La densité mammaire

publicité
É
D
I
T
O
R
I
A
L
La densité mammaire :
plus de publications que de certitudes
scientifiques mais un réel impact pratique
Mammographic density : more publications than scientific certitudes but a real practical impact
● J. Stinès*
T
ous les radiologues, et ils l’ont toujours bien expliqué
à leurs correspondants, savent que la densité du sein
est un facteur qui diminue la sensibilité de la mammographie. On leur a expliqué aussi que la densité du sein est
un facteur de risque de survenue de cancer mammaire.
La classification BI-RADS de l’ACR répartit les seins en quatre
groupes de densité croissante. Les définitions de chaque type
indiquent clairement que, quand on passe du type 1 entièrement
graisseux au type 4 très dense, le risque qu’un cancer soit masqué
par son environnement augmente progressivement. Il n’y a pas
de limite nette entre chaque type et le classement reste donc
partiellement subjectif, mais dans l’étude de Leconte, la concordance interobservateurs paraît bonne (1).
La classification BI-RADS introduit la notion de sein hétérogène, et il est évident que plus le sein est hétérogène, plus les
difficultés d’analyse radiologique augmentent et le risque de
méconnaître un cancer masqué par les opacités mammaires
“glandulaires” augmente également. Un sein entièrement dense
mais à structure homogène pose moins de problèmes au radiologue qu’un sein un peu moins dense mais très hétérogène.
La classification Boyd ne fait référence qu’à la quantité de
graisse que contiennent les seins. Elle est simple et probablement
mieux reproductible, mais elle est peu utilisée en pratique (2).
D’autres classifications (en particulier Wolfe et Tabar), comme
le fait d’ailleurs la classification BI-RADS, tiennent compte à la
fois de la densité mais aussi de la structure des tissus mammaires.
Celle de Wolfe est contestée parce que mal reproductible et amène
à s’interroger sur la réelle valeur scientifique d’études fondées
sur une classification aussi peu reproductible (3). Certains
auteurs ont essayé de faire mieux en numérisant les films et en
utilisant pour classer les seins des éléments de texture (4-6),
mais il est difficile de dire si ces méthodes ont une cohérence
entre elles.
Pour des besoins d’études scientifiques, on peut partiellement
gommer les défauts de reproductibilité (par exemple du système
BI-RADS) en utilisant des lecteurs multiples. Ceci a été fait
dans une étude de Vachon dont le but était d’évaluer les modifications de la densité du sein sous traitement hormonal et qui a
sélectionné les types BI-RADS 4 et associé une estimation
* Service de radiodiagnostic, centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre-lès-Nancy.
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
quantitative fondée sur un système d’aide informatisé (7). En
corrélant mammographie et IRM, Wei a aussi montré que la
densité mammographique est bien corrélée avec la quantité de
tissu fibro-glandulaire contenue dans le sein (8).
On constate cependant que beaucoup d’études épidémiologiques
ont utilisé, pour apprécier la densité des seins, des méthodes
imparfaites sujettes à la subjectivité et peu reproductibles, et
le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas de standard
en la matière.
Le radiologue sait par ailleurs qu’il y a deux éléments de densité très différents dans le sein : la graisse qui apparaît noire sur
une mammographie et des éléments de densité hydrique : eau,
tissu de soutien et éléments glandulaires. Ces derniers sont, sous
le regard du microscope, en petite quantité (moins de 5 %) et
l’évaluation de la quantité de “glandes” qu’il y a dans un sein
ne peut pas être prédite par la mammographie. Il n’est pas possible non plus de dire dans les 95 % “d’opacité” qui n’est pas
d’origine glandulaire quelle est la proportion d’eau et de tissu
conjonctif (pour s’en convaincre, il suffit de regarder des mammographies à différentes périodes du cycle ou les mammographies des patientes en décompensation cardiaque). Il semble,
de plus, n’y avoir aucune corrélation entre la densité radiologique des seins et les éventuelles anomalies histologiques
bénignes ou frontières qu’on peut y trouver (9). On ne fait pas
radiologiquement la différence entre une surcharge hydrique
et une prolifération épithéliale.
La densité du sein telle qu’elle va apparaître sur le film dépend
de l’épaisseur du sein (c’est-à-dire de son volume, mais aussi de
son degré de compression), des constantes radiologiques (kilovoltage et quantité de rayons X, types de détecteur, analogique,
c’est-à-dire couple écran-film ou détecteur numérique), du développement, s’il s’agit d’un film, ou des algorithmes de présentation du réglage des moniteurs des consoles d’interprétation et de
la reprographie, s’il s’agit de technique numérique, encore que
l’appréciation de la densité du sein ne semble pas être différente
selon que l’on travaille en conventionnel ou en numérique. Les
réglages peuvent influencer la densité optique perçue par l’œil.
Il faut aussi savoir que les paramètres pour les réglages de
l’exposition sont adaptés selon la patiente mais aussi selon les
souhaits des radiologues qui peuvent avoir des préférences individuelles en termes de densité optique et de contraste.
3
É
D
I
T
O
R
I
A
Par ailleurs, on regarde généralement les films sur un négatoscope. Selon la puissance et l’éclairement de celui-ci, la perception que le lecteur aura de la densité optique des films sera
très variable. (La mesure des densités optiques avec un densitomètre ou en numérisant les films pourrait permettre d’avoir des
valeurs objectives.)
Il résulte de tout cela que l’on ne sait pas en réalité définir avec
précision à partir de quand un sein est dense ou non. Ce n’est
pas trop grave quand on évalue la sensibilité de la mammographie parce que les différences qui apparaissent sont relativement importantes. C’est en revanche beaucoup plus problématique quand on cherche à évaluer le risque qu’ont les femmes
qui ont des seins denses de présenter plus de cancers du sein que
les femmes dont les seins sont graisseux parce que le nombre de
cancers est faible et qu’une variation de classification peut avoir
des conséquences sur les conclusions finales. On peut présumer
que l’on n’a pas fini de spéculer sur le problème.
Beaucoup de publications montrent que les femmes qui ont les
seins denses ont plus de cancers (1, 2, 10) et que la densité du
sein est un facteur plus important de risque que par exemple le
THS, la consommation de graisse, d’alcool ou de tabac, l’indice
de masse corporelle (11).
Des publications montrent aussi que la densité du sein est un
facteur prédictif de l’apparition de plus de cancers, voire de
cancers plus agressifs (12). Les femmes avec des seins plus
denses seraient aussi susceptibles d’avoir plus souvent des apparentées au premier degré ayant eu un cancer du sein (13). On
a montré également que les patientes porteuses de mutations
BRCA1 et BRCA2 ont tendance à avoir des seins plus denses
(14) et que la densité mammographique est associée au risque
de cancer du sein chez des femmes qui ont des antécédents familiaux de la maladie (15).
On sait par ailleurs de manière certaine que les traitements hormonaux substitutifs sont responsables chez certaines femmes
d’une augmentation de la densité mammaire.
En revanche, selon la littérature, les Chinoises ont des seins
petits et denses et pourtant, jusqu’à une période récente, étaient
beaucoup moins exposées à avoir un cancer du sein que les
femmes européennes ou nord-américaines (16). La densité du
sein n’est donc qu’un élément parmi les facteurs de risque qu’a
une femme d’avoir un cancer du sein, et pour les Chinoises, le
risque pourrait augmenter si leur mode de vie évoluait de manière
significative.
On sait enfin qu’il n’y a aucune limite d’âge pour ce qui est de
la probabilité d’avoir un sein dense (17).
Au total, même si l’on admet que les femmes qui ont les seins
denses ont effectivement plus de cancers du sein, il faudrait
certainement tenir compte aussi d’autres facteurs de sur-risque
(alimentation, THS, ethnie, antécédents familiaux, antécédents
de mastopathie à risque…).
Pour en venir à l’imagerie, il est certain que la densité mammaire est effectivement un facteur prédictif indépendant de la
sensibilité de la mammographie pour le diagnostic de cancer du
sein (18), et le sein “dense” représente pour le radiologue une
réelle difficulté.
4
L
La diminution de sensibilité et de spécificité de la mammographie est bien étayée dans la littérature (19, 20, 21), mais une
bonne technique radiologique permet cependant de voir correctement à travers certains seins dits “denses”.
La presque totalité des unités de mammographie dispose d’un
échographe à proximité. L’utilité de l’échographie dans les seins
denses a fait l’objet de multiples discussions. Les publications
les plus récentes montrent cependant que le taux de détection de
cancers non visibles en mammographie est loin d’être négligeable (1, 22, 23).
Le programme de dépistage français inclut l’examen clinique.
C’est déjà une première réponse pour diminuer le nombre de
faux négatifs de la radiologie. Il permet aussi le recours à l’échographie en cas de besoin (mais la limitation à 7 % des cas où on
peut réaliser une échographie pose des problèmes et nécessite
une réflexion dans le cadre du programme national français, et
si on utilise l’échographie dans les seins denses, il faudra bien
justifier cette pratique en l’évaluant), et on sait que la sensibilité
de l’échographie s’améliore à mesure que le pourcentage de
graisse contenu dans le sein diminue. Il n’y a donc aucune raison d’exclure du dépistage une femme dont les seins sont plus
denses, pas plus que celle qui a des seins volumineux ou dont la
morphologie est mal adaptée à la mammographie, puisqu’en cas
de difficulté, rien n’empêche un radiologue de faire une échographie complémentaire.
On peut ajouter que, dans le dépistage organisé, on bénéficie
d’une double lecture qui n’existe pas dans le dépistage sur prescription individuelle, ce qui réduit indiscutablement le risque de
faux négatifs. Le programme de dépistage français prévoit aussi
que certaines femmes doivent être suivies en dehors du programme avec des protocoles adaptés et on peut penser que ces
femmes ont peut-être plus souvent des seins denses que celles
qui n’ont pas de facteur de risque identifié.
On peut aussi s’interroger sur l’opportunité de proposer un
rythme de surveillance plus rapproché et des échographies plus
systématiques aux femmes dont les seins seraient particulièrement denses, mais il paraît dans l’immédiat plus opportun de
s’efforcer d’amener au dépistage systématique un maximum de
femmes que de concentrer des efforts organisationnels et financiers supplémentaires sur une sous-population particulière, mal
délimitable, et pour laquelle l’utilité de stratégies de dépistage
différentes n’est pour l’instant pas démontrée. Cela d’autant plus
qu’il peut y avoir des effets délétères qui devraient être pris en
compte comme c’est également le cas pour le dépistage tel qu’il
est proposé à l’ensemble de la population. On en revient à
l’indispensable évaluation de ce qui va se passer dans le programme français de dépistage.
Si on veut être logique, faudrait-il aussi interdire certains traitements hormonaux aux femmes qui ont des seins denses et arrêter
de prescrire le THS aux femmes dont les seins seraient devenus
denses sous THS (ou leur proposer d’autres manipulations hormonales) ?
Certes, il y a des seins denses, mais on ne sait pas bien quelle est
la limite précise entre un sein dense et un sein qui ne l’est pas.
Il n’y a pas de problème pour les extrêmes, mais les limites entre
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
les catégories BI-RADS sont imprécises. Il semble avéré que la
densité du sein augmente le risque de cancer, mais pour évaluer
réellement ce risque, il faudrait une méthodologie sans faille, qui
pour l’instant reste à définir, et aussi tenir compte de l’ensemble
des autres facteurs de risque qui peuvent être associés. L’idéal
serait de disposer d’études multivariées pour dire si la densité
du sein est un facteur indépendant et/ou quels autres facteurs il
faudrait aussi prendre en compte. On est sûr qu’en mammographie, la densité du sein augmente le risque de cancer raté. Le
radiologue sait gérer globalement le problème que pose cette
surdensité (une bonne technique radiologique réduit le pourcentage de “seins denses”, et l’obligation des contrôles de
qualité a permis, chaque fois qu’ils ont été mis en place, d’améliorer la qualité des clichés). On sait aussi que l’échographie est
un complément utile lorsque le sein est dense et hétérogène et il
est tout à fait possible de l’utiliser dans le cadre du dépistage,
mais il faut s’engager à évaluer cette pratique et qu’elle soit
recommandée pour les femmes avec prédisposition génétique.
En France, pour l’instant, il n’y a aucune raison d’exclure du
dépistage une femme, quelles que soient la taille ou la densité
de ses seins, parce que les modalités de ce dépistage donnent des
garanties d’efficacité et qu’elles se rapprochent en fait de celles
d’un examen de diagnostic. Une prise en charge en dehors des
campagnes les priveraient de l’indispensable double lecture des
clichés. Il n’y a aucune raison sérieuse non plus d’exclure du
dépistage les femmes qui, sous THS, auraient vu augmenter
la densité de leur sein, mais on peut aussi conseiller de s’en tenir
aux recommandations de l’ANAES en matière de prescription
des traitements hormonaux substitutifs. Cependant, le véritable
débat n’est pas seulement de nature scientifique ou technique
mais bien de nature médico-économique, et il reste à déterminer
si c’est la société ou le médecin à titre individuel qui doit déterminer quel doit être le rapport coût-efficacité des stratégies de
diagnostic mises en œuvre.
■
Remerciements aux Drs Henri Tristant et Philippe Troufléau
pour l’aide qu’ils ont apportée à l’auteur.
R
É
F
É
R
E
N
C
E
S
B
I
B
L
I
O
G
R
A
P
H
I
Q
U
E
S
1. Leconte I, Feger C, Galant C et al. Mammography and subsequent wholebreast sonography of nonpalpable breast cancers : the importance of radiologic
breast density. Ajr 2003 ; 180 : 1675-9.
Sein, hormones et antihormones
26 es Journées de la Société française
de sénologie et de pathologie mammaire
2. Boyd NF, Bynd JW, Jonc RA et al. Quantitative classification of mammographic
densities and breast cancer risk : results from the Canadian National Breast
Screening study. J Nat Cancer Inst 1995 ; 87 : 670-5.
3. Sala E, Warren R, McCann J et al. Mammographic parenchymal patterns and
breast cancer natural history – a case-control study. Acta Oncol 2001 ; 40 : 461-5.
4. Byng JW, Yaffe MJ, Lockwood GA et al. Automated analysis of mammographic
densities and breast carcinoma risk. Cancer 1997 ; 80 : 66-74.
5. Caldwell CB, Stapleton SJ, Holdsworth DW et al. Characterization of mammographic parenchymal pattern by fractal dimensions. Phys Med Biol 1990 ; 35 : 235-47.
6. Magnin IE, Cluzeau F, Odet CL, Bremond A. Mammographic texture analysis :
an evaluation of risk for developing breast cancer. Opt Eng 1986 ; 25 : 780-4.
7. Vachon CM, Sellers TA, Vierkant RA et al. Case-control study of increased
mammographic breast density response to hormone replacement therapy. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2002 ; 11 : 1382-8.
8. Wei J, Chan H, Helvie MA et al. Breast density estimation on mammograms and
MR images : a tool for assessment of breast cancer risk. RSNA 2002, Chicago.
Supplement to Radiology, November 2002 ; 225 (P), 600-1.
9. Fisher ER, Palekar A, Kim WS, Redmond C. The histopathology of mammographic patterns. Am J Clin Pathol 1978 ; 69 : 421-6.
10. Boyd NF, Dite GS, Stone J et al. Heritability of mammographic density, a
risk factor for breast cancer. New Engl J Med 2002, 347 : 886-94.
11. Dicato M. Facteurs de risque non génétiques dans le cancer du sein. J Le
Sein 2003 ; 13 : 68-9.
12. Harrison DA, Duffy SW, Sala E et al. Deterministic models for breast cancer
progression : application to the association between mammographic parenchymal
pattern and histologic grade of breast cancers. J Clin Epidemiol 2002 ; 55 : 1113-8.
13. Ziv E, Shepherd J, Smith-Bindman R, Kerlikowske K. Mammographic breast
density and family history of breast cancer. J Nat Cancer Inst 2003 ; 95 : 556-8.
14. Huo Z, Giger ML, Olopade OI et al. Computerized analysis of digitized mammograms of BRCA1 and BRCA2 gene mutation carriers. Radiology 2002 ; 225 : 519-26.
15. Boyd NF, Lockwood GA, Martin LJ et al. Mammographic densities and risk
of breast cancer among subjects with a family history of this disease. J Nat Cancer
Inst 1999 ; 91 : 1404-8.
16. Alagaratnam TT, Wong J. Limitations of mammography in chinese females.
Clin Radiol 1985 ; 36 : 175-7.
17. Feig SA. Age-related accuracy of screening mammography : how should it
be measured ? Radiology 2000 ; 214 : 633-40.
18. Mandelson MT, Oestreicher N, Porter PL et al. Breast density as a predictor
of mammographic detection : comparison of interval- and screen-detected cancers.
J Nat Cancer Inst 2000 ; 92 : 1081-7.
19. Lehman CD, White E, Peacock S et al. Effect of age and breast density on
screening mammograms with false-positive findings. Ajr 1999 ; 173 : 1651-5.
20. Van Gils CH, Otten JDM, Verbeek ALM et al. Effect of mammographic
breast density on breast cancer screening performance : a study in Nijmegen,
the Netherlands. J Epidemiol Community Health 1998 ; 52 : 267-71.
21. Wang J, Shih TT, Hsu JC, Li YW. The evaluation of false negative mammography from malignant and benign breast lesions. Clin Imaging 2000 ; 24 : 96-103.
22. Crystal P, Strano SD, Shcharynski S, Koretz MJ. Using sonography to
screen women with mammographically dense breasts. Ajr 2003 ; 181 : 177-82.
23. Kolb TM, Lichy J. Newhouse JH. Comparison of the performance of screening mammography, physical examination, and breast US and evaluation of
factors that influence them : an analysis of 27 825 patient evaluations. Radiology 2002 ; 225 : 165-75.
Coordonnateurs :
Anne Lesur, Yves Kessler
et Jean-Luc Verhaeghe
Secrétariat du congrès :
Baron Communication
Tél. : 03 83 35 10 50 – Fax : 03 83 35 95 30 – E-mail : [email protected]
Nancy, Palais des Congrès, 10-12 novembre 2004
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
5
Téléchargement