L'ÉCO-SCEPTICISME ET LE REFUS DES LIMITES
Dominique Bourg
S.E.R. | « Études »
2010/7 Tome 413 | pages 29 à 40
ISSN 0014-1941
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-etudes-2010-7-page-29.htm
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Pour citer cet article :
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Dominique Bourg, « L'éco-scepticisme et le refus des limites », Études 2010/7
(Tome 413), p. 29-40.
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29Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Juillet-Août 2010 – n° 4131-2
Philosophe, professeur à l’Université de Lausanne, Institut des politiques
territoriales et de l’environnement humain.
Société
Bau-delà des quelques climato-sceptiques, l’éco-scep-
ticisme aecte la prise de conscience des enjeux écolo-
giques. Son impact sur lopinion et laction politique
témoigne que le message écologique a du mal à passer. Il sagit
dun déni des limites à l’échelle dune civilisation fondée sur
l’économie de marché et lexigence de satisfaire des désirs in-
nis pour une population croissante. Nous sommes confrontés
sur tous les fronts aux limites de la planète et donc à la néces-
sité de changer profondément lorganisation de nos sociétés et
de nos modes de vie. Cette prise de conscience, acquise pour
les écologistes mais pas pour lopinion publique, forgera la
démocratie à venir.
Une exception française paradoxale
Le Grenelle de lenvironnement arrive à la n dun processus
de maturation de la réexion française en matre écologique.
La France a été un pays pionnier en matière denvironnement.
La gestion et protection administrative de la forêt remonte à
Philippe V. C’est encore la France qui, la première, encadre
légalement les manufactures à risque avec une loi de 1810. En
1853, les premières réserves naturelles au monde, que l’on
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et le refus des limites
DomiNique Bourg
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appela alors les « réserves artistiques », ont été créées. La loi
dérale instituant aux USA les parcs naturels nationaux a été
votée en 1872. La Société de protection de la nature, et plutôt
son ancêtre, la Société impériale zoologique d’acclimatation, a
été fondée en 1854. Elle n’avait pas pour nalité première la
protection de lenvironnement, mais c’est le rôle quelle nira
par jouer quelques décennies plus tard. C’est ainsi une certaine
précocité qui caractérise la société française sur les questions
environnementales. Rousseau est à l’origine du développe-
ment dun nouveau sentiment dempathie avec la nature au
e siècle. Dans laprès-guerre, la France a compté de nom-
breux hérauts de la pensée écologique avec Ellul, Charbonneau,
Jouvenel, Lévi-Strauss, Romain Gary, Dorst et même avant-
guerre, Giono, voire au e, Reclus, etc.
Toutefois ces pionniers n’ont jamais eu loreille de la
société française, ni celle des élites intellectuelles, politico-
administratives, économiques ou scientiques. Ces dernières,
formées en grande partie dans les préparations aux grandes
écoles, parlent le langage des mathématiques et de la physique ;
elles ne se risquent guère à se compromettre avec l’écologie qui
à ses débuts parle le langage d’une sous-branche de la biologie.
La donne va changer durant ces dix dernières années, car avec
la question du changement climatique, lécologie passe de la
biologie à la physique.
Du côté politique, la prise de conscience des enjeux éco-
logiques s’est résolument armée depuis une dizaine dan-
nées. De la charte de lenvironnement au pacte écologique, un
travail de maturation s’est opéré. Lécologie est devenue un
sujet noble. Le numéro 2 du gouvernement français est désor-
mais en charge de l’Ecologie. De nombreuses ONG dédiées à
lenvironnement ont vu le jour. La France nest plus désormais
à la traîne. Elle ne présente plus ce côté paradoxal, avec dun
des pionniers, et de lautre une société dans lensemble
plutôt indiérente. Le Grenelle met n à lexception française
et marque une forme de normalisation écologique. C’est au
demeurant un processus intéressant et innovant, avec ses
limites, car il na concerné que la société civile organisée, et
non le citoyen ordinaire. De même, administrativement, le
processus n’a été porté que par le ministère de l’Ecologie sans
prise en compte transversale, depuis Matignon.
En me temps, on voit émerger une vague éco-scep-
tique dont lecaciauprès des médias et de lopinion publique
démontre que la prise de conscience se fait sans réelle connais-
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sance des enjeux écologiques. Tout un travail d’information et
dacculturation reste donc à accomplir. Les problèmes de l’en-
vironnement se limitent souvent dans lesprit du grand public
à des questions de pollution qui sont certes bien elles, mais
ne représentent quun aspect des problèmes. La question fon-
damentale est davantage celle des limites de la planète. Nous
les avons même déjà dépassées en matière de composition
chimique de latmosphère ou dérosion de la biodiversité,
me si les conséquences nen sont pas immédiates. A une
population mondiale sans cesse croissante de 7 milliards
dhabitants à 9 milliards au milieu du siècle s’oppose une pla-
nète nie. A consommation constante, nous aurons épuisé
d’ici le siècle prochain nos réserves dénergies fossiles et les
gisements actuellement exploités de nombre de métaux tels
que lor, l’argent, le plomb, le cuivre, etc. A cela sajoute la
hausse de la température due au changement climatique.
La parenthèse du développement durable
Nous parlons de développement durable depuis plus dune
vingtaine dannées. C’était une tentative pour dissocier la
croissance du PIB de la consommation d’énergies et de res-
sources naturelles. Nous savons maintenant que c’est impos-
sible. Deuxième diagnostic sévère sur le développement
durable : ce devait être une démarche de prévention, dantici-
pation à l’échelle des problèmes globaux, tant en matière den-
vironnement que de répartition de la richesse. Or, force est de
constater que le développement durable est à cet égard un
échec, même s’il a inspiré maintes actions intéressantes à une
échelle locale, et également pour les entreprises. Sur le plan de
lenvironnement global, tous les indicateurs ont viré au rouge.
Nous nous heurtons en eet dans bien des domaines aux
limites de la plate : climat, biodiversité, acidication des
océans, usage des sols, usage de leau douce, pollutions
chimiques, etc. Létat des ressources fossiles, minérales et bio-
tiques est à l’image des ressources halieutiques : en trente ans
le poids moyen des poissons pêchés est passé de 800 à 150
grammes ! Durant la même période, en dépit de larrachement
à la misère de 600 millions d’Indiens et de Chinois, les iga-
lités se sont accrues : 2 % de la population mondiale se sont
accaparés 50 % de la richesse mondiale, alors que 50 % de la
population se partissent 1 % de la richesse mondiale. Sur le
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plan de lenvironnement, nous avons laissé passer la phase
danticipation. Nous allons devoir nous adapter à des condi-
tions de vie de plus en plus diciles, sur une planète exsangue
et bondée.
Repensons à ce que disaient les grands textes fonda-
teurs de la réexion écologique des années 70, ceux d’Illich,
des époux Meadows, les auteurs du rapport au Club de Rome,
de Georgescu-Roegen, Goldsmith ou Gorz. Tous nenvisa-
geaient d’autre possibilité quune décroissance des économies.
Or, nous sommes désormais contraints de considérer à nou-
veau cette perspective. Tel est par exemple la position défendue
en mars 2009 par la commission britannique du développe-
ment durable1. Le rêve dun découplage entre la croissance des
économies et la consommation de ressources a fait long feu. Il
convient donc de refermer la parenthèse du développement
durable. Cessons de croire que nous pouvons harmoniser une
économie purement nancière, dont les instruments visent à
rendre impossible toute considération de long terme, et la pré-
servation de la biospre. Finissons-en avec la rhétorique des
trois piliers et dun équilibre aussi trompeur que mensonger
entre les dimensions économique, sociale et écologique. Il
convient bien plutôt dinstituer de nouvelles gulations poli-
tiques et économiques. Nous devons faire face à la contradic-
tion frontale entre le cahier des charges de nos démocraties de
marc selon lesquelles il convient de produire et de consom-
mer le plus possible, et la préservation de la biosphère.
Un eort dacculturation a été accompli, et il est vrai
que depuis une dizaine dannées tout le monde parle denvi-
ronnement. Dans une société à paillettes comme la nôtre
les gens sont séduits par la nouveauté, cela nit peut-être par
produire un eet de lassitude. Nous prenons néanmoins
conscience des enjeux écologiques de long terme.
Tournons-nous vers le principe de précaution, qui est
un des principes clé du développement durable et qui devrait
lui survivre. Il est très mal compris, déjà à cause du mot lui-
me. Le public comprend dans « précaution », « précaution-
neux », donc « frileux ». En réalité, le principe de précaution
suppose pour son application deux conditions : 1) qu’il y ait
une incertitude scientique (ex. : la crise de la vache folle et ses
eets en matière de santé humaine, le changement climatique
quant au déploiement de ses conséquences), à savoir que lon
soit confronà des risques nouveaux, mal connus, non encore
expérimentés ; 2) que les dommages redoutés soient potentiel-
1. C f. Ti m Jac k s o n,
Prosperity without Growth.
e transition to a sustai-
nable economy, Sustainable
Development Commission
UK, mars 2009, livre dis-
ponible sur le web ou chez
De Boeck pour la traduc-
tion française intégrale.
Voir au s si D. Bou rg
& A. Papaux, Vers une
société sobre et désirable,
PUF, collection DDII,
2010.
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