85e Rapport annuel BRI 53
III. Les cycles financiers et l’économie réelle
La chute des prix du pétrole et l’envolée du dollar ont marqué l’environnement
macroéconomique mondial de l’année écoulée. Ces profonds changements des
conditions sur des marchés clés sont survenus alors que les économies en étaient à
des stades différents de leurs cycles financiers et économiques.
Dans les économies avancées, le cycle conjoncturel, soutenu par la baisse des
coûts de l’énergie, a poursuivi sa phase d’expansion. L’évolution des cours de
change a pesé sur la croissance américaine tout en facilitant le retour à la croissance
dans la zone euro. Malgré l’assouplissement continu des conditions financières dans
les pays les plus gravement touchés par la crise, l'économie reste dans l'ombre
projetée par le boom financier qui a précédé la crise. La mauvaise allocation des
ressources qui avait accompagné la forte expansion du crédit a continué de freiner
la croissance de la productivité. D’autre part, le niveau élevé de dette publique
hérité du passé a limité la marge de manœuvre budgétaire des gouvernements,
tandis que le vieillissement démographique rend plus délicats encore les
ajustements nécessaires pour assurer la viabilité des positions budgétaires.
À plusieurs égards, les conditions ont été très différentes dans de nombreuses
économies émergentes (EME) relativement épargnées par la crise. La baisse des
recettes d’exportation générées par les produits de base et l’augmentation des
coûts du service de la dette libellée en dollar ont coïncidé avec un ralentissement de
la croissance et l’amorce du retournement des cycles financiers nationaux. Par le
passé, la conjonction d’un ralentissement de la croissance et d’un pic d’expansion
du crédit dans les EME a souvent provoqué de graves tensions financières, surtout
dans un contexte de rigueur financière mondiale, mais les EME ont aujourd’hui
gagné en résilience grâce à une meilleure gestion macroéconomique et à une
robustesse accrue des structures financières, due notamment à l’allongement des
échéances des titres de dette et à une moindre exposition au risque de change.
Cependant, l’augmentation générale de la dette du secteur privé, tant sous forme
d’emprunts auprès du système bancaire national que de financements sur les
marchés financiers étrangers, pourrait neutraliser les gains liés à l’assainissement de
la structure de la dette.
Ce chapitre commence par examiner l’évolution des profils de croissance au
cours de l’année écoulée, puis il étudie l’impact à long terme des épisodes
antérieurs d’expansion financière dans les économies avancées avant de conclure
par l’examen des vulnérabilités financières des EME à la lumière des récents
épisodes d’expansion financière et de ralentissement de la croissance.
Modification des profils de croissance
Au cours de l’année écoulée, la croissance de l’économie mondiale s'est rapprochée
de sa moyenne à long terme. Le PIB mondial a progressé de 3,4 % en 2014 (Annexe,
tableau A1). S'il est à peu près conforme à sa moyenne enregistrée depuis 1980, ce
chiffre masque néanmoins d’importants changements dans la dynamique de
croissance des pays au fil du temps.
54 85e Rapport annuel BRI
La reprise s’est confirmée dans les économies avancées (graphique III.1, cadre
de gauche) mais, alors que l’expansion s’est poursuivie aux États-Unis et au
Royaume-Uni, la zone euro a retrouvé une croissance modeste et la reprise a été
graduelle au Japon. Aux États-Unis, la croissance économique a atteint 2,4 % en
2014 à la faveur d’une rapide décrue du chômage, mais la production s’est
contractée au premier trimestre 2015, sous l'effet, entre autres, du recul des
exportations. Dans la zone euro, la production a augmenté de 0,9 % en 2014 et une
accélération de la reprise est anticipée en 2015. L’Espagne et le Portugal ont renoué
avec la croissance, tandis que la reprise de l’économie italienne est attendue en
2015. Au Japon, la consommation a nettement chuté après l’augmentation de la
TVA en avril 2014. Dans les autres économies avancées, la croissance s’est établie à
2,4 % en moyenne, mais les écarts entre pays se sont creusés.
Le ralentissement de l’activité économique s’est poursuivi dans les EME, avec
un fléchissement d’environ 0,3 point de pourcentage de la croissance, revenue à
4,9 % en 2014, et une poursuite de cette tendance en 2015. Toutefois, ces chiffres
masquent, là encore, des situations nationales très contrastées : alors qu’en Chine, la
demande privée enregistrait une nouvelle décélération, due en partie au tassement
du secteur immobilier, l’activité s’est accélérée en Inde et en Corée. La plupart des
autres EME asiatiques ont été marquées par un ralentissement de la croissance en
2014, bien qu’une reprise soit anticipée en 2015. L’économie brésilienne s’est
contractée au deuxième semestre 2014, alors même que la plupart des autres
Modification des profils de croissance Graphique III.1
Croissance de la production
mondiale1 Évolution des cours de change
effectifs réels2 Produits de base et révisions des
prévisions de croissance du PIB3
Variation sur 1 an, en % En %
AU = Australie ; BR = Brésil ; CA = Canada ; CH =Suisse ; CL = Chili ; CN = Chine ; CO = Colombie ; EA = zone euro ; GB = Royaume-Uni ;
HU = Hongrie ; ID = Indonésie ; IN = Inde ; JP = Japon ; KR = Corée ; MX = Mexique ; MY = Malaisie ; NO = Norvège ; PL = Pologne ;
RU = Russie ; SA = Arabie Saoudite ; SE = Suède ; TH = Thaïlande ; TR = Turquie ; US = États-Unis ; ZA = Afrique du Sud.
1 Moyennes pondérées du PIB sur la base des PPA ; les prévisions sont représentées en pointillés. 2 Entre juillet 2014 et avril 2015 ; une
valeur positive indique une appréciation. 3 Pays indiqués dans les notes 4 et 5 à l'exclusion de la Hongrie, de l'Inde, de l'Italie et de la
Russie. 4 Australie, Canada, Danemark, États-Unis, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Suède, Suisse et zone euro.
5 Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Brésil, Chili, Chine, Colombie, Corée, Hong-Kong RAS, Hongrie, Inde, Indonésie, Malaisie,
Mexique, Pérou, Philippines, Pologne, Russie, Singapour, Taïpei chinois, République tchèque, Thaïlande et Turquie. 6 Pays indiqués aux
notes 4 et 5. 7 Révisions des prévisions de croissance du PIB pour 2015 intervenues entre juillet 2014 et mai 2015. 8 Part moyenne des
produits de base dans les recettes d'exportation entre 2004 et 2013.
Sources : Base de données Comtrade de l'ONU ; Consensus Economics ; données nationales ; calculs BRI.
8
4
0
4
8
07 08 09 10 11 12 13 14 15
Économies avancées
4
EME
5
Monde
6
–36
–24
–12
0
12
CO RU AU MX SE MY HU IN KR ZA TH US CN
BR EA CA JP NO PL TR GB CL ID CH SA
Part des produits de base
dans les exportations > 40%
–4
–3
–2
–1
0
0 20406080100
Part des produits de base
dans les export. totales8, en %
Révision des prévisions de croiss.
du PIB7, en pts de %
y = 0,089 – 0,022x
R2 = 0,283
85e Rapport annuel BRI 55
économies d’Amérique latine voyaient leurs performances s’améliorer. En Europe
centrale et orientale, a croissance s’est accélérée de 2 points de pourcentage pour
atteindre 3,1 %.
À compter de mi-2014, l’effondrement des prix du pétrole et l’appréciation du
dollar ont eu des répercussions sur la croissance dans l'ensemble du monde. Fin mai
2015, les cours du brut en dollar étaient inférieurs de 40 % à ce qu’ils étaient un an
plus tôt (chapitre II). Entre juillet 2014 et avril 2015, le cours de change du dollar
pondéré des échanges commerciaux s’est apprécié d’environ 10 %, tandis que
l’euro et le yen cédaient respectivement 10 % et 7,5 % (graphique III.1, cadre du
milieu).
Ces fortes fluctuations des cours n’ont pas encore déployé tous leurs effets
macroéconomiques. La baisse des cours du pétrole résultant de l’offre plus
abondante devrait stimuler l’activité économique en abaissant le coût des intrants
et en augmentant les revenus réels. De fait, la chute des prix du pétrole a donné
confiance aux consommateurs des grandes économies avancées et contribué à la
récente progression de la consommation observée dans la zone euro. Le principal
effet des fluctuations de change, en revanche, est une redistribution de la
croissance. La progression des exportations américaines, qui ressortait à 4 % en
rythme annuel au deuxième trimestre de 2014, a été ramenée à 3 % au premier
trimestre 2015 dans un contexte d’appréciation du dollar.
Les effets sont d’ores et déjà plus marqués dans de nombreuses EME. Dans les
économies exportatrices de produits de base, l’activité économique a fléchi. Entre
juillet 2014 et mai 2015, les révisions à la baisse des prévisions de croissance pour
2015 ont été plus importantes pour les pays les plus dépendants des exportations
de produits de base (graphique III.1, cadre de droite). La baisse des prix de ces
produits s’est accompagnée d’un repli des investissements, en particulier dans les
secteurs pétrolier et gazier. En outre, les exportateurs de produits de base ont perdu
des recettes fiscales.
De plus, c’est dans ces pays que les cours de change réels se sont le plus
dépréciés. Du fait qu'elles soutiennent les exportations, ces dépréciations pourraient
à terme stimuler l’investissement dans les industries exportatrices et ainsi
rééquilibrer l’activité. Les monnaies de la plupart des importateurs de produits de
base ont également chuté face au dollar américain, mais pas nécessairement en
termes pondérés des échanges commerciaux. En revanche, certaines économies,
notamment en Asie émergente, ont vu s’apprécier leur cours de change réel, ce qui
a déprimé les exportations nettes.
Par ailleurs, l’appréciation généralisée du dollar a alourdi le coût du service de
la dette en dollar. Le crédit en dollar hors des États-Unis s’est nettement développé
ces dernières années pour atteindre $9 500 milliards fin 2014 (chapitre V). Si les
emprunteurs résidant dans des économies avancées ont contracté plus de la moitié
de cette dette, plus de $3 000 milliards sont imputables aux résidents d’EME.
L’importance des asymétries de devises de libellé des actifs et passifs dans les EME
fait l’objet d’une analyse plus détaillée dans la dernière partie de ce chapitre.
Cette modification des profils de croissance est intervenue alors que les
économies en étaient à des stades différents de leur cycle financier1. Dans un grand
1 Bien qu’il n’existe pas de définition consensuelle des cycles financiers, ceux-ci sont généralement
mesurés par le mouvement synchrone d’un large ensemble de variables financières. La
représentation la plus parcimonieuse se limite au crédit et aux prix de l’immobilier, mais d’autres
56 85e Rapport annuel BRI
nombre des économies qui ont enregistré une contraction endogène, le cycle
financier réamorce une phase ascendante. Ainsi, le crédit et les prix de l’immobilier
ont rebondi aux États-Unis (graphique III.2). Au Royaume-Uni, la décrue du crédit au
secteur privé s’est poursuivie, mais la croissance des prix de l’immobilier a été
vigoureuse. Le recul du crédit s’est également poursuivi en Grèce, en Italie et en
Espagne en dépit d’un ralentissement de la baisse des prix immobiliers, voire d’une
inversion de la tendance en Espagne.
Les conditions monétaires et financières mondiales, exceptionnellement
accommodantes, ont nourri l’expansion financière dans un grand nombre des
petites économies avancées et des économies émergentes relativement épargnées
par la Grande Crise financière (chapitre V). Cependant, ces booms donnent
mesures de la prise de risque peuvent apporter des informations supplémentaires. Les interactions
entre ces variables peuvent avoir des conséquences majeures sur l’économie. À titre d’exemple, les
crises bancaires ou les périodes de graves difficultés financières font souvent suite à des pics du
cycle financier, comme l’a confirmé la Grande Crise financière dans de nombreux pays. Voir BRI,
84e Rapport annuel, chapitre IV, pour une analyse plus complète.
Où se situent les pays dans le cycle financier ?1 Graphique III.2
Croissance du crédit réel2
En %
Hausse des prix réels de l'immobilier résidentiel3
En %
AU = Australie ; BR = Brésil , CA = Canada ; CH = Suisse ; CN = Chine ; DE = Allemagne ; ES = Espagne ; FR = France ; GB = Royaume-Uni ;
GR = Grèce ; IN = Inde ; IT = Italie ; JP = Japon ; KR = Corée ; MX = Mexique ; NL = Pays-Bas ; PT = Portugal; TR = Turquie ; US = États-
Unis ; ZA = Afrique du Sud. Asia : moyenne arithmétique des économies suivantes : Hong-Kong RAS, Indonésie, Malaisie, Philippines,
Singapour et Thaïlande ; CEE (pays d'Europe centrale et orientale) : moyenne arithmétique des pays suivants : Bulgarie, Estonie, Hongrie,
Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Russie et République tchèque ; Nordic (pays nordiques) : moyenne arithmétique des pays suivants :
Finlande, Norvège et Suède.
1 Une expansion (contraction) est indiquée si les deux indicateurs (croissance du crédit réel et croissance des prix réels de l'immobilier
résidentiel) pour un pays sont nettement positifs (négatifs) sur les deux horizons. 2 Encours total du crédit au secteur privé non financier
corrigé du déflateur du PIB (pour la Suède, corrigé des prix à la consommation).
3 Corrigée de l'indice des prix à la consommation.
4 Données non disponibles. 5 Taux de croissance moyens annualisés. 6 Variation sur 1 an en %.
Sources : OCDE ; Datastream ; données nationales ; BRI ; calculs BRI.
–1
0
5
0
5
1
0
1
5
GR IT CEE CN DE ES FR GB JP MX NL PT AU Asia BR CA CH IN KR Nordic TR US ZA
C
ontraction Expansion
–1
0
5
0
5
1
0
GR IT CEE CN DE ES FR GB JP MX NL PT AU Asia BR CA CH IN KR Nordic TR US ZA
C
ontraction Expansion
4
Fin 2010 à fin 2014
5
Dernier trimestre
6
85e Rapport annuel BRI 57
aujourd’hui des signes d’essoufflement dans certains de ces pays. Un ralentissement
de l’expansion du crédit réel a été observé dans de nombreuses économies
émergentes d’Asie ainsi qu’au Brésil et en Turquie. En outre, les prix de l’immobilier
annoncent un retournement du cycle financier dans plusieurs économies,
particulièrement en Chine, où l’immobilier résidentiel a perdu près de 7 % en termes
réels au cours de l’année écoulée (graphique III.2, cadre inférieur). Les prix de
l’immobilier résidentiel ont également baissé au Mexique et leur croissance est en
nette décélération au Brésil – signe de l’arrivée à maturité de la phase d’expansion
financière. En revanche, la baisse des prix des produits de base n’a pas encore
enrayé le boom financier en cours en Australie, au Canada et en Norvège, trois pays
qui ont connu une forte croissance du crédit et des prix de l'immobilier au cours des
quatre derniers semestres.
La configuration actuelle des cycles conjoncturels et financiers pose des défis
différents pour les économies avancées et pour de nombreuses EME. Pour les
premières, en particulier les pays au centre de la crise, le défi consiste à obtenir une
solide croissance à long terme sans nouveau cycle d’expansion-contraction du
crédit. Pour les secondes, l'enjeu sera de stabiliser les conditions financières et
économiques, alors que la croissance est moins vigoureuse et que l’expansion
financière touche à sa fin.
Croissance et cycle financier dans les économies avancées
L’interaction entre le cycle financier, d’une part, et la demande et la production
globales, d’autre part, explique largement l'atonie de la reprise observée ces
dernières années dans de nombreuses économies avancées (voir aussi le
84e Rapport annuel).
Les cycles financiers ont une influence directe sur la dépense à travers le poids
du service de la dette et l’impact de l’endettement (encadré III.A). En phase
d’expansion financière, le renchérissement des actifs accroît la valeur des biens
apportés en garantie et facilite ainsi les emprunts. Parallèlement, l’augmentation de
la dette accroît le poids du service de la dette, surtout en cas d’augmentation des
taux d’intérêt, ce qui limite les dépenses. Tant que les prix des actifs restent orientés
à la hausse, les dépenses financées par l’emprunt peuvent compenser cet effet, mais
lorsque l’expansion financière s'essouffle, la dépréciation des actifs accroît le taux
d’endettement et freine ainsi l’accès des ménages et des entreprises au crédit, ce
qui aggrave le handicap résultant du poids plus élevé du service de la dette. Après
une contraction financière, il faut du temps pour que la dépense se normalise.
Même si les taux d’intérêt baissent rapidement, comme en 2008–2009,
l’endettement élevé maintient le poids du service de la dette à un haut niveau. Et le
fléchissement du prix des actifs génère des obstacles au crédit qui ne s’allègent que
progressivement. De fait, l’interaction entre l’endettement et le poids du service de
la dette explique assez bien l’évolution de la dépense américaine après la Grande
Crise financière.
Globalement, au stade actuel du cycle financier, les contraintes de financement
semblent peu importantes pour l’investissement des entreprises. De récentes
recherches de la BRI indiquent que les écarts observés d’un pays à l’autre
témoignent surtout de fortes incertitudes relatives à l’évolution future de
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