Apathie : point sur un symptôme négatif de la schizophrénie Synthèse Bibliographique en Biologie et Biotechnologie Janvier 2014 Auteur : HOCDE Sébastien Université Rennes 1 – UFR SVE Master 2 Biologie Gestion Tuteur : DRAPIER Dominique Université Rennes 1 EA 4712 "Comportement et noyaux gris centraux" Remerciements : Je tiens à remercier le Professeur Dominique DRAPIER pour sa contribution et son aide lors de la réalisation de cette synthèse bibliographique. Note des responsables du diplôme : «Le tuteur chercheur a pour rôle de conseiller l'étudiant, l'orienter dans ses recherches bibliographiques, l'aider à comprendre les articles, en faire une synthèse de manière logique et rigoureuse. Il ne peut vérifier toutes les citations et interprétations de l'étudiant. Il ne peut donc s'engager vis à vis d'éventuelles erreurs ». 2 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 Apathie : point sur un symptôme négatif de la schizophrénie S. Hocdé Master Biologie-Gestion, UFR SVE Sciences de la vie et de l’environnement, Université de Rennes 1, Campus de Beaulieu, Bâtiment 13, 263 avenue Général Leclerc, 35042 Rennes cedex, France. Résumé L’apathie est un symptôme négatif prépondérant dans la schizophrénie et son impact sur la vie quotidienne du patient est considérable. Pourtant, le niveau de savoir de l’apathie en tant que symptôme de la schizophrénie est limité et des débats existent pour s’accorder sur une définition précise. Ainsi, des modèles conceptuels récents ont proposé d’appréhender l’apathie comme un syndrome multidimensionnel ayant des origines émotionnelles, cognitives et d’auto-activation. D’autre part, on compte plusieurs échelles d’évaluation de l’apathie mais aucune n’est spécifique à la schizophrénie. De la même façon, les pistes de traitements de l’apathie ont principalement été étudiées dans la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, ce qui pose la question de la prise en charge des patients atteints de schizophrénie. Les structures cérébrales impliquées dans l’apparition de l’apathie sont communes à un nombre important de pathologies et de nombreux travaux ont montré que l’apathie pouvait être provoquée par des lésions au niveau des lobes frontaux et temporaux ainsi que des noyaux gris centraux. Enfin, des travaux supplémentaires doivent être envisagés afin d’améliorer les outils psychométriques permettant l’évaluation de l’apathie ainsi que les approches thérapeutiques permettant une prise en charge plus efficace. Sommaire Introduction ........................................................................................................................... 4 I- L’apathie ............................................................................................................................ 5 II- 1) Un symptôme négatif de la schizophrénie............................................................ 5 2) Une définition complexe qui évolue ...................................................................... 6 Les éléments d’explication de l’apathie ..................................................................... 10 III- Le diagnostic ................................................................................................................... 13 1) 2) Les protocoles d’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie .................... 13 Limites des protocoles d’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie .......... 15 IV- Pistes de traitements ...................................................................................................... 16 Conclusion ....................................................................................................................... 18 3 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 Introduction L’apathie est un trouble psycho-comportemental qui peut être défini comme une « baisse durable de la motivation, associée à une réduction des comportements volontaires et orientés vers un but » (Marin, 1991). Le diagnostic de l’apathie chez un patient représente un réel handicap qui entraine une diminution significative de la qualité de vie pour ce dernier ainsi que pour ses proches. Cette perturbation de la motivation est retrouvée dans différentes maladies dont la schizophrénie, où elle considérée comme le symptôme négatif associé le plus fréquent. Pourtant, l’apathie dans la schizophrénie est un symptôme encore mal compris et il a été longtemps confondu avec des troubles similaires. Les premiers travaux concernant l’apathie en tant que syndrome clinique à part entière ont été faits par Marin au début des années 90. En proposant une définition harmonisée de l’apathie autour du concept unique de motivation, Marin à rendu possible une première forme de diagnostic clinique afin de faciliter sa détection et sa prise en charge chez les patients. Depuis, de nombreux travaux sont venus compléter ces avancées. Cependant, le niveau de savoir de l’apathie dans la schizophrénie est encore faible et de nombreuses questions se posent par rapport à son évaluation et sa prise en charge thérapeutique. Cette synthèse bibliographique est une état des lieux des connaissances actuelles de l’apathie en tant que symptôme négatif de la schizophrénie. Ce rapport définira dans un premier temps la schizophrénie ainsi que la notion de symptôme négatif avant d’analyser les principaux modèles conceptuels de l’apathie et leur évolution. Ensuite, nous aborderons les éléments physiopathologiques de l’apathie et ses différentes échelles d’évaluation et nous terminerons par les différentes pistes de traitement retrouvées dans la littérature. 4 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 I- L’apathie 1) Un symptôme négatif de la schizophrénie L’apathie est un symptôme trans-nosographique retrouvé dans un ensemble de pathologies. C’est le cas par exemple dans certains troubles psychiatriques comme la schizophrénie et la dépression ainsi que dans différentes maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson (Mulin et al., 2011). Mais l’apathie n’est pas uniquement associée à des pathologies, elle peut se manifester à la suite de lésions susceptibles d’atteindre le cerveau, comme chez certains patients ayant été victimes de traumatismes crâniens ou d’accidents vasculaires cérébraux (Rao et al., 2007). Enfin, dans certains cas, elle peut être considérée comme une composante normale du vieillissement chez des individus sains (Brodaty et al., 2010). Cet article s’intéresse plus particulièrement à l’apathie en tant que symptôme de la schizophrénie. Afin de resituer ce symptôme dans son contexte, il est nécessaire de définir tout d’abord la schizophrénie. La schizophrénie L’INSERM définit la schizophrénie comme un trouble appartenant à la catégorie diagnostique des psychoses délirantes chroniques. Ainsi, elle est marquée par des « idées délirantes, reflet d’une perte du contact vital avec la réalité, et une dissociation, véritable dislocation de la vie psychique (cognitive et affective) ».1 La maladie touche autant les hommes que les femmes et apparait généralement de façon graduelle au début de l’âge adulte. Sa prévalence à l’échelle mondiale est d’environ 0,4% (Bhugra, 2005). D’après la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), la schizophrénie est une maladie évolutive qui comporte cinq phases: la phase prodromique (ou début de la maladie), la phase aiguë, la phase résiduelle, la phase stable et la rechute. Ces phases se succèdent souvent dans l'ordre et par cycles durant toute http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-dinformation/schizophrenie 1 5 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 la durée de la maladie. Au cours de leur vie, les personnes atteintes de schizophrénie peuvent connaître plusieurs épisodes aigus. Les symptômes de la schizophrénie Les symptômes de la schizophrénie se classent dans deux catégories : les symptômes positifs et les symptômes négatifs. Les symptômes positifs sont les comportements ou les manifestations qui apparaissent chez une personne au cours de la maladie (idées délirantes, pensés désordonnées) , tandis que les symptômes négatifs sont les comportements ou les sensations qui disparaissent (diminution de l’affectivité, perte d’ambition et manque d’enthousiasme) (Tandon et al., 2013). L’apathie appartient à la catégorie des symptômes négatifs que l’on peut rencontrer dans la schizophrénie. Dans les descriptions de Kraepelin et Bleuler, les signes d’apathie comme « l’indifférence » et le « manque d’intérêt » étaient déjà reconnus comme des aspects essentiels de la schizophrénie (Konstantakopoulos et al., 2011). La prévalence de l’apathie est d’environ 51% chez les patients ayant vécu un premier épisode psychotique dans l’année, soit une personne sur deux, (Faerden et al., 2010) et sa présence s’avère constituer un handicap majeur pour le rétablissement des individus qui en souffrent (Hartman et al., 2003). Ainsi, le symptôme de l’apathie dans la schizophrénie peut se traduire par un retrait social, une diminution des actions, une anergie physique, une négligence au niveau de l’hygiène, un manque d’assiduité que ce soit au niveau des loisirs, scolaire, ou professionnel et une moindre implication dans les relations sociales (Levy and Dubois, 2006). 2) Une définition complexe qui évolue Étymologiquement, l’apathie signifie « l’absence de passion ». Ce terme renvoi généralement à un état d’insensibilité, d’indifférence et d’absence de réaction aux stimulus habituels2 . Cependant, l’évaluation et la compréhension de l’apathie à pris une place 2 Dictionnaire de la psychiatrie, Pierre Juillet. CILF - Collection : Dictionnaires - juin 2000 6 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 croissant dans les recherches cliniques et fondamentales et au cours de ces dernières années, différentes définitions ont été proposées. Ici, nous exposons les deux principaux modèles conceptuels de l’apathie cités dans la littérature. Le modèle de Marin Au début des années 90, Marin a été le premier à aller au-delà des simples approches descriptives pour présenter un modèle explicatif de l’apathie centré sur le concept unique de la motivation. Ainsi, l’apathie est définie comme une « réduction des comportements orientés vers un but » sous-tendue par une perte de motivation. L’auteur différencie le « syndrome apathie » du « symptôme apathie ». Le syndrome de l’apathie correspond à une perte primaire de la motivation, non attribuable à des troubles émotionnels ou cognitifs, alors que le symptôme de l’apathie, considéré comme secondaire, est lié à la présence de troubles cognitifs, d’un niveau de conscience altéré ou de la présence d’une détresse émotionnelle (Marin, 1991). Ces travaux fondateurs ont posé de nouvelles bases de réflexion autour de l’apathie. Cependant, bien que Marin ait réussi à harmoniser la définition de l’apathie en regroupant plusieurs termes proches (auparavant employés de manière indifférenciée), le concept psychologique de « motivation » est critiqué, car certains le considèrent comme « mal défini » et « peu évaluable » (Del-Monte et al., 2013). Le modèle de Levy et Dubois En s’intéressant à différentes maladies neurodégénératives à l’aide des avancées récentes en neuropsychologie cognitive et en neuro-imagerie, Levy et Dubois proposent une définition plus large de l’apathie en mettant en avant un modèle multidimensionnel. Ils suggèrent alors de considérer l’apathie comme un syndrome comportemental, qui consiste en une réduction des comportements volontaires et dirigés vers un ou plusieurs buts, ayant une origine soit cognitive, soit émotionnelle, soit d’auto-activation (Levy and Dubois, 2006). Ainsi, contrairement à Marin, Levy et Dubois affirment qu’il n’existe pas un syndrome apathique unique mais plutôt 3 formes d’apathie, pouvant être associées soit à des lésions 7 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 soit à des anomalies fonctionnelles du cerveau. Ce modèle pratique ramène l’apathie à un comportement observable, donc plus facilement évaluable. D’après Levy et Dubois, l’apathie cognitive renvoie à une inertie cognitive, responsable d’un défaut de planification et d’une difficulté à finaliser des actions. L’apathie émotionnelle est une incapacité à décoder le contexte affectif qui guide le comportement et l’apathie d’auto-activation se traduit par une difficulté à activer spontanément des pensées et des actions (Yazbek et al., 2013). Ces différents troubles cognitifs, émotionnels et d’auto-activation se retrouvent dans la schizophrénie, et de récents travaux ont montré que le modèle de l’apathie de Levy et Dubois était extrapolable à la schizophrénie, c'est-à-dire que Les dysfonctions évoquées dans ce modèle comme étant à l’origine de la réduction des comportements dirigés vers un ou plusieurs buts semblent, sur le plan théorique, pouvoir s’appliquer à la schizophrénie. (DelMonte et al., 2013). Ainsi, cette approche multidimensionnelle permet aujourd’hui de faciliter le diagnostic de l’apathie dans la schizophrénie et de donner lieu à des hypothèses étiologiques distinctes en cas d’apparition du symptôme. Ce modèle, plus précis que celui de Marin, permet également de faire la distinction entre l’apathie et certains autres symptômes négatifs de la schizophrénie, souvent confondus par ailleurs. Distinction de l’apathie avec les autres symptômes négatifs. Actuellement, l’apathie reste difficile à différencier de certains autres symptômes négatifs de la schizophrénie (ou d’autres pathologies) tels que l’apragmatisme, l’athymhormie et l’avolition. D’autre part, elle est souvent associée à tort à la dépression (Levy et al., 1998). Cela est du notamment à un grand nombre de manifestations cliniques communes observées chez les patients. Dans ces conditions, le diagnostic différentiel de l’apathie et d’autres troubles peut s’avérer être est un véritable défi lancé au clinicien. Le modèle multidimensionnel de Levy et Dubois permet de faciliter les distinctions entre l’apathie et ces autres symptômes négatifs que l’on retrouve dans différents troubles psychiatriqueset et maladies neurodégénératives. Ces différences sont exposées de manière 8 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 synthétique dans le Tableau 1. Ce dernier fournit une grille de lecture centrée autour des 3 composantes de l’apathie. On voit ici l’intérêt du modèle de Levy et Dubois pour établir un diagnostic clinique pertinent. Ainsi, à première vue tous ces symptômes relèvent de la « perte de motivation » et sont donc assimilables à l’apathie. Cependant, la prise en compte de façon séparée des dimensions cognitives, émotionnelles et d’auto-activation psychique, permet à chaque fois de distinguer nettement l’apathie des autres symptômes. L’avolition, par exemple, est une perte des comportements spontanés en vie quotidienne. Cependant, les sujets affectés par ce symptôme conservent une réactivité motrice aux stimulations externes : la dimension d’auto-activation psychique n’est pas altérée, c’est donc bien un symptôme distinct. L’apragmatisme est une « incapacité à réaliser une action adaptée aux besoins quotidiens ». Ce symptôme fait donc référence uniquement à un aspect purement moteur. Seule la dimension d’« auto-activation psychique » est partagée avec l’apathie. Enfin, l’athymhormie correspond à une perte de l’élan vital qui affecte les domaine émotionnels et d’auto activation sans être pour autant une altération du domaine cognitif (Derouesné, 2004). La distinction entre l’apathie et la dépression est moins facile à établir tant les manifestations cliniques peuvent être semblables. L’approche multidimensionnelle semble moins pertinente dans ce cas de figure. Cependant, plusieurs travaux reconnus ont réussi à 9 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 mettre en lumière les différences entre l’apathie et la dépression en distinguant 3 types de symptômes : ceux étant propres à l’apathie (l’indifférence, le retrait social..), ceux étant propres à la dépression (dévalorisation, idées suicidaires..) et ceux que l’on retrouve en commun (ralentissement psychomoteur, perte d’intérêt..) (Landes et al., 2001) (Boyle and Malloy, 2004). Il faut cependant remarquer que les études mentionnant la dépression et l’apathie dans la schizophrénie sont très rares et que ces travaux se concentrent essentiellement sur la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer. II- Les éléments d’explication de l’apathie A ce jour, peu de travaux se sont intéressés aux bases neurobiologiques de l’apathie dans le cadre particulier de la schizophrénie. Cependant, des études menées sur certaines maladies neurodégénératives (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer et démence) ont révélé de nombreux points communs quant à l’implication de certaines structures cérébrales (Robert et al., 2012). Ainsi, la plupart des travaux s’accordent sur le fait que l’apathie résulte d’un dysfonctionnement des régions frontales du cerveau, soit par lésion directe de cette zone, soit par lésion de structures étant fortement interconnectés avec le lobe frontal (Dujardin, 2007). De nombreuses études s’appuyant sur l’imagerie fonctionnelle cérébrale révèlent différentes zones du cerveau qui sont impliquées dans l’apathie. Ainsi, parmi les structures les plus retrouvées ont peut citer le cortex cingulaire antérieur, le cortex orbito-frontal, le cortex préfrontal ventrolatéral, le cortex prefrontal dorsolateral mais aussi le pallidum et le striatum ventral (Postec, 2013; Holthoff et al., 2005 ; Tekin and Cummings, 2002). D’après Stuss, ces structures appartiennent pour la plupart aux circuits baso-thalamo-corticaux qui sont impliqués dans différentes situations pathologiques provoquant une apathie (Donald T. Stuss, 2012). Dans le contexte particulier de la schizophrénie, on retrouve des études allant dans le même sens, indiquant que les patients présentent généralement des anomalies structurales touchant le lobe frontal et temporal, ainsi que de nombreuses régions sous corticales comme l’amygdale, l’hippocampe, les 10 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 ganglion de la base et thalamus (Antonova et al., 2004 ; Bonilha et al., 2008 ; Gold et al., 2008). Ainsi, on le comprend, cette liste n’est pas exhaustive et il est aisé de penser que les avancées dans le domaine de la neuro-imagerie seront amenées à la préciser. D’autre part, les résultats actuels ne sont pas unanimes et certains affirment qu’ils ne permettrait pas de mettre en évidence un réseau systématiquement reproductible entre les études (G Robert et al., 2012). De ce fait, plutôt que d’énumérer l’ensemble des zones impliquées directement ou indirectement dans l’apathie, il est intéressant de comprendre leur articulation et la façon dont elles affectent les comportements orientés vers un but. Le modèle de Levy et Dubois permet de distinguer différentes régions en fonction des symptômes apathiques dont il est question (Figure 1). Ces régions sont en fait des circuits interconnectant le plus souvent des structures corticales et limbiques avec des noyaux gris de la base. Ainsi, la forme émotionnelle et affective de l’apathie résulterait de lésions du cortex préfrontal orbito-médian qui reçoit de nombreuses afférences en provenance des structures limbiques et des systèmes sensoriels et qui est également connecté aux régions ventrales du striatum. L’inertie cognitive résulterait plutôt d’une lésion du cortex préfrontal latéral ou de certaines régions associatives des noyaux gris centraux et enfin, le déficit d’auto-activation serait la conséquence de lésions touchant les régions associatives et limbiques des noyaux gris de la base (en particulier le pallidum interne) ou le cortex préfrontal dorsomédian (notamment le cortex cingulaire anterieur) (Levy and Dubois, 2006 ; Dujardin, 2007). Plusieurs étapes sont nécessaires pour accomplir des comportements orientés vers un but. Il faut par exemple intégrer des situations qui influencent la décision d’agir, élaborer des plans d’actions, initier l’action, l’exécuter et rétrocontroler les réponses comportementales (Levy, 2012). Or, le dysfonctionnement d’une seule de ces étapes peut suffire à diminuer les comportement orientés vers un but chez un individu. Ainsi, l’apathie peut survenir à la suite d’une lésion ou d’un dysfonctionnement de différentes structures cérébrales en fonction des symptômes que l’on observer chez le patient. Autrement dit, selon la pathologie, « l’expression de l’apathie peut trouver des nuances dans la mesure où elle dépend des modalités d’atteinte des circuits neuronaux » (Yazbek et al., 2013). 11 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 Au niveau moléculaire, les lésions des structures décrites ci-dessus entraineraient des désordres neurochimiques importants, dont certains pourraient faciliter l’installation de l’apathie. C’est le cas notamment pour la voie méso-cortico-limbique, impliquée dans le système de récompense, où ces lésions pourraient entrainer une réduction importante de l’influx de dopamine (Boyle and Malloy, 2004). Ce déficit dopaminergique serait aussi retrouvé au niveau des putamens (David et al., 2008) et la déplétion cholinergique au niveau du cortex frontal médian et des régions limbiques est également souvent évoquée comme explication de l’apparition de symptômes de l’apathie (Dujardin, 2007). Il faut néanmoins souligner que ces résultats sont issus de recherches portant sur des maladies neurodégénératives (dégénérescence lobaire fronto-temporale, maladies d’Alzheimer et Parkinson) et qu’à ce jour, il y a peu de travaux de ce type concernant la schizophrénie. Fig. 1. Boucles entre structure corticales et sous-corticales à l’origine des différentes formes d’apathie. Cortex Orbito-médian Cortex Pré-frontal Latéral Cortex Cingulaire Ant. Aire tegmentale Ventrale Striatum associatif (Noyau caudé) Striatum Ventral Pallidum Interne Emoussement affectif Inertie cognitive Déficit d’auto-activation Selon Dujardin, 2007; Levy and Dubois, 2006. - 12 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 III- Le diagnostic 1) Les protocoles d’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie Plusieurs échelles d’évaluation de l’apathie ont été conçues au cours des dernières années. Selon leur approche méthodologique, elles peuvent être utilisées soit pour la pratique clinique soit pour la recherche scientifique. La première échelle entièrement dédiée à la mesure du syndrome apathique est l’ Apathy Evaluation Scale (AES), développée par Marin au début des années 90 (Marin et al., 1991). Son antériorité par rapport aux autres échelles ainsi que ses caractéristiques métrologiques satisfaisantes et solidement établies expliquent probablement qu’elle soit l’échelle la plus utilisée aujourd’hui (Dujardin, 2007). Concernant l’évaluation de l’apathie dans le cadre de la schizophrénie, il existe différentes échelles d’évaluation (Tableau 2). Certaines sont dites non-spécifiques, c'est-àdire qu’elles s’intéressent à l’ensemble des symptômes négatifs de la schizophrénie, d’autres enfin, sont spécifiques à l’évaluation de l’apathie, mais pas uniquement dans le cadre de la schizophrénie (d’ailleurs, souvent ces outils de mesure sont développés sur d’autres pathologies comme les maladies de Parkinson et d’Alzheimer ainsi que des formes avancées de dépression). Les échelles d’évaluation non-spécifiques à l’apathie Parmi les outils psychométriques évaluant les symptômes négatifs dans la schizophrénie, 4 protocoles principaux sont retenus. Il s’agît de la Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS) (Kay et al., 1987), la Scale to Assessment of Negative Symptoms (SANS) (Andreasen, 1989), la Brief Negative Symp-tom Scale (BNSS) (Kirkpatrick et al., 2011), et la Clinical Assessment Interview for Negative Symptoms (CAINS) (Kring et al., 2013). Ces échelles sont toutes validées dans la schizophrénie. En revanche, seules la SANS et la PANSS sont validées en français (Yazbek et al., 2013). Ceci est un élément important à prendre en compte dans l’analyse des recherches menées en français, tant le choix des termes utilisés au cours de l’entretien entre le clinicien et le patient doit être précis. Concernant la CAINS, il 13 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 est nécessaire de préciser que c’est une échelle récente, validée depuis peu (février 2013), et que par conséquent, il est encore difficile de se prononcer sur son efficacité. Concrètement, ces 4 échelles suivent un modèle d’évaluation commun. Il a en effet été démontré dans la littérature que les symptômes négatifs peuvent être regroupés en 2 facteurs : d’un côté l’expression émotionnelle (alogie, émoussement affectif..) et de l’autre la motivation et le plaisir (anhédonie, retrait social..) (Kirkpatrick et al., 2006 ; Foussias and Remington, 2010; Strauss et al., 2013). C’est l’évaluation des facteurs relatifs à la motivation et au plaisir de ces échelles d’évaluation qui permet d’obtenir des mesures de l’apathie chez les patients schizophrènes (Yazbek et al., 2013). Les échelles d’évaluation spécifiques à l’apathie On recense 3 principales échelles mesurant l’apathie de manière spécifique : l’AES citée précédemment, la Structured Interview for Apathy (SIA) (Starkstein et al., 2005), et la Lille Apathy Rating Scale (LARS) (Sockeel et al., 2006). Le principe de ces échelles de mesure est d’évaluer le niveau d’apathie des patients sous forme d’un questionnaire ou d’un échange encadré, ou « semi-structuré », entre le patient et le clinicien. Ces échanges donnent lieu à une notation qui diffère selon les échelles utilisées. A partir d’une note seuil appelée le « cut off », le diagnostic de l’apathie est établi et le patient doit être pris en charge. L’AES est déclinée en trois versions, destinées respectivement au clinicien (AES-C), à l’accompagnant (AES-I) ou au patient lui-même (AES-S). Elle comporte 18 items au total que le clinicien doit évaluer au cours d’un entretien avec le patient. Chaque item doit être noté de 1 à 4. Le « cut off » n’est pas clairement défini pour l’AES. Marin le situe à 37,5 (Marin et al., 1993) mais d’autres travaux proposent des seuils différents (Clarke et al., 2007). Le SIA et le LARS sont basés sur les critères de diagnostic de l’AES de Marin en ayant l’avantage de proposer une procédure standardisée pour évaluer l’apathie. 14 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 Tableau 1. Les principales échelles d’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie. Echelles non-spécifiques à l’apathie Validée en français Echelle d’évaluation SANSS oui PANSS oui BNSS non CAINS non Echelles spécifiques à l’apathie Echelle d’évaluation Validée pour la schizophrénie AES oui LARS non SIA non Selon Starkstein et al., 2005; Dujardin, 2007; Yazbek et al., 2013 2) Limites des protocoles d’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie La principale limite à l’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie est surement l’absence d’une échelle standardisée et facilement reproductible, conçue exclusivement pour cette maladie. En effet, l’AES qui est la seule échelle spécifique à la schizophrénie souffre d’un manque de standardisation des consignes d’administration et du mode de cotation. D’autre part, bien qu’ils soient utiles dans le cas de la schizophrénie, le LARS et le SIA n’ont été validés que dans le cadre d’une pathologie déterminée (la maladie d’Alzheimer pour le SIA et la maladie de Parkinson pour le LARS) (Dujardin, 2007). Une autre critique faite par Yazbek et al., est le fait que ces échelles sont essentiellement descriptives et ne 15 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 permettrait pas de différencier les causes qui sont à l’origine de l’apathie afin de permettre une meilleure prise en charge du patient. (Yazbek et al., 2013). IV- Pistes de traitements A ce jour, il n’existe pas de prise en charge spécifique à l’apathie en tant que symptôme de la schizophrénie. Comme dans de nombreux autres cas de figure, la plupart des études portant sur les pistes de traitement ont été effectuées dans le domaine des maladies neurodégénératives. L’approche pharmacologique Les principaux travaux de recherché portent sur la malade d’Alzheimer et la maladie de Parkinson, or même pour ces pathologies, il faut remarquer que le nombre de traitements est limité et que ceux ayant fait l’objet d’essais contrôlés restent rares (Dujardin, 2007). Voici les principales pistes de traitement pharmacologiques retrouvées dans la littérature : Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase se sont avérés être efficaces dans le maladie d’Alzheimer, en diminuant de façon significative les manifestation neuropsychiatriques des patients (Gauthier et al., 2002). Dans la démence de la maladie de Parkinson, une étude rend compte d’une baisse des troubles du comportement chez des patients sous rivastigmine (mais l’effet direct sur l’apathie n’est pas spécifié) (Emre et al., 2004). Il existe d’autres agents pharmacologiques ayant fait preuve d’efficacité pour réduire l’apathie. C’est la cas notamment des psychostimulants, tels que le méthylphénidate et la dextroamphétamine dans certains cas de maladie de Parkinson et d’Alzheimer (Chatterjee and Fahn, 2002 ; van Reekum et al., 2005). Concernant la schizophrénie, certains neuroleptiques atypiques ont montré une certaine efficacité pour réduire l’apathie chez les sujets psychotiques jeunes (van Reekum et al., 2005) mais ces travaux ont depuis été nuancés, puisqu’on sait aujourd’hui que ces agents 16 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 pharmacologiques augmentent la mortalité chez les patients atteints de démence (Ballard et al., 2009). Ces résultats montrent qu’un traitement pharmacologique efficace de l’apathie passe par une augmentation de l’activité dopaminergique ou cholinergique du cerveau, bien qu’on ignore encore les cibles précises d’action (Dujardin, 2007). L’approche non pharmacologique Certains traitement non pharmacologiques de l’apathie ont fait l’objet de recherches. C’est le cas par exemple des interventions cognitives, des environnements multisensoriels (participer à des activités d’éveil, comme la cuisine ou certains jeux de groupe) et de la musicothérapie qui se sont montrées efficaces dans la réductions de certains symptômes de l’apathie (Lane-Brown and Tate, 2009). Ces travaux auraient surement besoin d’être complétés, mais l’idée que les interventions comportementales et psychosociales ne doivent pas être négligées dans la prise en charge de l’apathie est très largement acceptée dans la communauté scientifique (Berney, 2010). 17 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 Conclusion L’apathie est le symptôme négatif prédominant de la schizophrénie. Son impact sur la qualité de vie des patients et des aidants est significatif, pourtant, de nombreuses zones d’ombre persistent quant à l’état des connaissances sur ce trouble psycho-comportemental. L’essentiel des travaux de recherche s’intéresse à l’apathie dans les pathologies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer, ce qui est cependant compréhensible, au vu de la prévalence globale de ces dernières. L’objectif de ce rapport était de faire un état de l’art sur le niveau de connaissances de l’apathie en tant que symptôme négatif de la schizophrénie. Ainsi, la première difficulté dans le traitement de l’apathie est de s’accorder sur une définition précise qui puisse permettre un diagnostic efficace des patients. Le modèle multidimensionnel de Levy et Dubois à permis d’appréhender le concept d’apathie de manière plus globale, facilitant son diagnostic ainsi que la compréhension de certains mécanismes neurobiologiques en cause. Cependant, l’absence de consensus autour de seuils diagnostiques et l’absence de protocoles spécifiques à l’évaluation de l’apathie dans la schizophrénie sont des limites qui doivent donner lieu à des travaux supplémentaires. Enfin, le manque d’études contrôlées concernant les possibles traitements de l’apathie dans la schizophrénie ainsi que l’efficacité limitée des neuroleptiques atypiques sont autant de raisons qui encouragent la recherche de solutions alternatives pour la prise en charge des patients, comme le sont par exemple la confrontation à des environnement multisensoriels et la musicothérapie. D’autres travaux doivent être menés à ce sujet afin de pouvoir améliorer le bien être et la qualité de vie des patients. 18 Sébastien Hocdé – Master Biologie Gestion – SBBB Janvier 2014 Bibliographie : Andreasen, N.C., 1989. The Scale for the Assessment of Negative Symptoms (SANS): conceptual and theoretical foundations. Br. J. Psychiatry. Suppl. 49–58. 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