en quelque
sorte.
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
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d’obéissance de la direction administrative destinée à la garantir et le
caractère de l’exercice de la domination sont fondamentalement
différents » (Weber, 1922 : 123; Weber, 1995 : 286). « Direction
administrative » (Verwaltungsstab) est le maître mot de cette citation : il
permet d’affranchir le concept de légitimité de son aspect étroitement
sémantique pour le relier à l’analyse historico-comparative de la
rationalisation des « conduites de vie ». Pour le sociologue, le concept de
légitimité permettra de particulariser et de regrouper certaines formations
sociales, puis d’étudier leurs effets respectifs sur le développement
d’activités plus ou moins voisines (le droit et l’économie). La question
devient dès lors : quels effets aura tel ou tel type de légitimité sur
l’administration du groupement de domination (Weber, 1922 : 607) et
comment, partant de là, cette activité va se répercuter sur la
rationalisation de pratiques connexes, juridiques ou économiques par
exemple? De la même manière que les fameux « principes » de
Montesquieu (la vertu, l’honneur, la crainte) visaient à résumer la
morphologie générale d’un régime politique et non à expliquer
l’obéissance des sujets7, les types purs de légitimité ont pour unique
dessein de décrire et de classer les modes d’opération de la direction
administrative.
Cela nous conduit aux trois types purs de la domination légitime –
tradition, charisme, légalité. À l’instar de nombreux commentateurs, on
peut identifier deux variables en fonction desquelles se distribuent ces
trois types purs (cf. par exemple, Schluchter 1981 : 106-109). D’une part,
Weber considère la nature de l’instance à laquelle s’attache la
revendication de légitimité. Cette instance peut être une personne, bien
sûr, mais elle peut aussi être une règle. Le fait que la légitimité - toujours
comprise comme revendication d’autorité acceptée à un degré
socialement pertinent - soit dirigée vers une règle est caractéristique du
troisième type de domination, la domination légale. L’asymétrie
inhérente à tout rapport de domination s’établit ici sur la base de la
« compétence », et l’activité de la direction administrative est structurée
en fonction de cette notion. Notion de compétence que Weber décline sur
au moins deux plans : d’abord, l’activité de la direction administrative
peut être entièrement ramenée à une hiérarchie d’organes formellement
habilités et objectivement délimités. Impersonnalité signifie donc ici
absence d’arbitraire personnel, le fait que, comme l’écrit Weber, « le
7
Nous renvoyons évidemment ici à l’exposé célèbre d’Althusser (1959).
166
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
détenteur légal du pouvoir, le “supérieur”, lorsqu’il ordonne, obéit pour
sa part à l’ordre impersonnel par lequel il oriente ses dispositions »
(Weber 1922 : 125 ; Weber 1995 : 291). Et comme la notion de
compétence appelle immanquablement celle d’une « compétence de la
compétence », les modes d’exercice de la domination apparaissent
désormais entièrement transformables, en pleine possession de leur
principe formel, complets et clos. Ensuite, les membres du groupement
de domination sont recrutés selon des critères d’expertise, mesurés avec
exactitude au moyen d’examens et de concours. L’impersonnalité réfère
ici à cet idéal d’interchangeabilité généralisée au sein de la direction
administrative, à l’absence de différence qualitative entre ses membres.
D’où découle une caractéristique essentielle de cette forme exemplaire de
la domination légale qu’est la bureaucratie moderne, comme de toute
Betrieb d’ailleurs8 : « la séparation totale de la direction administrative
des moyens d’administration et d’acquisition » (Weber 1922 : 126 ;
Weber 1995 : 293).
À l’opposé de la domination légale, les types de domination
traditionnelle et charismatique reposent tous deux sur des formes de
légitimité orientées vers des personnes concrètes. On a reproché à Weber
d’appliquer l’idéal-type de la domination traditionnelle à des situations
fort diverses, de l’Égypte pharaonique à l’absolutisme monarchique, en
passant par le Ständestaat germanique. À la base de toutes ces situations,
on retrouve, selon Weber, un rapport dialectique entre le respect d’un
ordre traditionnel stéréotypé et l’arbitraire personnel du ou des dirigeants.
On mesure pleinement ce qui distingue la légitimité traditionnelle de la
légitimité légale lorsque l’on évite de poser l’ordre traditionnel comme
une norme matérielle extérieure à l’imperium du seigneur mais que l’on
conçoit leur rapport sous le signe d’un façonnement réciproque : certes,
le seigneur tire son autorité de sa soumission à la tradition, mais cette
tradition - aux exigences et aux contours toujours imprécis - se cristallise
en tant que pôle normatif à travers l’activité même du seigneur et de sa
direction administrative. Selon qu’elle accordera plus de poids à l’un ou
l’autre des deux termes (ordre traditionnel et arbitraire princier), la
8
Selon une formule qui deviendra célèbre, Weber caractérise l’État moderne comme une
« entreprise de domination » (Herrschaftsbetrieb), i.e. une organisation détachée de tout but
spécifique, sinon celui de sa propre perfection technique. Sur cette question complexe que
nous ne faisons qu’effleurer ici, on pourra consulter un célèbre article d’Otto Hintze,
« L’État comme entreprise et la réforme de l’État » (repris dans Hintze, 1991) ainsi que la
thèse de Andreas Anter (1995).
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
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légitimité traditionnelle va favoriser la consolidation de certains types de
direction administrative et, partant, de formes de domination relativement
différentes les unes des autres. Avec comme cas-limites, d’un côté, le
patriarcalisme (caractérisé par l’absence de direction administrative et
l’existence d’un droit immanent à l’association domestique) et, de
l’autre, le sultanisme (marqué par l’arbitraire illimité du chef, qui tend à
s’affranchir de toute tradition et s’appuie sur une direction administrative
servile). Entre ces deux extrêmes, on retrouvera la gérontocratie, l’État
fondé sur les ordres (Ständestaat) et, bien sûr, le patrimonialisme.
La domination charismatique exige, pour sa part, l’introduction d’une
seconde variable : la relation qui s’établit entre le type de légitimité
revendiquée et la régularité des pratiques quotidiennes. La revendication
peut soit s’inscrire dans la continuité d’un ordre quotidien (ce qui est le
cas des formes traditionnelle et légale), soit s’ériger en rupture par
rapport à cet ordre, comme un phénomène explicitement « en dehors de
la vie quotidienne » (Weber 1922 : 140 ; Weber 1995 : 320) et voué à le
demeurer (ce qui est le cas du charisme). Afin de dessiner plus nettement
la différence entre la légitimité traditionnelle et la légitimité
charismatique, Weber oppose à la loyauté personnelle qui est exigée par
la tradition, l’idée d’une mission (Aufgabe) au regard de laquelle le leader
charismatique doit prouver et éprouver ses qualifications extraordinaires.
Ce principe de mission n’exclut pas comme tel l’existence d’une
importante direction administrative ; seulement, en raison de son hostilité
vis-à-vis les puissances quotidiennes (sacerdotales et, surtout,
économiques comme le souligne à maintes reprises Weber), le
fonctionnement d’un tel groupement exige une forme de
« reconnaissance [...] née de l’abandon à la révélation, à la vénération du
héros, à la confiance en la personne du chef » (Weber 1922 : 140 ; Weber
1995 : 321) qui en accentue l’instabilité. Raison pour laquelle la
domination charismatique apparaît, dans le comparatisme wébérien,
comme une formation transitoire, amenée à se « routiniser »
(Veralltäglichung) à mesure que s’atténue « son caractère étranger à
l’économie » - c’est-à-dire, précise Weber, « par son adaptation aux
formes fiscales de la couverture des besoins et aux conditions d’une
économie d’impôts et de taxes » (Weber 1922 : 146 ; Weber 1995 :
332)9.
9
Nous laissons de côté la question du « charisme d’office » (Amtscharisma), qui est
pourtant tout à fait essentielle pour comprendre le rapport entre le sacerdoce catholique et
168
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
2. La légitimité légale-rationnelle et le positivisme inquiet de Max
Weber
L’approche wébérienne rapidement esquissée, il faudrait maintenant
s’intéresser à ce qui fait sans doute, aujourd’hui, son intérêt, voire son
caractère provocateur : le concept de légitimité légale-rationnelle.
Comme l’ont relevé beaucoup de contemporains de Weber, ce concept
lève le voile sur l’effort de déchiffrement du présent qui informe plus ou
moins secrètement la problématique wébérienne de la légitimité. Une
petite phrase du premier tome d’Économie et société semble confirmer ce
soupçon, en même temps qu’elle inaugure une controverse qui va hanter
la pensée politique et constitutionnelle allemande jusqu’à aujourd’hui :
« la forme de légitimité actuellement la plus courante consiste dans la
croyance en la légalité, c’est-à-dire la soumission à des statuts
formellement corrects et établis selon la procédure d’usage » (Weber
1922 : 146 ; Weber 1995 : 73).
On peut développer cette ligne interprétative sur deux plans distincts
mais convergents. Tout d’abord, on avancera l’idée que la typologie des
trois types purs n’a jamais visé qu’à faire ressortir la spécificité du mode
de domination légitime propre aux sociétés modernes. Certes, on peut
parler avec Leo Strauss du « préjugé » qui conduit Weber à substituer
« l’expérience de deux ou trois générations » à « une réflexion exhaustive
sur la nature de la société politique » (Strauss, 1986 : 64). Mais au-delà
de cette critique, on peut aussi apercevoir, dans l’ancrage indélébile de la
typologie wébérienne - « son origine provinciale » comme l’écrit Strauss
- une stratégie polémique ou, à mieux dire, un « motif prudentiel »10. La
volonté de préciser ce qui caractérise en propre la légitimité légale recèle
en effet quelque chose comme une mise en garde contre les tendances qui
travaillent hic et nunc à en saper les bases : la représentation d’une
société ordonnée par des valeurs matérielles « indisponibles », à l’abri de
l’arbitraire du législateur, et la recherche de formes de domination
orientées par ces valeurs partagées. On a d’ailleurs souvent déploré que
Weber n’ait pas fait de place, au sein de sa typologie des formes de
l’État patrimonial européen. On lira avec profit le chapitre X de la troisième section de
Wirtschaft und Gesellschaft, traduit en français par Jean-Pierre Grossein sous le titre
« L’État et la hiérocratie » (Weber, 1996 :241-328).
10
Cf. l’article très riche de David Kettler et Volker Meja, (Kettler, 1986 : 315) qui
développe une thèse assez semblable à celle exposée ici.
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
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domination légitime, à une légitimité « en valeur ». Or, ce n’est pas une
crispation devant la « révolte des masses » qui commande ce refus mais,
au contraire, la conviction qu’une légitimité « en valeur » n’est jamais
autre chose qu’un expédient pour des formes de domination
traditionnelle. En fait, ce que Weber veut faire entendre, c’est qu’une
légitimité ne repose jamais en tant que telle sur la base de « valeurs » :
l’appel à des valeurs partagées par le groupement de domination met
plutôt le sociologue en demeure de chercher le dispositif concret qui
confère à ce groupement précis (à l’exclusion de tout autre) cette
singulière capacité d’appel. En d’autres termes, il doit déceler le moyen
distinctif par lequel le sujet du rapport de domination se tient lui-même
pour assuré de l’obéissance de ceux sur qui s’exerce ce rapport. D’où,
d’une part, l’idée sous-jacente au triptyque wébérien que la légitimité
« valorielle » peut toujours être ramenée, en dernière analyse, à des
formes traditionnelles ou charismatiques. On a un bel exemple de cela
lorsque Weber analyse l’efficacité historique du droit naturel moderne,
dans l’œuvre constitutionnelle de la Révolution française par exemple,
comme un « charisme de la Raison », c’est-à-dire « la conviction
souveraine qu’ici l’on crée pour la première fois un droit rationnel, libre
de tout “préjugé” » (Weber, 1922 : 495 ; Weber, 1987 : 208). D’où,
d’autre part, cette volonté de dessiner le plus nettement possible les traits
distinctifs de la légitimité légale-rationnelle, en insistant, d’une manière
quasi-obsessive, sur ce qui la sépare des formes antérieures.
Ensuite, sur un autre plan - plus important peut-être - l’idéal-type de
la domination légale-rationnelle, tel que défini par Weber, opère une
association étroite entre la légitimité de l’État constitutionnel moderne (le
Rechtsstaat) et les propriétés rationnelles inhérentes à la forme juridique
comme telle. Association coupable, aux yeux de plusieurs, en ce qu’elle
mènerait à l’identité pure et simple de la légitimité et de la légalité,
frappant d’irrationalité tout examen du droit positif à la lumière
d’impératifs qui lui seraient extérieurs (moraux ou politiques, par
exemple). Ainsi, refusant d’asseoir la légitimité de la légalité sur une
forme quelconque de raison pratique, s’en tenant strictement aux critères
internes d’un ordre juridique qui se dégage progressivement des autres
pratiques sociales et se consolide comme « un appareil technique
rationnel [...] dépourvu de tout contenu sacré propre » (Weber, 1922 :
512 ; Weber, 1987 : 235), la contribution de Weber à l’intelligence de
l’État de droit constitutionnel s’achèverait dans le plus plat des
170
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
positivismes. On reprochera donc à Weber - faute sans doute de n’avoir
pas su croire au cognitivisme moral - de congédier le « besoin
de fondation ».
Or loin d’être « plat », il semble au contraire que le « positivisme »
juridique de Weber (usons de ce terme faute d’un meilleur) recèle une
profondeur et une complexité tout à fait remarquables - profondeur et
complexité que révèle le mouvement réflexif qui guide l’entreprise de la
Rechtssoziologie (chapitre VII de la seconde partie de la première édition
d’Économie et société). Après avoir présenté les termes dans lesquels
Max Weber analyse le problème de la légitimité et repéré la place
structurante qu’occupe la forme légale-rationnelle dans le triptyque des
types de domination, il faudrait donc donner une meilleure idée de la
teneur exacte de cette association qualifiée de « positiviste » entre
légitimité et légalité, en examinant cette fois le second terme de
l’équation - c’est-à-dire la façon dont Weber rend compte de la
spécificité de l’ordre juridique moderne.
Chacun conviendra qu’il est impossible de rendre justice, en l’espace
de quelques pages, à la richesse et à la densité des développements de la
sociologie wébérienne du droit. Pourtant, précisément en raison de cette
richesse et de cette densité - qui se changent trop souvent sous la plume
de Weber en sinuosité et en opacité - il semble d’autant plus nécessaire
d’en esquisser rapidement les lignes de force, en assumant par ailleurs le
défaut du schématisme et de la simplification. La tâche que se propose
Weber dans ce chapitre VII est de déterminer les conditions générales aussi bien internes qu’externes aux pratiques juridiques - qui ont permis
le plein développement des qualités formelles du droit, tel qu’on en
trouve l’expression achevée, aux yeux de Weber, dans la doctrine
civiliste des pandectistes (Weber, 1922 : 396). Pour ce faire, Weber
construit deux procès idéaux-typiques, la rationalisation formelle et la
rationalisation matérielle, en fonction desquelles les phénomènes
juridiques seront décrits et comparés. La rationalisation matérielle du
droit réfère à l’affinement, la stabilisation et l’homogénéisation des
principes normatifs qui commandent la mise en place de solutions
juridiques ; Weber rapporte à ce premier processus la séparation
progressive de la norme comme telle et de son application à des cas
particuliers, notamment avec l’émergence d’un droit criminel distinct,
reposant sur la notion de « faute objective » et non plus sur l’idée du
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
171
« tort ». Le droit sacré traditionnel et le droit naturel illustrent ce
développement. La rationalisation formelle, pour sa part, se décline sur
deux versants : sur l’un, plus analytique, elle désigne la capacité
croissante des pratiques juridiques à « décomposer les ensembles de faits
complexes de la vie quotidienne en composantes élémentaires
juridiquement qualifiées de façon univoque » (Weber, 1922 : 463 ;
Weber, 1987 : 155), à l’image du droit romain ; sur l’autre, plus
systématique, il s’agit du développement des propriétés logiques grâce
auxquelles l’ensemble des composantes juridiques peuvent être intégrées
dans un système clos et sans faille, ordonné à l’impératif d’une
construction intégrale de la réalité juridique.
À l’intérieur de ce creuset idéal-typique, Weber va pouvoir déverser
son immense érudition historique. Mais ce qui l’intéresse tout
spécialement, c’est la dynamique improbable par laquelle les deux procès
de rationalisation - matérielle et formelle - vont entrer en composition, et
qui correspond à la consolidation des pouvoirs patrimoniaux sur le
continent européen11. Avant cette entrée en composition, rationalisation
formelle et rationalisation matérielle affectaient des ensembles
distincts de pratiques et n’évoluaient pas sur le même plan ; l’engrenage
de ces deux processus - dans le cadre de l’État patrimonial occidental les rend désormais irrémédiablement solidaires. Mais, simultanément, il
fait naître entre eux une tension qui va connaître diverses expressions
historiques, et qui forme la donnée essentielle de la caractérisation par
Weber de l’ordre juridique moderne. La résistance opposée par certaines
formes juridiques d’origine ritualiste - les procédures de preuve, par
exemple - à l’instrumentalisation du droit par les pouvoirs patrimoniaux
dessine une première zone de tensions qui, singulièrement dans le cas de
l’Allemagne, demeure active jusqu’à tard dans le XIXe siècle.
Cependant, autrement inquiétante aux yeux de Weber apparaît une
seconde zone de tensions, que signalent les tendances à la
rematérialisation du début du XXe siècle. Il est remarquable, en un sens,
que Weber s’inquiète moins des facteurs exogènes concourant à cette
« dilution (Auflösung) du formalisme juridique » (Weber, 1922 : 504 ;
11
Avec comme facteurs déterminants : la médiation effective de tous les systèmes de droit
par le droit étatique, la consolidation de l’imperium princier en association avec le
monopole de la formation juridique par les juristes universitaires, le développement des
communes municipales, enfin la « redécouverte » du droit romain.
172
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
Weber, 1987 : 223) - c’est-à-dire les pressions en faveur d’un « droit
social basé sur des postulats éthiques pathétiques comme la “justice” et la
“dignité humanité” » qui, écrit Weber, « se sont intensifiées avec
l’émergence du problème moderne des classes sociales » (Weber, 1922 :
506 ; Weber, 1987 : 225-226) - que des facteurs endogènes aux pratiques
juridiques12. Car ce sont la logique intrinsèque des représentations
juridiques et la prolifération, chez les juristes eux-mêmes, de
mouvements de révolte contre l’abstraction du droit moderne qui révèlent
toute la prégnance de ces nouvelles tensions. Le diagnostic wébérien
d’une « rationalisation scientifique se retournant contre elle-même »
(Weber, 1922 : 508 ; Weber, 1987 : 229) n’est d’ailleurs pas dépourvu
d’accents catastrophiques : du côté de la pensée juridique, la tendance à
la sublimation logique se retourne contre elle-même lorsque, affranchie
des « caractéristiques formelles extérieures et tangibles » qui en
constituaient le dernier résidu ritualiste, elle « cherche […] à construire la
relation entre les parties en litige du point de vue du noyau “interne” de
leur comportement, du point de vue de leur “conviction intime” (bona
fides, dolus) » (Weber, 1922 : 505 ; Weber, 1987 : 224), brouillant les
frontières entre l’argumentation juridique et le raisonnement
sociologique. Du côté des professionnels du droit, émerge un ensemble
bariolé de doctrines, unies par le seul désir de combler le fossé (jugé
néfaste) entre l’ordre juridique et la « vie sociale », en renvoyant sans
cesse le droit à son « ancrage »13. Peu importe que ce soit l’intérêt des
parties ou l’idéal du « juge créateur » qui serve ici de modèle, le fait
décisif pour Weber, c’est que « l’illusion lucide » qui liait la positivation
intégrale du droit à la représentation d’un ordre juridique sans faille se
trouve définitivement conjurée. Et avec celle-ci, c’est la consistance
12
En effet, quoique nettement plus visibles, les revendications d’équité matérielle de la part
des organisations politiques et des syndicats ouvriers apparaissent, aux yeux de Weber,
beaucoup moins menaçantes : d’abord parce qu’un libéralisme ascétique conforte Weber
dans l’idée que le prolétariat allemand a plus à gagner en limitant ses demandes à une
égalité formelle encore frustrée qu’en s’appuyant sur « des juridictions non formelles » ;
ensuite, parce que ces exigences d’équité matérielle, inévitablement formulées dans le
langage du droit naturel, s’avèrent inefficaces dès lors qu’elles « se désintègrent sous
l’impact du positivisme grandissant et du scepticisme évolutionniste de la strate
d’intellectuels » (Weber, 1922 : 500 ; Weber, 1987 : 216) justement susceptible de les
exploiter.
13
Ingeborg Maus (1986) a consacré des analyses d’un grand intérêt à cette relation entre la
quête d’un « ancrage » de l’ordre juridique et les tendances à la déformalisation qui affecte
le droit depuis le début du XXe siècle. Contrairement à Weber cependant, elle s’efforce d’en
établir le sens sur un plan éminemment politique.
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
173
même de cet ordre juridique n’offrant prise à aucune forme de
qualification - sa « positivité » et les propriétés formelles qui lui sont
inhérentes - qui tend à s’estomper.
Le « positivisme » qu’on attribue volontiers à la compréhension
wébérienne du droit moderne - notamment dans son rapport avec la
morale - ne découle donc pas d’une position gnoséologique parmi
d’autres que le juriste choisit librement d’adopter ; il a son origine dans
un mouvement qui tout à la fois déborde le discours juridique et le
structure en lui fournissant son fondement. Pour le dire autrement, il
apparaît comme l’effet subi de l’autonomisation des pratiques juridiques
et, plus généralement, du décrochage réciproque des différents « ordres
de vie » qui marque le type de rationalisme spécifique à l’Occident
moderne - une dynamique historique que Weber décrit sous le vocable
aujourd’hui célèbre de « désenchantement du monde »14. Ainsi, si le
positivisme est conçu par Weber comme un « destin inévitable », c’est
parce qu’il répercute une transformation lente mais irréversible du mode
d’accès à l’objet « droit », et qu’il est amené à la réfléchir sous la forme
d’une « sociologie du droit ».
Paradoxalement, ce que révèle cette réflexion sur les conditions
historiques d’un certain mode d’intelligibilité du droit, c’est toute la
fragilité et la contingence de ce « destin inévitable ». L’ordre juridique
moderne est certes condamné à une forme inédite d’insularité (ou
d’Isolierung si l’on veut) - selon une « nécessité d’airain » dirait Weber.
Mais, ses praticiens peuvent être conduits à ignorer le sens de cette
nécessité, en tentant d’arrimer les pratiques juridiques à des postulats
matériels. Et alors ce « destin inévitable », bien loin de s’effacer,
s’imposera à eux d’une façon plus incontrôlable encore. C’est là du
moins, ose-t-on croire, le sens de la mise en garde sur laquelle s’achève
la Sociologie du droit :
« Ce destin peut être occulté par la souplesse croissante du droit
en vigueur, mais ne peut être véritablement écarté. Toutes les
analyses modernes de sociologie et de philosophie du droit [...]
14
Entzauberung der Welt : expression que l’on rendrait mieux par « dé-magification du
monde ». On prendra la pleine mesure de cette notion fort complexe en consultant le
magistral chapitre III de l’ouvrage de Colliot-Thélène (1992). Cf. également l’article de
Karl Löwith, (1981 : 419-447).
174
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
ne peuvent que contribuer à renforcer cette impression, quel que
soit leurs théories sur la nature du droit et la position du juge »
(Weber, 1922 : 512 ; Weber, 1987 : 235).
Plutôt que de dissoudre les propriétés formelles du droit dans les intérêts
économiques ou les impératifs politiques, les approches anti-formalistes
proposées par les contemporains de Weber ne parviendront qu’à les
transposer dans d’autres sphères d’activité, où elles engendreront
fatalement de nouvelles irrationalités.
Le « positivisme » de Weber accuse une dimension réflexive et osons le mot - politique lorsqu’il redouble ainsi le sens de ce « destin
inévitable » par un discours modulé à l’impératif15. Vu sous cet angle, ce
« positivisme » singulier apparaît comme une position de combat.
Combat d’arrière-garde, jugera-t-on peut-être aujourd’hui en regard des
théories juridiques procéduralistes. Il n’empêche : ce « positivisme »
porte en lui une injonction ou, si l’on préfère, une certaine normativité.
Une normativité, cependant, qui ne s’attache nullement à une « entreprise
de fondation » mais plutôt, pour le dire d’une manière prosaïque, à une
forme particulière de société ayant acquis une signification universelle du
seul fait, écrit Weber dans un texte célèbre, d’avoir rendu « conscientes
les logiques intrinsèques des différentes sphères [d’activité], dans leur
cohérence interne [respective], et par-là [d’avoir fait] apparaître entre
elles des tensions qui étaient ignorées dans les temps primitifs » (Weber,
1996 : 417).
Préciser la signification du positivisme juridique de Weber ne suffit
bien sûr pas à dissiper toutes les incertitudes entourant l’idéal-type de la
légitimité légale-rationnelle. En revanche, en jetant un éclairage sur la
profondeur de ses ramifications, on se prémunit contre la tentation, fort
répandue, de caricaturer ce concept, puis de le rejeter au motif qu’il serait
précisément « positiviste ». Car ce qui devient alors manifeste, c’est le
dessein poursuivi par Weber de réfléchir, à l’aide du concept de
légitimité légale-rationnelle, les conditions générales qui commandent le
découplage structurel des domaines juridique et politique, la
désintrication de deux rationalités formelles distinctes - de même que le
type d’articulation qui s’institue sous l’effet de la rupture.
15
Sur le jeu de l’impératif dans la grammaire wébérienne, je me permets de renvoyer à
Simard (2003).
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
175
3. L’héritage contesté. Légalité et légitimité au crépuscule de la
république de Weimar
Articulation forcément instable, sur laquelle les héritiers directs de
Weber - ceux qui connaîtront les développements agités de la république
de Weimar - vont devoir se pencher avec urgence. J’aimerais donc, pour
terminer, illustrer d’une manière un peu plus concrète les implications du
concept wébérien de légitimité légale-rationnelle, en survolant
rapidement le débat qui a opposé, à l’été 1932, le grand
constitutionnaliste Carl Schmitt, qui s’apprêtait alors à emprunter le
chemin que l’on sait, et son élève sans doute le plus brillant, le juriste
socialiste Otto Kirchheimer. Débat qui, placé plus ou moins
explicitement sous le patronage de Max Weber, aura eu au moins le
mérite de rendre sensible, dans un moment tragique de l’histoire
allemande, toute la consistance du rapport que celui-ci avait dessiné entre
légalité et légitimité.
Ce débat a pour contexte immédiat la crise politique constante qui
agite les trois dernières années de la république de Weimar, et pour objet
les problèmes constitutionnels soulevés par le virage très net du
gouvernement fédéral, au mois de mai 1932, vers un état d’exception
permanent. On sait que, à la suite du congédiement du gouvernement
Müller en janvier 1930, s’installe en Allemagne un régime hybride : un
cabinet soudé au chancelier Brüning, se déclarant au-dessus des partis
politiques et usant massivement des pouvoirs présidentiels d’exception
prévus à l’article 48 al. 2 WRV pour imposer des politiques
déflationnistes pré-keynésiennes inefficaces16 ; en face de lui, un
parlement divisé, où le principal parti, le SPD, quoique fortement
marginalisé, ne se résout pas à sanctionner les actes de l’exécutif. À
l’ombre de cette « politique de tolérance » se développe donc une
pratique législative extraparlementaire généralisée à laquelle la plupart
17
des grands juristes de l’époque vont accorder un brevet constitutionnel .
16
Sur la stratégie de Brüning, cf. Hans Mommsen (1991) et Detlev Peukert (1995 : 258260) qui y décèlent tous deux un effort continu (et irresponsable) pour instrumentaliser la
crise allemande à la fois sur le plan intérieur (économique) et sur le plan international (la
question des réparations à verser aux Alliés).
17
De même que le Staatsgerichtshof de Leipzig, une sorte de tribunal spécialisé dans le
contrôle de constitutionnalité, qui approuve en la personne du juge Bumke l’utilisation de
l’article 48 en juillet 1930 pour réinstaurer des décrets que le Reichstag avait abrogés
176
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
Les choses vont changer en mai 1932, lorsque Brüning est remplacé par
Franz von Papen au poste de chancelier. Ce dernier, ne voulant pas tenir
son mandat d’une quelconque « tolérance » mais désireux d’en finir une
fois pour toutes avec le Reichstag et le régime de la légalité
parlementaire, applique une stratégie de dissolutions à répétition doublée
d’une mise au ban définitive du SPD. Il apparaît désormais manifeste que
l’édifice constitutionnel ne sortira pas indemne de son « sauvetage ». Que
ce prétendu « sauvetage » passe par une « réinterprétation » de
l’ensemble des dispositions de la constitution de Weimar. Et qu’une telle
manoeuvre exige la concentration de tous les pouvoirs de l’État dans les
mains d’un président sénile, ballotté entre les intérêts de la vieille
aristocratie prussienne, les velléités d’une poignée d’officiers de la
Reichswehr (dont Schleicher) et l’autoritarisme de son chancelier.
Dans un court ouvrage publié en juillet 1932 sous le titre Légalité et
légitimité18, Carl Schmitt propose son interprétation de la crise que
traverse l’Allemagne, une crise qu’il identifie dès la première phrase
comme
« la
débâcle
de
l’État
législateur-parlementaire »
(Zusammenbruch des parlamentarischen Gesetzgebungsstates) et qu’il
assimile à une autodestruction de la légitimité légale-rationnelle. La thèse
avancée par Schmitt est que, loin d’être accidentelle, cette tendance à
l’autodestruction est inscrite dans la structure même de ce type de
légitimité. Comme la plupart des contemporains de Max Weber, Schmitt
a fort bien vu que le seul objectif du triptyque des formes de domination
légitime est de mettre en relief ce qui distingue l’État constitutionnel des
autres groupements de domination. Mais « État constitutionnel », ou
encore « État de droit », est pour Schmitt une notion trop floue, car l’État
quelques jours plus tôt, avant d’être dissous par le Président Hindenburg en guise de
représailles. Rappelons que l’élection législative (le 14 septembre 1930) qui suivra cette
dissolution marquera la subite montée en puissance du parti national-socialiste (qui passe de
12 à 107 sièges) et le blocage définitif du système partisan républicain.
18
Il n’existe pas encore de traduction française de cet important essai. La « restitution » du
texte de Schmitt par le juriste (futur pétainiste) William Gueydan de Roussel, publié à la
LGDJ en 1936, ne mérite pas le titre de « traduction » tant elle est truffée de contresens et
de dérapages pathétiques. Ce qui est étrange, c’est que cette « restitution » ait fait l’objet
d’une réédition sans modifications par Alain de Benoist dans un recueil politiquement très
marqué, Du politique. « Légalité et légitimité » et autres essais, chez Pardès, en 1990. Une
traduction anglaise, due à Jeffrey Seitzer, vient d’être publiée (2004) aux Duke University
Press : supportée par un remarquable travail d’érudition et animée d’un réel souci de fidélité
à la prose tortueuse de Schmitt, elle offre un contraste étonnant face à sa contrepartie
française.
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
177
juridictionnel (l’État de justice médiéval, par exemple) peut également
être dit un « État de droit » sans pour autant apparaître comme une
hiérarchie de compétences objectivement délimitées, ni reposer sur « un
système clos de légalité » (Schmitt, 1968 : 10). Schmitt préfère le terme
d’ « État législateur-parlementaire » : c’est en effet dans le cadre de ce
type d’État seulement que la légitimité en est venue à correspondre à la
stricte légalité, et que l’idéal-type wébérien s’est réalisé historiquement.
Toutefois, alors que suivant Weber la légitimité légale n’aurait d’autre
assise que les qualités inhérentes à un droit formellement rationnel et
positif, elle repose en réalité, poursuit Schmitt, sur un certain nombre de
présupposés (Voraussetzungen) beaucoup plus substantiels auxquels
Weber aurait été aveugle. « On ne doit pas oublier que l’État législateurparlementaire, avec son système et son idéal d’une légalité close et sans
faille de toutes les actions étatiques, a développé un système de
justification d’un genre tout à fait particulier » (Schmitt, 1968 : 14). Un
« système de justification » au centre duquel se trouve un concept
matériel de loi, irréductible à ses propriétés formelles : seront dites
« lois » - par opposition à de simples « mesures » - des normes générales,
au contenu déterminé objectivement et « conçues pour la durée »
(Schmitt, 1968 : 7). Ce concept matériel de loi dépend, à son tour, d’une
constellation plus vaste qui inclut une représentation particulière du
rapport entre le domaine de l’État (limité et mesurable) et la société
(domaine de liberté illimitée). Ainsi, loin d’être un « type pur », la
légitimité légale accuse un caractère dérivé, et c’est en examinant la
décomposition graduelle de ses présupposés que l’on pourra, selon
Schmitt, comprendre son penchant à l’autodestruction.
Certes, admet Schmitt, l’érosion du concept matériel de loi ne se
traduit pas ipso facto par l’entrée en crise de l’État législateurparlementaire. Car aussi longtemps que « l’on considère sans condition
ni réserve ce qui a été décidé par la procédure législative comme le droit
positif qui seul fait autorité » (Schmitt, 1968 : 23), aussi longtemps donc
que les postulats essentiels du légicentrisme ne sont pas explicitement
contredits, la légitimité légale demeure en sursis. Mais à mesure que
progresse la fonctionnalisation du droit - et la démocratisation y est
certainement pour quelque chose - l’exigence que la loi soit un pur
médium, sans aspérité et parfaitement malléable, viendra inévitablement
saper les conditions mêmes de sa neutralité objective. L’obéissance à la
loi, dès lors que cette loi est entièrement réduite au produit de majorités
178
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
fluctuantes, se voit soumise au jeu du politique - c’est-à-dire, selon la
célèbre définition de Schmitt, à la distinction de l’ami et de l’ennemi.
D’où résulte ce que Schmitt appelle « un pluralisme des concepts de
légalité, qui détruit le respect pour la constitution et transforme les
fondations de celle-ci en un terrain incertain, assiégé de tous les côtés »
(Schmitt, 1985 : 91).
La crise constitutionnelle de l’été 1932 résulte d’un effort plus ou
moins adroit de la part d’un exécutif fédéral « qui a en main le pouvoir
légal » pour sortir de cette guerre civile larvée, en refusant de se
retrouver belligérant parmi d’autres, en tentant donc de « constituer son
pouvoir sur un autre fondement » que celui de la légitimité légale
(Schmitt, 1968 : 40). Car depuis 1919, soutient Schmitt, la légitimité
légale est une coquille vide ; elle vit d’un expédient procédural, « le
principe de la chance égale », c’est-à-dire « le principe voulant que tous
les mouvements, opinions et orientations concevables aient une chance
égale et inconditionnelle d’obtenir la majorité (Schmitt, 1968 : 32) - ce
qui est déjà pas mal éloigné, ironise Schmitt, « des résidus d’une
religiosité de la loi primitive et sans contenu » (Schmitt, 1968 : 25) sur
lesquels reposait l’idéal-type wébérien de la légitimité légale-rationnelle.
Or, ce « principe de la chance égale » ne conduit pas seulement à des
situations absurdes, mais aussi au risque permanent et bien réel d’une
destruction du système de la légalité parlementaire dès la victoire d’une
majorité qui déciderait « de fermer derrière elle la porte de la légalité ».
Instabilité extrême donc, en raison, d’une part, de la capacité de la
majorité du moment à déclarer hors-la-loi ses adversaires (Schmitt,
1968 : 33) ; mais aussi, et surtout, en raison d’une espèce de « prime
politique » associée à la simple possession légale du pouvoir exécutif une « prime politique » qui comporte, précise Schmitt, trois éléments : 1)
la mainmise sur les notions indéterminées (telles « sûreté de l’État »,
« intentions hostiles ».) ; 2) la présomption de légalité ; 3) l’exécution
immédiate, même lorsque existe la possibilité d’une révision judiciaire.
La relation mortifère qui s’établit alors entre le « principe de la chance
égale » et cette « prime politique » tend à transformer le rapport
majorité/minorité en jeu à somme nulle, la seule action sensée pour
chacun des partis en présence consistant à frapper avant d’être frappé. À
mieux dire, il n’est pas simplement subjectivement désirable pour ces
partis pris individuellement, mais objectivement nécessaire en regard du
fonctionnement même du principe de la chance égale, que chacun aille
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
179
au-devant des coups, anticipe la déloyauté et la fourberie de ses
adversaires, et prévienne leur velléité de ne pas respecter le principe
lorsqu’ils seront en mesure de le faire. « Le principe de la chance égale
est d’une telle sensibilité, que le simple fait de mettre sérieusement en
doute l’entière loyauté des dispositions (Gesinnung) des participants rend
son application impossible » (Schmitt, 1968 : 37). La décision du
gouvernement Papen de ne plus s’appuyer sur les partis du Reichstag, et
même de décréter de façon générale quels partis et quelles organisations
sont « ennemis de l’État », n’est que le corollaire obligé de cette ruse
objective qu’instaure le principe purement procédural de « la chance
égale » - dernier avatar de la légitimité légale-rationnelle. Il témoigne de
la nécessité suivant laquelle le parallélogramme des forces politiques se
cristallisera inévitablement autour d’un Tiers, un autre pôle de légitimité,
un « pouvoir neutre »19 à qui il reviendra de désigner a priori qui est
loyal et qui ne l’est pas, qui va respecter la légalité et qui non. Parce qu’il
doit décider de façon immédiate et univoque, ce pouvoir doit être confié
à une instance, à un gardien qui soit extérieur au système de la légalité, et
non quelque ensemble de normes.
Où trouver semblable instance dans l’édifice constitutionnel de
Weimar ? L’ouvrage de Carl Schmitt considère l’existence de trois
« législateurs extraordinaires », qu’il examine tour à tour. Dans chacun
des cas, Schmitt s’efforce de montrer, d’une façon plus ou moins
orthodoxe, que c’est en bout de ligne le président du Reich qui est
désigné comme cette instance autoritaire à même « d’entreprendre la
nécessaire dépolitisation » (Schmitt, 1968 : 93). En complète extériorité
par rapport à la légitimité légale-rationnelle, antérieure à la forme
juridique comme telle, cette instance va se singulariser en revendiquant
pour elle une nouvelle forme de légitimité, celle du plébiscite qui, ajoute
Schmitt, « demeure aujourd’hui la seule justification [...] reconnue »
(Schmitt, 1968 : 93). Cette légitimité plébiscitaire, poursuit Schmitt,
« peut provenir de différentes sources : des effets d’un grand succès
politique, des résidus autoritaires encore présents d’une époque pré19
Schmitt emploie l’expression dont usait déjà Benjamin Constant (1991 : 387-404, 415417) pour désigner le « pouvoir préservateur », un pouvoir « préservant de leur froissement
réciproque les différentes branches du gouvernement ». Il existe entre ces deux concepts de
« pouvoir neutre » - celui de Schmitt et celui de Constant - un écart considérable dont la
pleine mesure a échappé à la plupart des commentateurs et des disciples de Schmitt. Nous
tâcherons de préciser, dans un travail ultérieur, la signification et la portée de cet écart. Sur
la question du « pouvoir neutre », on se référera bien sûr à Gauchet (1995).
180
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
démocratique ou la réputation politique d’une élite para-démocratique »
(Schmitt, 1968 : 94). L’essentiel étant sa capacité à incarner une forme
d’unité que ne parvient plus à refléter, une fois abandonné tout concept
matériel de loi, la légitimité légale-rationnelle, de façon à
« empêcher chacun des groupes antagonistes de prendre appui sur les
fragments et les mots de la constitution qui lui semblent les plus propres
à abattre le parti adverse au nom même de cette constitution » (Schmitt,
1968 : 97).
Le nom d’Otto Kirchheimer est moins célèbre que celui de Carl
Schmit ; outre ses travaux sur les partis politiques, sa notoriété est restée
en effet, plus souvent qu’autrement, attachée à un pamphlet vif et acéré,
écrit en 1930, qui exposait une critique - disons - d’extrême-gauche de la
constitution de Weimar (Kirchheimer, 1964). En dehors du cercle des
constitutionnalistes allemands, le débat qui l’a opposé à son mentor Carl
Schmitt demeure largement ignoré. Ignorance d’autant plus regrettable
que le jeune Kirchheimer a développé à cette occasion - dans toute une
série d’articles échelonnés de 1930 à 1933 - une réflexion assez originale
sur la crise du système de Weimar, et qui contredit les postulats
historiographiques longtemps dominants (plus proches en cela de
Schmitt). Dans un remarquable article de 1932 intitulé précisément
Legalität und Legimität - que Schmitt cite d’ailleurs au début de son
propre ouvrage - Kirchheimer s’attache à montrer le caractère
indépassable de la légitimité légale-rationnelle ainsi que les problèmes
bien réels que posent les tendances travaillant à sa subversion. Plutôt que
d’une autodestruction de la légitimité légale, la crise constitutionnelle qui
secoue la république à l’été 1932 résulte de la création, à distance des
institutions parlementaires, d’un système de « superlégalité
constitutionnelle » (Kirchheimer, 1967 : 20)20, au contenu plus ou moins
bien défini, mais qui a comme effet certain d’accélérer la formation de
20
En français dans le texte. Kirchheimer se réfère ici à la doctrine, exposée par Maurice
Hauriou dans son Précis de droit constitutionnel de 1929 (2éd., p. 239), soutenant que la
légitimité constitutionnelle a préséance sur la « simple » constitution écrite (la somme de
ses dispositions). Carl Schmitt, qui reconnaissait en Hauriou « un frère aîné », souligne son
profond accord avec cette doctrine (Schmitt, 1968 : 60-61) et en dérive l’idée qu’une
constitution ne peut jamais être neutre - une idée qui forme le pivot de sa Théorie de la
constitution (1928). Pourtant, malgré la similitude de leurs prémisses, les analyses de
Schmitt et celles d’Hauriou aboutissent, comme le rappelle très justement Olivier Beaud
(1997 : 231-232) à des conclusions divergentes, notamment sur la question cruciale de
l’illégalité des partis politiques « ennemis de l’État ». Une très belle traduction du texte de
Kirchheimer est disponible dans Scheuerman (1996).
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
181
« cartels » politiques et de leur permettre d’intervenir de plus en plus
directement dans le fonctionnement de l’État, dans la justice ou dans
l’administration. Selon Kirchheimer, ce système s’est cristallisé sous
l’effet du détachement progressif d’un exécutif présidentialisé et de sa
base légale - le pouvoir législatif du parlement - au fur et à mesure que le
domaine d’application des pouvoirs d’exception de l’article 48 al. 2
WRV s’élargissait et que leur pratique s’intensifiait. Dans cette
évolution, la politique du gouvernement Papen marque un saut qualitatif
puisque c’est alors qu’apparaît pour la première fois de façon nette le fait
qu’on ne se trouve plus devant une situation temporaire, destinée à céder
la place à un ordre normal. Rompant avec le paradigme classique de la
21
dictature , le gouvernement Papen opère en effet une fusion de la norme
et l’état d’exception, de telle sorte que, comme l’écrit Kirchheimer, les
mesures d’exception « ne peuvent plus être saisies à l’aide du concept
habituel de légalité ». « L’usage des pouvoirs d’exception - et, avec lui,
la fusion de l’activité législative et du gouvernement - ont revêtu un
caractère permanent, qui ne laisse plus aucune place à l’élément essentiel
du principe de la légalité, le contrôle de l’administration à l’aune des lois
en vigueur » (Kirchheimer, 1967 : 12-13). De plus, ces transformations
dans la structure même du concept de légalité (Strukturwandel des
Legalitätsbegriffs) viennent contrarier la fonction de la « compétence »
dans l’exercice de la domination ; dès lors qu’il n’y a plus de distance
entre l’élaboration des normes et leur application, l’activité de la
« direction administrative » (au sens wébérien du terme) ne peut plus être
orientée par l’idée d’une hiérarchie de compétences objectivement
délimitées. D’où la revendication - portée en partie par les intérêts des
dirigeants politiques, en partie par les impératifs autonomes de la
« direction administrative » - d’une forme de légitimité plus massive,
mieux assurée, qui dépasserait « l’accord formel du parlement » pour
dériver plutôt d’une (mystérieuse) obligation envers le peuple comme
unité (Verpflichtung des Volkganzen). D’où, également, la rhétorique du
rocher de bronze22 par laquelle le gouvernement Papen tente de se poser
à distance de tous les partis, la légitimité plébiscitaire n’en appelant,
comme l’écrit Kirchheimer, qu’à « l’indiscutable justesse de son action et
ses buts » (Kirchheimer, 1967 : 12).
21
Tel que présenté par Schmitt dans son ouvrage de 1921 Die Diktatur (Schmitt, 2000 ;
140-142 notamment).
22
En français dans le texte (Kirchheimer, 1972 : p. 77).
182
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
Un motif téléologique qui, aux yeux d’un fin lecteur de Weber, ne
peut que trahir le vice structurel dont souffre ce nouveau type de
domination légitime. Lorsqu’elle reposait sur la légitimité légalerationnelle et sur son corollaire - la notion de « compétence » - l’autorité
de l’exécutif fonctionnait au sein d’un espace cognitif clos, avec des
balises nettes et des possibilités restreintes ; désormais orientée par des
motifs téléologiques ou valoriels, elle se trouve littéralement surchargée.
Autrement dit, la nature très particulière de la légitimité revendiquée par
le gouvernement fédéral (dès 1930, en fait) a amené ce dernier, selon une
logique implacable, à décider par lui-même, et au cas par cas, de la
« loyauté envers l’État » de toutes les formes d’opposition (grèves,
manifestations, réunions) et, plus généralement, de tous les acteurs
(partis, syndicats, groupes d’intérêts, et gouvernements fédérés). Une
pratique que Kirchheimer compare à celle des lits de justice sous
l’Ancien régime, à la différence près, cette fois, que l’exercice est
permanent et continu. Fidèle à l’esprit wébérien, Kirchheimer ne croit
pas que des postulats aussi lourds et aussi abstraits que ceux de la dite
« légitimité plébiscitaire » puissent organiser de facto les rapports de
domination au sein de l’État moderne. L’argument n’est pas uniquement
celui de l’anachronisme23, mais celui, plus sociologique, du travail
autonome de la bureaucratie étatique et de l’administration judiciaire
(surtout dans l’Allemagne de Weimar). Lorsqu’elle cesse d’être un appel
lancé à une figure paternelle désespérément absente24, la légitimité
plébiscitaire apparaît comme une formation composite, supportée par
23
Comme le laisse entendre William Scheuerman (1994) dans son livre par ailleurs très
stimulant.
24
Dans son étude sur la culture de Weimar, Peter Gay analyse la manière dont le conflit
père-fils en est venu « à symboliser la situation politique » et attire l’attention sur le
phénomène de la « revanche du père ». Brisée par les événements « juvéniles » de 19181923, l’autorité paternelle devient en effet, une fois restaurée par la force des choses, le
gage de la paix et de la concorde « familiale ». Le récit du châtiment du jeune Frédéric II,
tel que mis en scène dans la pièce à succès de Goltz Vater und Sohne (1925), de même que
le dénouement final du célèbre Metropolis de Fritz Lang (1927) cristallisent bien cette
représentation d’un père à nouveau triomphant mais magnanime. Sur le plan politique,
notons que l’année 1925 est marquée par l’élection du maréchal à la retraite et octogénaire
Paul von Hindenburg à la présidence de la république, au terme d’une campagne qui
exaltait simultanément l’autorité de la période impériale et le dépassement des
antagonismes partisans (« Wählt einen Mann, nicht eine Partei! »). S’interrogeant sur le
contraste frappant entre les capacités médiocres du vieil homme et les espoirs démesurés
qu’il éveille chez les électeurs, le constitutionnaliste Ernst Fraenkel, alors un jeune
socialiste, concluait : « Le peuple allemand souffre d’un complexe du grand-père »
(Fraenkel, 1999 : 265).
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
183
deux systèmes évoluant, comme l’a bien montré Weber, selon des
temporalités différentes : d’une part, une légitimité charismatique qui, à
la suite d’un exploit quelconque, parvient à incarner le peuple comme
totalité capable d’action - une légitimité instable et peu efficace dès lors
qu’il s’agit de gestion au quotidien ; de l’autre, une légitimité
traditionnelle, avec cette dialectique caractéristique entre l’arbitraire des
juges et des fonctionnaires et la représentation d’un ordre social « comme
il faut », en harmonie avec « le sain sentiment populaire ». Dans cette
« course de vitesse » (pour emprunter une métaphore chère à Carl
Schmitt25), le concurrent le plus régulier et le plus endurant a un net
avantage sur son rival, si bien que la seule issue possible semble être la
croissance sans cran d’arrêt du pouvoir de la bureaucratie, en dépit de
doctrines qui exaltent le « retour du politique ».
Retrouvant après un long détour par Schmitt le fil de l’argument
wébérien, Kirchheimer en restitue le tranchant plus nettement peut-être
que ceux qui se sont appliqués, par la suite, à défendre ou à condamner
Weber. Car, ose-t-on croire, c’est à partir de son point de basculement
que l’idéal-type de la légitimité légale-rationnelle acquiert une réelle
consistance et que, du même coup, la réalité qu’il désigne se laisse
pleinement déchiffrer. La spécificité de ce type de domination légitime
tient, pour Kirchheimer comme pour Weber, à ce qu’il autorise le
déploiement de rapports ouvertement conflictuels et contradictoires ; et
que, cassant la logique du jeu à somme nulle qu’instaure inévitablement
la légitimité traditionnelle au sein d’une société divisée et hétérogène,
elle conserve dans une indétermination dernière la question des fins de
l’État. « Les chances de tout ordre de domination fondée sur la légalité
(legale Herrschaftsordnung) résident dans la possibilité qu’il a d’intégrer
la dialectique du changement historique avec moins de périls que ne le
peut un ordre de domination fondée sur la légitimité (legitime
Herrschaftsordnung) » (Kirchheimer, 1967 : 26). Envisagée sous cet
angle, la légitimité légale-rationnelle ne fait pas qu’accompagner la
différenciation des « ordres de vie » propre au rationalisme occidental (et
dont la sociologie wébérienne se veut l’expression consciente) ; elle la
nourrit et la consolide, elle en précipite le mouvement et le diffuse dans
un nombre toujours croissant de sphères d’activité. Mais, pour rendre
intelligible cette dimension cachée, il fallait approcher le problème de la
25
Qu’il emprunte lui-même à Walter Jellinek (Schmitt, 1968 : 69).
184
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
légitimité, comme l’a fait Weber, par le truchement d’une sociologie de
la domination. C’est-à-dire en portant attention aux effets latéraux du
type de légitimité revendiquée par le groupement de domination, à la
façon dont la forme de cette revendication se répercute sur l’activité de la
« direction administrative » et, plus largement, sur la rationalisation des
pratiques connexes, économiques et juridiques - en refusant
consciemment de chercher à savoir de quoi est constituée dans les faits la
croyance en la légitimité, ni quels en sont les ressorts réels. Surdéterminé
par une anthropologie politique radicale, l’effort de Carl Schmitt vise au
contraire, sous le concept de légitimité, le mystère d’une obéissance
originaire, dont les « présupposés » seraient comme le réflexe, certes
distant mais sans discontinuité, de la discrimination massive, impérieuse,
mortelle, de l’ami et de l’ennemi.
En guise de conclusion
On dit parfois que la persistance de controverses au sein de la
postérité d’un auteur serait le meilleur indice de la fécondité des
hypothèses qu’il a avancées. Dans le cas de Max Weber, la chose prend
un tour déroutant tant son œuvre, en combinant comme elle le fait une
masse immense de matériau empirique et un penchant maniaque pour les
concepts tranchés, offre à ses lecteurs des prises pour le tourner et le
retourner. Des écrits politiques à l’épistémologie, il n’y a aucun aspect de
l’œuvre de Weber qui ne soit objet de débats savants. Et parmi ceux-ci, la
notion de légitimité - en raison sans doute du parcours politique
tourmenté qui fut celui de l’Allemagne au XXe siècle - occupe une place
bien en vue. Raison pour laquelle il serait présomptueux de prétendre
retrouver ce que « Weber a vraiment dit ». Le retour au texte wébérien
visait plutôt à rappeler les grandes lignes de son analyse aujourd’hui
unanimement considérée comme « classique ». Cela étant, il semble
néanmoins que ce rappel parvienne, en bout de course, à mettre au jour
un important malentendu qui tend de plus en plus à faire de Max Weber
un épouvantail commode ou un « classique » inoffensif. Car malgré
l’usage très répandu du concept wébérien de légitimité et du triptyque
tradition/charisme/légalité, un fossé infranchissable mais le plus souvent
ignoré sépare le sens général des propositions de Weber, fermement
ancrées dans une vaste entreprise comparatiste, parfois très proche d’une
Weltgeschichte à la Burckhardt, et les préoccupations actuelles aussi bien
des sciences sociales positives que des théories à prétentions normatives.
Légitimité et légalité (d’)après Max Weber
Augustin Simard
185
Un fossé tel qu’il semble devenu difficile aujourd’hui de lire les passages
que Weber consacre à la légitimité autrement que comme des curiosités
un peu baroques. D’une part, en effet, on doit prendre acte de la rupture
irréversible qu’instaure la problématique wébérienne par rapport aux
théories du droit de gouverner et aux doctrines du droit de résistance,
selon lesquelles le « pouvoir » est limité par un principe qui le précède et,
en quelque manière, l’informe et l’autorise. D’autre part, le
développement de cette problématique répond exclusivement au projet
d’analyser les effets de diverses formes de revendication de légitimité via la « direction administrative » - sur l’émergence d’une espèce bien
particulière de rationalisme pratique propre à l’Occident moderne, et non
à la volonté d’expliquer l’efficacité de la domination.
Par ce rappel, on le devine, il s’agissait donc de donner une idée de la
complexité d’un concept - celui de légitimité - qu’une analyse trop
pressée est tentée de réduire soit à celui (psychologique) de
« motivation », soit - plus fréquemment - à celui (philosophique) de
« justification ». L’approche de Weber, telle qu’elle se concrétise dans
les pages d’Économie et société, sous la forme d’une sociologie de la
domination, s’efforce de cerner un ordre de réalité qui serait irréductible
à ces deux catégories. Mais elle entend aussi faire ressortir ce qui, à cet
égard, fait la spécificité de la légitimité moderne. Pour y parvenir, elle
mobilise une caractérisation du type de rationalité propre au droit positif.
Le rapport complexe, polymorphe, dessiné ici entre ces deux termes ne
va révéler sa consistance qu’à la lumière de la postérité, et au feu de sa
propre destruction.
Augustin Simard
Candidat au doctorat
École des hautes études en sciences sociales (Paris)
***
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