Utilisation de la morphine orale en postopératoire

Douleur 253
UTILISATION DE LA MORPHINE ORALE
EN POSTOPERATOIRE
M. Langlois, D. Fletcher. Service dʼAnesthésie, Hôpital Raymond Poincaré,
104 boulevard Raymond Poincaré 92104 Garches
INTRODUCTION
Lʼutilisation de la morphine reste la référence des traitements antalgiques en post-
opératoire . Lʼadministration auto-contrôlée est considérée comme la technique la
plus adaptée pour offrir une analgésie morphinique. Son utilisation reste néanmoins
peu fréquente (< 15 à 25 % des patients) même dans les centres les plus en pointe.
Lʼadministration systématique de morphine ou à la demande reste donc un élément
important de lʼanalgésie postopératoire. Lʼutilisation de la voie sous-cutanée en France
ou intramusculaire aux Etats-Unis est la plus fréquente. Pourtant lʼévolution des prati-
ques anesthésiques avec le développement de lʼanesthésie locorégionale et lʼemploi de
produits dʼanesthésie générale permettant une reprise rapide de la voie orale permettent
dʼenvisager plus facilement une analgésie par voie orale. De plus la chirurgie ambu-
latoire concernant un nombre croissant de patients opérés de chirurgies douloureuses,
lʼutilisation dʼanalgésiques puissants par voie orale semble justifiée. Ce texte passera
en revue les éléments en faveur du développement de cette technique dʼanalgésie orale
et les limites prévisibles.
1. L’ANALGESIE PAR MORPHINE ORALE EST-ELLE POSSIBLE ?
1.1. DISPONIBILITE DE LA VOIE ORALE
La reprise de la voie orale dépend des troubles de déglutition postopératoire, de
la tolérance de la voie digestive (nausées-vomissements, sédation excessive) et de
lʼexistence dʼun transit intestinal effectif. Les troubles de déglutition postopératoire
après intubation trachéale ou pose dʼun masque laryngé autorisent la prise de liquide
et
de comprimé dès la 1ère heure postopératoire. Les nausées-vomissements présents en
moyenne
chez 10 % des patients en salle de surveillance post-interventionnelle sont vo-
lontiers induits par les morphiniques utilisés en peropératoire, les produits anesthésiques
et la dose de charge morphinique lors de la titration postopératoire.
Lʼutilisation peropératoire de produits morphiniques à durée dʼaction plus courte
(alfentanil, remifentanil) permet de limiter ces problèmes de tolérance digestive. De même
lʼutilisation du propofol permet de réduire lʼincidence des nausées-vomissements.
Lʼutilisation très précoce de la voie orale, même pour la chirurgie digestive majeure
(ex : colectomie), se développe dans le cadre de la réhabilitation postopératoire et de
lʼalimentation entérale précoce.
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1.2. GALENIQUE ET BIODISPONIBILITE DE LA MORPHINE ORALE
La biodisponililité dépend de la forme galénique utilisée. Le seuil analgésique de la
morphine varie selon les études, mais semble être situé entre 13 et 39 ng.mL-1 [1].
La morphine à libération immédiate (MLI) par voie orale a une faible biodisponi-bi-
lité. Lʼexplication vient essentiellement dʼun métabolisme partiel de la morphine lors du
premier passage hépatique. Ceci donne une biodisponibilité évaluée de 20 à 30 % selon
les études [1, 2]. Il est clair que la variabilité interindividuelle est très importante [3]
.
La majorité des études ont éré réalisées chez des volontaires sains à lʼexception dʼune
étude réalisée chez le patient cancéreux [4].
Il est possible que les modifications de transit inhérentes à la chirurgie et lʼadmi-
nis-tration péri-opératoire de morphiniques modifient encore cette biodisponibilité.
Peu de données existent sur ce point et la cinétique de la morphine orale devrait être
évaluée dans les différentes situations lʼon envisage son utilisation : chirurgie
orthopédique, chirurgie viscérale, chirurgie ambulatoire. Quoi quʼil en soit, il faut
considérer que la morphine par voie orale a une biodisponibilité plus faible que la
morphine injectable (sous-cutanée-intramusculaire). Par ailleurs son pic dʼaction se
situe vers 60 à 90 minutes selon les études [2, 4]. La mise à disposition de forme à libéra-
tion immédiate sous forme de comprimés (Sévrédol®, ActiSkénan®) facilite lʼutilisation
de cette voie.
Les études testant la biodisponibilité de la morphine par voie transmuqueuse ont
montré un effet moindre au pic que celui de la morphine injectable mais un effet global
(aire sous la courbe) plus important. Les auteurs concluaient à un biodisponibilide cette
voie transmuqueuse de 40 à 45 % plus importante que la voie injectable [5].
La morphine à libération prolongée (MLP) a également proposée pour lʼanalgé-
sie postopératoire. Cette forme donne des pics sanguins retardés avec une couverture
de 8 à 12 heures. Des taux sanguins élevés ont été rapportés en cas dʼadministration
répétée toutes les 4 heures [6]. Ceci est sans doute un des risques de la cinétique parti-
culière de la MLP.
1.3. AUTRES MOLECULES MORPHINIQUES
La voie transmuqueuse orale du fentanyl a été testée chez le volontaire sain et une
cinétique stable après admnistrations répétées a été observée. Il nʼexiste pas de données
sur la cinétique de ces produits chez le patient opéré. Il semble néanmoins que cette voie
permette une analgésie rapide permettant une titration des patients.
Dʼautres molécules morphiniques ont été utilisées par voie orale comme la buprénorphi-
ne, lʼoxycodone ou des dérivés de la codéine, sans données cinétiques chez le patient.
2. EXPERIENCE CLINIQUE DE LA MORPHINE ORALE EN POSTOPERATOIRE
2.1. MORPHINE A LIBERATION IMMEDIATE (MLI)
En chirurgie orthopédique, la morphine a été testée dans peu dʼétudes [3, 7]. Il sʼagit
dʼétudes utilisant soit une évaluation en double aveugle par rapport à la voie injectable
soit une administration auto-contrôlée par voie orale comparée en ouvert à lʼanalgésie
auto- contrôlée intraveineuse classique [7]. Une seule étude sʼest donc intéressée à
lʼadministration en double aveugle de la morphine orale par rapport à la morphine
injectable. Il a été montré que, pour des patients opérés de prothèse totale de hanche
lʼanalgésie orale (morphine 20 mg.4 h-1) permettait une analgésie similaire à celle obtenue
avec la morphine injectable (5 à 10 mg.4 h-1) [8].
La tolérance digestive était compromise par un taux de nausées de plus de 50 % dans
les deux groupes avec des exclusions pour nausée et sédation dans le groupe morphine
orale et pour nausée et mauvaise analgésie dans le groupe morphine injectable.
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Dans une autre étude, une analgésie auto-contrôlée par voie orale (morphine
30 mg.mL-1 ;
dose maximale de 20 mg.h-1) était comparée à la PCA intraveineuse
classique (morphine 2 mg.12 min-1) chez des patients opérésde chirurgie orthopédique.
Lʼefficacité était similaire avec une consommation de morphine par voie orale 5 fois
plus importante
ce qui suggérait une biodisponibilité faible de lʼordre de 20 à 25 %. Le
matériel utilisé par cette PCA orale était une PCA mécanique Baxter permettant lʼadmi-
nistration orale de 0,5 mL dʼune solution de morphine à 30 mg.mL-1 soit 15 mg toutes
les heures [7].
La MLI a été testée après chirurgie abdominale. Dans une étude ouverte réalisée dans
le cadre de la césarienne, lʼanalgésie orale par la morphine était comparée à lʼanalgésie
orale par le dipyrone [9]. Le niveau de satisfaction et lʼefficacité étaient similaires.
Cependant, les auteurs privilégiaient le dipyrone. Dans une autre étude ouverte après la
césarienne,
lʼadministration postopératoire de la combinaison morphine, paracétamol,
aspirine était décrite comme efficace [10].
2.2. MORPHINE A LIBERATION PROLONGEE (MLP)
En chirurgie orthopédique, après prothèse totale de hanche, la MLP a été testée à
faible dose (20 mg x 2) [11]. Cette chirurgie réalisée sous rachinaesthésie était suivie par
cette analgésie orale ou par une analgésie classique intramusculaire classique comparées
en double aveugle. Lʼadministration orale permettait une épargne morphinique de 40 %
sans impact sur les scores de douleur. Lʼadministration préopératoire avant prothèse totale
de hanche dʼune dose unique de MLP (60 mg) donnait une analgésie supérieure à celle
observée après administration de morphine intramusculaire (5 mg) [12].
En chirurgie viscérale, la MLP comparée en étude aveugle et double dummy
(20 mg.4 h-1) à la morphine IM par heures donnait une analgésie discutable avec nécessité
de traitement de secours et élévation secondaire des taux sanguins dans le groupe recevant
de la MLP [6]. Lʼutilisation de MLP en cas de chirurgie abdominale a été comparée à la
morphine injectable en ouvert [13]. La MLP offrait une analgésie similaire mais avec
une incidence non négligeable de sédation.
Enfin il a été décrit lors dʼune étude sur lʼutilisation de la MLP (60 mg 2 fois par
jour) en cas de chirurgie abdominale un accident de surdosage avec décès au deuxième
jour dans un tableau de dépression respiratoire [14]. Lʼabsence de consentement écrit et
lʼabsence de surveillance précise avait conduit à un procès.
2.3. AUTRES PRESENTATIONS DE LA MORPHINE
Une étude en double aveugle réalisée en orthopédie a décrit lʼefficacité clinique et
la cinétique plasmatique dʼune forme transmuqueuse buccale de morphine
en compa-
raison avec la morphine injectable après une administration unique [5]. La biodis-
ponibilité de la voie buccale étaient supérieures à la voie injectable de 40 à 50 %.
La
tolérance clinique et lʼefficacité était supérieure pour la voie transmuqueuse buccale.
Les
doses comparées étaient de 10 mg en IM contre 10 mg par voie buccale. Les modalités
dʼadministration de la voie transmuqueuse buccale imposaient de garder la tablette en
contact avec la gencive avec une dissolution progressive sur 6 heures.
3. AUTRES MORPHINIQUES PAR VOIE ORALE OU ASSIMILEE
3.1. ADMINISTRATION INTRANASALE
La voie transmuqueuse nasale a été testée pour le fentanyl, la mépéridine, la diamor-
phine, le butorphanol. Globalement ces études suggèrent que cette voie dʼadministration
peut être efficace pour un traitement de la douleur aiguë. Il existe des études analysant
un traitement prolongé pendant 12 à 24 heures. Cette approche nʼest pas exempte de
problèmes techniques potentiels.
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3.2. ADMINISTRATION TRANSMUQUEUSE ORALE
Le fentanyl transmuqueux oral a été testé chez les volontaires en doses répétées et
chez les patients en dose unique [15, 16]. Cette modalité dʼadministration semble équi-
valente en efficacité à celle observée avec la morphine intraveineuse au moins pendant
la phase initiale du traitement.
3.3. AUTRES MORPHINIQUES ORAUX
La buprénorphine a été testée en postopératoire par voie sublinguale. Son efficacité
a été considérée comme similaire à celle de la voie injectable. Cette voie transmuqueuse
reste accessible pour le traitement de la douleur aiguë.
Le tramadol reste le morphinique le plus utilisé dans le monde. La voie orale existe
pour la forme à libération immédiate comme pour les formes à libération prolongée. Une
analyse de son utilisation en chirurgie ambulatoire a montré un taux non négligeable
de nausée-vomissements. Dans les revues sur ce produit, lʼincidence globale des effets
secondaires reste cependant faible.
Lʼadministration de codéïne seule ou en association avec le paracétamol reste une
valeur sûre de lʼanalgésie postopératoire. Sa comparaison avec le dextropropoxyphène
qui est largement prescrit en association avec le paracétamol reste à faire.
CONCLUSION
A lʼévidence, les données sur lʼutilisation de la morphine orale en postopératoire
restent insuffisantes. Il semble que la MLI soit plus adaptée que la MLP cette dernière
exposant à des problèmes de surdosage et nʼayant pas la maniabilité de la MLI. Il ressort
des quelques données disponibles que la biodisponibilité de la MLI impose des doses
unitaires élevées (20 mg) avec des prises fréquentes toutes les 4 heures. La sédation
induite par la prise systématique impose des règles précises dʼadministration.
On peut penser que la chirurgie orthopédique, ambulatoire et abdominale basse sont
les situations chirurgicales les plus adaptées. En effet, en cas dʼiléus postopératoire
prolongé, lʼadministration orale reste contre-indiquée.
Il faut améliorer nos connaissances sur la tolérance, les dosages optimaux, les moda-
lités dʼadministration (systématique, secours, auto-contrôlée). La chirurgie ambulatoire
est sans doute un secteur où ce type dʼanalgésie devrait se développer le plus vite.
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