DES NYMPHOMANIES AU SYNDROME D’EXCITATION GENITALE PERSISTANTE Dr Jean-Roger DINTRANS « Un mot c’est comme un trou: on entre par le mot et si on veut on n’en sort pas, et du dedans on voit ce qu’il y a dehors, comme de l’intérieur d’un trou, comme si c’était une longue vue dans laquelle on voyait un paysage parfaitement circulaire… (Les mots)… sont des grottes avec des passages par lesquelles elles communiquent presque toutes entre elles… » Alvaro Pombo, Apparition de l’éternel féminin, Bourgeois, 2013 La sexualité est une pulsion fondamentale qui sous-tend les rapports entre individus. Elle est dans les sociétés humaines objet de codifications écrites et/ou orales. Toujours un discours prédominant existe, seul ou parallèlement à d’autres divergents. Depuis la plus haute antiquité dans l’occident romain puis chrétien, ce discours a fluctué suivant les époques entre rigueur et tolérance, les faisant alterner. Mais il exista une constante: jusqu’à très récemment, les sociétés étant quasi- exclusivement patriarcales, le discours fut celui des mâles et, dans ce domaine, refléta leurs expériences et leurs craintes. Jusqu’au 20ième siècle, qu’elles soient d’essences mythique, théologique ou médicale, les représentations de la sexualité féminine ont donc présenté une constante, celle d’être presque toujours porteuses d’un point de vue qui stigmatise les excès affectifs et/ou sexuels des femmes. « Femme, animal sexuel insatiable… Ne voyez vous pas que, comme le sodomiste, vous êtes à l’origine du rapetissement du monde. Entre vous et lui, il n’y a pas de différence ? » Saint Bernardin de Sienne (1380-1444) Les courants de réflexions féministes n’ont inversé que récemment cette tendance. Dès la plus haute antiquité, 2 concepts vont être attachés aux femmes et à leur sexualité: - Sorcière - Malade de l’utérus/Hystérique Et à partir du 18ième siècle 3 mots apparurent pour parler avec beaucoup d’opprobre de la sexualité excessive des femmes: - Hystérie - Erotomanie - Nymphomanie LES SORCIERES… ’’Au début étaient les sorcières’’, dont la divinité Hécate, résurgence des pratiques chamaniques, représente le paradigme: apparaissant aux magiciens et aux sorcières sous la forme de différents animaux, grâce à ses 3 corps ou ses 3 têtes (ancienne division en 3 parties de l’année): jument, lion… et chienne qui hurle à la lune et dévore les cadavres: Hécate est une grande dévoreuse d’hommes. De tous temps, sorciers et sorcière ont été perçus par les structures dirigeantes comme un danger social: « C’est d’eux que naissent la conspiration et les sociétés secrètes dangereuses pour le règne d’un monarque » (lettres de Mécène à Auguste) Mais ce fut bien pire encore en occident chrétien où les sorcières firent l’objet d’une répression féroce. Pour le malheur des femmes, les 2 concepts de sorcière et d’hystérique se croisèrent dramatiquement dans la chrétienté du 5ième au 17ième siècle, voire plus sporadiquement jusqu’au 19ième siècle: - car si l’antiquité associe très tôt, nous le verrons, la notion de maladie à celle d’utérus « migrateur » - la fin de l’antiquité - avec Saint Augustin-, et le moyen-âge avec l’inquisition- favorisent le retour vers le surnaturel et versent « l’hystérie » du côté de la possession démoniaque et de la sorcellerie: « possédées du couvent de Loudun, des convulsionnaires de Saint- Médard ou des sorcières de Salem ». Il y eut 20 à 50 000 exécutions en 2 siècles (16 et 17 ème) dont 60 à 80% concernèrent les femmes. Il s’agissait le plus souvent de femmes du peuple, âgées, possédant un savoir empirique sur les plantes. Yvonne Knibiehler, La sexualité et l’histoire, 2002, Odile Jacob Il faudra attendre la fin du 19ième siècle pour lire de réelles théories psychologiques à propos de la ‘’possession par le diable’’: « La ’’possession’’ est de nature hystérique: elle est le résultat d’un manque de vie intellectuelle, sensorielle, et affective. C’est la réaction de l’organisme mental (féminin presque toujours) contre la misère psychologique, intellectuelle et affective d’une population ignorante, grossière, abrutie. » (Docteur Paul Jacoby, Etudes sur la sélection chez l’homme, 1904) HYSTERIE En 1854 l’aliéniste Legrand-du-Saulle écrivait: «A Paris, il y a quarante hommes hystériques pour cinquante mille femmes. »… Les premières notions correspondant à l’hystérie remontent à l’antiquité égyptienne: le papyrus de Kahun, datant de 1900 av J-C, décrit les troubles causés par un utérus baladeur et le traitement pour en venir à bout. L’antiquité conception. gréco-romaine adhère à cette Hystérique apparaît en 1568, emprunté au bas latin hystericus, du grec husterikos « qui concerne la matrice ». Le terme est d’abord employé uniquement en parlant des femmes au sens de « qui présente des troubles psychiques » parce qu’on pensait que cette maladie avait son siège dans l’utérus et qu’elle était liée à des accès d’érotisme morbide. Ce n’est qu’au 18 ième siècle (1731 puis 1771) que s’est formé le substantif hystérie qui désigne d’abord l’ensemble des troubles, et c’est seulement à la fin du 19ième que la notion devient essentielle en psychiatrie et en psychanalyse, s’étendant aussi aux hommes. Hystérie n’a pas d’entrée dans les dictionnaires de la sexualité. Ni dans le Sexologia-lexicon (édition Gonthier, 1962), ni dans la version antérieure du dictionnaire de Sexologie paru aux éditions JeanJacques Pauvert, ni dans le récent dictionnaire de la sexualité humaine de Philippe Brénot. Contrairement à ce que voulait l’acception populaire du terme qui en faisait un synonyme de sexualité excessive, l’hystérie ne décrit pas un comportement sexuel excessif, même si il s’y trouve de façon caractéristique une forte érotisation des relations sociales: dans l’hystérie, l’absence de passage à l’acte est au contraire l’aboutissement le plus fréquent, lié à l’absence de plaisir. A la suite des travaux de Charcot vers 1880, l’hystérie désigne un ensemble d’affections organiques sans lésions décelables. Le terme va rapidement être employé ensuite en psychiatrie et en psychanalyse pour désigner un type de « névrose ». Actuellement la notion d’hystérie recouvre plusieurs acceptions: - l’hystérie de conversion - La psychonévrose hystérique, étudiée par la méthode psychanalytique, qui se manifeste par des symptômes divers et par l’inversion des affects (ainsi Dora ressent une excitation sexuelle sous la forme non d’un désir, mais d’un dégoût). - Un certain type de personnalité et de mode de relation qui utilise la dramatisation, l’exhubérance affective, le langage imagé et superlatif, l’érotisation permanente, la séduction, etc. EROTOMANIE Erotomanie est un emprunt savant au grec erotomania, « folle passion » (mania, de manesthai: être fou), le mot érotomanie apparaît en 1741 et désigne alors l’obsession caractérisée par des préoccupations d’ordre sexuel. De Clérambault décrit en 1920 et 1921 l’érotomanie comme une « folie de l’amour », passion morbide entrant dans la clinique des délires passionnels avec la revendication et la jalousie. Emil Kraepelin la rattache aux psychoses paranoïaques. Il s’agit d’un délire chronique systématisé à partir d’une idée prévalente et développée en secteur, donc de type paranoïaque, accompagné d’une exaltation de l’humeur. Cette « illusion délirante d’être aimé-e » entraîne une conviction inébranlable, et un déroulé en 3 phases, espoir, dépit, rancune débouchant classiquement sur une issue fatale. NYMPHOMANIE Nymphomanie apparaît dans la langue française en 1721. Il est formé de l’élément « nympho » tiré du grec numphê avec le sens de jeune fille en âge d’être mariée ou plus probablement avec le sens de clitoris, et de l’élément manie, folie, devenant un euphémisme pour « fureur utérine ». Nymphomane, n. f., date de 1819. La nymphomanie est ainsi définie dans le Sexologia-lexicon: Aphrodisie, « fureur utérine » (Littré). Exagération des désirs sexuels chez la femme. Il y est dit que : « dans les cas aigus il s’agit d’un symptôme d’une très grave dégénérescence psychique qui est suivi rapidement de collapsus mortel (Moreau, Maresch, Krafft-Ebing). La nymphomanie chronique, beaucoup plus fréquente, se complique d’obsessions. Les femmes atteintes de cette forme sont esclaves de leur imagination: tout en elle tourne autour du sexuel et l’objet le plus éloigné du symbolisme sexuel devient aphrodisiaque. Le rêve lascif intervient la nuit et, à l’état de veille, elles sont hantées par un véritable éréthisme cérébral sexuel. » « Le danger de cette affection réside dans le fait que, pour satisfaire leur libido insatiabilis, les nymphomanes sont capables de toutes les déchéances » Ce concept, même une fois médicalisé, apparaît pensé avec des termes renvoyant à des jugements de valeurs (« dégénérescence psychique… rêve lascif »), voire fortement connoté moralement («capables de toutes les déchéances») . Les concepts forgés par la suite décrivent les sexualités excessives en restant dans une perspective médicale purement descriptive, neutre, n’inférant pas de jugement moral. HYPERSEXUALITE ou DESIR EXCESSIF La notion d’hyper sexualité ou désir excessif s’adresse aux femmes comme aux hommes, même si les hommes y sont plus représentés. Elle renvoie simplement à un écart vis à vis d’une moyenne statistique. Elle retrouvée dans la classification du CIM10 depuis le milieu des années 1990. Les femmes présentant un désir excessif seraient plus fréquemment que les hommes concernés un trouble de la personnalité ou une pathologie. CIM 10 F52.7 Activité sexuelle excessive Des pulsions sexuelles excessives peuvent constituer la seule plainte, chez l’homme comme chez la femme, habituellement à la fin del’adolescence ou au début de l’âge adulte. Quand elles sont secondaires à un troulble afecif (F30-F39) ou qand elles surviennent au début d’une démence (F00-F03), on doit faire le diagnostic du trouble sous-jacent. Inclure: nymphomanie satyriasis ADDICTION L’addiction ou dépendance sexuelle et/ou affective correspond à la recherche immodérée d’une activité sexuelle et/ou de séduction, envahissante au point d’entraîner une perte de temps considérable et une préoccupation incessante, avec des dommages (dans tous les domaines) reconnus par le sujet et le conduisant à vouloir contrôler son comportement mais sans le pouvoir. En consultation d’addictologie: 1 Femme pour 3 à 5 hommes se plaignant d’addiction affective et/ou sexuelle Mais dans les groupes DASA: # 50/50 voire plus de femmes que d’hommes Comportements incriminés: - masturbations compulsives - dépendance affective - comportement de séduction compulsifs - rapports sexuels compulsifs avec mauvaise image de soi - tchat - … facebook ? CONDUITES ADDICTIVES et TROUBLES DE L’HUMEUR: Incidence des comportements de dépendance chez des patients avec troubles de l’humeur ( A noter que l’association entre manie et nymphomanie était déjà décrite par Esquirol) Dysthymi e 31 Etat dépressif caractérisé 27 56 Trouble Bipolaire 32 Tous troubles de l’humeur •0 •10 •20 •30 •40 % comportements de dépendance Adès 1997 Document gracieusement prêté par le Dr Porto •50 •60 TROUBLE DE LA PERSONNALITE LIMITE La personnalité Border Line est caractérisée par une instabilité de l’humeur, des relations interpersonnelles et de l’image de soi, avec impulsivité, intolérance aux frustrations/émotions pénibles, répondant à la détresse par la revendication et la colère. Les passages à l’acte hétéro et surtout auto agressif sont fréquents de même que les addictions, à substances et/ou comportementales. Parmi ces dernières, on insistera dans le cadre des conduites sexuelles excessives sur la fréquence de relations sexuelles compulsives, souvent favorisées par des alcoolisations et associées à des prises de risques à valence auto-agressive. Ces relations représentent le plus souvent une recherche éperdue d’amour de la part de jeunes femmes qui ont en général souffert dans leur enfance/adolescence de maltraitance ou d’abus. SYNDROME D’EXCITATION GENITALE PERSISTANTE En 2001 Leiblum associé à Nathan décrit le « Persistant sexual arousal syndrome » ( PSAS) (syndrome d’excitation sexuelle persistant/SESP) En 2006, associé à Goldmeier il le renommera: « Persistent Genital Arousal Disorder »(PGAD) (Syndrome d’excitation génitale persistante /SEGP) Le PGAD/SEGP associe - des sensations d’excitation génitale étendues sur plusieurs heures voire jours, - ne se résolvant pas avec l’habituelle expérience orgastique mais pouvant nécessiter plusieurs orgasmes sur plusieurs heures voire jours; - non reliées à un sentiment subjectif d’excitation ou de désir sexuel - Pouvant avoir été déclenché non seulement par une activité sexuelle mais aussi apparemment par un stimulus non sexuel ou en l’absence de tout stimulus - les symptômes sont ressentis comme spontanés, intrusifs et non voulus - Ils sont cause d’une souffrance au moins modérée Incidence/prévalence/épidémiologie: - rare: 1 à 3 % de la population générale - Mais il est à noter que le tiers des femmes interrogées disent avoir fait l’expérience de sensation d’éveil génital sans sentiment subjectif d’excitation sexuelle ni désir - âge moyen: 38.5 à 53.7 ans - 50 à 80% suivant les études sont mariées, 91.7% hétéro-sexuelles, 67% ménopausées Association très fréquente avec: - syndrome des jambes sans repos (67% versus 319% en population générale) et varices pelviennes (55%) - mictions impérieuses (67%) Il semble pouvoir répondre à de nombreuses causes, très souvent intriquées: - psychologiques - pharmacologiques - neurologiques - vasculaires Il n’existe pas de consensus sur les traitements eux-mêmes mais il en est un sur le principe qu’il doit être mutimodal et que plusieurs type de praticiens peuvent avoir à être impliqués. Les traitements visent les causes réversibles tant physiologiques que pharmacologiques. Sont indiquées sur le plan psychothérapeutique les thérapies cognitivo-comportementales, incluant les thérapies de pleine conscience et d’acceptation. CONCLUSION Les descriptions actuelles des excès de la sexualité féminine, portées par les vagues convergentes - de la remise en cause, initiée principalement par Foucault, de la construction sociale des concepts utilisés en nosographie, - de la volonté d’athéorisation des critères nosographiques du DSM, - de la réflexion féministe sont ainsi heureusement, à l’encontre des conceptualisations d’autrefois, devenues astigmatisantes. … mais il est permis de se demander, selon le principe remarquablement décrit par René Girard de la nécessité du choix de victimes sacrificielles pour maintenir la stabilité du corps social - la sexualité ayant toujours été un des champs électifs de désignation de ces victimes - si, par effet de balancier, les concepts de mâle prédateur et de pervers narcissique n’ont pas pris le relai de ceux de la sorcière et de l’hystérique ? MERCI DE VOTRE ATTENTION A MES MOTS