Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun Durkheim, « De la définition des phénomènes religieux » Repère : « transcendant / immanent » 1. Quel est l’objet de ce texte ? Après avoir écarté, dans la première partie des Formes élémentaires de la vie religieuse, plusieurs définitions de la religion couramment admises (la religion comme réaction humaine devant ce qui est incompréhensible et mystérieux ; la religion comme croyance en l’existence d’un ou plusieurs dieux), Durkheim examine, dans la deuxième partie, ce qui caractérise le fait religieux dans son universalité. Il se propose de dégager les traits communs à toutes les religions au-delà de leurs différences, en les considérant comme des faits sociaux à part entière. Ainsi est-il amené à distinguer les croyances et les pratiques religieuses de la morale et du droit avec lesquels on se serait tenté de les confondre. Durkheim se demande par la suite quelle est la cause des phénomènes religieux. Comment expliquer, en effet, le sentiment de respect et la transcendance religieux ? 2. Comment Durkheim définit-il le culte religieux ? Durkheim définit le culte religieux comme l’ensemble des pratiques concernant les choses sacrées. C’est ce qui le différencie des autres pratiques sociales avec lesquelles le culte religieux présente des similarités. En tant que pratique sociale, le culte religieux comprend, en effet, des manières d’agir définies qui sont obligatoires à l’instar des prescriptions rituelles des maximes morales et juridiques. Le culte religieux ne se caractérise pas non plus, comme on le croit généralement, par le rapport qu’il établit entre les hommes et les dieux, puisqu’il existe des rites sans dieux. C’est donc le sacré et sa distinction d’avec le profane qui constitue l’objet propre du culte religieux. 3. Quelles sont les caractéristiques des croyances religieuses ? Les croyances religieuses ont ceci de caractéristique qu’elles sont socialement obligatoires : « la société qui les professe ne permet pas à ses membres de les nier ». Que ce soit l’Israélite, le Chrétien ou le Bouddhiste, il est tenu, en tant que membre d’une communauté de croyants ayant en partage la même foi, d’adhérer à cette croyance collective, de partager les « dogmes essentiels de son Eglise ». Si le contenu de ces croyances (dogmes, mythes, légendes religieuses) varie d’une religion à une autre, on reconnaît une croyance religieuse à sa dimension impérative, voire coercitive. L’individu n’a pas d’autre choix que d’adhérer à la foi commune. Durkheim souligne qu’il y a toujours « une pression exercée par la société sur ses membres pour empêcher qu’ils ne dévient de la foi commune. » L’essentiel est de protéger les dogmes essentiels contre Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun « les audaces de la critique ». La société réprime le refus des croyances communes par différents moyens. Pour ce faire, toutes sortes de châtiments plus ou moins sévères sont mis en œuvre comme le blâme, la mise à distance, l’exil à l’intérieur du groupe. Durkheim en conclut que plus les croyances sont religieuses, plus elles sont obligatoires. En tant qu’opinions obligatoires, les représentations religieuses s’opposent aux autres représentations, c’est-à-dire aux « libres opinions ». 4. Qu’est-ce qui distingue le sacré et le profane ? Selon Durkheim, la division des choses en sacrées et en profanes est à la base de toute organisation religieuse quelle qu’elle soit. La distinction du sacré et du profane est donc universelle. Les représentations d’ordre religieux sont des opinions obligatoires que l’individu trouve toutes faites sous les traits de traditions auxquelles il conforme respectueusement sa pensée. Ces traditions que l’individu doit respecter scrupuleusement portent sur des êtres d’une nature très différente de celle des réalités ordinaires. Le sacré est séparé du profane par une « ligne de démarcation » qui signe entre ces deux monde une différence non pas simplement de « grandeur », mais de « qualité », c’est-à-dire de nature. Par extension, le sacré désigne ce qui est mis à part, ce qu'on met à l'écart, à l'abri et qui est, pour cette raison, inviolable, tabou, intouchable, exigeant le respect absolu. Le sacré est un ensemble de réalités - êtres, choses, lieux, moments - séparées du monde profane ordinaire, dans lesquelles se manifeste une puissance jugée supérieure, qu’on ne peut donc aborder qu’avec précaution, c’est-à-dire rituellement. Les rites rendent possibles la communication entre le sacré et le profane, sans que le sacré soit souillé par son contact avec le profane. Ainsi, dans le fameux épisode du buisson ardent, l'Éternel dit à Moïse : « N’approche pas d’ici, ôte tes chaussures de tes pieds ; car ce lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Exode, III, 5). Au contact de l’être ou de l’objet sacré, l’homme religieux fait donc l’expérience d’un “tout autre”, d’une transcendance. 5. Qu’est-ce qui distingue la religion de la morale et du droit ? Les croyances religieuses ont en commun avec le droit et la morale d’être impératives. Mais il ne faut pas confondre les croyances obligatoires (certaines manières de penser) dont relève la religion et les pratiques obligatoires (certaines manières de se conduire) auxquelles ressortissent le droit et la morale. Il y a donc entre la religion, la morale et le droit toute la différence qu’il y a « entre penser et agir, entre les fonctions représentatives et les fonctions motrices ou pratiques ». De ce point de vue, les préceptes du droit et de la morale se différencient de la religion en ce qu’ils ne reposent sur aucun système de croyances obligatoires. 6. Comment Durkheim définit-il les phénomènes religieux ? D’où la définition que propose Durkheim des phénomènes religieux : « On appelle phénomènes religieux les croyances obligatoires ainsi que les pratiques relatives aux objets donnés dans ces croyances. » Durkheim insiste sur la solidarité qu’il y a, dans les Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun phénomènes religieux, des pratiques et des croyances. Une croyance n’est religieuse que si elle aboutit à des pratiques. Dans la religion, la pensée et l’action sont intimement liées. Par exemple, le dogme de la transsubstantiation est relié à la communion chrétienne. Les « croyances communes d’ordre laïque, comme la foi au progrès, en la démocratie, etc. » ne débouchent pas nécessairement sur des manières d’agir spécifiques, c’est-à-dire sur des cultes. Pour que l’on puisse parler de phénomène religieux, il faut donc que les croyances collectives se traduisent en un système de pratiques déterminées. 7. Quelle est la source du sentiment de respect religieux ? La dépendance vis-à-vis de la société est la source du sentiment de respect religieux. Nous avons vu que ce qui caractérise les croyances comme les pratiques religieuses, c’est qu’elles sont obligatoires. Or, précise Durkheim, « tout ce qui est obligatoire est d’origine sociale ». La raison en est que toute obligation implique un commandement et, par conséquent, une autorité qui commande. Les règles auxquelles l’individu est tenu de se conformer émanent d’une autorité morale qui les lui impose. Cette autorité qui s’impose à l’individu, qui le domine, le transcende, est l’autorité du groupe auquel il appartient. C’est donc dans la dépendance dans laquelle se trouve l’individu à l’égard de la société que s’enracine le sentiment de respect religieux. Ce dernier est, en réalité, une transposition du sentiment de déférence que l’individu éprouve envers le corps social. 8. La cause des phénomènes religieux est-elle individuelle ? La cause des phénomènes religieux est de nature sociale et non individuelle. La source de la religiosité ne se trouve pas dans des sentiments privés ou des dispositions psychologiques particulières, mais dans la nature des sociétés auxquelles ces sentiments et dispositions se rapportent. En s’inclinant devant les traditions, les dogmes, les mythes considérés comme sacrés, l’individu s’incline, en réalité, devant des forces sociales qui ont éveillé les croyances religieuses et les ont déterminées à s’exprimer sous telle ou telle forme. C’est donc dans l’organisation sociale elle-même, et dans la façon dont celle-ci a pu évoluer au cours de l’histoire, qu’il faut chercher la cause des phénomènes religieux. 9. Comment comprendre la transcendance religieuse ? Vous rappellerez ici le sens du repère « transcendant / immanent ». Est transcendant ce qui dépasse l'expérience ordinaire (latin transcendere, « passer audelà », «surpasser »), ce qui est d'une nature supérieure, séparée de la réalité ordinaire ou sensible, ce qui est au-delà de toute expérience possible. Est immanent (latin immanere, « résider dans »), ce qui relève d'une causalité interne, ce qui n'excède pas l'expérience possible, ce qui est à l'intérieur du monde sensible. Durkheim considère que la transcendance religieuse n’est mystérieuse que si on la fait dériver de l’individu. Elle devient, au contraire, compréhensible en termes sociologiques. La transcendance religieuse n’est pas à chercher dans quelque mystérieuse disposition psychologique (hallucination, fantasmagorie, sommeil, rêve…), mais dans « l’esprit collectif » entendu comme la « manière sui generis dont pensent les hommes, quand ils pensent Lycée franco-mexicain Cours Olivier Verdun collectivement ». La transcendance religieuse traduit à sa façon le mystère que constitue l’ordre social dont la manière d’être et de penser échappe aux individus, - mystère provisoire qui exprime notre ignorance à l’endroit des choses sociales et que la science peut espérer dissiper peu à peu. Le caractère mystérieux de la transcendance religieuse découle de ce que les « lois de l’idéation collective » sont encore mal connues. Durkheim en conclut que ces représentations étranges que la religion exprime perdront leur étrangeté dès lors que l’esprit humain aura réussi à pénétrer ces lois. 10. D’où les formes privées de religiosité dérivent-elles ? Les formes privées de religiosité dérivent de la religion impersonnelle et sociale. Par forme privée de religiosité Durkheim entend la façon dont chacun se constitue, à côté des objets de culte communs, ses propres dieux ou totems privés et modifie, sur tels ou tels points particuliers, la conception traditionnelle, en s’imposant d’autres pratiques que la loi religieuse commune ne réclame pas impérativement. Il y a donc souvent place, à côté de la religion que « l’on reçoit de la tradition, qui est faite par tout un groupe et que l’on pratique obligatoirement », pour une religion « libre, privée, facultative », que l’on se fait à soi-même comme on l’entend. La religion privée est tournée tout entière vers l’individu, tandis que la religion traditionnelle est tournée vers la société. Durkheim insiste sur le fait que la foi privée dérive de la foi publique. La foi privée n’est autre qu’une représentation individuelle de la foi publique que l’individu va partiellement individualiser, idée que Durkheim résume comme suit : « cette religion intime et personnelle n’est donc que l’aspect subjectif de la religion extérieure, impersonnelle et publique. » C’est dire que si absorbé que soit l’individu dans la société, il n’y a pas de formes de l’activité collective qui ne s’individualisent. Chacun de nous, en effet, a « sa morale personnelle, sa technique personnelle, qui, tout en dérivant de la morale commune et de la technique générale, en différent. »