Horace - Atelier Théâtre Jean Vilar

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
Horace
Pierre Corneille
Distribution
Mise en scène : Naidra Ayadi
Avec
Camille : Naidra Ayadi
Sabine : Marie Ballet
Julie : Gina Djemba
Horace : Jean-Christophe Folly
Curiace / Tulle : Maxime Kerzanet
Flavian / Procule : Nelson Rafaëll Madel
Le Vieil Horace : Patrick Messe
Valère : Paul Nguyen
Collaboration artistique : Marie Ballet
Assistant à la mise en scène : Nelson Rafaëll Madel
Scénographie : Olivia Berthon
Assistant à la scénographie : Benjamin Varga
Costumes : Virginie Houdinière
Lumières : Cyril Hamès
Avec l!aide de l!équipe technique de l!Atelier Théâtre Jean Vilar
Une coproduction de L!Alter-Native et du Théâtre de la Tempête. Avec le soutien du Conseil
Général des Yvelines, de l!Adami, et la participation du Jeune Théâtre National.
Dates : du 18 janvier au 21 janvier 2011
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : 1h40
Réservations : 0800/25 325
Contact écoles : Adrienne Gérard - 010/47.07.11 – [email protected]
N!oubliez pas de distribuer les tickets avant d!arriver au Théâtre
Soyez présents au moins 15 minutes avant le début de la représentation,
le placement de tous les groupes ne peut se faire en 5 minutes !
N.B : - les places sont numérotées, nous insistons pour que chacun
occupe la place dont le numéro figure sur le billet.
- la salle est organisée avec un côté pair et impair (B5 n!est pas à
côté de B6 mais de B7), tenez-en éventuellement compte lors de la
distribution des billets.
• En salle, nous demandons aux professeurs d!avoir l!amabilité de se
disperser dans leur groupe de manière à encadrer leurs élèves et à assurer le
bon déroulement de la représentation.
•
•
1
I.
LA PIECE
Présentation
Horace est une pièce de théâtre de Pierre Corneille inspirée de la légende de TiteLive qui relate le combat entre les Horaces et les Curiaces. Elle fut jouée pour la première
fois en mars 1640.
La pièce, dédiée au cardinal de Richelieu, fut le second grand succès de Pierre
Corneille. Écrite en réponse aux contradicteurs du Cid, la pièce met en scène un personnage
encore plus audacieux que Rodrigue (le héros du Cid) : Horace, qui sacrifie son meilleur ami
et tue sa sœur Camille.
Résumé de la pièce
La pièce met en scène deux familles : la famille romaine de Horace et la famille
albaine de Curiace. La cité d!Albe se situe à 20 kilomètres de Rome, en descendant vers
Naples.
Le jeune Horace est marié à Sabine, jeune fille albaine dont le frère Curiace est
fiancé à Camille, sœur d'Horace.
La guerre fratricide qui éclate entre les deux villes rompt cette harmonie. Pour en finir,
chaque ville désigne trois champions qui se battront en combat singulier pour décider qui
devra l'emporter. Contre toute attente, le sort désigne les trois frères Horaces pour Rome et
les trois frères Curiaces pour Albe. Horace, étonné, ne s'attendait pas à un si grand honneur.
Les amis se retrouvent ainsi face à face, avec des cas de conscience résolument différents :
alors qu'Horace est emporté par son devoir patriotique, Curiace se lamente sur son destin si
cruel...
Lors du combat, deux Horaces sont rapidement tués et le dernier, héros de la pièce,
doit donc affronter seul les trois Curiaces blessés. Mêlant la ruse et l'audace, en faisant
d'abord semblant de fuir pour éviter de les affronter ensemble puis en les attaquant, il va les
tuer un par un et remporter le combat.
Horace est encensé par la ville de Rome. Mais sa sœur Camille, lui reproche le
meurtre de son bien-aimé. Horace tue alors sa propre sœur.
Le procès qui suit donne lieu à un vibrant plaidoyer du Vieil Horace, qui défend
l'honneur patriotique contre la passion amoureuse. Horace sera acquitté malgré le
réquisitoire de Valère, un chevalier romain lui aussi amoureux de Camille.
Les personnages de la pièce
Tulle, roi de Rome.
Le Vieil Horace, chevalier romain.
Horace, son fils.
Curiace, gentilhomme d!Albe, amant de Camille.
Valère, chevalier romain, amoureux de Camille.
Sabine, femme d!Horace et sœur de Curiace.
Camille, amante de Curiace et sœur d!Horace.
Julie, dame romaine, confidente de Sabine et de Camille.
Flavian, soldat de l!armée d!Albe.
Procule, soldat de l!armée de Rome.
2
Contexte historique
L!époque que décrit Corneille est celle de la Rome Antique. La Rome Antique désigne
à la fois la ville de Rome et l!état qu!elle fonde dans l!Antiquité. L!histoire de cette civilisation
qui réussit à dominer l!ensemble du monde méditerranéen du Ier au Vième siècle est d!une
importance capitale dans le développement de la société contemporaine.
La pièce se déroule aux origines de Rome. La naissance de la ville est attribuée à
Romulus, selon la légende, et est directement liée à la cité d!Albe.
Selon l!Enéide de Virgile, Ascagne, le fils d!Enée, fonda la ville d!Albe-la-Longue. A la
douzième génération, une de ses descendantes, la vestale Rhéa Silva, eut deux fils jumeaux
donnés par le dieu Mars : Romulus et Remus. Rhéa Silva était la fille de l!ancien roi d!Albela-Longue, Numitor qui fut destitué par son frère Amulius. Amulius craignant une vengeance
future des deux enfants les envoya à la mort sur le Tibre. Mais une louve les trouva au bord
du rivage, elle les sauva et les allaita. Les frères furent recueillis par un couple de bergers.
Devenus adultes, ils décidèrent de fonder une nouvelle ville et une dispute éclata
pour savoir lequel des deux régnerait. Au cours de la bagarre, Romulus tua Rémus.
Romulus se rendit ensuite sur le lieu désigné par les dieux. Arrivé au-dessus de la colline, il
creusa une petite fosse circulaire et jeta une motte de terre apportée de la ville d!Albe. Ainsi
s!établit symboliquement la filiation entre les deux cités. Romulus régna alors sur la nouvelle
cité dont la fondation est datée de 753 av J.-C.
C!est une monarchie qui sera instaurée au début de l!histoire de Rome. Les quatre
premiers rois légendaires (parmi lesquels Tullus Hostilius dont il est question dans la pièce)
mettent sur pied les fondations des institutions politiques et religieuses de la ville. Tandis que
celle-ci commence à s!organiser sur le plan socio-politique et urbanistique, les rois se lancent
dans plusieurs guerres de conquête.
C!est deux siècles plus tard que la république (la « res-publica », la chose publique)
sera mise en place sous l!impulsion de Junius Brutus. Les siècles qui suivront permettront à
Rome d!asseoir sa mainmise sur une grande partie du territoire européen.
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II.
PIERRE CORNEILLE
Quelques dates importantes
1606
1629
1636
1640
1641
1647
16431651
16501659
16601684
Naissance de Pierre Corneille à Rouen, le 6 juin (6eme jour du 6eme mois de
la 6eme année de 1600 !). Il est originaire d'une famille de magistrats et est
l'aîné de cinq frères et sœurs
Après avoir étudié le Droit, il renonce finalement à plaider. C!est suite à son
premier chagrin d!amour qu!il va écrire ses premiers vers, puis sa première
comédie, Mélite. Il met en place un nouveau style de théâtre où les sentiments
tragiques sont mis en scène pour la première fois dans un univers plausible,
celui de la société contemporaine.
Il écrit Le Cid, œuvre aujourd!hui universellement reconnue. Il y raconte
l!histoire de l!amour de Chimène et Rodrigue alors même que Rodrigue a tué le
père de Chimène suite à un duel. Le Cid marque son premier succès.
Horace est joué pour la première fois.
Il épouse Marie de Lampérière, fille du lieutenant particulier des Andelys, avec
qui il aura sept enfants dont un mort une semaine après sa naissance.
Il est élu à l!Académie française au fauteuil 14 qu!occupera son frère et
collaborateur occasionnel Thomas après sa mort.
Après la mort de Richelieu, la crise d!identité que traverse la France se
retrouve dans l!œuvre de Corneille : il règle ses comptes avec Richelieu dans
Pompée, donne une tragédie de la guerre civile avec Rodogune et développe
le thème du roi caché dans Héraclius, Don Sanche et Andromède,
s!interrogeant sur la nature même du roi, subordonné aux événements de
l!histoire, en lui faisant ainsi gagner en humanité.
À partir de 1650, ses pièces connaissent un succès moindre, et il cesse
d!écrire pendant plusieurs années après l!échec de Pertharite. Ce n'est qu'à la
toute fin des années 1650 que le vieux poète renoue avec la scène et le succès
avec la tragédie Œdipe en 1659.
À cette époque, l!étoile montante du théâtre français s'appelle Jean Racine,
dont les intrigues misent davantage sur le sentiment et apparaissent moins
héroïques et plus humaines. La comparaison avec Racine tournera au
désavantage de Corneille lorsque les deux auteurs produiront presque
simultanément, sur le même sujet, Bérénice (Racine) et Tite et Bérénice
(Corneille).
À la fin de sa vie, la situation de Corneille est telle qu'il obtient de Louis XIV une
pension royale.
Il décède à Paris le 1er octobre 1684.
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III.
LE THEATRE A L!EPOQUE DE CORNEILLE
Le théâtre au début du XVIIe
Fin XVIe, le théâtre agonise en France. Les formes médiévales comme les farces ou
les mystères ont disparu, les troupes et les salles modernes n'existent pas encore. La
comédie est un genre mineur, délaissé par les auteurs et les théoriciens. A l!époque, il
n!existait qu!un théâtre en dur à Paris : l!Hôtel de Bourgogne qui appartenait aux Confrères
de la passion.
Au début du XVIIe, des troupes de comédiens commencent à se constituer, portées
par le succès littéraire grandissant de textes principalement inspirés par le théâtre du siècle
d'or espagnol. La troupe de Mondory, spécialisée en farces et en pièces à effets spéciaux
décide de se fixer dans le quartier des Marais. Le classicisme fait remplacer le théâtre
d!aventures par le théâtre psychologique et donc s!en suit la disparition des effets spéciaux.
En 1629, les comédiens jouent Mélite, la première création de Corneille. La comédie
rencontre à Paris un succès suffisant pour décider son auteur à se lancer dans une carrière
dramatique. Le groupe d'acteurs devient par la suite la troupe des Marais.
A partir des années 1630, le théâtre et ses protagonistes reçoivent un statut social et
économique acceptable grâce à Richelieu, grand amateur de théâtre et fin politique,
conscient de l'intérêt pour la monarchie de contrôler ce moyen de communication.
Les règles du théâtre classique
De 1637 à 1640, les critiques envers Le Cid font rage dans le monde du théâtre suite aux
représentations de la tragi-comédie de Corneille. Malgré le succès retentissant de la pièce, il
se voit reprocher de n'avoir pas respecté les règles de l'idéal classique :
• La règle des trois unités : la première de ces lois impose les trois unités qui
s'appliquent à la tragédie aussi bien qu'à la comédie : l'unité d'action, de lieu et de
temps. La pièce doit se dérouler en un seul lieu dans un même décor, sans dépasser
24 heures, et ne présenter qu'une seule action principale. Le but recherché est de
produire l'illusion que le spectateur assiste au déroulement physique de la réalité
même. Vers 1640, les trois unités vont s!imposer. Cette victoire marquera le début du
classicisme, l!art dominé par la raison.
• La bienséance : elle impose de ne pas choquer le public de l'époque, avec des
scènes violentes, des morts sanglantes ou des contacts physiques. Comme dans le
théâtre grec, l'action susceptible de choquer se déroule ailleurs et un messager vient
la raconter. L!univers de la tragédie doit toujours s!exprimer de manière noble et
conforme à ce qu!on attend d!elle. De cette convention est née la litote, qui consiste à
en dire moins que ce que l!on pense (« Va, je ne te hais point ! »).
• La vraisemblance : elle présente ce qui semble vraisemblable dans l'attente du
public. Les auteurs doivent en outre s'inspirer des anciens, distinguer rigoureusement
les genres tragique et comique, écrire en alexandrins (vers de douze syllabes) dans
un style convenu et découper les pièces en cinq actes. Paradoxalement, ce carcan
de règles va produire les plus grands dramaturges français et redonner ses lettres de
noblesse au théâtre.
Source : www.curiospheretv.be
5
IV.
LE THEATRE DE CORNEILLE
De la comédie à la tragédie
Au début de sa carrière, Corneille renouvelle le genre de la comédie. Il remplace les
farces rudimentaires et grossières inspirées de la commedia dell'arte par des textes
décrivant les mœurs et caractères de l'époque et met en scène des personnages proches du
public. Ses comédies comme Mélite, ou La Place royale écrites entre 1629 et 1634 ne
cherchent pas à faire rire, elles peignent avec un aimable réalisme la vie quotidienne
bourgeoise. Le comique naît des personnages et non de situations stéréotypées.
Le triomphe du Cid en 1637 annonce un tournant dans la carrière de l'auteur. Le Cid
est une tragi-comédie, genre qui n'est pas exactement un mélange de tragédie et de
comédie, mais plutôt une tragédie au dénouement heureux. Contrairement à la comédie qui
présente des scènes de la vie quotidienne, la tragédie ne s'intéresse qu'aux personnages
nobles de l'histoire et du mythe. Mais Corneille prend ses distances avec le classicisme. Ses
héros, loin d'être anéantis par une fatalité qui les dépasse, sortent victorieux des épreuves et
obtiennent amour et gloire. Horace reprendra le même schéma littéraire de la tragi-comédie
qui combine un scénario dramatique et un épilogue heureux.
Quelques caractéristiques propres au théâtre de Corneille
•
•
L'unité de péril
Dans ses Trois discours sur l'art dramatique, écrits en 1660, Corneille avoue ne pas
être très à l!aise avec la règle des unités. Il dit aimer les pièces « implexes » qui sont
chargées d!événements et dotées d!une intrigue compliquée. L!unité de péril définit
l!existence d!un danger unique qui relie les composantes de l!action. Alors que l!unité
de temps mène parfois à des situations invraisemblables : comment le héros peut-il
se battre deux fois en duel, mener une armée, avoir des discussions profondes, et
tout cela en moins d!une journée ?
L'extraordinaire et la démesure :
Corneille utilise souvent l'excès dans sa peinture des caractères. Il s'éloigne ainsi de
la vraisemblance des règles classiques qu'il ne considère pas comme un absolu,
estimant au contraire qu'il faut « les apprivoiser adroitement avec notre théâtre ». De
même, dans le choix des sujets, il privilégie les thèmes extraordinaires : « Les grands
sujets qui remuent fortement les passions, […] doivent toujours aller au delà du
vraisemblable, et ne trouveraient aucune croyance parmi les auditeurs, s'ils n'étaient
soutenus, ou par l'autorité de l'histoire qui persuade avec empire, ou par
préoccupation de l'opinion commune […]. »
Le héros cornélien
Le héros cornélien est fier, droit, héroïque et conscient de sa valeur. Son orgueil, fondé sur le
sentiment de sa supériorité aristocratique, le mène à donner sa grandeur en spectacle.
Contrairement au héros romantique, marginal et révolté, celui de Corneille s'inscrit dans un
groupe social (les nobles dans Le Cid, les patriotes chez Horace). Son âme est partagée
entre l'amour et l'honneur : c'est le fameux "dilemme cornélien", moteur de l'action
dramatique. Le héros est à la fois innocent et coupable (ses décisions et actes se justifient
par une éthique rigoureuse). Cet héroïsme n'est pas seulement tourné vers les autres, il
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symbolise également un idéal personnel de noblesse. La morale cornélienne consiste à faire
coïncider les passions et les instincts des personnages avec la conception qu'ils ont de leur
propre supériorité. Ce combat intérieur les entraîne irrémédiablement à dépasser le statut de
simple personnage pour accéder au rang de héros.
Source : www.curiospheretv.be
Quelques unes des tirades les plus connues de Corneille
« Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc pas tant vécu que pour cette infamie ? » Le Cid, Acte I, scène 4
•
•
« Quand la perte est vengée, on n!a plus rien perdu. » Horace, Acte IV, scène 5
•
« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Le Cid, Acte II, scène 2
7
V.
LA MISE EN SCENE DE NAIDRA AYADI
Naidra Ayadi est une jeune comédienne et metteur en scène d!origine tunisienne
formée au Conservatoire de Versailles. Elle y obtient à l!unanimité le 2ème Prix en classique
et en moderne.
Elle a joué dans de nombreuses pièces ces dernières années, parmi lesquelles
Meurtres de la Princesse Juive d!Armando Llamas, Beaucoup de bruit pour rien de W.
Shakespeare, La Double inconstance de Marivaux.
Au Théâtre de Poche-Montparnasse, Marion Bierry l!a mise en scène dans Portrait de
famille de Denise Bonal, Molière du Meilleur auteur 2004.
Elle a également fait partie de deux comédies musicales de Didier Bailly (Dalida et
L!Histoire de Pierre racontée aux enfants ou comment j!ai perdu ma chansonnette).
Au cinéma, elle a fait ses débuts dans Zim and Co (réalisation de Pierre Jolivet,
sélection officielle Festival de Cannes 2005 - section Un Certain Regard - et Prix du public de
la meilleure interprète féminine long métrage au Festival Jean Carmet 2005).
Horace est sa première mise en scène théâtrale. Elle illustre parfaitement le propos
de Serge Doubrovsky : le signe de la tragédie véritable est de ne pas porter de date. En
effet, c!est Corneille qui est joué, dans un respect scrupuleux du texte, mais l!action se
déroule devant un mur des lamentations évoquant les combats fratricides actuels, témoin de
la douleur des peuples qui reste la même à travers les siècles. Une mise en scène qui fait
entendre de manière forte les voix des deux femmes. Une très belle et jeune distribution
multiculturelle qui prend le texte à bras le corps avec sincérité, énergie et conviction.
La tendresse blessée, le mot du metteur en scène
Horace, Camille, Curiace, Sabine, Valère et Julie sont des êtres en
devenir, pleins d!espoir, d!amour et de joie. La guerre et le conflit vont leur
imposer un choix qui décide de leur destinée. « La tragédie est la peinture d!une
double crise : celle qui oppose les uns aux autres les protagonistes, celle surtout
qui se fait heurter passions et nature, devoir et amour en chacun d!eux. »
La dimension politique de la pièce ne peut manquer de nous évoquer les
conflits ethniques et religieux dont nous sommes aujourd!hui encore les témoins.
Mais comment rester humain lorsqu!on est confronté à des situations
inhumaines ? Une lecture contemporaine permet-elle de considérer autrement les
rôles et les responsabilités que Corneille attribue à chaque clan et à chaque
sexe ? Si les femmes sont tournées vers l!intime, les hommes, dominés par
l!orgueil, invoquent la « raison d!Etat ». A l!incessant et silencieux combat pour la
vie des unes répond la soumission bruyante au devoir patriotique des autres. Une
distribution multiculturelle atteste le caractère intemporel et universel de cette
œuvre, et l!alexandrin situe pour nous les enjeux à bonne distance : si nous ne
pouvons comprendre, abstenons-nous de juger.
Naidra Ayadi
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ANNEXES – Pour aller plus loin, clés d!analyse de la pièce
A. Avant-propos de Gabriel Mony in La Promesse des Dieux, explication et
commentaire de la pièce Horace de Pierre Corneille, Collection « petites
études G. M. », Ed. Gabriel Mony, Draguignan, 1989.
Le conflit qui, depuis deux ans déjà, oppose les cités d!Albe et de Rome n!est pas le véritable
sujet de la pièce Horace de Pierre Corneille. Ce drame constitue bien l!un des piliers de
l!action, mais il est un événement autrement tragique, à savoir l!événement qui découle du
« choix » d!après lequel les Curiaces et les Horaces se voient offert l!honneur de combattre
les uns contre les autres au nom de leur cité respective : la victoire qui s!inscrira dans le
champ clos décidera de la victoire d!Albe ou de Rome.
Le caractère tragique de cet événement résulte des liens de parenté qui unissent les familles
des Curiaces et des Horaces.
Ce drame qui émane du conflit entre Rome et Albe constitue en quelque sorte le second
pilier de l!action.
Restait à établir l!arc de plein cintre qui relierait les deux piliers, en donnant à l!ensemble son
unité : Corneille y parvient en évoquant le souvenir de la promesse que les dieux ont faite
autrefois à Enée d!assurer la « gloire » de Rome :
Les Dieux à notre Enée ont promis cette gloire (V. 991)
rappellera le Vieil Horace.
L!ensemble de l!édifice dramatique prend alors son véritable aspect, et la tragédie d!Horace
apparaît comme une pièce à caractère profondément religieux.
Il fallait, autrement dit, ce sacrifice dans les cœurs, et dans les chairs, pour permettre à
Rome d!entrer dans la « gloire » de l!Histoire, tout comme il fallait le sacrifice de Rodrigue au
départ de sa montée vers son destin de Gloire : une Gloire qui se conquiert ; ainsi, de Rome,
à l!échelle de l!Etat.
Hélas ! Pourquoi faut-il cette signature en rouge, au pied d!un des piliers de l!édifice, comme
une rançon tragique de la victoire de Rome ?
Le geste meurtrier du jeune Horace contre sa sœur Camille s!explique, selon les vues du
Vieil Horace, son père, comme l!effet d!un « premier mouvement » qu!animait l!amour de la
patrie ; selon les vues de Valère, Horace est un homme qui, « faisant triompher Rome », « se
l!est asservie » en s!arrogeant un « droit de mort et vie » sur tous les Romains.
Peut-être son acte criminel n!est-il tout simplement que le fait d!une ivresse, d!un
éblouissement de gloire ?
Combattant victorieux, Horace aurait perdu de vue les limites de ce qui était encore permis,
nécessaire, voulu, et de ce qui ne l!était plus, attestant ainsi la fragilité de l!être humain
ramené à ses justes proportions !
Mais, n"est-ce point Camille qui, appelée à devenir la victime de cet acte criminel, en
proclame d!avance la signification religieuse quand elle dit :
Le ciel agit sans nous en ces évènements (V. 861)
Et ne les règle point dessus nos sentiments ?
C!est elle qui a raison, la malheureuse Camille ! Sa mort apparaît comme une ratification de
la Volonté des dieux : la victoire d!Horace se réalise dans le sens même de la promesse des
dieux. Aussi bien, la promesse de l!oracle à Camille, rapportée par elle au début de la pièce,
peut-elle s!offrir comme le gage de cet avenir de « gloire » promis à Rome : les dieux ne
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mentent jamais ! Ils tiendront leur promesse vis-à-vis de Rome, comme ils l!ont tenue vis-àvis des deux jeunes amants.
Il restait à montrer que ces dieux sont, néanmoins, très exigeants : s!ils ne consultent pas les
humains, quant aux décisions qu!ils prennent à leur endroit, si ces décisions, ils les prennent
« sans nous », du moins veulent-ils que nous participions à leur réalisation, de plein gré et
avec « constance » :
Le sort qui de l!honneur nous ouvre la barrière (V. 431)
Offre à notre constance une illustre matière ;
Il épuise sa force à former un malheur
Pour mieux se mesurer avec notre valeur…
Ce sont là les paroles mêmes d!Horace.
Et telle est bien, semble-t-il, la leçon qui se dégage de la pièce.
La montée progressive de l!Action se réalise alors selon les vues géniales d!une logique
« dramatique », marquée par les étapes caractéristiques de chacun des Actes :
- ACTE I : Exposé du conflit qui oppose Albe à Rome ;
- ACTE II : Caractère dramatique nouveau que prend le conflit dès l!instant que le choix des
combattants s!est fixé sur les Horaces et les Curiaces ;
- ACTE III : Signification religieuse de ce nouvel aspect du drame, avec l!évocation de la
« Promesse des dieux » faite jadis à Enée.
- ACTE IV : La victoire, attendue, de Rome, avec, hélas ! sa conséquence tragique : la mort
de Camille.
- ACTE V : Le bilan humain du drame, et qui consiste à accommoder les individus, et leur
drame personnel, au nouvel état de choses. La pièce se termine sur la volonté du roi Tulle de
réunir dans « un même tombeau » les corps des deux amants, afin qu!ainsi s! « achève »
leur « destin ».
Horace apparaît bien comme une pièce à caractère religieux : il y a Polyeucte, qui est une
pièce chrétienne, au niveau de la Religion universelle ; il y a Horace, qui est une pièce au
niveau de la religion encore réduite aux limites de la Cité.
Si l!on perd de vue ce caractère religieux de la pièce Horace, plus rien ne tient de la structure
de son édifice dramatique. On peut n!y voir qu!un conflit entre le devoir patriotique et les
sentiments de famille ; mais, alors, on ne comprend plus cette étonnante résignation de
Sabine dès le début de l!Acte III, et sa soumission, à la vérité, après cette révolte qu!elle
venait de manifester contre la décision prise par les chefs d!Albe et de Rome !
Les drames de Corneille dépassent les limites des conflits à petites vues : déjà, l!auteur eût
négligé l!essentiel s!il n!avait pas fait intervenir, dans l!action de sa pièce, cet élément des
croyances religieuses, très vives encore en cette période du début de l!Histoire de Rome.
Mais, il fait de la Promesse des dieux un des ressorts mêmes de l!action dramatique.
(…)
Le Théâtre a été pour Pierre Corneille l!occasion de ranimer le Monde du Merveilleux, de
poser des problèmes, sans doute, mais d!en élaborer la solution dans les perspectives d!une
« gloire » merveilleuse à la portée du mérite de l!Homme. Il n!a pas cru que ce Monde de la
Gloire était à l!opposé du Monde du Devoir : si la Raison, le Bon Sens, imposent les solutions
qui conviennent, c!est, le plus souvent, après coup, comme pour justifier l!action qui s!est
imposée d!elle-même avec son caractère tout frappé de merveilleux :
(…)
Le pardon du roi Tulle se soumet à l!esprit d!une victoire qui place la « gloire » d!Horace
« au-dessus » de son « crime ».
(…)
10
Le devoir, dans tous ces cas, s!est imposé chez le héros, non pas au nom de la raison, mais
au nom de quelque immense Idéal.
Le théâtre de Pierre Corneille c!est, dans l!ensemble de ses grandes pièces, l!effort pour faire
entrer l!Idéal dans la vie de l!Homme, et de lui en donner le goût.
B. Louis Herland, Horace ou la naissance de l!homme, éditions de Minuit, 1952.
Horace a sacrifié son bonheur et le bonheur de ceux qu!il aime, mais il ne cesse point
de les aimer, et sa tendresse, dépouillée de tout ce qui est égoïsme et lâcheté, n!en est que
mieux désarmée pour souffrir. La grande souffrance d!Horace est de voir ceux qu!il aime et
qu!il voudrait entraîner avec lui au-dessus de la commune médiocrité, non seulement
incapables de le suivre, mais incapables même de le comprendre. Alors dans le héros
l!homme paraît à plein : il crie et il s!emporte, parce qu!il souffre : pour eux, de les voir
tellement inférieurs à ce qu!il les voudrait, mais pour lui aussi, parce qu!ils lui font mal en
insultant son amour qu!ils méconnaissent.
Nous ne comprenons rien à la tragique beauté du rôle d!Horace, si nous ne voyons
pas que chez lui, comme presque tous les grands Cornéliens, la violence n!est que le
hurlement d!une tendresse blessée à vif. Une telle violence ne peut s!expliquer, l!hypothèse
du fanatisme étant écartée, que par un effort désespéré pour interdire au doute l!accès de sa
conscience : Horace n!est si sûr d!avoir raison, dirons-nous, que parce qu!il serait trop atroce
qu!il se fût trompé. On croit qu!il tue Camille : non, il tue l!horrible voie du doute qu!il entend
monter en lui à travers la douleur démente de Camille. On l!accuse de ne pas comprendre le
désespoir de sa sœur, il s!en défend. Car elle lui offre l!image de ce qu!il serait lui-même s!il
laissait pénétrer dans le champ de sa conscience cette pensée intolérable parce qu!elle
équivaudrait à un reniement : « J!aurais dû refuser ce combat ».
C. Georges Couton, Corneille et la tragédie politique, PUF, 1992.
L!intention d!Horace ? Dans la hiérarchie alors admise des genres, la tragédie vient
avant la tragicomédie ; il était normal que Corneille, qui ne s!était exercé à la tragédie
qu!avec Médée, voulût montrer, à la suite de la querelle du Cid, qu!il était capable d!accéder
au sommet de la hiérarchie dramatique, d!où Horace.
Le sens moral ou civique de la pièce ? Préciser les conditions d!une morale pour un
pays en guerre. Puisque tout refus de porter les armes est exclu, reste la morale proposée
par les Horaces père et fils : on peut demeurer sensible aux liens d!amitié et de parenté,
mais il ne faut pas laisser infléchir par eux sa conduite pendant la durée des hostilités. En
temps de guerre, il faut voir uniquement les devoirs envers le pays, qui se confondent avec
l!honneur individuel et un légitime désir de gloire. Qui se laisse aller aux attendrissements et
aux déplorations montre une fêlure secrète dans sa force morale, et cela promet la défaite.
L!opportunité politique de cette leçon n!est pas douteuse. La France se trouve alors en
guerre avec la puissante monarchie espagnole qui pèse sur ses frontières. L!opinion n!est
pas unanime pour accepter cette guerre : de grands féodaux sont partisans, et jusqu!à la
rébellion, d!une alliance avec l!Espagne. La reine Anne d!Autriche est une infante
d!Espagne ; un scandale politique en est résulté, tel qu!il a même été question de la répudier.
Les problèmes qui se posent à une bonne partie de l!aristocratie française, voire à une
bonne partie de la famille royale, sont ceux-là même qu!évoque Horace. Il n!y a pas là une
coïncidence mais une volonté de transcrire dans un cadre historique romain des problèmes
très actuels ; mais des problèmes aussi que le cours de la vie politique pose périodiquement.
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