L'Horreur religieuse
Joseph Macé-Scaron, Ed Plon- nov. 2016
par Patrick Kessel
Président du Comité Laïcité République
Les religions sont-elles responsables des crimes commis en leur nom?
La question n'est pas nouvelle que se pose immanquablement tout
lecteur un peu critique des livres "sacrés", hantés de crimes, de
guerres, de massacres, de fratricides, de violence davantage que
d'amour et d'amitié. Au-delà de leurs lectures ésotériques et
spiritualistes, l'actualité nous rappelle à la réalité. La longue litanie
des attentat barbares commis au nom de l'islamisme radical fait
ressurgir la question : et si le ver était dans le fruit ? Ainsi s'interroge
Joseph Macé-Scaron, président du comité éditorial de l'hebdomadaire
Marianne, qui, dans son dernier ouvrage, l'Horreur religieuse (Ed
Plon- nov. 2016), publié un an après l'horreur du Bataclan, pourfend
les faux amis et les idiots utiles de la laïcité et met en garde contre le
retour des démons obscurantistes.
Alors qu'il n'est plus guère possible d'innocenter le nazisme de la
solution finale ni le stalinisme de l'enfer du goulag, il demeure très
politiquement incorrect de s'interroger sur la responsabilité des
religions et sur le sens de leur retour en politique.
"La France est en train de perdre la bataille face à l'horreur religieuse
dont l'islamisme est l'avant-garde", écrit l'auteur. Qu'adviendrait-il si
d'aventure les églises catholique ou évangélistes retrouvaient le
pouvoir qu'elles ont perdu en Occident ? "Lorsqu'il est en mesure de
le faire, le catholicisme n'hésite pas une seconde à imposer ses vérités :
censure cinématographique, divorce, contrôle des naissances", écrit
l'éditorialiste.
Alors pourquoi ce déni de la responsabilité du religieux chez les
nouveaux chevaliers de l'Apocalypse ? L'auteur rappelle le temps qu'il
a fallu et les bégaiements sémantiques qui l'ont accompagné pour
nommer clairement les assassins qui ont frappé sur notre sol. Il
souligne les efforts médiatiques et politiques pour expliquer que
chaque agression est "sûrement l'action d'un déséquilibré", souligner
les "lacunes théologiques du tueur", marteler que "la religion n'a rien
à voir dans cette affaire", affirmer que ces attentats, Charlie, hyper-
casher "n'avaient rien à voir avec l'islam", même après que l'Etat
islamique a revendiqué l'attentat.
Les coups les plus rudes vinrent parfois d'horizons inattendus. "Nous
avions pensé - un temps- que l'immense manifestation du 11 janvier, le
plus grand rassemblement de citoyens depuis 1945, cette prodigieuse
marée humaine, allait nettoyer ces écuries d'Augias idéologiques. Il
n'en fut rien". Et cette France généreuse fut traitée de "revancharde",
accusée de porter "un préjugé raciste", invitée à négocier un
"accommodement " avec l'islam au nom d'une "laïcité de
complaisance". Sous certaines plumes, la laïcité devint ainsi un
"archaïsme désolant" qu'elles opposaient à la religion, « moderne et
plus tolérante » ! Des plumes passées d'un absolutisme à l'autre, qui,
pour certaines, n'avaient pas vu la trace de l'islamisme radical dès les
origines de l'indépendance algérienne (voir l'excellent livre de Jean
Birnbaum - le silence religieux- Ed du Seuil), de la révolution
iranienne et plus récemment au cœur du mouvement palestinien dont
le symbole, le "fameux keffieh" a éremplacé par "le fumeux hijab",
constate l'auteur.
Ce qu'ils ne veulent pas voir, c'est qu'avec l'essentialisation des
différences religieuses, c'est une machine de guerre contre
l'universalisme publicain qui est à l'œuvre. "Derrière les islamistes,
en embuscade, se trouvent des gens beaucoup plus nombreux qui ont
beaucoup plus de force, beaucoup plus de puissance et qui n'attendent
qu'une chose, c'est que les musulmans fassent le sale travail pour
pouvoir s’engouffrer dans la brèche", rappelle l'auteur, citant Charb,
l'ancien directeur de Charlie Hebdo, assassiné en janvier 2015 (Charb
-Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes - Les
échappées, 2015)
Ce retour du religieux est à l'œuvre, désormais visible, partout. "Il a
envahi notre quotidien et nous avons fini par accepter l'inacceptable.
Voir l'Exécutif se presser au Vatican pour une canonisation, des élus
rompre le jeûne du ramadan, des ministres porter kippa en se rendant
à des manifestations du Crif. Voir le ban et l'arrière-ban de la
République regroupés sous les fourches gothiques de Notre-Dame
pour écouter le sermon du cardinal de Paris, l'esprit de Torquemada,
sans le souffle de Bossuet". Etre gavé aux journaux télévisés d'images
sur les voyages du Pape, mais quasi sevré d'informations sur les
scandales financiers du Vatican et les crimes pédophiles. Ce religieux
s'invite à l'école. Ce n'est pourtant pas à elle de s'adapter aux
minorités religieuses ! Comme il s'est invité dans la rue contre le
mariage pour tous, dans le droit-fil des débats posés par le foulard à
l'école, la prière dans la rue, les repas dans les cantines, les
programmes scolaires, l'apartheid sexuel dans les piscines publiques,
le refus qu'une femme puisse être examinée par un médecin homme à
l'hôpital publicpoursuit le journaliste. Comme il s'invite au-delà de
l'Hexagone aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne quand il s'agit de
polygamie, de mariages forcés, du statut des femmes. En Italie dont le
chef du gouvernement a fait recouvrir d'un voile pudique les statues
de femmes dénudées du Capitole, à l'occasion d'une visite du chef de
l'Etat iranien !
Désormais, cette offensive du religieux se présente de plus en plus en
force politique. Et tout cela sans que personne ne trouve rien à redire
comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde.
Qu'importe que Kamel Daoud, l'écrivain algérien, soit contraint de
vivre sous protection pour avoir dénoncé les agressions sexuelles de
Cologne après avoir subi en contre-coup la violence verbale de la bien-
pensance parisienne.
"Il y a bien longtemps que la religion n'a pas été à ce point au-devant
de la scène, revisitant notre passé, écrasant notre présent,
empoisonnant notre futur. La religion porte en elle désormais le
fanatisme, l'obscurantisme, le dogmatisme. Elle redevient - mais a-t-
elle cessé un instant de l'être- la première forme historique de
totalitarisme réussi" écrit Macé-Scaron.
Pour autant l'auteur ne jette pas le bébé avec l'eau du bain. Il
n'attaque ni la foi, ni le croyant et s'interdit toute conclusion définitive
sur le sujet. Pas question d'abandonner la question du sens aux
religions qui se donnent à voir en dépositaires universels de la
spiritualité. "Comme si un infidèle était incapable de connaître l'éveil,
l'émerveillement, le mystère ou la reconnaissance à travers l'art,
l'amitié, la littérature, la musique, l'amour ou la nature faute d'avoir
lu les textes sacrés. La prétention de s'élever des sommités religieuses
est le plus souvent lesté par leur souci de préempter le pouvoir".
"Ce n'est pas le croyant mais la croyance, ce n'est pas le religieux mais
la religion qui m'indispose. Ni les dieux, ni les fidèles ne me
contrarient tant qu'ils ne décident pas de se regrouper en essaim et
qu'ils n'ambitionnent pas de façonner nos identités et nos existences.
J'ai souvent cru, moi aussi, croiser Dieu, ou peut-être son illusion, son
apparence, ses traces". Au terme de ce périple politique et spirituel,
par définition inachevé, sur les traces de Montaigne, Joseph Macé-
Scaron nous invite à "construire une identité sans être assigné à
résidence", à de ne jamais refuser de nous servir de notre
entendement et à se trouver une "communau lorgnant vers
l'universel".
Un ouvrage écrit d'une plume alerte, aux références précises, aux
formules acérées, aux constats impertinents mais lucides, qui retentit
comme un vibrant appel au réveil.
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