Référence :
Magnan A., 2014. De la vulnérabilité à ladaptation au changement
climatique : éléments de réflexion pour les sciences sociales. In Monaco A.,
Prouzet P. (dir.), Risques côtiers et adaptations des sociétés, ISTE Editions,
pp. 241-274.
Chapitre 7
De la vulnérabilité à l’adaptation au
changement climatique : éléments de
réflexion pour les sciences sociales
Alexandre Magnan (Iddri)
Introduction générale
Ce texte n’a pas vocation à dresser un état de l’art exhaustif des travaux
scientifiques traitant des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement
climatique. Son objectif est de proposer une approche globale de ces deux concepts
qui permette à des chercheurs en sciences sociales, confirmés ou débutants et
relevant de diverses disciplines, de développer des travaux de terrain et fassent
progresser la connaissance.
De sorte à clarifier ce que vulnérabilité et adaptation signifient, et à en expliciter
les principaux enjeux, ce texte développe quatre sections. La figure 7.1 les
2 Risques tiers et adaptations des sociétés
rassemble, avec en fil conducteur la progression des mécanismes de la vulnérabilité
à ceux de l’adaptation.
Figure 7.1. La structure générale du chapitre
La première section (7.1), outre qu’elle présente brièvement l’origine du concept
de vulnérabilité, explique en quoi la vulnérabilité d’une société réside dans les
multiples croisements entre, d’une part, la nature, les temporalités et l’ampleur des
perturbations naturelles et, d’autre part, la nature, les temporalités et des spatialités
du territoire.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 3
Sur ces bases, la section 7.2 développe l’hypothèse selon laquelle la vulnérabilité
actuelle prend racine dans les caractéristiques historiques du façonnement de la
société et de son territoire. Cette section propose en ce sens une approche globale et
systémique de la vulnérabilité à travers six grands facteurs d’influence : la
configuration spatiale, la sensibilité des écosystèmes, la cohésion de la société, la
diversification des activités économiques et de subsistance, l’organisation politique
et institutionnelle, et les conditions de vie.
La troisième section (7.3) dresse ensuite un pont entre vulnérabilité et adaptation
au changement climatique. Elle montre en premier lieu que ces deux concepts
s’alimentent l’un l’autre : s’adapter permet de réduire la vulnérabilité, et réduire la
vulnérabilité favorise l’aptitude à s’adapter. Si bien que le niveau de vulnérabilité
comme les formes de l’adaptation sont par nature évolutifs. Il s’agit donc de
concepts dynamiques. La section entre alors dans le détail du concept d’adaptation
pour en identifier trois dimensions principales (processus, état, stratégie).
Enfin, la dernière section (7.4) propose de passer du cadre théorique précédent à
un cadre d’action. Elle discute alors de l’intérêt du principe de flexibilité comme
caractéristique fondamentale d’une société pour que celle-ci puisse dépasser les
barrières posées par l’incertitude sur les impacts locaux du changement climatique.
Deux piliers-clés sont mis en avant : l’anticipation et la résilience.
7.1. Autour du concept de vulnérabilité
Les relations entre les différents concepts de risque, de vulnérabilité, d’aléa et de
territoire sont suffisamment complexes pour que l’on s’y attarde un peu. Si les aléas
liés au changement climatique auront une place privilégiée ici, d’autres phénomènes
non liés aux conditions météo-marines (par ex. les tremblements de terre) seront
ponctuellement invoqués, de sorte à montrer les multiples dimensions du risque et
de la vulnérabilité.
Les premiers intéressés par le risque ont été les naturalistes en raison de la nature
même des aléas (éruptions volcaniques, tremblements de terre, cyclones, etc.). Puis
progressivement, d’autres scientifiques se sont ouverts aux aspects humains des
catastrophes. La multiplication des analyses a introduit l’idée qu’il existait une
différence terminologique entre risque et catastrophe, le premier terme faisant
référence à la survenue probable d’un aléa, le second à ses conséquences réelles sur
le système (Blaikie et al 1994, Dauphiné 2001, Veyret et al 2007). Cela a conduit à
élargir les réflexions aux facteurs du risque (Beck 2001, Cardona 2004), posant ainsi
les fondements nécessaires à l’émergence de la notion de vulnérabilité. Celle-ci a
dans un premier temps été définie comme un simple degré d’exposition au risque,
4 Risques tiers et adaptations des sociétés
puis elle a progressivement gagné ses lettres de noblesse pour devenir un concept
scientifique à part entière (Bankoff et al 2004, Adger 2006).
7.1.1. L’évolution des conceptions de la vulnérabili
Sur ces bases, deux conceptions principales du risque, et indirectement de la
vulnérabilité, se sont affirmées entre les décennies 1950 et 1980, qui ont finalement
favorisé l’émergence d’une troisième, aujourd’hui la plus aboutie. Il y a eu ensuite
une prise de conscience progressive de l’importance des interactions qui
s’établissent entre les hommes et l’espace qu’ils occupent (Fraser et al 2003,
Hilhorst 2004, Reghezza 2006). Ces interactions ne sont pas simplement de l’ordre
de l’exploitation des ressources naturelles. Elles vont bien au-delà au travers du
rapport historique et identitaire aux lieux et, par conséquent, du le des
caractéristiques de l’espace sur les dynamiques et les attitudes des sociétés
(Diamond 2000). Dépasser la dichotomie Hommes/Milieu a introduit davantage de
complexité dans l’approche des phénomènes naturels et de leurs conséquences sur
les sociétés (Bankoff et al 2004, O’Brien et al 2004). Sur le plan épistémologique,
l’évolution a consisté en un renversement du rapport de domination entre Nature et
Société dans l’explication de la survenue d’une catastrophe, ce que nous pouvons
montrer en repartant des trois paradigmes (physique, structurel, complexe1)
développés par D. Hilhorst (2004).
L’approche du paradigme physique a émergé dans les années 1950. Elle reposait
sur l’idée que les causes d’une catastrophe étaient avant tout à rechercher dans les
caractéristiques physiques de la perturbation et du processus d’impact. Les sciences
dures (géologie, climatologie, etc.) dominaient alors le champ de l’étude des
perturbations naturelles et la nature des sociétés comme facteur explicatif
n’intervenait que de manière marginale. Le rôle des sciences sociales était relégué à
l’identification des comportements des individus face au risque et à la catastrophe
(analyse a posteriori). C’était donc ignorer le rôle des caractéristiques intrinsèques
de la société dans l’explication de la survenue d’une catastrophe. Une telle idée a
pris de l’ampleur dans les années 1980 au travers de travaux d’anthropologues, de
géographes et de sociologues. L’on est passé d’une démarche « aléa-centrée » à un
courant de pensée structuré autour du paradigme structurel, avec comme idée
centrale que les catastrophes ne résultent pas en premier lieu de processus
géographiques2 (Hilhorst 2004 : 53, citant K. Hewitt3). Le rôle de la pauvreté était
1 D. Hilhorst parle behavioural paradigm, du structural paradigm et du complexity paradigm.
2 Dans l’ensemble de ce texte, les citations en anglais ont été traduites en français par l’auteur
et les versions originales figurent en notes de bas de page. Ici, D. Hilhorst écrit : Disasters
were not primarily the outcome of geographical processes.
De la vulnérabilité à l’adaptation au changement climatique 5
notamment évoqué et, à travers lui, les processus sociaux et économiques. Ainsi la
dimension socioculturelle de la vulnérabilité aux risques naturels émergea-t-elle,
imposant une distinction entre processus physiques (aléa) et humains (vulnérabilité).
La formule désormais classique « Risque = Aléa x Vulnérabilité » est d’ailleurs née
de cette évolution conceptuelle. Cette stricte séparation entre processus physiques et
humains s’est cependant révélée insatisfaisante en ce sens qu’elle ne permettait pas
de comprendre pourquoi divers groupes d’une même population subissaient
différemment les impacts d’une même perturbation, autrement dit pourquoi ils
présentaient des degrés de vulnérabilité variables.
Une troisième conception s’est donc manifestée dès les années 1990, donnant
naissance au paradigme complexe ou paradigme de la réciprocité4. Il s’agissait alors
de mettre en avant la mutualité des processus physiques et humains, rappelant que si
l’aléa exerce une influence directe sur le fonctionnement de la société, les activités
humaines ont en retour un impact sur la probabilité qu’un aléa se déclenche,
autrement dit sur la survenue d’une catastrophe. À une échelle locale, ce principe de
réciprocité est particulièrement évident lorsqu’on s’intéresse à la question de
l’érosion côtière : si la lutte contre ce phénomène, qui est avant tout inhérent à une
pénurie naturelle en sédiments, passe par l’implantation sur le trait de côte d’épis et
de murs de protection, cela a pour effet pervers d’accentuer à moyen terme les
difficultés de maintien du sable, et donc de renforcer le problème initial d’érosion. À
une échelle planétaire, les activités humaines tendent à renforcer la concentration de
gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ce qui a pour conséquence une augmentation
des températures terrestres et des eaux marines de surface, d’une part, et une
accélération de la fonte des glaciers, d’autre part. Or, ces phénomènes se combinent
pour expliquer l’élévation du niveau de la mer. Ces deux exemples montrent bien
que processus physiques (les aléas) et humains s’influencent plus encore qu’ils ne se
rencontrent simplement à un moment précis, celui de la perturbation (Blaikie et al
1994). Si le paradigme de la réciprocité a indéniablement fait avancer les réflexions
sur les concepts de risque et de vulnérabilité, il a en même temps considérablement
compliqué l’identification de stratégies pragmatiques de réduction des risques
(Wisner 2004). D’abord parce qu’il a accru le nombre de variables à considérer (de
surcroît des variables de natures différentes), ensuite parce qu’il a imposé de tenir
compte à la fois des interactions entre ces variables et de leurs temps de latence
respectifs.
En effet, si les impacts d’une perturbation sont en premier lieu directs (pertes
humaines, dégradations diverses, ruptures des réseaux, etc.), ils peuvent également
s’étaler dans le temps suivant le principe des dominos (Dauphiné et Provitolo 2007,
3 Hewitt K., 1983. Interpretation of calamity from the viewpoint of human ecology. Landmark
publication.
4 « Mutuality paradigm » en anglais.
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