Question 1 : L’objectif du « projet européen » est-il toujours de créer l’Europe supranationale de
Jean Monnet dans le cadre d’un fédéralisme mou et d’un régionalisme fort, chargé d’achever
l’éclatement des anciennes grandes puissances européennes et les noyer dans une nuée de
micro-états afin d’obtenir une soumission totale à l’impérium américain ?
Question 2. : Si la réponse à la question 1 est non, quel est l’objectif de l’Union Européenne ?
Evidemment des questions aussi directes ne sont jamais posées. Et les réponses ne sont jamais
apportées. Si les dirigeants européens ne veulent pas s’embarrasser d’une vision explicite, exprimée,
expliquée et assumée, le travail se fait en souterrain dans la conscience des peuples avec des
« surprises démocratiques », en même temps que les attitudes des uns et des autres deviennent des
contorsions de plus en plus paradoxales et que les organes européens se grippent les uns après les
autres.
Considérons simplement ce qui se passe en ce moment même.
Le premier ministre britannique, Cameron, avait considéré qu’il fallait absolument exclure le
Royaume-Uni du « toujours-plus » fédéral européen. Il a obtenu l’accord des autres pour ne pas
souscrire aux clauses « d’approfondissement » vers plus de fédéralisme. L’honnête courtier des
Etats-Unis en Europe, rôle qui le valorise dans sa relation « spéciale » avec les Etats-Unis, voulait
bien continuer son chemin européen mais sans l’aboutissement fédéral qui était inscrit en pointillé
(sans tapage médiatique de la part des négociateurs) dans la plupart des traités. Sacré paradoxe tout
de même.
Les Britanniques, consultés par referendum, ont été plus loin : ils veulent rester ce qu’ils sont et
quitter l’appareil institutionnel de l’Union Européenne. Du coup les Américains sont inquiets,
d’abord parce qu’ils perdent un réseau d’influence au cœur même de l’Europe. Le retour de flamme
national des britanniques met à mal l’espérance rooseveltienne. Kerry sera envoyé dans la minute
en Allemagne pour vérifier si la soumission y restait totale, en dépit des effets moraux et politiques
de sa réunification. Si l’Allemagne décidait de retrouver un rôle autonome, après le départ du RU de
l’UE, l’impérium américain serait fortement endommagé. Il semble qu’il ait reçu tous les
apaisements nécessaires.
Il ne faut pas oublier que le Brexit vient après le rejet du projet de « constitution européenne » par
des nations fondatrices de la première Europe des 5 (La France et la Hollande ont dit non) et
l’absolue volonté des anciens Pays de l’Est de ne pas se diluer à nouveau dans une structure
fédérale. Ils veulent l’aide européenne et la souveraineté nationale, le beurre et l’argent du beurre,
plus les beaux yeux de la fermière sous la forme de la sécurité de l’Otan vis-à-vis de leur ancien
colonisateur. La domination soviétique y a toujours été vue comme une domination russe. Poutine
fait tout pour leur donner raison.
Certains partisans de l’Europe de Monnet et de Schumann regrettent finalement le traité de
Lisbonne. En passant de la Communauté Européenne à l’Union Européenne, les peuples se sont
retrouvés trop violement dans la lumière de l’élimination programmée et définitive de leur nation.
Le Conseil Européen a finalement pris le rôle principal, remettant en cause les « coups d’état »
(selon Giscard) successifs de la Commission et du Parlement Européen désireux de s’autoproclamer
respectivement « gouvernement » et « assemblée législative » d’une union fédérale.
Il est vrai qu’un Conseil Européen des chefs d’Etats et de Gouvernements, à 28 ou 27, est une
structure difficile à faire vivre, qui met en valeur le rôle des grandes puissances tout en énervant les
petites, le tout s’accordant pour diminuer le rôle du Président de la Commission, lui-même tenté de
se croire chef suprême du « gouvernement » fédéral européen.