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puissantes. Dès 1840, un consul anglais à Beyrouth verra le danger de cette
politique française et écrira au ministère des Affaires étrangères à Londres pour
suggérer que le gouvernement anglais tente de convaincre la communauté
israélite d’Angleterre de s’implanter en Palestine, afin que l’empire britannique
dispose à son tour d’une communauté religieuse qui lui serait dévouée2.
L’instrumentalisation des identités religieuses locales a commencé en fait dès
l’expédition de Napoléon Bonaparte en Egypte, lorsqu’il promet d’œuvrer pour le
rétablissement de la grandeur d’un Etat islamique, tout en promettant aussi aux
Juifs de les rétablir en Palestine3.
Le jeu des familles de notabilités locales à l’intérieur des rivalités coloniales
C’est donc dans ce contexte de rivalités féroces entre puissances européennes
que l’entité libanaise va naître dans la douleur. Cette rivalité, notamment celle
franco-anglaise va s’emparer, en effet, de l’ambition et de la rivalité des
dirigeants locaux et plus particulièrement celle entre deux figures majeures de la
féodalité tributaire de l’histoire libanaise au XIXe siècle, l’émir Béchir Chéhab
(maronite, jouissant de l’appui de l’Eglise maronite)4 et l’émir Béchir Joumblatt
(druze, jouissant de l’appui ottoman et anglais). L’émir Béchir, qui était resté
prudemment à l’écart de cette rivalité lors de l’expédition de Napoléon
Bonaparte, va s’allier en 1830 avec Mohammed Ali, le puissant vice-roi d’Egypte
soutenu alors par la France. Il permettra l’entrée de troupes égyptiennes sur le
territoire libanais, troupes qui entreront aussi en Syrie puis en Anatolie,
2 Ceci sera réalisé au début du xxe siècle, en 1917, avec la Déclaration Balfour (ministre des
Affaires étrangères de l’époque) adressée à lord Rothschild pour lui promettre la création d’un « foyer
national juif » en Palestine. Pour plus de détails, voir Adel ISMAÏL, Histoire du Liban du XVIIe siècle à nos
jours, Tome IV, Redressement et déclin du féodalisme libanais 1840-1861, Beyrouth, 1958, pp. 160-161 où
sont citées les sources consulaires françaises à ce sujet.
3 Voir Christian CHERFILS, Bonaparte et l’Islam, Pedone, Paris, 1914.
4 On notera ici que l’émir appartient à l’origine à une grande famille musulmane sunnite ; il s’est
converti au christianisme vraisemblablement pour jouir du soutien de la puissante église maronite et aussi
de la France.