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© Guy TONELLA
SOCIOLOGIE DU NARCISSISME
La culture victorienne (sous le règne de la reine Victoria d’Angleterre), a imposé jusqu’au tout
début des années 1900, des normes éducatives très strictes et des valeurs morales très fortes qui
influenceront l’Europe tout entière. Dans cette culture se combinent et s’équilibrent forces
matérialistes, vertus morales et sentiments religieux. La structure familiale est centrée sur ces
valeurs humaines normatives mais également structurantes. Les sentiments humains y ont une
place importante, mais les conventions sociales limitent leur expression, notamment dans le
champ de la sexualité. Les sensations corporelles et les sentiments doivent être retenus :
l’expression corporelle, émotionnelle et sexuelle est soumise au refoulement. La traduction
psychopathologique en est le symptôme hystérique. Freud le théorise vers 1900, à l’époque où il
construit la théorie psychanalytique.
La culture victorienne, sur le plan psychologique, a l’impact culturel suivant :
- La structure familiale est traditionnelle. L’enfant qui naît est allaité par une mère au
foyer, dans une proximité sensorielle, corporelle et affective propice au développement
de liens d’attachement sécures. Les principes moraux et sociaux sont transmis par un
père présent et par les institutions éducatives (école, église, associations sportives).
L’enfant se développe dans un contexte familial et socioculturel qui lui permet de
construire son identité.
- En contre partie, cette structure identitaire ainsi construite est soumise à la répression
sexuelle selon des normes conventionnelles très strictes et introduit la culpabilité par
rapport à des désirs et pratiques sexuels interdits. Ceci est à l’origine du conflit intérieur
et de la psychopathologie névrotique. Ceci conduisit aux grandes théories et pratiques
psychopathologiques de cette première moitié du siècle (Freud et Reich).
Durant la deuxième moitié du 20
ème
siècle, l ’introduction massive des outils-machines, la
nécessité d’une main d’œuvre à grande échelle, la production accélérée, le développement des
moyens de communication, le mouvement de libération des femmes et leur entrée dans la vie
active professionnelle créent une mutation des valeurs sociales et culturelles. Ces évolutions
modifient les repères socioculturels et une mutation est en marche. Elle s’opère au travers d’un
courant de contestation qui s’origine en France en Mai 1968 et secoue l’Europe entière et au-
delà. Il conduit à la libération des mœurs sexuelles, à la non directivité éducative, au libéralisme
économique et à la société de consommation, une consommation d’abord « utile » (des biens
d’équipement qui facilite la vie) suivie d’une consommation souvent « futile ». L’époque du
paraître émerge : paraître à la pointe du progrès, à la pointe de la mode, « être top ». L’ère de la
société narcissique est née.
Tout ceci s’accompagner d’une mutation des valeurs culturelles de référence, et, d’autre part,
d’une transformation de la structure familiale dans son monde de fonctionnement :
- Les valeurs culturelles mutent de l’être soi-même vers le paraître, de la qualité de vivre
(dans laquelle le temps et le rythme de vie sont fondamentaux) à la quantité de
possessions (qui implique la frénésie et le stress), de la centration sur ses propres besoins
à l’adhésion aux images marketing étrangères à soi.
- Le fonctionnement familial est entraîné dans cette mutation : (1) la mère, travaillant
dorénavant, n’offre plus au jeune enfant en construction une présence disponible. Elle
peut devenir préoccupée, stressée ou dépressive. Elle risque de s’absenter des liens
d’attachement dont le jeune enfant a besoin pour construire son Soi et son identité, (2) le
père, moins disponible, s’absente dans sa fonction structurante, celle qui pose des limites
en expliquant les règles réelles de fonctionnement de la communauté humaine. Ces
parents, dans l’urgence et la fatigue, dans la frustration, parfois la privation, ne prennent